• Aucun résultat trouvé

UNIVERSITÉ, RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT (URED)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "UNIVERSITÉ, RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT (URED)"

Copied!
27
0
0

Texte intégral

(1)

UNIVERSITÉ, RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT (URED)

Revue pluridisciplinaire

de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis Sénégal

SÉRIE

LETTRES, SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

N° 16 JANVIER 2008

© Presses Universitaires de Saint-Louis ISSN : 0850-2161

(2)

UNIVERSITÉ, RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT (URED) Revue pluridisciplinaire de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal B.P. : 234 Saint-Louis - Tél.(221) 961.19.06/961.17.68 - Télex :75128 - Fax (221) 961.18.84

Email : ured@ugb.sn

La revue URED paraît deux fois par an (janvier et juin)

PRÉSIDENT D'HONNEUR Me Abdoulaye WADE, Président de la République du Sénégal DIRECTEUR DE PUBLICATION : Pr Mary-Teuw Niane, Recteur de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis

COMITE SCIENTIFIQUE

Mwamba CABAKULU (Sénégal) Edris MAKWARD (Sénégal) Abdoullah CISSE (Sénégal) Mawéja MBAYA (Sénégal) Ibrahim Khalil CISSE (Sénégal) Gora MBODJ (Sénégal)

Yves CHARBIT (France) Ahmadou Lamine NDIAYE (Sénégal) Galaye DIA (Sénégal) Mary Teuw NlANE (Sénégal) Souleymane Bachir DlAGNE (Etat-Unis) Modeste NZI (Côte d'Ivoire) Adama DIAW (Sénégal) Youssef OUKNINE (Maroc) Jean-Jacques GERVAIS (Canada) Abdou Salam SALL (Sénégal)

Mamadou KANDJI (Sénégal) Mamadou Moustapha SALL (Burkina Faso) Abdoulaye Elimane KANE (Sénégal Ndiawar SARR (Sénégal)

Babacar KANTE (Sénégal) Ben Sikini TOGUEBAYE (Sénégal) Issiaka Prosper LALEYE (Sénégal) Hamidou TOURE (Burkina Faso) Dominique LAURENT (France) Samba TRAORE (Sénégal) Gane Samb LO (Sénégal) Thierry VERHELST (Belgique) Claude LOBRY (France) Ahmadou WAGUE (Sénégal)

COMITE DE RÉDACTION Rédacteur en chef : Mamadou CAMARA

Membres d'honneur : Issiaka-Prosper LALEYE & Badydallaye KANE Secrétaire de Rédaction : Daouda MAR

Finances : Moussa DOUCOURE Relations extérieures : Gora MBODJ

Composition, Impression et Diffusion : Mamadou Lamine NDOYE, Amsata NDIAYE, Mamadou Youri SALL, Mamadou SY

Secrétaire chargée de l'administration : Awa Tall GUEYE

Couverture : Estampillage et photo (médaillon) de la Bibliothèque de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal.

ABONNEMENTS

Sénégal et Afrique : Abonnement annuel 5000 F. CFA pour les deux séries Abonnement annuel 3000 F. CF A pour une série Autres pays : Abonnement Annuel 25 € pour les deux séries

Abonnement Annuel 15 € pour une série PRIX D'UN NUMÉRO

Sénégal et Afrique : 2000 F. CFA + 1000 F. CFA de frais d'envoi Autres pays : 18 € (frais d'envoi compris)

ABONNEMENT DE SOUTIEN 40 €

Les règlements (virements et mandats) devront être libellés à l'ordre de Monsieur l'Agent Comptable de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis pour le compte de la revue URED : compte n° 9531 790 080 /64 B.I.C.I.S. Saint-Louis, Sénégal.

NB : Les Opinions émises dans les articles n'engagent que leurs auteurs.

Authors are solely responsible for the views expressed in their articles.

© URED Université Gaston Berger de Saint-Louis ISSN : 0850-2161

(3)

SOMMAIRE

Processus aléatoire versus processus non-linéaire dans les cours

boursiers des marchés émergents : le cas de la BRVM ………... 3 Benjamin NDONG

Principes d’identification des mutations socio-culturelles …………...… 37 Sara NDIAYE

Lisibilité de l’œuvre romanesque des frères Goncourt : du paratexte

au texte ………..…….. 61

Amadou Aïssa SY

Chaka : personnage romantique et expression de la negritude chez

Senghor ………... 79

Bassidiki KAMAGATE

Le royaume humain de Ngugi wa Thiong’o dans Petals of Blood .…….. 89 Kasimi DJIMAN

Plaidoyer pour un romancier : Chinua Achebe et la question du genre … 107 Baydallaye KANE

The Role of Milby in George Eliot’s “Janet's Repentance” ... 123 Taofiki KOUMAKPAI

Visual Literature and Emergent Paradigms: The Nigerian Home

Movies, Post-Osofisan Generation and Dialectics of Orientation ……... 133 Diran ADEMIJU-BEPO

(4)

Principes d’identification des mutations socio-culturelles

Sara NDIAYE*

Abstract

The continuous (sustainable) development of paradigms concerning the study of social change leads us to think it is a complex object. One of the main problems is actually the definition of its basic mecanisms. The socio-cultural change is considered here as a total transformation from which the researcher can find out the large aspects of the change.

This article does not intent to reexamine all the analysis already done in the field of sociology, anthropology, political science, history, or some other particular socio- human science. It tries to solve the problem of identification and the definition of a socio-cultural change in order to make the concept less magnetic and more operative.

Résumé :

Le développement continu des paradigmes à propos de l’étude du changement social, nous autorise à penser qu’il s’agit là d’un objet complexe. L’un des problèmes principaux est effectivement la définition de ses mécanismes fondamentaux. La mutation socio-culturelle est posée ici comme une transformation totale à partir de laquelle, le chercheur peut repérer les grandes lignes du changement.

Cet article ne cherche pas à réexaminer l’ensemble des analyses produites en sociologie, anthropologie, science politique ou dans une autre science sociale particulière sur la question du changement social, mais il essaie de résoudre le problème de l’identification et de la définition de la mutation socio-culturelle afin de rendre le concept moins magnétique et plus opératoire.

Introduction

Les approches théoriques dans les sciences sociales et humaines procèdent toujours par des réfutations et des renouvellements d’énoncés déjà élaborés. L’objet de cet article, est de montrer qu’au-delà des clivages et des oppositions de points de vue, il existe des propositions communes aux

* Dctorant en sociologie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.

koromack@yahoo.fr.

(5)

sciences socio-humaines qui peuvent induire des alternatives théoriques interdisciplinaires capables de fournir des réponses à certaines problématiques transversales que posent nos sociétés actuelles. Parmi ces problématiques actuelles qui défient les sciences sociales et humaines, nous présentons ici les mutations socio-culturelles, objet que nous définirons en fonction de notre spécialité – qui se trouve être sociologique – en insistant sur certains principes de base qui nous permettent de les caractériser.

Notre postulat est le suivant : les mutations socio-culturelles sont des mutations totales – engageant les systèmes axiologiques, les configurations sociales, les processus politiques et les trajectoires historiques –, qui résistent à toute élucidation qui refuse de lui accorder une nature intégrale.

Dans cet article, nous nous efforcerons d’identifier, de présenter et de clarifier ces principes à partir desquels, on peut décrire la mutation socio- culturelle.

L’enjeu théorique est de susciter un croisement du regard dans l’examen du changement social, lequel inscrit nos sociétés actuelles dans un perpétuel refaçonnage.

Les principes qui permettent d’identifier une mutation socio-culturelle sont les suivants :

1. La longue durée

Aucun changement ne peut se réaliser en dehors du temps. Une perspective épiphénoméniste rapportée par Michel Puech dans Philosophie en clair. 10 philosophes sérieusement dépoussiérés, Paris, Ellipses Marketing, 1999, 134p, est défendue par Aristote pour qui le changement n’existe pas. Ce sont les choses qui existent et qui changent. Le temps n’est que la dimension mesurable de ces changements. En tant qu’élément de mesure, il permet d’apprécier les transformations observables dans tel ou tel phénomène. S’il constitue le paramètre déterminant, la longue durée permet de s’assurer de la durabilité des transformations. C’est-à-dire qu’à l’intérieur d’une aire culturelle donnée, les changements doivent être ancrés comme de nouvelles manières de vivre durant des générations, de sorte à les intégrer dans les procédés d’apprentissage et de socialisation. Les mutations dans la sphère socio-culturelle ne s’achèvent que lorsqu’elles sont admises et partagées par la collectivité et diffusées par les instances de socialisation. Elles s’accompagnent nécessairement d’une orchestration d’institutions et de structures sociales devant cautionner leur existence. Les crises provoquées dans les univers culturels peuvent également reposer sur des formes de domination explicites comme c’est

(6)

le cas de la colonisation avec ses vecteurs constitutifs que sont l’évangélisation, la scolarisation, l’aliénation, l’exploitation et la réification ou sur des formes de domination implicites. Ce qu’il faut retenir de ces passages, est que les mutations ont besoin souvent de supports institutionnels pour pouvoir s’affirmer durablement. La référence à la situation coloniale est très illustrative puisqu’elle permet de montrer que les sociétés colonisées ont vécu des mutations que des mécanismes institutionnels ont consolidées.

Au-delà de cette évocation du temps comme indicateur mesurant les mutations, il faut aussi avoir présent à l’esprit une autre conception, celle qui le présente comme une condition du changement. Dans l’optique d’un article publié par Issiaka-Prosper Lalèyê (1998 : 251-265) relatif à l’analyse des facteurs qui limitent la capacité développante des sociétés subsahariennes, la question a été posée de savoir quelles sont les conditions du développement.

Issiaka-Prosper Lalèyê1, bien qu’ayant pris par la suite toutes ses distances par rapport au concept même de développement, présente le temps comme condition de développement et donc comme condition de changement. Il apparaît alors comme un paramètre déterminant, mais non comme une cause efficiente du changement, car une telle affirmation conduirait à l’idée très simpliste qui ferait de lui l’agent du changement. Ce qui serait un anthropomorphisme2. Ce sont les hommes qui changent en relation les uns les autres et au sein de leur collectivité. Le changement est un « apprentissage de nouveaux construits collectifs », pour reprendre la formule de Michel Crozier et d’Erhard Friedberg dans L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Le Seuil, 502p. Les mutations sont les ruptures radicales qui s’opèrent à l’intérieur des structures sociales et qui sont porteuses de nouvelles significations. Ces dernières marquent de nouveaux points de départ du refaçonnage des structures officielles. La mutation socio-culturelle est une situation qui met à l’épreuve le paradigme de la reproduction, le fonctionnalisme et le structuralisme où les transformations désignent respectivement un état d’entropie sociale perturbant le fonctionnement d’un système vivant, une situation de déséquilibre fonctionnel dû à la dérégulation du paramètre dominant qui sera inévitablement résolue par la cohérence interne, l’équilibre situationnel et la permanence des structures, et enfin, l’émergence de nouveaux codes dans les systèmes symboliques.

Toutes ces conceptions pratiquent l’oubli d’une donnée permanente : les phénomènes socio-culturels changent constamment par l’émergence de nouvelles significations tout en restant sujets au temps. La temporalité dont il s’agit, est à comprendre au sens que lui accordent Daniel Mercure et Georges Balandier, c’est-à-dire comme un facteur qui mesure et qui conditionne les expériences humaines. Elle permet ensuite, de déterminer les ruptures, les

(7)

permanences ainsi que les rythmes du mouvement. Elle est spécifique à chaque secteur de la vie sociale. Selon Daniel Mercure :

La multiplicité des temps sociaux implique la différence et la pluralité des temps collectifs dans les divers secteurs de la réalité sociale. Dans la pratique, une telle notion permet de dépasser l’illusion de l’uniformité des temps sociaux et surtout de rejoindre le vécu réel des individus et des groupes à travers les différentes situations et expériences sociales. (…) Ainsi, dans une étude portant sur Le temps et la montre en Afrique noire : Problème du temps en Afrique au sud du Sahara, Georges Balandier montre les enchevêtrements complexes entre les temps propres aux divers secteurs de la réalité sociale. L’auteur distingue notamment les temps liés aux mythes et aux légendes, aux activités sociales et aux classes d’âge, aux activités économiques et agraires. (…)

Le premier type de temps réfléchit surtout leurs rapports au milieu ; le second leurs rapports mutuels à l’intérieur de la structure sociale. (Mercure, 1995 : 16-20)

Ce qui nous intéresse est moins la présentation des temps ou des rythmes sociaux car elle est déjà élaborée par Georges Gurvitch dans son texte La multiplicité des temps sociaux, In, Georges Gurvitch (sd), La vocation actuelle de la sociologie, Paris, P.U.F, 1963, t.11, pp 325-340, mais plutôt les productions que les hommes accomplissent dans la quête du changement.

Certaines d’entre elles s’inscrivent durablement et se présentent comme de nouveaux points de départ, de nouveaux repères pour les hommes. C’est ce qui fait que les hommes évoquent le changement en se rappelant, avec nostalgie parfois, un passé lointain ou moins lointain en se référant à une conquête réussie ou à un évènement social, produit par les membres de la société. Par exemple, un vieillard africain pourrait se rappeler des retraits initiatiques dont il a participé en étant jeune, pour évoquer les ruptures radicales qu’il observerait actuellement à propos de ce rite de passage. Mais ce qui est intéressant et qui nous permet de mesurer les mutations, est cette capacité des hommes à se positionner et à poser des repères historiques pour évoquer les transformations vécues. Un individu pourra dire que “je l’ai vécu comme ça” ; ou bien apprécier les changements à partir d’un temps historique bien situé, à la limite même daté. L’allusion faite à ce vieillard africain appréciant avec regret les nouvelles formes d’initiation permet d’affirmer qu’il faut que les mutations soient ancrées et que l’encrage corresponde au moins à un cycle de vie. Une mutation, dans le domaine du social, doit donc avoir l’âge d’un vieillard pour achever sa nature et inaugurer une nouvelle manière d’être et de nouveaux êtres. Si la transformation est brusque et réversible, elle correspond

(8)

à une réforme sociale ; provoquée et subie, elle devient une révolution et lorsqu’elle est radicale et irréversible, elle renvoie à la mutation.

Ces trois formes de transformation (brusque et réversible, provoquée et subie, radicale et irréversible) bouleversent les fondements même de notre vie et affectent fondamentalement le système social :

- La première forme, la réforme, renvoie aux différentes manifestations dans le domaine politique qui font l’objet de difficiles ajustements parce que généralement les nouvelles normalités sont contestées. La loi sur le Patriot Act que le gouvernement américain voulait instituer au lendemain du 11 septembre 2001 a échoué car il se présentait comme une réforme qui ne reposait pas sur un débat de société et qui touchait profondément les acquis sociaux comme la liberté du citoyen et la démocratie. En effet, il s’agissait d’une loi fédérale qui obligeait les fournisseurs et les opérateurs de services de communication à fournir au bureau fédéral d’investigation (FBI), s’il en ferait la demande, les données personnelles de leurs abonnés comme par exemple leur adresse, leurs appels téléphoniques, les objets de leurs e-mails ou encore les sites Web qu'ils ont visités. Cette mesure violait ainsi le premier amendement de la constitution américaine établi depuis 1791 qui stipule que :

Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l'établissement d'une religion ou interdisant son libre exercice, restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou touchant au droit des citoyens de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de leurs griefs.

- La deuxième forme, la révolution, se manifeste lorsqu’une partie de la société est tenue dans des conditions ingrates, elle s’exprime à travers des procédures peu conventionnelles et d’une pression soutenue. L’exemple de la saisie et de la redistribution des fermes des blancs aux exploitants noirs en Zimbabwe est une illustration. Cette mesure est une initiative qui ambitionne de redéfinir la propriété et l’exploitation foncière dans un pays où la puissance économique est l’apanage des fermiers blancs tandis que le poids démographique est exclusif aux noirs. Finalement, la mesure fut adoptée dans un bain de sang.

- La troisième forme se caractérise par l’émergence de nouvelles significations qui ne sont pas intégrables, ou pas encore, dans les structures préexistantes. Mais la capacité d’assimilation et d’accommodation de la société et des individus est telle que l’articulation puisse être réalisée et devenir un frein à la transformation radicale. Par exemple, l’avènement de l’Etat social assistantialiste en France au lendemain de la Révolution de 1789 n’a pas pu résoudre la question sociale. Didier Vrancken et Claude Macquet3

(9)

ont bien analysé la persistance de la question sociale qui s’est métamorphosée en précarité malgré l’interventionnisme de l’Etat social.

Dans les cas où la transformation devient radicale et s’inscrit dans la longue durée, on parlera alors de mutation. Toutefois, la temporalité ne saurait être le seul paramètre permettant de définir une mutation dans le domaine du social et du culturel, il faut aussi que la transformation induise de nouvelles fonctionnalités et de nouvelles normalités.

2. L’émergence de nouvelles fonctionnalités et de nouvelles normalités Une mutation socio-culturelle s’accompagne d’un faisceau de fonctions et de normes qui bouleversent les fonctionnalités et les normalités préexistantes. Le cas des retraites initiatiques évoquées ci-dessus permet de le montrer. En effet, le fait de renoncer à ce rite culturel pendant la circoncision au profit d’une vie initiatique menée en famille n’est pas sans effets vis-à-vis de la fonctionnalité originelle du rite en question. Les parents de l’enfant circoncis estimeront que le milieu familial constitue le cadre le plus sûr pour veiller à l’évolution de la “blessure” de l’enfant remettant ainsi en cause la pertinence de l’initiation. La normalité subséquente à cette attitude consiste en l’établissement de nouvelles dispositions de surveillance de l’enfant où femmes, médecins et aînés joueront un rôle indispensable. Il était impensable en Afrique, il y a seulement un demi-siècle d’intégrer les médecins encore moins les femmes dans la circoncision. Les nouvelles normes bouleversent les habitudes des individus. D’ailleurs, avec les mutations socio-culturelles nous n’avons pas les mêmes individus du début jusqu’à la fin. C’est toujours une génération qui l’introduit et une autre qui la consolide et la perpétue. Les ruptures ne se réalisent qu’au fil des générations. Nous assistons à une réalisation jamais achevée de notre humanité, les évènements les plus surprenants se déploient sans limite provoquant une négation identitaire puisque tout se propage, se communique à travers de puissants supports médiatiques que les hommes ont créés, mais qui échappent à leur contrôle.

Si l’on considère le processus de mutation du point de vue de la société, il est tentant sinon exact d’affirmer qu’il se réalise toujours en heurtant la mémoire ancienne. La mutation socio-culturelle suppose que ce qui existe déjà n’est pas toujours efficace pour garantir la satisfaction des nouvelles urgences. Du coup, il faut chercher d’autres espaces de sens, d’autres espaces d’adhésion et inventer de nouvelles manières de faire avec de nouveaux systèmes de légitimation. La mutation socio-culturelle a besoin de s’appuyer sur une argumentation solide pour triompher, et les récits sociaux sont ancrés dans les univers symboliques (légendes, mythes, contes…) de façon telle qu’il faut élaborer de nouveaux

(10)

univers symboliques pour introduire avec succès un projet de transformation radicale de la société. En discréditant ces univers symboliques, on s’attaque au système de normalisation des pratiques humaines. « L’inédit », « l’incertitude » et « la mise en péril » qu’évoque l’anthropologue français, Georges Balandier4 illustrent toute l’ambiguïté des mutations socio-culturelles :

« L’inédit » apparaît à tout moment, en tout lieu et reste intimement lié aux réalisations nouvelles qui ne trouvent pas leur signification dans le vécu présent des hommes. Les mutations sociales constituent des expériences concrètes où l’innovation est présente et renvoie paradoxalement à une solution qui n’a jamais fait l’objet d’une expérience vécue mais qui se présente quand même comme une solution. A travers le nouveau, la mutation se pose comme alternative sans avoir fait ses preuves. Ce paradoxe mérite qu’on s’y attarde. En effet, une mutation socio-culturelle laisse entrevoir que la situation préexistante est insatisfaisante et qu’il faut inventer de nouvelles formes d’action susceptibles de régler les problèmes existentiels, mais les actions envisagées n’ont jamais fait l’objet d’expérimentation.

« L’incertitude » apparaît avec cet écart manifeste constaté entre ce qui est vécu et jugé peu convainquant et ce qui est voulu sans être expérimenté mais considéré comme meilleur. Par rapport aux nouvelles manifestations sociales et culturelles observées dans les sociétés contemporaines, l’incertitude correspond à cette incapacité d’affirmer sans ambiguïté que les solutions expertes obtenues grâce à des combinaisons complexes sont celles qui installent l’humanité sur le chemin du bien et non celui du désastre et de la déperdition. Ce qui est angoissant dans le contexte actuel de mise en mouvement général de la société et de la culture est cette incapacité de maîtriser les domaines de l’humain ainsi que ses productions. L’identité et la culture deviennent des objets complexes. En effet, les identités sont devenues plus confuses du fait de leur déconnection de plus en plus notoire avec leur substratum géographique. C’est ce que désigne mal le terme “citoyen du monde” qui appelle à une redéfinition plus holiste oubliant que les identités, ou si l’on préfère les citoyennetés, ont toujours un ancrage territorial même si cela ne suffit pas pour spécifier une appartenance à un morceau d’humanité.

« La mise à l’épreuve » des structures sociales fondamentales comme les corporations, les classes sociales ou les stratifications sociales que les sociétés actuelles tendent nostalgiquement et avec beaucoup de mal de réincarner à travers les mouvements associatifs à caractère professionnel, constitue une manifestation observable de la dérive culturelle que nous sommes en train de vivre et à laquelle nous sommes peu préparés faute de connaissances systématiques. La déstructuration ne se limite pas seulement aux structures sociales, elle est également présente dans les structures de pensée et

(11)

correspond bien ce que Aminata Traoré appelle « le viol de l’imaginaire »5. Dans les sociétés africaines où l’essai est une règle générale, le sociologue et théologien camerounais, Jean-Marc ELA se demande :

Comment penser l’Afrique à partir du doute qui envahit les intelligences contemporaines au sujet des mythes liés à l’aventure occidentale, aux structures de pensée, aux systèmes économiques et aux trajectoires de l’imaginaire qui, depuis la révolution industrielle notamment, ont inversé le cours de l’histoire humaine ? (ELA, 1998 : 29).

Les mutations sociales et culturelles comportent toujours une part d’innovation, de doute et de déstructuration qui doit nous pousser à aborder les sociétés comme des formations sociales « approximatives » et dont la vraie nature est loin de l’image que présentent « les structurelles officielles ». La sociologie des mutations dont le plus grand défenseur est Georges Balandier, pour avoir dirigé il y’a plus d’une trentaine d’années un ouvrage collectif portant sur le même thème, tente d’apporter des réponses aux multiples questions posées par l’avènement des sociétés où les formations sociales créent collectivement du sens, exercent mutuellement de la puissance et participent toutes à la « définition toujours à reprendre » de la société.

Pour revenir aux principes fondamentaux permettant l’identification d’une mutation socio-culturelle, nous avancions qu’elle repose sur l’affirmation de nouvelles normalités et fonctionnalités. En effet, il ne saurait exister une mutation sociale et culturelle là où les institutions sociales et les univers symboliques offrent des réponses complètes aux problèmes que se posent les hommes seuls ou en groupe. L’introduction d’un élément culturel correspond toujours à une quête de réalisation que les structures existantes ne peuvent garantir. Par exemple, si les occidentaux ont propagé l’Evangile et l’école dans les sociétés colonisées, ce n’était nullement pour une action salvatrice, mais pour mieux asseoir leur domination et aliéner au moyen d’une violence symbolique ou d’une violence tout court les populations indigènes. Si la première idée était juste, les occidentaux auraient dû quitter leurs colonies une fois que l’évangélisation et la scolarisation aient atteint un certain seuil d’irréversibilité. L’école et l’Eglise ont provoqué une mutation sociale et culturelle que nous, gens d’anciennes colonies, continuons à perpétuer. Ce qui est important de souligner par rapport à cette situation coloniale, c’est l’introduction et l’affirmation d’un nouveau système axiologique. Vers la fin de l’aventure coloniale, il était devenu rare d’observer dans les milieux intellectuels africains des mouvements de revendication qui s’inspirent des enseignements religieux d’El Hadji Omar Tall, d’Amadou Cheikhou, de Maba Diakhou Bâ ou de Cheikh Ahmadou Bamba. Les références furent Karl Marx et

(12)

Lénine et les nouveaux systèmes de référence étaient des doctrines philosophiques comme le marxisme-léninisme ou d’autres formes d’idéologies.

En pays Congo, nous avons eu des mouvements messianiques autour de Simon Kimbangu, André Matswa et Patrice Lumumba. Ces nouvelles références engendrées par les mutations sociales et culturelles provoquées par la situation coloniale occasionnent un changement radical dans les colonies avec l’émergence de nouvelles socialités. Par endroit, les dérives ont été très fortes.

C’est le cas de la Guinée Conakry qui a obtenu son autonomie relativement plus tôt que les autres Etats, sans avoir les moyens de son révolutionnarisme.

L’Afrique de mouvance coloniale a subi une histoire douloureuse qu’il n’est pas opportun de rouvrir ici parce qu’elle renforce la vision afro- pessimiste et la relation victimaire qui la justifie. Convenons-nous simplement sur le fait que les mutations sociales et culturelles héritées de la colonisation reposent sur de nouvelles normalités. Ces dernières ne sont pas à calquer selon le modèle Durkheimien relatif à la distinction du normal et du pathologique qu’on peut lire dans Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1895, 334p. Nous entendons par normalité, l’ensemble des références axiologiques à partir desquelles, les hommes justifient leurs actions et tentent de déjouer les contraintes existentielles en façonnant de nouvelles normes.

La normalité est un principe fondamental pour l’identification d’une mutation socio-culturelle car elle suppose que les actions novatrices soient perçues comme des réalisations qui reposent sur des nouvelles règles. Dans les cas où les transformations dans la sphère sociale et culturelle n’aient pas été sous-tendues par un système de valeurs solides, le changement risque de n’être qu’un épisode mineur, un simple effet de mode. Cette approche qui consiste à partir des référents axiologiques pour appréhender l’action sociale n’est pas très répandue dans les sciences sociales et humaines, pourtant elle est profondément heuristique. Les valeurs étant ce que les individus partagent et défendent au-delà des égocentrismes particuliers. Elles s’appuient sur l’imaginaire des gens lui-même étant un élément du complexe culturel. La culture offre à l’individu la matière première à partir de laquelle, il réalise ses conquêtes avec d’autres individus. Elle ne signifie pas seulement ce que les individus produisent et partagent, sous la forme de données matérielles ou immatérielles, il est également la structuration des schèmes de perception et d’action reproductibles que les hommes réalisent sur le monde social à la lumière des expériences que leur mémoire ait permise de fixer comme ressource en puissance. La fonction de la culture est donc fondamentalement pratique. On aurait du mal à accepter une culture passive ou froide – les ethnologues qui ont essayé de la poser se sont fourvoyés6 – pour la simple raison qu’elle est une production des hommes, sur la base de significations et

(13)

de symboles qui les mettent en mouvement. Toutefois, le mouvement de la société ne repose pas toujours sur l’acceptation de toute initiative proposée par les hommes. L’initiative est souvent l’objet de prise de position avec des enjeux spécifiques. Les systèmes culturels opèrent des sélections pour intégrer tel élément et rejeter tel autre. C’est le système normatif en vigueur qui régit cette sélection. La transformation du système culturel repose effectivement sur l’émergence et l’affirmation de nouvelles règles qui régissent l’acceptation ou le refus d’intégrer une pratique (culturelle) donnée. Par exemple, on pourra parler à propos de l’interdiction de l’excision au Sénégal, qu’il correspond à la définition d’une nouvelle normalité qui ne s’appuie plus sur le socle culturel des ethnies qui l’adoptent, mais sur la législation formelle. Et c’est à partir d’un nouveau référent culturel (la loi) que s’effectuent l’appréciation et l’interdiction de l’excision. Dans ce cas précis, le système de légitimation n’est plus la tradition ou l’histoire légendaire et glorieuse des groupes sociaux, il devient les lois établies par l’Etat. On peut néanmoins supposer que dans les situations où la construction de l’Etat n’est pas un héritage suscité du dedans mais une invention de l’Autre, qu’il y’ait des mesures institutionnelles qui ne satisfont pas aux peuples en place. Les résistances sociales observées ça et là par rapport aux mesures institutionnelles s’exprimant par le biais d’un refaçonnage de la tradition méritent d’être analysées sous le prisme du conflit identitaire et culturel. Identitaire, parce que les hommes agissent toujours en affirmant leur identité et réagissent vigoureusement lorsque celle-ci est mise à l’épreuve par une influence extérieure. Culturel, car les problèmes que pose l’articulation hommes/institutions sont d’ordre symbolique et touchent profondément la légitimité culturelle des institutions. A chaque fois qu’une mesure institutionnelle est proposée aux hommes, il est soumis au tribunal culturel, et c’est par rapport à l’ordre culturel que son acceptation sera effective. De même, lorsque les résistances par rapport aux mesures proposées ou imposées deviennent inefficaces, la réaction sociale prend la forme d’un mouvement émancipateur. L’expression la plus virulente de cette réaction sociale est le mouvement messianique7. C’est ce que nous avons observé durant la période coloniale au Congo-belge où les populations faisaient circuler des Evangiles selon Patrice Lumumba, en Chine maoïste où les chinois brandissaient le petit livre rouge de Mao Tsé Toung. Georges Balandier a bien analysé les effets normatifs des engagements religieux, lorsque la ferveur religieuse (donc symbolique) est investie au service de la réorganisation de la société. Il nous apprend que :

Dans les sociétés où la dissidence s’élargit sans avoir la possibilité effective de remettre immédiatement en cause l’ordre établi, la contestation s’appuie d’abord sur l’imaginaire social.

(14)

Elle tente d’organiser la bataille du sens et de la puissance, elle se construit selon un modèle messianique. (Balandier, 1971 : 83).

La normalité et la fonctionnalité sont deux paramètres à partir desquels, une mutation socio-culturelle peut être définie. La normalité permet de dégager de nouvelles références axiologiques fixant les modalités à partir desquelles, le processus doit s’opérer. La fonctionnalité précise à quel point les promesses véhiculées par le projet de transformation d’une partie du socle culturel ou sa totalité permettent la satisfaction de certains besoins exprimés. Mais fonctionnalité et normalité ne donnent des explications quant au déroulement de la mutation socio-culturelle, un processus différent de celui qu’on observe dans une cellule organique. Dans le domaine socio-culturel, il est radical et irréversible.

3. La radicalité et l’irréversibilité du processus

Une mutation sociale se distingue de la réforme sociale, du changement social et de la révolution par quelques propriétés spécifiques que nous déclinerons dans les lignes qui suivent.

Mutation, réforme, changement et révolution constituent des processus de transformation de la réalité. La différence apparaît toutefois au niveau des modalités, du rythme et des univers de transformation.

Les modalités de transformation

Lorsqu’il s’agit de la réforme sociale, c’est toujours à la suite d’une décision élaborée par une autorité politique, aux prises avec une demande sociale forte, pour l’amélioration d’une situation peu confortable. Il consiste plus en un réajustement dans l’aménagement des conditions d’exploitation des ressources sociales, dans l’établissement de nouvelles normes et dans la révision des pratiques que d’une remise en question radicale de l’ordre préexistant. L’expérience zimbabwéenne8 en matière de réformes agraires permet de monter que ces dernières sont généralement sectorielles, brusques et leur issue incertaine. Ses promoteurs introduisent de nouvelles mesures et de nouveaux procédés en réaction à une demande sociale devenue débordante et assoiffée de propositions concrètes et urgentes. La réforme sociale est contingente, imprévisible et partiale. Elle n’affecte pas la totalité du système social, mais elle est destinée à réajuster un secteur de la vie sociale où persiste une insatisfaction. Sa finalité est la recherche de l’efficacité là où les défis présents imposent une réaction innovante. Les besoins sociaux hic et nunc constituent son objet. Ses conséquences sont évaluées dans le court et le moyen terme. Le fait également que les réformes sociales soient élaborées et

(15)

proposées par certains privilégiés (les réformistes) montre qu’elles ne reposent pas sur un véritable débat de société et qu’elles débouchent timidement sur un projet de société. La réforme sociale se crée toujours un chemin sur les cendres du conservatisme défendu par un pan de la société.

Le changement social est perçu comme l’émergence de nouvelles significations sociales, politiques et économiques permettant aux hommes d’effectuer des réalisations plus fécondes qui propulsent la société dans une nouvelle forme d’organisation sociale. Il suppose la réorganisation du système social avec l’affirmation de nouveaux procédés destinés à garantir l’efficacité, l’aménagement de l’espace politique pour permettre l’expression et l’accomplissement des individualismes concurrents et l’amélioration du domaine de la production garantissant la sécurisation des personnes, des biens et des parcours de vie. Le changement social repose sur la créativité des initiatives et sur la fécondité des modes de production collectivement élaborées dont on peut trouver par décantation la dynamique et la flexibilité des structures sociales, politiques et économiques en place. En effet, le changement social se réalise délicatement dans des sociétés présentant des structures sociales, politiques et économiques opaques, rigides et conservatrices. Le renouvellement de la société suppose en effet une certaine permissivité ou plasticité des structures9 dans lesquelles évoluent les individus.

Le déterminisme structurel est toujours présent malgré l’euphémisme de certains auteurs qui préfèrent parler de « dualité du structurel10 », de

« changement de structure11», d’ « apprentissage de nouvelles formes d’action collective12 », de « destruction créatrice13 », etc. Le changement social est toujours, pour reprendre la formule de Georges Balandier « la succession des différences dans le temps, mais à l’intérieur d’une identité qui se maintient » (1971 : 90) et découle uniquement des structures en place. Au-delà du fait qu’il suppose une transformation observable du système d’organisation sociale qui ne soit pas que provisoire ou éphémère, mais durable, le changement social repose également sur « le désir de changer » des acteurs. Cette dimension psychologique est peu traitée dans la mise en perspective sociologique du phénomène. La seule tentative, à notre connaissance, nous semble être celle de l’analyse stratégique proposée par Michel Crozier et Erhard Friedberg dans leur ouvrage paradigmatique déjà évoqué dans lequel, le changement désigne l’apprentissage de nouveaux jeux, de nouveaux construits collectifs. En effet, différents acteurs y participent à des degrés divers en actualisant leur marge de manœuvre et leur aptitude à déjouer les contraintes systémiques au moyen de leur créativité. Toutefois, le déterminant principal reste le désir de changer.

(16)

Le système socio-culturel laisse entrevoir des mécanismes sociaux qui assurent la reproduction du système et des propriétés structurelles qui commandent le mouvement et le devenir du système en question. Dans un contexte de changement social, c’est le système social qui prône le statu quo tandis que la structure sociale permet le mouvement. En fonction des sociétés, les cadres sociaux fondamentaux tels que la religion, le lignage, la famille ou la classe sociale, ont souvent tendance à défendre les acquis tandis que les réseaux de relations sociales (clientèle, partenariat, aide, intervention) favorisent des accomplissements nouveaux. Les modalités par lesquelles se réalise le changement social sont à rechercher dans les pratiques des hommes puisque ce sont ceux qui, en fonction de leur désir de changer, adoptent telle ou telle innovation. C’est par rapport à la demande sociale que se définissent les voies par lesquelles s’exprime le changement. Il peut résulter aussi d’un conflit, de la violence, de la guerre ou du développement de la production matérielle, intellectuelle, technologique, etc. Même si le changement social se conçoit, avec plus ou moins de véracité dans les esprits, comme l’accès à une meilleure humanité, il n’en demeure pas moins exact qu’il repose fondamentalement sur des crises. L’acteur social voit à travers le changement les limites historiques et les conséquences de sa créativité. Quoi qu’il en soit, le changement social repose toujours sur la créativité des hommes, sur la relative flexibilité des systèmes sociaux et sur la dynamique des structures sociales.

La révolution correspond elle à un mouvement social, une manifestation vigoureuse des hommes décidés de rompre avec une situation d’existence inconfortable que les tireurs de ficelles maintiennent aux moyens de la violence dont ils ont le monopole de l’exercice. Elle est toujours un bras de fer entre l’aile conservatrice minoritaire et une grande partie de la société tenue dans des conditions beaucoup plus ingrates. Elle s’exprime à travers des formes peu conventionnelles, une désobéissance civile et une demande de renversement de l’appareillage politique. La révolution est toujours provoquée. Elle n’est pas subie. Elle ne provient pas d’un processus harmonieux mais d’une rupture brutale avec l’ordre social existant. Sa radicalité est axée sur ses moyens d’expression souvent très passionnées. Aussi, le résultat produit (la révolution) peut être perturbé par une contre-révolution. Or, la mutation sociale et culturelle est un processus achevé, une transformation complète.

Les rythmes de la transformation

Les épisodes qui ponctuent le mouvement de la transformation sont spécifiques aux réalités changeantes. Dans le domaine socio-culturel, sans retomber dans la lecture évolutionniste, la transformation s’effectue par complexification croissante. Les propriétés socio-culturelles nouvelles n’impliquent pas

(17)

véritablement la mort des propriétés socio-culturelles préexistantes, celles-ci restent toujours fonctionnelles malgré le changement. D’ailleurs, le socio-culturel est constitué d’éléments identitaires ancrés qui lui assurent une capacité de survivance même dans un contexte de mutations. La France sous l’Ancien Régime est un exemple. En effet, malgré la révolution politique de 1789 qui mettait à l’épreuve le pouvoir religieux au profit d’un ordre plus égalitaire, l’Eglise a continué d’exister et d’être un cadre structurant la vie sociale. Elle reste l’institution de base qui régit certains évènements fondamentaux (le mariage et les funérailles par exemple) même si d’autres institutions lui emboîtent le pas en fixant des conditions de la légalité et de la légitimité des actes. Le mariage civil devant l’autorité républicaine à la mairie n’aboli pas le mariage religieux. Les registres paroissiaux gardent toute leur fonctionnalité.

Le socio-culturel repose sur un encrage identitaire et sacralisé qui lui garantit une certaine durabilité qui ne peut être domptée que par un mouvement social brusque à l’image de la réforme sociale et de la révolution.

La seule façon d’opérer des transformations dans le domaine socio-culturel sans provoquer un désordre est de se fonder sur l’orientation collective créatrice d’innovations. L’innovation collectivement élaborée engendre un changement qui dévoile ses enjeux ainsi que ses moyens. Si le changement est commandé par quelques individualités (fussent-ils encore les mandataires de la masse) ou une élite quelconque, les résultats produits restent mitigés car l’orientation de départ est généralement détournée par des ambitions de réalisation de soi et une tentative de monopolisation du droit à la parole et à l’action. Le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) branche guinéenne naissant au début des années 50 sous la houlette de Sékou Touré et de Madeira Keïta proposait une rupture radicale dans la manière de gérer la Guinée. Le slogan de ce « parti-Etat » était : Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. A partir de ces projets de transformation de l’organisation sociale scandés sous forme de slogan, les instigateurs se sont lancés dans un révolutionnarisme qui finalement était devenu un rendez-vous manqué. On ne change pas une société ou une culture par des slogans, mais par un travail soutenu et une orientation collective matérialisant les aspirations collectives dont les enjeux sont clairement identifiés et les moyens bien déterminés et mobilisables laissant prévisibles les résultats. La réforme sociale et la révolution ont ceci en commun : elles reposent plus sur des aspirations d’une catégorie sociale à satisfaire hâtivement que sur un processus lent et prévisible, piloté par tous. Ensuite, elles se caractérisent par la promptitude des évènements faisant l’objet d’un procès populaire - au grand mépris du présent, au regret du passé et à l’inquiétude par rapport au futur -, une fois les résultats non conformes aux objectifs recherchés.

(18)

Les réformes sociales sont élaborées généralement dans les coulisses de la société et les révolutions constituent des formes d’expression virulentes qui rendent peu probables les compromis car étant définis sur la base des émotions et des passions très fortes.

Les mutations sociales conduisent au changement social. Elles réconcilient les trois temps historiques qui structurent la vie des hommes et des communautés : elles s’inscrivent d’abord dans la quotidienneté car ce sont les hommes et les structures qui s’activent et provoquent les mutations ; elles reposent ensuite sur l’élaboration de nouvelles configurations sociales qui ont leur fondement dans les expériences passées, et enfin elles incarnent un nouveau modèle de société porteur d’espoir.

C’est à travers ces trois temps qui structurent notre vie que s’effectuent les mutations sociales et culturelles. Chaque mutation observée dans la sphère sociale et culturelle façonne de nouveaux individus et de nouvelles structures qui constitueront de nouveaux points de départ. La société et la culture reposent alors sur des définitions toujours à reprendre. Ce faisant, elles s’inscrivent dans l’approximatif. Toute analyse qui ne prendrait pas en compte cette situation de définition continuelle de la société et de la culture ne peut que produire des connaissances écumeuses sur le changement social. Les hommes sont toujours capables de produire de nouveaux modèles de société compte tenu des immenses inventions qu’ils réussissent à accomplir dans les différents secteurs de la vie.

Le changement social place les individus et l’ordre culturel dans une situation de redéfinition puisque des propriétés nouvelles viennent se greffer dans les cadres socio-culturels et mettent les identités individuelles et collectives dans une instabilité permanente. D’ailleurs, les identités individuelles et collectives ne sont plus définissables à partir de substratums fixes (le territoire, le corps, la couleur, le groupe social), elles se définissent de plus en plus par rapport à des variables tels que l’idéologie, la religion, la secte, le régime ou le système de production. Les mouvements identitaires deviennent alors très difficiles à canaliser et à maîtriser du fait de la démultiplication des espaces d’adhésion et de la pluralité des espaces de sens. L’individu est devenu un être en situation et son appartenance à une culture devient imprécise à cause d’une socialité14 qui se définit par son caractère réseauté.

Les rythmes de transformation s’intensifient au fur et à mesure que se forment les flux transnationaux. En effet, au niveau des structures sociales existant à l’intérieur des Etats, le processus de transformation est moins intense et s’opère en fonction des conjonctures et des demandes sociales qui ne trouvent de moyens de satisfaction que dans la rupture avec l’ordre social ou culturel existant. Ces demandes sont plus ou moins simplifiées car elles restent intimement liées au tragique et facilement identifiables. Par contre, lorsqu’il

(19)

s’agit des flux transnationaux, non seulement nous avons affaire à un brassage d’individus issus d’horizons et de cultures différents, mais engagés dans la quête d’un mieux-être qui reposent sur des exigences éthiques (droits de la personne) qui n’ont pas un encrage territorial. Le changement souhaité s’organise au-delà des frontières entre les Etats. Les transformations suscitées sont l’œuvre de réseaux d’acteurs coalisés défendant des principes éthiques non négociables, utilisant la propagande et la dissuasion comme instruments de lutte.

La mutation socio-culturelle au niveau étatique est souvent un processus lent tandis que celle qui s’opère au niveau transnational est rapide. Plus le réseau de relations s’élargit, plus le mouvement s’exprime facilement grâce à la concurrence, à l’accaparement et aux enjeux multiples. Le changement opéré devient relatif à la brutalité des manifestations et à la diffusion, à temps réel, de l’information qui permet la connaissance du mouvement et du vécu des autres populations. L’information obtenue grâce à la mobilisation des moyens matériels et immatériels colossaux attise le mouvement de la revendication et de la participation aux redéfinitions des modes de vie.

La place de plus en plus importante de l’information dans le processus de changement des modes de vie, pose le problème du repérage des lieux du changement. L’information et ses canaux immatériels alimentent les mouvements sociaux. La référence au cadre géographique ne permet pas de rendre compte du mouvement des sociétés. Ces dernières sont devenues des formations en réseaux où l’historicité se constitue également dans l’immatérialité. La maîtrise et le monopole de l’immatériel sont devenus des enjeux géopolitiques, un moyen de connaître le mouvement des autres communautés.

Les lieux de transformation

L’espace socio-culturel est difficile à délimiter à cause des frontières artificielles établies qui ne suivent nullement les frontières naturelles. Le territoire n’est plus un paramètre rigoureusement pertinent de quadrillage ou de délimitation des sociétés et des cultures à cause des flux transnationaux qui bafouent les territoires, nient les spécificités socio-culturelles au profit d’un arbitraire culturel que les nouvelles féodalités incarnent15.

Les lieux où se déroule l’exercice des rapports de forces qui commandent le devenir des sociétés ne sont pas spécifiquement les structures sociales concrètes, ils concernent également les cadres transnationaux.

Néanmoins, on peut identifier quelques lieux où se développent les restructurations. Il s’agit des sphères de l’organisation sociale, de la conception sociale et de la production sociale.

(20)

1) Les sphères de l’organisation sociale concernent les lieux d’élaboration et de prise de décisions ayant une légitimité et une légalité sociales et/ou institutionnelles. Dans ces lieux, on y parle au nom de la société et on prend des décisions qui engagent au plus haut degré son avenir. En proposant des initiatives ou des projets de société inédits qui ambitionnent de résoudre des insuffisances dans tel ou tel domaine, les promoteurs du changement installent les peuples dans une situation d’acceptation du changement. Leurs projets ont plus de chance d’attirer l’attention et de bénéficier de l’adhésion de la population lorsqu’il touche aux urgences sociales. C’est au niveau des ensembles macro sociaux que les initiatives transformatrices de la société prennent leur impulsion et orientent le mouvement de la société. En effet, une famille piloterait difficilement le changement social, un lignage probablement, une association fédérative potentiellement, les institutions politiques certainement. Ces configurations sociales ne sont pas sans doute séparées dans une société, mais elles se rapportent à des réalités qui potentialisent un pouvoir de transformation de la société très inégal. De la famille aux institutions politiques, ce qui est important et qui est la trame de tout mouvement social destiné à redéfinir l’ordre social et culturel, c’est la capacité de mobilisation de la masse. Une famille n’arrivera à la réussir réellement que lorsqu’elle se fonde sur d’autres logiques que la logique parentale, lorsqu’elle monopolise des sources de pouvoir comme la religion, le capital financier et/ou la maîtrise des savoirs. Ce sont plutôt les institutions politiques à l’instar des partis politiques, les appareils d’Etat et la société civile qui sont des groupes de pression les plus puissants pour faire la promotion de nouvelles normalités.

Leurs contributions ne s’effectuent pas de façon anarchique, elles sont discutées afin de s’assurer de leur concordance aux situations. Dans l’arène politique, lieu le plus dense en coups et en rapports de force, les acteurs ont la capacité d’exalter le peuple pour asseoir un changement.

En s’engageant également dans l’action de satisfaire des urgences sociales, certains acteurs se spécialisent dans le changement social et s’activent dans plusieurs maillons de la chaîne des structures sociales. Par les projets sectoriels et les mouvements associatifs, ils encouragent la diffusion des innovations. C’est dans le champ du développement que les activités créatrices sont les plus soutenues. Elles instaurent constamment des ruptures avec les habitudes sociales et s’appuient sur les innovations à forte capacité déstructurante. Le développement est le champ où les configurations sociales sont sans cesse renouvelées, les initiatives et les alternatives constamment réinventées, où l’insatisfaction impose l’inventivité et où le voulu a plus d’audience que le vécu. Dans les sociétés comme la nôtre, où le langage- développement constitue le discours dominant l’espace public, attirer les individus autour des projets est relativement facile. Il suffit tout simplement de

(21)

gagner le pari de l’immersion et de présenter une nouveauté porteuse d’espoir pour que la machine sociale se mette en branle. La psychologie locale est souvent très ouverte aux propositions sous couvertes du développement.

Il existe aussi d’autres lieux où les activités de transformation de la société et de l’ordre culturel sont très denses. Elles concernent les sphères de la conception sociale.

2) Les sphères de la conception sociale désignent l’ensemble des espaces où les hommes élaborent les stratégies concrètes pour satisfaire leurs exigences quotidiennes. La sphère de la conception la plus dynamique est à notre avis celle qui touche au domaine du vivant, c’est-à-dire le biologique.

C’est un secteur qui réussit des accomplissements incomparables garantissant aux vivants une quasi-immortalité. Des combinaisons sont constamment inventées et exportées à travers les sociétés humaines du monde entier à tel point que les hommes, les animaux et les végétaux bénéficient d’une plus grande longévité et d’une plus grande résistance impensable il y a un demi- siècle. Les lieux de conception correspondent aussi aux cadres où se déroulent les conquêtes. La terre n’est plus le seul lieu de l’homme. La découverte du monde hertzien, des méandres du système solaire et des autres planètes a produit une véritable révolution géographique. Ce qui se passe dans ces nouveaux mondes fascine. Les produits issus de ces nouveaux mondes (images, informations, connaissances, énergies, etc.) font l’objet d’une consommation très soutenue au niveau des sociétés. Le Global Positioning System (GPS)16, la Frequency Modulation (FM) et la Amplitude Modulation (AM)17, le Système d’Information Géographique, la télédétection et l’Internet constituent des outils qui potentialisent du pouvoir et de la puissance, et accentuent le mouvement des sociétés. Ce qui est fascinant avec ces outils de la conception est la connaissance que chaque société a de son propre mouvement et de celui des autres sociétés. Il y a plus cette inscription nécessaire dans les territoires pour avoir le commandement sur telle ou telle activité. La délégation du pouvoir devient une routine puisque les moyens de communication le permettent. Cette gestion par la délégation et la multiplication des réseaux sont devenus de véritables phénomènes de société.

La production des outils s’effectue à partir des circuits différents des modèles taylorien et fordien, elle s’appuie sur le commandement à distance. Presque qu’aucune société n’est épargnée par cette orientation télécommunicationnelle, ni ne peut se constituer en dehors d’elle. Nous sommes dans des sociétés en réseaux où la communication intersociétale est une donnée permanente et commande les mouvements des sociétés. Les cultures et les sociétés cessent d’être définies par rapport au substratum géographique, mais par rapport à leur enchevêtrement et leur fusion dans l’universel. Cette fusion s’effectue parfois

(22)

de façon critique car certaines communautés parviennent à résister aux propositions culturelles étrangères en développant des conceptions rebelles à l’universel, l’universel étant entendu ici comme l’articulation des sociétés autour de quelques valeurs communes.

3) Les sphères de la production sociale concernent l’ensemble des cadres sociaux où s’effectue la production des ressources matérielles et immatérielles dont ont besoin les membres d’une société pour vivre et survivre en communauté. La production matérielle est orientée vers la santé, la technologie, l’alimentation, l’habillement, l’habitat, le luxe, etc. Elle est assurée de nos jours par les industries, les firmes, les entreprises et les multinationales. Nous avons là les facteurs de production les plus créatifs, les plus inventifs, les plus brutaux aussi, qui potentialisent une énorme puissance de transformation des sociétés entières et mettent à l’épreuve l’ordre social par une production continue de produits culturels inédits, à une vitesse extraordinaire. La production immatérielle concerne les savoirs, l’information, la communication, l’atomique, l’optique, l’imagerie, etc. Elle est monopolisée par les Etats et les multinationales détenteurs de grandes centrales technologiques et leurs succursales sont présentes un peu partout. Toutes les sociétés sont mises à l’épreuve soit par cette modernité incontrôlable soit par une quête de modernité difficile à satisfaire.

Lorsque l’activité de production des objets matériels et immatériels s’intensifie dans une société donnée ou lorsqu’elle les importe sans cesse, il en résulte des crises liées à la désarticulation entre les objets nouveaux et les objets anciens. Dans la plupart des cas, le nouveau remet en question la pertinence de l’ancien. Il importe alors d’inventer de nouveaux procédés pour évaluer la valeur de l’innovation. Actuellement, nous sommes peu outillés pour formuler des éléments de mesure permettant d’apprécier les innovations spectaculaires qui deviennent récurrentes dans nos sociétés et qui défient les spécificités de nos cultures locales. Les sciences, les techniques et les technologies dont nous disposons et partir desquelles nous réalisons des accomplissements incomparables, nous donnent des pouvoirs, mais elles ne sont pas toujours très explicites sur l’utilisation de ces pouvoirs. C’est toute la problématique que posent la philosophie, la sociologie et l’éthique sur les sciences et ses applications.

Conclusion :

La création destructrice qu’évoquait Joseph A. Schumpeter à propos des mécanismes brutaux du capitalisme est bien présente dans les sociétés du monde entier. Les contradictions restent cependant fécondes tout en alimentant

(23)

les situations inhabituelles et incertaines. Les sociétés et les cultures sont soumises au refaçonnage et aux ruptures qui s’amplifient au fur et à mesure que la détresse humaine impose la créativité. Les univers socio-culturels inscrits dans le processus de mutation sont des lieux où les innovations et la créativité des hommes produisent des alternatives à l’insatisfaction. Toutes les sociétés sont, à tout temps, mises à l’épreuve par la radicalité des propositions innovantes et par des émergences de toute sorte. Aucun secteur n’est épargné, même les secteurs que l’on considérait comme naturellement rigides et opaques, dépourvus de toute perméabilité telle que la religion, sont en mouvement. L’opium du peuple semble avoir perdu ses agents actifs.

La tragédie humaine est bien là. Lorsque les réalisations abondent sans converger vers un idéal collectif à cause d’un émiettement des tendances qui se valent toutes, suivant le système de légitimation qui les sous-tend. Le factionnalisme caractérise notre époque. La montée en puissance des grands ensembles au niveau international et le transnationalisme sont justement des réponses politiques face aux puissants réseaux qui commandent réellement les sociétés de l’intérieur. L’imaginaire scientifique a beau décrié l’existence de ces mécanismes qui orientent le devenir de nos sociétés, mais les tireurs de ficelles savent faire écran en produisant une contre-interprétation très largement relayée par certains organes de presse, journaux, télévisions, cinémas, sites internet et d’autres supports médiatiques très utilisés de nos jours. Les hommes de science devront alors envisager une épistémologie de la lecture officielle afin de poser les principes d’identification et de définition de toute réalité sociale faisant l’objet d’interprétations diverses et de prises de position. Ils ont la tâche de produire un plan de route pour ceux qui détiennent le gouvernail et non de corroborer l’analyse de ceux qui parlent plus vite et plus fort.

Notes

1 Issiaka-Prosper Lalèyê fait partie d’un nouveau courant de pensée très critique vis-à- vis des conceptions du développement qui dissertent sur un objet perçu comme une réalité effective alors qu’il est un projet. Ce courant de pensée recherche « l’autre du développement », c’est-à-dire ce qui pourrait remplir les mêmes fonctions que le développement sans être le développement.

2 L’anthropomorphisme désigne cette tendance, dans l’explication des choses et des réalités non humaines, à leur attribuer une nature ou des propriétés d’un être humain.

3 Dans leur ouvrage Le travail sur Soi. Vers une psychologisation de la société ? Paris, Belin, 2006, 252p, Didier Vrancken et Claude Macquet estiment que les interventions des Etats sociaux ont changé de paradigme. Elles ne sont plus centrées sur les groupes

(24)

sociaux, mais sur les individus pour faire d’eux des acteurs de leur propre existence.

Ce changement du schéma interventionniste se justifie par le fait que la vulnérabilité devient de plus en plus individuelle avec la montée en puissance de la machine libérale qui ébranle les attaches communautaires héritées des corporations, des sociétés du travail et des communautés.

4 Georges Balandier, Civilisés, dit-on, Paris, PUF, 2003, 397p.

5 Ce viol de l’imaginaire correspond à la situation douloureuse dont vivent l’Afrique et les africains au cours de leur périlleuse rencontre avec le reste du monde. En effet, son univers symbolique est sorti de cette rencontre composite, combinant les cosmologies les plus différenciées et les plus différentes (le matérialisme occidental, l’Islam et le Christianisme). Cf. Aminata Traoré, Le viol de l’imaginaire, Paris, Hachette, 2004, 216p.

6 On retiendra par exemple les tenants de l’évolutionnisme tels que Lewis Henry Morgan (Ancient society, Londres, MacMillan & Company, 1877, 110p) et Lucien Lévy-Bruhl (Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, PUF, 1910, 474p) qui partent de l’hypothèse de l’existence d’une culture pure et primitive qu’ils attribuent aux sociétés traditionnelles non occidentales, pour décrire une évolution vers une civilisation fortement matérielle, technique et scientifique que l’Occident a produite. Les sociétés non européennes sont alors, suivant leur logique, à la périphérie. Stanislas Adotevi considère cette ethnologie évolutionniste comme une

« Propagande bien faite, (…) le livre journal de l’homme blanc en mission ; l’homme blanc mandaté par la souveraineté historique de la pensée européenne et sa vision singulière de l’homme » (Négritude et négrologues, Paris, UGE, 1972, p176). Les afro philosophes comme Paulin Hountondji (Sur la « philosophie africaine ». Critique de l’ethnophilosophie, Paris, Maspero, 1976, 260p) et Jean-Godefroy Bidima (La philosophie négro-africaine, Paris, PUF, 1998, 128p) articulent la critique, mais dans le domaine de la philosophie, en jetant les bases du paradigme de la déconstruction qu’ils érigeront en mode opératoire de la philosophie africaine.

7 Le mouvement messianique peut être défini comme une action collective qu’un personnage charismatique réussit à susciter, dont les formes d’expression prennent une nature religieuse et décrivant les moyens d’évolution que la société en question devra prendre pour éviter la dérive et s’inscrire dans le progrès et le salut.

8 Le Zimbabwe a connu, au moins, coup sur coup cinq grandes tentatives de réformes agraires depuis 1980, date de son indépendance, pour corriger les concessions historiques inégalitaires qui ont privilégié les fermiers blancs au détriment des indigènes noirs : En 1981, une commission d’acte de terre institue le changement des terres tribales en zonages communaux. Cette mesure changea le système d’autorité sur la terre qui passe aux mains du District Council alors qu’elle était gérée par les chefs traditionnels. En 1985, la loi d’acquisition de terre est adoptée en vue du reclassement des vastes terres que l’Etat acheta. La loi d’acquisition de 1990 repose sur l’achat de 5 millions d’ha de terre nécessaires pour les attribuer aux paysans

(25)

démunis. Ce programme se radicalise en 1992, au nom du Economic Structural Adjustment Programme – ESAP (programme d’ajustement structurel). En effet, le gouvernement zimbabwéen adopta le Land Acquisition Act qui est un instrument juridique organisant l’attribution des terres arables aux familles qui sont en mesure de les mettre en valeur. Il se trouve que ceux-là sont déjà propriétaires de terre parce qu’ils ont les moyens de les exploiter. Le résultat fut l’accentuation de l’inégalité sociale, les paysans et les ruraux furent laissés-pour-compte et la bourgeoisie locale blanche sort encore gagnant dans cette réforme. En 2000, le gouvernement zimbabwéen lance le Land Reform and Resettlement Programme, phase II, qui est une série expropriations de fermes agricoles appartenant à des Blancs. Toutes ces réformes ont été menées sur un fond racial, en réponse à une forte pression extérieure et/ou intérieure.

9 Idée développée par Michel Dobry dans La sociologie des crises politiques, Paris, FNSP, 1987, 320p. Pour lui les structures sociales sont caractérisées par une plasticité du fait qu’elles ne réagissent pas de la même manière aux multiples coups que produisent les acteurs en situation de co-présence et de co-action.

10 « La dualité du structurel » est une expression élaborée par Anthony Giddens dans son ouvrage La constitution de la société, Paris, PUF, 1987, pp74-77. Il entend par là la situation suivante : « les propriétés structurelles des systèmes sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les agents qui font partie de ces systèmes » et que le changement correspond aux « transformations institutionnelles fondamentales ». Les structures présentent pour lui une dualité, elles sont habilitantes et contraignantes.

11 Concept central dans l’analyse du changement social chez Talcott Parsons et qu’il définit comme l’émergence de nouveaux systèmes de valeurs et de rôles garantissant la réorientation des actions collectives, pour une adaptation des structures aux conjonctures et aux crises. Cf. Parsons, Le système des sociétés modernes, Paris, Dunod, 1973,170p.

12 Formule de Michel Crozier et d’Erhard Friedberg dans L’acteur et le système. Les contraintes de l’action collective, Paris, Le Seuil, p391.

13 Pour l’économiste Joseph A. Schumpeter, dans les conditions de la vie sur terre, il n’y a pas de création sans destruction. (Cf. La théorie de l’évolution économique. Recherches sur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de conjoncture, Paris, Dalloz, 1999, 371p).

14 Les individus ne réagissent plus seulement dans le contexte national. Ils se communiquent constamment et leurs réactions ne sont pas totalement contenues par les mécanismes territoriaux. Les outils de communication en se constituant dans l’immatérialité et le virtuel permettent aux individus de développer des actions (de revendication ou de participation) plus intenses que celles notées à l’intérieur des cadres sociaux nationaux. Les appareils administratifs nationaux perdent de plus en plus leur souveraineté au profit des grands ensembles qui s’organisent autour des flux transnationaux. Les nouvelles socialités s’appuient sur l’informatique, les intégrismes, l’alter mondialisme, la démocratie prescrite qui utilise la menace et l’éthique comme arguments de persuasion.

Références

Documents relatifs

Compléter cette figure pour obtenir un patron du polyèdre, sachant qu’il comporte deux triangles équilatéraux et que toutes les autres faces sont identiques.. n

Pourtant, à l’époque du COVID-19, en Italie affectée par cette pandémie, comme en Europe et dans le reste du monde, où les systèmes de santé se sont approchés

Cette construction dualiste de la ville par les habitants du 8ème peut se résumer à travers les deux perceptions extrêmes : d'une part " les quartiers Nord c'est à partir de

On en déduit que l’aire du jardin intérieur est deux fois moins importante que celle du grand carré, donc les aires des jardin intérieur et de la galerie sont égale (puisque

Plus  d’un  siècle  d’expérience  dans  la  conception  d’ins- truments optiques, de microscopes et d’appareils photo  donne  naissance  aujourd’hui  à 

En ce qui concerne la part des dépenses attribuée à l'allocation chômage, on rencontre les plus faibles pourcentages en Italie et en Grèce même si le chômage suit ici, comme dans les

Et de fait, la mortalité est le seul phénomène ou facteur démographique pour lequel des différences significatives opposent la Flandre à la Wallonie depuis au moins deux

Elle permet en outre, d’analyser les enjeux de pouvoir et les rivalités qui se jouent pour ce territoire imaginé, à l’heure où les attaques informatiques se multiplient et que