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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Entre les mots et les choses, le « témoin »

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Academic year: 2021

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ENTRE LES MOTS ET LES CHOSES, LE « TÉMOIN »

Andrée THOUMY*, Yousra SLEÏMAN**

*Université Libanaise **École Secondaire Publique de Tyr

MOTS-CLÉS : PREUVE EXPÉRIMENTALE – TÉMOIN – CRITÈRE – BIOLOGIE – MANUEL SCOLAIRE

RÉSUMÉ : La recherche vise à identifier les causes épistémologiques des erreurs rencontrées dans les manuels scolaires libanais de Biologie à propos du « témoin » dans les preuves expérimentales. Elle montre que les critères « variation d’un seul facteur » et « résultats opposés » entre témoin et expérimental ne sont pas pris en considération. Une précision insuffisante du problème et des facteurs de la situation, ainsi que l’ignorance des modalités de la négation induisent aussi des erreurs.

ABSTRACT : The research aims to identify the different types of errors found in the Lebanese Life Science textbooks about the control group in experiments, as well as their epistemological bases. It shows that the fundamental criteria of “varying one factor” and “opposite results” between experimental and control groups are not taken into consideration. Inaccurate statement of the problem, lack of the variables’identification, and wrong denial of the factors may also induce errors.

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1. INTRODUCTION

En dépit d'une cohésion forte de la démarche expérimentale, ses divers éléments conservent leur individualité et peuvent, s'ils étaient le siège d'erreurs, menacer la rigueur de l'ensemble de l'opération expérimentale et la « vérité » des résultats qu’elle génère. Ainsi en est-il du témoin ou

contrôle ou expérience comparative qui est une subdivision de la preuve et que des chercheurs

biologistes considèrent comme "une difficulté et un aspect spécial de la Biologie" (Wolff, 1963), ou encore comme « l’un des pièges de la recherche » en Biologie (Tinbergen, 1979). Ces deux savants, ainsi que Claude Bernard (1865) s’accordent à donner au témoin un rôle primordial dans l’expérimentation. Pour ce dernier, cet élément apparaît comme « la condition sine qua non de la médecine expérimentale et scientifique » et un moyen de « perfectionnement de l’expérimentation » et selon lui, cette nécessité découle de la complexité des organismes vivants où le témoin « a pour résultat d’éliminer en bloc toutes les causes d’erreurs connues ou inconnues » (Bernard, 1865). Toutefois, comme le souligne Wolff (1963), « dans la pratique, on oublie trop souvent les témoins : ils paraissent superflus. Ou encore on n’en garde pas assez, ou les expériences-témoins sont incomplètes et mal choisies ». Cela est d'autant plus vrai dans l'enseignement scientifique où les manuels de sciences libanais des différents niveaux scolaires présentent des situations expérimentales comportant des témoins. Dans des approches didactique et heuristique, la recherche vise à étudier cet aspect de l'expérience, à décrire les types d'erreurs rencontrés dans différents manuels (confusions entre les dispositifs, expérimental et témoin et institution d'expériences-témoins erronées, etc.) et à en déceler les causes épistémologiques en vue de promouvoir la formation expérimentale des enseignants et des apprenants libanais.

2. LE TÉMOIN : DÉFINITION, CRITÈRES D’IDENTIFICATION ET NOMBRE 2.1. Définition

La preuve « consiste à démontrer la vérité ou la fausseté d’une affirmation spéciale ou générale » (Inhelder et Piaget, 1970). Dans les sciences expérimentales, les preuves consistent à créer des situations matérielles permettant de confronter les idées aux faits en vue de tester la validité d’une hypothèse ou d’une théorie. Ces preuves incluent les « témoins », garants de la concordance entre les idées et les faits. Selon Claude Bernard (1966), la preuve de présence où une condition précède

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le premier, on fait cesser le second. De même, il définit l’expérience comparative (ou témoin) comme « placer les 2 animaux semblables dans les mêmes conditions moins une, celle que l’on veut comparer ». Il y a, dans cette dernière définition l’idée d’une différence, d’un élément qui manque au témoin, en ce sens qu’il ne subit pas l’intervention qui est appliquée (ou ajoutée) à la situation expérimentale. Il y a aussi l’idée que les 2 dispositifs ne varient que sur un seul facteur. Ce type de témoin est caractéristique de la médecine expérimentale et en particulier des expériences d’ablation. Dans d’autres cas, par contre, comme en sociologie animale, l’expérience consiste à retrancher par négation un facteur de la situation initiale suite à une analyse de celle-ci en vue d’établir un inventaire des facteurs pouvant la constituer et dont on veut connaître les effets respectifs en les faisant varier un à un, toutes choses égales d’ailleurs (Piaget et Inhelder, 1982). Dans ce cas, le témoin est la condition normale, l’expérimentale étant celle qui subit l’effet de la négation ou de la variation d’un facteur. Le témoin possède, de ce fait, un facteur de plus que le dispositif expérimental. Toutefois, même dans cette situation, les 2 dispositifs diffèrent sur un seul facteur, encore que, parfois, 2 facteurs se trouvent marcher ensemble : l’un d’eux constitue alors une condition du milieu, nécessaire à la production du phénomène. Ces définitions nous amènent à nous interroger sur l’organisation du témoin : quels éléments doit-il contenir ?

2.2. Critères d’identification du témoin

Le témoin doit donc croiser « variation d’un seul facteur » avec « résultats opposés dans les 2 conditions de l’expérience », la condition expérimentale étant toujours celle à laquelle on applique la variation ou bien la modification du facteur étudié, que celui-ci soit ajouté ou retranché, et sur laquelle on doit recueillir l’effet de cette variation. Il en résulte 3 types de témoins :

1- Le témoin constitué par la situation normale : c’est le cas de l’expérience qui étudie l’action du son émis par les mâles d’Ephippiger sur l’attraction des femelles en « chaleur » (Tinbergen, 1979). 2- Le témoin constitué par la situation où un organisme subit toutes les modifications que subit celui de la condition expérimentale à l’exception d’une seule dont on veut connaître l’effet. C’est le cas des expériences d’ablation, dont celle qui étudie l’effet de la soustraction du liquide céphalo-rachidien sur la myotilité (Bernard, 1966).

3- Le témoin constitué par la situation où le chercheur intervient dans les 2 dispositifs de manière à maintenir le facteur constant dans le témoin alors qu’il est varié dans la condition expérimentale. Mentionnons, à titre d’exemple, l’expérience qui visait à connaître l’influence de l’action sur la perception, réalisée par Richard Held et Alan Hein et rapportée par Varela (1999).

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Dans les 3 cas cités, les deux dispositifs différaient sur un seul facteur et les résultats y étaient opposés. Le facteur expérimental y était aussi précisé : il s’agissait respectivement du son, de la soustraction du liquide céphalo-rachidien et de l’action.

2.3. Le nombre des témoins

Les exemples mentionnés plus haut comportaient un seul groupe témoin. Parfois, plusieurs lots témoins sont nécessaires en vue de recueillir des informations sur la nature et la qualité des différents éléments de l’expérience (animaux utilisés, substances injectées, etc.) et, comme le souligne Wolff, en vue de pouvoir dire avec certitude que tel facteur est le seul, à l’exclusion des autres facteurs opératoires, qui produise la transformation, celui-ci ne se rencontrant que dans le lot expérimental. Les expériences de Pasteur sur la vaccination des animaux domestiques contre le bacille du charbon et celles de Wolff (1963) qui ont démontré l’action des hormones sexuelles sur la différenciation des sexes en sont des exemples. Dans le cas de plusieurs lots témoins, chaque lot est une source d’information sur un élément de l’expérience et le rôle de chacun doit être précisé.

3. LE TÉMOIN DANS LES MANUELS SCOLAIRES

L’introduction de la démarche expérimentale dans les programmes libanais (MEN, 1997) a été concrétisée par la conception de nouveaux manuels. De nombreux dispositifs expérimentaux incluant des témoins y sont présentés ayant conduit à des difficultés et à des ambiguïtés chez les enseignants, et à des erreurs sur les plans logique et épistémologique dont voici quelques exemples : 3.1. Des témoins erronés

3.1.1. Variation simultanée de 2 facteurs

Digestion de la viande par le suc gastrique. Le document qui pose la question : « Quelle est la cause de la liquéfaction des aliments au cours de la digestion ? » comporte 3 tubes à essais qui contiennent respectivement « viande hachée + suc gastrique » (tube 1), « viande sans broyage + suc gastrique » (tube 2) et viande dans l’eau (sans broyage ni suc gastrique) (tube 3), ce dernier tube étant considéré le témoin (SVT, EB7, CRDP, 1999)*. Aucune hypothèse sur un facteur n’est formulée. Le tube 3 ne peut être témoin pour le tube 1 du fait de la variation de 2 facteurs ; il ne peut, non plus, être témoin pour le tube 2 puisqu’il est expérimental, subissant la négation du facteur « suc gastrique ». Le tube

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de ne pas envisager une approche heuristique de la situation ni de préciser le facteur dont on veut connaître l’effet.

3.1.2. Résultats identiques dans les 2 dispositifs

Digestion de la myoglobine par la pepsine. Cinq situations sont présentées dans un tableau à 5 lignes dont la 1re, A, indique les éléments : myoglobine + eau, auxquelles s’ajoutent dans les lignes suivantes : la pepsine (Ligne B), pepsine + acide chlorhydrique (ligne C), pepsine préalablement bouillie + acide chlorhydrique (Ligne D) et enfin acide chlorhydrique (Ligne E). La situation A est considérée comme le témoin (SVT, EB9, CRDP, 2000). Ce témoin est erroné parce que le tube A enfreint le critère « résultats opposés dans les 2 dispositifs », les tubes B, D et E devant présenter le même résultat que le témoin. Nous estimons que seul le tube C peut être envisagé comme témoin pour les 3 tubes cités, car il peut, dans chaque cas, mettre en évidence le rôle d’un élément de la situation par le moyen de sa suppression : acide chlorhydrique (Exp. B), pepsine (Exp. E), et pepsine bouillie (qui perd son activité du fait de sa destruction par la chaleur) (Exp. D). Il l’est également pour A parce que deux facteurs sont indispensables à la digestion de la protéine (pepsine et HCl), ce qui limite le critère « variation d’un seul facteur ». Par ailleurs, la situation soulève le problème : comment permettre à l’élève de distinguer le rôle de la diastase de celui du HCl puisque la suppression de chacun des deux facteurs entraîne l’absence de digestion ? Lors de l’institution d’un témoin, il importe d’en définir le but et de préciser le facteur expérimental que l’on cherche à tester.

3.1.3. Ignorance de la logique de négation

Dans un dispositif visant à mettre en évidence la respiration des tissus vivants, 2 tubes à essais contenant une solution de potasse ont été utilisés. Le premier (A) contient un muscle frais alors que le second (B) ne contient que de la potasse, et ce dernier tube est considéré comme témoin (Annales Sbaity, sans date). La situation appelle 2 remarques :

* Un tube qui ne contient que la substance chimique seule, sans muscle, quelle que soit sa condition (mort ou vivant), ne peut servir de témoin, du fait que la négation de « muscle frais » (vivant) est « muscle non frais » ou (tué) et pas « potasse ».

* Par contre, et selon le problème étudié, « muscle » peut être opposé à un autre organe : « os », « foie » ou « pancréas » etc., dans les mêmes conditions de vie parce que, comme le soulignent Inhelder et Piaget (1970), certains facteurs n’ont pas une négation, on peut seulement les modifier, et non les nier. L’erreur vient donc ici d’une analyse insuffisante ou d’une absence d’analyse du problème : « Respiration du muscle » ou « Respiration du muscle frais » ?

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3.2. La confusion entre expérimental et témoin : une approche dogmatique de l’expérience Digestion de l’empois d’amidon par la salive : deux tubes à essais contenant de l’empois d’amidon étant envisagés, on ajoute à l’un d’eux de la salive ; le second, (sans salive) est considéré comme témoin (Chikhani, 3eES, 1994), alors que ce tube est en réalité la condition expérimentale dont on a contrôlé la variable « salive ».

3.3. Un témoin inutile

Dans le texte suivant : « Pour mesurer la quantité d’oxygène consommé par le poisson, on utilise un oxymètre ; un montage témoin (sans poisson) manque au dispositif expérimental » (SVT, EB7, CRDP, 1999), le témoin est inutile puisqu’il s’agit d’une mesure. Par contre une approche statistique de cette activité peut donner des informations sur les conditions des organismes.

3.4. Un témoin exact mais qui manque de rigueur

Dans le document qui étudie « Le contrôle hypophysaire des sécrétions ovariennes » (SV, 3e ES, CRDP, 2002), le témoin considéré, qui est l’animal normal n’ayant pas subi d’intervention, est exact mais il manque de rigueur. Le témoin aurait dû subir la même intervention que l’animal opéré, à l’exception de l’ablation de l’antéhypophyse.

4. CONCLUSION

Tout témoin est une source d’information et possède un rôle qu’il est nécessaire de prévoir avant son institution. Différents selon la situation étudiée, les témoins nécessitent un éveil constant et permanent de la pensée. Leur différence n’exclut toutefois pas l’existence de critères fondamentaux qui les caractérisent exigeant la formulation précise du problème, celle des facteurs de l’hypothèse et par suite celle de la négation. Toutes ces conditions sont absentes des témoins des manuels qui ne sont pas guidés par un questionnement précis, entraînant une confusion avec le dispositif expérimental et l’emploi inutile et sans discernement de témoins. La solution réside dans une approche heuristique des expériences, les témoins devenant alors nécessaires, et dans la prise en compte des caractéristiques expérimentales et de celles de la situation envisagée.

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BIBLIOGRAPHIE

BERNARD, C. (1966, 1865). Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Paris : Garnier-Flammarion.

INHELDER, B. & PIAGET, J. (1970, 1955). De la logique de l’enfant à la logique de l’adolescent. Paris : Presses Universitaires de France.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, CRDP. (1997). Les programmes de

l’enseignement général et leurs objectifs. Beyrouth.

PIAGET, J. & INHELDER, B. (1982, 1966). La psychologie de l’enfant. Paris : Presses Universitaires de France.

TINBERGEN, N. (1979). La vie sociale des animaux. Paris : Payot.

VARELA, F. (1999). Comment articuler la pensée avec l’action, in Le cerveau et la pensée (coord. par J.F. Dortier). Auxerre : Editions Sciences Humaines.

WOLFF, É. (1963). Les chemins de la vie. Paris : Hermann.

* SVT = Sciences de la vie et de la terre ; SV = Sciences de la vie ; EB7 = Éducation de base, 7e

année ; ES = Enseignement secondaire ; CRDP = Centre de Recherche et de Développement Pédagogiques.

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