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L’objectif de cet article était d’évaluer l’impact de certaines des tornades ayant touchées le sud de l’Ontario sur l’appui aux élus ainsi que sur la participation des électeurs touchés, aux paliers provincial et fédéral. La nature quasi-aléatoire des tornades a été mis à profit afin d’élaborer une expérience naturelle.

Comme le débat persiste dans la littérature sur la nature aveugle ou rationnelle de la réponse des électeurs, les hypothèses concernant cette variable ont été testées à l’aide de deux échan- tillons. Un échantillon aveugle reposait sur l’attente que les électeurs punissent leurs élus, et ce, peu importe la performance de ces derniers. Il incluait donc toutes les tornades sélectionnées. Le second échantillon, dit rationnel, reposait sur la logique que les électeurs ne punissent pas

aveuglément leurs élus, mais s’adaptent à la performance de ces derniers pour construire leur opinion. Il n’incluait que les cas où des critiques envers les autorités ont été rapportées dans les médias suite aux événements. En ce qui concerne la participation, les attentes étaient à l’effet que cette variable allait être affectée négativement par le traitement.

La démonstration empirique s’est divisée en deux étapes. Premièrement, une série d’analyses a été faite sur des échantillons de sections très restreints, mais qui respectaient le plus possible la logique d’attribution aléatoire élaborée parKeele et Titiunik(2016). Le tableau2.12résume les résultats des diagnostics qui ont été produits sur les quatre échantillons.

Provincial Fédéral

Aveugle Rationnel Aveugle Rationnel

Vote 3 7 3 3 Pré- Traitement Participation 3 3 3 3 Placebo ∆Rejetés 3 7 3 3 ∆Vote 7 7 7 7 Résultats ∆Participation 7 7 7 7

Tableau 2.12 – Synthèse des diagnostics et des résultats (échantillons restreints) : Les diag- nostics réussis et les résultats significatifs sont indiqués par le symbole « 3 », alors que les diagnostics échoués et les résultats non significatifs sont indiqués par le symbole « 7 ».

Comme on peut le voir sur le tableau 2.12, trois des quatre échantillons restreints présen- taient des groupes équilibrés, un signe que l’attribution du traitement est bel et bien aléatoire. L’échantillon rationel provincial présentait un déséquilibre prétraitement du vote ainsi que du test placebo, limitant par le fait même sa capacité à produire des résultats convaincant. En ce qui a trait aux résultats, aucun des échantillons n’a été en mesure d’établir de liens entre le traitement et les variables d’intérêt. On peut donc conclure que dans les trois échantillons équilibrés, les électeurs n’ont ni puni ni récompensé leurs élus. Aussi, leur participation n’a pas été affectée par les tornades. Pour ce qui est de l’échantillon déséquilibré, des analyses supplémentaires ont été nécessaires pour émettre une conclusion.

La deuxième étape de la démonstration empirique consistait à élargir les échantillons en ajou- tant graduellement les sections de vote laissées de côté dans les analyses précédentes. Les trois échantillons déjà équilibrés ont vu la qualité de leur attribution diminuer rapidement et, dans les trois cas, les analyses d’intérêt ont confirmé qu’il était impossible de conclure à un effet du traitement. Les hypothèses nulles liées à ces analyses ont donc pu être confirmées. La qualité du quatrième échantillon, a grandement augmenté, allant jusqu’à permettre des résultats fiables. Les analyses sur les variables d’intérêt ont elles aussi été affectées puisqu’il

a été possible avec cette deuxième vague d’analyses d’établir un lien entre le traitement et l’appui au Parti libéral de l’Ontario.

Ces résultats viennent confirmer les conclusions obtenues par Healy et Malhotra (2010), qui constataient eux aussi que les électeurs affectés par des tornades ne punissaient pas aveuglé- ment les élus. À première vue, ce type d’événement ne représenterait donc pas un obstacle à l’imputabilité des élus. Néanmoins, le sens de la relation observée soulève certaines ques- tions. L’hypothèse H1a prévoyait une diminution des appuis puisque dans les cas analysés, les autorités avaient été blâmées pour ne pas avoir averti assez rapidement la population de l’éminence des tornades. Or, l’effet trouvé est positif. De plus, ce sont surtout les autorités fédérales qui ont fait l’objet de critiques, puisque c’est d’eux que relève Environnement Ca- nada, l’organisme en charge de prévoir l’apparition des tornades. Or, l’effet mesuré est au palier provincial. Le rôle des élus provinciaux est principalement de soutenir financièrement les sinistrés. Ces résultats soulèvent donc des questions sur de possibles interactions entre paliers de gouvernements lors de l’évaluation de la performance des élus. De telles difficultés pourraient amener un électeurs à punir ou récompenser un élu pour des actions prises par des élus d’autres paliers. Considérant l’importance que revêt la capacité des électeurs à tenir les élus responsable de leurs actions pour la santé démocratique, des études supplémentaires sur la question devraient être fait.

Chapitre 3

Le déluge du Saguenay de 1996 et les

inondations de 2013 à Calgary

Résumé

Les inondations ont la capacité de causer des dommages très importants, particulière- ment à cause de l’étendue des territoires qu’elles ravagent simultanément et de la forte concentration humaine habitant près des cours d’eau. Pour les élus, ce type d’événements représente cependant un casse-tête puisqu’ils sont plus facilement prévisibles que d’autres catastrophes naturelles, comme les tornades. Conséquemment, si trop peu de ressources ont été investies dans la prévention ou dans les mesures d’atténuation, les autorités peuvent être tenues responsables de leurs conséquences. Cependant, il est difficile pour les électeurs de punir et récompenser les élus pour leur performance à cet égard, puisqu’il est complexe de différencier ce qui est véritablement de la responsabilité du gouvernement de ce qui ne l’est pas. Cette tâche est particulièrement complexe dans un contexte où les sinistrés vivent des émotions négatives qui peuvent biaiser leur jugement. L’objectif de cet article est d’évaluer les conséquences de tels événements sur l’appui aux élus et la participation électorale, deux composantes du comportement électoral qui affectent l’imputabilité des élus provinciaux. Afin d’atteindre cet objectif, une combinaison d’expériences naturelles, de techniques de jumelage (matching ) et d’outils d’analyses géographiques (GIS) est utili- sée sur des données provenant des inondations de 2013 à Calgary et du déluge du Saguenay en 1996. Les résultats indiquent qu’aucun des deux comportements n’a été affecté par les inondations de Calgary. Par contre, le déluge du Saguenay a eu un effet positif crédible sur l’appui aux élus et sur la participation électorale. On peut donc conclure que les élus n’ont pas été punis aveuglément pour des événements hors de leur contrôle.

Historiquement, les sociétés humaines se sont souvent développées près des cours d’eau. Que ce soit pour faciliter l’agriculture ou le transport, les avantages d’une telle position géogra- phique sont irréfutables. Au fil des années, des évolutions techniques ont permis de dompter et de mettre à profit le potentiel énorme que présentent les cours d’eau à haut débit comme les rivières, notamment en aménageant des barrages et des bassins. En contrepartie, cette

proximité avec l’eau et ces tentatives d’en domestiquer la puissance ne sont pas sans risque puisqu’elles sont à la source de certaines des catastrophes les plus importantes de notre époque.

Les inondations sont des événements au fort potentiel destructeur, et ce, principalement à cause de leur capacité à affecter de vastes territoires et de la concentration humaine près des cours d’eau. Conséquemment, il n’est pas rare que les dommages matériels se chiffrent à plusieurs centaines de milions de dollars et que des vies humaines puissent être perdues. Par ailleurs, les inondations représentent aussi un casse-tête pour les autorités politiques, puisqu’elles sont plus faciles à prévoir que d’autres types de désastres, comme les tornades par exemple. Il est donc possible de mettre des ressources dans la prévention et ainsi limiter les dommages matériels et humains. À première vue, il s’agit d’un avantage, mais cela veut aussi dire que les élus peuvent être tenus responsables des conséquences. Selon la logique du vote rétrospectif, les électeurs utilisent leur évaluation des élus pour les punir ou les récompenser. Si on applique ce principe aux innondations, les électeurs pourraient considérer le manque de prévention dans leur prise de décision et en faire payer le prix aux élus sortants à l’élection suivante. En contrepartie, une bonne gestion avant et pendant les événements pourrait être récompensée. Or, la littérature sur le sujet n’est pas en mesure d’établir clairement les effets de ces événements sur les com- portements politiques des citoyens touchés, particulièrement au Canada. L’objectif de cette étude est d’évaluer les conséquences politiques de ce type d’événement en utilisant deux cas, le déluge du Saguenay de 1996 et les inondations de 2013 à Calgary. Plus spécifiquement, les ana- lyses porteront sur l’appui aux élus et la participation électorale lors des élections provinciales.

Afin d’atteindre cet objectif, deux approches méthodologiques seront considérées. Dans un pre- mier temps, ces deux cas seront traités comme des expériences naturelles, un type de devis qui postule que les inondations touchent certains secteurs et en épargnent d’autres aléatoirement. Toutefois, puisque le mécanisme d’attribution n’est pas sous le contrôle du chercheur, il est pos- sible que ce processus ne divise pas les deux groupes de façon équilibrée. La deuxième approche permettra de corriger cette faiblesse. Une procédure de jumelage (matching) sélectionnera, à partir de l’échantillon initial, des couples similaires de sections épargnées et touchées afin de créer artificiellement des groupes équilibrés. Les résultats obtenus démontrent que le traite- ment n’a eu aucun effet sur les élections de Calgary. Néanmoins, dans le cas de Saguenay, des liens crédibles ont pu être identifié entre le traitement et les deux variables à l’étude. La section suivante sera consacrée à une présentation de la littérature sur le vote rétrospectif et sur la participation électorale.

3.1

Désastres naturelles et comportements électoraux

3.1.1 Vote rétrospectif, appuis aux élus et catastophes

Tel que mentionné précédemment, des inondations peuvent devenir un casse-tête pour les auto- rités élues puisque la prévisibilité de ce type d’événement les rend imputables des conséquences s’ils en ont négligé la prévention. En contrepartie, des élus ayant été particulièrement perfor- mants à cet égard pourraient être récompensés. Cette logique de punition et de récompense des élus selon leur performance a été théorisée principalement parKey(1966), mais également parDowns (1957) et Fiorina(1981). La manifestation la plus étudiée du vote rétrospectif est l’impact de l’état de l’économie sur l’appui des élus sortants. Par exemple, des études ont dé- montré que les électeurs punissaient leurs élus lorsque les indicateurs économiques étaient à la baisse et les récompensaient dans le cas contraire (Lewis-Beck,1990;Duch et Stevenson,2008). Par ailleurs, ces comportements ont aussi été observés dans les contextes canadien et québé- cois (Anderson et Stephenson, 2010; Bélanger et Gélineau, 2010, 2011). Cependant, le vote rétrospectif ne se limite pas au vote économique puisque les électeurs peuvent utiliser d’autres indicateurs de performance. C’est le cas, notamment, des catastrophes naturelles pendant les- quelles les élus sont généralement à l’avant-scène et dont la performance est souvent scrutée à la loupe par les médias et la population. Par exemple, un élu ayant trop attendu avant de visiter les lieux d’une catastrophe ou n’ayant pas mis suffisamment de ressources dans l’aide aux sinistrés pourrait en payer le prix. Inversement, des élus ayant travaillé suffisamment en amont des événements, et qui ont promptement réagi par la suite, pourraient être récompensés pour leur bonne performance.

Cette logique de punition et de récompense peut sembler aller de soi dans un contexte démo- cratique où les élus doivent être imputables devant les électeurs. Or, il s’avère que pour ces derniers, il s’agit d’une tâche particulièrement complexe. D’abord, elle requiert un électeur suf- fisamment informé sur les enjeux et sur les actions qui ont été entreprises par les élus ainsi que sur les décisions alternatives qui auraient pu être prises. Or, puisque les coûts associés à l’ac- quisition de ces informations sont relativement élevés, le niveau informationnel des électeurs est souvent limité (Lohmann,1999;Aidt,2000). De plus, certains biais cognitifs influencent le processus d’évaluation des électeurs. Par exemple, la perception ou l’évaluation d’un électeur peuvent être biaisées par son affiliation partisane (Wlezien et al.,1997). Certains électeurs sont aussi influencés par les caractéristiques sociodémographiques des élus (Hewstone, 1989). Ces deux derniers facteurs ne devraient pas objectivement modifier la performance de l’élu en elle même et représentent donc des biais. Dans le cas des catastrophes, les émotions négatives que peuvent vivre les sinistrés lors d’inondations pourraient aussi limiter la rationalité des élec- teurs concernés puisque des études ont démontré que les individus vivant ce type d’émotions ont plus tendance à chercher des responsables pour des événements qu’ils vivent (Kerner et Tiedens,2006). En fait, même lorsque la responsabilité ne peut être rationnellement attribuée

à quiconque, agir ainsi leur procure un sentiment de contrôle (Yates,1998). Ces biais peuvent même parfois mener à certaines aberrations comme des élus qui sont punis suite à la défaite de l’équipe de football locale (Healy et al.,2010).

Un certain nombre d’études ont abordé le lien entre les catastrophes naturelles et l’appui aux élus, mais avec des résultats divergents. Les études de Healy et Malhotra (2010) ainsi que de

Gasper et Reeves (2011), conduites dans le contexte américain, démontrent que les électeurs ne punissent pas aveuglément les élus et tiennent compte d’autres facteurs comme la réaction de ces derniers suite aux événements. À l’opposé, d’autres études en sont arrivées à la conclu- sion que, dans certains cas, les électeurs punissaient les élus, peu importe la responsabilité de ces derniers (Achen et Bartels,2004a). Certains ont avancé l’hypothèse que la tâche était simplement trop complexe pour les électeurs moins sophistiqués (Arceneaux et Stein, 2006). Une étude deLay (2009), sur les conséquences de l’ouragan Katrina, a conclu que la présence de plusieurs paliers de gouvernement compliquait l’attribution de la responsabilité. Dans ce cas, un certain nombre d’électeurs ont tenu responsable, à tort, le gouvernement fédéral. Au Canada, le lien entre l’appui aux élus et les catastrophes a été peu étudié. Une seule étude dans le contexte canadien, de Bodet et al. (2016), conclut que les inondations de 2013 à Calgary n’ont pas eu d’effet sur les appuis du maire sortant lors de l’élection municipale quelques mois plus tard. Le corpus de littérature sur le lien entre catastrophes et vote offre donc une variété de conclusion.

3.1.2 Participation électorale et innondations

Outre l’appui aux élus, des événements catastrophiques comme des inondations peuvent aussi avoir un impact sur la participation électorale via deux mécanismes. Le premier est lié à l’augmentation du coût du vote. On sait depuis longtemps que le vote est une activité dont le bénéfice est très faible (Downs, 1957). Or, en règle général, puisque le coût est lui aussi relativement faible (Tullock,2000), d’un point de vue économique il peut être rationnel de voter malgré le faible bénéfice. Le corollaire de ce fragile équilibre est que la moindre augmentation des coûts, comme une difficulté accrue pour se rendre au bureau de vote au moment de l’élection, peut avoir des impacts importants sur la participation. Le deuxième mécanisme dont il est question est en lien avec le devoir civique. Ce concept a fait son apparition dans le débat sur la participation afin d’expliquer pourquoi autant d’électeurs votent, malgré les difficultés du modèle de l’acteur rationnel à expliquer ce comportement. Initialement suggérée parRiker et Ordeshook(1968), cette thèse postule que les électeurs n’aborderaient pas le vote comme un simple calcul coût/bénéfice, mais comme un devoir de citoyen. Cette explication du vote a été confirmée à maintes reprises, directement (Blais et al.,2000) ou indirectement (Gerber et al.,2008).

Des événements catastrophiques comme des inondations massives peuvent avoir un impact sur la participation en agissant sur l’un ou l’autre de ces deux mécanismes. Les conséquences sur les coûts sont principalement informationnelles. Collecter l’information au quotidien sur les actions des élus et sur les enjeux du jour est en soit une tâche ardue. Il n’est pas déraison- nable de penser que des électeurs dont la demeure a été inondée ont cessé, pendant un certain temps, cette collecte d’information. Rattraper le temps perdu par la suite peut représenter une hausse substantielle des coûts sans affecter le bénéfice, altérant ainsi l’équilibre entre les deux variables. Cette hausse pourrait donc mener un certain nombre d’électeurs à rester chez eux le jour de l’élection à défaut de s’être formé une opinion solide. D’un autre côté, de tels événements pourraient aussi avoir un impact à la hausse sur le devoir civique en favorisant, par exemple, le sentiment d’appartenance à une communauté ou l’attachement des citoyens à un leader politique charismatique.

Or, peu d’études ont abordé la question du lien entre les désastres naturels et la participa- tion électorale.Sinclair et al.(2011), dans une étude sur les impacts de l’ouragan Katrina, ont confirmé la présence des deux mécanismes. Ainsi, ils ont observé une baisse de la participa- tion les zones les moins touchées, mais une augmentation dans les plus inondées. Dans une seconde étude, Bodet et al. (2016) ont concluent que les inondations de juin 2013 à Calgary n’avaient pas eu d’impact sur le taux de participation lors de l’élection municipale qui a suivi les événements plus tard la même année. Devant ces résultats contradictoires et le nombre limité d’études sur le sujet, il est difficile d’établir si le traitement aura un impact, et si c’est le cas, quel mécanisme sera à la source de cet effet. La section suivante sera consacrée à la présentation et à la description du déluge du Saguenay de 1996 et des inondations de Calgary de 2013, les deux cas qui seront à l’étude.

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