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Marier la source et la blessure

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Marier la source et la blessure

Mémoire

Denise Archambault

Maîtrise en études littéraires

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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iii

Résumé

Alors que la langue du discours utilitaire s'articule autour de notions et de concepts pour des fins de de communication, la langue de la poésie sourd de l'intériorité de l'être. Elle soutient le poète en marche vers l'apprentissage de la parole vivante, la-quelle s'incarne dans son histoire personnelle et sa relation au monde. Marier la

source et la blessure rassemble des textes poétiques où gravitent les thèmes de la

tristesse, de l’angoisse, de la révolte et de l'espoir. Des moments de clarté, un souffle d'énergie, des instants d'apaisement. Un passage de l'ombre à la lumière. Au cœur de ce pèlerinage à la rencontre de soi et de l'autre, s'exprime un désir d’accomplissement.

Pour soutenir cet ensemble de textes, on trouvera un propos sur le mouvement sur-réaliste et l'apport de Pierre Reverdy à la poésie contemporaine. Puis, entre l'essai et les notes d'un journal de lecture de poésie, s'ajoute une partie réflexive sur démarche d'écriture poétique.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Première partie : Marier la source et la blessure ... 3

Deuxième partie : D'une écriture à l'autre ... 45

Chapitre 1 — Écrire pour informer ... 47

Chapitre 2 — Écrire pour exprimer ... 49

Chapitre 3 - Un regard sur le Surréalisme ... 55

Chapitre 4 - L'image poétique ... 65

Chapitre 5 - Reverdy et la poésie contemporaine ... 71

Le recueil Sources du vent ... 78

Chapitre 6 - Vers la profondeur de l'âme ... 87

Conclusion ... 93

Bibliographie ... 97

Ouvrages sur l'écriture, l'imaginaire et la philosophie ... 97

Ouvrages sur la poésie ... 97

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vii

Remerciements

Je salue et remercie chaleureusement Jean-Noël Pontbriand. Avec patience et bien-veillance, il a su m'accompagner dans les méandres de ma démarche d'écriture. Son soutien et sa disponibilité m'ont éclairée tout au long de mon pèlerinage vers ce lieu de la parole naissante.

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1

Introduction

L’écriture de textes de fiction, de poésie et ceux d'information comme les textes scien-tifiques emprunte des chemins différents. C'est une évidence et tous en conviennent aisément. Pour Juliette, l'expérience de la création littéraire se résume à quelques ten-tatives le plus souvent liées à des travaux scolaires. À ce jour, sa connaissance de la poésie s'articule davantage autour d'aspects théoriques. Néanmoins, sa grande curio-sité et son intérêt pour ce mode d'expression l'amènent à s'interroger sur l'écriture de la poésie. Alors qu'elle prépare un exposé sur le sujet, elle discute interpelle une au-teure engagée dans une réflexion sur sa démarche en écriture poétique.

Ŕ Mon travail consiste à expliquer ce qu'est la poésie. Moi, j’aime lire des romans et des articles sur plusieurs sujets. J’aime aussi lire de la poésie. Je découvre qu'il y a aussi toutes sortes de poèmes. Il y en a que j'aime beaucoup, d'autres qui m'ennuient. Parfois, j'ai l'impression de ne rien comprendre.

Ŕ Et toi, est-ce que tu en écris de la poésie ?

– Oui, quelquefois. Je pars d'une idée ou d'un souvenir. D'autres fois, je fais un jeu. Par exemple, je choisis une partie d'un poème, puis j'écris à partir de certains mots. Ou encore, j'essaie d'imiter un poème en ne changeant que quelques vers.

Devenue songeuse, Juliette se rappelle avoir été fascinée par certains poèmes. Elle aimerait comprendre si cela vient des mots, de leur sonorité ou plutôt des images. Pour l'auteure, l'imbrication de ces éléments engendre un lieu de parole vivante. Elle conçoit que l'écriture poétique s’appuie à la fois sur un travail d’exploration des mots et sur le mouvement d’intériorisation dans lequel elle s’engage. De son point de vue, l'un et l'autre sont les ferments de la naissance d'un texte où s'exprime une émotion. Avant de poursuivre la discussion, elle invite Juliette à lire quelques-uns de ses textes ras-semblés sous le titre Marier la source et la blessure.

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5 je ne sais pas ce qui se cache

dans le ventre des miroirs

les pendules traînent leurs revenants assoiffés de parole

la terre verse ses larmes

au fond des volcans la peur s’accroche aux roseaux je ne sais pas ce qui se trame

derrière ce voile

les arbres s’agrippent au ciel le souffle de l’hiver

me prend par la main je m’éloigne du vide

la neige effleure mes désirs je marche

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6

il faudra oublier les voix discordantes dessiner la colère du lys

la main de l’ange sur ta bouche

le sommeil tisse l’envers des absences la terre recompose ses racines

il pleut des hivers gris la détresse des cendres descend au puits des larmes en nos dimanches

la rumeur des rêves

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7 chaque goutte de rosée

me rappelle à la mer d’hier à demain

le souffle de tes mains comme soleils éclatés

pour toute révolte les os glacés de l’oubli

l’entière beauté

soudainement embrassée au creux de mon épaule ta voix mon refuge

toi

mon port d’attache corps et âme

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8

j’erre dans mes îles

le vent tourmente mes humeurs un pan de ciel

crève la brume

je croise des sentiers caillouteux ton rire fouette les blés

le parfum des joncs dans mes veines je retourne à mes terres

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9 dans le désordre des cendres

je trace le sillon du vertige emportés par le silence les mots tourbillonnent les passions s’abandonnent

j’avance

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10

la mer porte ses mirages le vent dévaste les dunes

j’enflamme la broussaille des pas des voiles d’embruns

s’agrippent au soleil

tes lèvres éteignent mes chagrins

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11 j’ai rencontré la mésange

nous avons bavardé nous avons rêvassé

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12

le jour répand son odeur

le cœur plonge dans ses racines

la rivière emporte des débris de solitude la forêt retisse les confidences

au cœur des mémoires anonymes

comme une louve

mes bras s’ouvrent aux voix du chêne entre l’exil et la souvenance

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13 c’est un temps de grisaille

sur la ville sans patience tout s’envole

le vent saigne jusqu’à l’âme

j’écoute l’abandon des arbres

le ciel n’a plus d’écho s

a peine jaillit du fond des pierres la rivière frissonnant d’amertume cherche sa voix

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14

aux flots des rivières le vent attise ma colère

entre le dehors et le dedans la fougue des torrents écorchant la prairie le désarroi

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15 mes pas frissonnent

d’exil en partance la vie s’épuise

des hommes des femmes des enfants traînent leurs cris

dans nos regards absents

le jour avale nos rêves

la liberté forge l’envers des passions parfois il suffit d’écouter

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16

au carrefour des lendemains le hurlement des fauves s’égare

la peine se mêle à la source les arbres pleurent

des âmes pétries de mystère

ouvrent le jour jusque sous les ronces

mots trahis mots perdus comme la lune grise de soleil

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17 la nuit tombe à l’envers

je ne sais pas où se cachent mes larmes des silhouettes frôlent l’absence

la rivière creuse sa mémoire

je marche en d’autres lieux mon regard s’invente des miroirs

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18

je ne sais pas pourquoi les naufrages rendent les plages si envoûtantes

les miroirs se taisent

sans cesse ton visage m’appelle

ton regard

dévoile l’intimité de l’arbre

je ne sais pas pourquoi l’abandon je marche sur des draps de silence

sans voix ni lois sur la place déserte

quelques mots s’échappent

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19 derrière les mots

des gouttes de sang

suspendues au pain du jour la révolte sans cesse remuée

derrière les légendes

la résurrection des ancêtres la rage des insoumis

la déchirure du temps

violence du désir à l’entour de la misère

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20

la mémoire cherche son nid ma main cherche ses mots

de rafales en rafales la nuit emporte ma voix

j’écoute sa cadence sur le chemin des pas perdus

la lune décompose mes rêves c’est l’heure de préparer la fête pour ceux qui se sont envolés

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21 un peu d’eau et de farine

pour le salut de la terre

les bras chargés d’ombres et de lumière il arpentait ses champs dorés

le cœur rempli d’étoiles

un peu d’eau et de farine c’est tout ce qu’il disait

personne ne l’entendait ne restait plus

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22

femme d’alliance et d’étincelles ton rire éclate dans mes veines ta voix drapée de novembre

m’entraîne dans la coulée du soleil

l’amour t’a conduite à la mer qui t’emporta loin de nous

la fureur des marées hante les îles tumulte et fracas

déroulent ma peine

ton souvenir tisse mon langage

inlassablement

le fleuve raconte ses voyages à l’instant

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23 tremblant sous les coups du hasard

les naufragés du silence

dessinent des maisons odorantes dans le désordre des pierres

cachant leurs blessures

s’accrochent aux arbres solitaires

rompant les amarres de la peur

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24

de grands arbres neigent des voix

des confidences

le miroir des jours sans lumière

devant moi

le silence percutant des paysages inachevés

au bout de mes doigts

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25 j’entends ton rire d’ombres lumineuses

tu défais mes nœuds d’errance tu sais ma quête

écrin de mots muets mémoire de soie

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26

le ciel agrandit ma fenêtre

je tire mon sac de rides et de poussière sur les rives enneigées de souvenirs l’ombre dessine sa silhouette

des mots diamants des mots velours éventent les armures

je fouille la mémoire des arbres et du vent je cherche tes traces

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27 perdue dans le sillon des nuits

je parle pour habiter ma vie sur des vagues insoumises

puis un matin

le pommier offre ses fleurs aux passants l’air s’endimanche

je revois ton visage nos gestes

sans comment ni pourquoi

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28

le soleil guette l’ondée comme au premier jour son fol amour

traverse les dunes

infiniment recommencées

de saison en saison

nos silences s’inventent des mots fleurant l’ivresse

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29 je promène les feuilles de l’oubli

mon cri étouffe le chant des peupliers

un homme s’avance

ses épaules portent le souvenir de la mer

naître à l’autre en soi délaisser ses cendres à la lisière de l’errance

pieds nus

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30

rappelle-toi

la rugosité de l’écorce le poids des montagnes les hivers endormis nos matins de soleil

secouant la rigueur du temps

rappelle-moi

l’éclat des épervières délivrant nos secrets au cœur de l’origine

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31 la violence des ombres

envahit nos saisons

sans le moindre bruit la terre porte ses fruits un peu de miel et d’écume

s’accroche aux moulins d’épouvante

la mémoire cherche sa part d’ivresse

la soif d’être vrai la folie de vivre le plaisir d’aimer

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32

nos mains traversent la nuit d’île en île

la mer réinvente

l’éparpillement des glaces

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33 le vent se souvient des saules

l’horizon part à la dérive la source confond le coudrier

derrière la porte close des jardins le chant de la tourterelle

des mots se taisent

je verrouille les pièges si proche

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34

à l’ombre des amandiers nous goûterons le matin

dévorant le soleil nous posséderons

la lumière des amours interdites

nous irons

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35 je parle de neige et d’Arabie

la nuit s’éteint la terre hurle

au-delà des trahisons

les songes renaissent sur ma peau

je n’entends plus que tes lèvres tout s’arrête

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je dis l’oubli des plages le mystère des tambours la magie des ombres

j’écris le vent

la fierté des pins parasols le pardon des eaux vives

dans ton regard le fleuve natal dans tes mains des éclats de mer au creux de mes reins le souffle de ma délivrance

je m’éveille à d’autres lunes mon cœur mis à nu

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37 des voix s’égarent

le soleil pâlit

les horloges s’emportent l’automne s’effeuille

allons

à la fontaine de sel

célébrer la liberté d’être né

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38

traversée d’orages et d’épouvante la patience des pierres

rôde autour de mes silences court dans mes rêves

la main remplie de mots brisés

je suis d’angoisse et de couleurs de cris et de vents

je suis d’hier à demain

je sais

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39 les enfants courent

à l’assaut des châteaux et des fables

chaque matin

ils réinventent le langage des battures leur tête ouvre le paysage

leurs pas fauchent les étangs leurs mains détournent le vent

ils traversent les rideaux du mensonge s’abreuvent à la fusion des étoiles déroulent l’échelle de leurs rêves de la source au volcan

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corps et décor sous un même toit j’ai froid

d’autres prient ma chatte veille

qu’importe le reste et le non-dit

dehors la nuit fabuleuse embrase ses feuilles

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41 au puits des amours

l’évasion d’une pluie d’été

défiant les torrents une vieille dame répand du myosotis sur des terres incendiées

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en ce temps-là

je m’écartais de ma glaise j’allais à mes côtés

ne voulant plus savoir

je bouquinais mes passions courais vers des fontaines sèches

en ce temps-là

la promesse des marées pour tout désir

je trafiquais ma peur du bout des doigts préparais ma naissance

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43 Après la lecture des poèmes, Juliette s'interroge à nouveau.

– En fait, je ne sais pas ce qu'est bon poème, ni comment on le crée. Je me demande à quoi pense un poète et comment on écrit. Pourquoi a-t-il choisi d'écrire de la poé-sie ? Qu'est-ce qui l'inspire ? Est-ce que c'est difficile ou est-ce qu'il existe un don pour en écrire ? Comment choisit-on les mots ? J'aimerais aussi savoir si la poésie a chan-gé au fil des années.

‐Tu as de bonnes questions. Je me souviens d'un poème qui m'a étonnée. Les mots, les images m'ont rappelé un moment de ma vie. Alors, ce poème est devenu un peu le mien.

‐Moi, quand je m'installe pour écrire, il m'arrive aussi d'écouter le silence autour de moi et de prendre les mots qui surgissent tout seuls. Puis, en relisant mon texte, je retiens ceux que je trouve les plus importants pour dire comment je me sens. Il y a un poème que j'ai écrit il y a déjà quelques mois, que j'aime encore beaucoup.

‐Tu sais, au sujet des mots qui arrivent à nous un peu par surprise, le poète André Breton a parlé de « la phrase qui cogne à la vitre ».

‐ Oui, je vois.... Il me suffit d'ouvrir la fenêtre !

Pour permettre à Juliette de saisir le caractère singulier de la poésie, l'auteure fait un tour d'horizon de l’évolution de ce mode d'expression. Son étude du mouvement sur-réaliste et de l’œuvre de Pierre Reverdy l'ont amenée à pousser plus avant sa ré-flexion quant à son propre cheminement en écriture poétique. Avant de lui présenter sa pensée sur l’écriture poétique, elle traite de la différence entre l'écriture de textes scientifiques et celle de textes poétiques.

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Chapitre 1 — Écrire pour informer

Depuis longtemps, les textes scientifiques jouissent d’une attention soutenue et d’une popularité assurée. Construits à partir d’un langage logique, ils sont aisément recon-nus à titre de documents de référence incontournables. Ils infléchissent la prise de décisions en divers milieux. Considérés comme des guides incontestables, ils consti-tuent l’ancrage, d’autres diront l’apothéose, de la pensée objective. Ils présentent gé-néralement des enquêtes ou des recherches visant à mieux cerner la réalité de phé-nomènes complexes. Qu’il s’agisse des domaines de la physique, de la chimie, de biologie, l’objectif est l’acquisition de connaissances rationnelles. Développés à partir d’hypothèses plausibles et d’observations rigoureuses, ces textes captent la raison, sollicitent fondamentalement la faculté de comprendre. Les sujets sont examinés à l’aide de processus d’analyse systématique et de paramètres vérifiables. La démarche et les résultats obtenus sont exposés de manière explicite.

L’auteur transmet l’information de manière logique et méthodique. À cet égard, il étaye son argumentaire de preuves formelles et convaincantes issues d’expérimentations. Il rédige son texte à l’aide de mots concepts. Soucieux de la clarté de son propos, il uti-lise des mots appartenant à un langage codifié, voire figé. En outre, il privilégie ceux dont l’acception fait un large consensus chez les spécialistes. Conséquemment le pro-pos est élaboré à partir d’une terminologie ou d’une nomenclature admises dans le milieu scientifique. Le cas échéant, un glossaire est ajouté pour une plus grande ac-cessibilité.

La lecture de ces textes fait appel au raisonnement. Ce qui retient l’attention est de l’ordre des faits et des observations. Sans contredit, l’esprit Che Houang plane encore parmi nous. Cet empereur de Chine, désirant conforter son autorité auprès de ses sujets a travaillé ardemment à la réforme de l’écriture proclamant fièrement : « J’ai apporté l’ordre à la foule des êtres et soumis l’épreuve des actes et les réalités :

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chaque chose a le nom qui lui convient1 ».

Or, la perspective d’un échange réciproque entre l’auteur et le lecteur s’inscrit diffici-lement dans ce corset d’informations. La communication circule de façon univoque. Il en est de même pour des textes théoriques en d’autres domaines que celui des sciences dites exactes. Quand l’objectif est d’informer, de défendre une thèse ou de faire valoir un point de vue, on se réfère toujours à un cadre précis. Ainsi, des études en sciences humaines, en linguistique par exemple, sont elles aussi assujetties à des normes contraignantes.

Le langage des textes scientifiques exerce une influence déterminante au sein des institutions sociales. Toutefois, se limitant à la dimension rationnelle des choses, il li-mite notre perception du monde. L’importance de la dimension affective échappe à l’entendement. En fait, il serait malsain de penser que tout s’organise dans la vie des êtres, dans le rapport de soi à soi, de soi à l’autre à partir de ce langage fermé et im-personnel.

Tel est, dit Jean Rostand, le message de la science. Il est aride. La science n’a guère fait jusqu’ici de donner à l’homme une conscience plus nette de la tragique étrangeté de sa condition, en l’éveillant pour ainsi dire au cauchemar où il se débat. On est fondé à souhaiter que, dans l’avenir, elle apprenne à user de sa puissance pour dispenser à l’homme la paix affective, l’aise mo-rale...2

Certes, la science exerce une influence importante. Mais, il existe aussi un langage ouvert pour saisir la réalité des choses autrement. Ce dernier apporte une connais-sance intuitive tournée vers les sensations. Par sa vertu créatrice et son pouvoir de suggestion, le langage poétique a la capacité et le pouvoir d’engendrer une œuvre d’art. Il laisse advenir la pensée de l'être exprimant ses profonds désirs. Quittons l'uni-vers de l'activité conceptuelle pour aborder celle de l'imaginaire.

1 Georges Gusdorf, La parole, Paris, Quadrige, Presses universitaires de France, 1952,

p.124

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Chapitre 2 — Écrire pour exprimer

Orphée, le poète/musicien, charme les bêtes par son discours en chantant sa nostal-gie. Le mythe devient une source de fascination profonde inspirant de nombreuses œuvres à travers les âges.

Le désir du poète est de créer une œuvre d'art vivante, recréatrice d'émotion (Breton). Il ne cherche pas à convaincre, ni à plaire. Son objectif n’est pas d’informer, ni d’élucider des concepts ou des notions : « On n'écrit pas pour soi. Si écrire est un moyen de révélation au premier chef, c'est aussi un moyen de communication. Mais pour le poète, […] il s'agit d'émouvoir. Ce qui n'est rien de moins que de faire jaillir la source du rocher1 ». Il s’exprime Ŕ se met en œuvre Ŕ en puisant dans l’expérience de

sa propre vie. Il aborde la réalité des choses avec son intuition. Il s’y investit avec toute sa sensibilité. La recherche de sa propre parole fonde le processus de création dans lequel il s’engage. Il exprime ce qu’il ressent de manière personnelle : « Au pro-cès immémorialement intenté par la connaissance rationnelle à la connaissance intui-tive, il appartiendra au poète de produire la pièce capitale qui mettra fin au débat2 ».

Les textes poétiques recréent une expérience personnelle vécue. Parfois, ils apparais-sent obscurs, énigmatiques. Souvent perçus comme arides et semblant réservés à des personnes initiées, ils sont mis de côté. Toutefois, bien qu’une œuvre puisse comporter des aspects nébuleux, elle n’en demeure pas moins significative. Char dit : « Salut à celui qui marche à mes côtés au terme du poème. Il passera demain debout sous le vent3 ».

Un doute persiste : sont-ils vraiment hermétiques ? À cette opinion assez répandue, il convient d’en apporter une nouvelle. Faute de quoi, l’essence fondamentale de ces écrits restera dans l’ombre. Toute la richesse de ces textes requiert du temps : « Une œuvre n'est pas forcément obscure parce qu'elle est fermée. Seulement, au lieu de

1 Pierre Reverdy, Oeuvres complètes, Cette émotion appelée poésie, Écrits sur la poésie

(1930-1960), Paris, Flammarion, 1974, p.28

2 Georges Mounin, op.cit., Avez- vous lu Char ?, p.92 3 Ibid., p. 29

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heurter les murs pour y pénétrer, il s'agit de prendre l'issue qui lui distribue la mière4 ». D’ailleurs, ce vif attrait qu’ils exercent depuis si longtemps démontre qu’ils

possèdent une force vitale. Pour Rilke, « la poésie est la vérité ineffable ».

L’écriture exige de se départir des artifices et idées préconçues. Le poète avance pro-gressivement sur la voie de l’intériorité. Le retour sur soi fait avec confiance permet d’affiner sa perception. Son attitude d’accueil lève les barrières qui le tenaient éloigné de sa nature profonde. Le mouvement de repli et d’ouverture, vécu sans excès, tend à un plus grand équilibre de l’être. À travers cette relation réactualisée, le désir instinctif de se co-naître l’amène à ouvrir une voie vers l’autre. Ces moments de rencontres inédites apportent un dynamisme et une force de création. La reconnaissance de pen-sées mises au jour crée un effet d’entraînement par lequel le moi découvre ce qu’il est.

Je est un autre.

S’aventurer dans la profondeur de l’être provoque un contact renouvelé avec la mé-moire et les souvenirs. L’attitude méditative et l’intuition ont la capacité d’élargir la conscience de soi et d’amener l’être vers la vie spirituelle :

Spiritualiser, c'est changer de plan, et passer du plan relatif au plan absolu. C'est d'un seul coup atteindre la réalité pure. […] C’est passer dans un autre mode que celui où nous sommes réduits à l’état peu enviable de prisonniers. C'est quitter le domaine instable des sens et des sentiments pour s'établir dans le domaine de l'esprit5.

Découvrant une part de lui-même cachée ou ignorée pendant longtemps, le poète re-définit son rapport avec le monde. Il démêle valeurs, pensées et certitudes. Revisitant son enfance, fouillant sa mémoire, il accède à une co-naissance de soi. Écrire, c’est laisser libre cours à l’imaginaire et explorer la matière des mots qui, dans la vie cou-rante, est confinée à une fonction utilitaire. Le langage familier appartient à tout le monde et à personne. Inscrit dans une convention, il se trouve confiné à une dimen-sion pragmatique. Il sied aux préoccupations du quotidien et à la réalité des choses usuelles.

4 Pierre Reverdy, Gant de crin, Paris, Flammarion, 1968, p. 29 5 Pierre Reverdy, op.cit., Gant de crin, p.145

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51 Or, le langage poétique nourrit des aspirations différentes. Il est le gardien de l’émotion vécue dans le temps et à travers le temps. En exprimant l’inexprimable, il immortalise des sensations et les fait revivre à d’autres. Véhicule de l’émotion, ce lan-gage éveille la sensibilité de l’être. La fonction du lanlan-gage est ici liée à la dimension spirituelle. Pour Wordsworth, « la poésie est le souffle et l’esprit subtil de tout savoir; l’expression spontanée qui se lit sur le visage, de toute science6 ». Benjamin Péret,

quant à lui conçoit que la poésie est : « le souffle de l'homme, la source de toute con-naissance et cette concon-naissance elle-même sous son aspect le plus immaculé7 ».

Le poète ressent et fait ressentir à l’aide des mots et des images. Sa sensibilité, son style, l’expression de son authenticité, se dévoilent au fil de son travail. La singularité de ses écrits atteste sa marque d’influence, son empreinte dans le mouvement de la vie. « Car la poésie n’est autre chose que l’âme qui se révèle et se répand8 ».

Sans contraintes sur les plans pratique ou théorique, mettant de côté les idées et les concepts, il laisse émerger l’imagination poétique. En plongeant dans l’univers des mots, il découvre le langage vivant incarné. Attentif à ce qu’il ressent, il amorce son texte sans en connaître le point d’arrivée. Il accueille l’inconnu, puise dans ce creuset de nouveauté. Il voit surgir ces témoins de l’être, les mots de l’imagination et de la sensibilité exprimant l’émotion fragile et momentanée. Bachelard en parle en ces mots : « Pour un rêveur de mots, il y a des mots qui sont des coquilles de parole. Oui, en écoutant certains mots, comme l'enfant écoute la mer en un coquillage, un rêveur de mots entend les rumeurs d'un monde de songes9 ».

Son cheminement vers une plus grande conscience de soi et la recherche de sa parole imprègnent sa démarche d’écriture. Des périodes de tâtonnements et d’errance ponctuent son expérience de création. Des mots inattendus percent de

6 Georges Mounin, op.cit., Avez-vous lu Char ?, p. 94

7 Benjamin Péret, Le déshonneur des poètes, J.J. Pauvert, éditeur Liberté 23, coll. Liberté,

Jean-François Revel, (dir.), 1965, p.71

8 Œuvres de Maurice de Guérin : Journal, lettres, poèmes et fragments. Lettre à Eugénie

(24 mai 1830), 1850, p.134

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nouvelles fenêtres. Avec vigilance et assiduité, il réorganise son texte, replace cer-tains mots, retranche ceux qui enferment le texte ou le conduisent vers des lieux communs. Certains lui paraissent insuffisants, d’autres exubérants. Les mots vec-teurs d’émotion, ceux qui ont le pouvoir de faire revivre une expérience retiennent son attention. Par leur sonorité et leur pouvoir d’évocation, ils suggèrent des pen-sées percutantes et tonifiantes. Sans relâche, il défriche le langage, le redécouvre. À travers la régénération des mots, le poète découvre son propre langage. Il s'emploie à retrouver le sens premier des mots parce qu'il sait que : « les mots en nos cultures savantes, ont été si souvent définis et redéfinis, ils ont été casés avec tant de préci-sion dans nos dictionnaires, qu'ils sont vraiment devenus des instruments de la pen-sée. Ils ont perdu leur puissance d'onirisme interne10 ».

L’expérience de vie du poète et le poème se fondent l’un dans l’autre. S’installe un perpétuel dialogue entre le moi qui vit et le moi qui écrit. Tout au long de son parcours, il apprivoise l'être insoupçonné qui se révèle. René Char à cet effet dit simplement : « Le poème doit d’abord avoir été le poète lui-même. Le poète est l’homme qui re-trouve la parole grâce à une ascèse qui le délivre de lui-même11 ».

La poésie vibre et fait vibrer. Les textes avivent des sentiments et ouvrent l’esprit de l’être pensant. Le poète, par son travail assidu, élargit sa conscience et accroît sa connaissance par les voies de la sensibilité et de l’intuition. Le poème s’engendre avec une émotion, l’infrarouge de la connaissance (Mounin) et il se déploie dans l’incarnation des mots. Il ne peut pas naître dans les dédales d’un langage imperson-nel. Valéry le conçoit ainsi quand il écrit : « La poésie est l’essai de représenter ou de restituer par les moyens du langage articulé, ces choses ou cette chose que tentent obscurément d’exprimer les cris, les larmes, les caresses, les baisers, les soupirs12 ».

10 Gaston Bachelard, op.cit., La poétique de la rêverie, p. 30 11 Georges Gusdorf, op. cit., La parole, p. 73

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53 Le poète élargit sa conscience et développe sa connaissance en empruntant les voies de la sensibilité et de l’intuition. Il crée un lieu de rencontre et un espace de commu-nion où il devient possible pour d'autres de retrouver ces mêmes sensations.

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Chapitre 3 - Un regard sur le Surréalisme

À travers les époques, les modes d’expression se sont développés sous l’influence d’une personne ou d’un groupe de personnes. L’essai de nouvelles techniques, la dé-couverte de matériaux ou la prise de position face à des évènements importants ont fait apparaître soit des écoles soit des mouvements artistiques dans les domaines de la peinture, de la musique et de la littérature. Qu’il s’agisse de l’Impressionnisme, du Fauvisme, du Cubisme littéraire ou du Dadaïsme, les créateurs ont su infléchir cette évolution à leur manière.

En réaction au style des Parnassiens, musiciens, peintres et écrivains cultivent un art s’inspirant davantage de leurs préoccupations personnelles. En poésie, signalons l’influence du Symbolisme, lequel connut un essor entre les années 1880 et 1890. Dé-sormais, les textes empreints d’une plus grande liberté attestent l’émancipation du langage.

Ainsi, les poètes délaissent les descriptions ciselées, introduisent des rythmes variés tout en privilégiant dorénavant le vers libre. Considéré comme un mouvement par les uns et comme une école par d’autres, le Symbolisme laisse sa marque jusqu’au XX e siècle. Le manifeste de Jean Moréas publié dans Le Figaro du mois de septembre 1886 présente davantage l’état d’esprit de ces poètes et la revendication d’une plus grande indépendance.

Nerval, Baudelaire, puis Mallarmé, Rimbaud, Apollinaire suscitent la curiosité par leur approche singulière inscrite dans cette « grandiose et dramatique odyssée de la cons-cience poétique » (Carrouges). À leur manière, ils engendrent un style percutant. À cet égard, cette lignée de poètes indignés concoure à l’avènement du Surréalisme vers les années 1920. Il n’est pas inutile de s’arrêter sur ce dernier, lequel a définitivement marqué l’écriture poétique.

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Initié par André Breton, ce mouvement auquel s’est joint Aragon, Thédore Fraenckel1

et Philippe Soupeault, regroupe des peintres et des écrivains opposés aux diktats de la bourgeoisie et de ses institutions. Tous s’insurgent contre cette société entichée du positivisme, du discours de la philosophie et des lettres classiques. La suprématie des conventions établies en système que ce soit la justice, l’armée, la religion ou l’éducation heurte leurs valeurs et les met en rage. D'ores et déjà la communauté ar-tistique réunie autour de Breton éprouve le sentiment urgent, qu'il traduit par le besoin de : « changer les bases par trop chancelantes et vermoulues du vieux monde ». Bre-ton dit que : « l’attitude réaliste, inspirée du positivisme de Saint Thomas à Anatole France m'a bien l'air hostile à tout essor intellectuel et moral2 ».

[...] comment veut-on que nous manifestions quelque tendresse, que même nous usions de tolérance à l’égard d’un appareil de conservation sociale, quel qu’il soit. Ce serait le seul délire vraiment inacceptable de notre part. Tout est à faire, tous les moyens doivent être bons à employer pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion3.

Ces créateurs refusent de vivre sous l’emprise de cette société responsable du dé-clenchement de la guerre 1914-1918. L’horreur des années d’après-guerre nourrit leur ressentiment. Ils constatent que le drame perdure. Frappés par une vague de déses-poir profond, ils dénoncent avec vigueur les conditions sociales qui prévalent. Les va-leurs de la civilisation fortement chamboulées par la guerre, il est important pour eux d'engager un débat sur la destinée de l’homme. Breton exprime sa détresse en ces mots : « Absolument incapable de prendre mon parti du sort qui m’est fait […] je me garde d’adapter mon existence aux conditions dérisoires de toute existence4 ».

À son idée, l’être possède les ressources propres qui fassent en sorte que les condi-tions de vie en société soient aussi un lieu d’accomplissement pour chacun. La mobili-sation des forces prodigieuses pour s’élever au-dessus de cette existence navrante

1 Note : Franckel, le plus proche des amis de Breton dans l'enfance et l'adolescence. Il fit

lui aussi des études de médecine. Valéry appellent Breton, Aragon et Soupeault les trois mousquetaires. Franckel étant considéré comme d'Artagnan.

2 André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, J.-Jacques Pauvert, 1962, p.18 3 André Breton, op.cit., Manifestes du surréalisme, p.159

4 Michel Carrouges, André Breton et les données fondamentales du surréalisme, Breton,

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57 domine la pensée de Breton, chantre d'une redéfinition de l'homme. Il refuse catégori-quement de vivre encore sous le règne de la logique et il s’active à secouer cette so-ciété léthargique. Son engagement imprègne totalement sa démarche de création. Sans relâche, il affirme sa volonté de changer la vie. Conscient du chaos inextricable, il veut poser le fondement d’une autre existence : « Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s’entend, qu’à la fin cette croyance se perd5 ».

Dans un esprit de dissension, cette association libre d’artistes remet en question les finalités de leur mode d’expression. Partageant un fort sentiment de nihilisme, ils se regroupent autour de la revue Littérature en 1919. L'année suivante, plusieurs d'entre eux adhèrent au Dadaïsme instauré par Tristan Tzara. Mais, ayant de moins en moins d'affinités avec l'approche négativiste de cette école qui se dote d'une structure légère, mais qui a « pour objectif la dictature de l’esprit », ils s'en écartent. Ils estiment que l'approche préconisée ne permet pas d'atteindre leurs aspirations, ni d'opérer un véri-table changement sur le plan social. Cependant, en dépit de son insuccès populaire et des critiques sévères des intellectuels de ce temps à son égard, le Dadaïsme présente une parenté avec le Surréalisme dont il fut un des éléments pivots.

Le contexte historique et social provoque un climat de perturbation profonde. Breton, théoricien et animateur du surréalisme, ravit et captive les esprits. Ses réflexions cin-glantes tout comme son discours remuent les idées courantes. Il s’ensuit des discus-sions houleuses dans les milieux artistiques et sociaux en maintes occadiscus-sions. Bientôt, un nouveau type de conscience s’instaure. Toute cette effervescence donne lieu à une approche inédite de l’art, une redéfinition de son statut. Désormais, l’expression poé-tique et plaspoé-tique n’a pas pour finalité de divertir ou d’égayer les salons, mais bien de témoigner d’une expérience personnelle. S’affranchissant des principes de la théorie esthétique dominante, les créateurs font éclater les normes fixées. Ils révolutionnent la vie intellectuelle et artistique. Michel Carrouges résume ainsi la conviction de Breton :

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« Il ne pouvait plus être question, [pour lui,] d'orner les murs ou la mémoire. Dès lors, qu'elle ne peut affronter victorieusement la mort et le néant, l'esthétique n'est rien6 »

Breton prend connaissance de la pensée de Sigmund Freud sur le subconscient à partir des écrits des psychiatres Régis et Hesnard7. Séduit par ses travaux sur le moi

et le surmoi, Breton s’intéresse au sommeil paradoxal caractérisé par le rêve. Il lui ap-paraît que ce lieu de l’imagination première permet d’accéder au réel d’une autre ma-nière. S'appuyant sur cette théorie, il recherche une conception nouvelle de l'homme. C'est dire combien son propos est plus global que ses préoccupations sur le plan artis-tique.

Voilà le point de vue qu’il partage avec ses camarades préoccupés comme lui de con-naître les profondeurs de l’esprit. Ils investiguent les méandres de la conscience noc-turne, réservoir de fantasmagorie. La force suggestive de cet état psychique de même que la découverte de nouveaux rapports entre l’imaginaire et le réel les fascinent. Il leur apparaît que les messages du subconscient donnent accès à la pensée refoulée au fond de l’être. Breton affirme, dans La Préface du numéro 1 de La Révolution

sur-réaliste, que : « […] le rêve seul laisse à l’homme tous ses droits à la liberté8 ».

Plu-sieurs poètes, Aragon, Soupeault, Éluard, Leiris, Desnos, publient le récit de leurs rêves sans toutefois se prêter à une interprétation.

Celui qui rêve éveillé, qui cherche à remonter aux sources de l’imagination, c’està-dire à la pleine possession de lui-même ne peut quitter ce monde-ci, couper les amarres, puisque justement il ne dort pas. Il écarte alors ce monde ordonné d’objets, de lieux communs, et introduit cette distance, condition de toute œuvre réflexive ou poétique9.

Pour Breton, le chemin du rêve éveillé fournit la matière sensible pour saisir authenti-quement le réel. La voix intérieure inconsciente investit alors d’autres lieux que celui

6 Michel Carrouges, op.cit., André Breton et les données fondamentales du surréalisme,

p.13

7 À cette époque, les écrits de Freud sont inédits en français. En reconnaissance de son

apport à sa réflexion, Breton dédicace le Manifeste et Nadja à Hesnard.

8 Cité dans Georges Mounin, op.cit., Avez-vous lu Char ?, p. 70

9 Marie-Louise Gouhier, cité dans Alquié Ferdinand, Entretiens dirigés, Le surréalisme,

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59 englué par le quotidien. Toujours en quête de révélations ou de signes prémonitoires, lui et ses proches, s’orientent vers la métaphysique, les sciences occultes et l’hypnose. Cependant, des réactions impulsives et des incidents inquiétants tels des tentatives de suicide, lors d’expériences avec ou sans la prise de drogues ou d’alcool, les incitent à abandonner ces pratiques insolites pour éviter que la situation ne s'ag-grave.

Dans un état de début de sommeil, en janvier 1919, Breton entend un message qui lui semble d’abord énigmatique : « Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre ». L’explication rationnelle élude aisément cette vision d’un homme déambulant sous la fenêtre. Au demeurant, le mystère s’évanouit emportant avec lui la charge fictive sug-gérée. Suite à ce rêve, il se penche sur divers procédés d’écriture. Sans doute, les œuvres de Lautréamont et de Baudelaire constituaient déjà des lieux d’expérimentation et de contestation. Voilà que l’on prend conscience de l’effet stimu-lant de l’écriture automatique, une des étapes sensibles du parcours surréaliste. Utili-sée comme moyen de thérapie en psychiatrie à la fin du 19e siècle, la technique s’avère être aussi une voie d’accès à l’imaginaire. Pour Breton, la prospection de cet espace se révèle être « un mode supérieur de révélation de l’univers et de l’homme par l’homme ».

Certes, une technique d’écriture confère une certaine aisance à l’auteur, mais elle n’assure pas forcément la valeur du texte. Artifices ou constructions syntaxiques sur-prenantes émanant de rêves ou de délires n’engendrent pas forcément l’émotion. Or, Breton s’applique à retrouver cette naïveté propre à l’enfant qui utilise grandement ses perceptions pour développer sa compréhension des choses et des évènements. Cette manière d’appréhender la réalité fait une large place à la dimension émotionnelle. Breton estime que la connaissance acquise par la voie du raisonnement est limitative alors que « la connaissance émotionnelle provoque chez l’homme une sensation si profondément bienfaisante […] que cet état de grâce, tous ceux qui ont souci de défi-nir la véritable condition humaine, confusément, aspirent à le retrouver10 ». Sa

10 André Breton, op.cit., Le message automatique, Cité par Georges Mounin, Avez-vous lu

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tion l’incite à sonder la pensée subjective débarrassée de toute tâche d’objectivité. À l’instar de Bachelard, il voit que : « Toujours renaît le jeune enfant sous le vieil homme, l’alchimiste sous l’ingénieur11 ».

La rencontre entre le monde intérieur et extérieur revigore l’imagination. Encore faut-il « ne pas permettre que [celle-ci] soit réduite en esclavage, même si on encourt le risque de la folie, même s’il y va de ce qu’on appelle le bonheur12». Breton a

longue-ment médité sur le travail de Pierre Reverdy. Lorsqu'en 1924, il y a contestation de l'attribution du Prix du nouveau Monde à celui-ci, Breton, Aragon et Soupeault clament qu'il est incontestablement le « plus grand poète vivant de son temps ». Breton dans un entretien avec André Parinaud affirme : « […] j'aimais et j'aime encore ŕ oui d'amour ŕ cette poésie pratiquée à larges coupes dans ce qui nimbe la vie de tous les jours, ce halo d'appréhensions et d'indices qui flotte autour de nos impressions et de nos actes. Il était merveilleux13 ».

Sur le rêve, Reverdy écrit :

Ce que j’appelle rêve d’ailleurs, ce n’est pas cette inconscience totale ou par-tielle, cette sorte de coma que l’on a coutume de désigner par ce terme et où semblerait devoir se dissoudre, par moments, la pensée. J’entends au con-traire l’état où la conscience est portée à son plus haut degré de perception. L’imagination, libre de tout contrôle restrictif, l’extension sans limites conve-nues de la pensée, la libération de l’être au-delà de son corps – indéfendable – la seule existence vraiment noble de l’homme, l’effusion la plus désintéres-sée de sa sensibilité14.

Les tenants du Surréalisme conçoivent que vie, société, art et culture forment un tout. Ils aspirent à ce que l’être assume pleinement sa liberté. Le pouvoir de création est intimement lié à un processus d’éveil de sa conscience où la réalité et le rêve co-existent harmonieusement. Selon Breton la poésie est la manifestation d'une protesta-tion. Lors d'un discours au congrès des écrivains en 1935, il proclame :

11 Gaston Bachelard, cité dans Ferdinand Alquié, Entretiens dirigés, Le surréalisme, p.179 12 André Breton, cité dans Ferdinand Alquié, Entretiens dirigés, Le surréalisme, p.181 13 André Breton, Entretiens, Entretien avec André Parinaud, Paris, Gallimard, 1952, p. 41 14 Pierre Reverdy, Self-Defence et autres écrits sur l'art et la poésie (1917-1926) Le

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61 De notre place, nous soutenons qu'il appartient au poète, à l'artiste, d'appro-fondir le problème humain sous toutes ses formes, que c'est précisément la démarche illimitée de son esprit en ce sens qui a une valeur potentielle de changement du monde, qu'une telle démarche [...] ne peut que venir renforcer la nécessité du changement économique de ce monde15.

Vue sous un autre angle, en dehors des préceptes de tout système, l’activité créatrice croît avec le processus de déréalisation c’est-à-dire une coupure, une distance avec le réel objectif laisse la possibilité de l'imaginer autrement. Ce nouveau réel est considé-ré comme étant le surréel. La coupure ainsi faite avec la fonction habituelle de si-gnifier sous-tend l'authenticité et l'originalité. À propos du surréel, Breton croit : « à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité. en une sorte de surréalité, si l’on peut ainsi dire16 ».

L’expression artistique révèle la destinée de l’être et les désirs de son inconscient : « L'entretien de la pensée avec la poésie vise à évoquer l'être de la parole, pour que les mortels apprennent de nouveau à trouver séjour dans la parole17 ». Loin de toute forme de contrôle et de censure, le poète investit l'espace de la rêverie ac-tive, cette « conscience du bien-être » (Bachelard) où s’engendre « l’écriture poé-tique par ce double mouvement celui des mots et du langage et celui de sa cons-cience18».

Breton, personnalité forte et complexe, disait du travail des poètes : « Les manipula-tions auxquelles ils se livrent ont pour but premier de retenir l’éternité dans l’instant19».

Il rappelle aussi dans le Second Manifeste :

Le problème de l'action sociale n'est, je tiens à y revenir, et j'y insiste qu'une des formes d'un problème plus général que le surréalisme s'est mis en devoir de soulever et qui est celui de l'expression humaine sous toutes ses formes. Qui dit expression, dit pour commencer le langage20.

15 André. Breton, op.cit., Manifestes du surréalisme, p. 285 16 Ibid., p. 27

17 Heidegger Martin, Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, Tel, 2006, p. 42 18 Jean-Noël Pontbriand, Écrire en atelier ou ailleurs, Québec, éd. Du Noroît, Prise de

pa-role, éd. du blé, p. 39

19 André Breton op.cit., Avez-vous lu Char ?, cité par Georges Mounin. p.97 20 Ibid., p.183

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Le langage poétique s’en inspire désormais. L’espoir d’une vie exaltante donne la clé permettant de libérer l’imagination que Bachelard définit « comme une faculté spéci-fique. À elle appartient cette fonction de l’irréel qui est psychiquement aussi utile que la fonction du réel21 ».

[La poésie] son rôle est de se porter sans cesse en avant, d'explorer en tous sens le champ des possibilités, de se manifester ŕ quoi qu'il advienne ŕ comme puissance émancipatrice et annonciatrice. Par delà les convulsions qui saisissent les régimes et les sociétés, il faut pour cela qu'elle garde le con-tact avec le fond primitif de l'être humain ŕ angoisse, espoir,énergie créatrice ŕ qui s'avère le seul réservoir inépuisable de ressources22.

Tout au long de son évolution, le mouvement surréaliste a été le théâtre de question-nements et de débats importants. Sur le plan de l'écriture poétique, l'exploration de chemins inusités a pu le faire dévier de sa trajectoire initiale. Toute théorie naissante est confrontée à ce risque. L'engouement pour une nouvelle approche ou une tech-nique apporte généralement une grande satisfaction, mais a souvent pour effet de ralentir, voire de freiner le processus de création parce qu'elle se fige en un dogme. Mounin, en ce qui a trait au Surréalisme, en parle en ces termes : « Le danger des formules surréalistes était d'endormir la vigilance poétique de leurs esclaves, de les faire sombrer dans la sécurité d'une technique23 ». L’approche désormais mise de

l’avant consiste à laisser apparaitre la substance émotionnelle du créateur. Néan-moins, s’y complaire se révèle être risquée puisqu’elle peut l’entraîner dans une habi-tude et l’écarter de la vigueur créatrice. Quoiqu’on en dise, le Surréalisme, défini comme la « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale » ou encore, selon Hugnet dans

La Petite anthologie, comme : « un système viable de la connaissance, une recherche

continue de la pensée et de ses sources » ce mouvement a insufflé un vent de renou-veau sur l’écriture poétique.

21 Gaston Bachelard, L'intuition de l'instant, Paris, Stock, 1992, p.141

22 André Breton, Entretiens, op.cit., Interview de René Balance (Haïti-Journal, Haïti, 12 -13

déc. 1945) Paris, Gallimard, p. 233

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63 Mahmoud Darwich dans son propos sur la pensée et l'écriture conçoit que : « le sur-réalisme est plus important par l'influence qu'il a exercée que par sa propre production poétique24». C’est un mouvement majeur qui a progressé. À tous égards, l’esprit de

liberté et la mise au jour des ressources de l’inconscient ont revivifié le mouvement artistique de plusieurs cultures. Bien qu'il ne fut pas un « mode de révélation de l'uni-vers et de l'homme par l'homme visant à changer la vie » (Breton), son apport à la poésie moderne est indéniable. Il a manifestement contribué à ce que la poésie, un

des destins de la parole (Bachelard), soit vue plus globalement. En 1953, Breton fait la

réflexion suivante dans Du surréalisme en ses œuvres vives :

Il s'agissait de rien de moins que de retrouver le secret d'un langage dont les éléments cessassent de se comporter en épaves à la surface d'une mer morte. Il importait pour cela de les soustraire à leur usage de plus en plus strictement utilitaire, ce qui était le seul moyen de les émanciper et de leur rendre tout leur pouvoir25.

L’attention portée à l’élargissement de la conscience et aux révélations de l’inconscient, la reconnaissance de la valeur de l’intuition poétique, la libération de l’esprit du poète piégé dans les cadres formels, l’abandon progressif des règles proso-diques et de la ponctuation sont autant d’éléments ayant favorisé l’émergence d'un nouveau langage tributaire de l'image poétique.

24 Mahmoud Darwich, Farouk Mardam-Bey (trad.). Entretiens sur la poésie, France, Actes

Sud, 2006, p.109

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Chapitre 4 - L'image poétique

L’image, dans son acception générale est la représentation d’un sujet ou d’un objet. Elle suggère à l’esprit ce qui est absent à la vue. Or, en poésie, l’image appartient aux domaines psychique et ontologique. Elle fait référence à une réalité concrète et tan-gible, mais d’une autre manière se situant du côté de la spiritualité et non plus de la matérialité.

Née d’une sensation, l’image poétique « formée de mots qui la rêvent » (Edmond Jabes) a le pouvoir de faire revivre une expérience, de faire éprouver une émotion.

L'image poétique n'est pas l'écho d'un passé. C'est plutôt l'inverse : par l'éclat d'une image, le passé lointain résonne d'échos et l'on ne voit guère à quelle profondeur ces échos vont se répercuter et s'éteindre. Dans sa nouveauté, dans son activité, l'image poétique a un être propre, un dynamisme propre. Elle relève d'une ontologie directe1.

Qu’elle soit le fruit d’une transformation du réel ou la juxtaposition de réalités oppo-sées, elle « donne à voir » (Éluard). Elle séduit d’abord les sens puis l'esprit. Elle a sa propre réalité née du rapport établi entre sentiments, mots, impressions, sensations. Lorsque le poète Homère parle de « l'aurore aux doigts de rose », c'est une réalité connue qui rencontre une réalité imaginaire. Ici, s'incarne franchement « l'esprit du poète exprimant les accords de son être sensible au contact de la réalité2 ».

Différents auteurs se sont penchés sur la nature de l’image poétique qui, selon Bo-cholier, « doit arriver sur ses propres ailes3 ». Ainsi, au mois de juin 1913, Georges

Duhamel publie, dans le Mercure de France, un compte rendu d’Alcools, recueil poé-tique de Guillaume Apollinaire. Il traite de l’image en ces termes : « Deux idées, si dis-tantes soient-elles dans le monde des réalités, sont toujours, pour le poète, liées par

1 Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, Paris, Quadrige / PUF, 1957, p. 1

2 Pierre Reverdy, Sable mouvant suivi de Cette émotion appelée poésie, Paris, Gallimard,

Poésie, 1974, p. 115

3 Gérard Bocholier, Pierre Reverdy, Le phare obscur, Champ poétique, Éd. Du champ

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un fil secret et tenu. Il appartient au plus grand art de tendre ce fil jusqu’à sa limite d’élasticité; ».

Voilà donc le point de départ de Reverdy quant à l'image, sujet dont il discuta avec André Breton. Il résume l’évolution de la poésie instillée par les écrits de Rimbaud tout en désapprouvant l'idée que l’expression poétique puisse procéder du hasard ou de l'inconscient. Ni l'écriture automatique, ni celle provoquée sous hypnose ne trouvent un écho chez lui. Il conçoit que :

L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparai-son, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte. Plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique4.

Breton médita cette définition et s'en inspira. Ce qu'il faut retenir de ces propos c'est essentiellement qu'une image poétique puissante provoque un choc, cet effet

effer-vescent (Reverdy). Donnant une autre vie aux mots qui la composent, elle crée de

nouveaux espaces. Ainsi en est-il avec : « Et les cœurs enchaînés suivent le bruit des ailes la ligne aux pas de sang / Dans la grimace rouge et menaçante du couchant (SV.65), une lanterne est allumée dans les arbres (SV. 71), Et le chemin perdu se cache sous le pont (SV. 92) Les arbres se sont endormis (SV.93), Le tonnerre aplanit le toit (SV. 98), le jour perd ses pétales (PT. 275), Un soupir douloureux s'achève / Dans les replis du rideau le jour se lève (PT. 211) ».

Prenons le temps de voir aussi quelques exemples tirés de l’œuvre de Jean-Noël Pontbriand5 : « au pied du lit, ton linge s'est endormi (R.21), le soleil monte les

esca-liers de l'âme (R.54), le matin ruisselle sur le plancher (R.61) », où rêve et réalité for-ment une entité nouvelle. Puis chez Roland Giguère6 : « L'orme dort dans ses feuilles

(I.75), la nuit détale dans sa pénombre (I.17) ». Donc, : « La valeur de l'image se

4 Pierre Reverdy, op.cit., Manifestes du surréalisme, cité par André Breton, p. 34

5 Extraits de poèmes de Jean-Noël Pontbriand, Résonnances, Québec, Éditions du Noroît,

1998

6 Extraits de poèmes de Roland Giguère, Illuminures, Québec, L'Hexagone et Roland

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67 sure à l'étendue de son auréole imaginaire7 ». Sa force d’évocation engendre des

émotions. Elle sollicite l’imagination par laquelle, selon Bachelard, « l’homme atteint l’être, le bien-être ». De l’avis de Jean Grosjean à propos de la poésie : « Chaque phrase doit retourner l’âme du lecteur pour semer peut-être ou du moins l’aérer au profit des racines qui dorment en nous8 ».

Bergson conçoit que « le poète est celui chez qui les sentiments se développent en images et les images elles-mêmes en paroles, dociles au rythme, pour les traduire ». Il résume sa conception des images poétiques ainsi : « Nées de l’émotion, elles tendent à l’émotion ». Le travail du poète à l’affût des paroles imaginantes (Marie-Louise Gou-hier) consiste à garder vivante et communicative cette émotion. Tout au long de sa quête, il s'écarte de la connaissance didactique et se tourne vers le plaisir de la con-naissance émotive. Il privilégie le sentir au lieu du savoir.

Transmissible et originale, la véritable image poétique crée un espace de communion.

A contrario, une image où s’immisce un concept perd ses qualités et n’a plus d’écho,

ni de résonances. Bachelard, dans son ouvrage L'eau et les rêves, insiste sur le fait que : « L'image est une plante qui a besoin de terre et de ciel, de substance et de forme9 ». II poursuit avec cette phrase de Jacques Bousquet : « Une image coûte

au-tant de travail à l'humanité qu'un caractère nouveau à une plante10 ». Le poète nous

« redonne à nos images premières11 ». Il devient alors possible de reconnaître le

mer-veilleux qui se cache sous le quotidien. En ce sens, Bachelard entend que le travail du poète consiste à : « [...] s’évertuer à chercher derrière les images qui se montrent, les images qui se cachent, aller à la racine même de la force imaginante12 ».

Pour Breton, il est faux de prétendre que « l’esprit a saisi les rapports des deux réali-tés en présence. Il n’a, pour commencer, rien saisi consciemment. C’est du rappro-chement en quelque sorte fortuit des deux termes qu’a jailli une lumière particulière,

7 Gaston Bachelard, L’air et les songes, Paris, José Corti, 1943, p. 5 8 Lorand Gaspar, op.cit., Approche de la parole, p. 74

9 Gaston Bachelard, L'eau et les rêves. Paris, José Corti, 1942, p. 9 10 Ibid., p. 9

11 Georges, Jean, La poésie, Paris, Éd. Du Seuil, 1966, p.142 12 Gaston Bachelard, op.cit., L'eau et les rêves, p. 8

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lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles13 ». La valeur

de l’image dépend de la beauté de l’étincelle obtenue; elle est, par conséquent fonc-tion de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Prenons comme exemple, dans la poésie de Reverdy : « Quand le matin réveille le dormeur / […] Le soleil se déploie / les nuages détalent / Et les étoiles tombent éteinte dans la mer / Le jour s’est déplié comme une nappe blanche (PT. 348) ».

Lorsque cette différence existe à peine, comme cela peut être le cas dans la compa-raison, l’étincelle ne se produit pas. L’élément de surprise créant un choc existentiel est indispensable. C’est pourquoi Breton s’intéresse aux messages de l’inconscient. À ses yeux, cette instance psychique recèle la matière première de la création. L’accès à l’inexploré est le moyen de renouer avec la pensée profonde de l’être. Michel Car-rouges sur la démarche des surréalistes précise :

Quand le poète accède au royaume des métamorphoses, je veux dire à ces zones et à ces moments de bouleversement et d’illumination de la poésie, il est fatalement assailli avec impétuosité par des vagues d’images irrationnelles qui lui causent les plus vives impressions et le plongent encore davantage dans les profondeurs orageuses de la poésie. C’est l’inusuel seul qui peut produire un effet poétique14.

L’image poétique s’engendre par une attitude d’ouverture au subconscient, « source vive qui jaillit des nappes de mots-images en suspension » (Breton). Placé dans un état réceptif, l’auteur accueille un flux d’images qui, au premier abord, lui semblent dépourvues de sens. Au milieu de terres inconnues, franchissant les barrières de la censure et de l’interdit, elles font lentement leur chemin et le travail du poète est de les « saisir en plein vol » (Reverdy). Elles se forgent à partir de la découverte d’une langue où les mots qui coulent de source se croisent et s’entrechoquent et c'est ainsi qu'« un bon poème sort tout fait. La retouche n'est qu'un heureux accident et, si elle n'est pas merveilleuse, elle risque de tout abîmer15 ».

13 André Breton, op.cit., Manifestes du surréalisme, p. 52

14 Michel Carrouges, op.cit., André Breton et les données fondamentales du surréalisme,

p. 133

15 Jean Rousselot, Pierre Reverdy, Poètes d'aujourd'hui, Paris, éd. Pierre Seghers, 1951,

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69 L’étrangeté des images découle de la fusion d’entités en apparence éloignées l’une de l’autre. Mais le caractère nébuleux recouvre souvent une signification originelle. En ce sens, Baudelaire affirme pour sa part : « Parce que la forme est contraignante l’image jaillit plus intense ». C’est dire la force d’incantation des mots. Le voyage intérieur que suscite l’image enclenche un processus de transformation lequel conduit vers une plus grande spiritualité. « [Les images] [s]oit qu’elles expriment les profondeurs de la vie intérieure, soit qu’elles manifestent l’action des mythes collectifs ou même les étranges correspondances entre la vie de l’homme et celle de l’univers16 ».

Dans une coupe à bord d’horizon Je bois à la rasade

Une simple gorgée de soleil Pâle et glacé17

À propos de l’image, Reverdy dit encore qu’elle « est l’acte magique de transmutation du réel extérieur en réel intérieur, sans lequel l’homme n’aurait jamais pu surmonter l’obstacle inconcevable que la nature dressait devant lui18 ». Le réel est en lui et en

dehors de lui. Il pense, il réagit, mais lorsqu'il imagine, c'est la part de l'irréel qu'il aborde et cet irréel n'existe qu'en lui-même. Pour lui, la meilleure expression du réel auquel il est très attaché, réside dans « la justesse nécessaire des rapports lointains». Lorsqu'il parle de la justesse, il distingue imitation et description. L'image est plus qu'une analogie. La justesse fait référence à un rapport direct entre les choses par ailleurs éloignées. « La rue est plafonnée de bleu » ( PT. 243).

Elle fait éclore un nouveau possible. Il conçoit que : « Les mots se désincarnent […], ce qu'ils représentent en propre s'efface au profit de ce qui se dégage du mouvement

16 Michel Carrouges, op.cit., André Breton et les données fondamentales du surréalisme,

p. 212

17 Chappuis Pierre, cité par Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie, p.149, extrait de :

À l'horizon tout est possible publié par la Revue neufchâtelaine, mars 1959

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de la combinaison où ils se sont engagés19 ». En ce sens pour lui, la comparaison peut

difficilement être utile à l'expression poétique. Penchons-nous maintenant sur l'apport à la poésie contemporaine.

Références

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