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Les femmes dans la correspondence de Voltaire.

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A Thesis Presented te

the Faculty of Graduate Studies and Research MoGill University

In Partial Fulfilment

of the Requirements for the Degrés Master of Arts

Ida Gertrude Wilkinson October 194?

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CHAPITRE PAGE 1 L e s Femmes d a n s l a Vie de V o l t a i r e I I La C o r r e s p o n d a n c e de V o l t a i r e a v e c l e s Femmes 1 3 I I I L e s C o r r e s p o n d a n t e s de V o l t a i r e 4 4 I V C o n c l u s i o n 1 2 8 BIBLIOGRAPHIE 1 3 6 INDEX 139

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La "légende1* de Voltaire semble de tous temps avoir dépassé la simple vérité sur l'homme et lfoeuvre» En effet, lorsqu'on lit ses ouvrages, rien ne porte à

croire que l'écrivain cynique, le terrible critique de

l'ancien régime, l'apôtre de la tolérance, dont la sonorité sut tenir l'Europe en éveil pendant une grande partie du 18e siècle, avait cependant un véritable fonds de bonté, de compassion, et même, au sens restreint du mot, de

sensi-bilité»

Le Voltaire aimable, poli, sympathique, cependant, se retrouve presque à chaque page de sa Correspondance» qui comprend plus de 12,000 lettres - la plus volumineuse que nous connaissions après celle de Horace Walpole» Là, 11 se montre tel qu'il était véritablement, affairé, remue-ménage, jetant les hauts cris, poussant des hurlements, mais en même temps gracieux, plein de tact, de souplesse, de bonté, de compassion» Et c'est précisément lorsqu'il écrit aux femmes qu'il intéresse notre sympathie et même notre admiration» Il n'en sort jamais diminué à nos yeux: c'est même cela, j'ose l'espérer, qui ressortira de ce mo-deste travail»

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Je tiens à exprimer ma gratitude à tous ceux qui

n'ont soutenue dans ce travail: à Monsieur Victor L. Leathers, lu Collège Uni, à Winnlpeg, à Monsieur J. E. L. Graham, de

L'Université du Manitoba, à Madame Lucie Touren-Furness, de L'Université McGill, enfin, à Monsieur Eugène Joliat, mon lirecteur de thèse, qui m'a suggéré ce sujet et m'a aidée de 3es conseils bienveillants»

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LES FEMMES DANS LA VIE DE VOLTAIRE

En général, les biographes et les critiques de Voltaire sont d'accord que les femmes eurent une influence importante sur les événements de sa vie, sinon sur sa pensée» Il est à regretter que l'influence féminine qui aurait dû

être la plus forte, celle de sa mère, n'existât presque pas» Madame Arouet, qui, paraît-il, possédait "quelque peu de

cette vivacité intellectuelle qui se retrouve dans le oa-ractère de son fils", mourut quand celui-ci n'avait que sept ans» Malheureusement, Voltaire "qui eût eu besoin

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plus qu'un autre de la direction maternelle", eut à dé-pendre seulement des soins d'un père qui ne le comprenait pas et qui avait très peu de sympathie pour les goûts litté-raires de son fils»

Ninon de Lenclos, alors assez vieille, fut une des premières à exercer une influence sur le jeune Arouet» C'était

fl) John Morley - Voltaire - p» 45»

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enfant précoce qui avait tent de facilité à faire des vers amusants et des répliques piquantes» Il fut mené dans sa

société du Temple par son oncle, l'Abbé de Châteauneuf, et Ninon fut tellement frappée de son esprit pétillant qu'elle

lui légua 2,000 francs pour acheter des livres» L'impres-sion faite sur le jeune homme par cette société gaie, li-bertine et licencieuse, fut grande et de longue durée»

Pour l'empêcher de s'associer avec ce groupe qu'il estimait si inutile et si dangereux pour son fils, le père Arouet envoya le jeune François-Marie en Hollande, à La Haye, avec l'ambassadeur de France, le marquis de Châteauneuf» Là il fit la connaissance de son premier amour, Olympe Dunoyer,

( * )

celle qu'il appelait "chère coeur"» L'intrigue amoureuse qui suivit fut remplie de rendez-vous secrets, de lettres passionnées, de pleurs» Cependant, Madame Dunoyer ne vou-lait pas pour sa fille un mari qui ne fût qu'un "enfant de dix-neuf ans, pétillant d'esprit et de malice, mais sans

(Il

position" » Elle se plaignit a l'ambassadeur qui finit par renvoyer 1*"enfant turbulent et brouillon" à son père» Ce fut une vraie tragédie pour le jeune amant, qui aimait

(1) Gustave Desnoireterres - La Jeunesse de Voltaire - p» 59» (*) "Chère coeur" - Desnolresterres»

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Après son retour, Voltaire eut toutes les peines du monde à calmer son père, qui était furieux de son aven-ture en Hollande» Cependant, sa vie à Paris devint pour le jeune poète une succession de triomphes mêlés de mortifica-tions où il réussit à prendre pied dans le monde le plus brillant, et même à la cour» C'est aux femmes qu'il devait beaucoup de ses succès dans ce grand monde» La duchesse du Maine lui fournit un asile à Sceaux; la marquise de

Mimeure, la maréchale de Villars, la marquise de Rupelmonde le protégèrent; il fit la connaissance des femmes d'esprit telles que Madame du Deffand; il eut des affaires de coeur avec une belle actrice, Suzanne de Livry, peut-être aussi avec Adrienne Lecouvreur, dont il était certainement l'ami fidèle, et avec la présidente de Bernières» Il aima la maréchale de Villars, mais elle ne répondit jamais à son

amour» Il réussit même à intéresser la jeune reine Marie Leczinska, qui lisait avec plaisir ses poésies, et l'appe-lait "mon pauvre Voltaire"» La meilleure preuve de cette amitié qu'elle sentit au commencement pour le jeune poète, c'est qu'elle lui accorda, en 1725, une pension de 1500 francs» Plus importante encore, il gagna la faveur des

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Comme toujours, il aimait leur conversation et il se rendait bien compte que leur influence était énorme et leur faveur

indispensable» "Les femmes, entre Pimpette et la belle Emilie, ne le troublaient pas profondément» Plus sensible

que passionné, son coeur avait besoin d'amitié plus que (1)

d'amour»"

Avant Madame du Châtelet, ce fut la présidente de Bernières qui joua le rôle le plus important dans la vie de Voltaire, et qui mérite d'être mentionnée à part» Elle fut jalouse à l'excès, et quelquefois insensible, mais elle

rendit de grands services à Voltaire, qui ressentit pour elle une vraie amitié» Il logea chez elle à Paris, rue de Beaune, et dans sa belle maison de campagne à la Rivière-Bourdet;

elle lui rendit visite quand il fut mis à la Bastille, et ce fut elle qui fit entrer les exemplaires de la Henriade clandestinement à Paris dans ses fourgons, et qui envoya son carrosse pour le mener à Calais, en route pour l'Angle-terre» D'ailleurs, elle échangea avec lui plusieurs belles lettres pendant son séjour en Angleterre, et l'accueillit à son retour»

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plus agréable» Il fut invité chez la duchesse de Bolingbroke, chez Lady Hervey, chez Mrs. Conduit (la nièce de Newton); il fut protégé par la duchesse douairière de Marlborough et la princesse de Galles (plus tard la reine d'Angleterre); il fut flatté par toutes les dames» Néanmoins, l'intimité et les caresses dont il jouissait en France lui manquèrent en Angleterre» Il écrivit à Thieriot, le 5 mai 1726 quand il attendait à Calais pour passer le détroit: "•••• je regrette Madame de Bernières plus qu'elle ne pense, que je serais

consolé si je pouvais trouver en Angleterre quelque imagina-tion comme Madame du Deffand»»»" , et il ne changea pas d'avis»

Après son retour à Paris, il demeura chez la comtesse de Fontaine-Martel, vieille dame philosophe qui lui fut "une amie dévouée à sa gloire et qui pensait avec

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lui»" Il ajouta à la liste déjà longue de ses protectri-ces les noms de la duchesse de Richelieu, qu'il avait aidé à marier au duc, et de la duchesse d'Aiguillon»

En 1733 la marquise du Châtelet devint la maî-tresse du poète, et pendant les dix-sept ans qu'il passa (1) 5 mai 1726 - (F.) pp. 28-9.

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ble malgré les portraits peu flatteurs que nous on4: laissés certaines femmes malicieuses telles que Madame du Deffand. Elle était extrêmement intelligente; elle savait le latin,

l'anglais, l'italien; elle était "passionnée pour les ma-thématiques, la physique, la métaphysique"; elle avait

"l'esprit viril, le coeur viril"; surtout, elle "pensait". Malgré ses fautes telles que sa passion pour la parure et

le jeu et son désir de dominer tout le monde, elle savait être très bonne et très agréable, et son amour pour Voltaire était sincère et généreux. Même Madame de Graffigny, qui avait de fortes raisons pour la haïr, ne pouvait s'empêcher d'admirer l'intelligence, le dévouement au travail et le

charme de cette "belle dame". Pour faire conformer Voltaire à ses propres intérêts et pour lui épargner des persécutions, elle fit son possible pour le détourner de la poésie et du théâtre vers les sciences et la métaphysique. Craignant la colère des censeurs, elle retint sous clef le manuscrit du Siècle de Louis XIV» et essaya d'empêcher son ami de le terminer. Mais quand il s'obstinait à faire des pièces,

elle lui donnait des conseils dont Voltaire savait profiter, car il avait beaucoup de respect pour ses jugements»

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deux soeurs du roi de Prusse, Wilhelmine, margrave de

Baireuth, et la princesse Ulrique, future reine de Suède» Il oontinua à cajoler Madame de Pompadour et d'autres

grandes dames à la cour» Il ne cessa jamais de se montrer sensible et généreux envers toutes celles qui faisaient appel à lui.

Les femmes ne comptèrent pas pour Voltaire pen-dant son séjour en Allemagne. Frédéric détestait les fem-mes, et elles manquaient presque complètement à sa cour. Si Voltaire avait pu profiter des conseils de quelques-unes des nombreuses amies fidèles qu'il avait en Franoe, elles auraient sûrement pu lui épargner un peu de la souffrance

qu'il subit à Berlin» Il est important de noter que, quand il quitta la cour de Prusse, déçu, désenchanté, mortifié, oe fut vers quelques femmes qu'il se tourna, Madame Denis, sa nièce, la duchesse de Saxe-Gotha et son amie la comtesse de Lutzelbourg» Il fit un séjour délicieux à Gotha, où la duchesse "lui compensa un peu la disgrâce du roi". Il termina pour elle les Annales de l'Empire. il entretint aveo elle une correspondance assez volumineuse et émouvante dans la sincérité des sentiments qu'il y exprime.

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tresse de sa maison. Là elle passa son temps à se dispu-ter et à se raccommoder avec son oncle» Voltaire, quoi-qu'il fût souvent impatient parce qu'elle regrettait la gaieté de Paris et voulait toujours des fêtes, ne lui épar-gna point son amour, et se montra toujours très bon pour elle»

Il va sans dire que les femmes eurent bien moins d'influence sur le patriarche de Ferney que sur le jeune Voltaire» Il n'avait pas cessé de les aimer, mais ses

sentiments ressemblaient plutôt à ceux d'un père ou d'un ami# On est touché de sa bonté pour Marie Corneille, qu'il adopta et dota, pour Reine de Varicourt, qu'il adopta plus tard et pour qui aussi il fut bon et généreux, pour Madame Calas, pour toute une foule d'infortunées qui demandaient son aide. Il ne fut jamais trop vieux pour admirer les

charmes de la jeunesse: il accueillait chaleureusement les belles dames qui lui faisaient visite, telles que Madame Suard Madame de Rochefort, Madame de Florian, Lîadame de La Harpe. Il goûtait toujours la société et la conversa-tion des femmes célèbres telles que Madame d'Epinay, Madame du Boccage, Madame de Saint-Julien. Il ne laissa pas tomber sa correspondance avec les femmes, notamment son ancienne

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amie Madame du Deffand, devenue aveugle, vieille, ennuyée de tout, mais qui n'avait rien perdu de son intelligence et de son imagination; la duchesse de Choiseul qu'il admi-rait pour sa beauté et sa douceur, et qu'il flattait pour s'assurer de la protection de son mari; l'impératrice Catherine de Russie avec qui il échangeait "de la philo-sophie et des compliments"; Madame Necker qui se mit à la tête d'un groupe des amis de Voltaire pour faire ciseler son buste par le célèbre sculpteur Pigalle; Mademoiselle Clairon, qui couronna ce buste devant une assemblée d'en-thousiastes; la comtesse d'Argental, la femme de son

meilleur ami, dont l'amitié et les conseils lui furent très chers et très utiles» Même si ces femmes n'avaient pas

dfinfluence sur son oeuvre, du moins elles l'intéressaient et l'amusaient»

Dans le triomphe de son retour à Paris, les fem-mes contribuèrent à son bonheur et à sa gloire. Elles

arrivèrent en foule chez le marquis de Villette, pour lui faire honneur. Autant que lui permettaient sa santé, ses fonctions académiques et ses préoccupations de théâtre, il rendit leurs visites et, encore une fois, jouit de leur so-ciété et de leurs flatteries» Marie-Antoinette voulait le voir et lui parler, mais le roi refusa sa permission» Ce-pendant, elle assista à la première représentation d'Irène

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avec presque toute la cour, et fut témoin de l'immense ova-tion qu'on fit à Voltaire» Non seulement les grandes dames rivalisèrent pour le flatter, mais aussi les femmes du peu-ple se pressèrent autour de son carosse pour le voir et l'ap-plaudir, chaque fois qu'il sortait. Au théâtre, quand il s'y présenta en personne, les dames, actrices et spectatrices, crièrent son nom et ajoutèrent leur enthousiasme au triomphe émouvant» Il y a quelque chose de pathétique dans ses visites à ses vieilles amies, Madame du Deffand, la comtesse de Ségur, la marquise Latour du Pin Gouvernet qu'il avait aimée longtemps auparavant, quand elle était la belle actrice Suzanne de Livry.

Après sa mort, quelques-unes de ces amies perdirent très vite leur adoration du maître, pour s'intéresser aux actualités, mais son souvenir resta très vif pour la plu-part de celles qui l'avaient connu et aimé» Aux plus im-portantes de ces "femmes voltairiennes", la duchesse de Choiseul, la vicomtesse d'Houdetot, Madame Quinet, Madame Dumesnil, il faut ajouter le nom de l'impératrice Catherine

de Russie, qui le reconnut comme ami et comme son maître dans le domaine intellectuel»

Dans les chapitres suivants, nous étudierons la correspondance de Voltaire avec les femmes, et nous tâche-rons de poser les bornes du rôle que celles-ci ont joué

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dans sa vie affective et intellectuelle. Nous espérons montrer que le Voltaire de la légende, le Voltaire cynicue

et moqueur, sait cependant, dans ses lettres à ses

contem-poraines, montrer qu'il a du coeur aussi bien que de l'esprit, et un fonds véritable, sinon d'amour, du moins d'amitié sin-cère, de bonté et de compassion»

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LA CORRESPONDANCE DE VOLTAIRE AVEC LES FEMMES

LE FOND

Le volume de la correspondance féminine de Voltaire n'est pas énorme mais, à bien des points de vue, l'importance

de celle-ci est des plus grandes» Dans 1'édition Moland, sur 10,372 lettres, il y en a 1168 adressées aux femmes et 211 écrites à Voltaire par des femmes; l'édition Foulet comprend 72 lettres dont 7 adressées aux femmes» Mais la prépondérance de la correspondance pour ainsi dire masculine s'explique en partie quand on considère les centaines de lettres que Voltaire écrivit aux hommes pour discuter affaires, querelles littéraires et personnelles, éditions, réimpressions, etc. Mais le Voltaire affairé, remue-ménage, ne se trouve guère dans sa correspondance féminine dont le ton est d'habitude celui des entretiens hon-nêtes et de la conversation polie» C'est là surtout qu'apparaît le Voltaire délicat, gracieusement flatteur, tendre, fidèle,

aimable evers quelques-unes de ses amies, spirituel, pénétrant, et sage envers d'autres qui cherchent les conseils du célèbre homme de lettres» C'est là que se retrouvent (en miniature)

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principaux à travers les années, enfin tout l'éclat de son style. Ces lettres sont importantes non pas parce qu'elles révèlent le philosophe, le grand poète, l'historien, le patriarche de Fervey, mais plutôt l'homme qui s'intéressait à tout et qui dominait son

siècle par son intelligence, son esprit, sa curiosité et son goût. Il est curieux que Voltaire, malgré sa curiosité uni-verselle dans tout ce qui se passait au monde, soit si indifférent à presque toutes les grandes questions qui concernent les femmes. Même avant la mort de Madame du Châtelet, il renonça à l'amour,

et dans la correspondance il en parle très rarement, sauf en ba-dinant» L'éducation des femmes l'occupe très peu excepté quand il s'agit de Mademoiselle Corneille0 A cet égard il y a un con-traste frappant entre Voltaire et J. J. Rousseau, ce dernier s'intéressant vivement à l'éducation en général y compris l'édu-cation des femmes. Quant au mariage il se chargea de celui de ses nièces, de Mademoiselle Corneille, et de Mademoiselle de Varicourt; quand il en était touché de près, il avait sur ce sujet des idées nettes et sensées; mais pour les femmes en gé-néral il reste silencieux. Il est vrai qu'il parle de l'inocu-lation, et du courage de ces femmes qui ont fait inoculer leurs enfants pour leur épargner la petite vérole. Pourtant il ne dit rien des ravages de cette horrible maladie sur la beauté des

femmes ni des souffrances des victimes. Il se borne à déplorer

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le fait qu'à ce sujet les Anglais se révèlent encore une fois plus tolérants et plus intelligents que les Français. Sa pitié et sa générosité sont illimitées quand il s'agit de ces infor-tunées telles que Madame Calas, persécutées par un fanatisme qu'il détestait et, d'après sa correspondance, il n'y a pas de doute que l'intérêt qu'il porte aux habitants de Ferney soit sincère et bienfaisant. De temps en temps 11 félicite ceux de ses amis qui sont heureux dans leur vie familiale ou qui célè-brent la naissance de leurs enfants; néanmoins, les femmes comme membres indispensables de la famille et de la société

l'intéressent fort peu. Dans le monde des lettres et des sciences 11 ne les prend pas trop au sérieux, exception faite pour quelques rares esprits comme Madame du Châtelet et Madame du Boccage, et il dit même que celles-ci auraient dû être des hommes. Au théâtre les femmes sont très importantes pour lui parce qu'il sait bien que le succès de ses pièces dépend dans une large mesure de ses interprètes féminines. Il s'amuse à gronder les femmes parce qu'elles sont paresseuses comme Madame Denis, parce qu'elles ont une si mauvaise écriture, parce qu'elles sont si frivoles» Il dit à la comtesse de Luxembourg qu'elle écrit comme un chat, à la baronne de Verne que "Bien peu de dames cherchent à

s'instruire", et à monsieur Bagieu:"Ma nièce est un gros cochon, comme sont, monsieur, la plupart de vos Parisiennes»

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ela se lève à midi; la journée se passe sans qu'on sache ommentj on n'a pas le temps d'écrire, et quand on veut

crire on ne trouve ni papier, ni plume, ni encre; il faut 'en venir demander, et puis l'envie d'écrire passe. Sur dix emmes, il y en a neuf qui en usent ainsi"»* ' Il ne faut pas roire, cependant, qu'il ignore ou qu'il méprise l'influence es femmes. Il assure son ami Damilaville que les philosophes nt besoin surtout de "saintes femmes" pour aider leur cause; uand on veut faire entrer Diderot à L'Académie, il dit à

adame d'Epinay "Qu'on l'introduise chez madame ..», ou adame •»», ou madame ••»,lundi; qu'il prie Dieu avec elle ardi; qu'il couche avec elle mercredi; et puis il entrera

L'Académie tant qu'il voudra, et quand il voudra"»'2' Il omprenalt bien que l'influence des femmes exercée dans les

alons, était énorme, il en avait fréquenté les plus importants; t d'après ce qu'il dit de Catherine II de Russie et de Madame e Pompadour il voulait bien admettre que les femmes étaient apables de régner avec sagesse et, pour ce qui concernait atherine, avec éclat» Cependant, le rôle des femmes en géné-al dans la vie politique ne l'intéressait pas»

L'attitude de Voltaire envers la religion est bien onnue mais malgré son cynisme il semble avoir traité les

L) 13 août 1760 - Vol» 40, p» 510» l ) août 1760 - Vol» 40, pp» 503-4.

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croyantes avec beaucoup plus de considération qu'il ne montrait envers les prêtres» On trouve, par exemple, dans une lettre à Monsieur Debrus cette référence à une religieuse, où il

expli-que qu'il était ému par "la simplicité, la vertueuse indulgence de cette nonne"»

Voltaire, dans sa correspondance, a la manie des so-briquets, surtout pour les femmes qu'il aime» Je cite les

exemples suivants:

"Gros Chat" (Madame de Champbonin)

"La Nymphe de Circassie" (Mademoiselle AIssé)

"La grande Maîtresse des Coeurs" (la comtesse de Lutzelbourg) "Oornélie - Chiffon" (Mademoiselle Corneille)

"Circé" (Madame du Châtelet)

"Adorable Thalle" (Mademoiselle Quinault) "Muse et Grâce" (Mademoiselle de Lubert) "La Sémiramis du Nord")

"L'Etoile du Nord" ) (Catherine II) "Ma Catau" )

"Madame Dixhuitans" (La comtesse de Rochefort) "Madame Finette" ) ( l a duchesse de Choiseul) "Madame Gargantua" )

"Adorable Egérie" (Madame du Barry)

"Minerve-papillon" (Madame de Saint-Julien) "Notre cher serin" (Madame de Florian)

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Bref, Voltaire trouvait les femmes sympathiques, il admirait les unes, il aidait les autres, il était courtois et flatteur envers toutes, il n'oubliait jamais qu'il avait besoin d'elles, mais la tendresse et la sensibilité d'un

Diderot lui manquaient presque entièrement» Lui, qui devançait son époque sur bien des points, semble être un attardé quand il s'agit des femmes, probablement parce qu'il ne considère jamais sérieusement leur position sociale, et ne s'intéresse qu'à leurs problèmes littéraires ou à leurs petites difficultés sentimentales»

Cela étant dit, quel sera le fond même de sa corres-pondance avec les femmes? Il sera utile de retracer, dans

l'ordre chronologique, l'évolution de ses sentiments et de ses idées au sujet des femmes»

Le contenu de la correspondance féminine est extrê-mement varié. Dans les premières lettres à Olympe Dunoyer on voit le jeune amant, impétueux et malheureux parce qu'on lui

opposait tant de difficultés. Mais dès 1719 il dit à la marquise de Mimeure, "Vous me faites sentir que l'amitié est d'un prix

plus estimable mille fois que l'amour. Il me semble même que je ne suis point du tout fait pour les passions» Je trouve

qu'il y a en moi du ridicule à aimer, et j'en trouverais encore davantage dans celles qui m'aimeraient» Voilà qui est fait; J'y renonce pour la vie"» Désormais il parle beaucoup aux

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femmes de l'amitié, du respect, et du dévouement. Par exemple, tout en se rendant compte de la jalousie et des faiblesses de la Présidente de Bernières il l'assure continuellement qu'il restera toujours sensible à son amitié. Il discute avec elle les nouvelles du jour, tout ce qu'on écrit et qu'on lit, ses maladies, ses difficultés, mais cela fait plutôt foi de sa gratitude que de sa passion» Pourtant son attachement pour

cette femme était si fort qu'il dit à Thieriot, le 24 août

1724: "Car assurément je ne veux pas quitter Madame de Bernières, et 11 m'est impossible d'habiter dans sa maudite maison, qui est froide comme le pôle pendant l'hiver, où on sent le fumier

comme dans une crèche, et où il y a plus de bruit qu'en enfer". Il commence à cette époque à donner des conseils

aux actrices qui jouent des rôles importants dans ses pièces; Mademoiselle Dangeville, Mademoiselle Launai, Mademoiselle

Gaussln, Mademoiselle Gautier, Mademoiselle Quinault, "la reine du théâtre"» Voici oe qu'il dit à Mademoiselle

Dange-ville: "Commencez par avoir de l'amitié pour mol qui vous aime (2) en père, et vous jouerez mon rôle d'une manière intéressante". Il y a des lettres de pure galanterie où il flatte les dames

avec une délicatesse charmante et souvent poétique. Par exemple, on trouve dans une lettre à la duchesse d'Aiguillon, parmi

(1) 24 août 1724 - vol» 33, pp» 120-1. (2) décembre 1731 - vol» 33, p» 202.

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d'autres galanteries, celle-ci: "Minerve, descendue sur la

terre sous les traits de Vénus et sous le nom d'Aiguillon •»."^1' Quand il parle à ses amis de la "divine Emilie", ses lettres

sont remplies d'admiration pour son intelligence et son esprit, et d'affection et de gratitude pour son amitié. C'est là

qu'on trouve sa plus profonde émotion. Il s'intéresse à tous les besoins et à tous les désirs de celles pour qui il éprouve de la tendresse. Il répète constamment à Madame de Champbonin et à d'autres encore, qu'elles mangent trop et qu'il s'inquiète de leur santé» Il s'occupe du mariage de ses nièces et se montre extrêmement généreux pour elles. Il commence dès son séjour à Cirey à faire preuve de cette générosité et cette bonté pour les infortunés qui est sa plus noble qualité. Voici un extrait d'une lettre à l'abbé de Moussinot, écrite en 1737: "Il y a

une demoiselle d'Amfreville, fille de condition, qui a une espèce de terre près de Cirey. Je ne la connais guère; mais elle est dans un extrême besoin ••• Mon cher abbé, prenez un fiacre, allez la trouver; dites-lui que je prends la liberté de lui prêter dix pistoles et quet quand elle aura besoin de

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davantage, J'ai l'honneur d'être à son service"»* ' Quand il écrit aux grandes dames et aux princesses, il les flatte, bien entendu en gardant toujours sa dignité» La Princesse Ulrique de Prusse lui ayant envoyé quelques-uns de ses vers, Voltaire lui répond: "C'est Apollon qui a les Muses pour soeurs: l'une

(1) 1734 - vol» 33, p» 406»

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(1) ants, et toutes sont nées avec tous les talents de plaire"»

uand 11 parle avec des dames telles que la comtesse d'Argental, ademolselle Quinault, ou Madame du Deffand, il respecte leur ugement et leurs critiques et 11 leur donne sérieusement ses ropres idées sur l'art et la littérature»

Il sait toujours par où il faut plaire; il s'adresse insi à Madame de Pompadour: "Je m'intéresse à votre bonheur lus que vous ne pensez, et peut-être n'y a-t-il personne à aris qui y prenne un intérêt plus sensible» Ce n'est point omme vieux galant flatteur de belles que je parle, mais comme

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on citoyen; •••" Cependant, il a dû avoir quelque admi-atlon sincère pour Madame de Pompadour parce qu'il écrit au résident Hénault : "Elle a plus lu à son âge qu'aucune vieille ame du pays où elle va régner, et où il est bien à désirer

13)

u'elle règne"• Plus tard, après la faveur qu'elle a

ontrée à son rival Crébillon, 11 se plaint au duo de Richelieu: Madame de Pompadour peut, tant qufelle voudra, protéger de

auvais poètes, de mauvais musiciens et de mauvais peintres, ans que je me mette en peine"»

1) 22 déc» 1743 - vol» 36, pp» 271-2» 2) 1745 - vol» 36, pp» 363-4»

3) août 1745 - vol» 36, p» 392»

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Une des premières protectrices de Voltaire, une des grandes dames avec lesquelles il correspondait assez souvent, fut la duchesse du Maine. Il lui dédia deux de ses pièces, et, pour bien s'assurer de ces dédicaces elle l'obligea à exécuter la promesse qui suit:

"PROMESSE"

"Je, soussigné, en présence de moi génie et de ma pro-tectrice, jure de lui dédier, avec sa permission,

ELECTRE et CATILINA. et promets que la dédicace sera un long exposé de tout ce que j'ai appris dudit génie dans sa cour»

Fait au Palais des Arts et des Plaisirs»

Le Protégé." (1'

Il lui répète qu'il ne cessera jamais d'admirer son esprit, de la remercier de ses bontés, et de se mettre aux

ordres de celle qui est le "soutien du bon goût", et cependant tout cela ne l'empêche pas de la gronder en disant, "l'âme du grand Condé, qui réside dans votre tête, reste tranquillement chez elle à jouer au cavagnole et à caresser son chien et la princesse qui, seule, doit soutenir les beaux-arts et ranimer le goût de la nation »•» ne daigne pas honorer de sa présence cet "Preste" que j'ai fait pour elle, cet "Preste" que Je lui

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-dédiet Je vous demande en grâce, madame, de ne me pas faire l'affront de négliger ainsi mon offrande".

Les rapports de Voltaire avec ses nièces, surtout Madame Denis, sont bien connus de tout le monde. Cependant,

il est à remarquer que les lettres qu'il lui écrivit pendant son malheureux séjour en Prusse sont parmi les plus naturelles et les plus touchantes de toute sa correspondance» Son

en-thousiasme pour tout ce qui l'entourait à la cour du "Salomon du Nord" est d'autant plus pathétique quand on commence à

discerner sa nostalgie et sa déception» C'est à Madame Denis qu'il exprime ses doutes et ses oraintes et à qui il rapporte cette remarque cruelle de Frédéric: "J'aurai besoin de lui encore un an (ou deux), tout au plus; on presse l'orange, et

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on en jette l'écorce"» Quant à son autre nièce, Madame de Fontaine, plus tard la marquise de Florian, on ne pourrait pas trouver de lettre plus tendre et plus sympathique que celle

qu'il lui adressa en 1752, à l'occasion de la perte de son fils. Vers 1751 commence la grande correspondance avec la duchesse de Saxe-Gotha, une de ses plus puissantes et fidèles protectrices, et lfamie de celle-ci, la comtesse de Lutzelbourg»

Il leur parle de ses souffrances aux mains de Frédéric, des grands événements politiques et littéraires du Jour, de

la guerre dans laquelle il est désolé de voir Frédéric

(1) Janvier 1750 - vol» 37, pp# 98-9. (2) 2 sept. 1751 - vol. 37, pp# 32P-2»

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l'emporter sur toute l'Europe et humilier les Français; il discute de sa mauvaise santé et de celle de ses amies, de la petite vérole et de l'inoculation, et surtout de ses oeuvres» Il envoie à la duchesse de Saxe-Gotha une épître dédicatoire pour les Annales de l'Empire, il lui communique ses craintes d'être persécuté à la suite de la publication de la Puoelle. et il implore sa protection. Il n'oublie

ja-mais toutes ses bontés pour lui, il ne cesse jaja-mais de regretter la belle forêt de Thuringe; "Mon coeur est toujours à Gotha,

votre portrait à Colmar, et mon corps ou plutôt mon ombre (1)

auprès de Plombières"» Quand les domaines de la duchesse furent ruinés après la guerre, c'est Voltaire qui obtient en Suisse une avance d'argent à son intention. Ces lettres

sont tour à tour simples, naturelles, charmantes, sincères; ou bien elles sont conçues dans les termes de la politesse la plus cérémonieuse»

A ces deux dames et à ses autres amies en France, Voltaire raconte toutes les délices de son nouveau domaine de Ferney et la tranquillité et les plaisirs de la vie qu'il y mène» Il fait l'éloge de Madame Denis comme maîtresse de la maison, il donne ses conseils pour éviter l'ennui qui

semble s'être emparé de ses contemporaines, et il parle beau-coup de la santé et des moyens de guérir les maladies» Par ex-emple il écrit à la délicate Madame de Fontaine: "Il est bien rare que le lait convienne à des tempéraments un peu desséchés

(31)

comme les nôtres» Il arrive que nos estomacs font de mauvais fromages qui restent dans notre pauvre corps, et qui y sont un poids insupportable. Cela porte à la tête; les maudites

fonctions animales vont mal, et on est dans un état déplora-b l e « .( 1 )

A Ferney, comme toujours, les actrices sont constam-ment présentes à son esprit; surtout Mademoiselle Clairon, qui

retient l'intérêt et l'admiration de Voltaire pendant le reste de sa vie, commence à inspirer des lettres et des conseils» Il déplore le fait que "la demoiselle Dumesnil continue à boire" et par conséquent ruine une belle carrière que ses grands ta-lents auraient pu lui procurer»

Les visites de Madame d'Epinay, de Madame du Boccage et d'autres encore, fournissent le sujet de bien des lettres spirituelles et amusantes. Il adore taquiner la "charmante philosophe" (Madame d'Epinay) qui vient consulter Tronchin sur

ses nerfs. Il continue à échanger les compliments et les

po-litesses qu'il a commencés pendant son séjour en Prusse avec les grandes dames telles que la margrave de Bade-Dourlach, la prin-oesse Ulrique, la comtesse de Lutzelbourg et la duchesse de

Saxe-Gotha» Tout le monde demande ses oeuvres et ses critiques et il se délecte aux flatteries qui lui arrivent de tous les eôtés»

(32)

Dans une lettre au comte d'Argental, le 1er novembre 1760, on entend parler pour la première fois de Mademoiselle Corneille sur laquelle Voltaire demande des renseignements. Suit une série de lettres à diverses personnes qui montrent

sans contredit que Voltaire était capable d'une affection sin-cère, généreuse, sans égolsme» Voltaire fut charmé de cette

demoiselle dès son arrivée aux Délices. Il s'intéressa beaucoup à son mariage et à ses enfants, et il s'occupe toujours de son bonheur. Il la défend vigoureusement contre les attaques de

Fréron, il travaille Jour et nuit à son Commentaire sur Corneille, et 11 écrit à tous ses amis pour les persuader d'y souscrire

parce qu'il veut assurer une belle dot à sa protégée»

La mort de Madame de Pompadour le toucha profondé-ment et fournit le sujet de plusieurs lettres intéressantes» Il se souvient qu'elle fut "une protectrice sûre et éclairée" des lettres, qu'elle avait "une âme née sincère qui avait de la justesse dans l'esprit, et de la Justice dans le coeur", et qu'elle mourut à quarante ans, au milieu de "la plus belle carrière du monde"»

Les persécutions essuyées par Mademoiselle Clairon, la célèbre actrice, et sa retraite du théâtre lui rappellent son ancienne passion pour l'art dramatique et son désir de le défendre contre tous ses ennemis» Il encourage Mademoiselle Clairon et l'invite à faire une visite à Ferney en disant que

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"c'est un temple où l'encens fume pour vous"» Elle arrive, Joue des rôles dans le petit théâtre qu'il avait fait bâtir, et fait les délices de Voltaire et de tout son entourage» Son enthousiasme pour Mademoiselle Clairon le mène à dire à Madame

d'Epinay: "La scène française expire aux pieds de l'Opéra-Conique ; 11 n'y a que les femmes qui la soutiennent, comme il n'y a

qu'elles qui fassent les agréments de la société» Les hommes sont pitoyables au théâtre, et je ne sais s'ils valent beau-coup mieux ailleurs"»

L'affaire des Sirven, suivant celle des Calas, fournit la matière d'une série de lettres à ses protectrices, Catherine II de Russie, la duchesse de Saxe-Gotha, la landgrave de Hesse et

d'autres encore» Naturellement, Voltaire flatte ces dames et elles, à leur tour, l'accablent des compliments qui lui étaient

si chers» Catherine II l'appelle "l'avocat du genre humain, le (3)

défenseur de l'innocence opprimée"» Madame Geoffrin lui écrit: "Votre humanité et votre zèle m'inspirent une aussi grande vénération que la beauté de votre esprit, son étendue,

14) et l'immensité de vos connaissances me causent d'admiration".

Les visiteuses à Ferney charment le vieillard, cha-cune à son tour, commençant par Madame d'Epinay» Chez elle,

(1) 21 juin 1765 - vol» 44, p» 6»

(2) 16 nov» 1764 - vol» 43, pp» 377-8.

(3) 29 Juin-9 Juillet 1766 - vol» 44, pp. 332-3» (4) 25 Juillet 1766 - vol. 44, pp» 360-1»

(34)

•la Raison demeure avec l'Imagination et les Grâces", il est transporté par le talent musical de Madame de Scallier, et il écrit à Monsieur de Chabanon au sujet de Madame de Saint-Julien: "Elle a une imagination et une éloquence si singulières que

J'en suis encore tout émerveillé» Même bonté, même naturel, mêmes grâces que Madame de Scallier, aveo un fonds de

philoso-f 1) phie qui est rare chez les dames".

La tranquillité de la vie à Ferney est un peu déran-gée par le mécontentement de Madame Denis qui soupire après la gaieté de la vie de Paris, et qui ne comprend pas les plaisirs de "cultiver son jardin". Voltaire s'en plaint à ses amis, surtout à son autre nièce, Madame de Florian, et finit par la renvoyer à la capitale aveo Madame Dupults» Evidemment cela ne l'empêche pas d'écrire au duc de Richelieu qu'il donne tout son bien à ces dames»

Madame du Deffand, comme nous allons montrer plus tard, est une des plus intéressantes et des plus assidues des correspondantes de Voltaire, qui discute avec elle une vaste étendue de sujets» C'est elle qui fut responsable de l'amitié qui se développa entre Voltaire et la duchesse de Choiseul, qui devient une de ses puissantes protectrices et qui reste son

amie Jusqu'à la disgrâce et l'exil de son mari. Les flatteries prodiguées à cette femme sont peut-être méritées, mais elles

(35)

sont parfois bien extravagantes» Le 24 février 1770, Voltaire lui écrit en lui disant: "Nous avons bien des saintes en para-dis, mais il n'y en a pas une qui soit aussi bienfaisante que vous l'êtes"»

La guerre entre la Russie et les Turcs intéresse vi-vement Voltaire. Il remplit beaucoup de longues lettres de

ses voeux pour le triomphe de Catherine et de sa joie quand

l'armée russe est victorieuse. Quand Catherine se fait inoculer et se montre législatrice aussi bien que guerrière, l'admiration de Voltaire est sans bornes»

Quand Madame du Barry devint la favorite de Louis IV, Voltaire fut extrêmement curieux à son sujet. Il demande à ses amis comment va l'affaire de celle-ci, espérant gagner sa fa-veur par l'intermédiaire du duc de Richelieu, mais il est extrê-mement prudent et cache toutes ses questions sous des noms

d'emprunt. Il dit au comte d'Argental, en 1772: "J'entends (2)

dire qu'elle a beaucoup de goût et d'esprit naturel"» Pendant ( 3 )

l ' é t é d e 1 7 7 3 i l y e u t l a c h a r m a n t e a f f a i r e d e s d e u x b a i s e r s * '

q u i i n s p i r a u n d e c e s m o r c e a u x de p o é s i e d é l i c a t e si c h e r s a u x dames du 1 8e siècle» Voltaire envoya à Madame du Barry une montre ornée de diamants, fabriquée à Ferney» Il excusa aee

effusions galantes auprès du marquis de Saint-Lambert, disant

(1) 24 février 1770 - vol» 46, pp. 572-3. (2) 4 octobre 1772 - vol» 48, p» 184»

(3) Madame du Barry envoya à Voltaire un portrait sur lequel elle avait posé deux baisers»

(36)

qu'elles avaient plutôt l'air ridicule chez un vieillard: "Si j'ai rendu à une belle dame deux baisers qu'elle m'avait envoyés par la poste, personne ne doit m'en blâmer: la poésie a cela de bon qu'elle permet d'être insolent en vers, quoi-qu'on soit fort misérable en prose» Je suis un vieillard très-galant avec les dames, mais plein de reconnaissance pour des hommes éternellement respectables qui m'ont accablé de bontés"»*1'

La correspondance de Voltaire avec le oomte et la

comtesse de Rochefort n'est pas très étendue, mais elle montre un côté assez inattendu du caractère de Voltaire» C'est cette

comtesse qu'il appela affectueusement "Madame Dlxhuitans" ou "Madame Dixneufans", et toutes les lettres qu'il lui adressa, à elle et à son mari, furent très simples, naturelles et

charmantes» Quand elle tomba malade, il lui écrivit qu'il était "sensible à [son! danger et à [sa] convalescence",' ' et quand son enfant meurt il la console avec tact et com-passion» D'ailleurs, les Rochefort envoyaient souvent à

Voltaire des cadeaux de vin et de fromages; il lui faisaient des visites à Ferney et lui témoignaient une amitié sincère et tout à fait charmante»

La fabrication de montres et de bas à Ferney absorbe l'intérêt de Voltaire et il en parle à tout le monde. C'est la duchesse de Choiseul qui reçoit des cadeaux et qui se fait une (1) i septembre 1773 - vol» 48, pp* 447-8.

(37)

en-des premières protectrices de la colonie. En 1769 il lui

voie des bas de soie en disant: "Daignez les mettre, madame, une seule fois; montrez ensuite vos jambes à qui vous voudrez, et si on n'avoue pas que ma soie est plus forte et plus belle que celle de Provence et d'Italie, je renonce au métier;

donnez-les ensuite à une de vos femmes, ils lui dureront un an » L'année suivante il lui envoie une caisse de montres fabriquées chez lui et destinées pour l'Espagne, en implorant sa protection. Avec chaque cadeau et avec chaque caisse de montres ou de bas à vendre, Voltaire adresse à la duchesse une lettre qui ne manque jamais de la flatter et de la charmer. Donc, le vieux poète réussit à soutenir sa réputation et en même temps à faire prospérer sa colonie. Il lui décrit les fêtes à Ferney où "vos noms, madame, n'ont été oubliés ni en buvant ni dans le feu d'artifice". Tout cela parce que le duc protège la colonie et lui épargne quelques-uns des impôts écra-sants» Il demande à la duchesse de lire ses oeuvres avec Madame lu Deffand et de lui dire ce qu'elles en pensent» Après la

iisgrâce et l'exil des Choiseul, il fait tous les efforts pos-sibles pour les convaincre que sa gratitude et sa fidélité restent inaltérables»

Quand Madame Necker s'avise de faire ciseler le buste Le Voltaire par le célèbre Pigalle, il est flatté, enchanté, talgré le fait qu'il l'assure que: "mes yeux sont enfoncés de

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trois pouces, mes joues sont du vieux parchemin mal collé sur des os qui ne tiennent à rien. Le peu de dents que j'avais est parti"» Mais on voit à travers ses lettres qu'il est vrai-ment touché. Il lui dit, par exemple, qu'elle a "honoré la fin de ma vie", et que "mon coeur est plein, et mon seul chagrin

(2)

est de ne pas vous l'ouvrir". Quand elle suit l'exemple de toutes les femmes de l'époque en demandant ses oeuvres, il fait son possible pour lui plaire, mais en même temps il se garde de lui envoyer des choses qui pourraient le compromettre. La sincé-rité de son amitié pour Madame Necker se montre dans une lettre à Monsieur de Vaines, écrite en 1776, dans laquelle il dit qu'il aimera toujours cette "belle dame qui est née dans mon voisinage, qui a tant contribué à mettre mon squelette en marbre, qui est

(3) très-bonne et très estimable"»

Toute la correspondance de Voltaire pendant ses der-nières années abonde de preuves de sa bonté et de sa fidélité envers ses amis. Cela se voit, par exemple, dans une lettre aux d'Argental sur la fille d'Adrienne Lecouvreur qu'il veut aider. "Il n'y a rien que je ne fisse pour elle, et je vous prie de l'en

(4) . assurer"» Dans ses lettres nombreuses a Madame d'Epinay, il lui

dit: "Adieu, madame, probablement je n'aurai jamais la consolation de vous revoir, mais vous serez toujours ma chère et belle

philo-(5) sophe"» (1) 21 mai 1770 - vol» 47, p. 83» (2) 23 juillet 1770 - vol. 47, p. 149. (3) 6 novembre 1776 - vol» 50, pp. 120-1. (4) 10 septembre 1770 - vol. 47, p. 193. (5) 16 janvier 1771 - vol. 47, pp. 325-6.

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Il regrette de ne pouvoir aller voir madame de Saint-Julien(1* en ces termes: "Il faut être aussi hibou que je le suis, pour ne pas venir me prosterner devant ses brillantes ailes et son bec adorable"»*2) En écrivant à Madame du Boccage, il ne cesse de louer "ce naturel charmant, cette égalité et cette simplicité qui relèvent vos talents"» L'adoption de mademoiselle de Vari-court fournit encore une preuve de sa bonté» Il est frappé surtout par son innocence et,en parlant de son mariage au mar-quis de Villette, il dit au comte d'Argental: "Il épouse de l'innocence, de la vertu, de la prudence, du goût pour tout ce qui est bon, une égalité d'âme inaltérable, avec de la

sensibi-lité; le tout orné de l'éclat de la jeunesse et de la beauté"»*3^ Les lettres où il console son ami d'Alembert de la perte de

Mademoiselle de Lespinasse sont touchantes» Il évoque avec

émotion le souvenir de Madame du Châtelet, 25 ans après la mort de celle-ci, dans une lettre au duc de Richelieu, écrite en

1775: "Je n'ai jamais vu tant de simplicité à la fois et tant de vivacité; il ne lui (c.a»d» Madame de Saint-Julien) manque que d'étudier l'algèbre pour ressembler a Madame du Châtelet"» Et s'il fallait enfin une preuve irréfutable de sa bonté, il

nous suffirait de nous rappeler que la fille même de Fréron, son ennemi mortel, lui demanda de la prendre chez lui et de la marier»

(1) qu'il qualifie de "papillon-philosophe" et de "phénix en amitié 20 juin 1774 - vol. 49, pp. 20-21

( 2 ) I b i d »

( 3 ) 5 novembre 1777 - v o l . 5 P , p» 3 0 1 . (A) l e r o c t o b r e 1775 - v o l . 4 9 , p . 3 9 1 . ( 4 ) 1er

(40)

B» LA FPRME.

A ne considérer que le style de la correspondance de Voltaire avec les femmes, il devient évident qu'elle se divise nettement en deux parties: d'une part, les lettres destinées à être lues en public ou à être publiées; d'autre part, les lettres privées et par conséquent beaucoup plus

spontanées et naturelles. Dans la première catégorie, il faut mettre la plupart des lettres adressées aux princesses, à ses protectrices, à ses admiratrices qu'il ne connaissait pas très bien et aux étrangères. Pn y met aussi un grand

nombre des lettres écrites à Madame du Deffand et à d'autres, sur la philosophie, sur la littérature, sur les questions politiques du jour. Ces lettres sont caractérisées par leur politesse, leur flatterie, l'élégance de leur style et un ton qui se fait, à l'occasion, moqueur ou prêcheur» D'au-tre part, les letD'au-tres adressées à ses amies, à ses nièces, aux dames qui lui envoient des cadeaux, qui lui adressent leurs flatteries ou lui font part de leurs problèmes, se montrent naturelles, limpides, pétillantes, sympathiques»

Le poète, chez Voltaire, est beaucoup plus évi-dent dans les lettres aux hommes, surtout Frédéric II de Russie, que dans la correspondance avec les femmes; toute-fois, sur les 1168 lettres adressées aux femmes, 79

(41)

con-tiennent des poésies qui ont le mérite d'être souvent plus naturelles et plus spontanées que, par exemple, les longues flatteries en vers prodiguées à Frédéric. Parmi les plus typiques se trouvent les morceaux suivants:

"A Mademoiselle de Launai.

Paris, décembre 1732 J'ai été extrêmement flatté, mademoiselle, de l'honneur de votre souvenir: j'en ai conclu tout de suite qu'il fallait bien que je valusse quelque chose pour méri-ter d'occuper même le plus petit recoin dans une mémoire aussi bien garnie que la vôtre.

Cette tête ne s'emplit pas De chiffons ni de babioles, Et, comme celle de nos folles, N'est grenier à nicher des rats, Mais logis meublé haut et bas, Plus orné que palais d'idoles,

Pu sont rangés sans embarras L'astrolabe et les falbalas, Et l'éventail et le compas, Pu sont bons et sûrs cadenas,

Sont trésors plus chers que pistoles; Ces précieux et longs amas

Des vérités de tous états, Cette richesse de paroles

Sans le clinquant des hyperboles, Ces tons heureux et délicats

Qui font des riens les plus frivoles Des choses dont on fait grand cas.

Sans entrer dans un inventaire plus exact de tous vos meubles et immeubles, je vous dirai que J'ai trouvé

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"dans votre lettre à Monsieur de Formont les raisonnements les plus solides sur le libre arbitre, joints au badinage le plus charmant.

Vous me prouvez plus que jamais qu'une certaine délicatesse qui se sent mieux qu'elle ne se définit fait le caractère de vos esprits, et comme la marque de l'ou-vrier, qui distingue le style des femmes d'avec le nôtre.

Un des Quarante peut arranger un volume;

Quelquefois le bon sens fait un livre précis: C'est là le sort de nos esprits;

Mais, chez nous comme en vos écrits,

Sexe aimable, l'amour tient-il toujours la plume? Nous avons quelquefois votre solidité, mais près que jamais votre finesse; vous savez donner à la philoso phie des- grâces qui la parent.

Vous prêchez pour la liberté

Bien mieux que Locke et son grimoire; Mais, prouvant à votre auditoire

Le droit du choix, si contesté, Vous l'en privez en vérité,

Car qui peut ne pas vous en croire?

Dans vos mains les matières les plus abstraites prennent le ton amusant et persuasif.••

(1) Je cite cette lettre en entier parce * " • • " • " * intéressante par son mélange de prose et de vers. Vol» 33 - pp. 316-7.

(43)

A Madame la duchesse de Saint-Pierre.

n Ce style aimable et gracieux, Et cette pose si polie,

Me font voir que la poésie

N'est pas le langage des dieux". Dans l'asile de ma retraite

Je fuyais les chagrins, j'ai trouvé le bonheur; Cccupe sans tumulte, amusé sans langueur,

Je méprise le monde, et je vous y regrette; L'étude et l'amitié me tiennent sous leur loi; Sage, heureux à la fois, dans une paix profonde, Je bénis mon destin d'être ignoré du monde;

Mais il sera plus doux si vous pensez à moi. "

A Madame la princesse Ulrique de Prusse. " Quand l'Amour forma votre corps,

Il lui prodigua ses trésors, Et se vanta de son ouvrage. Les Muses eurent du dépit; Elles formèrent votre esprit Et s'en vantèrent davantage. Vous êtes, depuis ce beau jour, Pour le reste de votre vie,

Le sujet de la jalousie

Et des Muses et de l'Amour.

Comment terminer cette affaire? Qui vous voit croit que les appas, Sans esprit, suffiraient pour plaire; Qui vous entend ne pense pas

Que la beauté soit nécessaire» "

A Madame la marquise de Pompadour.

Quand César, ce héros charmant, De qui Rome était idolâtre,

Battait le Belge ou l'Allemand, Cn en faisait son compliment A la divine Cléopâtre»

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Ce héros des amants ainsi que des guerriers Unissait le myrte aux lauriers;

Mais l'if est aujourd'hui l'arbre que je révère

Et, depuis quelque temps, j'en fais bien plus dé cas Que des lauriers sanglants du fier dieu des combats,

Et que des myrtes de Cytère. " 1» A Madame d'Epinay.

" Des préjugés sage ennemie, Vous de qui la philosophie,

L'esprit, le coeur et les beaux yeux Donnent également envie

A quiconque veut vivre heureux De passer près de vous sa vie; Vous êtes, dit-on, tendre amie; Et vous seriez encor bien mieux, Si votre santé raffermie

Et votre beau genre nerveux

Vous en donnaient la fantaisie» " 2» A Madame du Boccage»

Nouvelle Muse, aimable Grâce,

Allez au Capitole; allez, rapportez-vous

Les myrtes de Pétrarque et les lauriers du Tasse. Si tous deux revivaient, ils chanteraient pour vous; Et, voyant vos beaux yeux et votre poésie,

Tous deux mourraient à vos genoux Pu d'amour ou de jalousie» "

3» A Madame la comtesse du Barry»

" Madame, Monsieur de La Borde m'a dit que vous lui aviez ordonné de m'embrasser des deux côtés de votre part»

Quoi» deux baisers sur la fin de ma vie» Quel passe-part vous daignez m'envoyert Deuxi c'est trop d'un, adorable Egérie; Je serais mort de plaisir au premier»

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Il m'a montré votre portrait: ne voua fâchez pas, madame, si j'ai pris la liberté de lui rendre les deux baisers

Vous ne pouvez empêcher cet hommage,

Votre portrait va me suivre sans cesse, Et je lui rends vos baisers ravissants,

Pui, tous les deux; et, dans ma douce ivresse, Je voudrais voir renaître mon printemps. "

Pn peut établir un contraste significatif entre la profusion des allusions classiques dans les lettres aux hom-mes et le manque presque total de ces allusions dans celles adressées aux femmes. Partout dans les premières on remarque des citations tirées de Virgile, d'Horace, d'Ovide, d'Homère. Mais il semble qu'auprès des dames, même dans un siècle féru

de sciences, Voltaire, comme ses contemporains, éprouvait quelque malaise à être autre qu'un parfait galant homme. L'ambiance des salons et les doux entretiens entre hommes et femmes étaient rarement propices aux pédants ou même aux

érudits» Comme dit Lanson: "A chacun de ses correspondants il parlait des choses de son état, de sa condition, de son ressort". Pour la même raison, les lettres aux hommes sont quelquefois en anglais, en italien, en latin, tandis qu'il

(2) écrivait aux femmes entièrement en français»

(1) Gustave Lanson - Histoire de la Littérature Française.

Cinquième partie - Le 18e siècle - Livre III, chap.IV, p» 764. [2) Excepté: Lettre à l'Italienne - Supplément, Vol. 50, p. 458.

(46)

Les salutations qui terminent les lettres aux fem-mes sont intéressantes et font preuve d'un vrai talent à

évaluer sa correspondante et lui plaire. Dans ses lettres à des souveraines et à des princesses, il emploie une variété de termes élégants qui témoignent de sa souplesse et de son habileté de courtisan. Sur un plan moins élevé, lorsqu'il écrit à ses protectrices qui sont en même temps ses amies, il flatte, amuse et taquine à la fois. Avec ses familières, il est tout simplement lui-même. Je cite quelques exemples assez typiques, tirés au hasard:

"Que Votre Altesse Sérénissime daigne toujours agréer les souhaits et le profond respect du Suisse V» "

"Soyez papillon, soyez aigle, je serai toujours l'admirateur de vos ailes brillantes." (2*

"Encore une fois, madame, écrivez-moi; Je m'inté-resse à tout ce que vous faites, à tout ce que vous pensez, à tout ce qui vous regarde, et je vous aime respectueusement de tout mon coeur. » 13)

• (4)

•Je baise vos pattes de velours.

(1) A Mme la duchesse de Saxe-Ootha - 9 avril 1759 - Toi. 40, pp. 2 A Mme de Saint-Julien - 15 mai, 1776 - T o i . 50 p. 17.

3) A Mme d'Spinay - 26 nov. 1759 - Vol. 40 , p. 244 (4) A Mme de Champbonin (Gros Chat).

(47)

Le style épistolaire de Voltaire est très diffi-cile à évaluer. D'abord, il est extrêmement simple et na-turel, de sorte que le lecteur de la correspondance s'inté-resse à l'homme et à ses idées sans penser à la forme des lettres. La diversité des correspondantes et des questions traitées ajoute assurément à l'intérêt de la correspondance. Mais même quand Voltaire ne parle de rien d'important, il

sait rendre ses lettres amusantes, gaies, charmantes. Il n'oubliait jamais rien et il connaissait bien ses contempo-raines, donc il avait un vaste répertoire d'idées dont il pouvait se servir pour plaire à chaque correspondante. Son tact exquis et son don pour ménager les susceptibilités lui permettaient d'atteindre et de toucher la vanité de chacune. D'ordinaire, il est absolument sincère et les lettres

re-flètent son état d'esprit du moment, ses émotions, ses actes, ou son infatigable curiosité. Ce qui est intéressant, c'est que la plupart de ses humeurs, de ses passions, de ses haines, et de ses rancunes se trouvent dans la correspondance

mascu-line; en général il réserve ses enthousiasmes et ses affections pour les femmes. D'ailleurs, le style des lettres que Voltaire adresse aux femmes n'est jamais maniéré ni lourd; tout est

d'une limpidité cristalline, léger ou élégant, selon l'occasion. L'influence de son célèbre goût se voit partout. Sans être ni

servile, ni pédant,ni hautain, il est toujours noble, aisé, spirituel et gracieux. Il sait combiner l'effronterie avec

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la flatterie délicate d'une façon délicieuse, et ce qui plaisait énormément aux femmes du 18e siècle, ennuyées de tout, il est toujours imprévu. Au contraire de bien des écrivains de son siècle, Voltaire n'avait pas l'habitude de corriger et de polir ses lettres, donc, elles sont

tou-jours plus spontanées que celles de ses contemporains même les plus célèbres.

Voltaire écrit en 1768 à Monsieur Beauzée: "Un instinct heureux fait apercevoir aux femmes d'esprit si on parle bien ou mal: c'est aux philosophes à développer cet instinct". Il n'y a personne qui réussît mieux que lui à suivre ce conseil»

11 reste à signaler que dans une si grande profu-sion de propagande, d'idées, de galanteries, de flatteries tantôt extravagantes, tantôt sincères, de cajoleries et d'affection, il n'y a cependant que peu d'émotion convain-cante. Du moins, il y a très peu de grossièreté, et le

tout est recouvert d'une politesse invariable. Il est inté-ressant de noter aussi que les caractéristiques qu'on cherche d'ordinaire dans un style supérieur, telles que de belles

descriptions, des métaphores,ou de l'érudition, manquent presque totalement chez Voltaire. Ce qui saute aux yeux dès

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le commencement de cette correspondance, et qui en reste le plus durable souvenir, c'est qu'on a fait la

connaissan-ce d'un très grand homme de lettres qui, malgré toutes ses faiblesses, se révèle humain, généreux, tendre,et fidèle»

(50)

Les Correspondantes de Voltaire

Pages

1» Femmes de lettres et actrices. 47-57

2» Protectrices. 58-73 3» Parentes et amies» 74-94

4» Madame du Châtelet» 94-105 5» Madame du Deffand» 106-127

(51)

Le nombre des correspondantes de Voltaire est très onsidérable» Nous en établissons la liste

suivante:-• PRINCESSES*1'

La princesse de Guise; Elisabeth-Christine, reine e Prusse; Marie Leczinska, reine de France; Sophie-Dorothée e Hanovre, reine de Prusse; Ulrique de Prusse, princesse

oyale de Suède (reine); la margrave de Baireuth; la

prin-esse de Ligne; Catherine II, impératrice de Russie; Caroline, andgrave de Hesse; la princesse de Talmont; la princesse

'Hénin; la reine d'Angleterre (Catherine d'Anspach).

# GRANDES DAMES

La duchesse d'Aiguillon; Madame de Ferriol; la uchesse du Maine; la marquise de Mimeure; la duchesse de aint-Pierre; la comtesse d'Argental; la comtesse de Mailly; a duchesse de Montenero; la marquise de Pompadour; la com-esse de Verteillac; la marquise de Malouse; la comtcom-esse de ontrevel; la duchesse de Saxe-Gotha; la comtesse de Staal-elaunay; la comtesse d'Egmont; la comtesse de Lutzelbourg; a comtesse de Bassevitz; la marquise de Boufflers; la du-hesse de Grammont; la maréchale de Luxembourg; la baronne e Verna; la marquise de Monrepos; la marquise d'Antremont; a duchesse de Choiseul; la comtesse de Horn (née Aurore de axe); la comtesse de Saint-Point; la marquise d'Argens; la omtesse de Boisgelin; la comtesse de Rochefort; la duchesse e Brunswick; la comtesse du Barry; la comtesse de Beauharnais; a comtesse de Saint-Herem; la duchesse de Wurtemberg; la du-tiesse d'Enville; la marquise d'Azy; la comtesse de Blot; la ignora Fontana Zorzi; la comtesse de Furpin; la comtesse de idampierre»

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C» PARENTES ET AMIES

U.A.I.. ** tilJZ î Z J6 B e r n i e r e sî Mademoiselle Bessières; Madame de Champbonin; Madame du Deffand; Mademoiselle Olympe Dunoyer; Mademoiselle de Lubert; Madame Denis; Madame de

Fontaine (Florian);Madame de Graffigny; Mademoiselle Corneille; Madame de Saint-Julien; Madame Necker; Madame Suard.

D. ACTRICES

Mademoiselle Dangeville; Mademoiselle Quinault; Mademoiselle Dumesnil; Mademoiselle Clairon; Mademoiselle

Raucourt; Madame Favart. E. FEMMES DE LETTRES

Mademoiselle de Launai; Madame du Boccage; Madame d'Epinay; Madame Belot (présidente de Meynières) Madame

Geoffrin.

F. AUTRES DAMES DE MOINDRE IMPORTANCE

Madame Demoulin; Madame de Solar; Madame de Truchis de Lagrange (religieuse); Madame de Buchwald; Madame Dupuy;

Mademoiselle Charlotte Pictet; Mademoiselle Fal; Madame de La Oour; Madame &lie de Beaumont; Madame Calas; Mesdemoiselles Salas; Madame Duchesne; Madame Gabriel Cramer; Madame de

La Borde des Martres; Madame de Pommereul; Madame de Sauvigny; Madame Desprez de Crassy; Madame d'Hornoy; Madame de Trévénégat; Madame Christin; Madame du Voisin; Madame Joly; îJadajae de La

(Terpilière; Mademoiselle Adélaïde de Nar...»; Madame Bruyère de Lavaisse; Madame de Chénier; Mademoiselle Dionis; Madame Mole; 1rs. Clayton ( Lady Sundon).

On y trouve cent onze noms dont la plupart sont ceux Le grandes dames ou de princesses. Voltaire correspondait aveo me quarantaine de duchesses et de comtesses et avec au moins

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quinze princesses et reines. Le reste de la liste comprend ses amies intimes, les membres de sa famille, les actrices

auxquelles il donne des conseils sur les rôles qu'elles jouent dans ses pièces, les femmes de lettres qui admirent ses oeu-vres et qui soumettent les leurs à sa critique, les admira-trices qui le comblent de flatteries, les infortunées qu'il cherche à aider avec son argent et avec sa plume, les voya-geuses qui viennent à Ferney lui rendre hommage, les femmes de ses amis, de ses collaborateurs, de ses éditeurs, même des Inconnues. Voltaire préférait sans doute les dames du grand monde, se plaisait à leur conversation et causait facilement avec elles. Mais cela ne l'empêchait nullement d'être poli et courtois même envers les dames les plus humbles. Nous tâcherons, dans les pages suivantes, de donner dans le détail un compte rendu de cette correspondance volumineuse qui té-moigne du rayonnement extraordinaire de Voltaire, et qui, en même temps, nous permet de voir un des côtés les plus curieux et les moins connus du caractère de cet homme affairé et in-fatigable»

Parmi les femmes de lettres les plus importantes

dans cette correspondance, il faut mentionner Madame du Boccage, Madame d'Epinay et Madame Belot (plus tard la présidente de

Meynières)» Madame du Boccage "femme d'un caractère estimable, qui s'était trompée comme son époque sur un talent sans relief

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,t sans couleur",t1* était beaucoup admirée par Voltaire ussi bien que par la plupart de ses contemporains, non seu-ement pour son talent littéraire mais encore plus pour sa todestie et son caractère poli et doux. Quand elle arriva

ux Délices, en 1758, pour rendre visite à Voltaire, le poète tait sur le point de partir pour la cour de l'électeur pa-atin, mais il remit son voyage à plus tard et rendit à la élèbre"muse" voyageuse tous les honneurs possibles. Elle en ut enchantée et écrivit à sa soeur, Madame du Perron: "Il

oint à l'élégance d'un homme de Cour, toutes les grâces et 'à-propos que l'esprit répand sur la politesse; et me pa-aît plus jeune, plus content, en meilleure santé qu'avant on départ en Prusse. Sa conversation n'a rien perdu de ses

(2) gréments, et son âme plus libre y mêle encore plus de gaieté". Ile admira le luxe de la maison, la bonne chère qu'on y goû-ait, la bonne compagnie qui la fréquentgoû-ait, la bonté de Madame enis. Voltaire poussa l'admiration et la politesse au point 1) Desnoiresterres - Voltaire aux Délices - Vol. 5, p. 287.

2) M a d a m e de Graffigny - Lettres - Lettres du XVIIe et du X V T I I e s i è c l e . Lettres de Madame de Graffigny, suivies de celles de M e s d a m e s de Staal, d'Epinay, du Boccage,

Suard, du chevalier de B o u f f l e r s , du marquis de Villette, e t c . etc., des Relations de M a r m o n t e l , de Gibbon, de

C h a b a n o n , du prince de Ligne, de Grétry, de Genlis, sur leur séjour près de Voltaire - Revues sur les éditions o r i g i n a l e s , augmentées de nombreuses notes, d'un index, et p r é c é d é e s d'une notice biographique par Eugène A s s e . P a r i s , C h a r p e n t i e r 1879»

Lettre de M a d a m e du Boccage a Madame du Perron Lyon -8 Juillet 175-8»

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