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Comme annoncé précédemment, en plus de l’introduction et de la conclusion, cette thèse in- clut trois chapitres qui sont organisés autour des trois types de catastrophes à l’étude. Le premier sera consacré à la crise du verglas de 1998 au Québec ; le second, à l’étude de cinq tornades ayant eu lieu entre 2009 et 2011 en Ontario ; le troisième, au déluge du Saguenay de 1996 et aux inondations de 2013 à Calgary. Par ailleurs, puisque ces trois chapitres sont des manuscrits d’articles scientifiques présentés tels quels, leur plan a été élaboré afin que chacun d’eux puisse être autonome.

Néanmoins, puisqu’ils ont été rédigés dans l’optique d’être combinés dans cette thèse, leur structure présente suffisamment de similarités pour que les résultats puissent être facilement

comparés. D’abord, la problématique est suivie d’un résumé de la littérature pertinente. En- suite, les cas à l’étude sont présentés, incluant une description du fil des événements ainsi que du contexte politique de l’époque. Après quoi, la théorie sur les expériences naturelles est brièvement exposée et est accompagnée d’une discussion sur sa mise en oeuvre pour le type de catastrophe qui est couvert dans le chapitre. Puis, les résultats sont présentés et discutés. La présentation des résultats diffère quelque peu entre les trois chapitres puisque le traitement des différents types de catastrophes n’est pas identique3.

Finalement, après la présentation des trois principaux chapitres, une conclusion permettra de résumer et de mettre en commun les résultats présentés dans les différents chapitres ainsi que de discuter leurs implications pour l’imputabilité des élus.

Chapitre 1

La crise du verglas de 1998 au Québec

Résumé

Lors de la crise du verglas de 1998, la gestion de crise exceptionnelle du gouvernement du Québec a amené les adversaires du Parti québécois, alors au pouvoir, à redouter les gains politiques que ce dernier pourrait en retirer. Évidemment, ce type de considérations est rarement mentionné dans le discours public des élus. Une telle inquiétude, cependant, ne pouvait être ni confirmée ni démentie, puisque les conséquences de ces évènements sur les électeurs restent peu connues. Les conséquences psychologiques et matérielles sur les victimes lors de telles catastrophes peuvent-elles être suffisantes pour faire dérailler l’électeur rationnel au profit d’un électeur plus émotif ? L’objectif de cette étude sera de répondre à cette question en évaluant si ces évènements ont eu des conséquences politiques sur les électeurs sinistrés. Plus spécifiquement, les analyses porteront sur leur appui aux gouvernements provincial et fédéral, ainsi que sur leur participation électorale. Pour ce faire, des outils de Geographic Information System (GIS) seront utilisés afin de croiser les données géographiques disponibles sur les désastres avec celles des sections de vote. Également, la nature aléatoire de tels évènements sera mise à profit afin d’élaborer une expérience naturelle. Les résultats indiquent qu’un effet est parfois observable, mais pas dans la majorité des cas, une conclusion qui va à l’encontre de la majorité du cursus de littérature sur le sujet, provenant principalement des États-Unis.

En janvier 1998, le nord-est de l’Amérique du Nord est le théâtre de l’une des plus impor- tantes tempêtes de verglas de son histoire. Le Québec n’est pas épargné et il est frappé de plein fouet par ce phénomène météorologique. En seulement quelques jours, les vies de millions de québécois sont chamboulées. Parmi les dommages occasionnés par cette pluie de glace, ceux causés aux pylônes électriques sont les plus marquants et les plus lourds de conséquences. Des centaines de ces monstres de métal, qui quelques jours plus tôt avaient l’air indestructibles, gisent sur le sol, tordus sous le poids de dizaines de millimètres de glace. Certaines des lignes électriques sont d’une importance telle que près d’un million de ménages sont privés d’élec- tricité, parfois pendant plusieurs semaines. En plein milieu de l’hiver, dans une région où les

mée en crise qui a traumatisé toute une nation.

Jean-Jacques Rousseau (1997) a écrit que « ce sont les grandes occasions qui font les grands hommes ». Le premier ministre péquiste de l’époque, Lucien Bouchard, incarne à merveille cette citation. Son rôle lors de la campagne référendaire en 1995 et lors du déluge du Saguenay en 1996 avait fait de cet homme politique un leader de premier plan au Québec. Son implica- tion lors de la crise du verglas est tout aussi marquant. La présence médiatique quotidienne de cet homme calme et charismatique a un pouvoir apaisant sur la population (Lévesque,2008). On sait maintenant que cette performance du premier ministre péquiste a forcé plusieurs po- liticiens à envisager les conséquences politiques des événements. Puisque le gouvernement est en fin de mandat, les péquistes imaginent les gains potentiels alors que leurs adversaires sont réticents à leur laisser tout le crédit (Lévesque,2008). Dans de telles circonstances, cette ana- lyse des conséquences politiques potentielles était-elle juste ? La recherche scientifique peut-elle offrir des pistes de solution à cette question ?

La littérature scientifique actuelle sur les désastres naturels ne peut offrir de réponse claire à cette question. Certaines études concluent que les électeurs punissent aveuglément les élus pour de tels événements, sans prendre en considération leur gestion de la crise ou le contexte (Achen et Bartels, 2004a). D’autres études estiment aussi que les électeurs réagissent aux désastres, mais en prenant en considération la réponse des élus (Healy et Malhotra, 2010). Finalement, certains auteurs affirment que les impacts politiques de tels événements sont très faibles (Abney et Hill, 1966), voir, inexistants (Bodet et al.,2016). Le débat scientifique sur la question est donc loin d’être réglé.

L’objectif de cet article est d’utiliser la crise du verglas de 1998 pour élaborer une expérience naturelle et tester empiriquement les impacts de tels événements sur les comportements des électeurs lors d’élections provinciales et fédérales. Deux de ces comportements seront à l’étude, soit l’appui aux élus sortants ainsi que la participation électorale. Puisque ce type de devis produit des données expérimentales, la crédibilité des conclusions est très élevée. Nos ana- lyses permettent de conclure que les événements n’ont pas eu d’effet sur l’appui aux élus, ni sur la participation électorale, et ce, au deux paliers de gouvernement. Après avoir résumé la littérature pertinente, nous décrirons le contexte, les données et la méthode. Finalement, les résultats seront présentés et discutés.

1.1

La crise du verglas de 1998

Les épisodes de verglas ne sont pas rares au Québec. Deux conditions doivent être réunies pour qu’un tel événement se produise ; l’air en haute altitude doit être au-dessus du point de congélation, et l’air près du sol doit être sous le point de congélation. Ainsi, les précipitations sous forme liquide en haute altitude se transforment en glace près du sol (Nicolet, 1999). De par sa position géographique, l’Est du Canada offre un environnement favorable à ce type de condition météorologique. Cependant, la tempête qui s’abat sur le Québec en ce début d’année 1998 est d’un tout autre ordre. Entre le 4 et le 10 janvier, certaines régions reçoivent 100mm de verglas sur 80 heures. À titre de comparaison, la moyenne anuelle est normalement d’environ 40 heures de verglas (Environnement Canada,2013c).

Évidemment, recevoir une telle quantité de verglas en quelques heures n’est pas sans consé- quence, particulièrement pour le réseau électrique. Environ 30 000 poteaux et 1000 pylônes s’effondrent sous le poids de la glace accumulées sur les lignes électriques. Certaines d’entre elles, névralgiques dans l’approvisionnement de l’île de Montréal et de la Montérégie, sont mises hors service. Au plus fort de la crise, plus de 3 millions de Québécois sont privés d’élec- tricité (Lecomte et al.,1998).

Certains abonnés devront attendre plusieurs semaines avant d’être rebranchés au réseau élec- trique. Le principal enjeu lié à ces pannes est relié au fait que la plupart des systèmes de chauffage dans les régions touchées sont électriques. En plein milieu de l’hiver québécois, il s’agit d’un problème majeur, particulièrement pour les foyers qui sont toujours sans électri- cité après plusieurs semaines. Des refuges sont ouverts pour accueillir les sinistrés et l’armée est mise à contribution pour aider la population. Le 6 février 1998, Hydro-Québec rebranche finalement les derniers abonnés, soit environ un mois après le début des précipitations. En plus d’entraîner la mort d’une trentaine de personnes, cette crise aura laissée derrière elle des dommages matériels totalisant deux milliards de dollars. Les dommages causés au réseau électrique comptent pour la moitié de ce montant (Lecomte et al.,1998;Québec,1998).

Devant la gravité de la situation, les autorités politiques ne tardent pas à intervenir. Rapide- ment, le premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, décide de s’occuper à temps plein de la situation. Son bureau de Montréal devient alors le centre de toutes les opérations. Pendant la crise, il participe à des conférences de presse quotidiennes en compagnie du président-directeur général d’Hydro-Québec, André Caillé. Normalement, le ministre de la Sécurité publique au- rait dû occuper ce rôle, mais des groupes de discussion, organisés à l’époque, indiquent que le tandem Bouchard-Caillé est le préféré de la population. Selon Christian Dufour, professeur à l’école nationale d’administration publique, pendant la crise, Lucien Bouchard était « à son

meilleur. Il était magistral. C’était l’homme du moment, capable de communiquer avec les gens de façon émotive » (Lévesque,2008). Même le chef libéral de l’époque, Daniel Johnson, félicite publiquement le gouvernement pour ses actions durant la crise (Lévesque,1998).

Des sondages publiés le 16 janvier (Paré,1998) et le 26 janvier (Pineau,1998) confirment le très haut taux de satisfaction de la population envers les autorités provinciales. Le premier coup de sonde, réalisé en plein milieu de la crise, révèle que 97% des Québécois sont satis- faits de la manière dont Hydro-Québec fait face à la situation. Dans le deuxième sondage, les deux principaux visages médiatiques, Lucien Bouchard et André Caillé, obtiennent des taux de satisfaction qui sont respectivement, de 82,2% et de 86,5%. Il ne fait alors aucun doute que le plan de communication déployé durant la crise est une réussite. Les acteurs politiques oeuvrant au fédéral sont évidemment beaucoup moins visibles puisque c’est le gouvernement du Québec qui gère la crise au quotidien. Le premier ministre du Canada obtient néanmoins, dans le sondage du 26 janvier, un taux de satisfaction très honorable de 70,9%. Toutefois, l’institution fédérale la plus populaire, et de loin, est l’armée. Venu en renfort rapidement au début de la crise, elle récolte un taux de satisfaction de 95,9%, plus que tout autre acteur ou institution. Les autorités fédérales tirent donc très bien leur épingle du jeu.

Bref, la crise du verglas peut être considérée comme l’une des pires crises qu’a connues le Québec. Néanmoins la réponse des élus des deux paliers de gouvernement semble avoir été à la hauteur des attentes de la population. Mais une fois la crise terminée, après des dizaines de cycles de nouvelles et une campagne électorale d’une trentaine de jours, cette satisfaction peut-elle encore influencer les comportements électoraux des électeurs les plus touchés ? C’est à ce questionnement que cette étude tente de répondre.

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