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Les scientifiques et la nature dans le Parc Marin du Saguenay Saint-Laurent

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Les scientifiques et la nature dans le Parc Marin

du Saguenay Saint

-Laurent

Mémoire

Clémence Bravetti

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Les scientifiques et la nature dans le Parc Marin du

Saguenay Saint-Laurent

Mémoire de Maîtrise

Clémence Bravetti

Sous la direction de :

Frédéric Laugrand, directeur de recherche

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Résumé

Cette recherche s’inscrit dans la lignée des nombreuses recherches concernant les relations entre l’humain et la nature. Elle explore le cas particulier d’un parc marin, au travers du prisme de l’anthropologie culturelle. La question de la relation des scientifiques de Parcs Canada avec la nature dans le parc marin Saguenay Saint Laurent se pose au travers de leur relation avec le milieu marin, qui est leur objet d’étude. Les relations avec la nature se nouent au travers de leurs pratiques scientifiques sur le terrain et des outils utilisés pour rendre le milieu marin plus accessible à la compréhension scientifique. Les spécificités du milieu marin dans le parc, opaque, froid et invisible jouent un rôle dans l’importance des baleines en tant que créatrices d’un lien unique entre les chercheurs et la nature.

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Résumé (Anglais)

This research is in line with the many researches concerning the relationship between humans and nature. It explores the particular case of a marine park, through the prism of cultural anthropology. The question of the relationship of Park Canada scientists with nature in the Saguenay Saint Laurent Marine Park arises through their relationship with the marine environment, which is their object of study. Relationships with nature are built through their field-based scientific practices and tools used to make the marine environment more accessible to scientific understanding. The specificities of the marine environment in the park, opaque, cold and invisible, play on the importance of whales as creators of a unique link between researchers and nature.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III RÉSUMÉ (ANGLAIS) ... IV LISTE DES FIGURES, TABLEAUX, ILLUSTRATIONS ... VII LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES, ACRONYMES ... VIII

INTRODUCTION ... 1

1. MISE EN CONTEXTE DE LA RECHERCHE ... 4

1.1 CONTEXTE HISTORIQUE GÉNÉRAL ... 4

1.1.1 Création des premiers parcs naturels nord-américains ... 4

1.1.2 Un modèle de parc naturel nord-américain ... 7

1.1.3 L’Anthropocène ... 8

1.2LE PARC MARIN SAGUENAY ST LAURENT ... 11

1.2.1 Histoire du PMSSL ... 11

1.2.2 Objectifs du PMSSL ... 16

1.2.3 Géographie du PMSSL ... 16

1.2.4. Réglementations ... 17

1.2.5. Recherche scientifique actuelle en sciences de la nature (cas du PMSSL) ... 19

1.3RECHERCHES EN SCIENCES SOCIALES SUR LA NATURE, DEPUIS LE DÉBUT DU 20E SIÈCLE : REVUE DE LITTÉRATURE ... 20

1.3.1 Définir la nature en opposition avec l’humain ... 20

1.3.2 Étudier les différentes visions de la nature ... 21

1.3.3. Dépasser l’approche dualiste de la nature ... 23

1.4.SOCIAL STUDIES OF SCIENCE : LA SCIENCE, UN PHÉNOMÈNE CULTUREL ET SOCIAL ... 28

2. APPROCHE CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIQUE ... 31

2.1APPROCHE CONCEPTUELLE ... 31

2.1.1 Dualisme nature/culture ... 31

2.1.2 Protection de l’environnement : wilderness, écologie, Anthropocène et modernité ... 33

2.1.3 Lieu et espace – atmosphère ... 39

2.1.4 Institution ... 41

2.1.5 Utopie et hétérotopie ... 42

2.1.6 Liminalité ... 42

2.2QUESTION DE RECHERCHE ET OBJECTIFS ... 43

2.3.MÉTHODOLOGIE ... 44

2.3.1 Stratégie de recherche ... 45

2.3.2 Techniques de collecte de données ... 47

2.3.3 Considérations éthiques ... 51

2.3.4. Données colligées ... 52

2.3.5. Analyse de données qualitatives ... 68

2.3.6. Partage de l’information et transparence ... 70

3. ANALYSE DE DONNÉES ... 71

3.1 LE MILIEU MARIN DU PMSSL : UNE NATURE PAS COMME LES AUTRES ? ... 73

3.1.1 Les spécificités physiques et pratiques du milieu marin au niveau… ... 73

3.1.2 Le PMSSL : la part du monde invisible ... 76

3.1.3 Une nature institutionnalisée malgré ces différences marin/terrestre ... 80

3.2.LA RELATION DES SCIENTIFIQUES À LA NATURE : PRATIQUES, TRANSMISSION ET AFFECTS. ... 84

3.2.1 L’attachement au lieu et au paysage ... 84

3.2.2. La pratique scientifique, un entre –deux relationnel entre les scientifiques et leur vision de la nature ... 93

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CONCLUSION ... 111

ANNEXE 1 : CANEVAS D’ENTRETIEN ... 124

ANNEXE 2 : SCHÉMA REPRÉSENTATIF DES DIVERS MOYEN UTILISÉS DANS LE CADRE DES RECHERCHES DE PARCS CANADA À BORD DU BATEAU DE RECHERCHE L’ALLIANCE. ... 127

ANNEXE 3 : CARTES DES PARTICIPANTS AVEC LÉGENDES ... 128

ANNEXE 4 : PLAN DE ZONAGE DU PARC MARIN SAGUENAY SAINT LAURENT ... 137

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Liste des figures, tableaux, illustrations

FIGURE 1Proposition initiale de limites pour le parc marin Saguenay lors de l’entente

Canada-Québec ... 12

FIGURE 2Limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et de l’aire de coordination telles que révisées après consultation publique ... 13

FIGURE 3Le PMSSL en bref (infographie provenant de la brochure "source de vie et d'échange") ... 15

FIGURE 4Règlement des activités en mer dans le PMSSL ... 18

FIGURE 5Actions identifiées au plan directeur en lien avec la recherche scientifique. ... 19

FIGURE 6Schéma représentatif des différents acteurs liés au milieu scientifique dans le PMSSL ... 48

FIGURE 7Tenue des scientifiques par temps froid. ... 54

FIGURE 8Parc Marin Saguenay Saint Laurent (en bleu foncé). Carte des villes principales. ... 55

FIGURE 9Vue du pont superieur de recherche de l’équipe de conservation, l'Alliance. ... 57

FIGURE 10Vue sur la Baie Sainte Margueritte et jumelles utilisées lors du relevé ... 61

FIGURE 11Capture d'écran de la présentation du projet d'observation des bélugas dans le cadre du colloque du 20e anniversaire du PMSSL ... 63

FIGURE 12 Icône sur la distance à respecter avec les espèces en péril ... 65

FIGURE 13 Zone d'exclusion des embarcations dans la baie Sainte-Marguerite, à Saguenay ... 74

FIGURE 14La confluence ... 78

FIGURE 15L’estuaire maritime ... 78

FIGURE 16Règlements sur les activités en mer : les drapeaux. ... 82

FIGURE 17Affichage sur l’ordinateur de l’échogramme en direct lors de l’utilisation de l’échosondeur (avec légende explicative). ... 105

FIGURE 18Echogramme à 200kHz de bancs de poissons le 31 juillet 2018 avec légende explicative de la densité des proies.. ... 105

FIGURE 19Utilisation du filet d'échantillonage sur le bateau de l'Alliance. ... 106

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

PMSSL : Parc Marin du Saguenay Saint-Laurent Parc marin : Parc Marin du Saguenay Saint-Laurent Sépaq : Société des établissements de plein air du Québec

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Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement mes parents qui m’ont encouragée tout le long de la recherche. Je n’aurais pu me passer du soutien sans faille de mes amis et de mes collègues d’anthropologie, entre autres Caroline Fiset et Stéphanie Pagé. Mon travail n’aurait pu aboutir sans les conseils précieux et les discussions avec l’anthropologue David Thorsen-Cavers, toujours à l’écoute. Finalement, un merci tout particulier à mon directeur de recherche Frédéric Laugrand ainsi qu’à Michelle Daveluy.

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INTRODUCTION

Passionnée par les sciences et concernée par la protection de l’environnement, je souhaitais trouver un sujet de maîtrise qui ralliait les sciences de la nature et les sciences sociales. J’ai grandi avec un père professeur en biologie, ce qui m’a beaucoup influencée dans mon questionnement sur nos relations avec la nature. J’ai pu constater, après avoir vécu en France et au Québec, que les parcs naturels ne fonctionnaient pas de la même manière. Ces explorations personnelles m’ont amenée à préciser mon sujet. J’ai choisi dans mon mémoire de maîtrise de m’intéresser aux scientifiques de la nature qui, comme les anthropologues, font du terrain et recueillent des données. À l’heure du consensus scientifique quant aux changements climatiques, les travaux en anthropologie de la nature et de l’environnement sont essentiels et ceux sur les parcs naturels méritent notre plus grande attention. Les sujets choisis sont fréquemment en rapport avec les institutions (par exemple : Van Tilbeurgh 2006), les habitants locaux (par exemple : Massena-Gourc 1994) ou le tourisme, voire l’économie (par exemple : Siniscalchi 2008). Si ces études de cas procèdent d’un point de vue critique, ces dernières ne permettent pas de comprendre en profondeur les relations des chercheurs travaillant dans les parcs avec la nature et l’importance de la recherche scientifique dans la construction des parcs naturels. J’ai choisi de m’intéresser à la relation des scientifiques avec la nature dans le Parc Marin du Saguenay Saint-Laurent pour tenter de compléter en partie le savoir anthropologique concernant les parcs naturels. De plus, le Parc Marin du Saguenay Saint-Laurent l’unique parc marin au Québec et le premier au Canada. Il me semble intéressant d’explorer les différences et les défis qu’implique un parc marin par rapport aux parcs terrestres.

Dans une première partie, je mettrai en contexte ma recherche en abordant l’aspect contextuel historique général, incluant la création des premiers parcs naturels en Amérique du Nord (modèle pour la création d’autres parcs partout en Amérique) et l’Anthropocène. J’évoquerai aussi l’histoire, les objectifs et des caractéristiques géographiques du PMSSL pour mieux situer le parc dans le temps et l’espace et comprendre sa raison d’être. Une mise en contexte de ma recherche ne peut se faire sans une revue de littérature des sciences sociales sur la nature afin de pouvoir appuyer mes recherches sur le savoir et les connaissances

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accumulées au cours des deux derniers siècles en sciences sociales. J’ai classé ces recherches en trois grandes catégories : la définition de la nature en opposition avec l’humain, l’étude des différentes visions de la nature et le dépassement de l’approche dualiste de la nature. J’évoquerai ensuite les social studies of science.

Dans une seconde partie, j’expliquerai l’approche conceptuelle et méthodologique de la recherche. J’y détaillerai les concepts clefs, notamment le dualisme nature/culture, les concepts entourant la protection de l’environnement, les concepts de lieu et espace et aussi le concept de liminalité. Puis, j’exposerai la question, les objectifs de recherche ainsi que la méthodologie. Cela m’amènera à définir la stratégie de recherche ainsi que les techniques de collecte de données utilisées. Je m’attarderai dans cette partie sur les acteurs de la recherche scientifique dans le parc, ce qui permettra aux lecteurs de se faire une idée claire du monde scientifique dans le PMSSL, et qui m’a permis de situer les acteurs importants lors du terrain et suivre un minimum les biologistes dans leurs recherches. J’y présenterai notamment l’équipe de conservation, équipe que j’ai suivie lors de mon terrain et qui a bien voulu m’accueillir dans le cadre de la recherche. Après avoir abordé les considérations éthiques, je présenterai les données colligées, avec un exemple d’une journée à bord du bateau de recherche scientifique de Parcs Canada. Je terminerai cette partie avec le choix de l’analyse thématique pour cette étude de cas.

Dans une troisième partie, j’aborderai mon analyse de données. Je commencerai en m’attardant sur un thème général qui m’est apparu (au travers des observations, entrevues et des lectures) comme récurrent et essentiel à la compréhension des relations scientifiques-nature dans le parc marin, c’est-à-dire les spécificités de la scientifiques-nature dans le PMSSL. Cette partie inclura une description (non exhaustive) des spécificités pratiques et physiques du milieu marin en général, et du fleuve Saint-Laurent, au niveau local. Pour comprendre en quoi la nature du parc marin peut être différente de celle d’autres parcs terrestres, je relaterai ensuite la spécificité de son milieu naturel en termes de visibilité/invisibilité, la nature du parc marin étant en grande partie invisible aux yeux de l’humain. La spécificité du PMSSL n’en fait pas une échappatoire à l’institutionnalisation de la nature, caractéristique des parcs naturels terrestres, et j’expliquerai ainsi comment la nature est institutionnalisée dans le PMSSL malgré ces différences majeures qui le distinguent des parcs terrestres.

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Par la suite, j’explorerai la relation des scientifiques avec la nature dans le PMSSL, soit le cœur de mon sujet. En m’appuyant sur les spécificités constatées dans la troisième partie et sur l’analyse de mes entrevues et de mes observations, je pourrai évoquer les pratiques, transmissions et affects liés aux relations des scientifiques avec la nature dans le PMSSL. L’attachement au lieu et aux paysages des scientifiques est un des thèmes récurrents constaté dans mes échanges avec l’équipe de conservation de Parcs Canada que j’explorerai au travers de plusieurs sous-thèmes, comme le parc en tant que lieu plus ou moins naturel pour les chercheurs, ou lieu de souvenir, ou encore leur vision idéale / vision du futur du parc marin. J’expliquerai ensuite, en six points, comment la science forme un entre-deux relationnel entre les scientifiques et leur vision de la nature dans le PMSSL. La compréhension de la relation des scientifiques à la nature deviendra plus claire en partant de leur vocation pour leur métier de biologiste au parc marin, et en passant par l’importance à leurs yeux de la connaissance scientifique et l’amour du lieu comme vecteurs de protection de l’environnement. Il est aussi important d’évoquer la manière dont la recherche scientifique s’établit dans le parc marin et quels en sont les points d’accent majeurs, soit les baleines1, premières répondantes de la

nature dans le PMSSL. Après avoir expliqué pourquoi les baleines sont les premières répondantes, j’écrirai à propos des moyens utilisés par les biologistes de Parcs Canada pour rendre le monde invisible du PMSS visible afin de pouvoir étudier leur objet d’étude, la nature du parc marin. Tout ceci a pour conséquence de placer les chercheurs en position liminale sur leur terrain de recherche, et donc en position liminale par rapport à la nature, ce que j’expliquerai dans mon dernier point.

Pour conclure, je tenterai de répondre de manière synthétique à ma question de recherche en discutant mes objectifs. J’évoquerai les limites de ma recherche et les possibilités de la compléter dans le futur par d’autres études.

1 J’appelle baleines tous les mammifères marins de la famille des cétacés. On retrouve dans le PMSSL des

baleines à fanons (espèces fréquentes et régulières : petit rorqual, rorqual à bosse, rorqual commun et rorqual bleu) et des baleines à dents (espèces fréquentes : béluga, marsouin commun) (PMSSL 2013 : 31). Le béluga est la seule espèce de baleine présente à l’année (résidente) dans le PMSSL. Les autres baleines migrent vers le

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1. M

ISE EN CONTEXTE DE LA RECHERCHE

1.1 Contexte historique général

Un historique de la création des parcs en Amérique du Nord permet d’aborder en premier lieu la création institutionnelle des parcs aux États-Unis, de la naissance du concept jusqu’à sa réalisation. Il est important de s’intéresser aussi à la naissance des parcs au Canada et au Québec, ainsi qu’à leur cadre historique, législatif et institutionnel qui viennent éclairer les principes liés au concept de parc au Canada. De plus, l’exploration du concept de parc nord-américain et son influence permettent de comprendre dans quel cadre les parcs du Québec ont été créés. Pour terminer cette mise en contexte, l’actuelle prévalence de l’« Anthropocène » sur la scène scientifique afin de décrire l’ère à laquelle nous vivons en fait un concept incontournable pour comprendre le contexte dans lequel les scientifiques travaillent dans un parc naturel, et comment ce concept a pu affecter la conception de la nature dans les milieux scientifiques depuis son introduction.

1.1.1 Création des premiers parcs naturels nord-américains

La création institutionnelle des parcs (qu’ils soient nationaux ou régionaux) a eu lieu aux États-Unis et les textes étudiés rapportent l’histoire de cette création en des termes similaires, qu’ils soient officiels ou institutionnels. La première approche du concept de « parcs » naturels est rapportée par le peintre américain George Catlin, au retour de son voyage dans l’Ouest américain. En 1832, il « propose une politique de protection par le gouvernement d’un “parc soutenant hommes et bêtes dans toute la beauté sauvage de leur nature” » (Parcs Nationaux de France 2012 : 2). La première réserve naturelle est créée en 1864 par Abraham Lincoln dans la vallée du Yosemite : elle est décrétée « terrain public inaliénable » (Parcs Nationaux de France 2012 : 2) en réponse à un mouvement d’opinion et de mobilisation pour protéger les terres, et en particulier les arbres qui s’y trouvaient, du tourisme. « The discovery of the Calaveras Big Trees and Yosemite Valley quickly attracted national attention and led to actions to promote them for private gain » (Beesley 1996). Les

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promoteurs développèrent rapidement le tourisme dans la vallée du Yosemite. « Les visiteurs de l’est et quelques citoyens californiens eurent peur que ces activités, semblables à celles des chutes du Niagara, aient des effets similaires sur les deux sites du Sierra Nevada. Les politiciens de Californie ainsi que les intérêts commerciaux de la Central Valley se sont alors entendus pour demander une protection fédérale » (Beesley 1996, ma traduction). La même année que la création de cette aire protégée, George Perkins Marsh publia son traité Man and

Nature, un des premiers textes abordant des problématiques liées à ce qui sera plus tard

appelé l’écologie. Pour la première fois, l’homme est envisagé dans sa relation avec la nature et les impacts sur son environnement sont étudiés (Figueiredo 2006 : 73).

Le concept de « Parc National » fait officiellement son entrée aux États-Unis en 1872, avec la création du parc de Yellowstone (Alban et Hubert 2013 : 3) rendue possible par la loi du 1er mars. Il est considéré comme le premier parc national au monde malgré l’antériorité de la

création de l’aire protégée du Yosemite. L’objectif de la création du parc est la préservation d’une nature « sauvage », « intacte », en lien avec la notion de « wilderness », cependant l’objectif en est aussi récréatif. Le texte fondateur stipule que « l’espace désigné doit “être préservé pour toujours dans son état naturel et être accessible à la récréation de tous et des générations futures” » (Alban et Hubert 2013 : 3). Soixante-trois ans plus tard, les États-Unis sont aussi les premiers à avoir créé un parc marin institutionnel : « Le tout premier parc marin (…) a été désigné en janvier 1935 par le président américain Franklin D. Roosevelt sous le nom de Fort Jefferson National Monument. Il a été renommé Dry Tortugas National Park en 1992 et se situe à l’extrémité sud-ouest des Keys (Floride) » (Pelletier 2018 :167). L’influence des États-Unis rayonne dans le monde et « la première conférence mondiale sur les parcs nationaux s’est tenue à Seattle (Washington) en juillet 1962. (…) Même si certains parcs marins avaient été créés avant cette date, cette conférence marque le véritable point de départ des aires marines protégées » (Pelletier 2018 : 167).

Au Canada, c’est la loi du parc des Montagnes-Rocheuses adoptée en 1887 qui convertit ce lieu en un premier parc national, sous le même modèle que le parc du Yellowstone, afin de réserver l’espace au public. Quant à Parcs Canada, il s’agit du premier service de parcs nationaux au monde (Parcs Canada 2019), créé en 1911 sous la direction de James Harkin (Hart 2010). Parcs Canada se nommait initialement « direction des Parcs

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de 1895, nommé parc de la Montagne-Tremblante (aujourd’hui le parc national du Mont-Tremblant) (Sépaq 2017 (2)). « À cette époque, la désignation “parc” visait à assurer une exploitation durable des ressources forestières et fauniques plutôt qu’une protection totale du territoire »(Sépaq 2017 (2)) ; toutefois, les parcs sont encore gérés au niveau national. C’est en 1977 que le « gouvernement du Québec se dote de la Loi sur les parcs lui donnant le pouvoir d’établir des parcs de conservation et de récréation où l’exploitation des ressources (à l’exception de la pêche) est interdite » (Sépaq 2017 (2)). Le premier parc confirmé sous cette nouvelle loi est le parc du Mont-Orford en 1979. Tous les autres parcs de la Sépaq sont créés sous cette loi. La Sépaq se voit confier la mission d’« assumer la gestion des activités et des services des parcs situés au sud du 50e parallèle, en vue de les protéger et de les mettre

en valeur dans la perspective d’un réseau de calibre international » (Sépaq 2017 (2)).

La loi sur les parcs est modifiée en 2001, « afin de remplacer les notions de parc de conservation et de récréation par la désignation de parc national répondant aux critères internationaux établis par l’Union mondiale pour la nature (UICN) » (Sépaq 2017 (2)).

Concernant les aires marines protégées au Canada, c’est assez tardivement, en janvier 1997 que « Pêches et Océans Canada publie un document de réflexion sur la mise en place et la gestion des aires marines protégées en vertu de la partie II de la Loi sur les océans adoptée en 1997 (MPO, 1997) » (Pelletier 2018 : 168). Une politique unifiée de désignation des aires marines protégées a été mise en place au début des années 2010, mais les termes désignant les aires marines protégées sont multiples au niveau provincial et fédéral (Pelletier 2018). La première aire marine protégée au Québec est le parc marin Saguenay Saint Laurent (PMSSL). Les aires protégées au Québec peuvent avoir 32 désignations juridiques ou administratives différentes (Gouvernement du Québec, 2019). Toute aire marine protégée n’est donc pas forcément un parc marin comme l’est le PMSSL. Par exemple, la nouvelle aire protégée du Banc-des-américains ne sera pas un parc marin mais une réserve aquatique au Québec ainsi qu’une Zone de protection marine au Canada.

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1.1.2 Un modèle de parc naturel nord-américain

Le modèle américain de parc naturel est le premier et il a influencé la plupart des modèles dans le monde, jusqu’à devenir une sorte de référence pour le modèle mondial de parc national, établi par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) (Alban et Hubert 2013 : 3). En effet, dans le classement des catégories d’espaces protégés de l’UICN, la catégorie II est la catégorie spécifique pour les Parcs nationaux. Cette catégorie réservée définit le Parc National comme une « aire protégée avec un objectif de protection des écosystèmes à des fins récréatives » (Martinez et Héritier 2008 dans Alban et Hubert 2013 : 3), cela correspond au modèle de parc national tel que défini du côté américain, un espace protégé de l’influence de l’humain, où celui-ci est simplement toléré le temps d’une visite (Blondet 2008 : 131). La position américaine sur la nature et les parcs reflète celle des tout premiers écologistes américains du 19e siècle, « pour qui la nature est forcément contaminée par l’homme » (Blondet 2008 : 131). Ainsi, le modèle de parc américain est « par définition, un espace vide de toute population humaine » (Blondet 2008 : 131). Si le territoire est déjà peuplé, ses habitants seront donc déplacés afin de créer le parc. Bien que le modèle de parc américain soit celui qui a influencé tous les autres, les adaptations locales sont nombreuses et le modèle ne peut jamais être appliqué à la lettre. L’existence d’aires marines protégées a nécessité un ajustement de la part de l’UICN en 2012 puisque les catégories étaient difficilement adaptables aux milieux marins (Day et collab., 2012) : « le nouveau document ajoute des définitions, des objectifs et de multiples exemples d’applications en milieu marin afin d’aider les décideurs et les gestionnaires à définir adéquatement la catégorie d’aire marine protégée qu’ils souhaitent mettre en place » (Pelletier 2018 : 168). Le PMSSL est un parc naturel, mais fait aussi partie de la catégorie des aires marines protégées (toutes les aires marines protégées ne sont pas des parcs). Les directives additionnelles de l’UICN en 2012 pour les aires marines protégées de catégorie II (comme le PMSSL) ajoutent quelques détails à la définition de base : « Catégorie II : Protection très élevée –protection à long terme de l’intégrité de l’écosystème marin – activités récréatives sans prélèvement – écotourisme – aucune pêche commerciale ou artisanale » (Day et coll. 2012). D’une manière générale, le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent semble vouloir mettre en avant un

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1.1.3 L’Anthropocène

Récemment, la conception de la nature a été bouleversée par une nouvelle théorie qui reconsidère la place de l’humain dans la nature. Deux scientifiques, le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugène Stoermer ont émis l’hypothèse que nous ne vivions plus dans l’« Holocène », « the geological epoch that began around 117,000 years ago, whose benign climatic conditions have made possible the rapid growth of the human species all over the planet » (Arias-Maldonado 2015 : 74), mais que nous étions maintenant dans l’ère de l’Anthropocène, c’est-à-dire une ère « “marquée par la transformation irréversible de la nature causée par l’influence humaine” (Crutzen and Stoermer 2000). Cette influence est si importante, et la transformation si spectaculaire, que la manière dont la planète fonctionne serait en train de changer » (Arias-Maldonado 2015 : 74, traduction libre). Le « Groupe international de travail sur l’Anthropocène » a été créé en 2008 pour étudier le sujet (Zalasiewicz 2010). La présentation de la proposition pour faire de l’Anthropocène une unité formelle dans la division géologique des époques a été faite en 2008 à la Commission de Stratigraphie de la Société géologique de Londres (Zalasiewicz 2010). Cette proposition a mené à une augmentation des études sur le sujet. L’Anthropocène a tout de même fait l’objet de plusieurs débats, dont celui de la datation du début de cette nouvelle ère (Atlantico : 2016). Tout comme les historiens ne sont pas tous d’accord sur la date de la Renaissance, les scientifiques se disputent la date du début de l’Anthropocène. Il s’agit de dater le début de l’empreinte de l’homme sur la planète. Le géologue Patrick De Wever explique que la convention est de prendre pour point de départ la date du brevet pour la machine à vapeur, mais que d’autres choisissent celle des premières expérimentations nucléaires. Certains archéologues préfèrent remonter au néolithique avec la fonte du métal (Atlantico 2016). Patrick de Wever critique quant à lui l’idée que cette ère soit une ère géologique, puisque ce genre de transformation se mesurerait à une plus grande échelle (Atlantico 2016).

Le groupe de travail sur l’Anthropocène s’est réuni en 20112 afin de valider la

recommandation d’intégrer l’Anthropocène en tant qu’époque géologique au sein de l’échelle des temps géologiques (Site University of Leicester 2016). L’anthropocène n’est

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donc à ce jour pas encore officiellement reconnue comme une ère géologique : « The Anthropocene is not currently a formally defined geological unit within the Geological Time Scale ; officially we still live within the Meghalayan Age of the Holocene Epoch. A proposal to formalise the Anthropocene is being developed by the AWG »

(Subcommission on Quaternary Stratigraphy 20193). La proposition doit être votée par le

groupe de travail sur l’anthropocène (voté en supermajorité en mai 2019), puis par deux autres groupes, et ensuite certifiée par l’union internationale de la science géologique :

The resultant proposal, when made, would need supermajority (>60%) agreement by the AWG and its parent bodies (successively the SQS and ICS) and ratification by the Executive Committee of the International Union of

Geological Sciences. The success of any such proposal is not guaranteed. (Subcommission on Quaternary Stratigraphy 2019)

Cette proposition d’ordre géologique, interdisciplinaire, a eu des conséquences théoriques dans les travaux des scientifiques subséquents et dans la compréhension de l’influence considérable et grandissante de l’humain sur la nature. Dans ce contexte, il faut considérer que selon beaucoup de scientifiques « nous serions entrés dans une nouvelle ère géologique, marquée par l’émergence de l’activité humaine comme élément déterminant de l’évolution du système terrestre » (La Vie des Idées 2008). En proposant d’appeler anthropocène l’ère géologique en cours, le monde scientifique replace le rôle central de l’humanité en géologie et en écologie (Larrère 2011). Selon Larrère (2011), l’anthropocène propose une double naturalisation, celle de la catastrophe et celle de l’humanité : la catastrophe humaine s’inscrit dans la nature et le rappel que l’humain (homo sapiens) est un animal du point de vue biologique.

C’est assez normal chez les spécialistes de sciences de la nature : ils rencontrent les hommes dans leur dimension naturelle. Mais, dès qu’il s’agit de faire appel, politiquement, à la nécessité, pour les hommes, d’intervenir, ils rétablissent le dualisme qu’évacuait leur approche scientifique. Ils restent donc dans la dualité

3 The Subcommission on Quaternary Stratigraphy (SQS) is a constituent body of the International Commission

on Stratigraphy (ICS), the largest scientific organisation within the International Union of Geological Sciences (IUGS). (Subcommission on Quaternary Stratigraphy 2019)

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qui, comme l’a montré Descola, caractérise le « naturalisme » occidental : continuité des extériorités, discontinuité des intériorités.(Larrère 2011 : 71)

L’importance croissante des impacts des actions humaines sur la terre et dans l’atmosphère se ressent dans l’augmentation des études scientifiques à ce propos.

Malgré l’absence de consensus scientifique clair, l’anthropocène est un objet de discussion et son existence imprègne les esprits. « L’émergence de l’activité humaine comme élément déterminant de l’évolution du système terrestre » peut avoir un impact sur la manière dont la science est produite et les choix d’objet d’étude des scientifiques. En effet, si l’homme est considéré comme responsable d’autant de grands changements, alors la recherche scientifique concernant l’impact de l’homme sur la nature peut en être influencée, ainsi que la manière dont l’humain appréhende la nature et sa relation avec celle-ci. Le concept d’Anthropocène mobilise des scientifiques dans des domaines variés, autant en sciences humaines et sociales qu’en biologie ou environnement, principalement dans le cadre de la conservation de l’environnement. Un groupe de douze scientifiques réunissant des spécialistes en environnement, des anthropologues, des écologues, écrit en 2017 un article intitulé « Marine resource management and conservation in the Anthropocene » (Aswani, Shankar, Basurto, Ferse, et al. : 2018) argumentant de l’importance des sciences sociales pour la gestion et la conversation des ressources marines dans le contexte de l’anthropocène. Il s’agit d’une bonne illustration mettant en lumière combien l’anthropocène touche plus que la simple discipline géologique et a dépassé la simple théorie d’ère géologique pour un glissement multidisciplinaire. Le physicien et sociologue Lionel Scotto d’Apollonia démontre d’ailleurs le flou épistémologique qui existe autour de l’Anthropocène et sa reprise au sein des sciences sociales, ainsi que comment le terme est révélateur d’une pluralité, ayant migré plus loin que le simple champ de la géologie :

En effet, la migration du concept dans le champ des SHS (sciences humaines et sociales) s’est opérée sans un complet questionnement de fond et une occultation de la complexité des débats, l’Anthropocène étant considéré comme un objet froid et scientifiquement valide. Or, son flou épistémologique lui confère une forme de plasticité permettant une plus grande labilité dans différents champs. Objet de lutte symbolique interne au champ des SHS, certains acteurs se sont appropriés à la hâte le concept, sans chercher à approfondir le travail de fond sur le plan épistémologique, en (re)politisant le concept parfois de façon

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En quelque sorte l’Anthropocène n’a jamais existé en tant que temporalité géologique, mais il existe une pluralité d’anthropocènes (Lionel Scotto d’Apollonia 2017).

L’anthropocène est donc une ère géologique non officielle, mais aussi un concept flexible qui occasionne des réflexions dans de nombreux domaines scientifiques, autant en sciences de la nature qu’en sciences humaines et sociales. Le flou épistémologique autour du concept et les interprétations qui font suite à une proposition d’aussi grande envergure constituent alors un contexte épistémologique et même politique dans lequel les scientifiques évoluent. Même si ceux-ci ne discutent pas le sujet en particulier, l’anthropocène est un contexte sous-jacent.

1.2 Le parc marin Saguenay St Laurent

1.2.1 Histoire du PMSSL

Le parc doit son existence à la volonté de protection des bélugas (entrevues informelles). D’ailleurs, la première demande formelle pour la création d’un parc marin à l’embouchure du Saguenay a été faite en 1988 au forum international sur l’avenir du béluga (Maltais et Pelletier 2018). Le parc aurait pris naissance, selon une scientifique du parc (entrevue informelle) à Pointe-Noire, lorsque deux biologistes (Leone Pippard et Heather Malcom), assises sur les rochers, observant les bélugas, eurent l’idée d’en faire un protocole de recherche et de protéger l’espèce. Ils effectuèrent ensemble une première étude comportementale de 5 ans sur les bélugas en 1973 (Maltais et Pelletier 2018 : 6).

Aujourd’hui, bien que l’espèce soit un symbole fort, les bateaux de croisière n’ont plus le droit de l’approcher et les observations se font depuis la rive. Les chercheurs ont identifié de nombreuses sources anthropiques qui contribuent à leur mise en danger. L’espèce est maintenant classée espèce en péril. C’est par le béluga que la plupart des chercheurs de Parcs Canada ont fait leurs premiers pas dans le parc, comme observateurs de bélugas. L’espèce n’a pas toujours suscité autant d’engouement, puisque quelques décennies auparavant elle était chassée pour sa viande, son huile ou son cuir, puis considérée comme

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espèce nuisible par les pêcheurs qui pensaient que ceux-ci mangeaient les saumons (Prescott 1991 : 351). Le gouvernement avait autorisé leur chasse à l’aide de bombes (Prescott 1991 : 351). Depuis, la relation entre les hommes et les bélugas a visiblement énormément changé, puisque le béluga est généralement adoré des visiteurs et des scientifiques.

C’est en 1988 que Québec et Ottawa proposent d’établir un plan d’action pour la protection du fleuve Saint-Laurent (PMSSL 2017), qui inclut la création d’un parc, à la suite d’une association de vingt-sept groupes régionaux créant la « Coalition pour le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent » (Sépaq 2017).

Le 6 avril 1990, le gouvernement du Québec et celui du Canada signent une entente afin « de protéger et de conserver pour les générations actuelles et futures l’environnement, la faune et la flore exceptionnels du territoire marin à la confluence de la rivière Saguenay et de la moitié nord de l’estuaire du Saint-Laurent et de les mettre en valeur. » (Gouvernement du Canada et Gouvernement du Québec, 1990 dans Maltais et Pelletier 2018 : 11).

En 1990, une aire marine de 746 km2 (Figure 1) est proposée lors de la consultation publique sur la détermination des limites du parc marin (Sépaq 2017). La consultation publique donne lieu à une majorité pour un agrandissement de sa superficie. Le parc prend son nom actuel au moment de l’élargissement de ses limites en 1992 pour finalement recouvrir 1245 km2, soit deux fois et demie la superficie de l’île de Montréal (Figure 2).

Figure 1Proposition initiale de limites pour le parc marin Saguenay lors de l’entente Canada-Québec (tiré de Gouvernement du Canada et Gouvernement du Québec, 1990, dans Maltais et Pelletier 2018)

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Le plan directeur du parc, écrit en 1995, en plus de présenter la première approche conjointe entre le gouvernement du Québec et du Canada, possède selon le site de la Sépaq « une approche novatrice au regard de la participation du milieu à sa gestion par la création d’un comité de coordination » (Sépaq 2017) : son rôle est de transmettre « des recommandations aux gestionnaires quant aux stratégies favorables à l’atteinte des objectifs de l’aire protégée. » (PMSSL 2019)

Les neuf membres du comité de coordination représentent : Les Municipalités régionales de comté (MRC) qui touchent le parc marin (1 membre par MRC) : Charlevoix-Est, Fjord-du-Saguenay et la Haute-Côte-Nord ; Trois MRC du Bas-Saint-Laurent (1 membre pour 3 MRC) : Rivière-du-Loup, Les Basques et Kamouraska ; La Première Nation des Innus Essipit ; La communauté scientifique ; Les secteurs de l’interprétation et de l’éducation ; Gouvernement du Canada (Parcs Canada) ; Gouvernement du Québec (Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs) (PMSSL 2019)

Figure 2Limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et de l’aire de coordination telles que révisées après consultation publique (tiré de PC-MEF, 1995 dans Maltais et Pelletier 2018)

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Le parc marin du Saguenay Saint Laurent est officiellement créé en 1998 (PMSSL 2017). Alors que le premier parc national canadien a été créé à Banff en 1885 (Ménard 2009 : 119), plus d’un siècle après, la désignation d’une aire marine protégée de ce type n’avait pas été établie au niveau légal au Canada lors de la création du parc du Saguenay. Celle-ci a donc nécessité l’adoption de « deux lois constituantes » (Ménard 2009 : 119), « l’une provinciale et l’autre fédérale » (Ménard 2009 : 119). Cette cogestion à « deux paliers gouvernementaux » (Ménard 2009 : 119), soit le Canada et le Québec, est unique au Canada. D’après Pelletier et Maltais,

cette collaboration fédérale-provinciale s’est édifiée grâce à l’intérêt public envers l’observation et la conservation du béluga (Delphinapterus leucas) du Saint-Laurent, à l’émergence d’une industrie touristique offrant des croisières sur l’estuaire, aux recherches scientifiques sur la population du béluga et de son habitat, de même qu’à la désignation du béluga par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) (autrefois le Comité sur le statut des espèces menacées de disparition au Canada) comme étant une espèce « en voie de disparition » en avril 1983 et un renouvellement de ce statut en avril 1997 (Maltais et Pelletier 2018 : 5).

En 2002 le règlement sur les activités en mer entre en vigueur dans le PMSSL. En 2010, une proposition de zonage comportant des zones de préservation intégrales sur 3 % de la superficie du parc est faite. En 2011, l’Alliance Éco-Baleine est créée :

Alliance éco baleine : Parcs Canada et Parcs Québec collaborent avec le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) et des entreprises d’excursion en mer dans le cadre de l’Alliance Éco-Baleine. L’objectif de cette alliance est d’assurer la pratique responsable de l’observation des baleines dans le parc marin. (PMSSL 2019)

Depuis, le parc marin continue à évoluer en fonction de ses objectifs établis au plan directeur. Son symbole représente des nageoires de baleines ou un troupeau de béluga. Il accueille un million de visiteurs par année et est l’hôte de présence humaine et d’espèces animales et végétales diverses (Figure 3).

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Figure 3 Le PMSSL en bref (infographie provenant de la brochure "source de vie et d'échange" (PMSSL 2019 (2))

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1.2.2 Objectifs du PMSSL

Le parc « vise à favoriser la gestion participative avec le milieu » (Ménard 2009 : 119). Ses objectifs concernent l’éducation du public, la recherche scientifique dans une perspective de protection du vivant et de la biodiversité (PMSSL 2017). Le Parc Marin Saguenay–Saint-Laurent est considéré comme un « milieu exceptionnel » (PMSSL 2017). Le parc marin est le seul parc naturel canadien où la recherche scientifique fait partie intégrante des objectifs du parc.

1.2.3 Géographie du PMSSL

Au niveau du territoire, la question des délimitations du parc Saguenay–Saint-Laurent est claire pour tout ce qui est marin : « Le territoire protégé comprend toute la partie du lit de la rivière Saguenay située en aval du cap à l’Est, ainsi que la demie nord de l’estuaire du Saint-Laurent à partir du gros Cap-à-l’Aigle en amont, jusqu’à la Pointe-Rouge (Les Escoumins) en aval, le tout limité par la ligne des hautes marées sans inondation ni débordement » (Dionne 2001 : 5). Quant à la partie terrestre, le site de la Sépaq fait mention d’une aire de coordination qui désigne la portion terrestre du parc marin du Saguenay-Saint Laurent. Suite à une demande d’information de ma part, j’ai eu la confirmation par courriel d’une employée du parc que l’aire de coordination ne fait pas partie du parc marin, elle est une autre délimitation. Cette zone a été faite pour inclure l’ensemble des municipalités liées au parc marin, afin qu’elles soient présentes dans les décisions, les activités, etc. Cette délimitation n’est pas cogérée par la Sépaq et Parcs Canada. L’aire de coordination « s’étend de part et d’autre du fjord, de Saguenay jusqu’à Tadoussac. Elle comprend également la rive nord du Saint-Laurent, de La Malbaie jusqu’aux Escoumins, ainsi que la rive sud, de Kamouraska à Trois-Pistoles » (Sépaq 2017). Parcs Canada administre trois sites terrestres d’interprétation (voir 1.3), mais le parc est entièrement marin. Dans une aire protégée comme celle du parc marin, la gestion peut s’avérer ardue en raison des différents acteurs présents dans la gestion du parc, contrairement aux parcs dans les milieux terrestres qui sont l’autorité et les propriétaires du territoire (Extrait d’entrevue 1). La coordination est donc un plan

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et la mise en place de leurs projets. La recherche scientifique effectuée par l’équipe de conservation affronte des difficultés, particulièrement dans ses applications pratiques. 1.2.4. Réglementations

Une des premières informations qui m’a été donnée sur le terrain est que cette année-là (2017), la règlementation concernant les bateaux et les mammifères marins dans le PMSSL changeait ; ainsi tous les capitaines de bateaux et guides de kayak ou capitaines de bateaux à voiles devaient suivre une nouvelle formation obligatoire sanctionnée par un nouvel examen afin d’avoir le droit de naviguer dans le parc. Chaque année, ils doivent repasser un examen en ligne pour conserver leur permis. L’année de mon terrain, l’examen était sur place aux bureaux de Parcs Canada. La réglementation a été établie suite aux nouvelles recherches et informations concernant les mammifères marins. Elle est faite pour protéger les mammifères marins. La manière dont les bateaux vont agir sur l’eau est donc modifiée en partie par la recherche scientifique et réglementée par Parcs Canada. Elle concerne en particulier une des activités touristiques les plus importantes du parc marin : les excursions aux baleines. Les plaisanciers ne sont pas concernés par la formation, mais doivent quand même respecter des règles ; ils sont abordés au hasard sur l’eau par les gardes-parcs (patrouille nautique) pour les informer, ou lorsqu’ils sont en infraction. (Voir figure 4 ci-dessous).

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Figure 4 Règlement des activités en mer dans le PMSSL (résumé offert dans le guide des bonnes pratiques de promotion du PMSSL 2019)

Les bateaux de la marine marchande sont, comme les bateaux de recherche et les bateaux d’observation d’activité en mer, un cas particulier et ne sont pas tenus de respecter les mêmes règles.

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1.2.5. Recherche scientifique actuelle en sciences de la nature (cas du PMSSL)

La recherche scientifique dans le PMSSL en sciences de la nature est décrite dans le programme de recherche scientifique disponible sur le site du PMSSL : « Les projets en cours et les besoins sont organisés en quatre thématiques, soit : 1) l’écologie et la biodiversité ; 2) les activités humaines ; 3) la qualité de l’environnement et l’évaluation des risques et 4) la gouvernance et les aspects sociaux, économiques et culturels. » (Parc marin du Saguenay Saint-Laurent 2016)

Ces projets de recherche sont tous une occasion d’aller sur le terrain recueillir des données pour les chercheurs de Parcs Canada et donc de se mettre en relation avec la nature. Afin de mieux comprendre ces relations, il était essentiel d’effectuer, avant le terrain, une revue de littérature sur les recherches en sciences sociales sur la nature pour dégager ce qui a déjà été étudié et intégré sur le sujet.

Figure 5 Actions identifiées au plan directeur en lien avec la recherche scientifique. Source : PMSSL 2017 Programme de recherche scientifique

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1.3 Recherches en sciences sociales sur la nature, depuis le début du 20e siècle : revue de littérature

Les réflexions sur la nature en Occident peuvent remonter plus loin, mais je commencerai ma revue de littérature au 20e siècle, période où le champ académique des

sciences sociales et humaines est bien établi. Les principales idées de la nature en sciences humaines et sociales qui me sont accessibles ont été développées en Europe et aux États-Unis.

1.3.1 Définir la nature en opposition avec l’humain

Le philosophe Whitehead, dans son œuvre « Concept of nature », dès 1920, « définit la nature comme le monde tel qu’il est interprété lorsque l’on se fie aux expériences claires et distinctes fournies par les sens » (Weber 2006 : 396). Weber explique que le point de vue de Whitehead sur la nature est extéroceptif, c’est-à-dire que « la nature n’est pas la cause de l’expérience, mais le champ même de l’expérience extéroceptive » (Weber 2006 : 396). Whitehead dénonce le dualisme scientiste qui sépare les sciences telles qu’elles perçoivent la nature (entre autres la chimie et la physique) en tant qu’objet (nature causale) et le « monde de la vie » qui conçoit la nature en tant que sujet perçu (nature apparentée), par exemple à travers la vision d’un coucher de soleil. Il définit la nature comme ce qui a trait au monde extérieur perceptible par l’homme, qu’il soit de l’ordre du lieu public (externe) ou privé (perception, sentiments suscités, relations internes avec la nature) (Weber 2006 : 404).

Longtemps en anthropologie, la nature était définie en fonction de la culture, et pour un premier temps, l’homme se définissait en s’élevant « au-dessus » de celle-ci. En effet, si l’anthropologie souhaitait se définir et définir son objet d’étude, soit la culture, alors elle tentait de le faire en fonction de ce qui n’est pas de la culture, soit la nature et le naturel. L’ethnologue Lévi-Strauss établit alors dans son essai sur la parenté (1949) ce qui distingue l’homme de l’animal : la prohibition de l’inceste, une règle universelle humaine fondatrice du lien social. C’est cette norme qui selon lui marque la rupture entre la nature et la culture, un passage de l’un à l’autre, c’est « la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle s’accomplit le passage de la Nature à la Culture » (Lévi-Strauss 2002 : 29). La nature est dans ce cas un état dans lequel on peut se trouver, l’état

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environnement n’est pas ce dont se préoccupe Lévi-Strauss à ce moment. L’opposition que pose Lévi-Strauss entre la nature et la culture est cependant un outil, dont il connaît les limites : « la distinction entre état de nature et état de société […] présente une valeur logique qui justifie pleinement son utilisation, par la sociologie moderne, comme un instrument de méthode » (Lévi-Strauss 2002 : 4). Il sait que cette vision n’est pas universelle à toutes les sociétés humaines, mais de manière générale la dichotomie nature-culture est présente dans toute son œuvre. Il faut aussi noter que Lévi-Strauss est un des auteurs déterminants en anthropologie notamment parce qu’il a développé dans le courant structuraliste l’idée de relativisme culturel, ce qui a permis à la discipline de se sortir de son ethnocentrisme et d’accueillir en tant qu’équivalentes (et non inférieures) toutes les sociétés humaines aux pensées non occidentales, en opposition avec un des premiers courants en anthropologie, l’évolutionnisme (19e siècle), issu directement du contexte colonialiste, qui explique les

différences entre humains à l’aide d’une échelle humaine linéaire du développement historique. Dans cette approche, l’homme passerait dans son histoire par différents degrés, de la sauvagerie à la barbarie pour finalement atteindre la civilisation (sur le modèle européen). Le sauvage correspond à un degré de civilisation très bas, plus proche de la nature. Dans les années 1940 en Amérique uniquement, le courant culturaliste (Margaret Mead ou Ruth Benedict en sont des représentantes) a la particularité de mettre la culture comme explication du comportement humain au-dessus de tout et en particulier des processus biologiques et naturels.

En quelque sorte, les premiers courants anthropologiques dits universalistes de la nature, s’ils évoquent la nature, c’est surtout pour s’en séparer et ne pas en faire un objet d’étude. La suite des études sur la nature en anthropologie se construit avec une certaine volonté de déconstruire la dichotomie simple nature/culture.

1.3.2 Étudier les différentes visions de la nature

En 1983, l’historien Thomas Keith publie un livre concernant « la mutation des sensibilités en Angleterre à l’époque moderne » en ce qui concerne la nature. Il étudie la manière dont la perception de la nature a changé au cours du temps en Angleterre, ce qui le

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place dans une perspective non seulement historique, mais aussi anthropologique. Son livre montre comment les savoirs populaires sur la nature, par exemple le vocabulaire poussé des paysans pour décrire leurs moutons ainsi que leur terminologie abondante existant pour décrire la nature sauvage, ont d’abord beaucoup inspiré l’histoire naturelle, mais ont été peu à peu oubliées par et au profit d’« investigations plus poussées des hommes de sciences » (Thomas 1985 : 94) qui découvrirent que « la curiosité rurale avait ses limites » (Thomas 1985 : 94). Les scientifiques établirent par exemple une nomenclature latine pour les plantes. Il y explique aussi que la vision des animaux était généralement négative en Angleterre au début des temps modernes, l’homme anglais définissait sa vertu en opposition avec les animaux, qui n’ont pas d’âme. Les Indiens d’Amérique sont associés et catégorisés comme des animaux, les femmes et les enfants y sont souvent comparés (Thomas 1985 : 53). Ce qui est naturel est considéré comme mauvais, stupide et dépourvu de vertu. Si certains individus étaient perçus comme des bêtes alors il était possible de les traiter comme tel, c’est-à-dire mal (Thomas 1985 : 53). Bref, le monde animal était considéré comme inférieur au monde humain, et de cette façon une ligne était tracée entre nature et culture. Thomas aborde aussi la question des animaux domestiques et de quelques espèces à qui les Anglais avaient attribué des qualités humaines, le « fossé » entre humain et animal est comblé par « l’observation des animaux familiers » (Thomas 1985 : 158) sur lesquels l’homme s’est appuyé « pour revendiquer intelligence et caractère pour les animaux » (Thomas 1985 : 158). La question du droit des animaux commence à se poser à la fin du 19e siècle avec le développement d’une certaine logique judéo-chrétienne (Thomas 1985 : 237) et il apparaît une distinction entre les animaux familiers et les animaux nuisibles (Thomas 1985 : 249). Pour les plantes, une catégorisation entre certaines qui sont valorisées et d’autres qui sont considérées comme nuisibles existe aussi en Angleterre. Elle a évolué au cours du temps et a mené à conserver, cultiver et protéger certaines espèces plus que d’autres. De manière générale, la question de préserver certaines espèces animales et végétales était tout d’abord reliée à l’utilité de celles-ci. Le critère esthétique rentrait aussi en compte pour certains individus, comme les cygnes « conservés pour leur beauté à Abbotsbury […] depuis l’époque médiévale » (Thomas 359). Thomas montre comment au 19e siècle, la vision de la nature a changé. De plus en plus d’individus ont commencé à protester contre les effets de « l’ascendant de l’homme sur la nature » à partir de critères relevant de la « sensibilité morale

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et esthétique » (Thomas 1985 : 390). Il met en lumière des changements concernant l’anthropocentrisme premier de l’Angleterre qui a fait place à des points de vue beaucoup plus nuancés (Thomas 1985 : 391). Il conclut en expliquant que le début de l’âge moderne a vu la naissance de points de vue contradictoires où « les sensibilités nouvelles et les bases de la société matérielle de la société humaine se sont de plus en plus opposées » (Thomas 1985 : 393). Son livre est un très grand apport pour le champ de l’anthropologie de la nature, terme qui naîtra pourtant seulement 16 ans plus tard.

Augustin Berque, géographe et philosophe, consacre tout un ouvrage en 1986 à la relation des Japonais avec la nature (Berque 1986). Il y décrit grâce à une étude de la littérature japonaise comment la codification des phénomènes naturels est devenue de plus en plus formelle. Il s’attarde également sur la volonté prononcée des Japonais à vouloir domestiquer le paysage, le reproduire ailleurs et le déplacer dans des jardins, par exemple. Il souligne la vision très « muséologique » de la nature (Berque 1986). Il tente dans son ouvrage de s’éloigner de la dichotomie de la nature - culture, avec une approche par pôles, interreliés, interinfluençables et interposables aux relations à la fois « métaphoriques et causales » (Berque 1986 in Bernier 1987). Son ouvrage tente d’expliquer la culture japonaise de manière plus générale, au travers de l’étude de la relation qu’elle a avec la nature. On retrouve là un projet ambitieux proche de celui des monographies.

1.3.3. Dépasser l’approche dualiste de la nature

Environ deux ans plus tard, Anne Cadoret publie un ouvrage français de sciences sociales regroupant plusieurs textes concernant la nature, nommé « “chasser le naturel…” ». Le but de l’ouvrage est de faire discuter la nature et la culture, et de donner une voix sur la nature aux sciences sociales face « aux naturalistes purs et durs » (Cadoret 1988 : 9) qui pensent la nature la plupart du temps sans l’homme. On constatera que « L’Homme (ou la nature) est plus facilement pensé face, au-dessus, à côté, contre, que avec la nature (ou l’Homme) » (Guille-Escuret in Cadoret 1988 : 13). L’ouvrage permet de critiquer le rapport à la nature que l’homme entretient : il critique les visions de la nature en France, la création d’espaces naturels afin de protéger cette nature de l’homme, alors que finalement ces

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spécialistes de l’environnement ne font que se « recréer » en cherchant à retrouver une « nature d’avant l’homme, d’avant l’appropriation humaine » (Cadoret 1988 : 11). Le livre met en lumière les contradictions de l’homme en ce qui concerne son approche de la nature et de sa protection. Il s’attache aussi à souligner l’importance et l’influence des termes « dans lesquels sont posées les relations homme-nature, les explications qui en sont données […] et les conséquences qu’ils entraînent (ou qu’ils supposent) » (Cadoret 1988 : 13). Anne Cadoret critique les grands schémas explicatifs des anthropologues américanistes concernant la « détermination de la culture par le milieu (naturel, bien sûr) » (Cadoret 1988 : 13) qui voient « la relation homme-nature […] en termes de dépendance » (Cadoret 1988 : 13).

En 1991, le sociologue et anthropologue Bruno Latour critique dans son ouvrage Nous n’avons jamais été modernes (Latour 1997) la séparation qui s’est faite en Occident entre nature et culture, voire entre nature et société, avec d’un côté la science qui s’occupe de la « nature » et de l’autre la politique qui s’occupe de la « culture » et du social. Il reconsidère l’opposition nette entre technique et nature, montrant que le discours actuel les séparant ne rend pas compte de son objet, maintenant hybride (Latour 1997).

On voit que l’idée d’étudier la nature et les rapports de l’humain à la nature était présente en sciences sociales, mais que l’anthropologie culturelle et sociale a mis un certain temps à en faire un sujet d’étude, préférant considérer la nature comme une base objective, distincte de la culture, qui, elle, serait subjective. L’anthropologie laissait le sujet aux anthropologues judiciaires, et aux sciences de la nature. Une branche des sciences sociales, les "social studies of sciences" aborde toutefois le sujet de l'étude de la nature depuis les années 70, bien qu'avec une approche particulière, que je décris au point 1.4.. Avec l’ouvrage de Cadoret et les auteurs qu’elle a rassemblés sur le sujet, comme Bruno Latour et Catherine Larrère, l’étude de la nature et de ses visions commence à prendre un nouveau tournant, qui se reflète bien dans le titre de l’ouvrage « La nature n’est plus ce qu’elle était ». Effectivement, la question de la nature est abordée de manière plus subjective, non plus en dehors de l’humanité, mais comprise avec la société. Ces changements dans l’approche de « la nature » en tant que sujet sont tout d’abord concomitants avec un retournement de la discipline qui laisse de côté les grandes théories explicatives et longues monographies totalisantes pour s’intéresser au plus particulier. Peu à peu, cette critique du dualisme

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nature-culture s’inscrit dans ce que certains anthropologues nomment le « tournant ontologique » de la discipline. « Par un changement de paradigme, voire une révolution silencieuse, l’anthropologie abandonne ses dualismes fondateurs. La dichotomie entre “nature” et “culture” est ébranlée par l’étude de cosmologies qui postulent l’existence d’une pluralité des “natures” et le partage d’une même “culture” avec d’autres formes de vie, choses ou artefacts » (Site Calenda 2013). Si ces préoccupations sur le changement d’avenue de la discipline sont d’actualité aujourd’hui, j’aimerais revenir quelques années plus tôt avec un auteur essentiel en anthropologie de la nature, essentiel dans le placement de l’anthropologie de la nature en tant que sous-champ de l’anthropologie culturelle et sociale, à savoir Philippe Descola. Il constate que « L’anthropologie […] n’a cessé de se confronter au problème des rapports de continuité et de discontinuité entre la nature et la culture, un problème dont on a souvent dit qu’il constituait le terrain d’élection de cette forme originale de connaissance » (Descola 2002 : 14).

Le champ d’étude qu’il souhaite élargir et ouvrir, l’anthropologie de la nature, pourrait paraître un oxymore puisque « depuis plusieurs siècles en Occident, la nature se caractérise par l’absence de l’homme, et l’homme par ce qu’il a su surmonter de naturel en lui » (Descola 2002 : 14). C’est justement cette distinction qu’il constate comme typiquement occidentale et qui donc ne peut pas être le point de départ de l’étude de la nature en anthropologie.

La nature n’existe pas comme une sphère de réalités autonomes pour tous les peuples, et ce doit être la tâche de l’anthropologie que de comprendre pourquoi et comment tant de gens rangent dans l’humanité bien des êtres que nous appelons naturels, mais aussi pourquoi et comment il nous a paru nécessaire à nous d’exclure ces entités de notre destinée commune (Descola 2002 : 14).

L’apport principal de Descola est son modèle général qu’il propose en lieu et place de la dichotomie nature/culture qu’il critique. Celui-ci est constitué de quatre catégories d’ontologies différentes, soit le totémisme, l’animisme, l’analogisme et le naturalisme. Selon lui, l’identification d’autrui (définie comme toute chose extérieure à la personne qui identifie) est un principe universel réalisé selon deux critères, universels eux aussi, l’intériorité et la matérialité. L’humain identifie ces deux critères soit comme différents, soit comme similaires aux siens. Il n’y a que peu de combinaisons possibles pour ces critères d’identification :

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éléments matérialité et intériorité analogues aux miennes, intériorité et matérialité distinctes des miennes, intériorité similaire et matérialité différentes des miennes, intériorités différentes et matérialités analogues aux miennes. Ces combinaisons sont donc les bases de la définition des quatre types d’ontologie et de tout son cadre d’analyse pour les relations humains/non-humains. Il affirme de ce fait que son nouveau modèle qui se base sur ces critères est universel, contrairement à la dichotomie nature-culture (Descola 2001 : 94 -95). Ainsi l’animisme, c’est estimer la ressemblance des intériorités et la différence des matérialités. C’est penser qu’autrui (les plantes, les animaux [les non-humains]), même s’il a des caractéristiques physiques différentes, ces dernières ne sont que des « apparences » des sortes de « vêtements » qui révèlent une intériorité de même nature que celle des hommes. Les non-humains et humains ont ainsi une « essence interne commune […], propre à l’humanité comme condition et non à l’homme en tant qu’espèce » (Descola 2001 : 97). Ils vivent donc une « existence sociale identique à celle des hommes » (Descola 2001 : 97). Dans le totémisme (au niveau ontologique), on considère la ressemblance des intériorités et des matérialités. Autrui ne nous entend pas, est différent, mais il partage avec son groupe totémique des « propriétés physiologiques, physiques et psychologiques en vertu d’une origine commune et localisée dans l’espace » (Descola 2001 : 97). Le troisième mode d’identification, l’analogisme, est celui qui repose sur l’idée d’une intériorité et d’une physicalité différentes, il est basé sur une « discontinuité graduelle des essences » (Descola 2001 : 99) où les non-humains et les humains appartiennent à la même collectivité, le monde, dont l’organisation interne et les propriétés dérivent des analogies perceptibles entre les existants » (Descola 2001 : 99) ce que Descola qualifie en langage anthropologique de « cosmocentrisme ». La vision occidentale tient pour acquis que « les humains sont seuls à posséder le privilège de l’intériorité tout en se rattachant au continuum des non-humains par leurs caractéristiques matérielles, et c’est le naturalisme » (Descola 2006 : 168-169), il s’agit d’anthropocentrisme. Cela implique que la nature existe, et que ce qui distingue les humaines et non humains c’est bien l’âme et la conscience, et non le physique (Descola 2001 : 100). Ces quatre schèmes sont d’après Descola coprésents dans toutes les cultures, mais dans chacune de celles-ci, un schème domine les autres.

Ainsi, Descola propose un modèle qui permet de considérer les rapports à la nature… sans parler de la nature, puisque distinguer cette dernière est propre au naturalisme

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occidental. Si son modèle est critiquable, il est tout de même un apport très important à l’étude de la nature en anthropologie qui a influencé tout le champ. Descola a produit une multitude d’autres textes abordant la nature ce qui a mené à la création d’une chaire au Collège de France en 2001, donnant à l’étude de la nature en sciences sociales ses lettres de noblesse. Il est sans doute ici temps d’aborder la distinction entre anthropologie de l’environnement et anthropologie de la nature. Si Descola propose un modèle structurant, certains auteurs proposent le terme d’environnement pour éviter le dualisme entre nature et culture.

La notion d’environnement ne doit en aucun cas être confondue avec le concept de nature. Car le monde ne peut exister comme nature que pour un être qui n’en fait pas partie, et qui peut porter sur lui un regard extérieur, semblable à celui du détachement objectif de la science […]. La distinction entre l’environnement et la nature correspond à une différence de perspective : nous considérons-nous comme des êtres à l’intérieur d’un monde ou comme des êtres à l’extérieur de celui-ci ? (Ingold 2012 : 180).

Descola critique l’utilisation de la notion d’environnement en ce que la notion est selon lui encore plus anthropocentrée que la notion de nature « le choix même du terme “environnement”, de préférence à “nature”, indique déjà un glissement de perspective; dans son sens le plus courant, la nature était anthropocentrique de façon presque clandestine en ce dont elle recouvrait par prétérition un domaine ontologique défini par son défaut d’humanité sans hasard ni artifice, tandis que l’anthropocentrisme de l’environnement est clairement affiché : c’est le monde sublunaire d’Aristote en tant qu’il est habité par l’homme. » (Descola 2001 : 89). Certains autres anthropologues utilisent la notion de « surroundings » pour qualifier la nature. Ils veulent, grâce à ce terme, intégrer la notion que la nature est une construction sociale et le fait qu’elle existe en des termes physiques et matériels (West, Igoe, Brockington 2006 : 252). « The term surroundings takes for granted that the world is made materially and symbolically through human action, a proposition anthropologists and other social scientists have accepted since Escobar (1995) » (West, Igoe, Brockington 2006 : 252). Ingold, encore une fois, critique la position de Descola : il explique que celui-ci, en décrivant les ontologies, se place lui-même comme juge externe de toute ontologie. Selon lui, l’idée que l’on puisse décrire le monde sans le changer est propre à l’ontologie naturaliste moderne (De Meyer 2015).

Figure

Figure 1Proposition initiale de limites pour le parc marin Saguenay lors de l’entente Canada-Québec (tiré de  Gouvernement du Canada et Gouvernement du Québec, 1990, dans Maltais et Pelletier 2018)
Figure 2Limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et de l’aire de coordination telles que révisées après  consultation publique (tiré de PC-MEF, 1995 dans Maltais et Pelletier 2018)
Figure 3 Le PMSSL en bref (infographie provenant de la brochure "source de vie et d'échange" (PMSSL 2019  (2))
Figure 4 Règlement des activités en mer dans le PMSSL (résumé offert dans le guide des bonnes pratiques de promotion du  PMSSL 2019)
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