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La représentation de l'harmonie à travers la mélodie pour une improvisation jazz au saxophone sans accompagnement

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

La représentation de l’harmonie à travers la mélodie

pour une improvisation jazz au saxophone sans

accompagnement

Thèse

Thiago André Ferté

Doctorat en musique

Docteur en musique (D. Mus.)

(2)

La représentation de l’harmonie à travers la mélodie

pour une improvisation jazz au saxophone sans

accompagnement

Thèse

Thiago André Ferté

Sous la direction de :

M. Janis Steprans

(3)

Résumé

La présente thèse porte sur l’improvisation jazz, et plus particulièrement sur sa pratique sans accompagnement au saxophone. Cette pratique est efficace surtout pour les musiciens qui jouent des instruments monodiques, comme le saxophone. L’objectif est d’analyser la compétence de certains saxophonistes en ce qui concerne surtout l’habileté de bien utiliser mélodiquement le contenu harmonique présent dans l’ensemble des standards qui font partie intégrante du répertoire jazz. La démarche de recherche adoptée est constituée, dans un premier temps, d’une recherche de plusieurs points de vue chez différents musiciens de jazz reconnus mondialement qui ont intégré la pratique sans accompagnement systématiquement dans leur routine. Dans un deuxième temps, des transcriptions d’extraits d’improvisations sans accompagnement ont été réalisées, avec un approfondissement quant à la pratique du saxophoniste Chris Potter. Ces transcriptions, qui ont été faites au saxophone ténor (donc sur un instrument transpositeur en si bémol), ont été analysées théoriquement afin d’identifier la manière dont le saxophoniste intègre le concept d’improvisation harmonique. Après ces analyses théoriques, l’auteur présente son point de vue concernant les moyens utilisés par Chris Potter pour faire ressortir l’harmonie à travers la mélodie improvisée. L’étape suivante a consisté à l’appropriation des moyens liés à la pratique sans accompagnement en tant que saxophoniste, permettant de mieux intégrer les aspects harmoniques des standards étudiés pour améliorer la qualité des improvisations lors du jeu en groupe. Finalement, les résultats obtenus permettent d’observer que la pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement à travers le concept d’improvisation harmonique améliore la performance dans une situation réelle de concert.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV LISTE DES FIGURES ... VI REMERCIEMENTS ... X

INTRODUCTION ... 1

PROBLÉMATIQUE ... 1

DÉLIMITATION DU SUJET DE RECHERCHE ... 2

OBJECTIF ... 3

1 REVUE DE LA LITTÉRATURE ... 4

1.1 REPRÉSENTATION DE L’HARMONIE À TRAVERS LA MÉLODIE SANS ACCOMPAGNEMENT ... 4

1.2 PRATIQUE DE L’IMPROVISATION JAZZ SANS ACCOMPAGNEMENT ... 15

1.3 QUE DIT LA LITTÉRATURE AU SUJET DE CETTE PRATIQUE ? ... 19

1.4 TECHNIQUES D’IMPROVISATION JAZZ ABORDÉES ... 20

2 CADRE THÉORIQUE ... 28

3 MÉTHODOLOGIE ... 29

4 COLLECTE DES DONNÉES ... 31

4.1 TRANSCRIPTIONS, ANALYSES ET COMMENTAIRES DES ENREGISTREMENTS ... 31

4.1.1 Improvisation horizontale ... 31

4.1.2 Improvisation verticale ... 37

4.1.3 Commentaire sur les extraits de solos sans accompagnement de Chris Potter ... 50

4.2 EXPÉRIMENTATION PRATIQUE PERSONNELLE ... 51

4.2.1 La pratique personnelle de l’improvisation jazz sans accompagnement ... 51

4.2.2 Les observations de l’improvisation jazz sans accompagnement ... 59

5 RÉSULTATS ... 63 CONCLUSION ... 65 BIBLIOGRAPHIE ... 67 DISCOGRAPHIE ... 69 MÉDIAGRAPHIE ... 70 ANNEXES ... 73

ANNEXE1–TABLEAU DES GAMMES D’ACCORD (OU MODES) ... 74

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ANNEXE3–TRANSCRIPTION DU SOLO DE LOUIS ARMSTRONG SUR LA PIÈCE POTATO HEAD BLUES ... 78

ANNEXE4–THÈME DE LA PIÈCE FOUR ... 79

ANNEXE5–TRANSCRIPTION DU SOLO DE JOHN COLTRANE SUR LA PIÈCE FOUR ... 80

ANNEXE6–THÈME DE LA PIÈCE ALL THE THINGS YOU ARE ... 84

ANNEXE7–TRANSCRIPTION DU SOLO DE CHRIS POTTER SUR LA PIÈCE ALL THE THINGS YOU ARE ... 85

ANNEXE8–THÈME DE LA PIÈCE TUNE UP ... 89

ANNEXE9–TRANSCRIPTION DU SOLO DE CHRIS POTTER SUR LA PIÈCE TUNE UP... 90

ANNEXE10–THÈME DE LA PIÈCE IT COULD HAPPEN TO YOU ... 96

ANNEXE11–TRANSCRIPTION DU SOLO DE CHRIS POTTER SUR LA PIÈCE IT COULD HAPPEN TO YOU ... 97

ANNEXE12–THÈME DE LA PIÈCE MONK’S MOOD ... 100

ANNEXE13–ANALYSE HARMONIQUE DE LA PIÈCE MONK’S MOOD... 101

ANNEXE14–TRANSCRIPTION DU SOLO DE THIAGO FERTÉ SUR LA PIÈCE MONK’S MOOD ... 102

ANNEXE15–ANALYSE DE LA RELATION ENTRE MÉLODIE DU THÈME ET DU SOLO DE THIAGO FERTÉ SUR LA PIÈCE MONK’S MOOD ... 106

(6)

Liste des figures

Figure 1 : Extrait du deuxième mouvement de la Sonate en sol mineur pour violon solo de J.S. Bach ... 4

Figure 2 : Suite Nº 1 – Six suites pour Violoncelle solo de J.S. Bach ... 5

Figure 3 : Extrait du deuxième mouvement de la Sonate en sol mineur pour violon solo de J.S. Bach ... 6

Figure 4 : Extrait de l’improvisation de Charlie Parker sur la pièce Anthropology ... 6

Figure 5 : Extrait de l’improvisation de Charlie Parker ... 7

Figure 6 : Extrait de l’improvisation de Lester Young ... 7

Figure 7 : Extrait de l’improvisation de Coleman Hawkins ... 8

Figure 8 : Extrait de l’improvisation de Louis Armstrong sur la pièce Potato Head Blues ... 9

Figure 9 : Extrait de l’improvisation de Coleman Hawkins sur la pièce Picasso ... 10

Figure 10 : Extrait de l’improvisation de Sonny Rollins sur la pièce Soloscope (Part 1) ... 11

Figure 11 : Illustration de quelques influences du jeu de Chris Potter ... 14

Figure 12 : Extraits des improvisations de Charlie Parker sur la pièce Honeysuckle Rose... 14

Figure 13 : Extraits des improvisations de Sonny Rollins sur la pièce It Could Happen to You et de Chris Potter sur la pièce All the Things You Are ... 15

Figure 14 : Extraits des improvisations de John Coltrane sur la pièce Four et de Chris Potter sur la pièce Tune Up ... 15

Figure 15 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 55, par Jerry Bergonzi ... 18

Figure 16 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 98, par Jerry Bergonzi ... 18

Figure 17 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 98, par Jerry Bergonzi ... 19

Figure 18 : The River Trip de George Russell ... 22

Figure 19 : Extrait de l’improvisation de Joshua Redman sur le standard Salt Peanuts ... 23

Figure 20 : Extrait de l’improvisation d’Al Cohn sur la pièce Zoot Case ... 23

Figure 21 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter en solo sur le standard All the Things You Are ... 23

Figure 22 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter en solo sur le standard All the Things You Are ... 24

Figure 23 : Limitation de 3 notes par mesures avec les mêmes rythmes. Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, page 9, par Jerry Bergonzi ... 25

Figure 24 : Développement des mélodies improvisées à partir de rythmes préétablis. Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, page 16, par Jerry Bergonzi ... 25

(7)

Figure 25 : Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, page 66, par Jerry

Bergonzi ... 25

Figure 26 : Concept des huit points par Bob Moses ... 26

Figure 27 : Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, pages 29 et 30, par Jerry Bergonzi ... 26

Figure 28 : Cadre théorique de recherche ... 28

Figure 29 : Étapes du processus de recherche ... 29

Figure 30 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (1) ... 31

Figure 31 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (2) ... 32

Figure 32 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (3) ... 32

Figure 33 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (4) ... 32

Figure 34 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (5) ... 33

Figure 35 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (6) ... 33

Figure 36 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (7) ... 34

Figure 37 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (8) ... 34

Figure 38 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (9) ... 34

Figure 39 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (10) ... 35

Figure 40 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (11) ... 35

Figure 41 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (12) ... 35

Figure 42 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (13) ... 36

Figure 43 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation horizontale (14) ... 36

Figure 44 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (1) ... 37

Figure 45 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (2) ... 38

Figure 46 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (3) ... 38

Figure 47 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (4) ... 38

Figure 48 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (5) ... 39

Figure 49 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (6) ... 39

Figure 50 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (7) ... 40

Figure 51 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (8) ... 40

Figure 52 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (9) ... 40

Figure 53 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (10) ... 41

Figure 54 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (11) ... 41

Figure 55 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (12) ... 42

(8)

Figure 57 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (14) ... 43

Figure 58 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – improvisation verticale (15) ... 43

Figure 59 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – notes guides (1) ... 44

Figure 60 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – notes guides (2) ... 44

Figure 61 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 53 et 56 par Bergonzi (1998) – notes d’approche (1) ... 45

Figure 62 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 58 et 59 par Bergonzi (1998) – notes d’approche (2) ... 46

Figure 63 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 60 et 61 par Bergonzi (1998) – notes d’approche (3) ... 46

Figure 64 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – notes d’approche (4) ... 46

Figure 65 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – notes d’approche (5) ... 47

Figure 66 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – effet de walking bass ... 48

Figure 67 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – déplacement d’octave (1) ... 48

Figure 68 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – déplacement d’octave (2) ... 49

Figure 69 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – motif rythmique ... 50

Figure 70 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter – hémiole ... 50

Figure 71 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – improvisation horizontale (1) ... 52

Figure 72 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – improvisation horizontale (2) ... 53

Figure 73 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – improvisation horizontale (3) ... 53

Figure 74 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – improvisation verticale (1) ... 53

Figure 75 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – improvisation verticale (2) ... 54

Figure 76 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – improvisation verticale (3) ... 55

Figure 77 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – notes d’approche (1) ... 55

Figure 78 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – notes d’approche (2) ... 55

Figure 79 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – déplacement d’octave (1) ... 56

Figure 80 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – déplacement d’octave (2) ... 57

Figure 81 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – motif rythmique (1) ... 57

Figure 82 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – motif rythmique (2) ... 58

Figure 83 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – motif rythmique (3) ... 58

Figure 84 : Extrait de l’improvisation de Thiago Ferté – motif rythmique (4) ... 59

Figure 85 : Extrait de la durée des accords sur les quatre premières mesures du standard Monk’s Mood .. 59

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Figure 87 : Extrait d’exemple d’exercice utilisant l’approche des notes guides à l’intérieure des motifs mélodiques ... 61 Figure 88 : Extrait d’exemple d’exercice utilisant l’approche de déplacement d’octave à l’intérieur des motifs mélodiques ... 61

(10)

Remerciements

Un grand merci à tous mes professeurs passés et présents (Afonso Claudio Figueiredo, Idriss Boudrioua, Rick Margitza, Widor Santiago, Rodrigo Chermont, Hermes de Andrade, Maria da Glória, Carlos Soares, Cristina Bering, Gláucio Martins, Rémi Bolduc, Gabriel Hamel, Sophie Stévance, Serge Lacasse, entre autres), et en particulier à mon directeur, monsieur Janis Steprans.

Je remercie ma famille : Clarice Ferté, Hugues Ferté, Ana Lúcia et Yasmin MSE, pour le soutien et amour de chaque instant.

Merci à la doyenne de la Faculté de musique Mme Carmen Bernier, à Monique Lepinay (et à tout le monde de la Faculté de musique de l’Université Laval), Marie-Josée Lepinay, Geneviève Breton, Serges Samson, Claude Thibault, ainsi qu’à tous les musiciens et amis qui m’ont accompagné au cours de cette belle aventure à l’Université et en dehors.

Je finis mes remerciements en remercient du fond du cœur à Elaine Mosconi qui avec un immense amour, compassion et patience m’a aidé à traverser cette immense, intense et importante étape de ma vie. Je n’aurais pas pu me rendre jusqu’ici sans elle. À toi Elaine je dédie ce doctorat.

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Introduction

Il est fort probable que la pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement au saxophone existe depuis le début jazz. Plusieurs saxophonistes jazz ont été enregistrés, jouant des standards sans accompagnement depuis les années 1940. Ces enregistrements ont été réalisés dans différents contextes musicaux, parfois dans des situations informelles, comme des classes de maître, et parfois dans des situations plus formelles, comme des concerts ou encore sur disque. De manière générale, le développement des compétences pour l’improvisation jazz se fait selon une harmonie préétablie, qui se trouve à l’intérieur de la structure musicale d’une pièce en particulier, par exemple dans les standards de jazz. Les standards composent le répertoire de base utilisé par les musiciens de la communauté jazz mondiale afin de développer leur langage musical. La présente recherche porte un regard spécifique sur l’improvisation jazz sans accompagnement au saxophone basée sur une harmonie préétablie. Ce type de pratique utilise un support harmonique qui semble contribuer à l’interaction musicale entre le saxophoniste et la section rythmique, améliorant ainsi le jeu en groupe. Ce sujet a soulevé l’intérêt de plusieurs musiciens qui ont intégré dans leurs pratiques d’improvisation jazz la pratique sans accompagnement. Toutefois, peu ou pas de travaux académiques se sont penchés sur l’analyse de cette pratique et sur sa contribution réelle à l’intégration du saxophoniste dans le jeu en groupe.

Problématique

La présente recherche s’intéresse à la pratique de l’improvisation jazz1 sans accompagnement au

saxophone. Le saxophone, comme les instruments de la famille des bois et ceux de la famille des cuivres, est un instrument monodique, conçu pour ne jouer qu’une note2 à la fois. Pour développer

leur pratique d’improvisation, les musiciens qui jouent de ces instruments monodiques procèdent souvent à l’aide d’une base enregistrée ou avec d’autres musiciens dans une pratique collective. À

1Nous n’incluons pas ici le style de jazz connu sous le nom de Free Jazz, l’improvisation dans ce style ne se basant pas sur une

grille harmonique préexistante.

2Bien qu’il soit considéré un instrument monodique, le saxophone peut, selon des doigtés spéciaux, jouer plus d’une note à la fois

(multiphoniques), ce qui donne l’effet de jouer certains accords.« Un multiphonique est un régime d’oscillation produit par un instrument de la famille des bois et perçu comme deux ou plusieurs sons simultanés ». Douglas H. Keefe and Bernice Laden “Correlation dimension of woodwind multiphonic tones” The Journal of the Acoustical Society of America 90, 1754 (1991)

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un niveau débutant ou intermédiaire, ces musiciens semblent souvent limités par leurs difficultés à intégrer des éléments harmoniques dans leurs improvisations lors d’une prestation en groupe. Généralement, quand les liens entre la mélodie improvisée et l’harmonie soutenue par la section rythmique ne sont pas assez clairs, l’interaction musicale devient difficile. Il est ainsi probable que l’improvisation soit moins intéressante. Toutefois, ce type de faiblesse semble être moins évident chez les musiciens jouant des instruments polyphoniques, tels que les pianistes et les guitaristes. Le fait de jouer des instruments harmoniques permet, dès le début de l’apprentissage, le développement des compétences pour improviser et s’accompagner en même temps. Selon Siron (2015, p. 661), « pour un improvisateur, le plus important est de développer un récit qui a sa logique et sa cohérence, qui respire comme un tout et dont la construction traverse les phrases harmoniques ». Il affirme aussi que « dans ses premiers contacts avec l’improvisation, un débutant est souvent confronté d’emblée à une forme-jazz basée sur l’improvisation harmonique [...]. [L]e débutant est absorbé par la difficulté de “passer” correctement les contours harmoniques et ne peut qu’y consacrer toute son attention. Ne concevant l’improvisation qu’à travers la trame harmonique, il lui arrive souvent d’oublier d’inventer des mélodies cohérentes » (Siron, 2015 p. 659).

Dans une perspective d’amélioration de l’improvisation jazz lors du jeu en groupe et afin de minimiser la « faiblesse » des musiciens improvisateurs jouant d’instruments monodiques (par rapport aux joueurs d’instruments polyphoniques), il semble important d’intégrer une pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement dans le but de développer une autonomie complète par rapport à la progression harmonique.

Délimitation du sujet de recherche

Pour mieux définir et délimiter le champ de cette recherche, qui peut être très vaste, la présente thèse mettra l’accent sur des extraits de solos qu’a joués le saxophoniste américain de renommée internationale, Chris Potter, sur des standards. Ce dernier joue régulièrement de façon non accompagnée lors de différentes classes de maître. Ces prestations sans accompagnement lui permettent de démontrer au public sa capacité de gérer avec autonomie les trois piliers de la musique, soit la mélodie, l’harmonie et le rythme. Composés de diverses progressions d’accords utilisées couramment dans la plupart des standards jazz, les extraits analysés s’appuient sur l’harmonie. L’accent mis par Chris Potter sur l’improvisation sans accompagnement pendant ses

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précieux pour les saxophonistes. Cette pratique aiderait à développer une expertise qui, possiblement, donnera au musicien les moyens de base pour avancer l’aspect de l’improvisation en tant que soliste lors d’une performance en groupe.

Objectif

L’objectif de cette recherche est de comprendre les mécanismes de représentation de l’harmonie à travers la mélodie pour développer une pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement afin d’atteindre une autonomie harmonique.

Le document est organisé comme suit : le deuxième chapitre présente la revue de la littérature et le troisième contient le cadre théorique. Le quatrième chapitre détaille la méthodologie et les étapes de réalisation de ce travail. Le cinquième chapitre illustre quant à lui les résultats en deux sections, soient les analyses des extraits de solos de Chris Potter et l’expérience de la pratique personnelle. Enfin, le sixième et dernier chapitre présente la discussion, les limites et la conclusion de cette recherche.

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1 Revue de la littérature

1.1 Représentation de l’harmonie à travers la mélodie sans accompagnement

L’utilisation des aspects harmoniques dans la construction de mélodies jouées sans accompagnement a commencé bien avant l’existence du jazz. Des musiciens, comme J.S. Bach, ont composé des pièces faites pour être jouées sans accompagnement, comme la Sonate en sol mineur pour violon (Figure 1) ou encore les célèbres Six suites pour violoncelle (Figure 2). Les lignes mélodiques composées par J.S. Bach énoncent les harmonies de manière explicite, donnant ainsi un excellent exemple de la construction d’une mélodie basée sur des structures harmoniques.

Figure 1 : Extrait du deuxième mouvement de la Sonate en sol mineur pour violon solo de J.S. Bach

Dans cet extrait, la mélodie commence par un arpège de ré mineur (la tierce arrive sur le deuxième temps) basé sur la gamme de ré mineur mélodique, puis fait une transition chromatique à partir des notes guides3, pour atteindre l’arpège de G7(b9) en première inversion. Cet accord prévoit la

modulation vers do mineur en empruntant les notes la bémol, représentant l’extension de neuvième mineure et le mi bémol du mode de do mineur. Dans ce passage il utilise l’effet de l’utilisation de la gamme superposée de do mineur harmonique sur la dominante que le précède. La ligne se résout sur la tierce de Cm7. La même transition mélodique de la septième vers la tierce se produit dans l’enchaînement entre les accords de Cm7 et F7. L’effet produit de la septième vers la tierce est un exemple de tension et résolution. Dans la nomenclature jazz on nommera cette progression un « II-V » en do mineur.

La Figure 2 est un exemple qui montre une mélodie structurée sur des arpèges représentant clairement la grille harmonique de la composition. Toute la couleur de l’harmonie, lorsqu’elle est

3 La note guide ou note cible est le point d’appui consonant qui sert à construire une mélodie improvisée ou un accompagnement. La

note guide est située sur les temps forts et sur les changements d’accords. Dans le jazz, on privilégie les notes de l’accord (surtout les tierces et les septièmes), parfois aussi les extensions (neuvièmes, onzièmes, treizièmes). Par contre, la contrebasse, de par son rôle, privilégie les fondamentales et les quintes.

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soulignée de cette façon, réside dans le contraste entre les notes qui se répètent et d’autres qui changent.

G C D7 G

Figure 2 : Suite Nº 1 – Six suites pour Violoncelle solo de J.S. Bach

Ci-dessus, on constate que la note sol, qui représente la tonalité de la pièce (sol majeur), se répète sur la tonique grave de la mélodie. Elle joue le rôle de l’ostinato de la pédale de l’orgue baroque, se répétant à plusieurs reprises au fil des quatre premières mesures. En dépendant des notes mélodiques des parties supérieure et centrale, la note de basse suggère différentes inversions de triades de la progression harmonique. La mélodie supérieure et centrale « voyage » selon les qualités d’accords de la progression harmonique choisie par le compositeur. Cette progression d’accords correspond aux degrés I-IV-V-I de la tonalité de sol majeur.

D’une façon ou d’une autre, les harmonies et mélodies de la musique classique européenne font partie intégrante du développement de la musique jazz dès sa naissance. Il est difficile d’imaginer que les musiciens de jazz émergents n’aient eu aucun contact avec la tradition classique. Il y avait sûrement une admiration mutuelle entre les musiciens de ces deux mondes. Le saxophoniste Charlie Parker a été un grand admirateur de la musique d’Igor Stravinsky4. John Coltrane a quant à lui utilisé

pour ses études personnelles le livre du chef d’orchestre et musicien classique Nicolas Slonimsky intitulé Thesaurus of Scales and Melodic Patterns (on ajoute que Slonimsky a été un ami du guitariste-compositeur-arrangeur Frank Zappa). Dans les années 1980, les frères Wynton et

4. À l’hiver 1951 au Birdland, club située à Manhattan, Igor Stravinsky est venu assister au concert du quintette de Charlie Parker.

Selon l’auteur, le saxophoniste avait été avisé au début du concert par son trompettiste, Red Rodney, que Stravinsky était dans la salle. Parker n’a même pas cherché le célèbre compositeur dans la foule et a tout de suite dit aux musiciens le nom de la première pièce. Ils ont joué la pièce Koko à plus de trois cent à la noire et lors de son deuxième chorus de solo, Parker a cité, entre ses phrases improvisées, le début de la pièce de Stravinsky intitulée L’oiseau de feu. « Il jouait le morceau de Stravinsky comme s’il avait toujours été là, un ajustement parfait, et ensuite il a “voyagé” avec le reste du numéro. Stravinsky rugit de joie, frappant son verre sur la table et envoyant sa liqueur et ses glaçons sur les gens derrière lui, qui levaient les bras ou se baissaient. » Alfred APPEL Jr. Jazz

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Branford Marsalis ont fait carrière tant en jazz qu’en classique, montrant qu’il est possible de réussir brillamment dans les deux styles de musique. Pour conclure cette courte mention sur l’influence de la musique classique sur le jazz, voici dans les Figures 3 et 4 une comparaison entre une ligne mélodique composée par J.S. Bach et une ligne mélodique improvisée par Charlie Parker :

Figure 3 : Extrait du deuxième mouvement de la Sonate en sol mineur pour violon solo de J.S. Bach

Bm7 E7 Am7 D7 G

7-3 7-3 7-3 b9-5

Figure 4 : Extrait de l’improvisation de Charlie Parker sur la pièce Anthropology

Dans les deux extraits, la connexion d’accords se fait par les notes guides. Dans l’extrait de Bach, les notes si et fa (notes guides) ainsi que la note la bémol encerclent la note qui viendra représenter la tierce de l’accord de Cm7, résultant en effet de tension et résolution. Parker utilise la même approche sur l’accord de E7 en direction de la tierce de Am7. Grâce aux similarités d’approches utilisées par les deux musiciens, il est possible de voir que le jazz a pris des concepts anciens de la musique classique. Comme dirait Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Charlie Parker, un des fondateurs du jazz moderne, semblait avoir l’habitude de pratiquer l’improvisation jazz sans accompagnement. Très influencé par ses prédécesseurs Lester Young et Coleman Hawkins, Parker utilisait pour improviser des approches à partir des gammes de prédilection de Young, ainsi que des arpèges que Hawkins jouait fréquemment. Au fil des ans, Parker développera son propre style et transformera pour toujours le jazz. Dans la biographie de Parker, Kansas City Lightning: The Rise and Times of Charlie Parker, l’auteur Stanley Crouch mentionne que « [...] le premier enregistrement de Charlie Parker, le premier document que nous avons de son jeu [...], est un enregistrement en solo de quatre minutes du jeune saxophoniste jouant deux chansons, Honeysuckle Rose et Body & Soul [...]. Il se tient seul, gardant le temps dans son corps,

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gardant le tempo tout par sa solitude, sans mesure audible d’un métronome ou d’un batteur, d’un guitariste, d’un bassiste ou de tout autre joueur d’instrument rythmique » (Crouch, 2013 p.330). L’enregistrement, qui date de 1939-1940, est possiblement l’un des premiers exemples de la pratique d’improvisation sans accompagnement au saxophone basée sur une progression harmonique préétablie. Tournons notre attention sur trois extraits des improvisations basées sur le standard Honeysuckle Rose, enregistrés par Parker, Young et Hawkins, respectivement. La Figure 5 permet de voir, en quelque sorte, les influences que Parker a subies de ses prédécesseurs.

Figure 5 : Extrait de l’improvisation de Charlie Parker

Cet extrait montre l’utilisation dans la même phrase d’une partie de la gamme bebop de sol mixolydien suivie d’un arpège de do en première inversion, deux caractéristiques des jeux de Lester Young et de Coleman Hawkins.

La Figure 6, l’extrait suivant d’un solo de Lester Young, illustre une ligne mélodique descendante basée sur une gamme de mi bémol mixolydien. Cette approche est très présente dans son jeu. Les lignes de Lester Young ressemblaient à des lignes vocales, car elles étaient formées par des notes en degrés conjoints comme font souvent les chanteurs et chanteuses, une des raisons de la beauté des performances de Young avec la chanteuse Billie Holliday, sans oublier de son timbre au saxophone qui faisait sonner comme une voix humaine.

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Dans l’exemple ci-dessous, Coleman Hawkins utilise une séquence d’arpèges, de façon très moderne pour l’époque de l’enregistrement (1937). Hawkins utilise une technique qui s’appelle glissement de côté5 (side-slipping en anglais). L’arpège de la bémol majeur donne un contraste

sonore par rapport à l’accord de G7, qui est également joué en arpège.

Figure 7 : Extrait de l’improvisation de Coleman Hawkins

Dans un autre ordre d’idées, même s’il ne s’agit pas d’un saxophoniste, il semble pertinent de mentionner les enregistrements phares de Louis Armstrong. Quelques années avant l’enregistrement de la pratique sans accompagnement de Charlie Parker, le trompettiste enregistre sa composition Potato Head Blues (1927). Dans le premier chorus de son solo, Armstrong improvise une ligne mélodique qui énonce la progression d’accords de la pièce de façon très claire, alors que le groupe ne joue pas. Cet arrêt musical est connu sous le nom de stop time6. Le groupe joue les

accords uniquement sur le premier temps, toutes les deux mesures. La figure 8 représente les huit premières mesures improvisées par Armstrong.

5 Side-slipping (glissement de côté) Excursion « outside », hors de la consonance. SIRON, Jacques. Dictionnaire

des Mots de la Musique, 2002.p.386.

6 Stop time : « C’est un procédé d’accompagnement rythmique qui consiste à interrompre le soutien régulier

en ne marquant que les 1er temps, généralement toutes les mesures ou toutes les 2 mesures. » SIRON,

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Figure 8 : Extrait de l’improvisation de Louis Armstrong sur la pièce Potato Head Blues

Le solo, qui commence avec une anacrouse, se déroule avec l’arpège de sol majeur représentant l’accord de la tonique, et s’en va en direction de la note mi, la quinte diminuée de l’accord de Bbº7. Ensuite, Armstrong exécute l’arpège incomplet de Am (sans la tonique) et le mouvement chromatique vers la tierce (fa dièse) de D7 renforce l’accord de la dominante. La mélodie se résout sur la treizième de l’accord. L’accord dominant de G7, qui dure deux mesures, permet de démontrer davantage l’utilisation des points de repère harmoniques lorsque Armstrong, de façon claire, utilise la tétrade de l’arpège de G7 avec la septième mineure fa, qui donne la qualité de l’accord dominant. La phrase se termine de façon audacieuse pour l’époque, sur la note mi bémol qui représente l’extension de l’accord (treizième mineure)7, audacieuse, car cette extension est moins utilisée dans

cette période. Dans les deux dernières mesures, Armstrong énonce les notes de la triade de Am. Il est important de noter que le choix précis des notes d’Armstrong est renforcé par la puissance de

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son approche rythmique. Dans les mesures 3 et 4 de l’extrait, les points de résolution8 rythmique du

« 2 », du « et du 3 », du « 1 », du « 3 » ainsi que du « 4 » sont énoncés. En plaçant ainsi ses notes, Armstrong fait clairement sentir la pulsation rythmique, et de manière très expressive.

Cet extrait nous fait remarquer que les notes utilisées par le trompettiste avaient une connexion directe avec la structure harmonique de la pièce. « [...] L’influence d’Armstrong avait transformé de manière sans précédent – lui qui était le premier personnage dans la musique occidentale à lever un drapeau révolutionnaire avec un instrument monodique – une nouvelle génération de musiciens de jazz plus harmoniquement audacieux a été rejoindre la conversation. À partir du début des années trente, les instrumentistes à vent et les pianistes maintiendraient un dialogue d’influence, poussant leurs instruments dans des zones encore inexplorées » (Crouch, 2013 p. 185 – traduction libre). Au cours de l’histoire du jazz, plusieurs grands saxophonistes ont été enregistrés en improvisant sans accompagnement. Coleman Hawkins est l’un des premiers d’entre eux. Il enregistre en 1945 la pièce Hawk Variation et ensuite, en 1948, Picasso (Cottrell, 2012). Ces improvisations ne sont pas basées sur des progressions harmoniques préétablies, mais sont plutôt de l’improvisation libre, des mélodies improvisées en temps réel. Même s’il n’y a pas d’harmonie préétablie, Hawkins suggère à certains moments des approches harmoniques, comme le montre la Figure 9.

Figure 9 : Extrait de l’improvisation de Coleman Hawkins sur la pièce Picasso

Entre les années 1959 et 1961, le saxophoniste Sonny Rollins a pris deux années sabbatiques afin de sortir de la scène temporairement et de se concentrer sur son jeu. Il partait chaque jour pratiquer de longues heures sur le pont Williamsburg, qui lie l’île de Manhattan à Brooklyn. L’ami de Rollins,

8 Les points de résolution – Expression utilisée par le musicien Bob Moses dans sa méthode Drum Wisdom, Modern Drummer

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le saxophoniste Steve Lacy, raconte qu’il allait parfois pratiquer avec lui sur le pont. Rollins pratiquait de tout : doigtés, justesse, gammes, intervalles, tout! (Nisenson, 2000). Il est fort probable que Sonny Rollins pratiquait aussi des standards sans accompagnement. Le 19 juillet 1985 au Musée d’Art Moderne de New York, le saxophoniste enregistre un album complet sans accompagnement intitulé The Solo Album. D’une durée de presque une heure, le concert enregistré est divisé en deux moments, Soloscope (Part 1) et Soloscope (Part 2). La prestation du saxophoniste est complètement improvisée. Il ne joue aucune composition préétablie ou standard en entier, pas de forme ni de tonalité fixée. Il suit ses instincts au moment présent. Des gammes et des arpèges sont joués librement, et parfois, de brèves mélodies de thèmes connus. Comme sur l’enregistrement de Coleman Hawkins précédemment mentionné, il est possible d’entendre des traits qui suggèrent clairement des progressions harmoniques, voici un exemple à la Figure 10.

Figure 10 : Extrait de l’improvisation de Sonny Rollins sur la pièce Soloscope (Part 1)

L’extrait montre qu’une structure harmonique sous-tend la mélodie improvisée. Il est possible de remarquer la présence de la gamme de huit notes de dominante de D7 (D,Eb,F,F#,G#,A,B,C), qui se résout sur un accord de sol, suivie de la gamme de huit notes de dominante de C7 (C,Db,Eb,E,F#,G,A,Bb), qui se résout sur un accord de fa, dans les deux cas, on aura l’effet de cadence V - I. C’est intéressent de voir le mouvement mélodique similaire des deux phrases. Par la suite, en utilisent des grilles d’accord préétablies, d’autres saxophonistes renommés ont été enregistrés en performance solo. Actuellement, parmi les saxophonistes les plus connus, Chris Potter est l’un des plus enregistrés en performance solo lors de différentes prestations en classes de maître. Il est l’un des musiciens les plus actifs et admirés de la scène jazz de nos jours. Lors de ses classes de maître, il a l’habitude de jouer des standards jazz sans accompagnement. Chris Potter, qui a jusqu’à maintenant enregistré 20 albums comme leader et plus de 150 comme musicien accompagnateur, est selon plusieurs musiciens et revues spécialisées le successeur des grands saxophonistes de jazz. « Il est vraiment polyvalent et a une forte présence, tant sur le plan de la sonorité que de l’articulation. Il peut s’adapter à de nombreux contextes parce qu’il est très libre

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rythmiquement sur son saxophone », déclare le saxophoniste Joe Lovano. Le trompettiste Kenny Wheeler, lors d’une entrevue, explique que Chris Potter a été dans sa classe de composition et qu’il l’a un jour appelé pour lui demander un cours privé. Wheeler n’avait aucune idée de comment Potter jouait à ce moment-là. Ils ont commencé en jouant un thème de bebop. Dans la deuxième pièce, Potter est allé plus loin dans sa façon d’improviser. À la troisième pièce, il s’exprimait dans le langage des contemporains de Wheeler. Quand ils ont commencé à jouer la quatrième pièce, c’est Wheeler qui voulait suivre un cours avec Potter! Nombreuses sont les revues spécialisées, comme Down Beat Magazine, qui parlent de Chris Potter en disant : « Un des saxophonistes les plus étudiés (et copiés) sur la planète ». Le New Yorker ajoute : « Un saxophoniste ténor qui rappelle Joe Henderson par son jeu astucieux. Il emploie sa technique considérable au service de la musique plutôt que du spectacle. »

La réputation internationale de Chris Potter, couplée avec le grand nombre de documents audio en performance sans accompagnement, justifie l’importance du saxophoniste dans cette recherche. Chris Potter débute au saxophone alto à l’âge de dix ans et décroche son premier contrat professionnel à l’âge de treize ans. Dans les années qui suivent, il développe des habiletés sur d’autres instruments, tels que la flûte, la clarinette basse de même que les autres saxophones, comme le soprano et le ténor, ce dernier étant devenu, depuis plusieurs années, son principal instrument. Quand la pianiste Marian McPartland a entendu Chris Potter jouer, alors que Potter avait quinze ans, elle a dit au père du jeune talent qu’il était prêt pour prendre la route avec un groupe d’envergure comme celui de Woody Herman, mais le père insistait pour que son fils termine l’école. À seize ans, Chris Potter attire l’attention de Red Rodney, trompettiste qui avait été membre du quintette de Charlie Parker. Rodney était impressionné par le fait que, à ce jeune âge, Chris Potter ait déjà absorbé en grande partie le langage de Parker. À la fin d’un concert, Rodney propose au jeune musicien de le contacter si un jour il passait par New York. Deux ans plus tard, soit en 1989, alors âgé de 18 ans, Chris Potter arrive à New York pour étudierà la prestigieuse Manhattan School of Music, où il commence à jouer dans le groupe de Red Rodney et à vivre la vie d’un musicien professionnel dans la capitale mondiale du jazz.

Au cours des années 1990, Potter continue à gagner de l’expérience comme musicien accompagnateur et comme leader-compositeur-arrangeur. Il affirme : « J’ai eu la chance

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perspective sur la façon d’organiser un groupe et de le guider. Ça m’a appris que toute approche peut fonctionner, en autant que vous ayez une forte vision de ce que vous voulez faire9 ». Selon le

saxophoniste, interagir fréquemment avec d’autres musiciens vétérans lui permettait un accès direct à la tradition jazz. Par exemple, sa participation dans l’ensemble de Red Rodney lui a permis d’accéder, d’une façon sans précédent, à la musique de Charlie Parker.

Comme dans toutes les musiques, les artistes de jazz font avancer leur langage musical en se basant sur le travail des générations précédentes. En 2001, Chris Potter affirme son identité musicale en enregistrant son disque Gratitude, sur lequel il rend hommage aux grands saxophonistes qui l’ont influencé. Potter dit : « Mon esthétique comme saxophoniste a toujours été basée sur Bird [Charlie Parker] et sur de nombreuses formes de musique, comme le funk, le hip-hop, le country, les différentes musiques folks, la musique classique, etc., et pour moi, ne pas laisser transparaître ces influences dans ma musique serait inutilement autolimitant10. » Dans son jeu, il est

possible d’entendre principalement les influences de Charlie Parker, de Sonny Rollins et de John Coltrane, comme l’illustre la Figure 11.

9 Tiré du site web du saxophoniste Chris Potter, traduction libre. 10 Tiré du site web du saxophoniste Chris Potter, traduction libre.

Charlie Parker

John Coltrane

Lester Young, Ornette Coleman,

Wayne Shorter, Eddie Harris, Joe Lovano, Michael Brecker, The Beatles, Frank Zappa, Stravinsky, etc.

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Figure 11 : Illustration de quelques influences du jeu de Chris Potter

Les Figures 12 à 14 montrent quelques extraits de performances solos de chacun de ces saxophonistes en comparaison avec des phrases de Chris Potter.

Figure 12 : Extraits des improvisations de Charlie Parker sur la pièce Honeysuckle Rose

L’exemple montre que Chris Potter, comme Charlie Parker, joue un arpège ascendant à partir de la tierce de l’accord. Le rythme utilisé dans les deux cas est identique. Par contre, les deux motifs ne sont pas placés au même endroit dans la mesure. Par rapport à la mélodie, celle de Parker est basée sur l’accord de Gmaj7, tandis que la mélodie de Potter est basée sur l’accord de Gm7.

L’exemple de la Figure 13 soutient la proposition que les deux saxophonistes utilisent les clichés linéaires11 pour déplacer la mélodie à travers leurs phrases. Dans ce cas, le point d’appui de la

mélodie est la tonique, qui descend chromatiquement.12

11 « Le cliché linéaire est une technique qui enrichit un passage harmonique statique, comme par exemple un

seul accord qui s’étend sur plusieurs temps. » SIRON, Jacques. La Partition Intérieure : Jazz Musiques

Improvisées, 2015.

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Figure 13 : Extraits des improvisations de Sonny Rollins sur la pièce It Could Happen to You et de Chris Potter sur la pièce All the Things You Are

La Figure 14 montre que le concept de Coltrane d’utiliser les degrés 1, 2, 3 et 5 des gammes est aussi utilisé par Potter.

Figure 14 : Extraits des improvisations de John Coltrane sur la pièce Four et de Chris Potter sur la pièce Tune Up

Une partie de cette thèse s’attardera sur des extraits de différents solos sans accompagnement de Chris Potter en utilisant deux approches analytiques distinctes afin de mieux comprendre ses improvisations. Le fait qu’un grand nombre d’enregistrements de Chris Potter improvisant sans accompagnement soit disponible sur Internet nous suggère que cette pratique fasse partie intégrante de son approche artistique.

1.2 Pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement

La pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement est courante parmi les saxophonistes de haut niveau. Le saxophoniste Dave Liebman, lors d’une classe de maître à New York, affirme : « Quand tu joues tout seul au saxophone, tu es vraiment seul, il n’y a pas d’harmonie, ni de rythme,

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ni de section rythmique, tu es responsable de tout » (Liebman, 2007). Il ajoute que cette pratique demande beaucoup de concentration, de compétences et de responsabilités de la part du musicien. Selon Lee Konitz, célèbre saxophoniste associé au mouvement cool, en jouant des instruments uniquement mélodiques, nous sommes censés savoir tout faire avant de nous retrouver avec quelqu’un d’autre (Hamilton, 2007).

Parmi d’autres saxophonistes, Ben Wendel, une des vedettes du jazz actuel dit : « Je continue à pratiquer le jeu sans accompagnement en essayant de définir clairement le contenu harmonique » (Minness, 2013, p.68). De plus, le saxophoniste Patience Higgins, lors de ses premières études avec le pianiste Barry Harris, a appris que tout musicien « devrait être en mesure de jouer une chanson sans une section rythmique ». Higgins ajoute : « […] et être capable de dire quand il est au pont (bridge) ou aux huit dernières mesures de la pièce » (Berliner, 2009 p.180).

Eric O’Donnell (2011), musicien américain qui a étudié avec le pianiste Mulgrew Miller et le saxophoniste Rich Perry, mentionne qu’à la place de pratiquer les standards avec un enregistrement, ou avec des amis, les pratiquer sans accompagnement aidera l’acquisition d’une base solide pour le jeu en groupe. Le batteur Ari Hoenig mentionne que « […] si vous ne pouvez pas faire de la musique par vous-même, vous ne pouvez pas en faire avec d’autres musiciens » (Hoenig, 2011). Au sujet de l’improvisation non accompagnée, le saxophoniste renommé Joe Lovano offre ses conseils :

[…] Essayez de jouer en utilisant la ligne de basse et en soulignant des notes guides à partir des harmonies du piano, tout en tentant de faire face aux polyrythmies13 qui

se produisent à la batterie. Ensuite, lorsque vous jouez avec un groupe, vous pouvez vraiment vous détendre dans ce qui se passe autour de vous […]. En jouant seul, essayez d’énoncer la mélodie et la basse de façon simultanée (Lovano, 2005 – traduction libre).

Selon Joe Lovano, cette pratique d’utiliser une grille d’accords préétablie combinée avec la ligne de basse tout en conservant la pulsation de la batterie permettra au saxophoniste de mieux maîtriser le

13 « La polyrythmie est une superposition de deux ou plusieurs éléments rythmiques fortement indépendants. » SIRON, Jacques.

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contenu harmonique et, par conséquent, rythmique. Cela permettrait au musicien de porter son attention sur la création artistique lors d’une pratique en groupe.

Edward Sarath (2013) suggère que la pratique de l’improvisation sans accompagnement n’est pas seulement extrêmement gratifiante, mais qu’elle peut aussi aider à cultiver des compétences qui sont inestimables dans le jeu en groupe.

Au mois de mars 2018, le journaliste et musicien Claude Thibault a réalisé une entrevue par téléphone avec Chris Potter et, entre ses questions, a demandé au saxophoniste si dans sa pratique personnelle, il avait l’habitude d’improviser sur un standard de façon non accompagnée comme il le fait dans ses classes de maîtres. Voici la réponse de Chris Potter : « Souvent, oui. Peut-être que ça ne sera pas aussi complet qu’une performance avec un début et une fin pendant un temps déterminé, des fois j’arrête un peu. Plusieurs des choses sur lesquelles je travaille sont dans un contexte de standards, car c’est la lingua franca du jazz. Si je me concentre sur un rythme ou un son, c’est souvent sur un standard. » Claude Thibault lui demande ensuite s’il trouve important ou même indispensable pour le saxophoniste jazz d’intégrer cette pratique dans sa routine d’étude et pourquoi. Chris Potter répond :

Je crois que pour jouer dans le langage du jazz, oui, il faut travailler les standards, connaître ce langage et comprendre la structure harmonique, le phrasé et le son. Il y a d’autres façons de jouer de la musique qui ne reposent pas sur les standards, même en jazz. Pour jouer de la musique dans la lignée de ce que je fais, oui, c’est essentiel d’avoir une familiarité avec le langage des standards, du bebop, la structure rythmique, harmonique et mélodique développée autour de tout ça. Absolument.

Ces affirmations aident énormément à comprendre à quel point la maîtrise de la pratique de l’improvisation sans accompagnement est importante.

Jerry Bergonzi14, autre saxophoniste redoutable et très impliqué dans l’éducation musicale, affirme

que l’habileté d’énoncer une grille harmonique au moyen d’une ligne mélodique est une des plus importantes. Être capable d’improviser sans accompagnement à travers une harmonie préétablie permet d’identifier facilement la mélodie (Bergonzi, 2003). Il ajoute que jouer les « contours

14Jerry Bergonzi est l’auteur d’une série de sept livres acclamés par les éducateurs en musique et intitulée Inside Improvisation, où

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mélodiques », c’est-à-dire, les tierces et les septièmes des accords, rend plus facile l’identification de la pièce en question (Bergonzi, 2003). Les notes guides sont fondamentales pour exprimer mélodiquement les harmonies. À celles-là s’ajoutent bien sûr la tonique et la quinte. La Figure 15 démontre ce que Bergonzi veut dire par « contour mélodique ».

Figure 15 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 55, par Jerry Bergonzi

Dans l’exemple ci-dessus, l’auteur utilise de notes d’approche pour arriver aux notes importantes des accords. La Figure 16 présente une ligne improvisée qui commence sur la tierce de l’accord et se connecte en arrivant sur la tierce de l’accord suivant, en gardant toujours cette note pour caractériser la grille d’accords.

Figure 16 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 98, par Jerry Bergonzi

La Figure 17 suggère avec plus de liberté rythmique le contour mélodique15 en utilisant des notes

guides pour démontrer l’harmonie préexistante.

15 Il est important de mentionner que toutes les notes de l’accord, y compris ses extensions, pourraient être

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Figure 17 : Exemple du livre Developing A Jazz Language – Inside Improvisation Series, volume 6, page 98, par Jerry Bergonzi

Les notes guides ne sont pas seulement importantes pour caractériser les accords, mais aussi pour les connecter.

1.3 Que dit la littérature au sujet de cette pratique ?

Si la pratique de l’improvisation non accompagnée selon une harmonie préétablie est peu documentée, il existe toutefois des références dans les textes dédiés à l’improvisation jazz. Dans son livre The Art of Improvisation, Bob Taylor dit : « Improviser sans accompagnement est une grande aventure musicale que très peu de solistes explorent. En plus d’être très bonne pour la pratique et la mémorisation des accords, l’improvisation solo peut être une grande habileté pour la performance » (Taylor, 2000 p.197). L’auteur donne des conseils pour établir une pulsation et rester bien ancré dans la structure de la pièce. Reste à dire que Taylor aborde pourtant ce sujet de manière assez superficielle.

Par ailleurs, la plupart des textes traitant de l’improvisation jazz mentionnent à peine la pratique sans accompagnement. Ils suggèrent plutôt que le musicien participe à des jam sessions ou qu’il utilise d’autres outils disponibles sur le marché, par exemple la grande quantité de disques d’accompagnement16 de la série de standards mise en marché par le saxophoniste et éducateur

Jamey Aebersold, ou encore les logiciels et les applications permettant de créer un accompagnement numérique. Toutes ces possibilités ou « facilitants » peuvent être utiles pour l’apprentissage et le développement de l’improvisation. En contrepartie, ces outils ne motivent pas

16 Le but de ces disques est d’offrir aux musiciens la possibilité de pratiquer l’improvisation sur des standards

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le musicien à pratiquer sans accompagnement. Il est important, au début de l’apprentissage, d’utiliser des séquences audio pour pratiquer l’improvisation. Le musicien pourra expérimenter les notes et les rythmes en improvisant sans avoir nécessairement besoin de gérer la pulsation, la grille harmonique ainsi que la forme de la pièce, car cela sera le rôle de la section rythmique préenregistrée. Par contre, cette pratique ne peut pas garantir que le musicien sera en mesure d’avoir une autonomie sur la pièce pratiquée. Pratiquer l’improvisation sans accompagnement à partir d’une harmonie préétablie permet au musicien de maîtriser le contenu mélodique, harmonique et rythmique et de bien saisir la forme du standard.

D’autres documents traitent uniquement d’une pratique du jeu sans accompagnement, mais sans toucher à l’improvisation. Ils font en général référence au répertoire du saxophone classique, où sont abordés des aspects techniques de l’interprétation des pièces sans accompagnement (Kynasto & Ricci, 1978; Trittin, 1993; McGlynn, 2007; Estes, 2008). L’improvisation jazz sans accompagnement semble donc peu étudiée dans un contexte plus « formel », malgré qu’elle soit très répandue parmi les musiciens de haut niveau dans leur pratique personnelle. Quelques performances sans accompagnement réalisées par Chris Potter ont été transcrites par le saxophoniste originaire de Vancouver, au Canada, Eli Bennett. Les transcriptions des solos apparaissent dans le livre virtuel intitulé Chris Potter Plays Acapella Solo Standards. Bennett ajoute dans son introduction : « Une richesse de connaissances peut être apprise de l’étude de l’approche d’un maître pour jouer sur un standard » (p. 5). À part les transcriptions, aucun des solos n’a été analysé de façon à expliquer le matériel harmonique utilisé par Chris Potter.

Les informations les plus pertinentes concernant la pratique de l’improvisation non accompagnée se trouvent donc dans les enregistrements des maîtres saxophonistes du 20e et maintenant du

21e siècle.

1.4 Techniques d’improvisation jazz abordées

La capacité d’improviser est fondamentale au développement professionnel et artistique des musiciens de jazz. « L’improvisation nécessite un large éventail de compétences et de connaissances de façon simultanée » (Poulter, 2008 p.83). Les techniques utilisées pour improviser ont subi une transformation importante au début des années 1940 en raison de la naissance du style

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surnommé bebop. À ce moment, l’improvisation thématique fait place à l’improvisation harmonique17.

Charlie Parker, dans ses improvisations, ignorait souvent la mélodie du thème pour se baser majoritairement sur la structure harmonique de la pièce (Martin, 2001). L’œuvre monumentale du contrebassiste jazz suisse Jacques Siron, La partition intérieure : jazz, musiques improvisées, est une référence clé en français traitant le sujet de l’improvisation jazz. Ce texte servira de référence pour expliquer et organiser les concepts d’improvisation qui seront appliqués à la musique de Chris Potter.

Selon Siron, le concept d’improvisation harmonique mentionné par Owens peut être abordé selon différents angles. Il suggère deux approches en particulier : la première approche est l’improvisation verticale, où l’accord est exprimé en arpège. La deuxième est l’improvisation horizontale18, où

l’accord est exprimé par des gammes. Le pianiste, compositeur et arrangeur George Russell présente dans son livre Lydian Chromatic Concept of Tonal Organization un tableau nommé « The River Trip ». La Figure 18 illustre comment des saxophonistes innovateurs ont développé leurs improvisations selon une grille harmonique. À la base de la tradition de l’improvisation jazz au saxophone, on trouvera principalement deux « écoles ». Celle qui utilisera l’approche verticale, comme celle de Coleman Hawkins, considérée plus sophistiquée, car cette pratique demande du musicien des connaissances harmoniques poussées, et l’école prônant une approche plus horizontale, celle de Lester Young par exemple, basée plus sur le centre tonal de la pièce.

17 L’improvisation thématique est une improvisation où la mélodie improvisée se développe à partir et autour de la mélodie du thème,

tandis que l’improvisation harmonique considère que l’improvisateur utilisera les éléments des structures harmoniques du thème comme support aux idées mélodiques improvisées (Owens, 1974).

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Figure 18 : The River Trip de George Russell

À part ces deux approches, Siron ajoute qu’« il est possible de développer des idées musicales fortes soit en restant relativement simple par rapport à l’harmonie, soit en se servant de matériaux musicaux qui n’ont rien d’harmonique. Ces idées musicales fortes peuvent être directement efficaces, riches, convaincantes, complexes, modernes, capables d’évoluer et de se développer » (Siron, 2015 p.662).

L’improvisation jazz offre une grande liberté d’expression artistique, les possibilités de création mélodique, harmonique et rythmique étant pratiquement infinies et pouvant être utilisées selon la créativité de chaque musicien au moment de la prestation. Cette liberté justifie le fait que des idées musicales qui ne sont pas prioritairement liées à l’harmonie peuvent être utilisées, comme le souligne Siron. Dans le jeu en groupe, une telle situation peut se présenter si le soliste, par exemple, répète la même note un nombre indéfini de mesures, donnant de l’intérêt rythmique au solo sans nécessairement garder un rapport en premier plan avec la structure harmonique de la pièce.

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Figure 19 : Extrait de l’improvisation de Joshua Redman sur le standard Salt Peanuts

Dans la Figure 19, Joshua Redman répète la tonique pour quelques mesures par-dessus les changements d’accord.

La Figure 20 présente un extrait du saxophoniste Al Cohn, qui improvise pendant quelques mesures sur la note si bémol, centre tonal de la pièce.

Figure 20 : Extrait de l’improvisation d’Al Cohn sur la pièce Zoot Case

Un autre exemple serait un motif rythmique qui reste au centre du développement de l’improvisation durant quelques mesures (Figure 21).

Figure 21 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter en solo sur le standard All the Things You Are

Jouer le même motif rythmique un certain nombre de mesures dirige l’attention sur le rythme, même si l’harmonie est présente dans le motif, tout comme les riffs dans l’époque du swing. Toute musique interprétée pour accompagner la danse (le jazz avant 1945 et même après) a recours à des motifs rythmiques répétés.

Une autre possibilité serait d’avoir une phrase basée sur une métrique différente de celle de la pièce, donnant un effet de polyrythmie. L’extrait illustré dans la Figure 22 démontre l’utilisation d’un contour mélodique où les notes plus graves, qui arrivent tous les 3 temps, donnent l’effet de 3 contre 4.

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Figure 22 : Extrait de l’improvisation de Chris Potter en solo sur le standard All the Things You Are

Mais il serait incomplet de parler d’une mélodie qui représente une harmonie sans mentionner le rôle d’importance du rythme dans cette démarche. Pour la pratique sans accompagnement ainsi que dans une situation de jeu en groupe, il est très important que les rythmes utilisés soient placés de façon cohérente par rapport à la pulsation établie. Certains « motifs rythmiques » sont à la base du développement de l’improvisation de certaines idées mélodiques.

Dans le quatrième volume de sa série de livres dédiée à l’improvisation, intitulée Inside Improvisation Series, Jerry Bergonzi aborde le rôle du rythme. Il affirme que toutes les notes semblent bien sonner si elles sont jouées avec un « bon tempo19 », même les « fausses » notes, alors que jouer de

« bonnes » notes avec un tempo médiocre fera sonner la mélodie de façon tout simplement médiocre (Bergonzi, 1998). Maîtriser la pulsation d’une pièce est donc le point de départ. Cela servira d’appui en ce qui concerne la durée des accords dans une progression harmonique. Par la suite, les rythmes utilisés lors d’une improvisation doivent être appliqués en gardant une cohérence avec cette pulsation. Bergonzi suggère différents exercices pour pratiquer des rythmes dans l’improvisation. Par exemple, limiter le nombre de notes par mesures en utilisant les mêmes rythmes, comme le montre la Figure 23.

19 « Le tempo (time en anglais), est la vitesse à laquelle se déroulent les pulsations. En changeant de tempo,

des valeurs rythmiques identiques changent leur durée absolue. Par exemple, en passant d’un tempo très lent à un tempo très rapide, la durée relative d’une noire est constante (elle reste la moitié d’une blanche ou le double d’une croche), mais sa durée absolue peut varier considérablement ». Jacques SIRON. La Partition Intérieure, Jazz, musiques improvisées ,2015, p.144.

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Figure 23 : Limitation de 3 notes par mesures avec les mêmes rythmes. Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside

Improvisation Series, volume 4, page 9, par Jerry Bergonzi

Bergonzi propose également 22 rythmes différents à jouer (un à la fois) dans le but de guider la mélodie improvisée à travers des rythmes préétablis (Figure 24).

Figure 24 : Développement des mélodies improvisées à partir de rythmes préétablis. Exemple du livre Melodic

Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, page 16, par Jerry Bergonzi

Au fil des chapitres, les exercices deviennent plus complexes. Bergonzi parlera de l’utilisation des hémioles20 (Figure 25). L’utilisation d’autres métriques superposées donnent l’effet de polyrythmie.

L’exemple suggère des rythmes qui soulignent une mesure de 3/4, joués dans une pièce en 4/4.

Figure 25 : Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, page 66, par Jerry Bergonzi

En parlant du rythme, le batteur Bob Moses, dans son livre Drum Wisdom, parle du concept appelé les « huit points ». Moses suggère qu’au lieu de séparer une mesure de 4/4 avec des noires en soulignant le premier temps comme le plus important, il subdivisera les quatre noires en huit

20L’hémiole, du point de vue du rythme, est une polyrythmie dans laquelle, par exemple, trois durées égales prennent la place de

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croches (Figure 26). En divisant la mesure de cette façon, il y aura donc huit points, dont quatre sur les temps et quatre sur les contretemps du tempo. De cette manière tous les points auront la même importance.

Figure 26 : Concept des huit points par Bob Moses

Cette perspective de diviser le tempo permet de concevoir l’improvisation à partir d’une autre optique plus rythmique. La méthode de Bergonzi21 propose d’improviser en utilisant quatre croches dans une

mesure de 4/4, accentuant tour à tour chacune des huit croches contenues dans une mesure (Figure 27).

Figure 27 : Exemple du livre Melodic Rhythms – Inside Improvisation Series, volume 4, pages 29 et 30, par Jerry Bergonzi

Développer cette maîtrise rythmique permettra à l’improvisateur d’enrichir son discours en améliorant sa flexibilité de jeu et donc sa liberté de création artistique. Le rythme sera toujours la structure d’appui à l’improvisation. Si la représentation d’une harmonie préétablie à travers la mélodie reste l’élément central des analyses de la présente thèse, il est important néanmoins de rappeler la primordialité du rythme en tout temps dans toutes les musiques liées avec la danse. La

21 Le pianiste Barry Harris, lors de différentes classes de maîtres, parle également de l’importance du rythme

dans la construction de phrases et propose aussi le même exemple de Bergonzi en utilisant des croches à différents endroits de la mesure. Exemple : sur le premier temps, sur le et du premier temps, etc.

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majorité des musiciens pratiquant l’improvisation jazz admettent que, en fin de compte, le rythme l’emporte sur le choix des notes (l’harmonie).

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2 Cadre théorique

La présente thèse s’appuie sur la notion d’improvisation harmonique décrite par Siron (2015). Cette dernière repose sur deux approches. La première est l’approche d’improvisation horizontale dans laquelle « on souligne les principales haltes tonales et les principaux virages harmoniques, en utilisant le maximum des notes communes à plusieurs accords et en traversant le plus grand nombre possible d’accords avec la même gamme ». La deuxième approche est celle de l’improvisation verticale, qui considère que « la mélodie elle-même participe au développement vertical. L’accord est souvent exprimé sous forme mélodique, c’est-à-dire en arpège » (Siron, 2015 p.412).

En utilisant ces deux approches, le musicien doit les intégrer dans la mélodie. C’est en développant une maîtrise en profondeur de la structure harmonique de la pièce qu’il bénéficiera de ce que nous appellerons « l’autonomie harmonique », ce qui est illustré dans la Figure 28.

Figure 28 : Cadre théorique de recherche

Instrument monodique (saxophone)

Pratique de l'improvisation jazz sans accompagnement selon une harmonie préétablie

Improvisation Harmonique : Approche horizontale Approche verticale Autonomie harmonique

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3 Méthodologie

C’est l’approche qualitative qui est utilisée pour répondre à la question de recherche et définir les étapes permettant d’atteindre cet objectif. La Figure 29 décrit les étapes du processus de recherche dans son ensemble.

Figure 29 : Étapes du processus de recherche

La revue de la littérature présente une définition de l’improvisation jazz sans accompagnement et des concepts liés à l’improvisation harmonique, de même que l’utilisation de celle-ci dans la pratique selon plusieurs auteurs et musiciens.

Les deux étapes suivantes représentent la collecte des données. Selon l’objectif du travail, deux moyens ont été choisis pour obtenir ces données, soit : a) la transcription, l’analyse et les commentaires des extraits de solos sans accompagnement du saxophoniste Chris Potter et b) la présentation de l’expérience personnelle de l’auteur de ce travail, également saxophoniste. Ces étapes sont décrites ci-après :

a) Transcription, analyse et commentaire des extraits de solos sans accompagnement de Chris Potter. Les solos de Chris Potter seront la source principale de cette étude. Ils seront divisés selon le concept d’improvisation harmonique qu’ils présentent. Le résultat de ces analyses permettra de lancer un regard sur les techniques abordées.

b) Présentation de la pratique personnelle de l’improvisation sans accompagnement. L’objectif central de ce doctorat en interprétation est de développer la compétence de l’autonomie harmonique par la voie de la pratique de l’improvisation sans accompagnement, tel qu’illustré par Siron. La pratique personnelle est une étape essentielle où le but est de mettre en contexte réel de performance le côté théorique présenté dans cette thèse. Une analyse de la transcription de la pièce Monk’s Mood du

Revue de la littérature Transcription, analyse et commentaires des extraits de solos Présentation de la pratique

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pianiste Thelonious Monk, enregistrée par le doctorant sur son disque de doctorat, servira d’exemple pour une évaluation plus concrète du niveau d’atteinte de cette autonomie harmonique.

Suivant la collecte des données, les résultats sont présentés. Ils illustrent les facteurs reliés au développement d’une autonomie harmonique par la pratique de l’improvisation jazz sans accompagnement. L’ensemble de ces étapes mène à la conclusion du présent travail.

Figure

Figure 1 : Extrait du deuxième mouvement de la Sonate en sol mineur pour violon solo de J.S
Figure 4 : Extrait de l’improvisation de Charlie Parker sur la pièce Anthropology
Figure 6 : Extrait de l’improvisation de Lester Young
Figure 8 : Extrait de l’improvisation de Louis Armstrong sur la pièce Potato Head Blues
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