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Pratiques d'écriture et exercice du pouvoir : des centres aux marges : localiser Antoine Godeau (1605-1672)

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Pratiques d'écriture et exercice du pouvoir : des

centres aux marges

Localiser Antoine Godeau (1605-1672)

Thèse en cotutelle

Doctorat en histoire

Anne-Sophie Fournier-Plamondon

Université Laval

Québec, Canada

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

et

École des Hautes Études en Sciences Sociales

Paris, France

Docteur

(2)

Pratiques d'écriture et exercice du pouvoir : des

centres aux marges

Localiser Antoine Godeau (1605-1672)

Thèse en cotutelle

Doctorat en histoire

Anne-Sophie Fournier-Plamondon

Sous la direction de :

Michel De Waele, directeur de recherche

Christian Jouhaud, directeur de cotutelle

(3)

iii

RÉSUMÉ ET MOTS CLEFS

Cette recherche a pour objet les pratiques d’écriture dans l’exercice du pouvoir à partir d’un individu, Antoine Godeau (1605-1672). Sa spécificité réside dans son approche historiographique. Alors qu’il a déjà été étudié sous l’angle biographique, la présente analyse privilégie les usages sociaux de l’écrit. De plus, une partie du corpus examiné est composée d’écrits qualifiés de spirituels et qui sont alors souvent mis à part, enfermés dans le domaine religieux, par les chercheurs en histoire et en littérature, y compris par ceux adoptant une approche sur les usages sociaux des écrits. La problématique de cette thèse est l’analyse de l’adaptation aux espaces des pratiques d’écriture dans l’exercice du pouvoir, chez les individus cherchant la promotion sociale grâce à leurs compétences lettrées dans la France du XVIIe siècle.

L’hypothèse qui a guidé l’enquête consiste à interroger le rapport entre le centre et les marges à partir d’un cas qui suit la trajectoire inverse empruntée le plus communément par les hommes de lettres. Ces derniers se déplacent généralement de la périphérie vers le centre. En appréhendant ce cas, d’autres configurations, plus complexes, ont été dégagées.

Dans la première partie, les pratiques d’écriture du prélat ont été examinées alors qu’il œuvrait au plus près du pouvoir central. Dans la deuxième partie, l’homme de lettres et ses activités de plume ont été saisis tandis qu’il incarnait lui-même le pouvoir central, en tant qu’évêque de Grasse et de Vence. Dans la troisième partie, l’écriture de Godeau a été étudiée depuis la périphérie du royaume, dans ses rapports avec les pouvoirs centraux et locaux.

Mots clefs : pratiques d’écriture ; pouvoir politique ; hommes de lettres ; histoire

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iv

ABSTRACT AND KEYWORDS

This research deals with literacy in the exercise of political power, from an individual, Antoine Godeau (1605-1672). Its uniqueness resides in its historiographical approach. While Godeau has already been studied in the biographical angle, the current analysis focuses on the social usage of writing. In addition, part of the corpus examined consists of spiritual writings which are often confined to the religious field, by researchers in history and literature, including those with an approach on the social usage of writings. The issue of this thesis is the analysis of writing practices' adaptation to spaces in the exercise of political power by individuals seeking social advancement through their writing's skills in seventeenth-century France. While most authors of that period tried to be in the center of political and literary powers, Godeau had to move to the periphery of France, in a bishopric of Provence. The hypothesis is that the examination of the relationship between the center and margins of an individual following the reverse path most commonly taken by men of letters will lead to generate more complex configurations.

In the first part, writing practices of Godeau while he was working close to the central power are examined. In the second part, the man of letters and his writing activities are studied while he incarnated himself the central government, as bishop of Grasse and Vence. Finally, in the third part, Godeau's writings are studied from the periphery of the realm, in his relationships with central and local authorities.

Keywords : literacy ; political power ; men of letters ; social history ; cultural history ;

(5)

v

TABLE DES MATIÈRES

Résumé et mots clefs ... iii

Abstract and Keywords ... iv

Table des matières... v

Liste des abréviations ... ix

Remerciements ... x

Introduction ... 1

Reconstituer la trajectoire ... 3

Origines familiales et jeunesse... 3

Épiscopat ... 5

Fin de vie... 6

La question du lieu ... 7

Un exercice de définition ... 11

Des écrits littéraires aux écrits ... 11

Faire agir, faire croire ... 14

Actio ... 15

Quels espaces pour quels lieux ? ... 16

La multiplicité des traces ... 18

Choix méthodologiques ... 21

Appréhender les écrits... 22

Du biographique... 22

Frontière religieuse ... 23

Problématique et hypothèse ... 29

Découper les espaces ... 30

Partie 1. Paris ... 32

Chapitre I. L’homme de Richelieu ... 34

a) Obtenir un statut (…-1642) ... 37

1– Une paraphrase, un bon mot et un évêché ... 37

2– Un travail de groupe... 43

3– Écrire le puissant ... 57

4– L’homme de deux cardinaux ? ... 71

b) Par-delà la mort (1642 — …) ... 79

1– Consoler ... 79

2– Publier la fidélité ... 89

c) Conclusion ... 97

(6)

vi

a) Un prélat « muguetté » ... 101

b) La parole imprimée ... 106

1– Godeau sur la chaire... 107

2– Inspirer l’aumône ... 112

3– « Par un Curé de la ville de Paris » ... 122

c) Des savoirs sacrés ... 132

1– Trois discours en un ... 133

2– Royaume de France, royaume de Dieu ... 142

d) Retour sur l’événement ... 152

e) Conclusion ... 163

Chapitre III. Faire corps avec le premier ordre ... 165

a) À travers les procès-verbaux... 168

b) Singulier et pluriel ... 175

1– L’événement ... 176

2- « Labora sicut bonus miles Christi Jesu » ... 179

3– Une republication angoumoise ... 185

c) Autour du Formulaire ... 192

1– Entre théologie et politique ... 193

2– Aux prélats qui s’opposent... 198

3– À Rome ... 202

4– À Paris ... 206

d) Conclusion ... 210

Conclusion ... 212

Partie 2. Diocèse ... 215

Chapitre IV. Aménager la distance ... 217

a) Action par le tiers ... 221

1– Une relation de voyage ... 221

2– Désert de Grasse ... 235

b) Action épistolaire ... 245

1– À l’ermite de Pomponne ... 246

2– Une retraite fleurie ... 251

c) Conclusion ... 257

Chapitre V. Gouverner un diocèse : entre le sacré et le politique ... 261

a) Pouvoirs spirituels... 263

1– Encadrer ... 264

2– Enseigner... 279

(7)

vii

b) Pouvoirs temporels ... 294

1– Mettre en valeur, mettre en pratique ... 295

2– Défendre ses droits ... 299

c. Le cas antibois ... 311

1– Un conflit, deux origines... 312

2– Ni par justice ni par crainte : obtenir les titres d’Antibes ... 313

3– Faire valoir ses droits ... 323

d) Conclusion ... 333

Chapitre VI. L’épiscopat, un pouvoir à transmettre ? ... 335

a) Un corpus à définir ... 337

1– Le recueil, lieu de conservation ... 337

2– Au-delà de la direction spirituelle ... 341

b) Savoir-être (un évêque modèle) ... 348

1– Dire avec la gravité épiscopale ... 349

2– Trouver sa place ... 357

c) Conclusion ... 366

Conclusion ... 369

Partie 3. Provence ... 371

Chapitre VII. Servir le pouvoir central ... 374

a) Agir au nom du roi ... 375

1– Le temps de l’événement ... 375

2. En amont ... 380

3. En aval ... 385

b) Soutenir les intérêts du roi ... 396

c) Les mouvements de la province (1648-1653)... 410

d) Conclusion ... 422

Chapitre VIII. Défendre les intérêts de la Provence ... 424

a) Témoigner (des malheurs du peuple) ... 425

1– Remontrer (au roi et à Mazarin) ... 426

2– Soulager les pauvres ... 440

b) Résister au pouvoir royal ... 447

1– Tarascon (1659) et Lambesc (1661) : points de rupture ... 448

2– De Richelieu à Grimaldi ... 465

c) Conclusion ... 487

Conclusion ... 489

Conclusion générale ... 491

(8)

viii Sources manuscrites ... 497 Textes de Godeau ... 501 Sources imprimées ... 504 Bibliographie... 510 Instruments de travail ... 510 Études ... 511 Annexes... 538

Annexe 1 – Liste des ouvrages de Godeau ... 538

Annexe 2 – Tableau de la production imprimée d’Antoine Godeau de son vivant ... 547

Annexe 3 – Visite pastorale du diocèse de Vence (1654) ... 548

Annexe 4 – Testament d’Antoine Godeau ... 609

Annexe 5 – Lettre de l’évêque de Coutances à Mazarin (1652) ... 612

Annexe 6 – Lettre de Beaurecueil à Angélique Paulet (1er octobre 1637)... 615

Annexe 7 – Arrêt du Grand conseil (24 décembre 1650) ... 619

Annexe 8 – Épître dédicatoire de La Vie de St Lambert ... 621

Annexe 9 – Vicairie apostolique d’Antibes ... 622

a) Lettre pastorale aux Antibois (1640) ... 622

b) Brevet du premier vicaire et official (1er février 1640) ... 624

c) Procuration à Jacques Barcillon (18 décembre 1640) ... 625

d) Arrêt du Grand Conseil en faveur d’Antoine Godeau (1er décembre 1644) .. 626

e) Requête des habitants d’Antibes (1647) ... 627

Annexe 10 – Lettres d’Antoine Godeau à Louis de Thomassin ... 629

Annexe 11 – Lettres patentes (expulsion des moines de l’abbaye de Lérins) ... 636

(9)

ix

LISTE DES ABRÉVIATIONS

AAE Archives du ministère des Affaires étrangères AD Archives départementales

AN Archives nationales

BNF Bibliothèque nationale de France MD Mémoires et documents

Ms. Fr. Manuscrits français

NAF Nouvelles acquisitions françaises

L’orthographe des documents consultés a toujours été respectée et il a été décidé de rendre compte le plus fidèlement possible de la matérialité des manuscrits. Cela signifie que les citations peuvent contenir des indications entre crochets [ ] pour indiquer un espace laissé en blanc, un passage illisible, le passage de l’écriture dans les marges ou à la verticale. Si des mots ont été raturés et d’autres ajoutés en plus petits ou au-dessus de la ligne, la police a été modifiée pour le donner à voir.

Les citations sont parfois extraites de plusieurs pages de documents imprimés ou manuscrits. Les changements de pages sont indiqués par des barres obliques //. Lorsque le document est paginé, le numéro se trouve entre les barres obliques /2/. Si le document est folioté, le numéro se trouve entre les barres obliques avec l’ajout d’un "r" pour recto ou d’un "v" pour verso /2r/. Si le document n’est ni paginé ni folioté, le changement de page est indiqué simplement par deux barres obliques //. Lorsque des vers sont cités et que pour des raisons d’espace ils sont mis les uns à la suite des autres, ils sont séparés par une seule barre oblique /.

(10)

x

REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à exprimer mes plus sincères remerciements à mes codirecteurs de part et d’autre de l’Atlantique pour leurs conseils généreux et leurs encouragements soutenus. Michel De Waele, présent depuis ma toute première journée dans le monde universitaire, a toujours su me donner confiance, comme chercheuse et comme enseignante. Christian Jouhaud, qui a été d’une écoute plus qu’attentive, m’a patiemment appris à me « battre avec les textes ». Je suis également très reconnaissante à Claire Dolan, Éric Méchoulan, Dinah Ribard et Robert Schneider de m’avoir fait l’honneur d’accepter de participer au jury devant lequel je soutiendrai cette thèse.

Le financement accordé par le FRQSC et la bourse Frontenac pour les thèses en cotutelle ont permis la réalisation de cette recherche. Je veux également remercier les membres du CIERL et du GRIHL avec qui j’ai pu échanger dans les dernières années et qui m’ont prodigué conseils et encouragements. Je remercie également Éric Méchoulan d’avoir supervisé mon stage doctoral au CRIalt à l’UdeM en 2013. Le LLA/CREATIS de l’UT2J a également eu la générosité de m’accueillir en 2014-2015. Je tiens aussi à remercier Hélène Cavalié, ancienne conservatrice aux Archives départementales des Alpes-Maritimes, qui m’a généreusement donné de nombreux conseils. Ma gratitude va également à celles et à ceux qui ont pris le temps de me relire : Myriam Boivin-Villeneuve, Marie-Hélène Constant, Romain Le Jeune, Sébastien Poublanc, Jules Racine-St-Jacques, Annelise Rodrigo et Susan St-Onge.

La réalisation de cette thèse n’aurait pu être possible sans le soutien et la présence de collègues et ami-es : Lucie Aussel, Jérôme Boivin, Marilyne Brisebois, Jean-François Conroy, Étienne Faugier, Émilie Guilbeault-Cayer, Valérie Lapointe-Gagnon, Fanny Lautissier, Marc-Antoine Lévesque, Azzurra Mauro, Krystal McLaughlin, Patrick Noël, Marie-Ève Ouellet, Simone Paterman, Andrée-Anne Plourde, Claudia Polledri, Stéphane Savard, Van Troi Tran, et tous les autres que j’oublie malencontreusement. Je remercie tout spécialement Natacha Boire et Rémi Brun, qui m’ont logée, nourrie et écoutée lors de mes séjours annuels à Nice.

Sur une note plus personnelle, je remercie chaleureusement ma famille et mes proches, dont la présence a été une source d’encouragements dans les dernières années. En particulier mes parents, Geneviève et Pierre, qui m’ont offert un soutien sans fin et sans faille durant toute la durée de cette thèse. Pour terminer, je ne peux trouver les mots pour te remercier, Rémy. Merci d’avoir accepté la présence de Godeau pendant toutes ces années, merci d’avoir traqué les insécables et surtout, merci d’être à mes côtés tous les jours : Gratias vobiscum omni meo corde.

(11)

1

INTRODUCTION

Trop souvent, les historiens – et ils ne sont pas les seuls – sont trop pressés d’arriver au but. Par discrétion, par modestie, pour ne pas lasser leurs lecteurs, pour mieux affirmer leur confiance dans le résultat auquel ils sont parvenus, ils gomment la part de tâtonnements, des voies qu’il a fallu reconnaître avant de découvrir qu’elles étaient sans issue. C’est bien dommage […]1.

L’étude qui s’ouvre ici porte sur un individu, pourtant, il ne s’agit pas d’une biographie ; elle porte sur un auteur, pourtant, il ne s’agit pas non plus d’une monographie sur son œuvre.

Cette thèse est née de questionnements sur l’activité littéraire et sur l’action politique dans la France du XVIIe siècle. Elle repose sur le constat que les lettres se

sont édifiées « adossées au politique, arc-boutées contre le politique, mais aussi [que] le politique se définit grâce à cette nouvelle dimension des discours2 ». En effet, au

moment où le pouvoir politique se constitue spatialement et s’autonomise, il doit également se légitimer ; cela signifie donner à la force qui le rend légitime une autorité qui le rend croyable3. Le Prince doit mettre les armes de côté pour construire

un discours du Prince, qui légitime sa force sans qu’il ait à s’en servir. Il y a donc un Prince de fait et un Prince construit par les discours. Ces discours émanent des hommes de lettres, qui servent le pouvoir en même temps qu’ils le rendent légitime4.

Dès lors, il existe une relation privilégiée entre les lettres et l’exercice du pouvoir politique. Toutefois, les hommes de plume obtiennent peu de reconnaissance de ce

1 Antoine de Baecque et Christian Delage, « Entretien avec Jacques Revel. Un exercice de

désorientement : Blow up », Antoine de Baecque et Christian Delage (dir.), De l’histoire au cinéma, Paris, éditions Complexes, 1998, p. 106.

2 Éric Méchoulan, Le livre avalé. De la littérature entre mémoire et culture, Montréal, Presses de

l’Université de Montréal, 2004, p. 140.

3 Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 2002 (1975), p. 20.

4 Ibid., p.23. L’exercice du pouvoir passe par la production de signes qui le rend croyable : le récit est

un moyen efficace pour édifier les espaces du croyable. Laurier Turgeon, « Présentation », Laurier Turgeon (dir.), Les productions symboliques du pouvoir, XVIe-XXe siècle, Québec, Septentrion, 1990,

p. 18-19. Cette relation entre les hommes de pouvoir et les hommes de plume a été étudiée par Christian Jouhaud, qui en a analysé le paradoxe. Les hommes de lettres servent les puissants tout en leur donnant leur légitimité ; ils sont à la fois dépendants d’eux tout en étant des acteurs essentiels de leur force et de leur autorité. Christian Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature, Paris, Gallimard, 2000.

(12)

2

pouvoir : ils ne possèdent pas la légitimité pour être des acteurs politiques à part entière5. Les activités d’écriture ne conférant pas de statut au XVIIe siècle6, pourquoi

certains individus choisissent-ils de se caractériser par celles-ci ? Comment les habiletés à écrire sont-elles devenues des compétences reconnues, ayant la capacité de participer à l’exercice du pouvoir ?

Cette enquête a été guidée par l’intuition que certains phénomènes historiques ne se laissent comprendre qu’en les analysant à travers le singulier. Les hommes de lettres ne pouvant se réduire à leur condition d’individus écrivant et être analysés en tant que groupe possédant les mêmes caractéristiques, ils demandent à être traités comme des objets singuliers, des acteurs sociaux aux trajectoires distinctes. Ils ont choisi d’écrire à un moment donné, dans un lieu donné, pour un public donné. Les recherches menées dans le cadre de cette thèse ont donc visé à étudier l’engagement dans les affaires publiques par l’écriture dans la France du XVIIe siècle à partir d’un

acteur, Antoine Godeau (1605-1672).

Ce dernier a une production littéraire massive : plus d’une centaine d’œuvres ont été publiées de son vivant7. Pourquoi écrit-il autant ? Quelles actions effectue-t-il

avec ses écrits ? L’action d’écriture est ici entendue comme « des actions produites par l’écriture, des écritures qui sont elles-mêmes des actions, ou des usages de l’écriture pour agir8 ». Godeau est typique des hommes du XVIIe siècle qui désirent

faire carrière grâce à leurs compétences lettrées. Ce qui le rend atypique, c’est le déplacement géographique de son champ d’action : il entreprend son parcours à Paris, à la fois lieu des lettres et lieu du pouvoir, avant de s’installer aux marges du royaume, en Provence. Ce déplacement suit le mouvement inverse de la mobilité

5 « Les professionnels des lettres, en tenant la plume des grands, en menant des actions de publication

diverses, et aussi par leur rôle d’intermédiaire entre les puissants, jouaient bien un rôle essentiel à la vie politique au XVIIe siècle, mais ce rôle n’était que rarement reconnu en tant que tel, car seuls les grands

étaient tenus pour des acteurs politiques légitimes. » Nicolas Schapira, Un professionnel des lettres au

XVIIe siècle : Valentin Conrart, une histoire sociale, Seyssel, Champ Vallon, 2003, p. 465. Christian

Jouhaud effectue un parallèle entre une forme de pouvoir politique comme un conseiller du roi et le statut des hommes de lettres, qui n’ont chacun aucun statut institutionnel et juridique. Christian Jouhaud, « Les libelles en France au XVIIe siècle : action et publication », [En ligne], Cahiers d’histoire.

Revue d’histoire critique, nos 90-91 (2003). https://chrhc.revues.org/1443, consulté le 8 mars 2012. 6 Christian Jouhaud, « Sur le statut d’homme de lettres au XVIIe siècle : la correspondance de Jean

Chapelain (1595-1674) », Annales. HSS, no 2 (mars-avril 1994), p. 346.

7 Voir la liste complète de ses œuvres Annexe 1 et un tableau récapitulatif de sa production imprimée

de son vivant Annexe 2.

8 Mathilde Bombart et Alain Cantillon, « Localités : localisation des écrits et production locale

d’actions – Introduction », [En ligne], Les Dossiers du Grihl, no 1 (2008).

(13)

3

habituelle des hommes de lettres, qui passent de la périphérie au centre9. Cela permet

d’observer l’adaptation et les changements de l’action politique en fonction de la mobilité géographique.

Reconstituer la trajectoire

Le choix de centrer l’analyse autour d’un individu a conduit à la reconstitution de sa trajectoire10. Cette notion est d’abord issue des sciences naturelles : courbe

décrite par le centre de gravité d’un mobile (physique mécanique) ; courbe du projectile éjecté d’une arme (balistique) ; orbite décrite par un corps céleste autour d’un axe ou la course entre le point d’origine de ce corps céleste et son point d’arrivée (astronomie)11. La trajectoire trouve une acception tout aussi opératoire en sciences

humaines et sociales. Elle est comprise comme la série plus ou moins ordonnée des positions successives occupées par un acteur12. Ces positions relèvent de l’inscription

dans un réseau, de l’évolution professionnelle, des positions politiques, de la situation géographique et de choix privés. En accomplissant cette opération, il importe de ne pas s’abandonner à la téléologie, en donnant par rétrodiction un sens aux choix et aux actions de l’acteur étudié en fonction de ce qu’il deviendra. Cela signifie qu’il faut prendre garde à ne pas présenter le passé comme si l’avenir s’y trouvait déjà en puissance, attendant de passer à l’acte13. C’est ainsi que les recherches visant à établir

la trajectoire de Godeau ont été menées.

Origines familiales et jeunesse

Antoine Godeau est né à Dreux le 24 septembre 1605. Fils d’Antoine Godeau et de Jeanne Targer, il est baptisé le jeudi 29 septembre de la même année et a pour

9 Voir à ce sujet l’article de Déborah Blocker, « Une “muse de province” négocie sa centralité :

Corneille et ses lieux », [En ligne], Les Dossiers du Grihl, no 1 (2008).

http://dossiersgrihl.revues.org/2133, consulté le 13 octobre 2013.

10 Cette notion, je l’ai particulièrement approfondie dans le cadre de la codirection d’un numéro de la

revue franco-québécoise de jeunes chercheurs Conserveries mémorielles consacré précisément à ce sujet : Anne-Sophie Fournier-Plamondon et Jules Racine-St-Jacques (dir.), Conserveries mémorielles, [En ligne], no 15 (2014). http://cm.revues.org/1731.

11 « Trajectoire », [En ligne], Centre national de ressources textuelles et lexicales.

http://www.cnrtl.fr/definition/trajectoire, consulté le 20 mars 2016.

12 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1996, p. 78.

13 Yves Clot, « L’autre illusion biographique », [En ligne], Enquête. Cahiers du CERCOM, no 5,

(1989), http://enquete.revues.org/document99.html, consulté le 22 mars 2013 ; Pascal Durand, « Illusion biographique et biographie construite », [En ligne], Contextes, no 3 (juin 2008).

(14)

4

parrains et marraine : « Pierre Moinet licentier es loys qui a donné et imposé le nom et honneste personne Jehan Mussart la marraine Denise Targé […]14. » Antoine est le

seul de sa fratrie à avoir vécu au-delà de la petite enfance, son frère Nicolas, baptisé le 2 mai 1604, ayant été inhumé le 4 février 1605, et sa sœur Françoise, née le 10 janvier 1607, ayant été inhumée le 13 avril 1613. Antoine Godeau père s’est marié le 5 décembre 1601 avec la fille d’un échevin parisien, Jeanne Targer15 ; il occupe la

charge de lieutenant des Eaux et des Forêts de Dreux et il a également le titre d’avocat au Parlement de Paris16. En somme, il est issu d’une famille bourgeoise proche du

milieu parlementaire.

Godeau a grandi à Dreux et il a dû fréquenter le collège de cette ville. Par la suite, Joseph Bergin indique qu’il a étudié les humanités et la philosophie au collège de Navarre, avant de poursuivre des études de droit à Paris et à Orléans17. Il est

licencié in utroque jure en 1625 et il entre au barreau en janvier 162618. Ainsi, bien

qu’il n’y ait pas de traces de plaidoiries de Godeau, il a bien été avocat au Parlement et non simplement avocat en parlement19. Ce statut ne correspond cependant pas

nécessairement à une ascension sociale, cette profession étant plutôt dévalorisée dans les milieux urbains au début du XVIIe siècle20.

Le moment où Godeau devient avocat coïncide avec ses débuts dans les lettres. Valentin Conrart s’est chargé d’introduire son cousin maternel dans les réseaux lettrés parisiens au milieu des années 162521. À la même période, Godeau se

14 AD Eure-et-Loir, Registre des obits inhumations et mariages, Ville de Dreux, Paroisse Saint-Pierre, 1

GG 9, Baptême d’Antoine Godeau (29 septembre 1605), fo 154r. Le second parrain, Jean Mussart, est

l’oncle de Godeau car il a épousé la sœur d’Antoine Godeau père. La marraine est sa tante du côté maternel.

15 AN, MC/ET/I/36, Contrat de mariage entre Antoine Godeau père et Jehanne Targer le 5 décembre

1601. Communication bloquée en raison de l’état des documents.

16 AN, MC/ET/VIII/423, Transaction entre Antoine Godeau (père) et Jacques Brochant (5 décembre

1601), fo 4-14. Dans ce document, également en date du 5 décembre 1601, les titres d’Antoine Godeau

père (avocat au Parlement de Paris et Lieutenant des Eaux et des Forêts de Dreux) sont mentionnés.

17 Joseph Bergin, The Making of the French Episcopate, 1589-1661, New Haven, Yale University

Press, 1996, p.632.

18 Idem.

19 Pour obtenir le titre d’avocat, il faut avoir une licence de droit : il s’agit d’avocats en parlement ; ils

ne plaident pas. S’ils font partie du barreau, ils sont avocats au parlement (ou en la Cour de parlement). Loïc Damiani, « Les avocats parisiens et la Fronde », [En ligne], Hugues Daussy et Frédériques Pitou (éd.), Hommes de loi et politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007. http://books.openedition.org/pur/20236, consulté le 21 octobre 2015.

20 Nicolas Schapira, op. cit., p. 60.

21 Georges Doublet, Godeau, évêque de Grasse et de Vence (1605-1672), vol. 1, Paris, Librairie

(15)

5

lie avec Madame des Loges, Madame de Clermont et ses filles, la marquise de Rambouillet et Julie d’Angennes, Angélique Paulet, ainsi qu’avec Claude de Malleville, Nicolas Faret et, surtout, Jean Chapelain et Jean-Louis Guez de Balzac. Durant cette période, où il évolue entre Dreux et Paris, Godeau écrit principalement des lettres galantes et il publie son premier texte, un discours sur les œuvres de Malherbe22. Par la suite, il se rapproche du cardinal de Richelieu et il fait partie, avec

ses amis Conrart et Chapelain, des premiers membres de l’Académie française, fondée en 163523.

Épiscopat

Dans les années 1630, il y a un changement notable dans la production de Godeau : ses écrits passent de galants à spirituels. En mai 1635, il devient sous-diacre ; en mai 1636, il est ordonné prêtre ; le 21 juin 1636, il est nommé évêque de Grasse24. Il est sacré le dimanche 14 décembre de la même année dans l’église des

oratoriens à Paris, par l’évêque de Chartres Léonor d’Étampes de Valençay, assisté de l’évêque de Saint-Papoul Bernard Despruets et de l’évêque de Dardanie in partibus Étienne Puget25. Le jeune évêque continue alors de fréquenter les pères de l’Oratoire,

notamment Charles de Condren, et d’assister aux Conférences de Saint-Lazare organisées par Vincent de Paul26. Le jeune prélat quitte par la suite Paris pour se

portrait d’Antoine Godeau », Yves Giraud (dir.), Antoine Godeau (1605-1672) : De la galanterie à la

sainteté, Paris, Klincksieck, 1975, p. 15.

22 Antoine Godeau, Discours sur les Œuvres de M. de Malherbe, s.l., s.n., 1629. 23 Yves Giraud, « “Nains de Julie” et homme de Dieu […] », loc. cit., 1975, p. 20. 24 Ibid., p. 21.

25 Georges Doublet, op. cit., vol. 1, p. 52.

26 Cette affiliation avec les oratoriens et les lazaristes est attestée dans la correspondance de Godeau

tout au long de sa vie : en 1637, avant de quitter Paris, il écrit aux ecclésiastiques de Saint-Lazare pour faire ses adieux (Lettre d’Antoine Godeau aux ecclésiastiques de Saint-Lazare de 1637 dans Louis Abelly, La vie de S. Vincent de Paul, instituteur et premier supérieur général de la Congrégation de la

mission, t. 1, Paris, Veuve Poussielgue-Rusand, 1854, p. 477-478) ; dans une lettre à Louis de

Thomassin l’oratorien du 19 août 1641, il lui fait part de sa joie de savoir qu’il participe aux réunions de Saint-Lazare (Antoine Godeau, Lettres de M. Godeau, Evesque de Vence, sur divers sujets, Paris, Jacques Estienne et Estienne Ganeau, 1713, p. 202-204) ; dans une lettre adressée à son coadjuteur vers 1671, il lui recommande de se retirer à Saint-Lazare avant de revenir en Provence (ibid., p. 336-337) ; le 9 septembre 1639, dans une lettre à Jean Chapelain, il rappelle que son directeur de conscience était Charles de Condren (BNF, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms. 4113, recueil Conrart t. VIII, p. 465-467) ; dans une lettre à un inconnu du 6 janvier 1662, Godeau montre ses liens avec Charles de Condren et l’importance qu’il accorde à Pierre de Bérulle (Bibliothèque de Port-Royal, PR 363 tms, Lettres de la Mère Angélique de St jean à Mlle de Bagnols, Lettre d’Antoine Godeau à un inconnu (6 janvier 1662), p. 113-115). Cela permet de rectifier une erreur qui s’est glissée dans des travaux récents, où Godeau est présenté comme un jésuite et comme le précepteur d’Anne-Geneviève de Bourbon Condé, alors qu’il n’a été ni l’un ni l’autre (Sophie Vergnes, « De la guerre civile comme vecteur d’émancipation

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rendre dans son diocèse à l’été 1637. Auparavant, il effectue un dernier séjour à Dreux, où il a, le 26 avril 1637, dédié une église en l’honneur de St-Jean l’Évangéliste27.

À la mort de l’évêque de Vence Pierre du Vair, en 1638, le pouvoir royal offre à Godeau l’évêché vacant en lui proposant de le réunir à celui de Grasse, puisque les deux diocèses sont voisins, de petites tailles et de faibles revenus28. Le 20 décembre

1639, Louis XIII signe le brevet d’union de Grasse et de Vence29 ; le 7 décembre

1644, le prélat reçoit le consentement d’Innocent X30. En effet, le pape Urbain VIII

avait refusé de délivrer les bulles d’union, malgré le brevet du roi et le mémoire envoyé par Godeau en janvier 164031. Les Vençois résistent à l’union avec le diocèse

de Grasse, ce qui conduit à un long procès. En 1653, le pouvoir royal demande à Godeau de renoncer à un des deux évêchés. Le prélat choisit de garder celui de Vence et le 25 novembre 1653, Louis de Bernage obtient ses bulles pour lui succéder à Grasse.

Fin de vie

Durant les premières années de son épiscopat, Godeau effectue de fréquents, et parfois longs, séjours à Paris : d’octobre 1639 à novembre 1640 ; de novembre 1643 à avril 1644 ; du printemps 1645 à l’été 1647 ; de l’été 1651 à l’automne 1653 ; d’octobre 1655 au printemps 1657. Dans deux cas, le prélat est député à l’assemblée générale du clergé – celles de 1645-1646 et de 1655-1657. À son retour de l’assemblée de 1657, il demeure exclusivement dans le sud de la France. En plus de ses activités pastorales, il administre le diocèse d’Aix en l’absence de son archevêque,

féminine : l’exemple des aristocrates frondeuses (France, 1648-1653) », [En ligne], Genre & Histoire,

n0 6 (printemps 2010). http://genrehistoire.revues.org/932, consulté le 28 mars 2014 et « Les

Frondeuses. L’activité politique des femmes de l’aristocratie et ses représentations de 1643 à 1661 », Thèse de doctorat, Toulouse, Université Toulouse Jean-Jaurès, 2012, p. 228 ; p. 232 et p. 825).

27 Une pierre commémorative se trouve dans l’église Saint-Pierre de Dreux. Il y est inscrit : « Lan de

grace mil six cens trente sept le dimanche vingt six jour davril Leglize de ceans fut dediee en lhonneur de Dieu et de saint Jehan Levangeliste par Monseigneur Lillustrissime prelat Antoine Godeau Evesque de Grasse natif de Dreux ce requerants maistres Mathurin Lusurier Charles Peuquer et Jehan Combot pour lors curés dicelle et honnestes personnes Pierre Bellovin Michel Dehes et Jehan Corvillier gagers dicelle. Eglize de ceans. 1637 ».

28 Leurs revenus totaux sont d’environ 10 000L. Georges Doublet, op. cit., vol. 2, p. 7. 29 Georges Doublet, op. cit., vol. 1, p. 218-219.

30 Ibid., p.64.

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le cardinal Grimaldi, et il participe aux assemblées représentatives de Provence en tant que procureur joint pour le clergé jusqu’en 1666.

Le 21 avril 1672, Antoine Godeau meurt. Les événements entourant son décès témoignent des tensions entre le prélat et les chanoines de sa cathédrale, ces derniers recevant une sommation pour rendre hommage à leur évêque32. En effet, les

chanoines auraient tenté de prendre possession des biens de Godeau et ils auraient refusé d’assister à son ensevelissement33. Son testament révèle la permanence des

liens entretenus avec son réseau lettré à Paris, puisqu’il lègue à Conrart et à Chapelain certains écrits à corriger avant de les publier34. De son vivant, 179 écrits de Godeau

ont été mis sous presse, en tenant compte des rééditions, des réimpressions et des traductions. Après sa mort, son œuvre connaît une certaine fortune, puisque 92 de ses textes sont imprimés, seuls ou en recueils, en français ou en d’autres langues, jusqu’en 1866.

La question du lieu

La reconstitution de la trajectoire d’Antoine Godeau a occupé la première partie de cette recherche. Il s’agissait alors de retracer la multitude d’événements qui ont marqué sa vie et d’en produire un premier ordonnancement. Ce travail a correspondu à l’acquisition de compétences, notamment en paléographie, et de connaissances précises sur le parcours de cet auteur et évêque. Cette longue fréquentation de l’individu Godeau en archives a maintes fois failli conduire à limiter cette thèse à une approche strictement biographique. Menant cette recherche documentaire, j’ai ainsi à plusieurs reprises manqué perdre de vue ma propre problématique. Cette emprise du biographique était d’ailleurs elle-même renforcée par la consultation d’une historiographie portant sur ce type de questions. En effet, les

32 AD Alpes-Maritimes, Évêché de Vence, G 1384, Sommation aux chanoines de la cathédrale de

Vence pour rendre honneur au corps d’Antoine Godeau, 5 fo.

33 Dans un article sur la mort de Godeau, Georges Doublet indique que les chanoines justifient leur

conduite en accusant les domestiques du prélat. Ces derniers n’auraient pas revêtu l’évêque de Vence de ses habits et ornements pontificaux (ils lui auraient mis des ornements indécents), ce qui aurait poussé les chanoines à refuser de participer à l’enterrement. Georges Doublet, « La mort du premier académicien », La Nouvelle Revue, t. 117, no 3 (1899), p. 483-494.

34 AD Alpes-Maritimes, Évêché de Vence, G 1375, Testament d’Antoine Godeau, non paginé. Voir

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derniers travaux sur Godeau produits par l’abbé Alexandre Cognet35, Georges

Doublet36 et Yves Giraud37, ont emprunté cette voie. Tandis que les deux premiers ont

voulu rétablir la figure épiscopale de Godeau38, le troisième s’est plutôt intéressé au

poète et au mondain39. Surtout, ces auteurs effectuent des distinctions très fortes entre

sa production écrite et ses autres actions – épiscopales et politiques. Les passages sur ces dernières sont séparés de la présentation de ses œuvres, qui sont principalement commentées en regard de leur style40.

C’est également sous cet angle qu’Henri Bremond a étudié Godeau, dans son

Histoire littéraire du sentiment religieux en France41. Cette dernière contient

plusieurs traces de l’auteur, dispersées dans la moitié des douze volumes. Godeau et ses écrits sont mobilisés par l’abbé Bremond afin de discuter de leur qualité, de leur style et de leur efficacité, tant à leur époque de production qu’au moment où il prend la plume, au début du XXe siècle, sans toutefois les inscrire dans la trajectoire de leur

auteur et dans ses actions politiques42. C’est dans le dixième tome que l’abbé

35 Alexandre Cognet, Antoine Godeau, évêque de Grasse et de Vence, un des premiers membres de

l’Académie française. 1605-1672, Paris, Alphonse Picard, 1900.

36 Georges Doublet, op. cit., 1911.

37 Yves Giraud, « “Nains de Julie” et homme de Dieu […] », loc. cit., 1975, p. 11-46.

38 « On parle encore du poète qui a bien quelque mérite, on s’occupe moins du prosateur qui vaut mieux

que le poète et l’on néglige presque complètement l’évêque qui fut pourtant une des figures les plus intéressantes de son temps. », Alexandre Cognet, op. cit., p. v. « […] je passe, sans autre préambule, à la peinture de ce que fut, dans le diocèse de Grasse – plus tard Vence aura son tour – l’épiscopat d’un des premiers membres de l’Académie française, peut-être du plus petit et du plus laid, mais non du moins brillant. », Georges Doublet, op. cit., vol. 1, 1911, p. vi.

39 « Et je chercherai, pour ma part, à esquisser le portrait de ce personnage aussi curieux qu’attachant,

qui se présente à nos yeux sous les traits d’un autre Janus bifrons : nain de Julie et homme de Dieu. [...] j’ai simplement cherché à recomposer, à travers cette gerbe de documents, une physionomie, un caractère, une pensée, une action. », Yves Giraud, « “Nains de Julie” et homme de Dieu […] », loc. cit., 1975, p. 12.

40 Cela est très présent chez l’abbé Cognet et chez Giraud. Par exemple, Giraud qualifie le style de

Godeau de prolixe et il est « encombré d’épithètes inutiles ou conventionnelles, de métaphores et d’images clichées ; ses rimes s’enchaînent sans recherche et sans éclat. » et il ajoute que « Godeau est allé lentement vers une écriture de plus en plus naturelle, quasi spontanée et directe, sans toujours il est vrai rencontrer l’expression frappante, relevée ou heureuse. », ibid., p. 42. Du côté de Cognet, la table des matières révèle la distinction effectuée entre les œuvres de Godeau et ses autres actions. Ainsi, le chapitre V contient quatre parties distinctes : la première est consacrée aux affaires diocésaines (la vicairie apostolique d’Antibes, le conflit avec le nonce de Turin) ; la deuxième porte sur les troubles de Provence autour du Semestre (1648-1650) ; la troisième traite de la mort d’Angélique Paulet ; la quatrième concerne la Paraphrase des Psaumes de 1648 et aborde son succès, ainsi que le manque d’énergie et d’imagination de son auteur. Alexandre Cognet, op. cit., p. 527.

41 Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de

religion jusqu’à nos jours, Paris, Bloud et Gay, 1916-1936.

42 Dans le premier tome, Godeau est cité parmi d’autres auteurs contemporains qui ont composé des

paraphrases de psaumes : « Comme Desportes, Bertaut, Godeau, comme tout le monde, le P. Martial aime à mettre en vers les poèmes bibliques. », Henri Bremond, op. cit., t. I : L’humanisme dévot

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Bremond prend le plus le temps de qualifier Godeau, lorsqu’il traite de son recueil de prières pour toutes sortes de personnes43 :

Sur la foi d’une jolie épigramme, qui ne veut pas dire grand-chose, Godeau, converti fort jeune et à fond, Godeau évêque pendant de si longues années et l’un des plus vénérables de son temps, reste, pour l’histoire littéraire, le Nain de Julie. On a d’autant moins de scrupules à ne pas le prendre au sérieux que, pour le juger équitablement, il faudrait avoir lu les mille et mille pages, certes peu folâtres, que son zèle lui a dictées. Pour moi, je ne fais de lui ni un Bossuet ni un Fénelon, mais je m’explique aisément que ses contemporains l’aient placé très haut44.

L’auteur établit ici une frontière nette entre les écrits galants et spirituels du prélat, ceux-là n’étant pas sérieux et ceux-ci étant zélés. Plus particulièrement, il exprime l’idée que l’étude du Godeau auteur, folâtre, doit être séparée du Godeau évêque, vénérable.

Cependant une telle mise en récit, centrée sur le biographique, n’aurait pas vraiment répondu aux questions à l’origine de cette étude, qui portent avant tout sur l’articulation entre les activités de plume et l’exercice du pouvoir politique. Ce retour à une histoire-problème a pu se faire à partir du moment où j’ai eu une connaissance suffisante des sources et que j’ai ressenti la nécessité de revenir à des questions avant tout historiographiques. Reconstituer la vie de Godeau avait permis d’identifier des points de rupture et les moments marquants dans sa biographie. Il s’agissait dès lors de les inscrire dans une trajectoire. Ce premier geste de chercheur avait mis en évidence la prégnance de la notion d’espace, au sens géographique. Comprendre l’action de Godeau nécessitait de prendre en compte ses déplacements. La carte de ses mouvements de Dreux à Paris, de Paris à Grasse et à Vence, de ses cités épiscopales

le proposant comme exemple de l’école française de spiritualité ; Godeau serait donc un cas par lequel ce courant littéraire de la réforme catholique pourrait être étudié. Henri Bremond, op. cit., t. III : La

conquête mystique 1. L’école française, p. 427. Dans le septième tome, Bremond commente une lettre

de consolation du prélat, qui possèderait une belle éloquence, qui serait humaine, chrétienne et cicéronienne « mais curieusement périssable ». Henri Bremond, op. cit., t. VII : La métaphysique des

saints, p. 427. Ce « curieusement périssable » est intriguant. Il prend son sens dans l’enquête de

Bremond, qui consiste à identifier « les composantes qui manifesteraient ou permettraient la survie de la foi, et il les a notamment cherchées dans l’expérience littéraire […] », Dinah Ribard, « L’anachronique ou l’éternel L’abbé Bremond et l’histoire littéraire », [En ligne], Les Cahiers du

Centre de Recherches Historiques, nos 28-29 (2002). http://ccrh.revues.org/852, consulté le 15 mars

2016. Cela est notamment visible lorsqu’il traite d’une lettre de Godeau à un jeune prêtre sur la première messe, qui est décrite en ces termes : « Document peu connu, inappréciable néanmoins, et si vrai, si actuel que beaucoup des prêtres qui me lisent, y retrouveront leurs propres sentiments. » Henri Bremond, op. cit., t. IX : La vie chrétienne sous l’Ancien Régime, p. 233. En soulignant que les hommes d’Église de son temps seront touchés par cet écrit de Godeau, produit plus de deux siècles auparavant, il met en évidence l’efficacité du discours du prélat et son intemporalité.

43 Antoine Godeau, Instructions et prières chrestiennes pour toutes sortes de personnes, Paris, Veuve

Camusat et Pierre Le Petit, 1646.

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aux paroisses de ses diocèses, de ses diocèses à Aix, de la Provence à Paris, donnait à voir un individu possédant une capacité d’action dans plusieurs lieux. La figure de Godeau, d’abord prépondérante, s’est alors progressivement effacée au profit d’une analyse portant aussi sur la localisation.

Cette notion a été de 2009 à 2014 au cœur des séminaires du Groupe de recherches interdisciplinaires sur l’histoire du littéraire (GRIHL). La localisation est entendue comme l’opération qui situe quelque chose dans le temps et dans l’espace. Appliquée aux textes, elle s’avère complexe dans la mesure où ceux-ci ont la capacité de circuler et d’être diffusés sous diverses formes – imprimées, manuscrites, orales – ce qui signifie qu’ils peuvent agir à distance de leur lieu de production45. La

localisation de l’écriture consiste à étudier à la fois les producteurs des écrits, et aussi ceux qui en font usage ; il s’agit dès lors de construire des cadres d’observation qui font varier les échelles d’analyse afin de mettre au jour les différentes actions effectuées avec et par l’écriture46. Le geste de situer dans le temps et dans l’espace des

textes dépasse largement le fait de leur assigner une date et un lieu. En effet, il importe surtout d’établir des liens entre ces écrits, les actions qui leur sont liées et les lieux où ils agissent47. Dans le cadre de mes recherches, la localisation a porté tant sur

les écrits produits que sur celui qui les a produits, Godeau. Ce dernier a évolué dans différents lieux, il a écrit dans et sur ces lieux, grâce à ceux qui les habitent et pour ces derniers.

En rejetant aux marges de la thèse l’approche biographique, j’ai choisi de ne pas traiter tous les événements, toutes les actions, qui ont traversé la vie de Godeau. Certains de ces choix ont été faits à contrecœur, d’autres avec plus de détermination. Trois d’entre eux constituent des voies dans lesquelles je me suis engagée, avant de renoncer à les analyser dans le cadre de ce travail : la sociabilité mondaine, l’union des diocèses de Grasse et de Vence, et la Compagnie du Saint-Sacrement. En ce qui a trait à la sociabilité mondaine, elle est présente en filigrane dans toute l’étude, en tant que milieu lettré, cercle de pouvoir et instrument de publication. Lui consacrer un chapitre entier aurait certes éclairé la place qu’y a occupée Godeau. Cependant, cela

45 Mathilde Bombart et Alain Cantillon, loc. cit., [En ligne].

46 « Ce mouvement suppose souvent de se situer à une échelle locale, qui permet le mieux de construire

un cadre d’observation précis des usages ou des appropriations de l’écrit pour agir socialement ; mais il suppose aussi de varier les échelles d’analyse pour mettre en évidence l’éventuelle existence d’un feuilletage, de plusieurs strates d’actions dans plusieurs sphères qui s’emboîteraient. », idem.

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n’aurait pas permis de saisir différemment ce milieu et cette sociabilité. Il a donc été décidé de s’en tenir à l’historiographie abondante qui a été produite sur ce sujet. Pour ce qui est de l’union des diocèses de Godeau, une étude a été entamée, puis écartée : les pratiques d’écriture et l’exercice du pouvoir du prélat qui se révélaient ne différaient que peu de ce qui avait été examiné ailleurs. Après réflexion, la décision de retirer une analyse en bonne et due forme de cette action a été prise afin d’éviter des redondances. Enfin, le choix de ne pas creuser les liens entre Godeau et la Compagnie du Saint-Sacrement a été plus difficile, puisqu’il a été effectué en raison d’une documentation lacunaire. En effet, les seuls éléments collectés étaient des écrits imprimés de Godeau et des traces de lui dans des sources éditées. Je n’ai pas, à ce jour, trouvé des documents de première main permettant de reconstituer sa participation et son engagement dans cette compagnie. Si ces trois voies n’ont pas été empruntées jusqu’au bout, il n’en demeure pas moins que le dessein de m’y engager plus avant reste vif.

Un exercice de définition

Dans cette thèse, il s’agit donc de localiser un individu dans ses pratiques d’écriture et dans son exercice du pouvoir. L’individu en question étant un auteur, ce sont les activités littéraires, les belles-lettres, qui ont d’abord retenu mon attention. Des interrogations ont rapidement surgi dans l’enquête : comment envisager le littéraire en tant qu’historienne ? Qu’est-ce qui distingue les écrits littéraires des autres écrits ?

Des écrits littéraires aux écrits

La première question n’est pas neuve, Michel de Certeau ayant déjà traité des liens qui unissent la littérature et l’histoire. Il a notamment souligné que si l’histoire n’est que la narration du passé, elle est une fiction, et si elle n’est qu’une élucidation de ses règles de travail, elle est une réflexion épistémologique ; l’histoire doit être la réunion des deux48. Plus récemment, Méchoulan a affirmé l’importance de la

littérature dans la compréhension du passé, en mettant en évidence la séparation

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inopérante entre les œuvres littéraires et les documents étudiés par les historiens, celles-là étant aussi crédibles que ceux-ci pour appréhender le passé49. Dans un

ouvrage méthodologique, Judith Lyon-Caen et Dinah Ribard ont, quant à elles, abordé la manière dont les historiens peuvent travailler le littéraire, en partant du postulat que la littérature n’est pas seulement une source, elle est aussi un objet pour les chercheurs en histoire50. Elles montrent, d’une part, comment les textes littéraires permettent

d’étudier le recours à la narration et à la fiction et, d’autre part, comment ils sont des voies pour saisir l’affirmation de l’activité littéraire comme une activité spécifique et, par le fait même, pour saisir l’identité sociale des auteurs51. Elles abordent également

la question de la porosité des frontières entre les discours littéraires et ceux qui ne le sont pas. Ce faisant, elles soulignent la difficulté d’identifier ce qui relève de la littérature à l’époque moderne et d’en fixer les limites52.

Ce flou entourant la distinction entre les écrits littéraires et les autres a mené à privilégier dans cette thèse l’emploi de la notion de pratiques d’écriture, plutôt que celle d’activités littéraires. Ce choix a été renforcé par la lecture d’une historiographie sur les écrits documentaires et les écrits pragmatiques, ainsi que sur les pratiques sociales de l’écrit. En étudiant les registres de délibérations de Brignoles, une commune de Provence, Lynn Gaudreault a produit une réflexion sur la séparation conceptuelle trop forte entre écrits littéraires et écrits documentaires. Elle critique en particulier cette distinction qui conduit à aborder les écrits documentaires sous un jour purement technique, sans tenter de découvrir leur signification potentielle et les usages qui en ont été faits53. Cette attention portée à l’écriture documentaire et aux

différentes manières de les analyser est également présente dans un recueil d’articles sur l’autorité de l’écrit au Moyen Âge54. Dans leur article respectif, François Bougard

49 « La facture esthétique des œuvres littéraires a toujours fait problème pour l’historien : il faudrait

pouvoir l’oublier afin que le texte joue pleinement son rôle de document, ou sciemment (pour certains, scientifiquement) abandonner l’œuvre à son insoutenable légèreté. Mais cette séparation est elle-même un effet des temps modernes : la chanson de Roland ne dit pas le passé sur le mode des chroniques royales, elle n’est pas pour autant moins crédible. », Éric Méchoulan, op. cit., p. 27.

50 Judith Lyon-Caen et Dinah Ribard, L’historien et la littérature, Paris, La découverte, 2010. 51 Ibid., p. 9 et p. 14.

52 Ibid., p. 91-92.

53 Lynn Gaudreault, « Écrit pragmatique, écrit symbolique : le premier registre de délibérations

communales de Brignoles (1387-1391) », [En ligne], Memini, no 12 (2008).

http://memini.revues.org/144, consulté le 9 janvier 2015 ; « Le registre de délibérations : outil de représentation de l’identité consulaire et lieu de dialogue entre autorité communale et pouvoir royal (Brignoles, 1387-1391) », Histoire urbaine, vol. 3, no 35 (2012), p. 51-66.

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et Armand Jamme mettent tous les deux en lumière l’importance de la relation entre la construction de l’autorité et sa mise en écriture. Ils insistent notamment sur la place qui doit être accordée aux écrits administratifs et documentaires dans l’étude des pouvoirs politiques55. De son côté, la sociologue Florence Weber a enquêté sur

l’écriture pratique à partir des livres de compte ; elle met en avant l’importance de l’écriture économique, à la croisée de la culture lettrée, de l’histoire économique et de l’histoire sociale56.

En plus de ces travaux sur les écritures pratiques, ceux portant sur les différentes pratiques d’écriture ont nourri ma réflexion. Entre autres, le numéro thématique des Annales consacré aux pratiques d’écriture a rassemblé des études sur la culture écrite du Moyen Âge au XIXe siècle. Ces dernières interrogent la place de

l’écrit dans des sociétés anciennes, en portant attention aux usages sociaux qui en sont faits. La contribution de Christine Métayer éclaire un autre versant de la culture écrite : alors que les historiens travaillent souvent le livre et l’imprimé, elle questionne la pratique manuscrite afin de déterminer les compétences des maîtres écrivains qui possèdent à la fois un savoir-peindre avec art et un savoir-dire par écrit57. La

chercheuse met ainsi en évidence le soin qui doit être apporté à appréhender l’écriture comme une pratique sociale et non simplement comme une activité littéraire. Enfin, les travaux récents portant sur les pratiques d’écriture à partir d’un individu ont montré l’importance qui doit être accordée à tous les types d’écrits, tant ceux produits par un agent que ceux qu’il fait écrire ou qu’il contribue à faire écrire. La thèse de Marie Lezowski, qui envisage l’écriture comme un travail avec ses techniques propres, propose une réflexion sur la production et la conservation des écrits. En se penchant sur le cas de l’archevêché de Milan au temps des Borromée, la chercheuse examine la fabrication de tous les documents issus de cette institution : correspondance, actes notariés, ordonnances, catéchismes, traités théologiques. Alors que les écrits de Charles Borromée ont souvent été lus comme les moyens d’une

55 François Bougard, « Mise en écriture et production documentaire en Occident », L’autorité de l’écrit

au Moyen Âge (Orient-Occident), Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 13-20 ; Armand Jamme,

« Formes et enjeux d’une mémoire de l’autorité : l’État pontifical et sa construction scripturaire aux XIIIe et XIVe siècles », L’autorité de l’écrit au Moyen Âge (Orient-Occident), Paris, Publications de la

Sorbonne, 2009, p. 341-360.

56 Florence Weber, « Le cahier, le gage et le symbole : l’efficacité de l’écriture pratique », Didier

Boisseuil et al. (travaux réunis par), Écritures de l’espace social. Mélanges d’histoire médiévale offerts

à Monique Bourin, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 417-434.

57 Christine Métayer, « Normes graphiques et pratiques de l’écriture. Maîtres écrivains et écrivains

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discipline, en considérant leurs effets, entre obéissance et résistance, Lezowski change d’approche, en analysant le gouvernement de l’écrit pour lui-même, avec ses mécanismes de commande et de production des textes. Elle choisit ainsi d’écarter la distinction floue entre écrits littéraires et écrits administratifs, en les saisissant tous comme des actions à part entière, et non comme des représentations de cette action58.

À la lumière de cette historiographie, la frontière érigée entre les écrits qualifiés de littéraire et les autres est apparue inopérante. Dès lors, il a été décidé d’étudier tous les types d’écriture de Godeau, ce qui a, entre autres, conduit à éviter de produire une monographie sur ses œuvres. Ces écrits ont été considérés à la fois comme traces de l’écrit en tant que moyen d’action et comme traces d’actions. En d’autres termes, il s’agit d’analyser les écrits pour ce qu’ils transmettent sur le passé et pour ce qu’ils donnent à voir du recours à cette pratique pour intervenir dans les affaires publiques.

Faire agir, faire croire

À l’époque moderne, le terme « politique » est lié aux affaires publiques et aux relations entre les individus. Il s’agit des activités relatives à l’exercice des pouvoirs dans un État. En outre, le politique prend place dans la vie publique, non pas dans les affaires privées. Dans le premier dictionnaire de l’Académie française (1694), le terme sert à la fois à désigner un homme qui est « adroit & fin, qui sçait arriver à son but, & s’accommoder au temps59 » et à parler de « L’art de gouverner un Estat, une

Republique60 ». Le dictionnaire de Furetière (1690) ne s’éloigne guère de ces

définitions, en proposant la définition suivante : « l’art de gouverner et de policer les Estats pour y entretenir la seureté, la tranquillité, et l’honnesteté des mœurs61. » Le

politique se trouve dès qu’un groupe humain est réuni pour vivre ensemble dans un même lieu. Il occupe une fonction régulatrice, en jouant le rôle de médiateur entre les

58 Marie Lezowski, « L’atelier Borromée : l’archevêque de Milan et le gouvernement de l’écrit

(1564-1630) », Thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2013, p. 19-46.

59 « Politique », [En ligne], Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition, Paris, veuve

Jean-Baptiste Coignard, 1694. Dictionnaire de l’Académie française, 1re édition, Paris, veuve Jean-Baptiste

Coignard, 1694. http://portail.atilf.fr/cgi-bin/dico1look.pl?strippedhw=politique&dicoid=ACAD1694&headword=&dicoid=ACAD1694, consulté le 22 août 2013.

60 Idem.

61 « Politique », Antoine Furetière, Dictionnaire universel […], t. 3 : P-Z, La Haye et Rotterdam,

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membres de la communauté et la violence62. En effet, le politique débute lorsque la

parole – dite ou écrite – remplace les armes. Il constitue tout ce qui concerne l’obtention, la possession et la gestion du ou des pouvoir(s), ainsi que les efforts pour modifier les rapports de pouvoir63.

L’exercice du pouvoir et la participation aux affaires publiques sont étroitement liés dans cette thèse. Tout au long de l’enquête sur les pratiques d’écriture de Godeau, le pouvoir a été compris comme la capacité à faire agir et à faire croire. Cette définition se base sur les principes de la théorie foucaldienne, qui a mis en lumière comment le pouvoir est associé aux relations entre les individus. Par conséquent, c’est un mode d’action sur les autres64. De surcroît, une attention

particulière a été portée à considérer le pouvoir à la fois comme un mode d’action, et aussi comme une production symbolique. En effet, il n’est pas une « entité autonome logée dans une mémoire ; il n’est pas quelque chose qui existe et qui s’acquiert : produit par des personnes, il est action sur d’autres personnes, moyen d’avoir prise sur elles et de les faire agir à leur tour65. »

Actio

Action sur les autres et action par l’écriture occupent une large place dans cette étude. Elles en impliquent d’autres, notamment la publication et la production. L’emploi régulier de ces notions dans les pages qui suivent nécessite certains éclaircissements. La publication possède un sens courant, qui correspond à un produit imprimé ou à l’action de diffuser un produit imprimé. Dans le cadre de ce travail, ce terme recouvre un ensemble d’opérations plus vaste, qui consiste à rendre publiques, sous la forme imprimée, manuscrite ou orale, des informations. Dès lors, ce n’est pas simplement un produit, c’est un processus dynamique, dans lequel intervient une série

62 Sur la régulation opérée par le politique, voir les derniers travaux de Michel De Waele sur les

processus de réconciliation : Réconcilier les Français : Henri IV et la fin des troubles de religion

(1589-1598), Québec, Presses de l’Université Laval, 2010 ; « Le prince, le duc et le ministre :

conscience sociale et révolte nobiliaire sous Louis XIII », Revue historique, vol. 2, no 670 (2014),

p. 313-341.

63 Simone Bonnafous et Maurice Tournier, « Analyse du discours, lexicométrie, communication et

politique », Langages, 29e année, no 117 (mars 1995), p. 68 ; Olivier Bloch, Matière à histoires, Paris,

Vrin, 1997, p. 180.

64 Michel Foucault, « Le sujet et le pouvoir », Daniel Defert et François Ewald (éd.), Dits et écrits,

t. IV : 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 222-243.

(26)

16

d’agents : auteur, éditeur, imprimeur, transcripteur, transmetteur, commanditaire, récepteurs66. Au fur et à mesure de la recherche, la notion de publication s’est

densifiée, recoupant désormais un large éventail d’actions qui dépassent le cadre strict de la production imprimée. D’un outil pour porter la parole et transmettre des informations, elle est devenue un moyen de faire croire à des identités sociales et à des actions politiques67.

Pour ce qui est de la production, sa première définition correspond au sens commun, soit l’action d’engendrer, de faire exister quelque chose. Dans le cadre de cette thèse, j’ai choisi de ne pas la réduire à cette acception et de l’élargir à l’action de faire paraître, de montrer, parfois avec ostentation68. Cet usage recoupe par endroit

celui de représentation, puisque dans les deux cas, il s’agit de mettre en avant quelque chose ou quelqu’un. Toutefois, l’action de représenter dépasse cette définition, puisqu’il s’agit aussi de remettre en mémoire l’être absent69. C’est ce qui a conduit à

privilégier par endroits l’emploi du terme « production ». En somme, je considère que Godeau produit des écrits – il les crée, les engendre – et, parfois, il se produit lui-même à travers ses écrits. En d’autres termes, à la manière d’un acteur qui joue sur une scène – qui se produit sur une scène – il se donne à voir, il affiche une représentation de lui-même.

Quels espaces pour quels lieux ?

Centre, marge et périphérie se sont imposés comme des éléments essentiels pour localiser les pratiques d’écriture et l’exercice du pouvoir de Godeau. Ils correspondent à des espaces produits à partir de lieux géographiques et symboliques. Tel que l’a souligné de Certeau, un lieu est « une configuration instantanée de positions » et l’espace est « un croisement de mobiles […] En somme, l’espace est un

66 Cette définition de la publication est au cœur de l’ouvrage collectif de Christian Jouhaud et Alain

Viala (dir.), De la publication : Entre Renaissance et Lumières, Paris, Fayard, 2002.

67 Nicolas Schapira, op. cit., p. 13. Éric Méchoulan met également en évidence que « Les lettres disent

aussi une commune nouveauté : la publicité des conduites. Il n’y a pas une brutale émergence d’une sphère publique comme Vénus sortant des flots écumeux, mais les possibilités, dans les discours politiques mêmes […] “d’un basculement de la chose politique du côté de la publicité” […]. » op. cit., p. 141.

68 Cette définition est tirée du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, [En ligne].

http://www.cnrtl.fr/definition/production, consulté le 24 mars 2016.

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