• Aucun résultat trouvé

Le pacifisme chrétien et la théologie évangélique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le pacifisme chrétien et la théologie évangélique"

Copied!
229
0
0

Texte intégral

(1)

Le pacifisme chrétien et la théologie évangélique

Thèse

David Miller

Doctorat en théologie

Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

©David Miller, 2014

(2)
(3)

iii

Résumé

Pendant les décennies 80 et 90, il y a une résurgence de la réflexion théologique au sujet du problème de la construction de la paix dans un monde violent. Dans le contexte étatsunien, ce courant de réflexion est bien en évidence. On y trouve des approches qui voient le pacifisme comme étant à la fois cohérent avec le message de l‘Évangile et pertinent en ce qui a trait à la contribution que l‘Église peut apporter dans son rôle de communauté appelée à construire la paix dans le monde. Ces expressions d‘une théologie orientée vers le pacifisme proviennent des milieux catholique, protestant, et évangélique. Cette thèse porte sur l‘analyse de trois de ces expressions du pacifisme à partir d‘un modèle méthodologique de tendance évangélique. En employant les trois composants du modèle proposé par le théologien évangélique canadien Stanley Grenz, nous examinons la nature des rapports des portraits du pacifisme formant le corpus avec la théologie évangélique. Notre parcours d‘analyse nous amène à déterminer qu‘il existe une forte correspondance sur le plan méthodologique entre les trois expressions du pacifisme étudiées et la théologie évangélique telle que représentée par le modèle de Grenz.

(4)
(5)

v

Abstract

From 1980 until the end of the decades of the 90s, there is a resurgence of theological thinking and writing about the question of how to build a more peaceful world. This work focusing on the renewal of a theology of peace finds significant expression in the United States. Included in this effort to build a theology of peace are perspectives that see in pacifism an approach that is both coherent with respect to the message of the Gospel and relevant as a part of the Church‘s contribution to peace in a violent world. Pacifist expressions are found in Catholic, Protestant and Evangelical discourse. This dissertation is an analysis from an evangelical perspective of three of these expressions of pacifism. Using the three components of a methodological model proposed by Canadian evangelical theologian Stanley Grenz, we analyze the relationship between this methodological approach and the three portraits of pacifism that form the corpus of this study. Our analysis will lead us to determine that there is a strong methodological correspondence between the three expressions of pacifist discourse studied and the evangelically-inspired theological model proposed by Grenz.

(6)
(7)

vii

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux ... xi

Liste des abréviations ... xiii

Remerciements ... xv

Chapitre 1 : Introduction ... 1

Artisans de paix dans un monde violent ... 1

Le pacifisme en Amérique du nord : le contexte historique ... 3

L‘essor des expressions du pacifisme à partir de 1980 ... 7

Le discours pacifiste chrétien aux États-Unis de 1980-1995 ... 11

Le pacifisme chrétien et la guerre juste : le contexte théologique ... 12

Lecture et analyse du discours pacifiste dans une approche évangélique ... 19

Chapitre 2 : Méthodologie ... 25

La théologie évangélique ... 25

L‘œuvre de Stanley J. Grenz ... 28

Le modèle méthodologique de Grenz ... 31

Le message biblique ... 34

L‘héritage théologique ... 41

Le contexte culturel ... 44

Le parcours de développement de l‘étude ... 48

Chapitre 3 : Le pacifisme chrétien selon la Conférence des évêques catholiques des États-Unis ... 49

Contexte historique d‘une publication majeure ... 49

Une nouvelle expression du pacifisme chrétien ... 52

Le pacifisme dans Le défi de la paix ... 56

Le pacifisme chrétien dans Le fruit de la justice est semé dans la paix... 58

(8)

L'analyse du portrait du pacifisme présenté par l‘épiscopat des États-Unis... 64

Le critère biblique ... 64

Réflexion sur le critère biblique ... 74

Le critère de l‘héritage théologique de l‘Église ... 75

Réflexion sur l‘héritage théologique de l‘Église ... 83

Le critère contextuel ... 85

Le contexte et la déclaration pastorale de 1993 ... 91

Réflexion sur le critère contextuel ... 94

Conclusion ... 94

Chapitre 4 : Le pacifisme chrétien selon Stanley Hauerwas ... 97

Hauerwas et le pacifisme chrétien ... 97

Les fondements de l'éthique chrétienne selon Hauerwas ... 100

Le pacifisme chrétien selon Hauerwas ... 103

Le critère biblique ... 110

L‘herméneutique de Hauerwas ... 113

L‘autorité de la Bible ... 116

Rapports entre l‘emploi de la Bible chez Hauerwas et la théologie évangélique ... 118

Le critère de l‘héritage théologique de l‘Église ... 119

Le concept de tradition chez Hauerwas ... 119

Le pacifisme et la tradition ... 122

Rapports entre l‘emploi de la tradition chez Hauerwas et la théologie évangélique ... 127

Le critère contextuel ... 129

Une communauté marquée par le pacifisme chrétien ... 129

L'Église pacifiste dans le contexte étatsunien... 132

Rapports entre le critère contextuel dans le pacifisme de Hauerwas et la théologie évangélique ... 135

Conclusion ... 137

Chapitre 5 : Le pacifisme chrétien selon Jim Wallis et la communauté Sojourners ... 139

L‘importance du pacifisme chrétien de Wallis et Sojourners pour cette étude ... 139

Le parcours de Jim Wallis et de la communauté Sojourners ... 140

(9)

ix

Une démarche éxigeante ... 149

Une remise en question? ... 153

Le critère biblique ... 155

La question de l‘herméneutique biblique chez Wallis ... 156

Le critère de l‘héritage théologique de l‘Église ... 159

Sojourners et la tradition ... 159

Le critère contextuel ... 164

Le pacifisme et la participation politique ... 165

L‘apport spirituel du pacifisme sur la place publique ... 167

Conclusion... 170

Chapitre 6 : Confirmation de l‘hypothèse ... 171

Des rapports positifs ... 171

Les lieux théologiques et l‘attribution de leurs fonctions ... 172

Le critère biblique : Correspondance ... 175

Le critère de l‘héritage théologique : Correspondance ... 182

Le critère contextuel: Correspondance ... 185

Conclusion... 188

Chapitre 7 : Conclusion ... 191

Trois portraits ... 191

Une analyse dans une perspective évangélique ... 192

Pour nourrir une réflexion contemporaine ... 196

Pistes à suivre ... 199

Conclusion... 201

(10)
(11)

xi

Liste des tableaux

Tableau 1: Correspondance au critère de la prédominance des Écritures 175 Tableau 2 : Correspondance au critère de l‘héritage théologique 183

(12)
(13)

xiii

Liste des abréviations

AFSC American Friends Service Committee CAIP Catholic Association for International Peace

CPF Catholic Peace Fellowship

FOR Fellowship of Reconciliation

SANE National Committee for a Sane Nuclear Policy TOB Traduction Oecuménique de la Bibl

(14)
(15)

Remerciements

En cours de route, j‘ai reçu plusieurs conseils et expressions d‘encouragement qui m‘ont aidé à réaliser ce projet de recherche. Trois professeurs – Louis O‘Neill, Bernard Keating et Guy Jobin - ont participé à la direction de cette thèse, chacun apportant une contribution particulière à ma réflexion et au progrès de ce projet de recherche. Jean Richard m‘a accueilli à la Faculté de théologie et de sciences religieux de l‘université Laval quand, de façon tentative, j‘explorais la possibilité de faire une étude au sujet du pacifisme chrétien. Gilles Routhier m‘a encouragé à poursuivre le travail alors que je faisais face à des obstacles que je voyais comme quasiment insurmontables.

J‘ai eu le privilège de recevoir les mots d‘encouragements et les prières des amis venant successivement de trois communautés de foi. Au début du projet, une jeune église sur la Rive Sud de Québec m‘a accompagné. Ensuite, une communauté de foi à Dillsburg en Pennsylvanie a soutenu mes efforts. Enfin, la jeune communauté de l‘Intersection à Terrebonne est là avec moi dans cette dernière partie du parcours. Les expériences vécues avec ces trois communautés m‘ont beaucoup appris concernant les implications de rechercher la paix et de vivre comme artisans de paix dans la vie de tous les jours.

Tout comme dans les randonnées pédestres que nous aimons tant faire ensemble, mon épouse Patricia a vécu cette expérience de recherche, réflexion et rédaction un pas à la fois avec moi. Nos enfants, Jessica, Laura et Andrew, m‘ont exprimé un amour constant et un intérêt pour le sujet tout au long du parcours. J‘apprécie aussi le soutien de nos deux gendres, Paul et Josh, qui ont suivi de près ce projet. Ma mère se renseignait régulièrement à propos de mes progrès avec un regard d‘amour. Mes beaux-parents, Donald et Louise Gillis, m‘ont soutenu dans ce projet et m‘ont fait vivre bien des conversations intéressantes au sujet de la paix et sa réalisation dans ce monde marqué par le conflit.

Dans la joie, je tiens à reconnaître et à honorer Jésus-Christ qui « par la croix a détruit la haine ».

(16)
(17)

1

Chapitre 1 : Introduction

Prendre au sérieux les propos de Jésus concernant la guerre nous met face à deux constats fondamentaux : premièrement, ce monde sera continuellement marqué par la guerre1 jusqu‘à la pleine réalisation du Royaume de Dieu; et deuxièmement, dans ce contexte violent ceux et celles qui désirent suivre Jésus sont appelés à vivre en artisans de paix.2 Dans cette introduction à notre étude du pacifisme chrétien, nous examinons les contextes historique et théologique du sujet. Nous présenterons aussi notre intention d‘analyser les expressions du pacifisme faisant partie du corpus à partir d‘une perspective théologique « évangélique ».

Artisans de paix dans un monde violent

La violence se colle à l‘expérience humaine depuis ses débuts. Un regard sur le monde d‘aujourd‘hui nous remet devant l‘actualité de la guerre qui se déroule en plusieurs milieux et en rapport avec une gamme de situations. Parfois les intervenants sont de grandes nations, engageant le conflit avec les moyens technologiques avancés et accompagnés de discours politiques qui justifient ces expressions de violence en faisant appel aux valeurs de la justice et de la liberté. En d‘autres cas, le chaos et la confusion caractérisent la guerre. Des ethnies et des groupes recherchant le pouvoir, l‘influence ou la richesse s‘entrechoquent, générant la mort et la souffrance chez les gens qui demeurent à proximité. Les moyens technologiques pour faire la guerre sont en constant développement. Cette évolution permet de faire de la violence sur une plus grande échelle ou bien de cibler avec plus de précision un objectif situé à des milliers de kilomètres du point d‘origine de l‘attaque. Évoquer des changements sur les plans technologique et stratégique peut nous conduire à une sorte de fascination devant le génie et l‘imagination déployés dans le développement d‘armes et de ressources pour faire la guerre. Nous pouvons même reconnaître maints exemples où une découverte occasionnée par un effort de guerre trouve des applications rendant plus agréable ou bien plus saine la vie de la population en général.

1 Matthieu 24,6. À moins d‘indications contraires, toutes les citations bibliques sont tirées de la Traduction

Œcuménique de la Bible (TOB).

2 Matthieu 5,9 « Heureux ceux qui font œuvre de paix, ils seront appelés fils de Dieu ». La Bible en Français

courant rend « Heureux ceux qui créent la paix autour d‘eux ». Nous appelons ici « artisans de paix » ceux qui font œuvre de paix et qui cherchent à construire la paix.

(18)

En dépit de ces bénéfices, nous nous trouvons devant l‘évidence que les développements dans les moyens de faire la guerre - le simple fait de devenir plus efficace en tant qu‘artisans de guerre - ne diminuent pas le caractère violent de ce monde. Cette parole de Jésus, « Vous allez entendre parler de guerres et de rumeurs de guerres »,3 décrit encore bien le monde techniquement avancé dans lequel nous vivons.

Depuis les premiers jours de l‘annonce de la Bonne Nouvelle concernant Jésus-Christ jusqu‘à aujourd‘hui, des générations de croyants de toutes les traditions chrétiennes se succèdent en répondant, chacune à son tour et dans son contexte particulier, à l‘appel de Jésus de vivre en artisans de paix dans ce monde marqué par la violence. Et même si l‘Église en général reconnaît son importance, c‘est la nature de cet appel et les exigences reliées à son accomplissement qui font l‘objet de constants débats et d‘efforts de recherche. René Coste résume ainsi la situation : « La pratique de la charité et la promotion de la paix doivent donc être des visées constantes, de la part des chrétiens, même dans les circonstances les plus difficiles et donc, même dans les conflits collectifs. Le problème sera celui du comment. »4 Devant la pertinence et l‘importance d‘aborder cette question des modalités du style de vie des artisans de paix, nous proposons un projet de recherche dans le domaine de l‘éthique théologique ayant comme objet de recherche les discours pacifistes étatsuniens pendant la période de 1980 à 1995.

Dans ces quelques mots d‘introduction, nous avons identifié l‘objet de recherche. Nous poursuivons en regardant le contexte historique du pacifisme chrétien en Amérique du nord avec un accent sur son développement aux États-Unis. Cela nous conduira plus précisément jusqu‘à la période de 1980 à 1995. Nous y constaterons la richesse des expressions du pacifisme et l‘influence qu‘ont exercée celles-ci sur l‘Église. Ensuite, c‘est le contexte théologique que nous décrivons. Pour ce faire, nous regarderons la théorie de la guerre juste et l‘approche pacifiste; ce sont les deux courants principaux de réflexion et d‘agir dans l‘histoire de l‘Église en réponse à l‘appel de Jésus à construire la paix. Par le biais des œuvres de théologiens impliqués dans ce développement théorique, nous examinerons

3 Matthieu 24,6

(19)

3 quelques perspectives sur la nature des rapports à établir entre ces deux courants de réflexion. Notre regard sur le contexte théologique conduira à une description de la nature et de la contribution de ce projet de recherche. Nous passons alors à un survol du parcours du pacifisme en Amérique du Nord, une terre particulièrement fertile pour l‘enracinement et la croissance de cette expression.

Le pacifisme en Amérique du nord : le contexte historique

Dès les premiers jours de l‘établissement d‘une présence britannique en Amérique, l‘accueil accordé aux groupes « non-résistants » comme les Quakers, les Mennonites, et les adhérents du « Church of the Brethren » ouvrait la porte à une expression pacifiste significative dans ce contexte.5 Par la suite, quelques mouvements chrétiens d‘inspiration anabaptiste ont commencé leur implantation et développement aux États-Unis et au Canada, fortifiant par leur vie et message l‘expression pacifiste.6 Parmi les premières références gouvernementales relatives aux Églises de tendance pacifiste, nous signalons « the Militia Act of 1793 » adopté par l‘assemblée législative du Haut-Canada. Par cette loi, les membres des églises Mennonites, Quakers et Tunkers (Brethren in Christ) bénéficiaient d‘une exemption du service militaire. Par compte, les objecteurs de conscience devaient payer au gouvernement une taxe compensatoire.7 De 1861-1865, pendant la guerre de Sécession aux États-Unis, il y avait aussi des demandes formelles présentées auprès du gouvernement de la part des représentants de ces mêmes Églises aux États-Unis afin d‘accorder le statut d‘objecteur de conscience, pour motif de conviction religieuse, à leurs membres qui en faisaient la demande.8

En suivant le fil de l‘expression institutionnelle du pacifisme chrétien aux États-Unis, nous signalons l‘établissement de trois organisations importantes en début du vingtième siècle.

5 Pour une étude concernant les racines de ces Églises de tendance pacifiste (peace churches), voir The

American Peace Movement : Ideals and Activism, Charles Chatfield avec Robert Kleidman, New York, Twayne Publishers, 1992, p. 2.

6 Parmi ces mouvements, nous signalons les débuts de l‘église « Brethren in Christ » qui a commencé en

Pennsylvanie vers la fin du 18e siècle. Voir Quest for Piety and Obedience, Carlton O. Wittlinger, Nappanee,

Evangel Press, 1978, p. 15-19. Les « Frères mennonites », une autre église d‘inspiration anabaptiste, s‘est établie en Amérique du nord par l‘immigration à partir de 1874. Voir (www.usmb.org/ourstory) consulté le 25 juin 2013.

7 Wittlinger, p. 105. 8 Ibid., p. 106.

(20)

Le Fellowship of Reconciliation (FOR) fut fondé en 1914 tandis que l‘American Friends

Service Committee (AFSC) s‘est organisé en 1917. Par la suite, le Mennonite Central Committee a débuté ses activités en 1920. Pour sa part, le Fellowship of Reconciliation

cherchait à démontrer la pertinence sociale et politique du pacifisme. Selon Charles Chatfield, FOR se fondait sur la conviction suivante: « absolute pacifism is socially relevant ». Par conséquent, l‘organisation aspirait au développement d‘expressions efficaces d‘actions non-violentes dans la lutte pour la justice sociale.9 Chatfield décrit ainsi l‘approche du FOR et de l‘AFSC : « The organizational style of the AFSC and the FOR reflected the fact that their leaders identified peace with social justice as well as conflict resolution, and were willing to support a variety of programs for domestic and international reform. »10 Nous voyons ici une expression pacifiste qui démontre un engagement à participer à la mise en place d‘une société et d‘un monde plus justes.

Du côté de l‘Église catholique romaine, étant donné une forte tendance à l‘époque de vouloir faire preuve de patriotisme, les expressions pacifistes se sont développées lentement et non sans controverse.11 En 1927, le Catholic Association for International

Peace (CAIP) a commencé son travail. Cette organisation soutenait les principes de la

théorie de la guerre juste et mettait l‘accent sur la congruence entre un engagement dans l‘Église catholique et une participation de « bon citoyen » au sein de la société américaine.12 Six ans plus tard et dans une autre perspective la collaboration de Peter Maurin et Dorothy Day a conduit à la création du mouvement pacifiste Catholic Worker. Day et Maurin fondaient leur vision pacifiste sur l‘enseignement de Jésus dans le Sermon sur la montagne et liait cette vision à un effort de construire une société et un monde plus justes.13

Devant la menace Nazi en Europe vers la fin des années 30 et à la suite de l‘attaque sur Pearl Harbor par les forces armées du Japon en 1941, il s‘est forgé une solidarité massive

9 Charles Chatfield assisté de Robert Kleidman, The American Peace Movement : Ideals and Activism, New

York, Twayne Publishers, 1992, p. 44.

10 Ibid., p. 55. 11

Voir William A. Au, The Cross, the Flag and the Bomb, Westport, Connecticut, Greenwood Press, 1985, p. 75, et aussi Ronald G Musto, The Catholic Peace Tradition, New York, Orbis, 1986, p. 240.

12 Ibid., p. 32. 13 Musto, p. 242.

(21)

5 parmi les citoyens des États-Unis en faveur de l‘effort de guerre. Le pourcentage de la population qui soutenait le pacifisme a chuté jusqu‘à 0,5 % et le mouvement Catholic

Worker a perdu la plupart de ses sympathisants.14 Pendant la guerre, l‘Association of

Catholic Conscientious Objecteurs a tout de même œuvré de concert avec le National Service Board for Religious Objectors, une organisation regroupant les Quakers,

Mennonites, Brethren in Christ et Frères, pour accompagner et pour apporter de l‘aide aux objecteurs de conscience.

Pendant les années 50 et au début des années 60, un autre chapitre dans l‘histoire du pacifisme chrétien s‘est ouvert. En réponse à la guerre froide et la menace des armes nucléaires, le « pacifisme nucléaire » a donné lieu à un certain rapprochement entre pacifistes et tenants de la théorie de la guerre juste. Le pacifisme nucléaire voit dans toute utilisation possible des armes nucléaires une contravention des principes de jus in bello et une menace à l‘existence même de la vie humaine sur terre. Au sein des organisations comme le National Committee for a Sane Nuclear Policy (SANE),15 les intervenants de

conviction pacifiste ont uni leurs efforts à ceux des pacifistes nucléaires pour dénoncer la production des armes nucléaires et pour résister à une politique de la sécurité nationale axée sur la supériorité de la puissance nucléaire.16

En 1963, le Pape Jean XXIII publiait l‘encyclique Pacem in Terris où il affirmait qu‘en raison de la menace des armes nucléaires, « il est déraisonnable de penser que la guerre est encore un moyen adapté pour obtenir justice ».17 Cette déclaration a servi d‘encouragement aux catholiques aux États-Unis qui défendaient le pacifisme. Par la suite, les propos de

Gaudium et Spes reconnaissant la légitimité de l‘action non-violente18 ont consolidé cet encouragement.19 En 1964, le Catholic Peace Fellowship (CPF) s‘est formé avec le soutien de certains participants du mouvement le Catholic Worker et en association avec le

14 Chatfield, p. 75. Voir aussi Musto, p. 254, qui dit que sur un total de 11 887 objecteurs de conscience

(IV-E) aux États-Unis pendant la deuxième Guerre mondiale, seulement 135 s‘identifiaient comme étant de tradition catholique romaine.

15 Voir Milton S. Katz, Ban the Bomb : A History of SANE, the Committee for a Sane Nuclear Policy, New

York, Praeger, 1987, p. xi.

16 Chatfield, p. 114. 17 Pacem in Terris, 127. 18 Gaudium et Spes, 78.5. 19 Au, p. 106.

(22)

Fellowship of Reconciliation. Cette collaboration a permis d‘instaurer des liens plus forts

entre les pacifistes de différentes appartenances ecclésiales aux États-Unis.20

En réponse au conflit si controversé se déroulant au Vietnam, cette collaboration se poursuivait et elle s‘est enrichie d‘une dimension interreligieuse en ajoutant des liens avec les communautés juive et bouddhiste.21 Du côté de l‘Église catholique, les écrivains comme Gordon Zahn et de Thomas Merton alimentaient la réflexion du mouvement pour la paix au cours de cette période troublée. Pendant cette même période, l‘auteur mennonite John Howard Yoder a publié son livre The Politics of Jesus.22 Quand Yoder a publié The

Politics of Jesus, il avait déjà établi son importance en tant qu‘interprète et défenseur de ce

qu‘il qualifiait d‘un « pacifisme revisité » (a chastened pacifism).23 En effet, l‘œuvre de Yoder, en partant de sa critique de la pensée de Karl Barth en 1957 au sujet de la guerre et la paix dans le cadre de son projet de recherche doctoral, constitue une contribution incontournable en ce qui a trait à une réception moderne du pacifisme. Son argumentation en faveur du pacifisme servira à relancer la conversation au sujet de la paix dans le milieu mennonite et changera la trajectoire de la pensée du théologien influent Stanley Hauerwas.

Le pacifisme avait aussi un certain impact dans le milieu évangélique au cours des années 70. En 1979, Ronald J. Sider, président de l‘organisation Evangelicals for Social Action, a publié son livre Christ and Violence. Il y défend l‘idée qu‘une réflexion sur le ministère de Jésus, la croix et la résurrection, et sur son appel à vivre comme ses disciples conduit à un engagement pacifiste qui ne néglige pas les problèmes de la pauvreté et de l‘injustice sociale.24 Le rôle de Sider est important pour notre travail, car il présente un pacifisme qui s‘inspire de l‘exemple et de l‘appel de Jésus dans le but d‘inviter les Églises de tendance évangélique à considérer la pertinence du pacifisme dans leur vision de l‘éthique sociale. La citation suivante reflète la conviction de Sider et la force de son appel à l‘intention de la communauté évangélique :

20 Ibid., voir aussi, Musto, p. 253. 21 Chatfield, p.123.

22 John Howard Yoder, The Politics of Jesus, Grand Rapids, Eerdmans, 1972. 23

John Howard Yoder, Karl Barth and the Problem of War, New York, Abingdon, 1970, p. 14. Ce livre se base sur la thèse doctorale de Yoder qu‘il écrit sous la direction de Barth.

(23)

7 I am aware that most American evangelicals have been less than enthusiastic about pacifism. But in 1974 at the second national workshop of Evangelicals for Social Action, one proposal that was endorsed as a valid way to implement the Chicago Declaration of Evangelical Social Concern called for a movement of evangelical, nonviolent direct action. I am convinced that an evangelical commitment to biblical authority leads finally to nonviolence.25

Un moment de dialogue entre chrétiens de tendance évangélique qui soutenaient la théorie de la guerre juste avec ceux qui croyaient à l‘approche pacifiste a eu lieu en 1973 lors du « Seminar on Christian Holiness and the Issues of War and Peace » qui s‘est déroulé en Indiana. Au cours de cet événement, les participants ont exploré et débattu la nature du message des Écritures et les enseignements de John Wesley en ce qui a trait à la question de la guerre et la paix. Les présentations données lors de ce séminaire ont été publiées par la suite dans l‘ouvrage Perfect Love and War.26 Dans ce livre, on trouve une contribution de Ronald J. Sider. Dans sa critique d‘un article présenté par Bishop Ellis de l‘Église Free

Methodist, Sider déclare que l‘approche non-violente n‘est pas naïve dans son regard sur la

présence du mal, mais plutôt empreinte de la conviction que le chrétien doit résister au mal selon les méthodes que Jésus ordonne.27

À partir de 1980 et toujours dans ce contexte de crise nucléaire, il y aura une mobilisation populaire dans la société étatsunienne en faveur de la paix qui trouvera des échos dans des expressions théologiques cherchant à mettre en valeur le message chrétien concernant la paix. Dans cette multiplication de réflexions théologiques, le pacifisme chrétien aura une place.

L’essor des expressions du pacifisme à partir de 1980

Le 12 juin 1982, une manifestation comptant plus d‘un million de participants s‘est tenue dans la ville de New York dans le but d‘enjoindre le gouvernement des États-Unis à cesser

25 Ronald J. Sider, « A Call for Evangelical Nonviolence », dans Mission and the Peace Witness, Robert L.

Ramseyer (éd.), Kitchener, Ontario, Herald Press, 1979, p. 55.

26Perfect Love and War: A Dialogue on Christian Holiness and the Issues of War and Peace, Paul Hostetler

(éd.), Nappanee, Indiana, Evangel Press, 1974. Voir le dernier chapitre de ce livre « An Historical Survey of Attitudes Toward War and Peace Within the American Holiness Movement » de Donald W. et Lucille S. Payton. Les auteurs y présentent un survol historique de l‘influence de la pensée pacifiste dans les groupes chrétiens étatsuniens influencés par l‘enseignement de John Wesley (p. 132-152).

(24)

la production des armes nucléaires pour créer un « gel » de ces armes si destructives. Aussi, en réponse à la crise nucléaire, de nombreux dirigeants et théologiens de différentes traditions chrétiennes des États-Unis ont écrit dans l‘effort de faire le lien entre l‘appel de Jésus à vivre en artisans de paix et la situation si menaçante pour le monde entier de la multiplication des armes nucléaires. Certains ont abordé le problème de la crise nucléaire à partir de la tradition de la guerre juste, et ce en mettant en évidence des arguments démontrant la pertinence de la position augustinienne face aux défis énormes que posait la dissuasion nucléaire.28 Devant l‘urgence de construire un monde plus pacifique, d‘autres ont vu dans le pacifisme une ressource à considérer dans un rapport de complémentarité avec celle de la théorie de la guerre juste. Nous voyons une expression de ce rapport de complémentarité dans le texte de deux documents ecclésiaux majeurs publiés aux États-Unis. Le premier est la lettre pastorale publiée en mai 1983 par la Conférence des Évêques sous le titre Le défi de la paix : La promesse de Dieu et notre réponse.29 Le deuxième

apparaît en 1986 et s‘intitule In Defense of Creation, une déclaration de la Conférence des évêques de l‘Église méthodiste.30 Nous ferons, au chapitre 3 une analyse et critique

approfondie de la lettre pastorale des évêques catholiques, ainsi que de la déclaration épiscopale qui l‘a suivie en 1993.31

À ce point dans notre parcours, nous signalons un développement que nous jugeons important pour la réflexion théologique concernant la guerre et la paix issue de ce contexte de crise: le pacifisme, habituellement discuté dans les milieux d‘héritage anabaptiste et marginalisé généralement dans les traditions catholique romaine, protestante et évangélique, se trouve désormais intégré à la conversation théologique et éthique dans tous les courants de tradition chrétienne. Parlant de l‘évolution de la place du pacifisme au sein de l‘Église catholique des États-Unis pendant la période que nous considérons, William Au écrit :

28 Voir The Nuclear Dilemma and the Just War Tradition William V. O‘Brien et John Langan, S.J., (éd.),

Toronto, D.C. Heath and Company, 1986. Voir aussi Ronald J. Sider, Completely Pro-Life, Downers Grove, InterVarsity Press, 1987, p.159-168. Dans ce livre, Sider, un pacifiste, choisit d‘aborder le problème des armes nucléaires par le biais d‘une critique fondée principalement sur les critères de la guerre juste.

29 Le défi de la paix : La promesse de Dieu et notre réponse, La Documentation Catholique, no. 1856 (24

juillet 1983), texte original dans Origins, vol. 13, no. 6 (23 June 1983).

30 In Defense of Creation, The United Methodist Bishops‘ Pastoral Letter, Nashville, Graded Press, 1986. 31 Le fruit de la justice est semé dans la paix, Déclaration de la Conférence épiscopale des États-Unis, La

(25)

9 The rise of pacifism to such unprecedented prominence was reflective of a major reconsideration by significant elements within the Church of fundamental factors constitutive of the debate on war and peace : the ethical demands of the Gospel concerning the use of armed force; the qualitatively new situation created by nuclear weapons and even modern conventional warfare; the attitude to be assumed by the Church toward the modern state; and the compatibility of the goals and values of American policy with these requirements defined by the Church as essential to world peace and human development.32

Parmi les Églises protestantes, en plus de l‘ampleur de la place donnée au pacifisme dans la lettre pastorale des évêques de l‘Église méthodiste, nous voyons une expression importante du pacifisme de cette même Église dans l‘œuvre du théologien Stanley Hauerwas. Fortement influencé par les écrits du mennonite John Howard Yoder, Hauerwas construit et communique une vision du pacifisme qu‘il propose dans son livre The Peaceable

Kingdom : A Primer in Christian Ethics.33 Cet ouvrage sera suivi de plusieurs autres, sur le même sujet, au cours des années 80 et 90. La pensée pacifiste de Hauerwas fera l‘objet d‘une analyse en profondeur au quatrième chapitre de cette thèse.

Au sein de la communauté évangélique durant cette même période, nous voyons également des signes de cette influence montante du pacifisme. En novembre 1980, la revue mensuelle Christianity Today, voix influente de la théologie et de la spiritualité évangéliques, a publié dans le même numéro deux articles dont un défendait la théorie de la guerre juste et l‘autre présentait le pacifisme comme la position étant la plus en harmonie avec le témoignage biblique et l‘appel de Jésus.34 Aucune réflexion critique éditoriale n‘accompagne ces deux articles commentant les idées opposées qui s‘y trouvent. On invite simplement le lecteur à poursuivre sa propre réflexion et à continuer le dialogue en soumettant par lettre ses idées en réponse.35 En contraste avec l‘accent placé sur le dialogue et la compréhension dans ce numéro de novembre 1980, nous trouvons un éditorial publié

32 Au, p. 240. Pour une considération du caractère pluraliste et complexe des conversations concernant la

paix et l‘influence du pacifisme aux États-Unis et dans le contexte plus large, voir aussi « Peace and Pluralism : Church and Churches », Mary Evelyn Jegen, S.N.D., dans One Hundred Years of Catholic Social Thought :Celebration and Challenge, Orbis, 1991, pp. 286-302.

33 Stanley Hauerwas, The Peaceable Kingdom : A Primer in Christian Ethics, Notre Dame, University of

Notre Dame Press, 1983.

34 Robert D. Culver, « Justice Is Something Worth Fighting For » et John Drescher, ―Why Christians

Shouldn‘t Carry Swords‖ dans Christianity Today, November 7, 1980, pp. 14-25.

(26)

par Christianity Today au printemps de 1982 dans lequel on met en garde le lecteur face à l‘intérêt montant du pacifisme chez les croyants de tradition évangélique. L‘auteur termine sa réflexion en affirmant que le pacifisme ne représente pas la solution aux problèmes engendrés par le déploiement des armes nucléaires.36

Un événement qui démontre la place que le pacifisme occupe dans la conscience évangélique dans cette période a eu lieu en mai 1983 dans la ville de Pasadena en Californie. Mille quatre cents chrétiens venant de plus de quarante dénominations et organismes, s‘inscrivant tous dans le courant de la théologique évangélique, appuyés par la National Association of Evangelicals, se sont rassemblés dans le but d‘examiner les questions reliées à la course aux armements nucléaires et à la guerre et la paix à la lumière de l‘enseignement biblique.37 Ce colloque fut précédé d‘une période de plus de deux ans de travaux préparatoires. Les participants et les conférenciers présents à l‘événement reflétaient la diversité de la grande communauté évangélique aux États-Unis. Il y avait les gens de conviction pacifiste et les gens qui soutenaient la théorie de la guerre juste.38 On y

signale la présence de deux sénateurs fédéraux, des pasteurs, des professeurs et présidents d‘institutions universitaires d‘orientation chrétienne et évangélique. Une telle diversité n‘a pas manqué de générer des tensions. Vernon C. Grounds, conférencier de conviction pacifiste, a décrit ce qu‘il estimait comme un malaise parmi certains évangéliques devant le fait d‘accorder autant d‘importance à la question de la paix : « I am deeply concerned because many of my fellow Evangelicals are hostile towards peacemaking. They allege that it is both unbiblical and futile; they sometimes insinuate that concern for peace is very liable to be Communist inspired. »39 Au cours de ce colloque, en plus de considérer les questions reliées aux armes nucléaires, on a cherché, à la lumière des Écritures, à mieux cerner ce que doit être l‘implication des croyants « as individual Christians and as the corporate Body of Christ. »40

36 « A Proposal to Tilt the Balance of Terror », Christianity Today, April 9, 1982, pp. 16-17, p. 17.

37 Perspectives on Peacemaking : Biblical Options in the Nuclear Age, John A. Bernbaum, rédacteur,

Ventura, California, Regal, 1984, p. 9.

38 Voir l‘article « Reconciling the Peacemakers » de Robert P. Dugan, Jr. Dans ACTION, Mar-Apr 1983. 39 « A Peace Lover‘s Pilgrimage » de Vernon C. Grounds, dans Perspectives on Peacemaking, p. 172. 40 Perspectives on Peacemaking, p.11.

(27)

11 Un des conférenciers qui a participé à cet événement était Jim Wallis, le fondateur et directeur du mouvement Sojourners. Wallis et la communauté Sojourners cherchaient, depuis l‘établissement de cette organisation en 1971, à promouvoir une adhérence à une foi enracinée dans la révélation biblique réunie avec une certaine radicalité sur le plan politique et incluant un accent sur le pacifisme.41 Tout au long des années 80 et 90, Wallis publiera des articles et des livres expliquant la nature de cette synthèse et de sa pertinence pour le contexte des États-Unis. Ses écrits au sujet du pacifisme et le parcours de la communauté

Sojourners feront l‘objet d‘une lecture et analyse en détail au chapitre cinq de cette

recherche.

L‘ampleur de l‘événement tenu à Pasadena impressionne avec autant de leaders évangéliques qui se rassemblent pour discuter et débattre de questions reliées à la paix et la guerre. La forte présence du discours pacifiste surprend aussi. Il y a ici un appel lancé à la grande communauté des Églises évangéliques pour intégrer le pacifisme à leur vision de l‘engagement social et politique de l‘Église et même d‘en faire une norme.42 Ce

mouvement de pensée remettait en question le principe de la guerre juste qui se trouvait jusqu‘alors bien ancré dans la vision sociale et politique de plusieurs chrétiens de tendance évangélique.

Le discours pacifiste chrétien aux États-Unis de 1980-1995

Notre présentation de l‘essor du discours pacifiste aux États-Unis à partir de 1980 nous conduit à y voir les contours d‘un champ de recherche. La réflexion sur le pacifisme chrétien est présente dans toutes les trois grandes traditions chrétiennes présentes aux États-Unis : catholique, protestante et évangélique. Cette pluralité d‘expressions s‘accompagne d‘une profondeur qui invite le théologien-chercheur à l‘exploration et à l‘analyse. Force est d‘admettre que cette période que nous voyons comme étant particulièrement féconde en réflexion au sujet de la paix est en grande partie le résultat d‘un sentiment d‘urgence vécu dans la communauté théologique chrétienne devant le problème des armes nucléaires. Si les facteurs contextuels nous éclairent concernant ce qui a motivé la publication dans cette

41 Jim Wallis, « For Still the Vision Awaits Its Time», Sojourners (August-September 1991), pp. 10-14. 42 Randy Frame, « Is the Road to Peace Paved With Might or Meekness? », dans Christianity Today (July 15,

1983), pp. 39-42, p. 39. Voir aussi Ronald Sider, ―A Call for Evangelical Nonviolence‖, pp. 52-67, dans Mission and the Peace Witness, Robert L. Ramseyer, éd., Kitchener, Ontario, Herald Press, 1979, p. 54.

(28)

période d‘autant de textes qui présentent et défendent la position pacifiste, il nous reste le travail important de les parcourir et de les étudier dans le but de mieux apprécier et cerner la nature de leur contenu. Une lecture attentive de ces textes permettra une meilleure compréhension des conceptualisations du pacifisme chrétien émergeant de ce contexte. Le désir de mieux comprendre amène à mieux cerner la pertinence de ces expressions du pacifisme pour notre propre parcours d‘artisans de paix dans un monde marqué par la violence. Les expressions du pacifisme qui se construisent au cours de cette période tendent vers un engagement pour la justice sociale au sein de la société. Il ne s‘agit pas d‘un mouvement en retrait. Cette sensibilité aux questions de justice sociale chez les pacifistes de cette période se reflète dans ce propos de Mary Evelyn Jegen : « (Le pacifisme) ne veut pas dire passivité. La non-violence évangélique demande l’intervention active de l‘amour dans les situations de conflit. Elle appelle des œuvres de justice constructives et une œuvre de paix, et non pas le retrait de la lutte. »43

Après cette présentation du contexte historique qui permet de situer et de comprendre notre question de recherche, nous considérons des écrits qui explorent le pacifisme dans son rapport avec la théorie de la guerre juste. Nous dirigeons alors nos regards sur le contexte théologique de notre sujet.

Le pacifisme chrétien et la guerre juste : le contexte théologique

Un regard sur le parcours de l‘Église occidentale, incluant les Églises de la Réforme, révèle deux voies principales, dont une est de loin la plus fréquentée, qui orientent les réponses des croyants au problème de vivre en artisans de paix au nom de Jésus.44 La voie empruntée par la majorité des chrétiens, au moins depuis le quatrième siècle, compte parmi ceux qui l‘ont choisie et développée des théologiens comme Ambroise, Augustin, Thomas d‘Aquin, François de Vitoria, Luther et Calvin et plus récemment Reinhold Neibuhr, John Courtney Murray, Paul Ramsey et J. Daryl Charles. Quoique se manifestant dans une diversité

43 Mary Evelyn Jegen, « Une attitude entièrement neuve », Concilium, vol. 184 (avril 1983), p. 98, italiques

de l‘auteur. Pour deux autres expressions d‘une position pacifiste qui comprend cette dimension d‘une intervention active, voir Just Peacemaking de Glen H. Stassen, Westminster/John Knox Press, 1992 et aussi A Persistent Peace de l‘activiste John Dear, Loyola Press, 2008.

44 Il y a une troisième voie, celle de la guerre offensive ou la croisade, qui se trouve parmi les modes de

réponse des chrétiens face à la question de la guerre. Voir Harold O.J. Brown, ―The Crusade or Preventative War‖ dans War : Four Christian Views, Robert G. Clouse, (éd.), InterVarsity Press, 1991, pp. 151-168.

(29)

13 d‘expressions, cette voie se caractérise par la conviction que, malgré le fait que Dieu ne veut pas la guerre, dans un monde marqué par l‘injustice et l‘agression la guerre est parfois nécessaire et les croyants se doivent d‘y participer. Cette approche qui permet et endosse une participation à la guerre45 de la part des chrétiens, à la condition de satisfaire à certains critères reconnus, se nomme la « théorie de la guerre juste ».46 Pour appuyer la théorie de la guerre juste, on fait souvent appel au principe de la loi naturelle et à celui du droit des individus et des nations à la légitime défense.47 Certains défenseurs de la guerre juste, comme Augustin et Ramsey, établissent un lien entre l‘amour et l‘obligation de prendre les armes en défense des victimes d‘injustices et des opprimés.48 Pour sa part, Reinhold Neibuhr met l‘accent sur la nature pécheresse de l‘homme exprimée dans l‘injustice et le caractère violent des structures sociales et politiques. Dans sa perspective du réalisme chrétien, la guerre demeure une nécessité.49

À côté de la théorie de la guerre juste, et partageant son présupposé contre l‘emploi de la violence, nous trouvons la voie minoritaire du pacifisme. Dans cette perspective, la participation d‘un croyant à la guerre est inacceptable.50 Le pacifisme, tout comme la

45

Dans un document conçu pour la formation des militaires étatsuniens, on donne la description suivante de la guerre : « Warfare remains a violent clash of interests between organized groups characterized by the use of force. » The US Army, Marine Corps Counterinsurgency Field Manuel, Chicago, University of Chicago Press, 2007, p. 1.

46 Pour suivre le développement historique de la théorie de la guerre juste, voir René Coste, Théologie de la

Paix, p. 138-163. Pour les bases philosophiques et théologiques de cette position, et pour les critères régissant la mise en pratique de la guerre juste, voir J. Daryl Charles, Between Pacifism and Jihad: Just War and Christian Tradition, Downers Grove, InterVarsity Press, 2005, p. 119-147.

47 Lisa Sowle Cahill, « Theological Contexts of Just War Theory and Pacifism: A Response to Bryan Hehir »,

dans The Journal of Religious Ethics, Volume 20, no. 2 (Fall 1992), p. 264. Voir aussi la remarque suivante de Paul Ramsey: « while holding that in the divine economy for this world just war is the meaning of statecraft, and that pacifism cannot be addressed to states. Still, these are equally Christian discipleships. » p. 123. Dans Speak Up For Just War Or Pacifism, University Park, The Pennsylvania State University Press, 1988.

48 J. Daryl Charles, Between Pacifism and Jihad: Just War and Christian Tradition, Downers Grove,

InterVarsity Press, 2005, p. 41.

49

Pour une considération de la pensée et de l‘influence de Reinhold Niebuhr, voir Stanley J Grenz et Roger E Olson, 20th Century Theology : God & the World in a Transitional Age, Downers Grove, InterVarsity Press, 1992, p. 99-114.

50 John H. Yoder, « Pacifism » dans Dictionary of Ethics, Theology and Society, édité par Paul Barry Clarke

et Andrew Linzey, New York, Rutledge, 1996, p.625. Yoder décrit le pacifisme ainsi: ―…a term of recent coinage designating any position, moral or political, according to which war is unacceptable.‖ Louis Schweitzer donne cette définition du pacifisme chrétien: « Le refus de toute participation chrétienne à la violence. » Voir l‘article « Herméneutique et Violence » dans HOKHMA (no. 30, 1985, pp.21-34), p. 21.

(30)

théorie de la guerre juste, se manifeste dans une gamme diversifiée d‘expressions.51 Parmi les penseurs et théologiens dans l‘Église que l‘on associe avec le pacifisme, il y a Tertullien, Origène, Menno Simons, Michael Sattler et, pour la période contemporaine, John Howard Yoder, Stanley Hauerwas et John Dear. La conviction pacifiste ou non-violente s‘enracine souvent dans une référence à l‘engagement de rester fidèle à l‘appel de suivre Jésus dans ce monde et comporte un aspect communautaire.52 Plusieurs auteurs voient dans les trois premiers siècles du parcours de l‘Église un fort courant pacifiste.53 D‘autres, évoquant la participation de nombreux chrétiens dans les forces militaires romaines, n‘acceptent pas la prédominance de la conviction pacifiste durant cette période.54 Cependant, tous reconnaissent la centralité de l‘approche de la guerre juste dans la réflexion et l‘agir du monde chrétien à partir du temps de Constantin.

Un regard sur le travail de quelques théologiens ouvre une fenêtre sur différentes manières de saisir le parcours de l‘Église dans ses réponses à l‘appel de vivre en artisans de paix. À travers leurs perspectives et accents particuliers, nous voyons aussi différentes façons de comprendre les rapports d‘importance et de valeur d‘établis entre la théorie de la guerre juste et la conviction pacifiste ou non-violente.

Parmi ceux qui ont décrit et étudié les réponses des croyants à l‘appel de Jésus à construire la paix nous trouvons le Père Joseph Joblin qui cherche à établir la contribution de l‘Église catholique romaine. Dans son livre L’Église et la Guerre, le Père Joblin estime que l‘Église rend un « service de la conscience » à l‘humanité.55 Par les richesses de « l‘expérience des

51 Pour une illustration des différents types d‘expressions pacifistes, voir Mennonite Peace Theology: A

Panorama of Types, John Richard Burkholder et Barbara Nelson Gingerich (éd.), Akron, PA, Mennonite Central Committee Peace Office, 1991. Dans ce document nous trouvons une description de 10 types du pacifisme, tous situés dans la tradition mennonite. Pour un parcours historique des expressions du pacifisme à travers l‘histoire de l‘Église voir John H. Yoder, Christian Attitudes to War, Peace and Revolution : A Companion to Bainton, Elkhart, Indiana, Goshen Biblical Seminary, 1983.

52 Cahill, p.261. L‘auteur affirme que « Key to pacifism is the fact that it is a communal practice in imitation

of Christ‘s servanthood and cross. »

53 Voir Jean-Michel Hornus, It Is Not Lawful For Me To Fight, traduit par Alan Kreider et Oliver Coburn,

Kitchener, Ontario, Herald Press, 1980, p.16, et War : Four Christian Views (New Edition), Robert Clouse (éd.) Downers Grove, InterVarsity Press, 1991, p. 11, et aussi R. Coste (Théologie de la Paix) qui parle « d‘une grande ouverture de la conscience chrétienne à l‘interpellation de la paix évangélique et notamment de sa caractéristique essentielle de non-violence. » pendant la période en question, (p. 133).

54 Charles, p. 36.

(31)

15 premières communautés chrétiennes »56 et par sa capacité de persévérer dans l‘effort de conjuguer les principes tirés de l‘Évangile avec les besoins d‘un monde en constante évolution, l‘Église assiste et accompagne les puissants de ce monde dans la recherche de la paix. À travers les discours papaux et les contributions de penseurs dans la communauté catholique, « elle fonctionne comme le ‗cerveau‘ d‘un système pluriculturel à vocation et ambition universelles ».57 Dans la perspective du Père Joblin, l‘Église joue en premier lieu un rôle de diplomate auprès des nations faisant appel aux valeurs du bien commun et aux principes de la théorie de la guerre juste. Quand il fait mention du pacifisme, Joblin affirme, en se référant aux propos de Benoit XV, que « le pacifisme catholique est celui d‘un ‗sain réalisme‘. Il ne peut se réfugier hors du monde par suite d‘une démission devant les responsabilités présentes ».58 Joblin considère que le pacifisme risque de dégénérer en discours moralisateur.59 L‘auteur n‘accorde que peu d‘importance au témoignage des croyants dans leur engagement de suivre Jésus sur le chemin de la paix, si ce n‘est qu‘ils reconnaissent « l‘importance de la conscience des croyants » pour construire la paix dans le monde. Le pacifisme authentique selon Joblin représente non pas le refus de la guerre de la part de l‘Église, mais plutôt la détermination de poursuivre l‘effort de trouver la manière la plus efficace et responsable de mettre en évidence et en pratique des principes de la guerre juste dans ce monde où la violence est encore présente. Joblin voit l‘Église comme une institution qui puise uniquement à la source de la guerre juste dans sa contribution à la construction de la paix dans le monde.

L‘historien et théologien français Georges Minois présente un tableau plus sombre du parcours de l‘Église dans sa vocation évangélique de vivre dans le monde en construisant la paix. Tout comme pour le Père Joblin, Minois limite son discours à l‘Église catholique romaine. Il juge que celle-ci n‘est « ni un facteur de guerre ni un facteur de paix ».60 Nous vivons dans un monde où l‘on fait la guerre non pas pour rétablir la justice mais pour « violer les interdits »;61 la violence est ainsi profondément ancrée dans le cœur humain,

56 Ibid.

57 Joblin, p.253. 58 Ibid., p. 239. 59 Ibid., p. 249.

60 Georges Minois, L’Église et la Guerre, Paris, Fayard, 1994, p.455. 61 Ibid., p. 28.

(32)

quelle que soit l‘orientation ou la culture religieuse des personnes. Selon Minois, le facteur-clé qui limite la capacité de l‘Église de contribuer à la paix est le lien serré qui se tisse entre l‘Église-institution et le pouvoir politique en place, que ce soit l‘empereur, le roi ou bien la nation. Quand les intérêts et les objectifs de l‘Église se trouvent associés à ceux du pouvoir politique, la théorie de la guerre juste est réduite à un instrument dont ceux qui font la guerre au nom de la justice de Dieu se servent pour défendre et soutenir leurs démarches. Minois prétend que « partant des meilleurs principes de la guerre juste, on peut justifier n‘importe quelle guerre d‘agression, car tout dépend de l‘interprétation donnée au faits concrets… ».62 Voilà ce qui fait du « droit de guerre » selon ce théologien et historien « une des plus grandes illusions de la chrétienté »63 et qui devient « caduque » depuis le déploiement de la bombe atomique à Hiroshima.64

En ce qui concerne le pacifisme, Minois souligne son inefficacité dans le monde et sa marginalisation dans la réflexion et l‘agir de l‘Église. Quand il fait mention des vaudois, un mouvement chrétien au 12e siècle qui était un précurseur du mouvement anabaptiste,

Minois ajoute que leur conviction pacifiste constituait aux yeux de l‘Église une marque d‘hérésie.65 En fait, comment accueillir une position qui pouvait compromettre le lien entre l‘Église et le pouvoir? Le pacifisme trouve une expression chez Menno Simons, Michael Sattler et Conrad Grébel lors de la Réforme radicale, mais demeure toujours en marge de l‘Église. Quatre siècles plus tard, au cours des années 1920, le pacifisme exerce une certaine influence, quoique minoritaire et contestée, au sein de l‘Église.

Minois signale une évolution de la place du pacifisme dans la réflexion de l‘Église à partir des années 50 qui s‘illustre dans le texte conciliaire Gaudium et Spes dans lequel on reconnait « la légitimité de la non-violence comme moyen de défense des droits ».66Notons que Minois dans la conclusion de son œuvre n‘accorde pas d‘avenir à la théorie de la guerre juste, mais il offre cette réflexion concernant le pacifisme : « Le retour à une position pacifiste, qui provoque encore des réticences mais qui semble irréversible…ne va-t-il pas

62 Ibid. p.72 63 Ibid. 64 Ibid., p. 412. 65 Ibid., p. 204.

(33)

17 s‘accompagner inéluctablement d‘une désinstitutionalisation? Il s‘agirait alors d‘un retour à l‘esprit de l‘Église primitive et de son message. ».67 Dans cette condition où elle n‘est plus liée aux institutions politiques, retrouvant ainsi son caractère de communauté spirituelle, l‘Église peut et doit agir dans un effort de construire la spiritualité humaine.68

René Coste de Pax Christi voit le pacifisme et la tradition de la guerre juste dans un rapport de complémentarité dans son livre Théologie de la paix. S‘inspirant du travail des évêques des États-Unis dans la lettre pastorale Le défi de la paix, Coste veut mettre en évidence la contribution grandissante de la position de la non-violence dans l‘élaboration d‘une théologie de paix qui réoriente la réflexion de l‘Église au sujet de la guerre. Son livre inclut des chapitres sur le message biblique concernant la paix, le parcours historique de l‘Église dans son rapport à la question de la paix, et aussi sur la spiritualité et une approche pastorale reliées à la construction de la paix dans le monde. On aurait pu facilement donner à ce livre le sous-titre « Un manuel pour mieux construire la paix dans le monde d‘aujourd‘hui ». L‘auteur s‘efforce de reconnaître les contributions des autres communautés chrétiennes « qui constituent toutes réunies, dans leur présent et leur histoire, la tradition chrétienne ».69 Dans cette approche plus œcuménique, on arrive à mieux cerner le message biblique concernant la paix. Il est d‘une importance capitale de travailler soigneusement avec la Parole de Dieu et Coste met un accent particulier sur la compréhension du message du Sermon sur la montagne dans son rapport avec la non-violence. Nous le citons alors qu‘il décrit la dynamique qui résulte de l‘effort de conjuguer les paroles de Jésus dans ce message :

Une dynamique qui fait appel à la fois à notre liberté et à notre responsabilité, à nos tâtonnements et à notre audace, à notre repentir et à notre sens de l’écoute d’autrui et de dialogue. Il s’agit donc d’une interprétation ouverte du grand texte évangélique, mais qui n’en est moins extrêmement exigeante et mobilisatrice. 70

L‘exigence nommée est avant tout liée à l‘appel de Jésus de vivre dans l‘amour des ennemis et de persévérer dans l‘effort de construire la paix; notre liberté et responsabilité

67 Minois, p. 458. 68 Ibid., p. 464.

69 René Coste, Théologie de la paix, Paris, Du Cerf, 1997, p.36. 70 Ibid., p. 114-115 (italiques de l‘auteur).

(34)

trouvent une expression dans l‘ouverture à l‘application des principes de la guerre juste, aperçus comme toujours pertinents dans le contexte de notre monde. Plus tard, Coste parle d‘une ouverture plus grande à « l‘interpellation de la paix évangélique à assumer d‘une façon responsable au cœur même de la politique et des conflits collectifs les plus violents. »71 Coste reconnait la contribution de la non-violence qui nous pousse vers une vie qui sera davantage à l‘image de l‘appel de Christ. Il relie la notion de responsabilité à la pertinence de la position de la guerre juste.

Après avoir examiné les perspectives offertes par Joblin, Minois et Coste concernant la réflexion de l‘Église au sujet de la question de la guerre et la paix, nous faisons mention aussi du travail de deux autres auteurs qui abordent le sujet d‘une manière qui situe en avant-plan le pacifisme.72

Dans son livre, The Catholic Peace Tradition, Ronald G. Musto présente un survol de la contribution de la tradition pacifiste dans l‘Église catholique. Le message de l‘Évangile et l‘exemple donné par Jésus, et non pas la tradition de la guerre juste, fonctionnent comme critères principaux pour l‘auteur dans l‘effort de construire la paix. Il écrit: «By adopting and sharing Christ‘s suffering, Christian peacemakers fully imitate Christ. In their perfect imitation they approach the true meaning of salom, that is perfection ».73 Le pacifisme ou la non-violence évangélique est présentée comme le reflet fidèle du message biblique; la théorie de la guerre juste garde une certaine valeur bien qu‘elle soit jugée comme déficiente quand on l‘expose à la lumière de l‘Évangile. D‘une manière semblable à Minois, Musto voit la montée du pacifisme dans l‘Église catholique contemporaine comme un heureux retour à la perspective de l‘Église primitive. En ce qui concerne le contexte étatsunien, l‘auteur signale la progression significative de l‘expression pacifiste depuis 1960.

71 Coste, p. 129.

72 Nous signalons aussi le travail de l‘historien et théologien mennonite Guy F. Hershberger dans son livre

War, Peace, and Nonresistance, Herald Press, 1944. Dans ce livre publié vers la fin de la Deuxième guerre mondiale, l‘auteur trace le parcours historique du pacifisme en plus d‘examiner le message biblique concernant la question de la guerre et la paix. Il y explore aussi différentes façons d‘exprimer la conviction pacifiste.

(35)

19 En dernier lieu dans ce regard sur les différentes façons de saisir les rapports entre les deux approches principales en réponse à l‘appel de Jésus de construire la paix dans ce monde, nous signalons la contribution de l‘historien de tradition « Quaker » Roland H. Bainton. Tout en reconnaissant l‘importance de contribuer à l‘avancement de relations plus harmonieuses et pacifiques entre les nations, l‘auteur identifie comme question fondamentale la nature de l‘engagement du chrétien dans ce monde où la violence est si présente. Il écrit: « Our primary concern is with the stand to be taken by the Christian. »74 Dans une telle approche, même notre façon de cerner la notion de responsabilité dans le monde se trouve conditionnée par la manière de saisir la nature de la vocation du chrétien et de la communauté de foi dans le monde.

Dans ce survol de l‘œuvre de ces quatre théologiens, nous avons observé différentes façons de voir l‘apport et l‘importance du pacifisme dans la réflexion de l‘Église et dans sa réponse à l‘appel de Jésus d‘agir en artisans de paix. Nous passons à la présentation de notre projet de recherche qui étudie les expressions du pacifisme chrétien dans le contexte étatsunien à partir d‘un modèle d‘analyse issu de la théologie évangélique.

Lecture et analyse du discours pacifiste dans une approche évangélique

Comme Johan Verstraeten l‘affirme dans son article au sujet de la méthodologie en éthique, les convictions personnelles que nous amenons avec nous en faisant tout projet de recherche, tout comme la perspective de la communauté dans laquelle nous vivons la foi, informent la démarche que nous employons dans ce projet de recherche sur le pacifisme dans son rapport avec la théologie évangélique.75 En fait, nous abordons le sujet à partir d‘une perspective particulière qui influence notre façon de formuler la problématique et le choix d‘une méthodologie d‘analyse et de recherche. Pour préciser, l‘Église dans laquelle je vis ma foi en Christ réunit dans sa théologie et sa spiritualité deux courants majeurs : la théologie évangélique et la théologie anabaptiste. La rencontre de ces deux courants dans la réflexion et l‘agir de cette dénomination produit un double effet. Associant la valorisation de l‘autorité biblique à une recherche d‘incarnation des principes bibliques, cette rencontre

74 Roland H. Bainton, Christian Attitudes Toward War and Peace, New York, Abingdon, 1960, p. 13.

75 Johan Verstraeten, « Narrativity and Hermeneutics in Applied Ethics : Some Introductory Considerations »,

(36)

de ces courants permet d‘enrichir son expérience, mais elle génère en même temps un rapport de tension. Le pacifisme présent dans l‘église Brethren in Christ depuis ses débuts en Pennsylvanie en 1778 trouve sa source dans la tradition anabaptiste76 où un accent est mis sur l‘importance d‘une obéissance radicale au message de Christ dans le contexte de la communauté de foi. Partageant avec l‘approche anabaptiste la place centrale qu‘occupe la Bible dans la démarche théologique, la théologie évangélique met en avant-plan la conversion de l‘individu. Cependant, et c‘est là une source de tension, elle penche vers une perspective politique conservatrice incluant un appui accordé aux interventions militaires de l‘État, du moins dans son expression aux États-Unis.77 Comment aborder le rapport entre le pacifisme et la théologie évangélique? Quels sont les correspondances, les points de compatibilité et les tensions que l‘on peut identifier dans la rencontre du pacifisme chrétien avec une perspective théologique évangélique? Est-ce que le pacifisme peut et doit garder sa place au sein de l‘éthique sociale d‘une dénomination comme les Brethren in Christ qui se trouve de plus en plus influencée par la théologie évangélique? Bien au-delà de cette situation de l‘Église Brethren in Christ, nous voyons la pertinence profonde de la question de la réception et la mise en pratique du pacifisme dans la communauté chrétienne en Amérique du nord et à travers le monde face aux menaces du terrorisme et des conflits générés par l‘injustice et par l‘intolérance ethnique et religieuse dans le contexte contemporain.

Nous croyons alors qu‘il est important de faire une lecture et une analyse du discours pacifiste chrétien aux États-Unis durant la période allant de 1980 à 1995 à partir d‘une perspective évangélique. Cet exercice nous permettra de mieux cerner les correspondances et tensions entre le pacifisme chrétien et une approche théologique d‘inspiration évangélique.

L‘auteur évangélique français Louis Schweitzer reconnaît dans l‘approche de la guerre juste « la tradition dominante dans toutes les grandes branches du christianisme. »78 Et tout

76 E. Morris Sider, The Brethren in Christ in Canada : Two Hundred Years of Tradition and Change,

Canadian Conference of the Brethren in Christ Church, 1988, p. 1.

77 Stanley J. Grenz, Revisioning Evangelical Theology, Downers Grove, InterVarsity Press, 1993, p. 107. 78 Schweitzer, p.22.

(37)

21 comme nous l‘avons remarqué plus haut, la forte tendance dans le milieu évangélique aux États-Unis est de soutenir la tradition augustinienne.79 Pour justifier ce soutien, on fait appel au principe de la responsabilité envers les victimes d‘injustice, ainsi qu‘aux fondements rationnels de la loi naturelle et de la tradition.

Robert Clouse est un auteur important qui étudie la réception du pacifisme dans le milieu de la théologie évangélique. Il est le rédacteur de War : Four Christian Views, publié en 1981 et sorti en deuxième édition en 1991. Le souci principal de Clouse est d‘éduquer les chrétiens dans les Églises de tendance évangélique au sujet des différentes façons de saisir la responsabilité du chrétien face à la réalité de la guerre.80 Il cherche à atteindre son objectif en donnant la parole à quatre théologiens qui exposent leurs vues respectives sur les quatre thèmes suivants : la non-résistance, le pacifisme chrétien, la guerre juste et la guerre préventive. Clouse met en évidence aussi les réflexions des auteurs participants qui

écrivent en réponse à chacune des présentations des quatre positions. Robert Clouse ne prend pas position concernant laquelle des quatre positions doit orienter le chrétien dans sa réflexion et dans son comportement. Son livre aide à construire une plus grande compréhension du problème concernant le rapport de la guerre avec le message biblique.

Après le livre de Clouse, nous mentionnons l‘ouvrage plus récent de J. Daryl Charles

Between Pacifism and Jihad. Dans le contexte d‘un monde où le terrorisme, et non pas la

course aux armes nucléaires, est le problème le plus important dans les relations internationales, Charles défend et cherche à repositionner la théorie de la guerre juste comme l‘approche équilibrée et modérée évitant les deux pôles « absolutistes » que sont, pour lui, le pacifisme et la croisade.81 Il décrit ainsi la situation dans le monde qui se relève des attentats du 11 septembre 2001 :

In the face of moral evil Christians will need to know how to respond and justify that response. Assuming the Christian fundamental inclination to prevent

79 Pour une autre expression, dans son livre The Church, Donald Bloesch, théologien évangélique et réformé

respecté, mentionne le pacifisme dans un répertoire de mouvements idéologiques. Sans nier l‘apport du pacifisme à la réflexion éthique de l‘Église, Bloesch met en garde contre son identification indue avec « le message de la foi ». Voir Donald Bloesch, The Church, Downers Grove, InterVarsity Press, 2002, p.275.

80 War : Four Christian Views, Robert G. Clouse, rédacteur, Downers Grove, InterVarsity Press, 1991 (2e

edition), p. 6.

Figure

Tableau 1 : Correspondance au critère de la prédominance des Écritures
Tableau 2 :Correspondance au critère de l‘héritage théologique

Références

Documents relatifs

IN HIS DEFECTOR HE TRUSTED: HOW THE CIA COUNTERINTELLIGENCE STAFF BROKE THE WESTERN INTELLIGENCE COMMUNITY FOR TEN YEARS

Le shampoing est le produit cosmétique le plus ancien et le plus demandé de tous les temps, destiné au nettoyage de la chevelure et de cuir chevelu, composé

While in some species, like humans, physical contact plays a role in the process of attachment, it has been suggested that tactile contact’s value may greatly differ according to

[29] Sui gruppi finiti risolubili per cui il reticolo dei sottogruppi di composizione eÁ distributivo,

Dendrograms of agglomerative hierarchical clustering of the six feature sets of the control corpus (Ward ’ s linkage criterion, Manhattan distance, z transformation, and vector

Among the topics which we discuss are Euler constant, nested roots, divergent series, Ramanujan – Nagell equation, partitions, Ramanujan tau function, Hardy Littlewood and the

Turin is always urging good scholars to contribute, making valuable suggestions, and helping to review articles.. Most recently, he has offered his considerable services in helping

259 ’Chag (C.T. 260 Below the last line of the text six lines of mantras are written; these are read by the ritualists for the slaughter of the demons. See text, no..