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Questions morales et rapports de l'homme à la nature à partir de la morale stoïcienne : réflexion philosophique sur l'environnement

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Academic year: 2021

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Université de Poitiers

UFR SCIENCES HUMAINES ET ARTS : MENTION PHILOSOPHIE N° attribué par la bibliothèque Année : /_/_/_/_/_/_/_/_/_/_/_/_/

THESE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE POITIERS Discipline : philosophie de la nature et de l’environnement

présentée et soutenue publiquement par Blanchard MAKANGA

le 08 octobre 2008 Titre :

QUESTIONS MORALES ET RAPPORTS DE L’HOMME A LA NATURE

A PARTIR DE LA MORALE STOÏCIENNE : REFLEXION

PHILOSOPHIQUE SUR L'ENVIRONNEMENT

_________ Directeur de thèse : M. Jean-Louis VIEILLARD-BARON, Professeur à Poitiers __________ Jury :

M. Thierry GONTIER Professeur à Lyon 3 M. Bruno PINCHARD Professeur à Lyon 3 M. Christophe BOUTON Professeur à Bordeaux 3 M. Philippe SOUAL Professeur à Limoge/ Poitiers

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REMERCIEMENTS

Loin d’être le résultat de mes seuls efforts, cette Thèse est l’aboutissement des efforts

conjugués de plusieurs personnes, qui se sont impliquées de près ou de loin, à la réalisation de ce

travail.

Mes sincères remerciements vont donc particulièrement à Monsieur Jean-Louis

VIEILLARD-BARON, Professeur de philosophie à l’Université de Poitiers, qui a accepté de

diriger cette Thèse avec patience, rigueur et pédagogie. Comme toute œuvre humaine, ce travail

comporte des manquements qui relèvent de ma seule responsabilité.

Mes remerciements vont également aux membres du jury qui ont accepté de prendre part

à cette soutenance malgré leur emploi du temps déjà chargé. Les observations qu’ils porteront à

ce travail me seront donc d’un très grand intérêt pour la suite de mes travaux.

Je n’oublierai pas Monsieur Octave Nicoué BROOHM et Monsieur Mawulé Kuamvi

KUAKUVI, tous Professeurs au département de philosophie à l’Université du Bénin au Togo,

pour les précieux conseils prodigués pendant ma formation universitaire dans ce pays. Je

remercie Placide ONDO qui a lu ce travail, et avec qui j’ai eu des échanges constructifs. Je

remercie aussi Aymar IBONDZI-PANDZOU pour la traduction du résumé.

Une attention toute particulière est portée à mon fils Marvin Ethys MAKANGA pour

l’immense bonheur qu’il apporte à ma vie. Un sincère sentiment d’affection va à ma compagne

Carine SOHOUDJI-EDO qui a su s’investir dans mes tâches, sans distinction particulière avec

les siennes. Je ne saurais oublier ses multiples réconforts et encouragements lors des moments de

lassitude et de relâchements momentanés, dus aux difficultés diverses.

Je n’oublie pas mes amis et tous ceux qui ne sont pas nommés ici. Qu’ils sachent que nul

n’est besoin de le faire pour reconnaître leurs multiples qualités.

Enfin, Je remercie naturellement ma famille et plus particulièrement mes frères, mes

sœurs, mes neveux et nièces pour leur soutien, leur apport et leur contribution dans les tâches

qui sont les miennes.

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DEDICACES

A la mémoire de ma très chère mère, à celle de mes grands-parents et à celle de mes

oncles disparus.

C’est la plus grande occasion qui m’est offerte pour saluer leur mémoire. Ces personnes

qui me sont très chères ont été pour moi, des magnifiques modèles d’indulgence, de

générosité et de persévérance. Qu’ils trouvent dans ce travail qu’ils n’ont pas pu

découvrir, toute ma Reconnaissance et tout mon amour.

Je dédie particulièrement ce travail à mon oncle Alexandre MOMBO, qui a

positivement influencé le cours de mes études par son apport moral, matériel et financier.

Ses encouragements répétés ont vivement contribué à l’aboutissement de cette Thèse. Il a

toujours su répondre à mes appels durant les moments les plus difficiles de ma vie scolaire

et universitaire, ou tout simplement de ma modeste vie. C’est un magnifique modèle de

générosité et de persévérance dans l’effort. J’espère qu’il trouvera en moi un être qui a su

écouter et profiter de son apport précieux. C’est vraiment un exemple vivant d’hommes

exceptionnels.

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ... 2

DEDICACES ... 3

Introduction générale...6

PREMIERE PARTIE : La Morale stoïcienne et son rapport à la nature...20

Introduction à la première partie ... 21

Chapitre I : Les Anciens et la nature...23

1-1 Qu’est-ce que la nature ?... 24

1-2 Qu’entendons-nous par nature ? ... 30

1-3 La nature et les Grecs... 37

1-4 Naissance et compréhension de l’esprit scientifique grec ... 42

1-5 Les Stoïciens et la nature ... 51

Chapitre II : La morale stoïcienne et son fondement à la nature ...62

2-1 La nature et les tendances originelles de l’homme ... 63

2-2 L’homme et son inclination naturelle à la vie morale... 70

2-3 La nature comme instance rationnelle, intelligible, divine et vivante ... 76

2-4 La nature est un Tout-vivant ... 81

2-5 Histoire humaine, histoire naturelle... 87

Chapitre III : Les Stoïciens et l’éthique d’un contrat ratio-naturel...93

3-1 La nature et les conduites humaines ... 94

3-2 La nature et l’humanité ... 102

3-3 La nature et la vocation de l’homme... 108

3-4 Nature et responsabilité morale de l’homme : mesure, prudence et sagesse ... 115

3-5 La nécessité de la raison pour la beauté morale... 121

Conclusion de la première partie... 127

DEUXIEME PARTIE : Nature et rationalité ...129

Introduction à la deuxième partie... 130

Chapitre IV : La corrélation entre la nature et la raison ...134

4-1 L’identité de la nature et de la raison... 135

4-2 La nature est logique et raison ... 144

4-3 Penser la nature selon la raison... 153

4-4 La liberté et la raison : pour une nature sensée... 161

4-5 La liberté et la responsabilité, pour une conduite raisonnable... 168

Chapitre V : La philosophie et la nature...176

5-1 La philosophie de la nature et sciences... 177

5-2 La philosophie comme source de compréhension de la nature... 188

5-3 Montaigne, son humanisme et son attachement à la nature... 196

5-4 L’idée rousseauiste de la nature... 204

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Chapitre VI : La raison, la morale et la conscience : Pour une éthique de la

nature...219

6-1 La raison, faculté primordiale pour une nature humanisée... 220

6-2 La morale, arme pour un respect de la nature : des Anciens à nos jours ... 227

6-3 La conscience et la conscience morale : éléments essentiels à la compréhension de la nature ... 235

6-4 L’éthique, la morale, la conscience et la raison : quatre notions complémentaires pour une nature vivante. ... 241

A/ La morale et la conscience...246

B/ La conscience et la raison...247

6-5 Insuffisances de la morale, de l’éthique et de la raison dans la résolution des problèmes liés à la nature. ... 249

A/Critiques de la morale et de l’éthique...249

B/ Critiques et limites de la raison...252

Conclusion de la deuxième partie ... 259

TROISIEME PARTIE : La Modernité et la question de l’environnement 261

Introduction à la troisième partie ... 262

Chapitre VII : Les technosciences et la société...265

7-1 Qu’est-ce que les technosciences ? ... 266

7-2 L’objet et les objectifs des technosciences ... 275

7-3 Les apports et les bienfaits des technosciences... 281

7-4 Les problèmes et les risques inhérents aux technosciences ... 286

7-5 Les technosciences et leurs limites ... 293

Chapitre VIII : La rationalité technique et le mythe du progrès ...299

8-1 Les technosciences et l’alibi du progrès ... 300

8-2 Les excès du progrès technoscientifique et le risque de destruction du lien social ... 307

8-3 La raison et les illusions du progrès... 312

8-4 La coopération nécessaire entre les technosciences et la raison ... 319

8-5 La primauté de l’acte rationnel sur le progrès technoscientifique ... 324

Chapitre IX : Le Politique et la question de l’environnement ...330

9-1 La modernité et la nature ... 332

9-2 Démocratie, citoyenneté et questions environnementales ... 338

9-3 L’homme et la protection de la nature : droit ou devoir ? ... 345

9-4 Philosophie, environnement et progrès de la pensée ... 351

9-5 Les insuffisances du politique face au progrès ... 358

Conclusion de la troisième partie... 365

Conclusion générale ...367

Références bibliographiques ...376

Bibliographie générale ...376

Bibliographie sur l’Antiquité...389

Ouvrages Collectifs...391

Textes, Revues et articles ...393

Dictionnaires ...393

Sites en ligne...394

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Introduction générale

La relation multimillénaire entre l’homme et la nature est une réalité historique que nul ne peut méconnaître ou nier. Elle a un caractère universel, parce qu’elle s’impose à tout être vivant, qui est naturellement lié à cette réalité complexe et énigmatique qu’est la nature.

Toutes les pratiques humaines telles que les rites, le travail, les constructions et ce qui s’y rattache, s’y réfèrent et en sont tributaires. Or, au fil du temps, cette relation entre l’homme et la nature s’est progressivement modifiée de façon flagrante. Le rapport à la nature a changé progressivement jusqu’à la modernité, suscitant depuis les débuts de celle-ci des crises profondes, à tel point que l’action humaine nous semble parfois avoir définitivement créé un abîme entre ce qui relève des compétences de l’homme et les lois qui fondent la nature.

L’idée d’une nature en tant que totalité cohérente, dont une organisation rationnelle relèverait, a été ainsi mise à mal par l’homme. Désormais la nature tend à se présenter à lui comme un pur ensemble de propriétés techniquement exploitables, si bien qu’elle ne serait plus pour l’homme qu’un moyen sûr d’assouvir ses intérêts propres.

En ce moment, il est difficile de déterminer avec certitude l’idée que l’homme se fait de la nature car, dans leurs rapports, les paradoxes et les surprises agréables ne cessent de se succéder. Certains considèrent la nature comme un objet assujetti à l’action et aux entreprises humaines, ou comme un prétexte des idéologies, tandis que d’autres la valorisent en la couvrant des soins et de toutes les précautions nécessaires à sa sauvegarde. De manière contrastée, elle continuerait cependant à faire office de mère, de divinité, ou de matrice de la Raison, et à être considérée comme une providence dont dépendrait le destin humain.

A travers les débats et les réflexions qu’elle suscite quant aux modalités de sa protection, elle interpelle diverses instances au point d’occuper une place importante au sein des systèmes juridictionnels. De nombreuses initiatives sont prises, lesquelles se concrétisent par des colloques, des conférences, des forums, des symposiums. Malgré tout, l’attitude humaine face à la nature semble paradoxale, car d’un côté l’homme y voit le socle de son patrimoine biogénétique, qui doit nécessairement être pérennisé sous la forme d’un legs aux générations futures. Mais d’un autre côté, l’homme dévalorise la nature en la considérant comme un simple objet d’investigation scientifique.

De fait, en s’affirmant comme exécutrice testamentaire, l’espèce humaine s’octroie le droit de prendre la mesure de tout ce qui relève du concept et de la réalité du phénomène naturel. Face aux diverses initiatives humaines dont elle est l’objet, la nature semble rester accessible,

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docile, maniable et apparemment muette. L’homme prend donc la résolution d’agir à sa place, en optant pour des décisions qu’il juge bonnes ou mauvaises selon ses propres intérêts. L’idée majeure de l’homme « post moderne » serait donc, d’une part d’exploiter la nature, d’autre part de l’explorer afin de mieux la comprendre pour ensuite en assurer la protection. Ainsi, au nom de sa cohérence, aide-t-on la nature à se maintenir par des pratiques hasardeuses, sous prétexte d’un progrès nécessaire, aussi bien au maintien de son équilibre qu’à la qualité de vie des espèces qu’elle contient ?

A partir de son rôle d’homo faber, l’être humain s’est obstiné à produire davantage de biens et s’est affirmé comme homo œconomicus. Grâce aux outils et techniques avec lesquels il accroît sa puissance, il a cherché à s’imposer encore plus comme maître et possesseur de la nature. En raison des abus aux conséquences parfois inquiétantes qui naissent des pratiques humaines, s’élèvent désormais des controverses, lesquelles ne parviennent pas encore à occuper positivement un espace de réflexion favorable à la prise en compte des valeurs morales. Les débats accouchent souvent d’une souris, en effet, parce qu’en l’homme moderne l’homo politicus prédomine, alors qu’un débat philosophique axé sur les vertus du logos recommanderait plus de retenue et de mesure face à l’inconnu.

Agir sur la nature en son nom et pour son bien est sans doute une initiative pleine de générosité de la part de l’homme, mais un doute subsiste généralement quant à la véracité du caractère généreux de ses intentions. Sans cesser d’en tirer profit au mépris des souffrances qu’il pourrait lui infliger, l’homme tend à exercer sa puissance sans partage et à substituer systématiquement son rôle à celui de la nature.

En prétendant agir à son bénéfice il ne pense au fait qu’à lui-même. La puissance de la nature que les Anciens divinisaient et que le XVIIIème siècle philosophique nommait fièrement

cosmos, aurait ainsi totalement perdu la place qui était la sienne au profit d’une espèce – l’espèce

humaine – que la nature aurait elle-même choisi parmi l’ensemble des espèces qui forment son Tout comme nécessaire à sa sauvegarde. Il s’établit alors une relation paradoxale entre la puissance de la nature, en tant que support nécessaire à la naissance et au maintien de la vie (y compris celle de l’homme), et celle de l’homme en tant que force capable de penser et d’agir à la place de la nature.

Souvent évoqué par divers esprits critiques, ce paradoxe de la puissance humaine face à la nature a fait date. La philosophie de la première moitié du XIXème siècle l’a illustré à travers Schelling et Schopenhauer. Mais c’est l’Ethique1 de Spinoza, dont le siècle des Lumières s’est

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fait largement l’écho, qui a le plus ébloui les esprits. Comme les Anciens, Spinoza accorde une place primordiale à la nature. Dans l’Ethique, il ne fait aucune distinction entre Nature et Dieu, d’où sa célèbre formule : Deus, sive Natura. La Nature, c’est la création, c’est Dieu ou la puissance créatrice, non en tant que divinité, mais comme puissance et déploiement de ce qui fait les êtres, c’est-à-dire la natura naturans2, d’où provient le nom des êtres qualifiés de nature

naturata3.

La réponse à la question de la puissance à accorder à la nature et à l’homme ne souffre d’aucune ambiguïté chez Spinoza, puisqu’il fait une distinction claire entre les deux. Pour lui, la Nature est en fait le nom de Dieu, même si celle-ci ne doit pas être personnalisée au sens anthropomorphique du terme. Spinoza accorde donc la toute puissance à la Nature ; il reconnaît la puissance de l’homme, mais pas à la même enseigne.

Selon lui, l’homme exerce certes sa puissance sur la nature, mais c’est d’elle qu’il la tient, car elle maintient sa vie en le déterminant comme être fini. A ce sujet, Spinoza juge plutôt que l’homme a tendance à se considérer comme puissance suprême et à s’accorder des pouvoirs qui lui échappent, alors que la véritable puissance est la Nature, d’abord en tant que degré fini de la nature naturée, puis comme mode de la puissance infinie. De manière ferme, Spinoza soutient que la puissance et l’être sont des unités, mais il pose Dieu comme Nature, en opposition aux êtres finis qu’il appelle simplement des modes4.

Pour Spinoza, les modes ont un caractère fini. Ils ont pour fonction de déterminer la singularité des êtres. De ce fait, ils ne doivent pas être assimilés à la Nature. Loin d’incarner la représentation de toute la réalité, le devenir n’est que le jeu de l’unité et de la pluralité, par le fait que ce qui devient ne devient pas être, mais l’est déjà en réalité. Telle est la caractéristique fondamentale de toute la tradition philosophique de la nature spinoziste, bien que la réflexion du philosophe sur les fins de l’histoire humaine reste parfois problématique.

Le rapport de l’homme à la nature occupe également une place importante dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau. Celui-ci distingue l’homme dans son état naturel et l’homme en tant

2 La Natura naturans, ou nature naturante, est la substance elle-même en tant qu’elle produit activement et

soi-même les choses singulières. Elle est donc sa propre cause, c’est-à-dire qu’elle se suffit à elle-soi-même. C’est une nature agissante en tant qu’elle doit être considérée comme participe présent actif. Dans ce sens, elle est comparable à Dieu en tant que cause immanente, puisqu’il est aussi la substance en tant que cause de soi, au sens où il est dynamique et symbolise le principe d’intelligibilité.

3 La Natura naturata, ou nature naturée, est aussi une substance, mais considérée cette fois sous l’aspect de ses

produits, c’est-à-dire celui des choses singulières saisies comme telles et non dans leur rapports à leur cause immanente et totalisatrice. C’est les modes et en même temps les idées ; c’est une nature limitée, par exemple les hommes (Participe passé actif).

4 Comme les attributs, les modes sont des instruments conceptuels (quasiment axiomatiques) destinés à rendre

intelligible le rapport des choses singulières à la totalité substantielle dont elles sont des aspects élémentaires, mais qui ne sont pas d’une autre essence qu’elle. Précisons toutefois que les attributs sont simplement les différents aspects ou genres selon lesquels la substance se donne à l’intelligence humaine.

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que sujet agissant au sein de la société. Sur cette question, il prend le contre-pied de Hobbes, qui condamne la condition déplorable de l’homme à l’état naturel. Rousseau pose au contraire que la société est entièrement responsable de l’agir humain. Il reste attaché à l’idée que la société façonne l’homme en lui offrant une éducation fondée sur la puissance qui se déploie en lui.

Au même titre qu’elle traite de la liberté de l’homme dans tous ses états, la philosophie classique traite également la question de la puissance humaine et de ses paradoxes. Très présent dans la philosophie classique, le paradoxe de la puissance humaine et du pouvoir de l’homme sur la nature traduit donc l’importance que la réflexion philosophique accordait déjà à cette question.

Prenant part à ce débat, Kant reconnut la puissance caractéristique de l’espèce humaine et le rôle qui était le sien dans un espace cosmologique aussi grand que fini. Il nomme « Providence » la puissance qui préside au devenir des hommes dans l’histoire, au sens où la puissance divine a doté la nature humaine d’un double avantage. D’abord, elle met l’homme en valeur, mais aussi, elle fait émerger les caractéristiques conditionnant le sens et la direction que l’être humain en tant qu’espèce pourrait donner à sa vie.

Cependant, des caractéristiques jugées négatives par le philosophe conditionnent aussi un autre aspect de l’homme et de la réflexion qu’il est susceptible de mener à propos du monde et de son propre devenir. Kant décèle en l’homme une attitude ambivalente face au destin qu’il se forge dans sa réalisation en tant qu’espèce vivante. Pour lui, l’anthropocentrisme qui place l’omnipotence de l’homme au premier rang de tout, trouve évidemment ses limites dans les prédispositions naturelles et providentielles d’accomplissement de son destin en tant qu’espèce vivante et rationnelle.

De son côté, Schopenhauer a pensé la nature et la puissance qui la caractérise comme

volonté et comme représentation, estimant que l’essence de la nature est volonté, puisqu’avec

l’être humain, elle fait partie du monde considéré comme totalité. Là aussi, l’homme occupe une place importante au sein du cosmos, mais il n’est en réalité qu’une partie du Tout. En fait, Schopenhauer pense que c’est par les objets immédiats dont le corps fait partie que l’homme prend conscience de son être, ainsi que de tous les phénomènes et de leur appartenance commune à la volonté. La nature est préexistante à l’homme, et les sciences de la nature en tirent tout leur profit au point d’en être héritières.

Les sciences pensent avoir inventé la nature, alors qu’elles sont en réalité les simples bénéficiaires du dynamisme qui en découle. Schopenhauer concevait la nature comme un organisme vivant, et non comme une inertie. Une telle vision ne rejoint que très partiellement celle de Descartes, selon laquelle la nature serait un mécanisme aveugle soumis à la volonté humaine, au sens où l’homme se proposerait de rendre sensible le décret divin, conçu comme

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une forme d’artisanat portée à la perfection. Le paradoxe de la puissance de la nature n’a donc cessé d’attiser des controverses qui alimentent encore les débats contemporains, qu’ils soient alarmistes ou porteurs d’espoir.

Les Anciens avaient fait de la nature un lieu mythique et divin, mais avaient posé les bases de sa compréhension. Les modernes en ont rediscuté sans pourtant s’émanciper de l’idée d’une nature totalisante et qu’ils pensent finie. C’est dans cette logique que le XXème siècle a essayé de briller par des prophéties parfois hasardeuses, lesquelles n’ont pas forcément éclairé ni rassuré par leur caractère prospectif, en fait peu convaincant. Apportant la promesse d’un renouvellement idéel par une compréhension plus prophétique que rationnelle de la nature, Nietzsche pose la nature comme volonté et comme art. Il signe pour ainsi dire l’acte de décès d’une opposition entre l’artificiel et le naturel.

Avec Nietzsche, l’art prend une dimension de première importance et devient l’un des termes d’une opposition. Il n’est ni connaissance ni représentation, mais plutôt une position, une ordonnance, une hiérarchie et surtout une méthode. Cet état de fait concerne évidemment la nature, mais l’homme est tout aussi capable de méthode, d’invention et de hiérarchisation des valeurs. Par conséquent, Nietzsche substitue finalement l’homme à la nature en le définissant comme artiste, capable d’offrir par la praxis un devenir plus intelligible que la réalité naturelle, dont les processus étaient chaotiques et dépourvus de méthode.

Le génie créateur de l’homme le met ainsi à la place de Dieu, dont Nietzsche annonce la mort en une sentence irréversible. "Tuant Dieu"5, le philosophe redistribue les rôles et place l’homme au sommet de la hiérarchie pyramidale caractéristique des êtres vivants. Il inaugure ainsi une conception nouvelle de la nature, en récusant définitivement l’idée d’une attitude « paresseuse » qui consistait à placer une « puissance inconnue » (Dieu) au centre de tout, alors que l’homme doit se donner un destin par la force de ses idées. En invitant donc l’être humain à prendre en main son destin, Nietzsche tourne le dos à la construction historique qu’il qualifiera de « racaille du sens de l’histoire ». On peut en conclure qu’il se refuse à glisser de nouveau vers une conception anthropomorphique de la nature qui la constituerait comme puissance créatrice. Mais cette conception de la nature n’a pas trouvé une adhésion unanime.

Au XXème siècle, l’idée d’une nature cohérente ordonnée, unie et unique, tend parfois à reprendre le dessus. Elle pose l’espèce humaine comme espèce vivante ayant un rôle fondamental envers les autres espèces, mais dotée cependant d’un rôle limité au sein de la nature.

5 Signalons que l’expression "tuant Dieu" ne doit pas être prise au premier degré. "La mort de Dieu" évoquée dans le

texte ne doit en aucun cas réduire Nietzsche, penseur du surhomme, à la pensée d’un meurtrier de Dieu. Il est ici question de mettre l’homme au centre des problèmes du monde.

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En d’autres termes, l’espèce humaine ne serait pas la seule espèce capable de jouer un rôle important à l’égard de la nature. De manières diverses, chaque espèce jouerait un rôle prépondérant au sein d’un cosmos formant un Tout dynamique et vivant. Dans cette nouvelle compréhension du réel, la nature est bon gré mal gré redevenue une instance très discutée et, même, un enjeu quasi conflictuel entre des individus, des courants et des groupes de pression. Plutôt que d’être considérée comme le fruit d’un hasard, la nature est de plus en plus reconnue comme organisation rationnelle au sein de laquelle chaque élément est lié à un autre. Elle est donc présentée comme un Tout cohérent, où chaque être vivant a sa place et dépend de l’autre, dans le cadre non seulement des chaînes alimentaires, mais aussi dans celui des relations d’interdépendances complexes qui garantissent la vie et, parfois même, la survie des êtres vivants. En tout cas, le consensus actuel est que l’attitude humaine doit dépendre de la perception que l’on peut avoir de la nature. Mais un tel principe suppose de clarifier préalablement le rôle de l’homme et de redéfinir son statut, ainsi que celui des autres êtres vivants.

Reconnues aujourd’hui comme source de bonheur et de salut pour l’homme, les sciences et les techniques constituent en effet un atout majeur pour celui-ci, en raison des solutions qu’elles proposent tous azimuts. Elles sont devenues un moyen sûr en vue de la résolution de la plupart des problèmes liés à la vie humaine, parce qu’elles récusent l’irrationnel et posent des problèmes concrets qui demandent des réponses concrètes. Elles s’illustrent de ce fait comme la clé du développement industriel et économique des sociétés humaines. Par leur objet et leur méthode tout à fait particuliers, sciences et techniques offrent des approches nouvelles aux questions complexes du monde. Leur démarche a largement contribué à trouver des solutions fiables face aux menaces globales qui touchent l’humanité et son environnement.

L’avènement des sciences et des techniques a ainsi apporté, par la rigueur de leurs méthodes, une prise de conscience quant à la nécessité de les considérer comme le moyen le plus sûr d’engager le monde vers un développement équitable et durable. Or, il s’avère que dans le même temps les technosciences semblent porter en elles des limites qui affectent leur réputation salvatrice, notamment du fait que leur implication dans le quotidien de l’homme et dans son environnement tend à prendre une ampleur inattendue, voire démesurée.

En effet, la véhémence, le caractère souvent autoritaire, sinon totalitaire, des initiatives imposées par les technosciences, semble faire parfois de ses acteurs les « nouveaux barbares de notre temps ». De fait, peu d’espèces vivantes échappent à l’agressivité de leurs interventions, qui cachent mal le caractère absolu de leur volonté de puissance. En sont témoins de nombreuses critiques en provenance d’organisations associatives. Même des savants tels que Galilée et

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Descartes, qui sont des références scientifiques et philosophes incontournables de la modernité n’y échappent pas.

En effet, ces deux grandes figures, étant à l’origine des sciences, de leur modernisation et de leur vulgarisation, ont évidemment contribué chacune à sa manière au statut et au rôle actuels des technosciences. Descartes comme Galilée considéraient la science comme une nécessité pour le genre humain, en tant que moyen de parvenir à un mode de vie nouveau et porteur d’espoir. Galilée, à la fois un philosophe et un grand savant, se présente comme le pionnier par excellence de la science expérimentale. Théoricien et praticien, il ouvre la voie vers une science moderne, notamment dans le domaine de l’expérimentation. Descartes6, quant à lui, était à la fois géomètre et philosophe. Précurseur de la modernité scientifique, il a exposé dans le Discours de la

méthode les grandes théories qui, sur le plan de la pensée, seront au fondement de la science et

de la technique modernes. Avec les apports de ces deux figures, apparaît et se met en œuvre l’idée majeure de l’homme comme maître et possesseur de la nature.

Grâce à eux, la réflexion humaine s’est ouverte à d’autres horizons, qui ont donné un nouveau but à l’action de l’homme : la conquête de la nature par l’expérimentation. Cette ère nouvelle, basée sur une expérimentation à outrance, a rendu la nature à nouveau étrangère et distante de l’homme. La science, qu’elle soit galiléenne ou cartésienne, a inauguré une filière qui a malheureusement introduit un abîme profond entre ce qui relève des compétences humaines et ce qui se présentait comme propriété exclusive de la nature. C’est ainsi qu’une dimension inquiétante de la vision et de la compréhension de la nature va naître, car non seulement la démystification scientifique, mais aussi l’ère du progrès irréversible, sont définitivement enclenchées. Par conséquent, l’idée d’une dynamique classique et naturelle entre l’homme et la nature a perdu de sa pertinence.

Avec les perturbations et les ruptures au sein des écosystèmes7 au sens de Sir Arthur George Tansley8, ce mode de pensée montre aujourd’hui ses limites, qui ont suscité une critique incontournable, même si cela peut être réfutée par une partie de la communauté scientifique. Par

6 Bien que Philosophe, Descartes est aussi mathématicien mais aussi physicien. A ce titre, il est reconnu par la

communauté scientifique comme savant. Plus qu’un simple penseur moderne, Descartes était en son temps un brillant observateur scientifique, il est considéré comme l’un des fondateurs de la philosophie moderne.

7 Le concept d’écosystème est relativement très récent. C’est tansley qui l’aurait employé pour la première fois en

1935 pour désigner l’ensemble d’une communauté végétale et de son milieu constitué en système unitaire. En écologie, le terme écosystème désigne un ensemble de populations existant dans un même milieu et présentant des multiples interactions entre elles, lesquelles sont considérées comme des relations de cohabitation normales entre espèces vivantes.

8 Sir Arthur George Tansley était un citoyen britannique né en 1871 et mort en 1955, Botaniste de formation, il avait

une connaissance parfaite des plantes, il est le pionnier dans l’écologie des plantes. C’est dans cette logique qu’il invente le terme écosystème en 1935.

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le biais des sciences écologiques9 et environnementales, la réflexion morale et rationnelle tend donc à se donner peu à peu un nouvel objet, celui de l’attachement à la nature. Rappelons que l’écologie est devenue d’une part un corpus de savoir, d’autre part une science qui étudie les relations du vivant (faune et flore) avec son milieu, au travers notamment de la notion d’écosystèmes.

Envisagé sous cet angle, l’environnement constitue l’ensemble des conditions externes rendant possible et conditionnant l’existence des êtres vivants ou d’une population, d’une communauté, y compris les sociétés humaines. En un mot, c’est un cadre de vie. Par l’ampleur et la forte implication de ces disciplines scientifiques émergentes, le discours sur la nature a progressivement fait peau neuve. Soudain, savants ou scientifiques de tous bords – juristes, médecins, urbanistes, géographes, historiens, et aussi philosophes – sont entrés dans une approche que nous pourrions appeler le « tourment de notre Ere », celle qui confronte le savoir scientifique aux questions écologiques ou environnementales.

Le regain d’intérêt pour la nature trouve place dans le concert des nations, où par ailleurs la science devient de plus en plus incisive et tente de s’imposer comme maîtresse de toute vie. Serait-ce une crise des fondements de la doctrine scientifique ? Ou bien est-ce l’implosion technoscientifique, ou encore les effets de l’implication de plus en plus forte des sciences humaines, ou plutôt ceux de l’action de groupes organisés qui aurait pris une ampleur imprévue ? Par ailleurs, les responsables politiques ont-ils été suffisamment ouverts à cette nouvelle donne ? Ce bouleversement de la pensée suscite des interrogations, mais un peu comme si les problèmes constatés et les solutions préconisées relevaient encore de questions purement hypothétiques et théoriques. Cependant, ne faut-il pas au contraire penser que ce nouvel attachement à la nature est le fait d’un choix rationnel, cherchant à juste titre à réorienter la pensée humaine vers une réflexion morale ? Le bien-fondé de l’appel stoïcien à vivre conformément à la nature serait-il en voie de réhabilitation ?

En réalité, toutes ces interrogations trouvent leurs origines dans la crainte de l’homme face aux calamités et réactions de la nature qui pourraient menacer ses intérêts. Pour s’en prémunir, l’homme tend de plus en plus à se référer au mode de vie des Anciens, celui qui, dans son rapport à la nature, considère l’épicurisme et le Stoïcisme comme un art de vivre. En tout

9 Cf. Yvette VEYRET, Géo environnement, Armand Colin : VUEF, 2001, p. 11. L’écologie est l’une des multiples

disciplines qui traitent de la Nature. Elle serait née au XIXème en Allemagne. S’occupant des relations du vivant et de

son milieu à travers les écosystèmes, elle révèle que les espèces vivantes échangent de l’énergie entre elles et avec leur milieu. Cette interdépendance énergétique, ainsi que les cycles biogéochimiques (cycles de l’eau, du carbone, de l’oxygène, de l’azote etc.) sont à la base du fonctionnement des écosystèmes. Quant aux notions d’écosystème et de biosphère, leur acte de naissance date probablement des années 1935 ; elle insiste surtout sur les aspects énergétiques et fonctionnels de la relation entre les êtres vivants et leur milieu.

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état de cause, un mode de vie nouveau semble être adopté bon gré mal gré, même si de nombreuses hésitations des uns et des autres demeurent persistantes. Loin d’être une rupture, cette attitude nouvelle rejoint de manière encourageante la volonté stoïcienne de faire coexister en des rapports moraux et harmonieux l’homme et la nature. Mais quels rapports les Anciens, et plus particulièrement les stoïciens, entretenaient-ils exactement avec à la nature ?

A l’époque troublée de l’histoire de la Grèce ancienne où il prend naissance, le stoïcisme est d’abord un art de vivre, une quête d’ataraxie. Pour les stoïciens en général et pour Zénon en particulier, la morale est inséparable de la nature (Physis). L’homme est avant tout un être de nature. De ce fait, le monde dans lequel il vit doit être saisi et compris comme naturel. La nature est pour l’essentiel un espace, une cité dont la structure rationnelle assure à la fois la cohérence et le développement. Mais la notion de développement n’avait pas chez les stoïciens un sens de même ampleur que celui que sous-entend la conception actuelle du développement, qui se caractérise par la rentabilité et le gain, sans une réelle implication des valeurs morales. La relation entre science et développement n’était pas étrangère aux Anciens, mais à cette différence que l’accent était surtout mis sur un usage rationnel de la nature. Comme chez les Epicuriens d’ailleurs, le point de départ de l’éthique stoïcienne est évidemment naturaliste. L’homme est avant tout un être de nature, un vivant parmi d’autres, et son attitude est commandée par ce préalable, peu à peu devenu une exigence et le point de départ d’un mode de vie.

Avec le stoïcisme, l’idée de « vivre selon la nature » s’intègre progressivement dans les mœurs et les esprits des uns et des autres. L’expression signifiait suivre naturellement l’impulsion instinctive de la tendance première à vivre ou à survivre, sans pour autant modifier l’univers naturel. Dans le chapitre VII intitulé vies et opinions des philosophes10, Diogène Laërce dit : « (…) pour eux, suivre la nature c’est se gouverner suivant l’inclination. Selon une direction plus parfaite, la raison est donnée aux êtres raisonnables, et on dit bien que pour eux suivre la nature, c’est vivre selon la raison ; la raison est comme un artisan qui s’ajoute à l’inclin

ation11 ».

Diogène Laërce ne fait donc aucune distinction fondamentale entre l’homme et les animaux en ce qui concerne cet attachement naturel à la nature. Il précise néanmoins que pour les animaux, « suivre la nature, c’est se diriger selon la tendance naturelle », alors que pour l’homme c’est « vivre selon la raison ». Autrement dit, même si l’homme manifeste son attachement à la nature par le biais de la raison, et si l’animal ne le fait que par simple instinct,

10 Cf. Les Stoïciens, Vies et pinions des philosophes, (La doctrine morale, T1, Paris Gallimard, 2002, p.44. 11 Idem

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tous de

raison parfaite (la Phy

suggère à l’homm

elle avait donc une valeur absolue chez les stoïciens, et c’était pour eux à l

ux ont un lien indéfectible à la nature, au même titre que les plantes, qui seraient gouvernées par une « âme végétative ».

Pour Diogène comme pour tous les stoïciens, vivre selon la nature, c’est donc vivre harmonieusement avec son milieu, selon ses tendances naturelles, dont la plus évidente chez l’homme est la raison. Ce qui explique la forte responsabilité de l’homme sur le monde, parce qu’à travers l’évidence de sa raison, il peut se réaliser en tant que conscience. Par analogie ou par comparaison réfléchie, la nature comme la raison ont en commun une cohérence. Toutes deux incarnent aussi l’universalité qui les caractérise mutuellement. La raison est aussi présente en l’homme que la nature lui est inhérente. Comme il tient la raison de la nature elle-même, l’homme ne peut s’en séparer parce qu’elle lui est intrinsèque. Il peut toutefois en faire divers usages selon son libre-arbitre. Cette identification voulue du logos (humain) à la

sis) fonde une communion naturelle et perceptible qui conforte finalement l’homologia,

c’est-à-dire la concorde et l’harmonie prédominant naturellement entre les deux.

Cette analyse résume celle de Zénon, cité par Stobée12, qui affirme que « vivre en accord

avec la nature, c’est vivre selon l’unique raison et en harmonie ; le malheur c’est la division. » L’homologia trouve sens et vie au terme d’un raisonnement, et même d’une attitude, qui concorderait avec les règles de l’action appropriée. Autrement dit, l’homologia

e une attitude droite en toutes circonstances et lui impose ainsi la nécessité de vivre en conformité avec la nature, c’est-à-dire en fait sans rupture de son aptitude à la raison.

Ce credo des stoïciens quant à la nécessité de vivre en harmonie avec la nature marque la volonté, que les stoïciens proposent activement, de se conformer à l’ordre naturel ; dans le même temps, ils suggèrent que la raison commande la forme de l’action à accomplir en conscience. En termes clairs, les Anciens en général, et en particulier les stoïciens, n’étaient hostiles ni à l’idée de développement, ni à celle de science, à condition que celles-ci soient en phase avec la rectitude et la forme de l’action menée ou à entreprendre. Ils souhaitaient surtout conditionner les résultats de toute action au principe que l’intention humaine soit rattachée à la dimension morale de l’action. L’action rationn

a lumière de l’idéal rationnel que devaient se déterminer les valeurs et la qualité d’un quelconque projet humain.

A cet égard, la philosophie, comme science du savoir et comme discipline capable d’apporter des réponses justes et justifiées en fonction du concept de raison, nous semble la mieux outillée en vue de poser avec rigueur et objectivité la réalité générale des rapports entre

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l’homme et la nature. De par sa maîtrise des concepts, la philosophie est capable de situer les responsabilités de chacun, sans pourtant entamer la liberté des uns et des autres. Elle pourrait également prouver par la force des mots, en somme par la preuve argumentaire, la corrélation existant entre nature et raison d’une part, et entre la nature et chacun de ses éléments, y compris l’humanité, d’autre part. De ce fait, elle est à notre sens une aubaine pour l’homme, un véritable moyen de compréhension du monde et, partant, de la nature. Enfin, la philosophie se présente aussi c

le se présente comme capacité à réfléch

ervescence inhérents aux pratiques nouvelles induite

omme solution dans l’explication, tant de l’apport conceptuel de la pensée ancienne en général, que de celle des stoïciens en particulier.

L’enjeu devient alors plus vaste, car la philosophie, en tant que savoir séculaire et même millénaire, pourrait aller au-delà d’un simple regain du débat sur le problème de la nature. Elle pourrait aussi proposer des solutions rationnelles à la sauvegarde et à la survie de l’homme et des sciences dans le sens voulu par les stoïciens, c’est-à-dire en phase avec l’évolution historique. Partant du fait que la philosophie est la discipline la plus apte à traiter les questions morales et éthiques, elle serait une solution salvatrice du fait qu’elle est essentiellement réflexion. Elle constitue en outre une possibilité réelle de solution en tant qu’el

ir aussi bien sur les questions morales classiques, que sur les problèmes posés par le développement issu des sciences et techniques contemporaines.

Etant fondée sur l’analyse et le débat contradictoire, on peut considérer encore que la philosophie se trouve bien placée pour aborder les questions environnementales associées à l’Ethique. Elle aurait donc la tâche de sonder la représentation du réel et, ensuite, de tenter de retrouver l’équilibre idéel qui favoriserait une harmonisation des rapports entre l’homme et la nature. L’un de ses devoirs serait alors d’aider tout homme à bien se connaître, mais aussi à mieux comprendre le monde qui l’entoure. Elle aurait en outre pour fonction d’aider l’homme à se situer par rapport à des problématiques métaphysiques, tout en s’impliquant de plus en plus sur les questions essentielles qui concernent le monde, dont celles de la protection de la nature. Retrouver un équilibre par le biais de la philosophie équivaudrait en fait à réconcilier l’espèce humaine, mise à mal par l’hédonisme aliéné et l’eff

s par les technosciences, avec ce qui en dernier ressort permet de faire sens pour l’homme dans ses rapports à la nature, c’est-à-dire la raison.

Vue ainsi, la pratique de la philosophie ne serait certes qu’une solution parmi tant d’autres, et non la clé définitive faisant office d’accès exclusif à la Vérité en vue de la résolution des problèmes qui minent aussi bien l’homme lui-même que la nature. Mais elle aurait néanmoins le mérite de rendre explicite et pertinent le débat sur ces nouvelles préoccupations sociétales. Car, avec les moyens de connaissance offerts par toutes les transformations issues des

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sciences et techniques, elle serait capable de constituer et mettre en œuvre un langage apte à réorienter toute relation humaine de façon sensée par le truchement de la raison. Du fait que la philosophie est une discipline susceptible d’apporter des réponses de l’ordre d’un métalangage par rapport au propos intrinsèque de la science en général et de la physique en particulier, elle demeure une discipline particulière, essentielle, et même très actuelle par sa capacité à faire dialoguer l’homme avec le réel. Ce qui est loin d’être négligeable, dans le sens où elle peut devenir le lieu où discuter des problèmes nouménaux qui échappent à la connaissance immédiate des sci

Que pourrai

ort de l’homme à la nature. Le troisième chapitr

ences les plus éminentes, tels les mathématiques, la physique, la biologie, la géologie…, du fait que de tels problèmes ne relèvent pas de leur moule disciplinaire.

En définitive, de la perception humaine de la nature dépendra la gestion de celle-ci. Les relations entre l’homme et la nature prendront des visages différents selon l’intelligence et la compréhension que chacun y mettra. Notre attachement au stoïcisme s’explique par son appel au genre humain de vivre conformément à la nature en faisant preuve de responsabilité et, donc, de raison. La pensée contemporaine et son savoir technoscientifique ont tendance à occulter les valeurs utiles à l’équilibre de la vie. Par ailleurs, à la réflexion, il semble indispensable de rappeler que la place de l’homme au sein de la nature demande à être clairement définie. Quel est son statut au sein de son espace vital global ? L’homme doit-il être compris comme essentiellement perturbateur et fossoyeur des écosystèmes ? Comment alors gérer la nature, et quelle place accorder à sa protection ? Dans quel but ? Faut-il, de manière mécanique, s’impliquer individuellement ou collectivement à sa cause ? La démocratie en tant que système politique, qui valorise les libertés individuelles, a-t-elle à l’heure actuelle les solutions à ces préoccupations ? Existe-t-il une solution globale pour gérer et protéger la nature ?

ent apporter les théories antiques, et particulièrement la morale stoïcienne, et la tradition philosophique qui en découle quant au rapport de l’homme contemporain avec la nature ?

Toutes ces interrogations constituent l’ossature de notre problématique. Les réponses à celles-ci s’articulent autour de trois grandes parties. La première, subdivisée en trois chapitres, décrira l’essentiel de la morale stoïcienne et de son rapport à la nature. Le premier chapitre expose le mode de vie des Anciens et leur rapport au monde. Le deuxième aborde surtout la morale stoïcienne et le fondement en raison du rapp

e met en lumière l’orientation éthique des stoïciens et leur manière d’impliquer raison, prudence et responsabilité dans la conduite humaine.

Notre deuxième partie met l’accent sur le rapport nature/rationalité en impliquant la philosophie comme source de compréhension de la nature. Cette partie valorise surtout la philosophie en tant que discipline autonome qui pose des questions essentielles sur le monde.

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Bien que classique, elle demeure à notre sens pertinente parce qu’elle fonde l’essentiel de son savoir sur des concepts cardinaux de notre recherche et en prend la mesure. Par la maîtrise des concepts, la philosophie est à même de dialoguer sur des notions essentielles telles que la responsabilité et la liberté, capitales dans la problématique du rapport de l’homme à la nature. De ce fait,

s droits des êtres vivants dépourvus de raison – les règnes animaux et végétau

sciences et techniques, en réfléchissant sur les

délimit

L’inventivité se trouverait alors en mesure de pallier les déséquilibres dus à l’exacerbation elle demeure à notre sens un authentique moyen de compréhension du monde et, partant, de la nature.

La troisième partie de nos recherches nous plonge davantage dans la réalité contemporaine, où se posent avec acuité toutes les questions alimentant le débat sur les problèmes écologiques et environnementaux. Elle réfléchit au statut et au rôle du progrès technoscientifique dans la société humaine, et suggère la primauté de l’acte rationnel en matière de développement technoscientifique. Le deuxième chapitre de cette dernière partie interpelle la démocratie en tant que système politique ouvert, en réfléchissant aux conditions d’initiatives plus cohérentes dans le domaine des droits et devoirs de l’homme en tant que sujet pensant, mais aussi dans le domaine de

x –, qui semble-t-il doivent désormais accéder à un statut juridique les posant comme véritables sujet de droit.

Disposée à s’interroger sur l’irrationnel en apportant des réponses aux questions purement théoriques, la philosophie peut s’avérer particulièrement apte à réfléchir sur les finalités recherchées par les hommes et les sociétés actuelles. Grâce à sa maîtrise des concepts, elle est à même de s’interroger sur le rôle et l’intérêt des

conséquences économiques, écologiques, culturelles, et surtout humaines, issues des connaissances du réel apportées par ces technosciences.

En somme, la philosophie saurait vraisemblablement reposer de manière intelligible l’épineux problème de la modernité – l’industrialisation – et celui de la post-modernité, à savoir la question de l’environnement. De ce fait, elle se replacerait au centre du débat et, face à l’urgence d’une planète vraisemblablement en danger, saurait en appeler à la responsabilité individuelle et collective de tout esprit épris de raison. Dans la plupart des propositions qui seraient les siennes, il serait question d’interpeller tout esprit conscient et responsable en vue de er, de manière individuelle et collective, un champ du possible qui ne mettrait plus en danger ou en péril l’ordre naturel voulu et souhaité par tous.

Avec le concours de la philosophie, les libertés et les responsabilités humaines pourraient être redéfinies de manière claire et distincte, de telle sorte que les transformations liées au développement technoscientifique trouvent leurs limites en référence à la raison humaine.

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irrationnelle des besoins et, dès lors, en mesure de s’appliquer authentiquement à éviter de compromettre à jamais la possibilité d’accomplissement des fins de l’humanité les plus utiles et nobles.

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Introduction à la première partie

L’un des problèmes fondamentaux posés par les Anciens, et les Stoïciens en particulier, est sans doute celui du bonheur. Les Grecs se souciaient de l’équilibre, du rayonnement et de l’organisation de leur empire. Leur idéal était donc d’être au service de la cité, en demeurant un citoyen juste et courageux (payer ses impôts, être fidèle aux dieux, etc.). Les Epicuriens trouvaient leur bonheur dans la satisfaction de leurs plaisirs naturels et nécessaires, et bien sûr, dans la recherche d’une tranquillité de l’âme (ataraxie ou absence de trouble). Tout cela avait pour but l’accomplissement du devoir, l’attachement au juste et à l’honnêteté en tant que citoyen vertueux. Mais prévalait surtout en eux le sentiment profond d’accomplir et d’agir dans le droit fil de la nature et de la conscience universelle.

Dans leurs rapports à la nature, les Stoïciens, par le biais de leur morale rattachée à une

physis fondée par une théorie naturaliste pure, posent que l’univers est soumis à la nécessité

comme dans un système où le Tout est rattaché à la partie. C’est de là que naissent les règles morales qui conduisent au bonheur. La première d’entre elles est celle qui concerne la relation de l’homme à la nature. Elle recommande à chacun et à tous de vivre en harmonie avec ce Tout dont ils ne sont qu’une partie. Autrement dit, l’homme doit vivre en conformité avec la nature, et doit impérativement renoncer à ce qui ne dépend pas de lui. C’est en se soumettant à cette nécessité qu’il trouvera la plénitude de sa liberté, accédant ainsi à la vertu, source du bonheur.

Toutefois, la morale stoïcienne ne doit pas être dissociée de sa physis et de la logique qui fonde la solidité du système stoïcien. Le bonheur et la vertu stoïcienne n’auraient aucun sens si leur conquête de la nature était contraire aux valeurs qui étaient les leurs, celles qui imposent la cohésion et le respect dans leurs rapports au monde. Epris par ces principes cardinaux de leur culture, les Anciens auraient manifestement choisi une science en totale cohésion avec la nature, qui serait soumise à une prospection rationnelle de celle-ci. En effet, l’objectif était a priori de pénétrer le cosmos, sans fondamentalement le contrarier de quelque manière que ce soit.

Tout semble montrer que cette démarche est celle qui a servi aux Anciens dans leur conquête de la nature. Peut-être, la part des connaissances acquises par l’éducation, les imitations, l’apprentissage ou par le vécu de l’expérience, aurait été essentielle à l’ensemble de la pensée grecque. Elle serait aussi à l’origine de la bonne organisation de leur mode de vie, qui exigeait prudence et cohérence dans leur rapport à la nature. S’intéressant à la question des origines, ils ont essayé de déterminer le fondement sous-jacent à la diversité changeante des phénomènes.

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Thalès pensait que l’eau était la substance suprême dans la constitution du monde. Héraclite au contraire, pensait qu’au fondement de toutes les oppositions et de tous les changements se trouve le feu. De son côté, Anaximène considérait que la substance primordiale par rapport à la question des origines est l’air. Enfin, Anaximandre, avec son idée de l’éternel recommencement, situait l’originaire dans une sorte de matière encore indéterminée, l’apeiron, sorte de « masse matricielle ». C’est dans cette perspective qu’Empédocle concluait qu’il y a finalement quatre éléments dont la combinatoire est à la source de la diversité visible, à savoir : l’eau, l’air, la terre et le feu. Il explique les choses de leur naissance jusqu’à leur destruction comme un fait d’observation évident. Pour lui, la naissance combine les éléments, la mort les sépare.

C’est donc la nécessité de l’ordre du monde qui serait le socle de la morale, qui impose à l’homme de se défaire des plaisirs vains et de consentir ainsi à l’ordre de la nature, tel que voulu par le sage. La morale stoïcienne est ainsi fondamentalement rattachée à la nature. Elle impose des rapports harmonieux entre l’homme et la nature. La nature doit être à ses yeux une instance rationnelle, intelligible, divine et vivante car, l’histoire humaine ne saurait être dissociée de celle de la nature du fait qu’elle est le Tout qui engendre la partie.

La raison étant l’instance dominante chez l’homme, elle serait compatible à l’accomplissement de l’action droite et vertueuse voulu par le sage. De cette attitude naîtra l’acte conforme à la nature, traduisant ainsi la responsabilité de l’homme face à son destin. Toute beauté morale suppose la reconnaissance de la raison comme valeur cardinale à l’accomplissement du Bien. Le fatum stoïcien ou le destin, ne reposerait en fait que sur la volonté humaine de mieux conduire son action. Par la raison, l’homme est capable de diriger le cours des évènements par la seule liberté qu’il détient, sa liberté intérieure, celle qui lui permet de penser le monde en tant qu’organisme vivant où tout se tient. La vraie liberté consisterait à agir selon l’ordre de la nature qui forme ce Tout, et modifier cet ordre ne dépend pas de l’homme. Il est alors nécessaire de savoir ce qui dépend de l’homme et ce qui ne dépend pas de lui. La connaissance de ceci rend possible le progrès moral dont a besoin l’homme dans ses rapports à la nature. Mais quels rapports prévalaient entre les Anciens et la nature ?

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Chapitre I : Les Anciens et la nature

L’élément moteur des rapports qui lient les peuples, est d’abord l’homme. Il est celui qui prend la mesure de toute chose selon sa nature et ses prédispositions à exercer sa raison. Parler de sa nature, c’est nous permettre d’évoquer la question de la nature humaine. A notre sens, la nature humaine est comprise à la fois comme acquisition naturelle de l’homme, ou comme ensemble de données actuelles, c’est-à-dire, acquises au cours de son évolution. Cet ensemble est souvent pris comme un équilibre instable qui fait parfois objet de réaménagements selon les peuples, les interprétations et les différentes cultures. Dans ce sens, la nature humaine serait le fruit de la culture, en opposition à la nature.

Toutefois, l’évidence d’une nature humaine unique et universelle est incontestable malgré les diverses cultures car il y a chez l’homme des invariants biologique. Cette présence effective de l’aspect biologique qui semble fondamentale, rappelle l’attachement de l’homme à la nature, et fait de lui un être disposé à la pratique de la raison et par conséquent à suivre le Bien. Les pratiques de la raison et de suivre essentiellement le Bien, sont des constantes humaines reconnues par tous. Bien que diversement appliquées, ces invariants naturels dirigent l’homme vers des pratiques qui lui permettent une vie sociale. Il y a peut-être en l’homme des prédispositions sociales qui lui permettent d’être apte à recevoir une éducation. Les connaissances par imitation et par acquisition favoriseraient l’éveil de sa raison, et le prédisposeraient à la pratique de celle-ci. Souvent, le désir de connaître prédomine en l’homme, et les Grecs s’interrogeaient déjà sur la question des origines, en dressant en leur temps, les canevas de la science moderne.

Les Stoïciens en tant que modèle de notre réflexion, faisaient par ailleurs partie de cette famille grecque totalement engagée à percer les secrets du cosmos. Ils marquèrent leur temps par un attachement infaillible à la nature. « Il faut suivre la nature » disaient-ils, en affirmant que toutes les choses sont soumises à une nature rationnelle et sage. Les Stoïciens semblaient convaincus que la nature est une force qui prend part à la raison et à l’ordre. Elle est unique et unie. Son ordre ne saurait être le fruit d’un hasard, mais plutôt le fait d’une force réglée par une intelligence, une raison et, enfin, une providence.

Partageant cet avis, nous convenons avec les Stoïciens qu’il est indispensable de vivre décemment dans un environnement autant rationnel que réglé par une intelligibilité providentielle. Même s’il est vrai que vivre c’est agir, on doit comprendre que bien vivre c’est faire de constants efforts par le biais de la raison pour donner à l’activité humaine une direction sensée. En définitive, les Anciens Grecs, sont aujourd’hui reconnus comme les grands pionniers

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de l’exploration du concept de nature. Mais parmi les Anciens, ce sont particulièrement les Stoïciens qui ont fait du respect de la nature un mode de vie, un art de vivre. Mais en fait, qu’est-ce que la nature ?

1-1 Qu’est-ce que la nature ?

Avant de revenir à une analyse du paysage physique et mental de notre époque technoscientifique, parlons d’abord du concept de nature dans sa globalité, mais aussi des différentes approches de sa compréhension. En effet, l’idée de nature s’est élaborée à partir d’une réflexion sur l’origine de l’univers et des causes qui l’ont rendu possible et relativement compréhensible. C’est la question ontologique pourquoi, qui fonde toute la réflexion sur la recherche des causes phénoménologiques de l’Etre, de la nature, et des éléments de sa composition. Bien que cette question du pourquoi soit importante, l’objectif premier a surtout été de chercher à comprendre la complexité de la nature par le biais de la raison, sans toutefois faire fi de l’importance de l’expérience.

Le concept de nature est complexe et difficile à cerner avec précision. Cette difficulté réside évidemment dans son caractère multidisciplinaire de son approche. On se trouve alors face à un dilemme : définir le concept de nature pour en dégager une intellection objective, ou bien se contenter de traiter la question en se servant des explications ou des diverses acceptions des auteurs. Il existe donc de nombreuses définitions du concept selon les contextes d’étude, mais il va falloir en retenir une qui réponde à notre préoccupation, c’est-à-dire la nature dans un cadre conceptuel défini par notre champ théorique.

Au-delà des différences terminologiques et des rares nuances qui pouvaient les distinguer sur certaines questions, les Stoïciens dans leur ensemble s’accordaient à désigner dans leur globalité la « (…) nature, tantôt ce qui contient le monde, tantôt ce qui produit les choses terrestres. La nature est une manière d’être (…) qui se meut d’elle-même selon des raisons séminales produisant et contenant les choses qui y naissent d’elles dans des temps définis et formant les choses semblables à celles dont elle a été détachée13 ». Cette définition manque de clarté et entretient l’ambiguïté. Toutefois, il ressort que la nature peut être comprise comme un ensemble de choses, une attitude, un berceau, une mère. En un mot, la nature chez les Stoïciens s’apparente à l’Un-Tout.

13 Cf. Les Stoïciens, textes choisis par Jean Brun, Partie II (Physique), tirée de l’introduction de cette partie, 10e

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Le siècle des Lumières s’est également intéressé à la question de la nature. Tout comme les Anciens, les philosophes des Lumières concevaient la nature au sens d’une Physique, ce qui rendait la définition de la nature moins évidente parce que soumises à de nombreuses interprétations. Rousseau est l’une des figures de proue de cette période. Par nature, il entendait le monde physique et les dispositions naturelles ou innées de l’homme en tant que conscience morale, ce qui paraît très moderne et très actuel. L’auteur du Contrat social a connu la campagne et y a séjourné. En connaissance de cause, il se représente la nature comme campagne verdoyante14. L’idée de nature a une connotation assez particulière chez Rousseau car, elle peut aussi désigner la transparence originelle. Dans ce sens, il désigne par nature, ce qui est vrai, c’est-à-dire ce avec quoi nous avons un rapport im-médiat, comprenons par là, ce qui est sans médiation et qui rappelle à l’origine et à l’essence même des choses. Rousseau pense également que la nature est un principe d’ordre, de simplicité et d’authenticité.

Rousseau est plus exhaustif dans ses tentatives de définition du concept de nature. La précision de ses définitions et descriptions le démarque des autres par l’appel qu’il lance pour l’implication de la conscience morale de chacun et de tous dans à l’action à conduire. Rousseau appelle donc à la responsabilité individuelle et collective de l’homme en tant que conscience. Il conviendrait de remarquer que Jean-Jacques Rousseau est le philosophe de l’ordre, de la droiture, de la justice, en un mot, du droit. Il récuse donc toute forme de désordre ou d’injustice et fustige le vice sous toutes ses formes.

De l’avis de Rousseau, traiter du concept de nature, c’est assurément porter une réflexion sur la question des origines. La complexité du concept amène à penser que l’homme ne pourrait se faire une idée objective de la nature qu’essentiellement, par ses sens et sa perception. Autrement dit, la nature ne serait accessible à l’homme que par le biais des sens et de la pensée. En clair, la nature ne pourrait relativement être comprise par l’homme que par le biais des éléments constitutifs de la raison. De cette conception émerge une double difficulté. Celle-ci ne permettrait pas à quiconque voudrait s’accaparer le monopole du concept de nature, d’en prendre toute la mesure. Dans ce sens, Christian Godin15 le souligne avec plus de vigueur dans son ouvrage La nature. Quelle est donc cette double difficulté ?

La première difficulté, repose sur la polysémie du concept et les diverses acceptions qui s’y greffent. En même temps, sa compréhension aussi extensive que flottante, lui récuserait tout

14 Même si Rousseau parle de la nature comme simple campagne verdoyante, il ne la définit pas comme telle. Il la

comprend surtout au sens où elle s’oppose à la culture, c’est-à-dire, à l’art, à la technique, à la loi, aux institutions, à l’arbitraire et à la société en général.

15 Christian Godin s’explique longuement sur cette question dans l’introduction de son ouvrage intitulé, La nature,

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sens définitif. Du fait de la variabilité de sa compréhension selon les contextes et les cultures, il est donc normal que la profondeur de cet espace symbolique change parfois selon le gré des peuples et les périodes. En un mot, les cultures, les contextes, les écoles, les individus et les groupes, se font chacun une définition et une compréhension propres de la nature. Tout semble laisser croire que le concept de nature autorise une flexibilité définitionnelle, et que chaque penseur a une définition ou une philosophie de la nature qui lui est propre, ce qui est un leurre.

La seconde difficulté, liée malgré tout à la première, évoque le caractère équivoque du statut ontologique de la notion de nature. Cette deuxième difficulté se formulerait par le fait que la nature n’est pas seulement une réalité objective donnée dans la perception, elle est aussi une idée forgée par l’entendement. Cela revient à dire qu’elle serait également perçue comme valeur, idée, ou comme objet de désir, voire un fantasme pour bon nombre de personnes. Cette nouvelle acception serait plus attachée à une vision plus récente et mieux acceptée par les Modernes et les hommes de notre temps.

Pour l’homme en fait, il n’y aurait pas de nature en soi, sinon une nature muette, mystérieuse et énigmatique. Tout porte à croire qu’à leurs yeux, la nature ne serait que la résultante du fruit de la pensée humaine. A travers cette conception de la nature, celle-ci ne serait que la représentation idéelle et spirituelle de la pensée humaine. Elle ne serait donc qu’une représentation rendue possible, à partir de l’expérience immédiate que l’homme en fait. Par ailleurs, la nature est aussi comprise comme étant un produit de la culture, qui aurait une histoire soit humaine, soit pré-humaine. Toutefois, nous pensons que le concept de nature tel qu’élaboré par la tradition philosophique, vise à rendre compte dans leur totalité des phénomènes connus et analysés, interprétés à un moment donné de l’histoire. La nature revêt ainsi un caractère important, car elle s’affirme comme une réalité vivante.

Mais loin de notre époque, et au-delà de l’idée que l’on pourrait s’en faire aujourd’hui, les Anciens avaient déjà su concevoir par-delà la multiplicité des phénomènes sensibles, l’existence d’un ordre universel, nécessaire et spontané. Il s’agit d’un ordre dans lequel l’homme a sa place parmi les autres, c’est-à-dire parmi les productions sans cesse renouvelées de cette puissante nature aussi appelée Physis par les Grecs, et que les Romains nommeront Natura. Selon Christian Godin16, Aristote serait le premier philosophe à s’appesantir très sérieusement tant sur une analyse profonde que sur les multiples définitions du concept de nature. Godin ne relèvera pas moins de quatre sens du mot Physis, dans La Métaphysique d’Aristote.

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Attribuant la primeur des définitions du concept de Physis à Aristote, qui la désignait comme « génération de ce qui croît », Christian Godin17, dans le même ouvrage souligne les définitions suivantes de la Physis : « l’élément premier immanent d’où procède ce qui croît », « le principe du mouvement premier pour tout être naturel en lequel il réside par essence » ; « le fond premier dont est fait ou provient quelque objet artificiel ». De ces multiples définitions, Christian Godin précise que « la force, l’origine, le fondement et l’essence, seraient les quatre notions qui dessinent la constellation aristotélicienne de la Physis ». Mais ces définitions ne diffèrent pas fondamentalement du sens général que les Anciens, en particulier les Grecs et les Romains, donnèrent à ces deux concepts.

En effet, le mot grec Physis et le mot latin Natura, signifient le pouvoir de croissance spontanée et immanente à toutes choses. Ils désignent l’omniprésence, l’omnipotence, et même la présence universelle ou la puissance d’émergence des choses. Rien n’indique cependant, si l’homme s’y trouve déjà ou non. Par ailleurs, aucune précision n’est apportée sur son origine. La seule certitude est l’évidence d’une nature complexe, constituée d’éléments étranges, visibles ou invisibles, saisissables ou non, en un mot, une nature mystérieuse et changeante. C’est donc dans cette nature totalement complexe, que naissent tous les contrastes et tous les contraires qui se hantent et finalement cohabitent. Cette Physis très ancienne, englobait l’ensemble des phénomènes naturels dont le monde est le théâtre. Des interprétations et des tentatives d’explications viennent de toute part, de toutes les écoles, de toutes les sectes, mais son caractère mystérieux reste intact.

Bien des définitions et des sens différents ont été donnés au concept de nature, et se sont succédé en se chevauchant parfois. Sans vouloir s’opposer aux diverses définitions apportées par les uns et les autres, notre compréhension de la nature concorde surtout avec le sens apporté par Platon à ce concept. Attribué également à Aristote, ce sens platonicien se résume par cette phrase : « Toute essence est dite nature ; la première nature, c’est l’essence ». Platon pose la nature comme l’essence même des choses, c’est-à-dire comme origine des choses. Tous ces sens donnés au concept de nature préservent en réalité notre idée fondamentale selon laquelle, la nature est la cause des causes, c’est la cause première, et donc l’essence de toute chose. Il semble que, c’est dans la même perspective que les Anciens ont majoritairement accordé une sorte de normativité à cette nature, et l’ont trouvé fondamentalement bonne et naturellement organisée.

Pour eux, la nature ne pouvait en effet qu’être bonne du fait de sa cohérence et de son indépendance. Cette bonté nécessitait obéissance et respect, du fait qu’elle offrait à l’homme et à

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