• Aucun résultat trouvé

Les rapports université-industrie : les enjeux de la productivité économique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les rapports université-industrie : les enjeux de la productivité économique"

Copied!
109
0
0

Texte intégral

(1)

BLAS REGNAULT

LES RAPPORTS UNIVERSITÉ - INDUSTRIE: LES ENJEUX DE LA

PRODUCTIVITÉ ÉCONOMIQUE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

pour l’obtention

du grade de maître ès arts (M.A.)

Département d'orientation, d'administration et d'évaluation en éducation Maîtrise en administration et politique scolaires

FACULTÉ DES SCIENCES DE L’EDUCATION UNIVERSITÉ LAVAL

NOVEMBRE 1996

(2)

Résumé

Notre étude porte sur le changement qualitatif qu'a subi la recherche universitaire au cours des dix dernières années: Dans une dynamique de reproduction et d'adaptation que, depuis les années 80 au Québec et au Canada, la recherche universitaire a vu changé sa mission de création de culture par les avantages économiques qu’elle peut générer. En effet, la parution des politiques publiques visant le rapprochement entre l'Université et l'industrie en Recherche et Développement (R&D) a changé sensiblement le rôle de cette activité à l’intérieur de la société: les gouvernements fédéral et provincial ont fait du partenariat université-industrie un des secteurs stratégiques d’intérêt national pour la conquête commerciale des marchés. Il s’agit donc d’une recherche universitaire ayant comme objet l’amélioration de la performance économique et la capacité concurrentielle des industries par le moyen de la collaboration scientifique. Ce partenariat transforme ainsi l’université et sa recherche en enjeux de la productivité économique.

(3)

Table des matières

Table des matières...i

Introduction...iv

Chapitre I: La recherche universitaire: lieu et enjeu de la productivité économique...1

Introduction...2

1.1. L'École, enjeu d'enjeux...4

1.2. «L'Université, lieu et enjeu des forcessociales en présence»...6

1.3. De l'enjeu de représentation socio-politique à l'enjeu instrumental de la productivité économique: où sont les forces?...8

1.4. Éléments dela problématique...11

1.4.1 Trois orientations en tension continuelle...12

1.4.2. Du caractère public ou privé des enjeux universitaires...16

1.4.3. De la condition sociale des enjeux de l'université...18

Conclusion...20

Chapitre II: Le désengagement de l'État et la recherche universitaire.22 Introduction...23

2.1. Le désengagement de l'État et la recherche universitaire... ...25

2.1.1. La dimension politiquedu changement...27

(4)

2.2.1. Un rappel sur la réforme Parent et la recherche universitaire au

Québec...28

2.2.2. La recherche universitaire des années 80...31

2.2.3. Le virage technologique... 33

2.2.4. La politique des subventions de contrepartie...35

2.2.4.1. Quelques positions à propos de la politique des subventions de contrepartie...42

2.3. La logique de la recherche vs. la logique du marché... 44

Conclusion...46

Chapitre III: Le partenariat et l’émergence de l’université entrepreneuriale...48

Introduction...49

3.1 La dynamique idéologique justifiant le partenariat...51

3.1.1. Le partenariat université-industrie dans un contexte néolibéral...52

3.1.2. Les problématiques instrumentales de recherche dans le partenariat...54

3.2. Les aspects socio-institutionnels affectés par le partenariat...56

3.2.1. L'émergencede l'université entrepreneuriale...57

3.2.2. Tensions sociales nées de l’orientation vers l'université entrepreneuriale... 59

1. Tension entre mission et valorisation de la recherche en sciences naturelles...59

2. Tension entre mission d'enseignement et fonction de transfert technologique... 60

3. Tension entre spécialisation de la recherche et polyvalence de l'enseignement...61

3.3. Les représentations organisationnelles du partenariat dans les centres de recherche... 63

3.3.1 Une grille d'analyse pour comprendre le partenariat comme enjeu instrumental de la productivité économique dans les centres de recherche....64

Grille d'analyse... 66

(5)

Chapitre IV: Le Centre de recherche STELA de l'Université Laval... 70

Introduction...71

4.1. Origine et évolutiondu Centre STELA...71

4.2. La dynamique organisationnelleadaptation efficace aux enjeux de l'industrie laitière...74

4.3. La reproduction des enjeux commerciaux transfert, recherche et enseignement... 78

4.3.1. Le transfert technologiqueet lesaxes de recherche... 78

4.3.2. Les mécanismes de liaison et communication...80

4.3.2. Confidentialité des trouvailles scientifiques...81

4.3.2. La participation de l’entreprise partenaire...81

4.3.4. La formation de chercheurs spécialisation vs. polyvalence...82

4.4. Les sources financières du Centre STELA évolution historique...84

Conclusion...86

Conclusions...91

(6)

Introduction

La recherche universitaire n’est ni une activité moderne qui détruit la nature, ni une activité organique qui sert l’évolution de la société; la recherche universitaire est définie dans cette étude comme une activité appartenant à l'ordre de la création de culture, à l'ordre du social. En effet, la recherche universitaire, étant donné sa proximité de la construction des connaissances, a une fonction de production de la société: elle nomme le monde à partir de sa propre condition sociale, laquelle s’impose comme une réalité matérielle environnante. Autrement dit, l'activité scientifique est une mise en forme culturelle du monde matériel (Touraine, 1972), et sa fonction finale cristallise dans le public: elle explique, transforme, ajuste, accélère, elle produit et reproduit, elle s’adapte à la société. Cette activité ne se réalise pas seulement comme une contribution de l’université au développement des forces productives de la société, mais aussi comme un effort social de création de connaissances. En d’autres termes, l'université, occupant une place centrale dans l’élaboration du modèle culturel de la société, définit les champs d'action dans lesquels se développeront les conflits sociaux.

Cependant, la recherche peut devenir aussi un outil social du renforcement du modèle culturel, reproduisant les enjeux et les inégalités déjà existantes dans la société, même si le modèle élaboré est en train de se transformer (ou de périmer). La recherche universitaire peut accomplir aussi une fonction d’adaptation lorsqu'elle devient sensible à l'environnement, transformant ainsi ses activités en fonction des besoins sociaux déterminés.

C’est dans une dynamique de reproduction et d'adaptation que, depuis les années 80 au Québec et au Canada, la recherche universitaire a vu changer sa mission culturelle par les avantages économiques qu’elle peut générer. En effet, la parution des politiques publiques visant le rapprochement entre l'Université et l'industrie en Recherche et Développement (R&D) a changé sensiblement le rôle de cette activité à l’intérieur de la société: les gouvernements fédéral et provincial ont fait du partenariat université-industrie un des secteurs stratégiques d’intérêt national pour la conquête commerciale des marchés. Il s’agit donc d’une recherche universitaire ayant comme fonction l’amélioration de la performance économique et la capacité concurrentielle des industries à travers la collaboration scientifique. Ce partenariat

(7)

transforme ainsi la recherche en un enjeu instrumental de la productivité économique.

Notre étude porte sur ce changement qualitatif qu'a subi la recherche universitaire au cours des dix dernières années: dorénavant l'université se voit forcément inscrite dans un système où développement technologique et réussite économique poursuivent les mêmes buts, où production industrielle et recherche universitaire, invitées par l'État, partagent la même table pour la croissance immédiate de l'économie nationale. Cependant, le lecteur du présent travail ne trouvera pas des classifications exhaustives de la recherche universitaire à partir de son activité fonctionnelle ou à partir de la mesure statistique de ses retombées économiques; au contraire, notre effort théorique permettra de comprendre le déplacement des enjeux de la production industrielle vers l'université, fait qui a transformé sa condition publique de synthèse du social et du culturel, en enjeux instrumentaux éminemment économiques.

Nous avons choisi d’étudier cette nouvelle réalité de l'université et de la société québécoise à partir d'une perspective théorique permettant d'appréhender et de mettre en lumière l'évolution de la recherche universitaire dans des secteui^ayant des liens potentiels directs avec la productivité économique, c'est-à-dire essentiellement les sciences naturelles, les sciences médicales et les sciences de l'administration. Cette perspective est développée par le moyen de quatre chapitres: - Dans le premier chapitre, nous démontrerons que, pour cerner l'objectif de la recherche universitaire, il faut la comprendre comme un enjeu modifiant sa condition sociale en fonction de l'orientation et du caractère public ou privé que lui confèrent les forces sociales en présence. En effet, ayant tenu à différencier notre cadre d'analyse d'une perspective fonctionnaliste et du fonctionnalisme critique des marxistes, nous croyons avoir sélectionné une approche qui reconnaît l'ampleur et la complexité des sociétés modernes, ainsi que les zones d'incertitude, de désorganisation et d'imagination à l'intérieur de l'université comme institution sociale, privilégiant le mouvement comme forme de vie sociale.

- Dans le chapitre II, nous toucherons la problématique du désengagement de l’État comme l’élément déclencheur du changement qualitatif des rapports entre l’université et la société québécoise. Pour ce faire, nous utiliserons la description de deux politiques publiques: celle du «virage technologique» au Québec et celle de

(8)

«la politique des subventions de contrepartie» au Canada; tout cela pour constater des moments importants dans le processus de changement qualitatif des rapports entre l'université, l'État et l'industrie.

- Le partenariat et l’émergence de l’université entrepreneuriale seront traités dans le troisième chapitre par le biais d’une grille d’analyse esquissée pour comprendre l’émergence de ce nouveau type d'université. C’est ainsi que nous considérerons la dynamique idéologique de l'environnement social dans lequel est inscrite la nouvelle université entrepreneuriale, l’impact socio-institutionnel du modèle néolibéral sur la recherche universitaire et les nouvelles représentations organisationnelles dans lesquelles prennent forme ces changements.

- Le quatrième chapitre est l’illustration de tout notre cadre d’analyse par le biais de l’étude d’un cas, celui du Centre STELA (Sciences et technologie du lait) de l’Université Laval, lequel réalise des très puissants et très productifs partenariats avec l’industrie laitière québécoise et canadienne.

Loin d’être une analyse anti-moderne de la réalité sociale actuelle, ce travail prétend dégager une nouvelle identité de l’université à partir de l’analyse du partenariat avec l’industrie; nouvelle identité s’avérant encore inachevée quant à la pluridimensionalité des rapports sociaux.

(9)

ÇhgpitreJl

La recherche universitaire:

(10)

Introduction

À partir des années 80 au Québec, il est question des avantages économiques du partenariat entre l'Université et l'industrie en Recherche et Développement (R&D) (Conseil de la science et de la technologie du Québec, 1986; Conseil des sciences du Canada, 1988). Depuis la parution des politiques publiques visant le rapprochement entre ces deux institutions sociales, ce partenariat est devenu un atout important dans la gestion de l'université à cause de sa condition de source de financement.

En ce qui concerne la recherche universitaire, le mandat est clair: améliorer la performance économique et la capacité concurrentielle des industries québécoises sur les marchés internationaux. Très loin de ce qu'on appelait jadis «la recherche libre et désintéressée de la Vérité», ou de ce qu'on entendait en Amérique du Nord comme la recherche scientifique en tant que productrice de culture et de modèles de connaissances, la recherche universitaire semble être devenue un enjeu instrumental de la productivité économique.

Traditionnellement activité universitaire appuyée par l'État, la recherche universitaire envisageait des objectifs autres que l'utilité économique immédiate de ses résultats. De toute évidence, l'activité scientifique prenait place dans la construction sociale du modèle de développement, du modèle culturel de la société. La participation de l'État était justifiée comme voie d'accès au caractère publique de la recherche, car toute la collectivité, en principe, pouvait bénéficier des résultats qu'elle produisait. Mais aujourd'hui, l'histoire nous propose une toute autre représentation sociale de la recherche scientifique menée à l'université.

En effet, au Québec, l'engagement du secteur privé dans la recherche universitaire correspond davantage au souci immédiat de nouvelles formules de productivité économique qu'à la philanthropie ou à la croyance du dit secteur face à la science comme créatrice de nouvelles connaissances. Il s'agit alors d'un simple déplacement des enjeux de la recherche industrielle vers l'université. Par ailleurs,

(11)

l'État fédéral et l'État provincial1 participent à cette conception de la recherche universitaire encourageant ces activités par le biais d'incitatifs fiscaux et de politiques de financement de contrepartie de l'association université-industrie.

1 Sur ce sujet nous avons aussi consulté : MAXWEL, Judith et Stéphanie Currie (1984), “Ensemble vers l'avenir: la collaboration entreprise • université auCanada; et Ministère d'État au développement économique (1980), Bâtir le Québec.

2 Ministredesfinances et ministre d'état chargé des sciences etde la technologie (1986). Renforcer

l'association dusecteur privé etdes universités pour la recherche, Ottawa, page 6.

3Nous nous sommes inspirés de la théorie de Alain Touraine développée dans «Production de la société» (1973-1993) et dans «Universitéet société aux États-Unis» (1972), et de lavision dynamique

d'enjeu social développée par Antoine Baby dans ses articles «l'École, lieu et enjeu» (1990) et «L'Université comme lieu et enjeu des forces sociales en présence: quelques postulats pour une réforme de l'enseignement supérieur» (1989).

Favoriser les activités de recherche conjointes qui mettent en valeur les compétences et les intérêts du secteur privé et des universités au profit économique et social des Canadiens. 2

Cette option sociale de risque économique qu'a choisie l'université à l'intérieur de la société n'est pas issue du hasard historique; bien au contraire, cette nouvelle condition sociale des enjeux universitaires est le produit des décisions politiques des gouvernements fédéral et provinciaux, pour tenter de résoudre un double problème (faire d'une pierre deux coups): la compétitivité des industries québécoises et canadiennes, d'un côté, et le financement de la recherche universitaire, de l'autre.

Ce fait nous amène à penserqu'on ne peut s'interroger sur ce changement qualitatif de la recherche universitaire sans se questionner d'abord sur la société québécoise elle-même et sur le rôle qu'y joue l'université en tant qu'institution sociale. La recherche universitaire et l'université sont au centre d'un enjeu de forces pouvant prendre diverses formes et contenus par rapport à la société dans laquelle elles s'inscrivent. Cet enjeu peut devenir soit un instrument de reproduction des enjeux sociaux (université miroir), soit un agent d'adaptation de son organisation aux besoins sociaux (université organe social) ou soit un agent de production de la société3 (université créatrice et productrice de culture et de nouveaux enjeux sociaux); nous y reviendrons dans l'explication de ce paradigme.

Dans le cadre de notre recherche, ce phénomène du partenariat de l'université avec l'industrie représente le point de départ et de rencontre de forces sociales qui

(12)

4 participent à un enjeu dont la condition sociale est particulière au moment historique.

Pour arriver à la compréhension du paradigme que nous voulons esquisser, nous passerons en revue quelques aspects théoriques qui, autour de l'école et de l'université, se sont développés à partir de cette vision de «lieu et enjeu de forces sociales en présence».

1.1. L'École, enjeu d'enjeux

Dans la conception du système scolaire comme lieu et enjeu de forces sociales en présence, des auteurs comme Anadon (1990); Laliberté (1983); Baby (1989 et 1990) décrivent l'institution éducative comme un miroir de la société à la fois capable de transmettre et de reproduire la société. Cette conception, développée à partir d'une image dynamique de ce qui constitue un enjeu de forces, pose le problème de l'institution éducative comme une entité d'accès public, appartenant à tous et à personne, et où la présence de l'État (au sens large, dirait Gramsci) crée les conditions propices au développement de la synthèse sociale.4 L'État se présente comme l'acteur-enjeu actif qui permettra la synthèse de forces sociales qu'y seront représentées; et les institutions éducatives ne seront donc que le reflet de cette lutte pour le contrôle de ces «appareils idéologiques».

4 Anadon (1990) décrit cette situation à partir de la conception gramscienned'État: «L'État (ausens intégrai) englobe l'ensemble desactivitéssuperstructurelles. On peut distingueralors deux aires de manoeuvre dans lasuperstructure: société politique et sociétécivile (...)cesdeux aires (...) ne peuvent

pas être séparées. Société civile et état (au sens étroit du terme)ou société politiqueconstituent un

tout intégral.»

Dans la conception partagée par Anadon et Laliberté du système scolaire comme lieu et enjeu, l'ordre social résulte des catégories situées à l'extérieur des phénomènes sociaux et possédant un caractère explicatif du système. Pour ces auteurs, l'école fait partie d'une logique générale du système social qui commande comme une raison, comme une loi, et imprègne tous les individus de son caractère idéologique. D'après eux, l'école s'explique par des garants qui ne se trouvent pas à l'intérieur de l'école elle-même, sinon à partir de catégories méta-sociales. Ce paradigme réduit l'école à l'expression minimale d'appareil de domination idéologique, en négligeant les autres dimensions. Cette réduction n'aura d'autre valeur que celle de la reproduction de réalités déjà établies ou celle de la production de nouvelles réalités lorsque l'acteur dominé gagne ou prend plus de

(13)

5 place dans la lutte contre la classe dominante. Dans cette compréhension méta- sociale de la réalité scolaire, l'école réalise ses changements lorsqu'à l'intérieur d'une contradiction entre les classes sociales, la classe dominée prend plus de place dans le cadre des batailles des revendications sociales, ou lorsque la classe dominée l'emporte et s'impose comme classe dominante.

À la base du paradigme utilisé par Anadon et Laliberté, nous trouvons l'idée de lutte pour la représentation dans des espaces publics, fait pour lequel l'État se fait l'acteur politique clé dans la réalisation de cette lutte. L'école n'est qu'un des enjeux de représentation sociale de forces de l'État dans lequel se développera une lutte pour en arriver à son contrôle. Dans cette conception, l'école est un enjeu à l'intérieur des enjeux de l'État, et sa condition sociale est conçue à partir de la représentation de forces existantes dans la société. Sa condition est donc éminemment publique.

Cependant, l'idée de représentation sociale de forces à l'intérieur du système d'éducation s'est engagée sur une voie différente depuis les années 80. En effet, une tendance vers la disparition du public comme forme d'organisation sociale, une tendance à concevoir l'État plus comme protecteur des intérêts individuels que comme lieu de représentation des citoyens, nous amène à poser d'une toute une autre manière le problème de l'école lieu et enjeu de forces sociales. Antoine Baby (1990) a fait progresser cette vision en proposant une transposition du simple énoncé même de l'existence de l'enjeu de forces, en allant chercher à l'intérieur de l'école la complexité des contradictions dont elle est traversée.

Pour Baby (1990), l'école est le champ de bataille de multiples forces contradictoires qu'elle doit accueillir d'une façon désarticulée par rapport à son sens public. Cela se passe dans des moments où il y a de forts bouleversements des rapports sociaux. En partant de la réflexion originale d'Althusser («l'école lieu et enjeu de la lutte de classes»), Baby nous livre une vision d'enjeu à partir de la multiplicité et de la complexité des forces en présence.

L'école serait la principale agence de socialisation et elle devrait tenter de régler toute une série de problèmes de société qui ne naissent même pas d'elle (violence, sexisme, drogue, racisme, relations entre groupes ethniques, chômage, et autres fléaux) ... L'école de demain sera encore celle d'une société qui a privatisé les problèmes de société. Privatiser les problèmes de la société consiste pour l'État à se désengager de ceux qu'on avait jusqu’ici considérés comme ayant leur origine dans une forme particulière d'organisation

(14)

sociale et qui devaient pour cette raison être traités dans le cadre de la responsabilité collective partagée. (Baby, 1990: 125).

Il s'agit donc d'une école qui doit jouer son rôle dans la contradiction des enjeux dont l'origine n'est pas seulement celle des classes sociales.

L'université elle-même n'est pas étrangère à cette réalité des rapports de forces; cependant ses enjeux prennent d'autres formes comme résultat propre à l'activité qu'elle réalise à l'intérieur de la société; en effet, la recherche et l'enseignement comme activités reliées à la connaissance, confèrent une connotation particulière et différente aux enjeux universitaires par rapport à l'école. Regardons cela en détail.

1.2. «L'Université, lieu et enjeu des forces sociales en présence»

Dans l'article intitulé «L'Université comme lieu et enjeu des forces sociales en présence: quelques postulats pour une réforme de l'enseignement supérieur», Antoine Baby (1989) se pose la question à savoir quelles pourraient être les principales conditions de l'émergence d'une université moderne, à la fois libre, autonome et socialement intégrée. La base de la proposition de l'auteur repose sur deux postulats en interaction: en premier lieu, l'auteur postule que, depuis toujours, l'université a été un «miroir-de-son-temps» reflétant les contradictions les plus importantes de la société; en deuxième lieu, que l'enseignement supérieur est le lieu et l'enjeu du rapport des forces sociales et d'intérêts sociaux en présence.

Le premier postulat précise le contexte général déterminant l'orientation que prend l'enseignement supérieur pour une époque donnée. Le second permet de rappeler que ce contexte n'est jamais homogène comme le donne à penser l'idée suivant laquelle l'université est le reflet «d'une société»; que ce contexte est lui-même le produit de forces sociales différentes, divergentes, voire opposées. (Baby, 1989: 48).

Cette conception se base sur la reconnaissance volontaire de l’existence des autres forces à l’intérieur de l’université de la part des forces en présence. Pour Baby, le sens public de l’université se fonde sur la reconnaissance même de l’existence de cet enjeu social. Chaque force reconnaît la présence de l'autre, et dans la concertation même des orientations se trouvent l'avancement, la synthèse et le dépassement des contradictions.

(15)

7 Une telle conception démocratique expose une idée dynamique de l'université, où celle-ci est l'enjeu socio-politique de synthèse de la représentation des forces sociales. Baby nous laisse également entendre que l'université est un espace public de représentation, dont la composition sociale est très hétérogène et où les forces participent de façon très active et ouverte. L'auteur est conscient qu'à l'époque contemporaine, il existe un resserrement des liens entre l'université et le reste de la société. Ce resserrement exerce une influence très importante qui contribue dans une large mesure à façonner les activités universitaires en général: avec les pouvoirs publics (en tant que gardiens de l'intérêt public) et avec le secteur privé (comme moteur du développement dans la sphère de la production). Ces resserrements ont amené l'université à développer ses activités au sein des deux paradoxes suivants:

Premier paradoxe: Plus la mission de l'université gravite autour d'un savoir établi, convenu et constitué, propre à une élite (comme ce fut le cas de l'université anglaise), plus elle paraît autonome. À l'opposé, plus elle devient productrice de connaissances et de savoir, plus elle est intégrée à la production sociale et économique, moins elle est autonome, plus elle a de compte à rendre, et plus les contrôles de l'État se resserrent, et par voie de conséquences, plus elle est lieu et enjeu de forces sociales en présence. (Baby, 1989: 51)

Mais Baby souligne que, dans une société où le paradigme productiviste prédomine (comme celle de la société nord-américaine), l'université se trouve au sein d'un autre paradoxe résultant du resserrement des liens avec d'autres forces sociales: Lorsque la demande sociale se fait forte et précise, la notion de contrôle prend place à travers diverses variantes du modèle des «comptes à rendre»: l'université contemporaine est alors traversée de multiples contradictions sur le plan à la fois externe et interne. Ces contradictions concernant et son passé et son devenir, sa liberté et son intégration sociale peuvent être facteurs de stagnation, d'étouffement et de paralysie plutôt que de dynamisme et de renouveau pour l'université. C’est ainsi qu'émerge à l’intérieur de l'université ce modèle productiviste, dont l’influence principale émane de la conjoncture socio-économique qui contribue aussi dans une large mesure à façonner ses activités en général. (Baby: 1989).

(16)

8

1.3. De l'enjeu de représentation socio-politique à l'enjeu instrumental

de la productivité économique: où sont les forces?

Mettons maintenant en perspective la synthèse d'université produite par l'application du paradigme productiviste de l'éducation exposé par Baby dans son article.

Dans le contexte nord-américain, contexte caractérisé par une conjoncture politique faiblement polarisée, il est de plus en plus évident que c'est la conjoncture économique qui exerce une influence prépondérante sur l'institution universitaire et qui contribue dans une large mesure à la façonner, à lui donner la configuration tout-à-fait particulière qu'on lui connaît aujourd'hui et qui est assez loin de celle qui en faisait le lieu de la recherche libre et désintéressée de la Vérité... Nous sommes peut-être au coeur d'un processus dialectique dont les prémisses kantiennes auraient été inversées pour nous faire passer d'abord par l'antithèse (les années 60 et 70), ensuite la thèse (les années 80), en route, il faut l'espérer, vers la synthèse. Comme s'il était imaginable que le balancier, après avoir parcouru les deux extrémités de sa trajectoire, s'arrête en un point milieu que serait celui du juste milieu! (P. 53)

Pour l'auteur, la synthèse espérée est donc celle d'une université demeurant à la disposition des forces sociales qui auraient une représentation déterminée dans les périmètres idéologiques de l'université. Pour Baby, il s'agit d'une université qui, en tant qu'institution sociale publique, «appartient à tous et à personne» (P. 55). Il faut le dire, à la base de cette pensée existe une conception sociale-démocrate de l'université: elle doit rendre des comptes à la société en général, car elle appartient à un réseau d'institutions publiques dont la mission principale est de maintenir une certaine cohérence sociale. Il s'agit alors d'une université capable d'être autonome, miroir de son temps et productrice de réalité (page 55).

D’après Baby, la condition sociale des enjeux universitaires passe par le public comme forme d’organisation sociale. Mais, dans ce contexte, la proposition de Baby est valable jusqu'au moment où l'État participe comme entité politique de représentation sociale de forces. En d'autres termes, la proposition de Baby n'est plausible que jusqu'au moment où l'État se désengage de sa mission de représentation5 pour ne s'occuper exclusivement que de l’économique, de la

5 Nous allons yrevenir, mais il s'agit d'une tendance générale des systèmes politiquesd'occident dans

lesquels nous allons trouver des orientations vers la protection du caractère individuel de l'acteur

(17)

9 compétitivité de l’industrie, de la conquête de marchés internationaux, du transfert technologique de l’université vers l’industrie, afin d'accélérer les processus de mise en marché de nouveaux produits. Dans ce cas, comment expliquer le virage qu'a effectué l'université depuis les années 80, lorsque l'État a privilégié un rapprochement de l'université du milieu industriel? Quelle est la condition sociale de cet enjeu de forces en présence? Comment agissent-elles ces forces, face à ce jeu de la concurrence? Quelle est la nouvelle réalité sociale produite par la construction sociale de cet enjeu?

De telles interrogations nous permettent de progresser et d'annoncer que ce changement qualitatif des enjeux universitaires place l’université face à des options éminemment instrumentales du type économiciste.

Nous pouvons ainsi ajouter un élément à cette conception de l'université, «lieu et enjeu», car il s’agit alors d’une université fonctionnant dans un contexte vidé de son sens de représentation sociale; en effet, l'émergence d'un contexte vidé de son sens de représentation sociale vient complexifier les nouveaux enjeux qui s'établissent entre la société et l'université.

C'est ainsi qu’à la vision dynamique d'université lieu et enjeu de forces sociales en présence, nous voulons ajouter une considération générale sur la condition sociale de ce dynamisme (l'absence du public dans le cas québécois), fait qui nous ouvrira à une compréhension plus large des enjeux universitaires.

En effet, il est question au Québec depuis les années 80 d'une université qui doit devenir plus autonome financièrement par rapport à l'État, se faire plus rentable et se rapprocher du privé pour optimiser les compétences de l'industrie. Cette nouvelle condition sociale, issue des décisions politiques, changera qualitativement la condition sociale des enjeux universitaires et la composition de sesforces.

À la lumière de cette conjoncture sociale, nous pourrions dire que plus l'université est invitée à incorporer à l'intérieur de ses murs des enjeux sociaux qui ne lui appartiennent pas, plus elle est vidée de son sens institutionnel et public, et plus

(18)

elle semble devenir enjeu instrumental de la productivité économique* 6. En d'autres termes, plus l'université est invitée à se soucier des problèmes de productivité de

l'industrie par rapport à la recherche et à la formation professionnelle, plus elle perd sa dimension sociale de représentation, et plus elle exerce un rôle instrumental qui ne lui appartient pas. Ce changement qualitatif dans la composition sociale de forces justifie l'action éducative sur une base importante d'utilité productive. Cette option répond plus à l'empirisme d'une pratique économique qu'à la construction sociale d'un modèle de connaissance issu de la pratique de recherche et de l'enseignement.

la Démocratie?. Voir aussiThériault, Jacques-Yvon (1994), Citoyenneté, espace public et identité. In Option Droitde cité: repenser lacitoyenneté pour vivre ladémocratie,automne 1994, CEQ. pp. 33-52.

6 Michel Freitag dans son article«La recherche dans l'université et la société: le bateau ne coule pas encore, mais l'eau monte...» (Société, septembre 92) élabore une différence intéressante entre la signification d'une université conçue en tant qu'institution sociale et une université conçue en tant

qu'organisation productive: «Comme toutes les institutions (la famille, l'État, lesformes de propriété,

l'entreprise, etc.), l'université est en partie «auto-générée», sous la conditiond'une reconnaissance et

d'une réglementation extérieures (problème de la délimitation de son domaine d'autonomie). L'organisation par contre se définit demanière instrumentale: elle appartient à l'ordre de l'adaptation des moyens en vue de l'atteinte d'un but ou d'unobjectif particulier.»

7II faut dire que dans le cas québécois, l’Étata jouéun rôle très important dans la construction sociale

de nouveaux modèlesde connaissance, donc dans la construction même du modèleculturel. Autre a été le cas des États-Unis, où la participation du privé dans la construction du modèle culturel a été

déterminantepour larecherche.À ce sujet voir Touraine (1972) «Universitéet sociétéaux États-Unis» Dans le contexte québécois, le désengagement de l'État joue un rôle éminemment important7: il est postulé que l'université doit être un agent autonome qui doit résoudre le problème de ressources financières par le biais de l'association avec l'industrie. L'État se désengage ainsi et laisse à l'université l'occasion d'intervenir de façon active dans le milieu privé afin de résoudre ses problèmes financiers et de solutionner les problèmes de productivité de l'industrie. L'État de son côté assumera sa contrepartie en contribuant à leur fonctionnement par des subventions. Bref, l'université semblerait avoir une tendance à disparaître en tant qu'espace public pour devenir un enjeu instrumental de la productivité économique.

Devenant alors un enjeu instrumental de la productivité économique, l'université s'éloigne de sa dimension de représentation de forces sociales, et laisse aussi la possibilité de construire un modèle de connaissance conduisant à un modèle déterminé de société. Autrement dit, l'université s'éloigne de sa dimension de représentation lorsqu'il est postulé qu'elle devrait chercher davantage à optimiser les rapports économiques de la société. En effet, cette proposition nous amène une

(19)

université qui doit rendre concurrentiels autant les diplômés que les entreprises avec lesquelles elle s'associe.

Il s'agit alors d'une université qui ne construit pas à partir d'un savoirconstitué, mais bien d'une université qui remplace ses membres par des employés, et sa mission sociale par des fonctions économiques. Il ne s'agit plus de l'université représentative d'un ordre social stable, mais bien de l'université d'un ordre en mouvement qui met de côté la résolution de ses contradictions pour homogénéiser davantage ses activités dans le cadre d'une tendance vers la productivité économique. C'est une université qui abandonne l'élaboration des problématiques reliées aux enjeux centraux de la société pour devenir «université organisation productive», qui définit plus sa mission en fonction des moyens qu'en fonction de la priorité de ses fins en tant qu'institution à caractère public.

Pour conclure notre problématique, nous allons décrire quelques éléments qui aideront à mieuxsaisir le cadre théorique de notre recherche.

1.4. Éléments de la problématique

Nous ne pouvons traiter l'université et la société comme deux entités distinctes car l'université est une partie importante de la société, qu'elle modèle autant qu'elle la reflète. Donc, type de société et type d'université sont liés de façon étroite. Ainsi, on ne peut donc parler de crise de l’université sans se questionner sur le type de société qui est en crise.

En premier lieu, nous analyserons la condition sociale des enjeux universitaires à partir des trois orientations sociales qu'elle peut prendre, à notre avis, par rapport à la société (production, reproduction et adaptation); notre analyse se tournera ensuite vers le caractère public ou privé de ces enjeux, pour mieux comprendre la composition socio-politique des forces présentes à l'intérieur de l'université.

(20)

12

1.4.1 Trois orientations en tension continuelle

L'université exerce son activité de recherche et d’enseignement à l'intérieur de trois orientations sociales en tension continuelle. Il s'agit des tensions exercées entre 1) l'orientation de production de connaissance (des nouveaux enjeux), 2) l'orientation de reproduction des enjeux déjà existants, et 3) l'orientation d'adaptation de ses activités à l'environnement social.

L'université est à la fois production, adaptation et reproduction de la société. C'est dans la combinaison de ces trois orientations que se trouve, à notre avis, une partie importante de la condition sociale des enjeux universitaires, car l'université doit à la fois composer à l'intérieur d'exigences sociales précises, s'adapter aux besoins de l'environnement et s'inscrire dans un processus d'intégration de la société. Ces orientations en tension continuelle varient par rapport à l'influence qu'exercent dans un moment historique donné les forces sociales présentes. Or, les orientations sociales de l'université ne se réalisent pas avec la même intensité en même temps.

Dans le cadre de la recherche universitaire, l'université produit la société8 lorsqu'elle se consacre à la construction de nouveaux modes de connaissance et de modèles culturels. Par cette activité, elle collabore à l'élaboration des nouveaux enjeux sociaux, donc des nouvelles formes de conflits sociaux.

8Le concept de production de la société est inspiré de Touraine etde Baby, mais ces auteurs ne sont

pas les seuls àtraiter l'activité sociale comme production dela société. Raymond Boudon (1977) base

aussi son paradigme sur l'idéede production de la société à partir des échanges qui se font entreles

individus et qui créent des effets émergents et inattendus. André Petitat (1982) suggère une notion de productionde la société à partir de l'idée de concertation de forces dans des moments précis de

(21)

La recherche reproduit la société lorsqu'elle se consacre à intérioriser des enjeux propres aux autres acteurs de la société; elle reproduit les enjeux et les conflits sociaux déjà existants.

La recherche s'adapte à la société lorsque son activité se consacre à l'organisation des changements sociaux, aux réponses exclusives aux demandes sociales immédiates9.

9Renée Cloutier (1992) a consacré un ouvrage à la compréhension du changement évolutif de la

clientèle étudiante à l'intérieur de l'université.

10Cette expression est utilisée par Touraine (1973-1993) en s'inspirant de Moscovici (1967)

La production de la société à l'intérieur de l'université se réalise par le biais de la construction de modèles de connaissance. Cette orientation, plus qu'une fonction souhaitable de ce que devrait faire l'université (Renaut, 1995: 203), est davantage la compréhension méthodologique de la tâche de l'université: elle traite la connaissance comme objet principal de son activité, et c'est par le biais de cette connaissance qu'elle construit sa synthèse de société, sa synthèse du savoir.

La production de connaissances est liée à l'activité scientifique. C'est par le biais de la construction de nouvelles problématiques que la science construit des modes de connaissance, et c'est ainsi que se construit le modèle culturel d'une société. Cette activité, en tant que système de connaissance, ne s'oppose au monde naturel, ne le contemple, mais elle le définit, elle le nomme comme un «état de nature»10. On pourrait donc en conclure que tout modèle de connaissance est associé à une représentation de l'ordre qu'elle découvre.

Inventrice de connaissance, agent d'investissement, créatrice d'une image de la créativité que je nomme un modèle culturel, la société se produit elle-même, impose un sens à des pratiques, se retourne sur elle-même; elle n'est pas seulement dans la nature, elle n'a pas seulement une histoire; elle possède l'historicité, la capacité de produire son propre champ social et culturel, son propre milieu historique. (Touraine, 1973-1993: 44).

Ce modèle de connaissance ne représente pas la configuration d'un ordre social issu des garants méta-sociaux (providence divine, nature humaine, idéologie, sens de l'histoire, fonction naturelle des institutions sociales), mais se veut d'abord et avant tout mouvement matériel de l'expérience des individus. Autrement dit, nous comprenons la société comme le résultat dynamique des rapports sociaux, c'est-à- dire que nous ne concevons pas la société comme un ordre social établi par le biais

(22)

de l'appel à une unité de consensus social maintenu par la fonction de ses parties et par le contrôle social qu'exerce la socialisation; nous ne la concevons non plus comme un ordre établi par la domination, la violence institutionnalisée ou l'idéologie, ce qui invoque une «nature» au-delà de la société, et qui finit par être «libérée» des contradictions grâce à la lutte des classes.

Loin de reposer sur un ensemble mécanique des valeurs et normes ou sur des conflits des classes institutionnalisés, la société pour nous se définit par le mouvement, ce qui sous-entend l'expérience matérielle des individus. Autrement dit, la société est composée du mouvement qu'entraînent les rapports sociaux et humains, et non de l'ordre établi par la pratique politique du pouvoir ou par la pratique de l'homo oeconomicus11. Les pratiques politiques de l'ordre ou la pratique sociale qui se développe à partir de la conception de l'homo oeconomicus, ne sont que les reflets les plus évidents des rapports sociaux en présence.

11 Ici nous nous sommes inspirés de Hannah Arendt (1963), La condition del'homme moderne.

12 Lorsque nous parlons de production, nous faisons référence aussi à la création de nouveaux enjeux, à la création denouveaux conflits vers lesquels la société prend l'action sur elle-même. Ici, il ne

s'agit pas de production à partir de laconcertation de forces. À notre avis, la production de la société ne

cesse de seréaliseràl'intérieur desenjeux conflictuels desacteurs sociaux en présence.

13Sur cesujet,voir Gingras,Yves (1992), sur laprofessionnalisationde la recherche universitaire. Ces rapports humains créent le modèle culturel dans lequel se développent les nouveaux enjeuxde la société et les nouveaux conflits sociaux. C'estdans cet effort de connaissance que font des humains envers eux mêmes que nous allons trouver les nouvelles formes vers lesquelles s'orientera la société elle-même12.

L'université moderne, celle qui fait de la science son emprise pratique, participe activement à l'élaboration du modèle culturel de la société. Pour que l'université adopte la recherche comme activité principale, il faut qu'elle se définisse d'abord par sa soumission aux exigences internes de la connaissance. La recherche universitaire n'est pas uniquement une activité professionnelle, la recherche est en premier lieu une partie importante de la construction du modèle culturel: «Une mise en forme culturelle du monde matériel»13.

(23)

15

Il est cependant impossible d'imaginer une université «tour d'ivoire», échappant au problème de ses rapports avec la classe dominante, car il ne faut pas se le cacher, l'université forme et prépare une bonne partie de l'élite de la société; elle se trouve ainsi liée à la classe dominante et à son idéologie. Mais attention, le modèle culturel qu'elle construit n'est pas seulement un produit de cette idéologie, mais aussi un enjeu social de forces en lutte pour s'approprier son orientation générale. Ce modèle est également issu d'une capacité sociale d'investissement des ressources vers un type culturellement valorisé de société.

À l'intérieur de l'université, la production de la société et la construction sociale du modèle culturel qui lui est propre se réalisent indéfectiblement dans cette tension de forces. Mais si l'université s'abandonne aux pressions idéologiques de la classe dominante, si elle ne trouve pas les moyens de leur résister, elle perd alors sa capacité de création de connaissance. Pour que l'université puisse être productrice de connaissance, il lui faut maintenir et imposer une distance entre le modèle culturel de la société et son système de contrôle (appareil bureaucratique de l'État) et d'appropriation de connaissance (appareil productif). Une recherche scientifique productrice de réalité exige que l'université prenne une certaine distance vis-à-vis du pouvoir social, tout en subissant son emprise. Pour qu'elle puisse contester et imaginer la société virtuelle vers laquelle la société actuelle se dirige, elle doit se séparer de la pression idéologique de la circonstance sociale.

Cette distance, à notre avis, existera si et seulement si l'on conçoit l'université comme un espace public à caractère scientifique dans lequel s'intégrent de façon légitime les différentes forces sociales (voire opposées). Espace public éminemment démocratique conçu à partir de la pluridimensionalité de ses rapports

(24)

et ses individus, qui ne cherche pas s'insérer dans la réalité sociale à partir de la seule voie, celle de l'accès économique ou organisationnel, sinon à partir de l'imagination et de la praxis humaine. Si ce fait ne se réalise pas, l'université et sa recherche ne seront tout au plus que des agents de reproduction ou d'adaptation de la société. Tel est le cas de la formation professionnelle et de la recherche universitaire au Québec.

Au sujet de la formation, il semble que l'université, dans sa fonction sociale, a été réduite à un simple instrument de formation des professionnels de service, du personnel d'encadrement et de gestion de la société, lieu de recrutement, «antichambre» du marché de l'emploi (Baby, 1990).

En ce qui concerne la recherche (sujet principal de notre mémoire), il nous semble qu'elle a une tendence à se réduire (dans les sciences naturelles, les sciences médicales et les sciences de l'administration) au simple aspect du développement technologique; ce développement, entraîné par la science, est mis en oeuvre par les appareils de production de l'économie.

Il demeure que le développement de la connaissance ne peut se réduire aux seuls objectifs et intérêts du privé, car réduire la recherche à ces dimensions aboutirait nécessairement à faire de l'université un enjeu instrumental dans lequel se réaliserait la recherche et développement propres à l'industrie. Le résultat ne serait autre qu'une université impuissante à la fois à créer une science nouvelle et à définir le champ d'action historique de la société, soit une université reproductrice des enjeux sociaux qui ne lui appartiennent pas. Il est donc important de comprendre la condition sociale de l'enjeu de l'activité universitaire.

Dans le cas de la société québécoise, le public (en tant qu'espace social) avait garanti une certaine orientation de la recherche vers la production d'un modèle culturel défini par le développement de connaissances scientifiques14. C'est la raison pour laquelle le désengagement de l'État a créé des conditions sociales différentes dans la construction sociale des modèles culturels.

14Sur ce sujet, le livre de Chartrand, Duchesneet Gingras (1987) Histoire des sciences au Québec pourrait être une illustration de la participation de l'État dans le développementde la science. Nous

allonsy revenir dans le deuxième chapitre lorsque nous traiterons le désengagementdel'État vis-à-vis

de la recherche universitaire.

1.4.2. Du caractère public ou privé des enjeux universitaires

Lorsque nous parlons de l'université comme espace public nous n'avons pas en tête l'accessibilité aux études universitaires (cependant cette dernière est une

(25)

conséquence incontournable de la démocratisation des études universitaires). Nous ne voulons pas non plus faire référence à l'université comme instrument administrateur de justice sociale, car la dimension démocratique de cette institution ne peut pas se réduire à un problème d'équilibre statistique (50% hommes, 50% femmes, 30% noirs, 20% latins, etc.)15. Lorsque nous soulignons le caractère public de l'université, nous avons en tête une université incorporant dans sa mission de recherche et d'enseignement les enjeux de société comme inspiration matérielle de ses problématiques d'étude, à savoir une université qui réalise sa recherche dans la transparence de la connaissance et qui rend publiques les investigations qu'elle mène, capable de discerner entre le caractère économique et commercial de la recherche et le développement de modèles de connaissance; université qui conçoit son activité de recherche comme un bien public, et la technologie et le développement technologique comme conséquences des résultats scientifiques potentiellement transférables à l'appareil de production de la société.

15Pour unecritiquedu paradigme démocratiqueaxésur l'équilibre statistique voir Massot, Alain.«Pour une école àtemps partagé». InLe fil des événements, septembre1995.

Il ne s'agit donc pas d'une université «objet» d'intégration de la diversité, «objet» de représentation statistique de tous les secteurs de la société. Il s'agit d'une université «sujet» de la connaissance, qui imagine et pense la réalité sociale dans laquelle elle s'inscrit; une université qui considère que le développement de la connaissance a des retombées importantes dans la société. Il s'agit alors d'une institution à vocation publique, qui se soucie de la société, de l'homme, du citoyen et de l'individu en soi, et non pas d'une université préoccupée de rendre opérationnel l'intérêt d'un secteur de la société. Autrement dit, nous ne faisons pas référence à une université «instrument» des revendications de certains secteurs de la population (ouvriers, entrepreneurs, chômeurs, jeunes, etc.), mais d'une université qui se soucie d'abord et avant tout de la connaissance et des problèmes de société.

En conclusion, notre conception d'espace public n'est donc pas déterminée par la considération de l'appartenance de l'université à quiconque, mais bien par le caractère et l'orientation de ses propres activités. En d'autres termes, le caractère public ou privé de l'université se définit par l'objectif qu'elle se fixe à l'intérieur de la société.

(26)

18

1.4.3. De la condition sociale des enjeux de l'université

Le désengagement de l'État a bouleversé les conditions sociales des enjeux universitaires. Ces enjeux, autrefois partagés entre la société civile, les appareils de production et l'État, se retrouvent maintenant à mi-chemin entre les forces économiques et la société civile; ce que nous appelons un changement qualitatif dans le caractère social des enjeux universitaires. En effet, ces enjeux ont passés d'un caractère public, où la réalisation de son activité se faisait à l'intérieur du dynamisme propre du social, à un caractère social déterminé par l’économique, où la réalisation de son activité s'organise autour des réponses aux virtuelles «clientèles». Il arrive également un changement dans l'orientation générale de l'université: celle-ci passe d'une tendance à l'adaptation et à la production vers une tendance à la reproduction des enjeux sociaux16. Ce changement qualitatif entraîne des retombées importantes sur la création de nouveaux enjeux sociaux.

16 Nous allonsy revenir, au chapitre II, mais en attendant nous pourrions annoncer nos constatsau Québec en ce qui concerne la Révolution tranquille. À notre avis, cet événement généra un changement qualitatif dans la condition sociale de l'université qui, depuis ce moment-là, s'est

caractérisée par sa vocation publiqueetses orientationsvers l'adaptation et la production des enjeux

sociaux.

17Sur ce sujet André Gorz (1983:1988)abien démontrécomment le système des valeurs qui orientent les tendances sociales de la sociétéindustrielle est en crise àcause d'une impossible relance deses

postulats paradigmatiques. Cela implique à ce moment-ci de la conjoncture sociale, une impossible adaptation des activités universitaires à la réalité sociale environnante, «...les mutations

technologiques par lesquelles le capitalisme y répond ne sont pas maîtrisables dans le cadre de la

rationalité capitaliste. Accélérant lesdestructions de capitaux et d'emplois, des mutations permettant

de produire des quantités croissantes de marchandise avec desquantités rapidement décroissantes

de capital et du travail* (GORZ,ANDRÉ(1983). Les chemins du paradis. Paris, Galilée. Thèse 13: le

capitalisme impossible, page 70).

En effet, l'université doit d'une part répondre aux besoins technologiques des entreprises, en intériorisant la préoccupation premières des celles-ci, à savoir la conquête de marchés internationaux; d'autre part son devoir est de combler les besoins d'adaptation professionnelle de la population en reproduisant les conditions professionnelles déjà existantes, conséquences de la rapidité des changements technologiques rapidement périmées et qui donnent plus d'importance à des instruments méthodologiques plus généraux.17 Cette adaptation de l'université aux besoins de sa «clientèle» semble avoir atteint sa limite. Université instrument de mobilité sociale, université instrument de la productivité économique, elle a ainsi abandonné l'examen des problèmes centraux de la société, l'élaboration des problématiques et le champ de connaissance et

(27)

d'action de la société sur elle-même. Plus que jamais elle se situe dans le cadre des rapports de classe existants, et par voie de conséquence, du côté de la formation professionnelle, elle devient instrument de transmission de l'idéologie dominante, et du côté de la recherche, enjeu instrumental de la productivité économique de l'industrie.

À la lumière de ces considérations, nous pouvons observer que les enjeux actuels de l'université se situent à mi-chemin entre les besoins sociaux et les forces économiques, dans une tendance qui reflète plutôt la reproduction de ces enjeux que la production de nouvelles réalités vers lesquelles la société s'orienterait pour se réaliser.

(28)

20

Conclusion

Dans ce premier chapitre, nous avons démontré que, pour cerner l'objectif de la recherche universitaire, il faut la comprendre comme enjeu de forces sociales en présence qui modifient sa condition sociale en fonction de l'orientation et du caractère public ou privé que lui confèrent ces forces sociales.

Nous avons tenu à différencier notre cadre d'analyse d'une perspective fonctionnaliste, car, à notre avis, les adaptations possibles des fonctions universitaires à la société actuelle sont irréalisables, étant donné l'ampleur de la crise sociale et du changement. D'après nous, un paradigme axé sur l'adaptation s'avère incapable d'expliquer les véritables changements qui bouleversent l'université.

De plus, nous nous sommes distancié du «fonctionnalisme critique18» des marxistes, car cette conception met l'accent sur des catégories qui se trouvent au- delà de la réalité des phénomènes eux-mêmes, telles que l'idéologie et la domination d'une classe sur l'autre.

18Cette expression a été empruntéeà Touraine (1973).

Nous avons plutôt sélectionné une approche privilégiant le mouvement, les changements sociaux qui bouleversent notre société méritent une approche dynamique. Certes, l'ampleur et la complexité des sociétés modernes nous invitent à reconnaître toutes les zones d'incertitude, de désorganisation et d'imagination à l'intérieur de l'université comme institution sociale, et non à partir de la stabilité ou de l'adaptabilité de l'ordre à de nouvelles conditions.

Par ailleurs, il est essentiel de souligner que le principe d'espace public est envisagé comme pierre angulaire de notre proposition. Pour nous, le caractère de production de la société à l'université se réalise à l'intérieur d'une conception publique de ses activités. Espace public où les forces sociales se manifesteront, avec leurs particularités, origines et tendances. Il est important de signaler que le caractère public de l'université n'est pas nécessairement déterminé par la participation de l'État; il n'est pas non plus possible de retourner en arrière pour rétablir les «garanties publiques» de l'université par rapport à l'intervention de l'État. Le caractère public de l'université pourrait être déterminé par bien d'autres

(29)

21 acteurs de la société civile, si volonté il y a de sa part. Dans le cas de la recherche universitaire québécoise, nous constatons que les enjeux se sont transformés suite au désengagement de l'État. Ce fait a également déclenché une transformation de l’université sur le plan de ses orientations sociales comme institution vers le privé. En effet, nous notons un déplacement des enjeux de la production industrielle vers l'université, fait qui transforme sa condition publique de synthèse du social et culturel, par des enjeux instrumentaux de la productivité économique.

(30)

Chapitre II

(31)

Introduction

Dans le chapitre précédent, nous avions annoncé que c'est surtout le désengagement de l'État qui a généré un changement qualitatif à l'intérieur des rapports université-société. Comme déjà mentionné, il s'opère un changement à deux niveaux dans la condition sociale des rapports entre l'université et la société: un niveau qui correspond au caractère public ou privé des enjeux universitaires, un autre niveau aux orientations prises par l’université par rapport à la société.

En ce qui concerne le caractère des enjeux universitaires, nous avons proposé qu'ils sont passés d'une condition sociale déterminée par l'intérêt public à une condition sociale déterminée par le privé. Au sujet des orientations, nous avons souligné que l'université québécoise, d'une orientation combinée entre l'adaptation et la production, semblerait être passée à une orientation de reproduction sociale. En effet, nous observons que les changements qualitatifs qui marquent les rapports entre l'université et la société prétendent faire de l'université une partie plus active de la société libérale, soit une université du libre arbitre, une université auto-régulée par la demande sociale, une université de la technique comme moyen universel d'accès à la vérité.

Ce changement ne s'effectue pas dans le vide idéologique, mais se génère dans un effort conceptuel mettant de l'ordre dans les actes qui conduisent à justifier tel changement, créant ainsi une nouvelle façon de voir, une nouvelle façon d'agir, de nouvelles vérités sociales presque incontestables. C'est pour cela qu'à notre avis, ce changement qualitatif a été produit surtout par l'effort social qui implique le désengagement de l'État19 d'une conception publique de la recherche et qui vise une légitimation différente de la mission universitaire.

1 Plusieurs auteurs interprètent les changements de la politiquescientifique de l'État vers l'université comme un interventionnisme vers la production industrielle. Cela n'est pas notre schéma, car pour nous ledésengagement de l'État s'opère lorsqu'on laisse au privé la définition des problématiques de

recherche.

À la lumière de ces démonstrations, nous élaborerons, dans le présent chapitre, la façon dont cette vision du monde s'impose dans un processus d'institutionnalisation et de légitimation de l'activité sociale.

(32)

Pour ce faire, nous étudierons d'abord la transformation conceptuelle impliquant l'émergence des théories qui soutiennent le désengagement de l'État; dans une deuxième partie, nous examinerons deux des politiques publiques qui ont changé l'orientation de la recherche universitaire au Québec depuis les années 80, à savoir: Le virage technologique et La politique des subventions de contrepartie.

(33)

25

2.1. Le désengagement de l'État et la recherche universitaire

Nous concevons le désengagement de l'État comme une tendance vers la disparition du public en tant que façon de concevoir l'organisation sociale. En effet, il s'agit d'une conception néolibérale de la société et de l'éducation, laquelle oriente davantage les activités de l'université vers l'activation du «marché» par le biais de l'innovation technologique que vers le développement des connaissances scientifiques.

Cette conception néolibérale prend diverses formes et contenus à l'université, elle vise, entre autres, les activités universitaires et éducatives en général en tant qu'instruments de la productivité économique. Le néolibéralisme base la construction conceptuelle de l'éducatif et du scientifique sur une idée difficilement rejetable, à savoir la rationalisation des ressources financières. Certes, l'imputabilité («accountability») est la notion qui pendant la première partie des années 80, a été véhiculée au nom de la transparence des institutions publiques démocratiques, une notion tout à fait légitime dans un système qui se prétend ouvert. Identifié à la gestion des ressources financières et administratives, ce paradigme utilise des critères tels la proportion du PIB et des dépenses publiques consacrées à la recherche et développement (R&D) faite à l’université, la proportion du PIB dévolue à l'éducation, le coût par élève, le nombre d'élèves par professeur, la durée de la formation ainsi que le niveau salarial des professeurs et des chercheurs, afin de se rapprocher du phénomène éducatif dans un sens économique. Cette approche correspond à une époque où la gestion des ressources financières de «l'État providence», se mesurait par la qualité des services publics. C'est à partir de l'utilisation de ces indicateurs qu'a été postulée une relation linéaire et proportionnelle entre l'utilisation des matériaux pédagogiques et des ressources humaines par «client», et la qualité en recherche et en formation20. Mais une telle relation a des conséquences particulières dans la conception générale de l’éducation. En effet, une fois dans les espaces où la légitimité de l'activité sociale est reliée exclusivement à la rentabilité économique, il est impossible de ne pas évoquer des argumentations poussant plus loin les dimensions économiques et productivistes de l'éducation.

20Pour une analyseéconomique et comptable de l'éducation ilest recommandé de voir Moisset,J. - J.(1983).

(34)

L'exemple le plus classique est celui de la «qualité totale» en recherche et en éducation. Ce paradigme s'installe à l'université comme la dernière étape d'un processus déjà amorcé au début des années 80, à savoir l'adaptation de la part du système éducatif à de nouvelles réalités économiques elles-mêmes changeantes. Ce paradigme conçoit l'adaptation comme le mouvement nécessaire et continuel vers les besoins de la population ciblée («target», clientèle, etc.). Par ailleurs au milieu des années 80, les ressources financières publiques se font de plus en plus rares pour la recherche et l'éducation: faire plus avec moins, en s'adaptant aux nouvelles réalités, devient la consigne numéro 1 des gestionnaires de l'éducation; faire plus dans une logique entrepreneuriale, faire plus «comme si on était à l'intérieur d'une usine»21. Rapprocher les centres de décision du lieu de production; décloisonner la formation professionnelle, professionnaliser pour être plus utile, plus habile, plus compétitif, dispenser des connaissances propres à une société du savoir. Devenir plus compétitif; faire la course du marché étudiant comme si on fabriquait des "jeans" bon marché22. Mesurer la performance, de n'importe quelle façon, mesurer le taux de rendement scolaire, établir des comparaisons internationales pour se placer dans le rang des pays développés et /ou sousdéveloppés, activer le partenariat avec le milieu, rapprocher, rapprocher sans cesse rapprocher. Efficacité et transparence administrative, pousser et pousser encore pour éliminer les barrières à l'entrée, définir les barrières à la sortie. Déréglementer en éducation, déréglementer en recherche23, répondre efficacement aux besoins de la clientèle. Tout un système d'une nouvelle épistémologie sociale: construction d'une nouvelle façon d'appeler les choses, incorporation dans le quotidien de nouveaux verbes et contenus. Un étudiant universitaire devient un client, un professeur, un employé. La recherche s'avère à la fois un moyen de production et une source des subventions de contrepartie de l'État. L'enjeu n'est donc pas seulement une restructuration administrative des

21 La comparaison avec l'usine est très souvent utilisée de plusieurs manières par les néolibéraux, représentant ainsi un manque d'imagination par rapport à la propre «adaptation» qu’a subie ce paradigme lors de sonapplication.

22Pour les idéologues de la qualité totale en recherche et en éducation, cedoitêtre embarrassant de

constater qu'il estimpossible d'aller chercher dans les pays moins développés une main-d'oeuvre bon

marché. En revanche,l’universitéarésolule problème de la production «bon marché» par les étudiants "cheaps" dans le cadredecertaines recherches encoopération pourobtenir diplômesdedeuxième et

troisième cycle nécessaire pour le marché de l'emploi; et avec quelques étudiants des pays du tiers monde.

23Un exempleclair de cette tendanceest la recherche menée parF. Pétry (1995) àpropos de la R&D pharmaceutiqueet les universitésau Québec.

(35)

sphères universitaires, comme celle véhiculée à l'intérieur de tout le système universitaire québécois, il s'agit véritablement d'une reconstruction et d'une redéfinitions du sens social de l'université.

2.1.1. La dimension politique du changement

Un tel enjeu beaucoup plus qu'une transformation administrative du système éducatif, instaure un processus d'institutionnalisation d'une nouvelle conception de la réalité sociale ne tenant pas compte des dimensions autres que l'économique. Certes, nous sommes passés d'un État qui se définissait comme représentant de groupes sociaux en général, à un État qui doit garantir, avec un minimum d'intervention, la protection des intérêts individuels et collectifs24, donc d'un État qui concevait le citoyen comme le noyau de ses propositions sociales, à un État qui se prétend le produit d'un «marché politique»25. Ces processus de redéfinition globale des sphères sociales, politiques et personnelles, sont des mécanismes de signification et de représentation utilisés pour créer et recréer une situation favorable à l'optique sociale et politique du néolibéralisme. Le projet néolibéral est centré sur la création d'un espace dans lequel il est impossible de penser l'économique, le social ou le politique en dehors de catégories qui puissent le justifier.

24Sur ce sujet voir TOURAINE, Alain (1994) Qu'est-ce que laDémocratie?

25Sur l'idée de citoyenneté associée au marché, récemment au Québec, Antoine Baby (1994)dans

son article «Les barbares sont aux portes de la cité*, réalise une approche intéressante entre

l'influence de l'insertion professionnelle dans le marché du travail et du chômage sur la condition

politique dela citoyenneté.

La recherche universitaire n'est pas étrangère à cette réalité économique et depuis les années 80, des politiques publiques ont été mises en place pour rendre la recherche universitaire plus compétitive, plus proche des centres de production, plus active et participative dans la gestion du développement économique; la valeur économique de la recherche universitaire a ainsi transformé profondément la conception de cette activité sociale. Aujourd'hui, lorsqu'on invoque l'université de la recherche, il ne s'agit plus d'un lieu de connaissance, mais plutôt d'un lieu d'association avec l'industrie pour la conquête des marchés internationaux: pour cette raison il faut accommoder la structure universitaire à cette «nouvelle réalité concurrentielle».

(36)

Une telle réalité de la globalisation de l'économie et des marchés (et de la production et de l'exploitation) se présente comme un univers cybernétique («obscur objet du désir») qui matérialise «la main invisible». Oui, la main invisible existe, et se concrétise grâce à cette nouvelle réalité virtuelle du marché international. Mais le malheur le plus grand ne se trouve pas dans l'existence réelle de la main invisible, après tout, ce n'est pas d'hier qu'elle a pris forme politique à l'intérieur de la société moderne; le plus grand malheur se trouve justement dans le manque d'imagination des chercheurs en sciences sociales qui se sont avérés incapables de répondre par le biais du développement d'une connaissance réfléchie et des fondements, à cette création «nouvelle» de la pensée humaine.

2.2. Les politiques publiques de la recherche universitaire

2.2.1. Un rappel sur la réforme Parent et la recherche universitaire au

Québec

Avant 1960, les universités étaient toutes des établissements privés, entièrement autonomes quant à leur développement; en outre elles détenaient la responsabilité de tout l'enseignement postsecondaire dans le secteur protestant et de l'enseignement classique dans le secteur catholique. Chacune négociait avec le gouvernement les subventions dont elle avait besoin. Le fait que la commission Parent ait conçu l'organisation de l'éducation comme un système a eu pour conséquence de faire de l'enseignement universitaire un ensemble qui se devait d'être mieux articulé avec les autres ordres d'enseignement et les diverses instances sociales et politiques. (Conseil supérieur de l’éducation, 1988: 17)

La réforme Parent (1963) révèle un effort social de coordination pour donner à la société québécoise une assise culturelle déterminée. La condition principale de la légitimation du changement qualitatif qu'implique la réforme Parent, est l'existence non pas tellement d'un groupe social dirigeant de vocation productiviste, mais plutôt d'un État capable d'imposer la réalisation de ce nouveau modèle culturel axé sur des dimensions autres que le strictement économique. Certes, la réforme Parent a unifié le système universitaire, transformé profondément les assises culturelles de la société québécoise, remis au public ce qui concernait toute la société, à savoir la professionnalisation de maîtres et la décentralisation des services d'enseignement supérieur sur le territoire; la création de l'Université du Québec (1968), initiative de l'État, illustre un des exemples en révélant la volonté du pouvoir central de

Références

Documents relatifs

Écrivez la procédure stats qui, à partir d’un tableau (initialisé avec la procédure lireValeurs précédente), remplit un second tableau avec les statistiques précédentes aux

Toujours sans utiliser les fonctions standard de string.h, et uniquement à l’aide de la notation de pointeur, on veut maintenant récrire la procédure inverser précédente sous

La surface d’une ellipse de petit rayon pr et de grand rayon gr est égale à π× pr

Cette fonction possède deux paramètres, une somme d’argent s à convertir, de type double supérieure ou égale à 0 (en yuans ou euros), et la monnaie m de type enum monnaie ,

Écrivez un programme C qui lit un grade sur l’entrée standard, et qui écrit sur la sortie standard l’avis correspondant. Vous utiliserez

Écrivez la fonction initDurée qui renvoie une valeur de type duree initialisée à partir de son paramètre qui indique un nombre de secondes.. Écrivez la fonction compare qui compare

Plusieurs facteurs concourent à l'épanouissement des rapports université – industrie : premièrement, la capacité de recherche et de formation dans

Cela nous a notamment permis d’identifier les moments où s’introduisait une confusion entre données et publication – il arrive en effet que les chercheurs identifient les