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Reconnue comme espace vital des espèces vivantes, la nature possède aussi d’autres atouts, dont celui de transmettre. Par sa capacité à agir sans force extérieure, la nature a légué à l’homme la qualité la plus importante à sa vie voire à sa survie, à savoir la raison. Tous les vivants ont des qualités certaines, mais l’homme a une particularité supérieure : la raison. Bien que variable selon les individus, la raison est en réalité une propriété naturelle de l’homme dérivant de la nature elle-même. De ce fait, il existe des similitudes entre nature et raison. La première de ces similitudes réside dans leur essence même, c’est-à-dire ce qui est à la base de leur fonctionnement. Il y a une multitude d’attributs et de propriétés qui régulent l’homme et la nature de l’intérieur. Pour la nature, c’est l’ensemble des éléments vitaux qui contribuent à la cohérence et à la dynamique de son fonctionnement à savoir l’air, l’eau, le feu, etc. Pour l’homme, il s’agit des éléments constitutifs de son entendement tels que la conscience, l’intellect, la responsabilité, etc. Tous ces éléments essentiels au fonctionnement de la nature et de l’homme, sont en fait le principe d’une cause première qui est la raison. Cela revient à dire que la raison serait en réalité l’élément moteur ou le principe premier grâce auquel la nature et l’homme trouvent leur force vitale.

La raison est dans ce sens la marque d’une réalité fictive et omnipotente issue de la nature, et se sert de l’homme comme support matériel. La manifestation de la raison en l’homme mais aussi à la nature, justifie en elles les idées de permanence et de liberté qui leur sont caractéristiques. Cette spécificité propre à la nature et à l’homme justifie la corrélation qui caractérise leurs rapports naturels. De leurs rapports naturels ressortent également des similitudes, lesquelles sont marquées par des principes justifiant l’ordre, la logique, et la cohésion de leur fonctionnement. Comme la nature, l’homme agit grâce à la raison, et celle-ci est, par sa rectitude, le lieu où se décide toute action droite. Malgré son aspect métaphysique, la raison est le lieu duquel découle toute vérité, dans le sens où elle ne vise que le vrai. C’est pourquoi, tout être humain guidé par la raison est inévitablement celui qui conduit des actions issues d’un calcul mental bien élaboré. De la même manière, la nature agit de manière calculatoire, d’où l’inspiration pythagoricienne qui stipule que la nature serait écrite en langage mathématique.

On devrait peut-être considérer que la nature est une mécanique rationnelle que l’on pourrait finalement comprendre par des formules, des signes, et des symboles. Elle serait dans la compréhension pythagoricienne, une sorte de mécanique cohérente et complexe mais accessible et déchiffrable par l’homme grâce à ce qu’ils ont de commun : la raison. Dans son apparence, la

nature paraît désordonnée, mais la raison parvient à percevoir l’ordre caché par cette apparence. Se régulant de l’intérieur comme le fait la nature, la raison s’autorégule par une force intérieure qui restaure son ordre et son unité, d’où sa cohérence. En tant que patrimoine commun partagé par l’homme et la nature, la raison s’affirme comme caractéristique humaine qui s’autorégule et est capable de percevoir le désordre apparent de la nature. Elle exhorte l’homme à conduire droitement sa pensée, en donnant une direction sensée à son action. L’homme rationnel suit naturellement la même logique que celle de la nature, parce qu’il est simplement celui que la nature a doté d’une raison, laquelle impose la rectitude de l’action. La nature impose à l’être humain doté de capacités rationnelles, de penser selon la raison sans toutefois aliéner sa liberté.

Contrairement aux idées reçues, raison et liberté ne s’anéantissent pas, elles sont plutôt complémentaires et se réalisent pleinement dans la responsabilité de l’action à mener. Toute conduite responsable n’est en fait que le fruit d’une action pensée, menée librement, et soigneusement calculée par la raison. Ce mode de fonctionnement est celui qui révèle au mieux la corrélation entre la nature et l’homme, unis par une rationalité qui affirme aussi bien leur complexité que leur particularité. Du fait de leur aspect abstrait favorisant par ailleurs la spéculation et l’ambiguïté, la nature et l’homme suscitent encore des interrogations et invitent à l’analyse et à la prudence. Tout compte fait, si la nature et l’homme présentent des similitudes dues au partage d’un patrimoine commun qu’est la raison, ne serait-il pas juste de penser qu’il y a finalement une identité entre nature et raison ?

4-1 L’identité de la nature et de la raison

Pour mieux aborder cette question, il aurait été plus simple, mais peu convaincant, d’appuyer simplement notre affirmation sur l’idée selon laquelle, toutes les choses nées de la nature sont unes et semblables. Cela ne suffirait certainement pas, car il semble indispensable de se demander dans quelles conditions deux entités peuvent être dites identiques. De notre avis, il est essentiel de fonder cette affirmation sur une argumentation plus solide et rationnelle. Ainsi, l’élucidation des conditions qui rendent possible les critères d’identité, pourrait prendre sens. Dans cette logique, il importe de revenir à la définition du concept d’identité.

En effet, le terme identité a une origine latine : identitas, idem, qui signifie le même. Il est dans ce sens le caractère de deux objets de pensée identique, on peut ainsi parler de similitude ou de ressemblance. C’est ainsi qu’il est alors possible de parler d’identité entre une chose et une autre. Ceci dit, quel rapport le concept de nature a-t-il avec celui de raison ? Cette interrogation

nous renvoie à nouveau à cet exercice socratique qui impose de définir les termes avant toute discussion. Ce préalable nous amène à poser que le terme raison93 vient du latin ratio qui désignait à l’origine calcul, pour prendre ensuite le sens de faculté de compter, d’organiser et d’ordonner. On pourrait donc dire que la raison est en fait la faculté de calculer avec ordre et cohérence, ayant pour fin, le vrai. A partir de ces deux définitions, est-il possible d’établir un rapport entre les deux concepts ?

Il y a en effet un rapport entre nature et raison. Mais ce rapport repose surtout sur le facteur identitaire. Comme en logique et en mathématiques, c’est le raisonnement et la cohérence des propositions et des théories qui justifient leur validité. Ce qui détermine donc le rapport identitaire entre les concepts de nature et celui de raison, est sans doute leur cohérence et leur caractère logique, dans le sens où toutes deux visent le vrai. Dans l’état actuel des connaissances humaines sur la nature, seule sa cohérence et sa dynamique semblent perceptibles. Il en est de même pour la raison qui est parfois décriée parce qu’abstraite, mais dont la cohérence fait toujours l’unanimité. Cette seule similitude montre clairement qu’il y a bien des traits communs entre nature et raison. Outre cette caractéristique commune, il y a également celle qui concerne leur complexité.

En effet, la nature comme la raison échappent à une maîtrise totale. Elles sont imprévisibles, non comprises, et préservent la liberté de chacun. Même si chacune d’entre elles révèle sa singularité tant par sa constitution que par sa place dans la nature, leur manifestation par rapport à l’homme reste identique. Selon la rigueur des connaissances tirées de la philosophie (ontologie), il ressort qu’il est totalement impossible que deux choses soient fondamentalement identiques. Par essence, chaque chose serait en principe unique, si grandes soient les ressemblances. En fait, chaque chose est naturellement unique en son genre et possède en fonction de sa nature, un devenir qui lui est propre. Mais certaines similitudes entre les choses sont si frappantes, qu’il est possible d’affirmer qu’il existe des choses qui sont identiques.

Dire d’une chose qu’elle est identique à une autre est risqué, surtout que la science offre désormais des possibilités de vérification des faits par le biais de la génétique, qui dégage avec précision les gènes propres à chaque individu et restitue la place de chacun par rapport à sa provenance ou sa filiation. Toutefois, il arrive que la répétition, la constance94 et la cohérence des perceptions permettent de détecter et d’attribuer aux choses, certaines similitudes avérées, ce

93 Cf. Encyclopædia Universalis, Dictionnaire de la philosophie, Préface d’André Comte-Sponville ; Paris, Albin

Michel, 2000, p. 1563

94 L’accent est mis sur la constance à cause des ressemblances et des impressions relatives à ces choses, en des

qui conduit parfois à imaginer que des ressemblances s’enracinent dans une seule et même chose.

Par un raisonnement déductif, le rapport d’identité entre nature et raison laisse penser que les deux entités auraient une essence commune. Malgré les changements de l’une ou de l’autre qu’exercent sur eux les facteurs espace-temps, leur permanence demeure cependant. La comparaison des propriétés montre qu’il existe malgré tout, une unité de la ressemblance et une constance des représentations. Certes, il demeure des qualités intrinsèques propres à chaque entité, eu égard à leur spécificité individualisante95 qui caractérisent chacune d’entre elle. Mais la constance d’un même ensemble de propriétés entre ces deux entités, leur confère une identité qui est une sorte d’unité d’être. Peut-être existe-t-il entre la nature et la raison, des différences fondamentales ! Mais celles qui touchent à la fois leur unité qualitative et fonctionnelle semblent minces, ce qui nous permet de dégager aisément la permanence qui les caractérise.

Soulignons aussi que l’un des sens les plus forts de l’identité associe constitutivement unité et invariabilité. A travers la manifestation de la raison en l’homme, nature et raison dégagent la même force et visent un même but, atteindre le vrai. D’aucuns nous auraient sans doute objecté qu’il n’y a identité si et seulement si, en toutes circonstances, une entité reste qualitativement égale et numériquement une. Cela est totalement vrai. Parménide96, par exemple, partagerait cette acception de l’identité en se plaçant aux deux branches symétriques d’une même variation. Mais il ressort aussi que notre évaluation de l’identité peut être rendue possible grâce au fait que toute identité ne se limite pas nécessairement à un type d’identité numérique, mais qu’elle est aussi une identité selon le logos, à savoir par le biais de sa définition et de son essence. L’identité reposerait aussi sur des principes logiques, et donc de cohésion. D’ailleurs, les modalités du pneuma97 stoïcien en sont l’illustration la plus élaborée dans le cadre de la

philosophie grecque.

Notre analyse de l’identité nous est donc rendue possible, non par l’unité d’une forme identique (physiquement) entre la nature et la raison, mais par la réalité de leur force intérieure qui autorégule leur fonctionnement. Cette analyse ne saurait se faire par le biais d’une identité numérique parce qu’il nous semble impossible de quantifier avec exactitude, ni les éléments constitutifs de la nature, ni ceux qui caractérisent la raison. De la même manière, il nous semble impossible de quantifier toutes les molécules d’eau qui forment un fleuve ou toutes les molécules

95 La qualité individualiste est l’une des catégories stoïciennes.

96 Afin de préserver l’identité de l’être, Parménide nie et réfute toute diversité et tout changement.

97 Pneuma est un terme grec qui signifie à la fois vent et esprit. Dans ses multiples dialogues et en particulier dans le

Phédon (112b), Platon l’utilise de manière indifférente comme vent du monde et comme souffle d’un être vivant. Mettant une fois de plus son maître, Socrate, en scène, il laisse entendre qu’il y a une similitude entre le corps dont l’homme est dépositaire, et le corps cosmique dans lequel il vit.

d’air qui circulent dans la nature. Toutefois, la persistance du substrat qui les caractérise demeure un facteur important de similitude car, comme la nature, la raison a un caractère universel et grâce à elle, l’humanité devient conscience et désir.

Dans sa spécificité, la raison est une propriété naturelle propre à tout être humain. Elle est une disposition naturelle qui devient plus importante avec la culture et tout ce qui caractérise l’homme telle que l’éducation, la formation et le désir de vérité. La raison est pour l’homme une sorte de berceau naturel qui serait la chose la mieux partagée par l’humanité. Lorsque Descartes affirmait dans son Discours de la méthode que le bon sens était la chose au monde la mieux partagée, c’est parce qu’il lui était certain, qu’il ne saurait y avoir de bon sens sans l’existence de la raison en l’homme. En réalité, seule une subtilité langagière parvient à distinguer raison et bon sens. Néanmoins, il conviendrait de préciser que même si la raison est présente en tout homme, le bon sens est l’application méthodique des possibilités qu’offre la raison. L’usage méthodique de la raison suscite l’intelligence qui permet en retour, de la conduire méthodiquement en mettant en valeur sa puissance de jugement. C’est bien là qu’intervient le bon sens.

L’être de raison, guidé par le bon sens, a la capacité de distinguer le vrai du faux. Nous savons que même pourvu de raison, l’homme conduit diversement ses idées, mais il semble que tous les hommes dotés de raison doivent logiquement avoir un but commun : la recherche du Bien. Viser le bien est un acte naturellement imprimé en l’homme parce qu’il est fondamentalement raison. Rechercher le Bien c’est servir la nature, c’est être en cohésion avec elle. Cette capacité humaine de s’épanouir à travers l’exercice de la raison, est un aspect très important qui marque avec force les traits communs qui caractérisent l’identité nature/raison. L’élément moteur de cet épanouissement interne repose sur leur capacité à s’autoréguler sans forces extérieures. La nature s’exécute par une force intérieure matérialisée par le fait d’une harmonisation des contraires, alors que la raison accède à cette autorégulation par l’acquisition de la culture.

En somme, nature et raison forment dans leur individualité de véritables forces cohérentes et vivantes. Elles sont en quelque sorte des totalités dynamiques et vivantes douées de subjectivité, de spontanéité et de liberté. En elles, l’homme fonde son idéal de vie qui lui permet de sortir d’une certaine ignorance, par rapport à son état de connaissances sur la nature. Par la lumière intérieure de la raison, l’homme est capable d’actions hautement raisonnables. Même s’il est vrai que tout homme raisonnable n’échappe pas aux erreurs, il est cependant capable de les réduire considérablement par le truchement de la raison.

Un choix effectué par un homme raisonnable, reste le meilleur choix possible par rapport au but poursuivi car la raison lui permet de s’affranchir de toute forme d’aversions morales et

spirituelles. L’état actuel des connaissances humaines, tant sur la nature que sur la raison elle- même, nécessite une critique sur l’action à mener, afin de lutter contre l’inertie de l’esprit et les préjugés scientifiques, ainsi que leur conformisme totalitaire. Toute action raisonnable doit être fondée sur la correction des erreurs du vécu de nos expériences, et des pratiques susceptibles d’éveiller l’esprit humain. L’action raisonnable doit donc être motivée par des faits concrets, inspirés par le goût de la vérité. La nature en tant que raison est raisonnable, parce qu’elle est indubitablement le siège de la vérité cachée. Le raisonnable se constate en l’homme par la recherche de l’action droite voulue par son bon sens. L’esprit humain doit être le siège du bon sens qui s’active naturellement par la pratique et le développement de la raison.

Par leur manifestation et leur impact sur l’homme, la nature et la raison sont des valeurs absolues qui favorisent des conduites humaines saines et responsables. Ces valeurs créent en l’homme une sorte d’idéalité, de déterminisme et de nécessité. Elles sont absolues parce qu’elles sont le recours et le fondement ultime de tout ce qui est, et de tout ce qui s’énonce, en l’exprimant de façon équivalente. Chacune d’entre elles manifeste la polarité constitutive des couples subjectivité/objectivité, liberté/nécessité, et idéalité/réalité. Elles suscitent le rêve et promettent le bonheur, elles ont été le siège du mythe et réhabilitent le juste.

Des deux, la nature se présente comme la valeur cardinale parce qu’elle est à la fois identité du sujet et de l’objet, du fini et de l’infini, de la liberté et de la nécessité : c’est l’absolu dans sa plénitude. Ce statut lui est conféré parce que la nature est le fondement de toute chose, c’est-à-dire de tout ce qui est. La nature englobe donc la raison humaine, mais s’exprime de façon équivalente dans la recherche du Bien et du Vrai. Dans ce sens, la nature doit être comprise comme élément moteur, c’est-à-dire comme unité indifférenciée et comme détermination. Elle est pour ainsi dire le lieu de la manifestation de toute chose puisqu’elle se réalise comme étant la source d’inspiration de la raison. Mais comment se manifeste-t-elle en l’homme comme raison ? Il semble juste de penser que c’est par son omnipotence qu’elle pénètre et se dissimile en l’homme. La nature se révèle en lui comme condition indispensable de ce qui est. Dissimulée dans l’esprit humain, elle éclaire l’homme et se manifeste par la lumière de la raison. C’est ainsi que la raison devient une sorte de nature invisible et par conséquent, la nature se pose comme manifestation d’une raison visible. C’est donc un même sujet qui se pose en des lieux et à des puissances différents, d’abord comme nature, ensuite comme moi. Il y a ainsi une nature commune à ces deux entités, qui se caractérisent par une auto-affirmation. La nature peut donc être considérée comme fondement de toute chose, car elle établit des liens indissolubles avec la raison qui devient alors la condition indispensable à sa compréhension.

La réalité identitaire entre nature et raison semble manifeste, car en prenant pour illustration les initiations rituelles qui marquent le passage à l’âge adulte chez certains peuples africains tels que ceux du Gabon et d’Afrique du Sud, les forces en présence ont toujours été la nature et la raison humaine qui se manifestent par l’esprit. En effet, lorsque s’effectue un exercice ésotérique et spirituel, les forces mises à l’épreuve sont la nature et la raison (ainsi qu’une bonne dose de croyances animistes) comme instances supérieures. Sur le plan matériel, l’essentiel du savoir et des outils utilisés proviennent plus des secrets tirés des forces de la nature. La pratique initiatique se fait de manière consciente ou inconsciente, du fait d’une collaboration permanente entre les entités sollicitées, flirtant ainsi avec le fini et l’infini. Originairement unies dans l’absolu, la nature et la raison sont comme des parties d’un organisme, qui n’ont d’existence que dans un Tout-vivant, mais s’exerçant dans leur singularité rationnelle.

Cela dit, la question d’identité entre nature et raison ne saurait avoir un pôle totalement

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