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La politique de l'urgence : effets et conséquences des catastrophes sur la dynamique électorale

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Texte intégral

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La politique de l’urgence : effets et conséquences des

catastrophes sur la dynamique électorale

Thèse

Charles Tessier

Doctorat en science politique Philosophiæ doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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La politique de l’urgence : effets et conséquences des

catastrophes sur la dynamique électorale

Thèse

Charles Tessier

Sous la direction de:

Marc André Bodet, directeur de recherche François Gélineau, codirecteur de recherche

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Résumé

Cette thèse porte sur l’impact des catastrophes naturelles sur les comportements électoraux. Deux aspects du comportement des électeurs y sont étudiés : le vote rétrospectif et la partici-pation électorale. Le vote rétrospectif réfère à la capacité des électeurs à évaluer la performance de leurs élus en vue de les récompenser ou les punir. Mais les conséquences psychologiques et matérielles sur les victimes lors de catastrophes naturelles peuvent-elles être suffisantes pour faire dérailler l’électeur rationnel au profit d’un électeur plus émotif ? Les électeurs sinistrés punissent-ils aveuglément leurs élus, ou basent-ils leur choix sur des critères de performance plus rationnels ? En ce qui concerne la participation électorale, nous confrontons la vision purement économique du vote à celle du devoir civique. Les catastrophes naturelles ont-elles un impact à la hausse sur les couts du vote ou renforcent-elles plutôt le devoir civique des électeurs ? Il est difficile de répondre à ces questions en se basant sur la littérature scienti-fique actuelle sur le sujet puisqu’elle présente des résultats contradictoires. La majorité des analyses s’entendent sur la présence de liens statistiques entre les catastrophes naturelles et les comportements électoraux, mais pas sur le sens de ces relations. Toutefois, les études se penchant sur ces questions proviennent principalement des États-Unis et se basent sur des devis observationnels. L’objectif de cette thèse est d’étudier ces questions tout en corrigeant ces deux limites. Les deux comportements mentionnés précédemment y seront étudiés dans différents contextes de sinistres canadiens, présentés dans les trois chapitres qui composent cette thèse. Le premier se penche sur la crise du verglas de 1998 au Québec ; le second, sur cinq tornades ayant eu lieu entre 2009 et 2011 en Ontario ; le troisième est une analyse com-parative du déluge du Saguenay de 1996 et des inondations de 2013 à Calgary. La nature exogène et imprévisible de ces évènements a permis d’élaborer des expériences naturelles, un type de devis dont la crédibilité des résultats s’approche de celle d’une expérience classique. Les analyses sont effectuées au niveau des sections de vote, soit le plus petit niveau d’agréga-tion disponible. En croisant les données géographiques disponibles sur les désastres avec celles des sections de vote, il est possible de déterminer les sections ayant été sinistrées et celles ayant été épargnées et de comparer l’appui aux élus et la participation entre les deux groupes. Les résultats indiquent qu’un effet est parfois observable, mais que dans la majorité des cas, aucun lien statistique n’est observable entre les catastrophes naturelles et les comportements des électeurs. Ces résultats vont donc à l’encontre de la majorité du corpus de littérature sur

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Abstract

This dissertation investigates the impact of natural disasters on electoral behaviours. Two aspects of voters’ behaviour are studied: retrospective voting and electoral turnout. The former refers to the phenomena by which voters evaluate their elected officials’ performance in office in order to punish or reward them on election day. But, are psychological and material consequences of natural disasters enough to transform a rational voter into a more emotional one? Do victims of such events blindly punish their elected officials, or do they use more objective performance criteria? Regarding turnout, the economic view is set against the civic duty perspective. Are the increased cost of voting engendered by disasters enough to keep voters at home, or do such event drives more people to the poll by fostering their civic duty? Scientific literature does not provide clear answers to these questions because of the many conflicting results achieved by the different studies. Still, almost every one of them agrees in the presence of a relationship between disasters and electoral behaviour, even though they do not agree on its direction. However, most of these studies are US based and use observational data. The objective of this dissertation is to study this topic while addressing these two limits. The two behaviours previously mentioned will be studied in different Canadian disaster contexts and presented in the three main chapters of this dissertation. The first looks at the 1998 ice storm in Québec; the second, at five tornadoes that hit Ontario between 2009 and 2011; the third, at the 1996 and 2013 floods in Saguenay and Calgary. The exogenous and unpredictable nature of these events has allowed the elaboration of natural experiments, a method that produces results with a level of evidence almost as high as a randomized controlled trial. The analyses use data from the polling divisions, the lowest available level of aggregation. By combining geographic data from the disasters with those from the polling divisions, it is possible to identify which divisions were affected and which ones were spared. Then, support for the incumbent and turnout can be compared between these two groups. The results indicate that even though a relationship is sometimes observable, in most cases disasters have no effect on electoral behaviours. This conclusion disagrees with most of the literature on the topic.

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Table des matières

Résumé iii

Abstract v

Table des matières vi

Liste des tableaux viii

Liste des figures ix

Remerciements xii Avant-propos xv Introduction 1 0.1 Problématique . . . 2 0.2 Revue de la littérature . . . 3 0.3 Cadre analytique . . . 32

0.4 Plan des chapitres . . . 42

1 La crise du verglas de 1998 au Québec 44 1.1 La crise du verglas de 1998 . . . 46

1.2 Désastres naturels et comportements politiques . . . 47

1.3 Stratégie de vérification . . . 51

1.4 Données . . . 53

1.5 Analyses et résultats . . . 56

2 Les tornades en Ontario entre 2008 et 2012 71 2.1 Vote rétrospectif et participation électorale . . . 72

2.2 Données et stratégie empirique . . . 75

2.3 Résultats . . . 82

2.4 Échantillons élargis . . . 90

2.5 Discussion . . . 92

3 Le déluge du Saguenay de 1996 et les inondations de 2013 à Calgary 95 3.1 Désastres naturelles et comportements électoraux . . . 97

3.2 Les cas. . . 99

3.3 Catastrophes et expériences naturelles . . . 102

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3.5 Résultats . . . 107 3.6 Discussion . . . 112 Conclusion 115 Annexe A 123 Annexe B 133 Bibliographie 140

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Liste des tableaux

1.1 Sections de vote en panne selon l’échantillon - Provincial . . . 59

1.2 Test d’équilibre prétraitement - Provincial . . . 60

1.3 Test de variable placebo - Provincial . . . 61

1.4 Analyses d’intérêt - Provincial. . . 61

1.5 Sections de vote en panne selon l’échantillon - Fédéral . . . 63

1.6 Test d’équilibre prétraitement - Fédéral . . . 64

1.7 Test de variable placebo - Fédéral. . . 64

1.8 Analyses d’intérêt - Fédéral . . . 65

2.1 Échelle de Fujita améliorée . . . 76

2.2 Section de votes par circonscription - Provincial . . . 82

2.3 Tests diagnostics (échantillon aveugle) - Provincial . . . 84

2.4 Analyses d’intérêt (échantillon aveugle) - Provincial. . . 84

2.5 Tests diagnostics (échantillon rationnel) - Provincial . . . 85

2.6 Analyses d’intérêt (échantillon rationnel) - Provincial . . . 85

2.7 Sections de vote par circonscription - Fédéral . . . 86

2.8 Tests diagnostics (échantillon aveugle) - Fédéral . . . 88

2.9 Analyses d’intérêt (échantillon aveugle) - Fédéral . . . 88

2.10 Tests diagnostics (échantillon rationnel) - Fédéral . . . 89

2.11 Analyses d’intérêt (échantillon rationnel) - Fédéral . . . 89

2.12 Synthèse des diagnostics et des résultats (échantillons restreints) . . . 93

3.1 Tests diagnostics - Saguenay. . . 108

3.2 Échantillon jumelé - Saguenay. . . 108

3.3 Tests diagnostics (échantillon jumelé) - Saguenay . . . 108

3.4 Analyses d’intérêt (échantillon jumelé) - Saguenay . . . 109

3.5 Tests diagnostics - Calgary . . . 110

3.6 Échantillon jumelé - Calgary . . . 111

3.7 Tests diagnostics (échantillon jumelé) - Calgary . . . 111

3.8 Analyses d’intérêt (échantillon jumelé) - Calgary . . . 112

4.1 Synthèse des diagnostics . . . 118

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Liste des figures

0.1 Vote rétrospectif et catastrophes - Mécanisme rationnel . . . 21

0.2 Vote rétrospectif et catastrophes - Mécanisme aveugle . . . 24

0.3 Équilibre du vote . . . 27

0.4 Désastres et coûts . . . 27

0.5 Désastres et devoir civique. . . 29

0.6 Exemple - Logique de Keele et Titiunik . . . 36

1.1 Secteurs touchés pendant la crise du verglas . . . 52

1.2 Circonscriptions provinciales sélectionnées . . . 55

1.3 Circonscriptions fédérales sélectionnées . . . 56

1.4 Sections touchées et échantillons - Provincial . . . 58

1.5 Sections touchées et échantillons - Fédéral . . . 63

2.1 Sections de vote par circonscription - Provincial . . . 83

2.2 Sections de vote par circonscription - Fédéral . . . 87

3.1 Exemples fictifs - Niveau de crédibilité . . . 106

3.2 Échantillon - Saguenay . . . 107

3.3 Échantillon - Calgary. . . 110

A1 Diagnostics - Échantillon élargi de Beauharnois-Huntingdon (Provincial) . . . . 124

A2 Résultats - Échantillon élargi de Beauharnois-Huntingdon (Provincial) . . . 125

A3 Diagnostics - Échantillon élargi d’Iberville (Provincial) . . . 126

A4 Résultats - Échantillon élargi d’Iberville (Provincial) . . . 127

A5 Diagnostics - Échantillon élargi de Brome-Missisquoi (Provincial) . . . 128

A6 Résultats - Échantillon élargi de Brome-Missisquoi (Provincial) . . . 129

A7 Diagnostics - Échantillon élargi de Saint-Hyacinthe-Bagot (Fédéral). . . 130

A8 Résultats - Échantillon élargi de Saint-Hyacinthe-Bagot (Fédéral) . . . 131

A9 Diagnostics - Échantillon élargi de Brome-Missisquoi (Fédéral) . . . 132

A10 Résultats - Échantillon élargi de Brome-Missisquoi (Fédéral) . . . 132

B1 Diagnostics - échantillon provincial élargi (aveugle) . . . 133

B2 Résultats - échantillon provincial élargi (aveugle) . . . 134

B3 Diagnostics - échantillon provincial élargi (rationnel) . . . 135

B4 Résultats - échantillon provincial élargi (rationnel) . . . 136

B5 Diagnostics - échantillon fédéral élargi (aveugle) . . . 137

B6 Résultats - échantillon fédéral élargi (aveugle) . . . 138

B7 Diagnostics - échantillon fédéral élargi (rationnel) . . . 139

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À mon père et à ma mère, grâce à qui tout cela est possible

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« Decisions are made by those who show up ».

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Remerciements

La rédaction de cette thèse aurait été impossible sans le support indéfectible de celles et ceux qui m’ont accompagné tout au long des cinq années qu’a duré mon parcours de doctorat. Mes premiers remerciements vont à mes deux directeurs de thèse, François Gélineau et Marc André Bodet. Grâce à eux, ces années passées à l’Université Laval ont été parmi les plus sti-mulantes et les plus agréables de ma vie. Je n’aurais pu espérer travailler avec des professeurs plus disponibles et plus généreux. Ils m’ont offert, grâce à leur soutien, des expériences que peu d’étudiants au doctorat ont la chance d’avoir. Ils ont transformé l’étudiant que j’étais au départ en chercheur et je leur en serai éternellement reconnaissant. Je me dois aussi de remercier Éric Montigny que je considère comme mon troisième directeur de recherche, même si son nom n’apparait pas au côté des deux premiers. Mon expérience au doctorat n’aurait pas pu être aussi positive sans son appui constant et sa générosité. Nos nombreuses discussions et son ouverture à partager sa vaste expérience politique m’ont donné l’occasion d’approfondir ma compréhension des phénomènes politiques bien au-delà du cadre scientifique, et ce, comme personne d’autre n’aurait pu le faire. Cette rencontre justifie à elle seule le choix de l’Université Laval pour faire mon doctorat.

Mon passage au doctorat a également été marqué par de multiples rencontres sans lesquelles je n’aurais pas autant apprécié mon passage à Québec. Je dois d’abord remercier tous les chairistes qui m’ont si bien accueilli à mon arrivée et qui sont rapidement devenus plus que de simples collègues, mais de véritables amis. Je remercie particulièrement Joëlle et Rebecca pour les nombreux lundis, Andrée-Anne pour sa patience après 16h30, Guillaume pour avoir crié du Tina Turner avec moi et Benjamin pour son talent indéniable à Tetris. J’ai aussi une pensée bien spéciale pour Yannick et Mickael, deux rencontres exceptionnelles tant sur le plan professionnel que personnel. Bien malgré elles, toutes ces personnes ont été les gardiennes de ma santé mentale pendant toutes ces années et je leur en suis reconnaissant.

La vie d’étudiant au doctorat ne laisse pas toujours beaucoup de temps pour les amis, par-ticulièrement ceux qui habitent à plus de 250 km. J’aimerais remercier Alexandre, Michael et Rémi pour leur amitié, qui dure maintenant depuis de nombreuses années, même si dans

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certaines périodes, on peut compter sur les doigts d’une main les fois où nous nous sommes vues. J’ai aussi une pensée pour Yasmine et Dereck qui ont toujours accepté de m’accueillir chez eux lorsque j’étais en visite dans la grande ville, et que j’apprends maintenant à connaître avec grand bonheur. Merci aussi à Émilie, qui a parsemé les dernières années de concerts de Bryan et de marathons cinématographiques. En étant au doctorat elle aussi, elle était dans une position idéale pour véritablement comprendre ce que je vivais, ce qui rendait sa présence dans ma vie d’autant plus essentielle.

J’aimerais aussi remercier les collègues doctorants et postdoctorants que j’ai côtoyés à un mo-ment ou à un autre de mon parcours et qui constituent selon moi le cœur de l’expérience pro-fessionnelle du troisième cycle. À cet égard, je désire signaler l’apport particulier de Stéphanie, sans qui la préparation pour mon examen rétrospectif aurait été beaucoup plus douloureuse et pour avoir élargi mes horizons scientifiques. Je m’en voudrais aussi de ne pas mentionner Alexandre, Audrey, Katherine et Philippe, sans qui les conférences et congrès auxquels j’ai assisté auraient été beaucoup plus ennuyeux.

Merci au département de Science politique de l’Université Laval et tous ses membres de m’avoir si bien accueilli. J’aimerais particulièrement remercier le personnel administratif – Louise, Su-zanne, Amélie et Virginie – dont le travail est essentiel à la bonne marche du département. Sans leur contribution, je ne pourrais pas déposer cette thèse aujourd’hui.

Cette thèse a été rendue possible grâce au support financier du Fonds de recherche du Québec – Société et culture, au département de Science politique de l’Université Laval, au Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique ainsi qu’à la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires. C’est grâce à ces organismes que j’ai pu me consacrer entière-ment à la rédaction de ma thèse et que j’ai eu la chance de perfectionner ma formation dans plusieurs écoles d’été.

Cette thèse de doctorat est le fruit d’un long parcours universitaire qui a débuté à l’Univer-sité de Sherbrooke où j’ai également fait des rencontres qui ont été déterminantes pour ma trajectoire universitaire. Je dois beaucoup à Eugénie et Jean-Herman de m’avoir initié aux statistiques et à la recherche. Sans eux, je ne complèterais pas cette thèse aujourd’hui. J’ai aussi une pensée pour Isabelle qui m’a offert les expériences professionnelles les plus stimu-lantes de ma courte carrière.

J’aimerais remercier mes parents, Sylvie et Daniel, pour leur appui indéfectible et leur amour inconditionnel. Je leur dois beaucoup et c’est grâce à eux si j’en suis à écrire ces remerciements aujourd’hui. Merci également à ma petite sœur, Laurence, que je n’échangerais pour rien au

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monde.

En terminant, merci, Cindy d’avoir pris la folle décision de me suivre à Québec, loin de ta famille et de tes amis. Merci d’avoir été à mes côtés tout a long de cette aventure, qui n’était pas la tienne. Merci pour ta patience et pour ta compréhension. Je n’oublierai jamais les sacrifices que tu as fait pour me permettre de poursuivre mes objectifs professionnels.

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Avant-propos

Contrairement à plusieurs de mes collègues, je n’avais pas d’idée de thèse précise en tête lors de mon entrée au doctorat, à part le fait qu’elle concernerait les comportements électoraux. Trouver un sujet n’a pas été une tâche facile, surtout que je souhaitais m’éloigner des données de sondages et des modèles de régression fréquentistes qui pavent les sentiers battus de l’étude des comportements électoraux. J’ai toujours eu un intérêt marqué pour les méthodes et j’ai donc investi beaucoup de temps et d’effort pendant mon doctorat pour développer mes compé-tences dans des méthodes novatrices. Donc, en plus de trouver un sujet original, je souhaitais pouvoir mettre certains de ces outils à profit pour ma thèse.

Je dois remercier mon directeur, Marc-André Bodet, à qui je dois le sujet sur lequel j’ai arrêté mon choix. À l’époque, il commençait un projet sur les impacts politiques des inondations de 2013 à Calgary et, sachant que j’étais à la recherche d’un sujet de thèse, il a porté cette question à mon attention. Comme toute personne qui fait une thèse de doctorat, j’ai arrêté de compter le nombre de fois qu’on m’a demandé quel était le sujet de ma thèse. Je doute cependant que tous les doctorants aient reçu autant d’expression de surprise que moi, autant de la part de gens du milieu que de l’extérieur. J’ai donc su rapidement qu’il s’agissait d’un sujet original. Surtout, cette thèse est la culmination des apprentissages méthodologiques que j’ai faits au cours des dernières années. Elle inclut un triumvirat de méthodes qui comprend un devis d’expérience naturelle, des statistiques bayésiennes et des outils de Geographic In-formation System. Je me dois de remercier mes directeurs pour leur ouverture à cet égard. Finalement, il est utile de noter que les trois chapitres composant le développement principal de cette thèse sont en fait trois manuscrits d’articles scientifiques dont je suis le seul auteur. Présentés ici pour la première fois, ils seront prochainement soumis à des revues scientifiques.

Bonne lecture !

Charles Tessier Août 2017

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Introduction

En janvier 1998, le nord-est de l’Amérique du Nord connait un épisode de verglas sans pré-cédent. Le Québec n’est pas épargné et reçoit, entre le 4 et le 10 janvier, environ 100mm de précipitation de glace. Des milliers de poteaux de pylônes s’effondrent sous le poids de la glace, décimant ainsi le réseau électrique du sud de la province. En plein mois de janvier, plus de 3 millions de Québécois sont privés de courant (Lecomte et al., 1998). Durant cette crise, qui durera près d’un mois, la performance du gouvernement du Québec est encensée. Le premier ministre Lucien Bouchard participe à des conférences de presse quotidienne en compagnie du président directeur général d’Hydro-Québec. Il prend personnellement le contrôle des opéra-tions et transforme son bureau de Montréal en centre de crise. La cote de popularité du premier ministre monte en flèche et le taux de satisfaction à son égard atteint 82% en plein coeur de la crise (Paré,1998;Pineau,1998). Sa présence et son charisme lui permettent de rassurer la population malgré les événements. Il est l’homme du moment au Québec (Lévesque,2008).

Cette situation ne plait cependant pas à tous. Avec des élections générales en vue, les adver-saires du Parti québécois ne voient pas cette performance d’un très bon oeil. Jean Chrétien, premier ministre du Canada à l’époque, hésite à quitter le pays de peur de laisser tout le crédit au premier ministre souverainiste. Même constat au sein du Parti libéral du Québec, dont le chef est critiqué pour ne pas s’être servi de cette situation pour malmener le gouvernement (Lévesque, 1998). Bref, ses adversaires craignent que le gouvernement du PQ profite de sa performance durant la crise du verglas aux élections suivantes.

Pourtant, l’élection de novembre 1998, qui se déroule quelques mois à peine après les événe-ments, ne confirme pas leur crainte. En fait, même si le Parti québécois remporte une majorité de sièges, il recule de presque deux points de pourcentage par rapport à sa performance de 1994 (Le directeur général des élections du Québec, 2016a). Il obtient même moins de votes que le PLQ. À première vue, le gouvernement semble avoir été puni.

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0.1

Problématique

Quelle signification ou importance devons-nous accorder à de tels résultats ? Il ne s’agit bien sûr que d’un exemple, mais ce type de réaction des électeurs ne doit pas être pris à la légère considérant la place centrale qu’occupe le vote dans les démocraties représentatives. Deux as-pects du comportement des électeurs sont d’ailleurs considérés comme étant particulièrement importants. Le premier aspect concerne la fonction de contrôle des élus que permettent les élections (Sullivan et O’Connor,1972). C’est par le mécanisme électoral que les élus sont im-putables devant la population. Or, pour être en mesure de véritablement contrôler leurs élus, les citoyens doivent d’abord évaluer leur performance. Cet aspect du comportement électoral est connu sous le nom du vote rétrospectif (Key,1966). Si les citoyens ne sont pas en mesure de porter un jugement adéquat, la fonction même de l’élection est remise en question.

Le deuxième élément pertinent ici concerne la participation électorale. L’organisation d’élec-tions par le pouvoir politique est une chose, mais encore faut-il que les citoyens participent à l’exercice. Plusieurs facteurs lors de la crise du verglas auraient pu compliquer la tâche des électeurs souhaitant exercer leur droit de vote. D’abord, les nombreux dommages ont pu compliquer pendant plusieurs mois les déplacements dans plusieurs municipalités. Le coût d’acquisition de l’information nécessaire au vote a aussi pu considérablement augmenter pour les électeurs sinistrés. En fait, comme le souligneAldrich(1993), même de très faibles augmen-tations du coût de voter peuvent avoir des conséquences importantes sur la participation. Un taux de participation trop faible est un sérieux problème en démocratie. D’une part, un faible taux de participation implique des inégalités dans l’influence politique en faveur des électeurs qui ont généralement une position sociale enviable (Lijphart, 2008). D’autre part, dans les démocraties libérales, les élus tirent leur autorité du peuple, qui consent à cette délégation par des élections compétitives (Nash et Scott, 2004). Une baisse significative du taux de partici-pation peut donc fragiliser la légitimité des élus et, par le fait même, celle du système en entier.

L’exemple évoqué est géographiquement limité et ne représente donc pas à lui seul un problème pour la démocratie. Néanmoins, les catastrophes naturelles sont des événements fréquents. En effet, 248 catastrophes de tout genre ont été recensées au Canada entre 2000 et 2014 ( Sécu-rité publique Canada,2014). En plus de leurs fréquences, certaines peuvent toucher un grand nombre d’individus et avoir un potentiel de sinistre élevé. Dans ces circonstances, il convient de se demander : les catastrophes peuvent-elles affecter le comportement politique des citoyens en altérant leur jugement et en modifiant leur participation électorale ?

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0.2

Revue de la littérature

Cette section présentera une revue de la littérature qui permettra de brosser un portrait de l’état actuel des connaissances sur les deux sujets qui seront abordés dans le cadre de cette thèse, soit la théorie du vote rétrospectif ainsi que la participation électorale.

0.2.1 Le vote rétrospectif

L’étude des comportements électoraux, plus spécifiquement du choix électoral, occupe une place importante dans la recherche en science politique, principalement à cause de l’impor-tance de l’acte du vote dans nos démocraties. La théorie du vote rétrospectif est digne d’intérêt à cet égard puisqu’elle possède un aspect normatif fort sur la manière de se comporter en dé-mocratie. Cette théorie, telle qu’élaborée à l’origine par Key (1966), renvoie à une image idéalisée de l’électeur qui, pour faire son choix électoral, se base sur la performance du candi-dat sortant. Ce qu’il appelle le reward/punishement hypothesis postule que les élus ayant une bonne performance sont récompensés en étant reconduit à leur poste alors que ceux avec une mauvaise performance sont punis en étant remplacés par un autre candidat. Downs (1957) et Fiorina (1981) ont élaboré une variante du vote rétrospectif dans laquelle, plutôt que de mettre l’accent sur le reward/punishement hypothesis, les électeurs se servent des performances passées des élus comme un guide leur permettant de prévoir leurs actions futures. L’évalua-tion rétrospective, de ce point de vue, serait à finalité prospective. Le point commun entre ces deux visions réside dans le fait qu’une mauvaise performance d’un élu peut se traduire par une baisse d’appuis. Pour certains, ce comportement pourrait inciter les élus à porter atten-tion aux intérêts de leurs électeurs (Ferejohn, 1986). Ce comportement joue un rôle clé dans l’imputabilité des élus, un aspect central du fonctionnement démocratique (Ashworth,2012;

Besley,2006). Cette théorie est donc à la base du fonctionnement démocratique tel que nous le concevons dans les démocraties avancées.

Performance et vote

Puisque le concept de performance est en soi plutôt vague, la première question qu’il convient de se poser est de savoir comment évaluer la performance des élus. À cet égard, le vote éco-nomique est la théorie ayant suscité le plus d’attention (Healy et Malhotra, 2013). Le vote économique est l’application du vote rétrospectif aux indicateurs de performance économique. Selon les tenants de cette approche, les électeurs se basent sur la performance économique pour juger de la performance des élus et utilisent ensuite cette information pour faire leur choix électoral (Mueller, 1970; Kramer,1971;Erickson, 1989). Ils agiraient ainsi parce qu’en tant qu’acteurs rationnels, les électeurs souhaitent sélectionner les gestionnaires les plus compé-tents. Or, ils considèrent que se baser sur l’état de l’économie permet d’évaluer les compétences

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économiques des candidats (Alesina et Rosenthal, 1995). Ce facteur serait si important que, même en présence d’autres mesures de performance ou d’autres enjeux, les électeurs accor-deraient plus d’importance à la situation économique (Lewis-Beck et Stegmaier, 2000). Au niveau agrégé, de nombreuses études ont identifié un lien empirique entre les variations de certains indicateurs macro-économiques et l’appui aux élus. Aux États-Unis, des relations ont été identifiées, entre autres, avec le taux de chômage (Mueller, 1970; Fair, 1978; MacKuen,

1983;Hibbs Jr.,1982;Books et Prysby,1999), l’inflation (Kenski,1977;Kernell,1978;Monroe,

1978;Hibbs Jr.,1982;MacKuen,1983;Norpoth,1984) et le revenu disponible (Kramer,1971;

Bloom et Price, 1975; Hibbs Jr., 1982; Abramowitz et Segal, 1986; Lanoue, 1987; Erickson,

1989).

D’un point de vue comparatif, selonDuch et Stevenson(2008), même si la magnitude de l’effet diffère entre les contextes, il n’y a pas de variation dans sa nature. Une étude comparative de

Gélineau (2013) démontre également que ce phénomène ne se limite pas aux démocraties éta-blies, mais s’observe également dans les pays en voie de développement. Les résultats obtenus par Anderson et Stephenson (2010) sur les élections canadiennes confirment la présence du vote économique au Canada. Leurs analyses, portant sur les élections fédérales entre 1968 et 2006, confirment l’effet du taux de chômage sur l’appui aux gouvernements canadiens sortants.

Bélanger et Gélineau (2010) confirment également qu’une mauvaise performance économique peut miner les résultats des élus fédéraux au Canada, particulièrement ceux des élus conserva-teurs. Finalement, une étude deBélanger et Gélineau(2011) sur l’élection québécoise de 2008 confirme aussi la présence de vote économique dans la province.

Néanmoins, inférer des comportements individuels à partir de données agrégées comporte le risque de faire des erreurs écologiques (Lancaster et al., 2006). L’analyse de données indivi-duelles est donc essentielle pour faire de telles inférences. L’analyse de ces données a permis d’isoler deux mécanismes par lesquels la performance économique se traduit par une modifica-tion du comportement électoral. Le premier, le vote égocentrique, réfère à des comportements plutôt individualistes. Les électeurs qui l’adoptent se basent sur leurs perceptions de leur situa-tion économique individuelle pour évaluer la performance de l’économie. SelonFiorina(1981), il s’agit d’un raccourci qui permet aux électeurs de porter un jugement sur la performance de l’économie au niveau macro, malgré la complexité de la tâche. Le deuxième mécanisme, le vote sociotropique, est un comportement plus altruiste. Les électeurs fonctionnant avec ce comportement répondent plutôt aux événements ou aux indicateurs macro-économiques. Ils basent leur évaluation sur leur perception de l’état global de l’économie plutôt que sur leur situation personnelle (Kinder et Kiewiet,1979,1981).

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Kie-wiet, 1983; Markus, 1988). L’utilisation de l’un ou l’autre de ces mécanismes dépend, entre autres, de certaines caractéristiques individuelles. Par exemple, Gomez et Wilson (2001) af-firment que les électeurs plus sophistiqués ont plus de chance d’utiliser le vote égocentrique puisqu’ils sont plus à même de faire le lien entre leur situation économique personnelle et les politiques gouvernementales, alors que les individus moins sophistiqués ont plus de chance d’utiliser le vote sociotropique. L’opinion des électeurs concernant la responsabilité de leur si-tuation financière personnelle est aussi un facteur pertinent puisque ceux qui considèrent que les politiques gouvernementales ou les conditions macro-économiques sont responsables de leur situation financière auraient plus tendance à utiliser le vote égocentrique (Lau et Sears,1981;

Feldman,1982;Abramowitz et al.,1988). D’autre part, la socialisation des individus ou leurs différentes expériences économiques peuvent influencer l’utilisation de l’un ou l’autre des deux mécanismes. Par exemple,Welch et Hibbing(1992), dans le cadre d’une étude sur l’application du vote économique par différents groupes, ont démontré que les femmes ont moins de chances d’utiliser le vote égocentrique.Weatherford(1983) cite également la sévérité des conséquences personnelles du cycle macro-économique comme facteur pouvant influencer le mécanisme. Fi-nalement, des preuves empiriques de vote sociotropique ainsi que de vote égocentrique ont aussi été confirmées dans le cas canadien (Anderson et Stephenson,2010)

Des études empiriques individuelles ont aussi été en mesure de mettre en lumière un autre mécanisme du vote économique qu’il convient de souligner, l’évaluation prospective des can-didats. Ainsi, certains électeurs vont plus loin que seulement considérer la performance des élus, ils tiendraient aussi en compte la compétence des autres candidats à gérer l’économie (Bélanger et Gélineau, 2011; Sanders, 1999; Bélanger et Meguid, 2008). En conformité avec les modèles de Downs (1957) et de Fiorina(1981), certains résultats confirment que l’évalua-tion rétrospective entre en ligne de compte dans l’évalual’évalua-tion prospective. Mais, les électeurs sont aussi en mesure de faire cette dernière même en l’absence de données récentes sur la performance d’un candidat (Butt,2006).

Le vote économique est donc un agenda de recherche très prolifique autant pour les politologues que pour les économistes. Toutefois, le vote rétrospectif ne se limite pas au vote économique. En effet, d’autres mesures de performance peuvent être utilisées pour porter un jugement sur la performance des élus. Par exemple, des études ont confirmé que la quantité d’argent injectée dans les circonscriptions électorales aux États-Unis était liée à l’évaluation des candidats et aux élections à la Chambre des représentants. Ainsi, des études produites à partir de données individuelles ont démontré que les candidats démocrates profitent de dépenses liées à des pro-jets spécifiques (Alvarez et Schousen, 1993; Bickers et Stein, 1996; Alvarez et Saving, 1997;

Levitt et Snyder Jr,1997). Les candidats républicains, eux, profitent de dépenses liées au passif éventuel, une dépense du gouvernement qui garantit les risques financiers d’entreprises privés

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(Lazarus et Reilly, 2010). De son côté, Chen (2013) affirme que les dépenses augmentent la proportion d’appui aux candidats sortants en affectant la participation électorale des électeurs. Il conclut que les dépenses des élus permettent de mobiliser la participation de leurs partisans, tout en diminuant la participation des partisans des autres candidats, ce qui augmente leur pourcentage de vote. Ces résultats confirment donc que les élus profitent aussi des dépenses bénéficiant aux électeurs qui leur sont opposés.

Des études ont aussi conclu que les électeurs utilisent l’historique de vote des législateurs amé-ricains pour mesurer leur performance. Par exemple, selon Jacobson (1996), lors de l’élection de 1994 aux États-Unis, des élus démocrates s’étant opposés à leur parti ont vu leurs appuis diminuer. Dans le même ordre d’idée, Canes-Wrone et al.(2002) ont prouvé que la proportion du vote d’un candidat sortant diminue lorsqu’il vote avec les membres plus extrêmes de son parti. Ces résultats confirment que les législateurs sont imputables de leurs votes et que ces derniers peuvent être utilisés par les électeurs pour juger de la performance des élus. Une autre mesure de performance possible concerne le nombre de morts survenus lors d’une guerre. Une série de modèles portant sur la guerre de 2003 en Irak ont fait la démonstration d’un lien entre les décès dus à la guerre et l’appui aux représentants (Grose et Oppenheimer, 2007), aux sénateurs (Kriner et Shen,2007) et au président (Karol et Miguel,2007).Karol et Miguel

(2007) évaluent que sans les 10 000 décès survenus lors de la guerre en Irak, Bush aurait obtenu 2 points de pourcentage de plus au niveau national. D’ailleurs, ces résultats concordent avec l’étude deYantek(1982) selon laquelle les décisions en politique étrangère sont aussi prises en compte par les électeurs dans leur évaluation de la performance des élus.

Bref, un grand nombre d’études ayant été publiées à ce jour confirme la conception initiale selon laquelle l’électeur juge la performance des élus avant de les récompenser ou de les punir. Les indicateurs pouvant servir de référence pour faire ce jugement sont multiples, même si les indicateurs économiques prédominent dans la littérature. Ces résultats contredisent donc la position de ceux qui affirment que les élections permettent aux électeurs de faire des choix sur la base de programmes ou de politiques. Ils confirment plutôt la vision de ceux qui considèrent que les élections sont des référendums sur les élus sortants (Key, 1966; Lenz, 2012) ou celle des électeurs se basant sur la performance passée des élus pour anticiper leurs actions post-électorales (Downs,1957;Fiorina,1981).

Réaliste, le vote rétrospectif ?

La vision développée pour expliquer le comportement d’électeurs jugeant de la performance de leurs élus pour les punir ou les récompenser est loin de faire l’unanimité au sein de la commu-nauté scientifique. Au niveau agrégé, des études ont critiqué le lien entre l’état de l’économie et l’appui aux candidats sortants. Cette relation serait intermittente et moins généralisable

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qu’on le décrit (Przeworski et al.,1999;Bengtsson,2004;van der Brug et al.,2007). Considé-rant la complexité de la tâche, la capacité des électeurs de s’en acquitter convenablement est sérieusement mise en doute. Tous s’entendent pour dire que la tâche de juger convenablement de la performance des élus est très complexe.

En général, le niveau d’information politique des électeurs est plutôt faible (Converse,1964;

Zaller, 1992; Carpini et Keeter, 1996) et l’information, coûteuse à obtenir (Lohmann, 1999;

Aidt,2000). Toutefois, certains considèrent que malgré cela, l’utilisation de raccourcis heuris-tiques permet aux électeurs de contourner ces obstacles et de porter des jugements comme s’ils étaient informés (Jackson,1975;Page et Shapiro,1992;Lupia,1994). SelonSanders (2000), il est vrai que les électeurs ont pour la plupart une connaissance imprécise de l’état de l’économie. Il affirme toutefois que cette connaissance partielle est suffisante pour évaluer si l’économie est en déclin ou en croissance. Cette information serait suffisante pour porter un jugement. En contrepartie, pour d’autres, ces raccourcis nuisent plus qu’ils n’aident (Lau et Redlawsk,2001) et les limitations cognitives des électeurs réduisent considérablement leur capacité à analyser des informations de manière objective (Krause,1997;Krause et Granato,1998). Ces obstacles seraient trop importants pour que les électeurs soient en mesure de porter un jugement adé-quat sur les performances des élus (Achen et Bartels,2004b;Lau et Redlawsk,2006).

En plus des problèmes liés à la complexité, des biais liés à la psychologie humaine sont aussi évoqués pour discréditer le vote rétrospectif. Le vote économique est particulièrement vulné-rable à ces biais et en décortiquer les étapes permet d’en isoler plus facilement les sources. L’utilisation du vote économique par les électeurs requiert deux étapes cruciales (Anderson,

2007). Dans un premier temps, les électeurs doivent percevoir objectivement l’état de l’écono-mie afin de déterminer si la performance est bonne ou mauvaise. Dans un deuxième temps, ils doivent attribuer la responsabilité ou non de la performance qu’ils ont perçue aux élus. Il s’avère que les électeurs sont particulièrement mauvais dans les deux étapes du processus.

La perception et l’évaluation. D’importants biais interviennent lorsque les électeurs doivent percevoir et juger de l’économie. SelonWlezien et al.(1997), les études portant sur l’influence de la perception de l’économie sur le choix électoral n’ont pas considéré la possibilité d’endogé-néité, c’est-à-dire que l’affiliation partisane influence la perception et non pas l’inverse. Leurs analyses en viennent d’ailleurs à confirmer cette hypothèse. D’autres études en sont aussi arri-vées à la même conclusion (Bartels,2002a;Evans et Andersen,2006;Evans et Pickup,2010). En contrepartie, un certain nombre de publications s’inscrivent en faux par rapport à cette idée que les électeurs sont aveuglés par leur affiliation partisane. C’est entre autre le cas des études deLewis-Beck et al.(2013b) et deLewis-Beck et al.(2013a).Lewis-Beck(2006) défend l’idée que c’est un problème dans l’utilisation de la variable de l’identification partisane par

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certains chercheurs qui les amène à des conclusions erronées sur son effet. Cette question est donc, encore aujourd’hui, âprement débattue par les chercheurs. Dans le même ordre d’idée, selonAnderson et al.(2004), le vote passé des électeurs influence leur perception de l’économie parce qu’ils cherchent à réduire la dissonance cognitive qui résulterait d’une incohérence entre leur vote et leur perception. SelonPattie et Johnston(2001), ces observations sont dues au fait que les différents groupes, comme les groupes partisans, réagissent différemment aux stimulus.

Tel que mentionné précédemment, la complexité du monde à analyser est telle qu’elle dépasse généralement les capacités des électeurs. Cette étape du processus n’y échappe pas puisque percevoir fidèlement l’état de l’économie est une tâche d’une grande complexité. Plusieurs élec-teurs utilisent donc des raccourcis heuristiques pour contourner cette complexité. Or, certains de ces raccourcis entraînent des biais importants.

Une des difficultés que rencontrent les électeurs est de tenir compte de l’état de l’économie sur l’ensemble du mandat des élus que les électeurs cherchent à évaluer. En effet, recueillir l’information nécessaire pour évaluer l’ensemble du mandat est une tâche complexe pour les électeurs. Il en résulte que plusieurs d’entre eux prennent en compte seulement l’année en cours, pour laquelle l’information est plus facile à aller chercher dans leur évaluation de la performance (Healy et Lenz,2012).Nannestad et Paldam (2000) ont d’ailleurs prouvé que le niveau de connaissance des électeurs concernant l’état de l’économie est plus élevé juste après les élections, mais que cet effet disparait à l’intérieur d’un an. Les myopic voters accordent donc plus d’importance aux événements récents comparativement aux événements plus vieux dans leur évaluation de la performance de l’économie, introduisant ainsi un biais (Tversky et Kahneman,1973;Bartels,2008). Selon Huber et al. (2012), cette situation est exacerbée par le fait que les électeurs sont influencés par la rhétorique des candidats, qui mettent l’accent sur leur performance récente. Ce phénomène peut d’ailleurs avoir des conséquences très négatives puisque cela peut inciter les élus à mettre en place des politiques irresponsables pour stimuler l’économie juste avant les élections, tout en laissant aux suivants les coûts qui peuvent être associés à de mauvaises politiques (Tufte,1978).

Des raccourcis géographiques sont aussi utilisés par les électeurs pour faciliter la perception et l’évaluation de l’économie. Par exemple, les électeurs se basent parfois sur la performance de l’économie au niveau local pour inférer sur la performance au niveau national (Reeves et Gimpel,2012;Cutler, 2002). Books et Prysby (1999) qui font eux aussi la preuve de ce rac-courcis, suggèrent que la structuration de l’information, principalement par les médias en est responsable.Mutz et Mondak(1997) offrent un autre exemple de l’utilisation par les électeurs de données plus près d’eux. Ils démontrent que l’évaluation des indicateurs macro-économiques de certains électeurs se base sur leur évaluation de l’évolution du bien-être d’autres individus.

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Peu d’études ont été faites sur la perception de la performance dans des contextes qui ne sont pas liés à l’évaluation économique. Pourtant, l’utilisation du vote rétrospectif dans ces autres contextes nécessite aussi une telle évaluation. Bartels (2002b) affirme que l’identification par-tisane introduit aussi des biais dans l’interprétation du monde politique (voir Achen (1992) pour argument contraire). Gaines et al. (2007) confirment cette approche en étudiant la per-ception des citoyens à l’égard de la gestion de la guerre qu’ont menée les États-Unis en Irak dans les années 2000. À l’instar des perceptions économiques, l’affiliation partisane influençait l’interprétation des faits liés à cet événement. De plus, les électeurs les plus sophistiqués utili-saient plus efficacement l’interprétation des faits pour soutenir leur vision partisane. D’autre part, la charge émotive des événements a aussi un impact sur l’évaluation des événements qui ne sont pas forcément liés à l’économie. Les individus ont plus tendance à se rappeler d’informations ou d’événements qui génèrent des réactions affectives comparées à ceux qui n’en génèrent aucune (Civettini et Redlawsk,2009). Ce phénomène peut évidemment biaiser le jugement des électeurs en accordant une importance démesurée à certains événements ou à certaines informations.

Cette liste de biais n’est pas exhaustive, mais elle donne une bonne idée des problèmes auxquels peuvent être soumis les électeurs lorsque vient le temps de percevoir et d’évaluer objectivement des faits ou des données qui se veulent objectives. Avant même d’avoir évoqué les biais liés à l’attribution de la responsabilité, d’importantes fissures apparaissent dans l’édifice du vote rétrospectif.

L’attribution de la responsabilité. Si les électeurs souffrent de biais dans leur perception de la performance de l’économie et des enjeux politiques, leur capacité à attribuer la respon-sabilité n’est guère mieux. Comme le souligneGurdal et al.(2013), les individus ont tendance à blâmer les autres pour des événements qui sont hors de leur contrôle. La littérature en psy-chologie souligne, entre autres, l’importance du in-group bias comme source de biais dans le processus d’attribution. Ce biais réfère à la tendance des membres d’un groupe à attribuer les succès de leur groupe aux qualités de ce dernier, tout en expliquant leurs échecs par des facteurs externes (Hewstone,1989;Taylor et Jaggi,1974;Taylor et Doria,1981).

L’application à la politique de ce phénomène se traduit par le biais induit par l’affiliation parti-sane dans l’attribution de la responsabilité. Plusieurs études ont fait la preuve que les électeurs ont tendance à attribuer la responsabilité des bonnes nouvelles au parti qu’ils favorisent et blâ-mer les partis qu’ils n’aiment pas pour les mauvaises nouvelles (Norpoth,2001;Brown,2010). Inversement, les électeurs auraient tendance à moins blâmer le parti qu’ils favorisent pour les

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problèmes, et ne pas créditer les partis qu’ils n’aiment pas pour les bonnes nouvelles (Marsh et Tilley,2010). Un des mécanismes proposés pour expliquer ce phénomène ferait en sorte que les partisans d’un parti peuvent refuser de mettre à jour leur croyance lorsqu’ils sont confrontés à de nouvelles informations (Tilley et Hobolt,2011). En d’autres termes, ils peuvent mettre de côté des informations qui sont en contradiction avec leurs croyances partisanes (Rudolph,

2006). Il est à noter que ce biais s’applique autant à l’attribution des jugements sur l’économie qu’aux autres événements de nature politique.

Outre les biais induits par les facteurs psychologiques, il convient aussi de considérer ceux qui sont dus à la complexité de la tâche. Dans le cas de l’attribution de la responsabilité politique, une partie du défi est due à la complexité des institutions. Plus spécifiquement, lorsque les responsabilités sont divisées entre plusieurs acteurs, la tâche se complexifie pour les électeurs. Les effets du vote économique peuvent donc être partiellement neutralisés lorsque la clarté des responsabilités est plus faible (Powell et Whitten, 1993; Whitten et Palmer, 1999). Les États-Unis offrent un bon exemple des conséquences de divisions horizontales des responsa-bilités. Il arrive fréquemment dans ce système que l’exécutif et le législatif soient contrôlés par des partis différents. Il est alors plus complexe d’attribuer la responsabilité aux bons élus et au bon parti. Il n’est donc pas surprenant que des études aient été en mesure de faire la preuve que lorsque la Maison blanche et le Congrès sont contrôlés par des partis différents, la connaissance du contexte institutionnel influence l’attribution de la responsabilité par les électeurs (Rudolph,2003b,a). Par ailleurs, une étude deAtkeson et Partin(1995) sur les élec-tions américaines de 1986 et 1990 a prouvé que le vote au Sénat était lié à la popularité du président sortant. Comme les deux institutions ont des responsabilités distinctes, ces résultats confirment qu’il est parfois difficile pour les électeurs de différencier les responsabilités des élus.

La division verticale des responsabilités est aussi une source de difficulté qui peut complexifier l’attribution de la responsabilité. On entend ici par division verticale la présence de multiples paliers indépendants de prise de décisions. Le cas des fédérations en est un excellent exemple. La littérature sur les États-Unis portant sur l’impact du fédéralisme dans l’attribution de la responsabilité porte presque exclusivement sur l’effet des conditions économiques locales sur l’appui au gouverneur sortant. La plupart des études portant sur le sujet depuis le milieu des années 90 ont obtenu des résultats démontrant que les variations économiques ou l’évaluation de l’économie au niveau des États étaient liées à l’élection des gouverneurs. Ces conclusions réfutent les résultats précédents indiquant que les élections au poste de gouverneur n’étaient qu’un référendum sur le président (Partin,1995;Svoboda,1995;Carsey et Wright,1998;Orth,

2001). Pour Niemi et al. (1995), les gouverneurs sont en mesure d’exercer un contrôle suffi-sant sur l’économie pour être imputables de la performance de celle-ci. Il est donc possible de conclure de ces études que les électeurs connaissent suffisamment les compétences relatives

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aux différents paliers pour attribuer convenablement la responsabilité.

Cette interprétation ne fait cependant pas consensus. Hansen(1999) affirme que des facteurs comme la mondialisation et l’influence grandissante de la réserve fédérale font en sorte que les gouverneurs sont loin d’avoir plein contrôle sur leur économie. Punir ces derniers pour de mau-vais résultats économiques n’est donc pas forcément un signe de rationalité. Outre l’expérience américaine, des études portant sur l’Argentine ont aussi démontré la complexité qu’induit la division verticale des responsabilités. Les résultats de ces études démontrent que les élus de tous les niveaux sont tenus responsable des conditions économiques nationales et que la res-ponsabilité des performances économiques régionales est parfois attribuée aux élus nationaux (Gélineau et Remmer, 2006;Remmer et Gélineau, 2003). Si les électeurs ont de la difficulté avec la division verticale des responsabilités, la littérature sur l’International Benchmarking démontre qu’il en est autrement lorsque vient le temps de comparer la performance de leurs élus avec celle d’élus d’autres pays. En effet, lorsque l’économie de plusieurs pays se contracte simultanément, les électeurs punissent leurs élus moins fréquemment (Kayser et Peress,2012).

Peu d’études se sont penchées sur la division des responsabilités autres qu’économiques. Une des rares études sur le sujet en arrive à la conclusion que les électeurs sont en mesure d’at-tribuer la responsabilité convenablement, mais que cette attribution se transforme en vote uniquement pour les enjeux les plus simples (Arceneaux et Stein, 2006). Cependant, ce pan de la littérature reste somme toute peu exploré, notamment au Canada.

Certains facteurs liés au cas canadien font en sorte qu’il peut être complexe pour les Canadiens d’attribuer convenablement la responsabilité entre les paliers de gouvernement. D’abord, les auteurs ne s’entendent pas sur le niveau de centralisation puisque le fédéralisme canadien est à la fois qualifié de centralisé sur certains aspects (Pelletier et Tremblay,2013) et de décen-tralisé sur d’autres (Watts, 2008). La complexité est d’autant plus importante que l’histoire des relations fédérales-provinciales au Canada est jalonnée de négociations, de coopérations et de conflits (Cameron et Simeon,2002). De plus, les élus des différents paliers n’hésitent pas à se blâmer mutuellement (Hood, 2002). Aussi, contrairement à la plupart des démocraties occidentales, plusieurs partis politiques fédéraux et provinciaux, même s’ils portent le même nom, sont des organisations indépendantes. Bref, le niveau de complexité associé au fédéra-lisme canadien est particulièrement élevé.

Des études portant sur des données agrégées au Québec ont démontré un lien entre l’appui au gouvernement ainsi que le revenu disponible (Crête,1984) et le taux de chômage (Guérin et Nadeau, 1995). À première vue, ces résultats laissent croire que les électeurs sont en mesure

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d’attribuer la responsabilité au bon palier. Toutefois, une étude deGélineau et Bélanger(2005) suggère que les élus canadiens, autant provinciaux que fédéraux, sont parfois tenus responsable pour les conditions économiques d’un autre palier de gouvernement. De plus, d’autres études portant plus spécifiquement sur la connaissance des Canadiens concernant les différentes com-pétences contredisent ces résultats. En effet, Cutler (2004, 2008) conclu que les Canadiens différencient mal les responsabilités attribuées aux paliers de gouvernement. Le domaine de la santé se démarque particulièrement à cet égard. Ces résultats jettent de sérieux doutes sur la capacité des électeurs canadiens à attribuer convenablement la responsabilité.

En terminant, les émotions peuvent aussi affecter le jugement des individus, et ce, peu im-porte leurs caractéristiques socio-démographiques. Des études en psychologie ont montré que l’humeur peut affecter le jugement (Forgas,1995). Par exemple, une étude deIsen et al.(1978) a prouvé que lorsqu’on induit chez des sujets des émotions positives, de manière générale, ils tendent à accorder des évaluations plus positives. Par ailleurs, d’autres études ont démontré que les individus vivant des émotions négatives peuvent attribuer le blâme plus facilement (Walster,1966;Bodenhausen et al.,2000;Kerner et Tiedens,2006). Même dans des circons-tances où personne ne peut être blâmé, des individus peuvent attribuer une responsabilité puisque cela leur permet de retrouver un sentiment de contrôle (Yates, 1998). Une étude de

Healy et al. (2010) offre un très bon exemple de l’application de ces biais au vote rétrospectif. Ils ont démontré que lorsqu’une élection avait lieu dans les dix jours suivant une victoire de l’équipe de football locale, le pourcentage de vote du candidat sortant augmente systémati-quement. Ainsi, la bonne humeur des citoyens se reflétait dans leur vote.

En résumé, une théorie générale faisant consensus reste à être élaborée. De nombreuses études ont pu démontrer, autant au niveau agrégé qu’individuel, un lien entre la performance ou la perception de l’économie et l’appui aux candidats sortants. Pourtant, de sérieux doutes ont été émis sur la capacité des électeurs à surmonter la complexité de la tâche. Des études ont aussi démontré la présence de nombreux obstacles pouvant compromettre la capacité des individus de s’acquitter convenablement de cette tâche. Ainsi, devant ces résultats contradictoires, il est pertinent de se demander si le vote rétrospectif est possible ou s’il s’agit d’une vision irréaliste du comportement des électeurs.

0.2.2 Le débat sur la participation électorale

Comme précisé dans la section précédente, voter est l’une des actions les plus importantes dans nos démocraties. Or, tous ne sont pas égaux quant à la participation électorale ( Lij-phart,1997) et certains des facteurs qui expliquent ces inégalités sont connus. Ceux de nature socio-démographique ont particulièrement été explorés dans la littérature. Par exemple, les électeurs plus éduqués et plus âgés votent plus que ceux qui ont un niveau d’éducation plus

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faible ou qui sont plus jeunes (Wolfinger et Rosenstone, 1980;Leighley et Nagler, 1992; Ro-senstone et Hansen,1993). D’autre part, les comportements des candidats ont aussi un impact sur la participation électorale. Notamment, les dépenses électorales mettent une pression à la hausse sur la participation (Patterson et Caldeira,1983), alors que la publicité négative, elle, met une pression à la baisse (Ansolabehere et al., 1994). Les ressources à la disposition des électeurs sont aussi un facteur qui conditionne la participation électorale, comme l’argent, le temps ou les compétences civiques (Verba et al.,1995). Des facteurs institutionnels, comme la présence d’un mode de scrutin proportionnel, entraine aussi une augmentation de la participa-tion électorale (Ladner et Milner,1999). Néanmoins, une question encore plus fondamentale attend toujours une réponse qui fasse consensus : pourquoi les gens votent-ils ? Même si elle peut paraître simple, cette question occupe les spécialistes de la participation depuis plusieurs décennies.

L’explication économique du vote

C’est Downs (1957) qui démarre le débat sur le sujet avec la publication de son ouvrage An Economic Theory of Democracy. Dans son livre, il affirme que du point de vue économique, il est incohérent pour un électeur de voter. Il résume son argument à l’aide de l’équation 1.

R = P B − C (1)

où R est le gain de voter à une élection donnée (une variable intrumentale des chances pour un individu de voter), P est la probabilité que le vote exprimé par l’électeur soit décisif, B est la différence du bénéfice résultant de la victoire du candidat préféré par rapport à un autre et C est le coût associé au vote. L’argument de Downs est simple. Même si un électeur a une forte préférence pour un des candidats (B), les probabilités que son vote soit décisif sont tellement minces que ce terme de l’équation (P B) sera toujours près de zéro. Dans ces circonstances, les coûts associés au vote seront toujours plus élevés. Ces coûts peuvent inclure notamment le déplacement le jour de l’élection ou l’acquisition de l’information nécessaire pour faire un choix. Le bénéfice total de voter (R) sera donc toujours négatif. Il en résulte que du point de vue d’un acteur qui souhaite maximiser son intérêt, il est irrationnel de voter.

Plusieurs études empiriques portant sur divers aspects de cet argument sont venues appuyer le raisonnement émis initialement par Downs. D’abord, l’argument sur les infimes chances d’enregistrer un vote décisif (P ) est en soit peu controversé. Des preuves mathématiques ont été en mesure de prouver que la probabilité objective était extrêmement faible (Chamberlain et Rothschild, 1981; Gelman et al., 2004). Toutefois, les électeurs sont confrontés à un

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cer-tains nombre de limitations cognitives . Ainsi, il est possible que les électeurs surestiment la valeur réelle de P , entrainant par le fait même une surestimation des bénéfices associés au vote. Cette possibilité est renforcée par le fait que beaucoup d’électeurs ne comprennent pas bien le concept de probabilité (Kahneman et al., 1982) ou que les individus ont tendance à surestimer la fréquence d’événements rares (Quattrone et Tversky,1988). Il ne serait donc pas surprenant qu’une portion appréciable de l’électorat surestime cette probabilité. Des sondages réalisés par Blais et al. (2000) lors du référendum de 1995 au Québec et lors des élections provinciales de 1996 en Colombie-Britannique ont permis d’évaluer respectivement que 48% et 47% des répondants surestimaient la probabilité que leur vote fasse la différence.

Par ailleurs, plusieurs études ont analysé la taille des unités électorales et la présence d’une course serrée ou non. Il est raisonnable pour un électeur de penser que devant une course serrée son vote ait plus de chance d’être décisif. La même réflexion s’applique pour un électeur votant dans une unité électorale plus petite. Or, même dans ces situations, les probabilités objectives d’enregistrer le vote décisif restent faibles. Reste qu’une augmentation de la participation dans ces situations pourrait confirmer l’hypothèse selon laquelle certains électeurs surestiment la valeur de P . Une synthèse permet de constater qu’une vaste majorité des études démontrent une augmentation de la participation électorale lorsque la course est plus serrée. Les résultats sur la taille des unités électorales sont toutefois plus mitigés (voir Blais (2000) à la page 59 pour une synthèse de ces études). Ces résultats confirment néanmoins qu’une partie impor-tante de l’électorat surestime la valeur de P , ce qui explique partiellement le paradoxe du vote. Tous les électeurs ne surestiment cependant pas cette probabilité et toutes les élections ne sont pas serrées, le paradoxe du vote reste donc présent.

Le modèle de Downs, décrit par l’équation 1, accorde peu d’importance à la différence de bénéfice entre les candidats (B) puisque cette variable est multipliée par le terme P , qui est toujours extrêmement petit. En d’autres termes, même si un électeur à un énorme avantage à ce qu’un des candidats gagne par rapport aux autres, les probabilités que son vote fasse la différence sont si faibles qu’il ne pourra influencer l’issu du vote de toute façon. Cet aspect a été moins étudié que les autres variables puisque d’un point de vue économique, il ne devrait avoir aucun impact sur le résultat final. Deux opérationnalisations de B ont néanmoins fait l’objet d’études : l’aliénation et l’indifférence (Enelow et Hinich,1984). L’aliénation décrit une situation dans laquelle un électeur ne se sent représenté par aucun des candidats. L’indifférence décrit plutôt une situation dans laquelle la différence entre les candidats est tellement minime, que les bénéfices associés à la victoire des différents candidats sont identiques. Autant l’indif-férence que l’aliénation sont caractérisées par une difl’indif-férence de bénéfice faible et devraient, si on ne considère pas le P , entrainer une baisse de la participation électorale (Enelow et Hinich,

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Les études empiriques sur le sujet confirment cette intuition et démontrent un effet à la baisse des deux mécanismes sur la participation électorale (Adams et al.,2006).Plane et Gershtenson

(2004) soutiennent qu’une proportion importante de l’abstention s’explique par l’aliénation. En fait, contrairement à l’indifférence, l’aliénation ne requiert pas de comparer les candidats entre eux, facilitant ainsi le processus. Ces résultats sont intéressants dans la mesure où si on considère B de façon stricte dans le modèle décrit par l’équation 1, cette variable ne devrait pas avoir d’effet. Ces résultats confirment donc que certains électeurs surestiment la probabi-lité que leur vote puisse faire la différence ou bien qu’ils ne considèrent tout simplement pas ce facteur dans leur choix de voter ou non. Quoi qu’il en soit, loin de résoudre le casse-tête, ces résultats fragilisent l’explication purement économique de la participation électorale.

Le dernier terme du modèle économique du vote concerne les coûts associés à l’action (C). Ce terme est ici utilisé au sens large, c’est-à-dire qu’il inclut, en plus des coûts monétaires, d’autres éléments comme le temps nécessaire pour se déplacer le jour du vote ou le processus d’acquisition de l’information nécessaire pour faire un choix électoral. La plupart des cher-cheurs se penchant sur le sujet s’entendent pour dire que dans les faits, celui-ci est très peu élevé. Ce raisonnement permet de résoudre partiellement le paradoxe puisqu’il explique pour-quoi les individus votent malgré un très faible bénéfice (Tullock,2000).Aldrich (1993), quant à lui, souligne que dans ces circonstances, de faibles variations dans le coût peuvent avoir un impact sur la participation électorale.

Ainsi, un agenda de recherche s’est développé autour des effets des variations du coût associé au vote sur la participation électorale. La plupart des résultats obtenus confirment la prédiction d’Aldrich (1993). Une série d’études se sont penchées sur le coût associé au temps nécessaire pour voter et ont prouvé que l’augmentation de la distance entre la résidence des électeurs et le bureau de vote entraine une diminution de la participation (Gibson et al.,2013). Une étude de Dyck et Gimpel (2005) précise qu’à partir d’une certaine distance, la participation chute moins rapidement puisque les électeurs optent plutôt pour une autre méthode de votation ou de transport. La relation entre la distance et la participation ne serait donc pas linéaire. Gim-pel et Schuknecht (2003) estiment des effets différents en ville, en banlieue et dans les zones rurales. En fait, la congestion routière que l’on retrouve dans les villes amplifie les coûts liés à l’augmentation de la distance à parcourir pour aller voter. Par ailleurs, la mise en place du vote postal, qui diminue le coût lié au déplacement, s’est avérée avoir un impact positif sur le taux de participation (Raillings et Thrasher, 2007). Finalement, des résultats obtenus par Haspel et Knotts (2005) démontrent que de déplacer des bureaux de vote affecte la participation. Ce résultat laisse croire qu’au-delà du coût lié au temps, celui associé à l’acquisition de l’in-formation sur l’emplacement du nouveau bureau de vote a aussi un impact sur la participation.

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Des conditions météorologiques défavorables le jour du vote peuvent aussi ajouter un léger coût à la participation. Encore une fois, même si l’augmentation est triviales, les conséquences peuvent être importantes. Shachar et Nalebuff(1999),Gomez et al.(2007) et Fraga et Hersh

(2010) ont tous été en mesure de démontrer un lien entre ces deux variables en utilisant la quantité de pluie tombée le jour de l’élection comme indicateur météorologique. Gatrell et Bierly(2002), dans une étude sur la participation électorale au Kentucky, ont étudié l’impact des variations de température. Ils ont été en mesure de démontrer eux aussi la même relation. Bref, les études portant sur les variations de coûts ont été en mesure d’établir que cette va-riable jouait effectivement un rôle dans la participation électorale.

La littérature recensée dans cette section confirme que les termes P , B et C de l’équation1ont tous un effet sur la participation électorale. À première vue, il s’agit là d’une bonne nouvelle puisque ces résultats viendraient soutenir le modèle. Or, ce n’est pas le cas. D’abord, la preuve que P et B influencent le vote n’est pas une bonne nouvelle pour le modèle. En effet, la preuve a été faite que P est toujours extrêmement faible, même dans les meilleures circonstances. Si ces deux variables ont un impact, c’est qu’elles ont mal été évaluées par les électeurs ou tout simplement pas prises en compte. Pire encore, certains électeurs obtenant une valeur négative de R vont tout de même voter. Il s’agit là d’un comportement impossible à expliquer par le modèle économique. Certains auteurs vont même jusqu’à affirmer que le vote est le principal adversaire de la théorie du choix rationnel (Fiorina,1990;Grofman,1993).

Plusieurs amendements ont été proposés pour rescaper le modèle économique du vote (Blais,

2000). Des amendements provenant de la science économique, le plus connu est probablement celui concernant la façon dont les individus maximisent leur intérêt. Toute la discussion jusqu’à maintenant postule que l’acteur rationnel cherche à maximiser l’utilité potentielle liée à son action. Les conséquences négatives liées aux différents résultats possibles sont analysées entre autres en fonction des probabilités de voir ces résultats se produire. En d’autres mots, toutes les conséquences possibles ne sont pas prises en compte sur un même pied d’égalité. Si un électeur décide de s’abstenir et que son candidat favori perd par un seul vote, les conséquences peuvent être plus ou moins importantes, mais comme déjà précisé, les chances qu’une telle situation se produise sont extrêmement faibles. Si le candidat perd, il y a de bonnes chances que ce soit par plus d’un vote et être allé voter n’y aurait rien changé. La non-rationalité discutée jusqu’à maintenant émane donc de cette évaluation des probabilités.

PourFerejohn et Fiorina(1974), cette vision est problématique puisque les individus n’évaluent pas les pertes potentielles de cette façon. Selon eux, les électeurs ne cherchent pas à maximiser

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l’utilité potentielle, ils cherchent plutôt à minimiser le regret potentiel. Les pertes associées aux différentes conséquences sont prises en considération, peu importe leur probabilité. Dans le cas de la participation électorale, même si les chances que l’électeur ne vote pas et que son candidat favori perde par un seul vote sont infimes, les regrets qui y sont associés seront considérés sur un même pied d’égalité que la possibilité que son vote n’ait fait aucune différence, un résultat beaucoup plus probable. En fait, cette solution revient à accorder à P la valeur de 1 et donc, de simplifier l’équation 1 ainsi :

R = B − C (2)

La décision de voter reposerait donc uniquement sur la différence entre les bénéfices supplé-mentaires associés à la victoire du candidat préféré et les coûts. Bien que simple et élégante, cette solution ne règle pas le paradoxe du vote. D’abord, un certain nombre d’actions prédites à l’aide de ce critère s’avèrent être incohérentes (Mueller,1989).Blais et al.(1995) démontrent aussi que l’utilisation de ce critère ne passe pas le test de l’analyse multivariée. Selon eux, lorsque ce critère est utilisé, il semble que ce soit plutôt une rationalisation des électeurs. En fait, les amendements proposés s’en tenant uniquement au modèle de Downs (1957) n’ont pu résoudre adéquatement le paradoxe du vote. L’explication se trouve donc peut-être à l’extérieur de ce modèle.

Le devoir civique : la solution au paradoxe ?

La solution au paradoxe du vote la plus convaincante à ce jour concerne la façon de calculer le bénéfice associé au vote. Dans l’équation1, tous les bénéfices associés au vote sont inclus dans le terme P B. D’un point de vue économique, il s’agit de bénéfices d’investissement puisqu’ils sont associés au résultat de l’élection. Or, pourRiker et Ordeshook(1968), en plus du bénéfice d’investissement, un bénéfice de consommation est aussi associé au vote. Selon eux, le seul fait de voter, peu importe le résultat, amène une satisfaction. Ils ont donc résumé leurs arguments dans l’équation 3

R = P B − C + D (3)

où D, le devoir de citoyen, inclut plusieurs éléments comme la satisfaction de se conformer aux attentes de la société, ce qu’ils appellent l’éthique du vote, la satisfaction d’affirmer son allé-geance au système démocratique ou sa préférence pour un candidat ou encore la satisfaction relative à l’impression de participer à la décision. Puisque les bénéfices relatifs à ce nouveau terme ne dépendent pas de l’issu de l’élection, il n’est donc pas soumis à la probabilité qu’un seul vote fasse la différence. Ainsi, même si pour un électeur donné, les bénéfices d’investiss-mement (P B) sont inférieurs au coût (C), les bénéfices de consommation (D), peuvent tout

Figure

Figure 0.2 – Vote rétrospectif et catastrophes - Mécanisme aveugle : Schématisation d’un mécanisme non-rationnel qui mène les électeurs à punir les élus pour des événements hors de leur contrôle.
Figure 0.5 – Désastres et devoir civique : L’augmentation des comportements pro-sociaux et du capital social peut augmenter le sentiment du devoir civique des électeurs et mettre une pression à la hausse sur la participation.
Figure 0.6 – Exemple - Logique de Keele et Titiunik : Exemple fictif d’application de la logique développée par Keele et Titiunik
Figure 1.2 – Circonscriptions provinciales sélectionnées : Représentation géographique des trois circonscriptions à l’étude au provincial.
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