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La logique de la recherche vs la logique du marché

Chapitre II: Le désengagement de l'État et la recherche universitaire

2.3. La logique de la recherche vs la logique du marché

Lorsque l'État identifie les politiques de financement scientifique à l'innovation technologique et aux priorités nationales (Ruban, 1988), il s'engage au développement de l'appareil productif à partir de la recherche scientifique; il s'engage aussi financièrement à l'appui de l'activité scientifique réalisée librement à l'université pour faire la place aux politiques publiques, futurs instruments de résolution des problèmes de productivité et de concurrence de l'industrie dans les marchés internationaux.

Voici ce que nous appelons désengagement de l'État, car il s'agit d'une baisse tendancielle de l'argent public dévolu au développement de la science comme activité transparente de la connaissance, afin de la rendre opérationnelle en fonction de l'innovation technologique.

La science industrielle n'opère pas sur le théâtre de la transparence, à la façon de la recherche fondamentale, mais sur celui beaucoup plus opaque de l'information confidentielle. Comment s'étonner qu'on ait pu discerner dans cette distinction économique entre science et technologie: la science produisant les biens publics et diffusant la connaissance, la technologie étant source de biens privés et de résultats soustraits à la diffusion. C'était là une façon de reconnaître implicitement à l'université une fonction de servante de la science et à l'industrie une fonction de pourvoyeuse de la technique ... La privatisation de la recherche met non seulement en cause la libre circulation des idées, elle marque surtout l'avènement d'un nouveau rapport de forces entre l'activité scientifique et l'impératif d'exploitation commerciale, rapport qui profite au second et déstabilise le premier. (Leclerc, 1990: 35-36)

Comme nous l'avons démontré avec les politiques publiques mises en place par les gouvernement fédéral et provincial, l'option a été prise; «l'ère de l'interventionnisme du virage technologique» répondait au credo d'un développement technologique dicté par l'offre. L'État s'était conçu alors comme le leader du mouvement et fixé comme mission de baliser les domaines dans lesquels il rassemblera les universités et les entreprises. La légitimité des actions d'État dans le domaine de la recherche universitaire est réussie. «L'ère» suivante, celle des «subventions de contrepartie» du milieu des années 80, sera le désengagement de l'État dans un esprit de «laisser-faire». Il s'agissait alors d'encourager les associations en fonction des besoins que le marché faisait émerger au nom de la concurrence internationale. C'est ainsi que se consolide le partenariat Université-Industrie, par le

45 biais d'une intervention moins orientée en essence, et plus agressive par rapport à l'objectif envisagé.

Mais l'État fait fausse route lorsqu'il s'obstine à financer des programmes de rapprochement qui encouragent le transfert de la recherche industrielle vers l'université, sous le seul prétexte de réduire les coûts de l'industrie. Les relations université-industrie sont néfastes lorsqu'elles sont comprises comme un simple déplacement vers l'université de l'effort de recherche industriel. (Leclerc, 1990: 34).

Les politiques publiques mises en place pour résoudre les problèmes de l'innovation technologique de l'appareil productif ont rendu l'université très proche de ce dernier, dans un effort de reproduction de ses enjeux industriels, ce que Michel Freitag (1986) appelle «mode de reproduction décisionnel-opérationnel» qui n'est en fait que l'intériorisation des enjeux industriels à l'université. Cette orientation vers la reproduction des enjeux n'appartenant pas à l'université, l'amène vers un univers complexe de nouvelles significations et représentations sociales de son activité par rapport à la société. Complètement gagnée par les enjeux de l'industrie, il n'existe plus pour elle de distance critique possible avec son environnement.

Les enjeux de la recherche universitaire en sciences naturelles, sciences de la vie et sciences de l'administration, se trouvent donc à mi-chemin entre les besoins sociaux et les forces économiques, tendant plutôt vers la reproduction opérationnelle de ces enjeux que vers la production de nouvelles tendances d'options civilisatrices vers lesquelles la société s'orienterait elle-même pour se façonner.

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Conclusion

Dans le présent chapitre nous avons voulu établir comment les relations entre État et université québécoise se sont transformées, particulièrement la mission attribuée à l'activité scientifique universitaire. Tout au long du chapitre, nous avons constaté deux moments importants dans le processus de changement qualitatif des rapports entre l'université, l'État et l'industrie.

- Une première étape, lors de la réforme Parent, où jaillit cet effort social comme une dynamique propre de l'adaptation et de la production des nouveaux enjeux sociaux par le biais de la participation de l'État.

- Une seconde, dans lequel l'État commence à se désengager par rapport aux mission sociales de l'université et du système scolaire. Nous résumons ces idées dans le tableau suivant:

Caractère social

des enjeux Orientation ReformeParent public Adaptationaux besoins

sociauxet production

Années 80 privé reproduction

opérationnelle et adaptation

Le changement mis en oeuvre dans les années 80, et encore en voie de réalisation, se présente comme une fonction directe de l'adaptation aux nouvelles réalités économiques concurrentielles de la société. Pour nous, cette option représente un changement qui vise exclusivement l'adaptation et la reproduction opérationnelle des enjeux du privé à l'intérieur de l'université. Par conséquent, ce fait implique une remise en question de la capacité des universités à contribuer au renouvellement de la connaissance, au renouvellement de l'imaginaire social et du modèle de société, à la participation active de l'université dans la construction sociale du modèle culturel.

Nous pouvons conclure que la transformation de la mission de l'université comme fonction de l'adaptation aux nouvelles réalités concurrentielles de «l'environnement» amène l'université vers un chemin de non production de la société. Si les politiques publiques de la recherche universitaire ne sont pas conçues comme une alternative de production sociale des nouveaux modèles culturels d'appropriation publique, l'université sera conduite à une mutation affectant, non seulement elle-même, «mais [pour] l'ensemble de la société, qui y

perd son dernier lieu institutionnel de synthèse [social] et d'orientation critique» (Freitag, 1995: 30).

Il s'agit alors du recul du lieu institutionnel possédant la capacité de repenser la réalité sociale dans sa dimension civilisatrice, et non pas dans sa dimension quotidienne de l'économique; du recul d'une institution qui pourrait proposer une troisième voie alternative de changement face à la conception unique à la mode: celle de la rentabilité. Une société qui se permet d'abandonner l'université en tant qu'institution de création et imagination du social, est une société hypothéquant à plus ou moins long terme son avenir conceptuel.

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