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La nature et le rôle des variables psychologiques comme facteurs de maintien du trouble lié à l'horaire de travail

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Academic year: 2021

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LA NATURE ET LE RÔLE DES VARIABLES PSYCHOLOGIQUES COMME

FACTEURS DE MAINTIEN DU TROUBLE LIÉ À L’HORAIRE DE TRAVAIL

Thèse

Emmanuelle Bastille-Denis

Doctorat en psychologie recherche et intervention – orientation clinique

Philosophiae Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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Résumé

Pour les travailleurs de nuit, le sommeil revêt un caractère particulier. En effet, le travail de nuit implique de modifier le cycle éveil-sommeil en fonction de l’horaire de travail, ce qui amène les travailleurs à dormir le jour alors que leur horloge biologique interne favorise plutôt l’éveil. Certains travailleurs en viennent à développer un trouble du sommeil qui s’appelle le trouble lié à l’horaire de travail (THT). Cette thèse doctorale vise à élargir la conceptualisation actuelle dominante de ce trouble, en étudiant les cognitions, les comportements incompatibles avec le sommeil et les processus anxieux comme facteurs de maintien du THT. Le premier objectif vise à étudier la nature des cognitions avant l’endormissement dans le THT. Le deuxième objectif est d’étudier la présence de cognitions dysfonctionnelles et de comportements incompatibles avec le sommeil dans le THT. Un dernier objectif vise à explorer le thème des inquiétudes concernant le sommeil et la présence du processus de catastrophisation avant l’endormissement dans le THT. Quarante-sept travailleurs de nuit ont participé à l’étude. Les participants ont été divisés en deux groupes : 25 personnes présentant un THT et 22 personnes étant de bons dormeurs (BD) satisfaits de leur sommeil. L’étude comporte des mesures autorapportées ainsi que des entrevues en face-à-face ciblant les différents thèmes de pensées avant l’endormissement, les pensées et croyances dysfonctionnelles, les pensées intrusives, les stratégies de contrôle des pensées, les biais attentionnels, les inquiétudes portant sur le sommeil ainsi que les comportements incompatibles avec le sommeil. Les résultats du premier article démontrent que le groupe THT porte significativement plus son attention sur les soucis et les préoccupations ainsi que sur les bruits à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison que les BD. Les personnes souffrant de THT ont davantage d’activation cognitive avant l’endormissement et ont une efficacité du sommeil plus faible comparées aux BD. Les résultats du deuxième article révèlent que 77 % des participants ont pris part au processus de catastrophisation. Parmi les thèmes mentionnés se trouvent la fatigue et le niveau d’énergie, les difficultés reliées à l’humeur et la performance au travail. Ces résultats suggèrent que des cognitions et comportements contribuent au maintien du THT. Des études futures devraient viser à approfondir les facteurs psychologiques impliqués dans ce trouble.

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Table des matières

Résumé ... iii

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... ix

Remerciements ... xi

Avant-propos ... xv

Chapitre 1. Introduction ... 1

Le sommeil ... 1

Les mécanismes régulateurs ... 1

Troubles du sommeil ... 2

Le trouble lié à l’horaire de travail... 2

Conceptualisation biomédicale ... 3

Variables psychosociales ... 5

Études portant sur l’adaptation au travail de nuit ... 5

L’insomnie dans la population générale ... 7

Les cognitions dans l’insomnie ... 8

Les comportements dans l’insomnie ... 10

Rationnel de l’étude ... 12

Chapitre 2. Article 1 : Les pensées et comportements dysfonctionnels impliqués dans le trouble du sommeil lié à l’horaire de travail ... 15

Résumé ... 17 Introduction ... 19 Méthode ... 21 Participants ... 21 Mesures ... 23 Évaluateurs ... 26 Procédure ... 26

Analyse des données ... 26

Résultats ... 27 Paramètres du sommeil ... 27 Variables cognitives ... 30 Variables comportementales ... 34 Discussion ... 35 Références ... 39

Chapitre 3. Article 2 : Qu’est-ce qui inquiète les travailleurs de nuit dans le fait de ne pas trouver sommeil? . 43 Résumé ... 45 Introduction ... 47 Méthode ... 49 Participants ... 49 Mesures ... 51 Évaluateurs ... 52 Protocole et procédure ... 53

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vi

Résultats ... 54

Les caractéristiques du sommeil ... 54

La catastrophisation ... 57

Contenu des inquiétudes ... 59

Fatigue et énergie ... 59

Performance au travail ... 59

Humeur ... 59

Erreurs ... 59

Image de soi ... 59

Difficultés de sommeil spécifiques ... 60

Santé et sécurité ... 60

Préoccupations familiales ... 60

Perceptions des autres ... 60

Préoccupations financières ... 60

Difficultés relationnelles ... 60

En cours de processus, certains participants ont fait une ... 61

Discussion ... 61

Références ... 65

Chapitre 4. Conclusion ... 67

Discussion des résultats en fonction des objectifs généraux de la thèse ... 67

Contributions de la thèse pour la recherche ... 68

Contributions de la thèse pour la clinique ... 71

Limites ... 73

Pistes de recherches futures ... 74

Conclusion ... 75

Bibliographie ... 77

Annexe A. Critères de sélection des participants ... 83

Annexe B. Algorithme de classification des groupes ... 85

Annexe C. Procédure... 93

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Liste des tableaux

Liste des tableaux dans le Chapitre 2 Tableau

1 Statistiques descriptives pour l’échantillon total et pour le groupe avec trouble lié à l’horaire de travail (THT) et le groupe bons dormeurs (BD) ... 22 2 Moyennes et écarts-types des variables de sommeil diurne et nocturne pour l’échantillon total, le

groupe avec trouble lié à l’horaire de travail (THT) et le groupe bons dormeurs (BD) ... 29 3 Moyennes et écarts-types des scores aux questionnaires de cognitions ... 30 4 Moyennes et écarts-types des scores concernant le sommeil perçu, le centre de l’attention et le

contenu de l’activité cognitive à l’endormissement pour l’échantillon total, le groupe avec trouble lié à l’horaire de travail (THT) et le groupe bons dormeurs (BD) ... 32 5 Moyennes et écarts-types des variables comportementales pour les périodes de sommeil diurnes

principales ... 34

Liste des tableaux dans le Chapitre 3 Tableau

1 Statistiques descriptives pour l’échantillon total et pour le groupe avec trouble lié à l’horaire de travail (THT) et le groupe bons dormeurs (BD) ... 49 2 Exemple des étapes de la technique de la pensée catastrophique rapportées par une participante .... 52 3 Moyennes et écarts-types des variables de sommeil diurne et nocturne pour le groupe de bons

dormeurs (BD) et pour le groupe avec trouble lié à l’horaire de travail (THT) ... 56 4 Résumé de l’analyse de régression logistique pour les variables prédictrices de l’appartenance à un

groupe (THT ou BD) (N = 47) ... 57 5 Grands thèmes d’inquiétudes à la technique de la pensée catastrophique et nombre de participants

ayant rapporté chacun des thèmes en fonction des groupes (% sur le nombre total de participants qui ont rapporté deux étapes ou plus) ... 58

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Liste des figures

Figure

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Remerciements

Déjà en quatrième secondaire, je savais que je voulais exercer la profession de psychologue. À ce moment, j’étais cependant loin de me douter de l’étendue du chemin à parcourir pour y parvenir! Un périple qui s’est avéré être très stimulant, mais également long, ardu, ponctué d’embûches. Au bout du compte, je dois dire que ça en valait la peine. Les apprentissages, tant sur le plan intellectuel que personnel, furent innombrables et la fierté d’avoir accompli tout ce travail triomphe sur les défis qui ont accompagné ce cursus scolaire.

Alors que les pages suivantes ont été rédigées avec ma tête, il est maintenant temps de laisser parler mon cœur. C’est le moment tant attendu de rendre hommage à ceux qui m’ont accompagnée dans ce doctorat, mais surtout à ceux qui m’ont supportée avec tant de bienveillance.

D’abord, merci à ma directrice de thèse, Dre Annie Vallières. Merci de m’avoir aidée à cheminer dans ce doctorat durant toutes ces années. Merci de m’avoir permis de prendre une part aussi active dans ton laboratoire. Tu m’as fait confiance dès le départ et m’as confié plusieurs tâches qui ont confirmé et stimulé mon intérêt pour le sommeil. Merci également pour ta compréhension face à mes doutes, peurs et craintes concernant ce long processus.

Merci aux membres de mon comité de thèse, Dr Charles Morin et Dr Martin Provencher. Merci d’avoir alimenté ma réflexion et de m’avoir poussée à aller plus loin de séminaire en séminaire. Ce fut un honneur de pouvoir compter sur les conseils et recommandations de chercheurs de votre trempe. Merci également à Dre Marie-Christine Ouellet et Dre Sophie Desjardins qui se sont jointes au comité pour la soutenance. Le soin que vous avez mis à examiner ma thèse m’a beaucoup impressionnée.

Aux quelque 65 travailleurs de nuit, précieux participants, un énorme merci! Après vos quarts de travail, vous avez accepté de sacrifier des heures de sommeil pour venir répondre à mes questions et partager votre expérience. Je me considère extrêmement chanceuse d’avoir pu entrer en contact avec vous, d’avoir pu constater votre réalité et d’avoir eu le privilège de mieux comprendre votre sommeil. Sans vous, cette thèse n’existerait pas.

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xii

Merci aux assistants de recherche : Évelyne, Delphine, Michel. Un grand merci à Manon et Sonia pour vos conseils et votre accompagnement, mais aussi notre belle complicité qui a rendu les moments passés au laboratoire beaucoup plus plaisants!

Dre Caroline Sylvain : merci de m’avoir aidée à rebondir. Votre aide fut inestimable! Vous avez certainement fait la différence entre un dernier sprint pénible et une fin de doctorat qui m’a permis de constater que je possède des forces qui m’aident à me relever et avancer plus loin. « Le doctorat, c’est davantage une épreuve personnelle qu’académique », une phrase qui a pris tout son sens. Merci!

À mes comparses de laboratoire qui ont cheminé à mes côtés et avec qui il a été si plaisant de travailler : Sonia, Tarek, Jean-Philippe. Tarek, je l’ai souvent dit, mais tu fais partie de ces personnes avec qui ça clique. Je souhaite profondément que notre amitié continue de s’alimenter au-delà de notre doctorat. Chère Sonia, collègue, amie, merci pour tout!

Monica, ma marraine de laboratoire! Merci pour ta grande disponibilité et ta générosité sans borne. Tes tranches de vie d’ancienne doctorante m’ont fait le plus grand bien! Dans les moments les plus décourageants, tu m’as aidée à me reconnecter au sentiment d’accomplissement et à la fierté de pouvoir, un jour, inscrire les fameuses lettres « Ph. D. » au bout de mon nom et en ressentir toute la signification. Merci pour ton côté cheerleader inné, ta bienveillance et ta présence.

Parce que le doctorat est aussi une occasion de créer des amitiés… Julie, Caroline, Claudia, Émylie, merci pour ces moments de rires et de délires! Sans vous, ce doctorat aurait nettement manqué de coloration et de saveur. Cheers à nos soupers de filles qui me manquent déjà beaucoup. Merci à Pascale, Cristina, Caroline, Stéphanie, Sonia, Carole pour ces moments d’entraide et de plaisirs. Je remercie le doctorat de nous avoir permis de nous rencontrer! Longue vie à notre amitié!

Mes amies du baccalauréat, Anny et Véronique, c’est avec vous que toute cette aventure a commencé. Travaux d’équipe, cours magistraux et course aux A+. Merci d’avoir été là et de m’avoir aidée à conserver ma santé mentale pendant cette période prédoctorale où la pression était à son paroxysme. Chacun de nos délires est bien ancré dans ma mémoire. Je suis si fière et heureuse que notre amitié continue d’exister avec force malgré la distance et les choix de carrière différents. Je vous aime profondément.

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Merci à mes belles amies, qui symbolisent la vie après le doctorat… Valérie, ma précieuse amie. Merci à l’internat de nous avoir fait nous rencontrer. Ta générosité et ta bienveillance m’ont beaucoup touchée au cours des dernières années. Tu es assurément une grande dame aux côtés de qui on veut être pour évoluer. Nos discussions sur l’« après-doctorat » m’ont souvent aidée à focaliser sur les belles choses que ce diplôme m’apportera. Andréanne, pétillante, effervescente, brillante et inspirante jeune femme. Merci d’avoir apporté ta belle énergie dans ma fin de doctorat. Longue vie à cette amitié naissante, mais déjà très importante pour moi.

À Solange, qui m’a aidée à apprivoiser Québec au tout début et qui a été particulièrement présente pour moi dans les dernières années. Merci pour ton écoute, ton support et ton aide.

Mes chers parents… Merci de m’avoir transmis, dès l’enfance, cette volonté d’aider l’humain et de comprendre ses particularités et ses différences. Merci de m’avoir permis d’entreprendre ces études et de m’avoir toujours soutenue dans ce projet. Un projet qui, par moment, m’a semblé interminable (et à vous aussi!). Merci de m’avoir donné les ressources nécessaires à l’accomplissement de ce doctorat, d’avoir partagé mes joies et succès autant que mes peurs et angoisses.

« Un éléphant, ça se mange une bouchée à la fois ». Merci, papa, pour tes paroles toujours réconfortantes. Merci de m’avoir souvent ramenée à l’essentiel, de m’avoir aidée à me décoller le nez de l’arbre. Parce que « derrière l’arbre, se cache une forêt ». Et parce que le doctorat est si prenant par moment qu’il est essentiel de se rappeler qu’en dehors de l’université, il y a une vie… une belle vie.

Merci, maman, pour ton support inconditionnel, tes encouragements et merci d’avoir toujours cru en moi. Tu as été un modèle (et tu l’es toujours) d’ambition et de persévérance. Tu m’as certainement transmis ta curiosité, ta motivation et ton enthousiasme et j’en suis très fière. Tu m’as également transmis ta capacité à te relever devant l’épreuve et à en tirer des apprentissages.

Mes précieux grands-parents… Merci pour vos paroles encourageantes et votre amour. Si vous saviez combien vos « On est fiers de toi et on t’aime beaucoup » m’ont aidée à avancer pendant toutes ces années! Ma grand-maman, toi qui continues de suivre des cours de psychologie à 70 ans et quelques poussières, merci de m’avoir transmis ta curiosité, ton ouverture d’esprit et surtout, le plaisir d’apprendre. Les discussions avec toi sur la psychologie, la philosophie et sur la vie sont toujours enrichissantes. Mon grand-papa, toi qui es une figure tellement importante pour moi. Tu as toujours été un promoteur de mes projets, des plus fous aux plus sérieux. Tu fais de la magie sans le savoir et tu m’as aidée à prendre confiance en moi. Ton humour et ta

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xiv

façon d’aborder la vie sont des inspirations. Je vous aime « gros comme l’église avec le bedeau par-dessus! ».

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Avant-propos

Cette thèse de doctorat en psychologie inclut deux articles empiriques. L’étudiante auteure de la thèse a assumé le rôle principal dans toutes les étapes liées à la rédaction des articles : recension des écrits, conceptualisation méthodologique de l’étude, obtention des approbations éthiques et des ententes de collaboration pour le recrutement des participants, cueillette de données, analyse et interprétation des résultats et rédaction des manuscrits. L’étudiante a le statut d’auteure principale pour les deux articles. L’article 1 s’intitule Les pensées et comportements dysfonctionnels impliqués dans le trouble du sommeil lié à l’horaire de travail et les auteures sont Emmanuelle Bastille-Denis, Monica Roy et Annie Vallières (directrice de thèse). L’article 2 s’intitule Qu’est-ce qui inquiète les travailleurs de nuit dans le fait de ne pas trouver sommeil? et les auteures sont Emmanuelle Bastille-Denis, Monica Roy et Annie Vallières (directrice de thèse). Les deux manuscrits seront soumis pour publication prochainement dans une revue dans le domaine de la psychologie de la santé. Les articles et le reste de la thèse respectent les normes de présentation du Publication Manual of the American Psychological Association, 6th edition (American Psychological Association 2010).

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Chapitre 1.

Introduction

Le sommeil Les mécanismes régulateurs

Le sommeil est très important pour l’être humain, car il influe sur son bien-être physique et psychologique. Le sommeil provient de l’action de deux mécanismes régulateurs. Le premier est connu sous l’appellation de rythme circadien et procure l’aspect cyclique de l’éveil et du sommeil. Les rythmes circadiens opèrent selon un cycle d’environ 24 heures (Dijk & Lockley, 2002). Ils fonctionnent grâce aux signaux d’une horloge interne située dans le noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus. Cette horloge favorise l’éveil pendant la journée et facilite le sommeil la nuit venue (Reid & Burgess, 2005). Pour se réguler et créer le patron éveil-sommeil, l’horloge se sert des zeitgebers. Le terme zeitgeber provient de l’allemand où « Zeit » signifie « temps » et « Geber » signifie « donneur » (Bear, Conners, & Paradiso, 2002). Les zeitgebers agissent donc comme indices donneurs de temps à l’horloge biologique qui opèrent selon un mode cyclique et qui visent à régulariser le patron veille-sommeil. Parmi les zeitgebers, on retrouve les facteurs environnementaux tels que la lumière, l’obscurité, les variations de température ainsi que les heures de repas ou de travail (Bear et al., 2002). Le deuxième mécanisme régulateur du sommeil est l’homéostasie du sommeil. Celui-ci a pour rôle de créer une pression de sommeil qui est fonction du temps d’éveil (Achermann & Borbély, 2003). La pression serait engendrée par la sécrétion de l’adénosine dans l’organisme qui s’accumule tout au long de la période d’éveil (Saper, Scammell, & Lu, 2005). Pendant l’état de sommeil, cette pression diminue et le processus recommence une fois la période de sommeil terminée.

Normalement, le sommeil fait preuve de plasticité et d’automaticité, les deux mécanismes régulateurs agissant conjointement afin de générer un bon sommeil. Cependant, il arrive parfois que leurs actions soient altérées. On parle alors de difficultés de sommeil. Diverses raisons peuvent expliquer l’altération du sommeil. Parmi celles-ci, on retrouve des raisons biologiques par exemple l’obstruction des voies respiratoires. Les évènements de vie, le stress, la présence de psychopathologies et même des éléments de l’environnement externe à l’individu tels que le bruit ou l’horaire de travail peuvent également altérer ou perturber le sommeil. Pour la plupart des gens, les difficultés de sommeil se résorbent rapidement. Cependant, elles peuvent prendre de l’ampleur au point de produire une altération significative du fonctionnement global. Lorsque les difficultés de sommeil atteignent un seuil clinique, on parle alors de troubles du sommeil.

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2

Troubles du sommeil

Le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013) fait état de dix catégories de troubles du sommeil. Parmi ceux-ci se trouvent les troubles du sommeil et de l’éveil liés au rythme circadien. Ceux-ci sont caractérisés par un patron de sommeil morcelé qui occasionne deux symptômes principaux : la somnolence excessive et/ou de l’insomnie. Les perturbations sont liées à une asynchronie entre l’horaire de sommeil de l’individu et celui de son environnement qui peut être due à un retard de phase, un changement de fuseaux horaires ou un horaire de travail non conventionnel. Les troubles du sommeil liés au rythme circadien sont aussi définis par un autre outil fort utilisé pour le diagnostic des troubles du sommeil, l’International Classification of Sleep Disorders-III (ICSD; American Academy of Sleep Medicine, 2014). Cette catégorie y est davantage détaillée puisqu’on y retrouve sept troubles au total.

Le trouble lié à l’horaire de travail

Le trouble lié à l’horaire de travail (THT) se compose de symptômes d’insomnie et/ou de somnolence excessive qui concernent l’horaire de travail (AASM; American Academy of Sleep Medicine, 2014). L’individu qui en souffre se plaint de ne pas dormir suffisamment et ne se sent pas reposé après sa période de sommeil, et ce, malgré les efforts faits pour améliorer son sommeil. Le THT est le plus commun des troubles du sommeil liés au rythme circadien (Fahey & Zee, 2006). Sa prévalence varie selon la méthodologie et la définition utilisées dans les études allant de 10 % (Drake, Roehrs, Richardson, Walsh, & Roth, 2004) à 32 % des travailleurs de nuit (Di Milia, Waage, Pallesen, & Bjortvan, 2013). Les facteurs de risque de développement d’un THT concernent le fait de se percevoir comme plus fonctionnel en matinée (Monk & Folkard, 1985), l’augmentation en âge (Campbell, 1995; Flo et al., 2012; Saksvik, Bjorvatn, Hetland, Sandal, & Pallesen, 2011), avoir plusieurs tâches domestiques à accomplir (Folkard, Monk, & Lobban, 1978) ainsi que le fait de travailler la fin de semaine (Tepas & Monk, 1987). Les hommes seraient également plus à risque que les femmes de souffrir d’un THT (Flo et al., 2012).

Malgré un intérêt croissant pour l’étude du THT au cours des dernières années, seulement quelques études ont utilisé une population ayant un diagnostic de THT (Schwartz & Roth, 2006). L’opérationnalisation du THT semble différer selon les études (Flo et al., 2012). Gumenyuk, Roth et Drake (2012) soulignent l’importance de déterminer une ligne directrice quant au diagnostic du THT afin d’identifier correctement les travailleurs qui ont besoin d’aide. Le manque de clarté diagnostique concernant le THT en fait une condition clinique encore peu connue (Schwartz, 2010; Schwartz & Roth, 2006).

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Les conséquences du THT sur la santé des travailleurs ont été étudiées dans quelques études portant sur une population de travailleurs de nuit avec THT (Di Milia et al., 2013; Drake et al., 2004; Flo et al., 2012; Gumenyuk et al., 2012; Ohayon, Lemoine, Arnaud-Briant, & Dreyfus, 2002; Ohayon, Smolensky, & Roth, 2010; Puca et al., 1996; Vallières, Azaiez, Moreau, LeBlanc, & Morin, 2014). Le THT induirait une baisse d’énergie (Di Milia et al., 2013; Flo et al., 2012), une augmentation de la fatigue (Flo et al., 2012), un risque de dépression, de la somnolence, de l’hypertension, des maladies cardiovasculaires (Di Milia et al., 2013; Drake et al., 2004), de l’anxiété, des accidents routiers et de l’absentéisme ainsi qu’une diminution de la performance au travail. Le THT semble également affecter négativement la qualité de vie (Di Milia et al. 2013; Flo, et al., 2012; Puca et al., 1996). De plus, les travailleurs avec THT seraient à risque de conduites automobiles dangereuses pendant et après leur quart de travail en raison de la somnolence et de l’insomnie (Gumenyuk et al., 2012). Finalement, l’anxiété, la dépression, la fatigue, la douleur chronique ainsi que l’absentéisme au travail seraient liés à l’insomnie dans le THT (Vallières et al., 2014).

Dans l’ensemble, les quelques études portant véritablement sur le THT témoignent de l’importance d’étudier ce trouble du sommeil. Il importe de parfaire les connaissances existantes quant à sa conceptualisation, son diagnostic, ses conséquences réelles et son évolution clinique. Ceci permettra à plus long terme de développer des interventions appropriées pour le THT et de les adapter au contexte de travail de nuit.

Conceptualisation biomédicale

Sur le plan conceptuel, le modèle biomédical est le modèle le plus utilisé pour expliquer le THT. Ce modèle se concentre sur l’aspect physiologique du problème. Cette conception explique la présence des deux symptômes principaux du THT, la somnolence et l’insomnie, par le fait que l’horaire de travail de nuit crée un dysfonctionnement à la fois de l’horloge biologique interne et du principe d’homéostasie du sommeil. En effet, l’individu qui travaille de nuit est amené à dormir le matin, moment où son rythme circadien, géré par l’horloge biologique interne, le porte à être éveillé. Son travail de nuit s’effectue au moment où son rythme circadien le porte plutôt à dormir. En règle générale, le travailleur de nuit bénéficie de peu d’indices externes (zeitgebers), dans son rythme particulier de vie, lui permettant de modifier l’horloge biologique et son rythme circadien afin d’induire le sommeil le matin et la vigilance la nuit. Le principe d’homéostasie du sommeil chez le travailleur de nuit est également affecté puisque la période de sommeil des travailleurs de nuit est plus courte et le temps d’éveil plus long (Knutsson, 2003). La pression homéostasique du sommeil étant fonction du temps éveillé, cette pression pour dormir chez les travailleurs de nuit est plus forte produisant ainsi une somnolence plus élevée pendant l’éveil. Le chronotype, qui est la tendance à être plus vigilant le soir ou la matinée, est un troisième élément intégré au modèle conceptuel du THT. Il viendrait moduler le dysfonctionnement des deux

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mécanismes régulateurs du sommeil. En effet, il pourrait expliquer les différences individuelles quant à l’adaptation au travail de nuit (Horne & Ostberg, 1976; Roenneberg, Wirz-Justice, & Merrow, 2003). Ainsi, avoir un chronotype matinal marqué serait associé à une difficulté d’adaptation au travail de nuit (Saksvik et al., 2011). Ainsi, les travailleurs qui ont tendance à être plus vigilant en matinée auraient plus de difficulté à s’adapter.

La conception biomédicale du trouble a été largement utilisée afin de créer des stratégies pour diminuer les symptômes du THT. Chaque stratégie thérapeutique cible une facette des difficultés du THT. En effet, selon Morrissette (2013), les stratégies disponibles se divisent en trois catégories selon qu’elles visent à 1) réaligner les rythmes circadiens; 2) promouvoir le sommeil; 3) promouvoir l’éveil. Parmi les interventions visant le premier objectif, on note la luminothérapie, la mélatonine et l’emploi de verres fumés lors du retour à la maison. Toutes formes de médication telles que les benzodiazépines prescrites pour améliorer la qualité ou la quantité de sommeil des travailleurs de nuit rejoignent l’objectif 2. Enfin, le modafinil, l’armodafinil, le café ou tout autre stimulant font partie des interventions qui favorisent l’éveil. Les études de traitement démontrent que les stratégies énumérées plus haut utilisées seules ou combinées apportent des bénéfices partiels (Bjorvatn et al., 2007; Campbell, 1995; Costa, 1997; Czeisler et al., 2005; Smith, Lee, Crowley, Fogg, & Eastman, 2005; Wright et al., 1998). Il est toutefois important de noter que très peu d’études de traitement ont porté sur une population avec diagnostic de THT. En effet, dans leur méta-analyse, Schwartz et Roth (2006) notaient que seulement la mélatonine et le modafinil avaient été étudiés chez des travailleurs présentant un THT.

La conception biomédicale du THT présente également des limites. D’abord, suivant la logique du débalancement des rythmes circadiens et de la pression homéostatique, la majorité des travailleurs devraient vivre des difficultés du moins à leurs débuts comme travailleurs de nuit. Toutefois, une étude démontre que certains travailleurs ne développent des difficultés sérieuses qu’après six mois de travail de nuit (Reinberg et al., 1984) tandis que d’autres n’ont aucune plainte de sommeil après 30 ans de travail de nuit (Ashkenazi, Reinberg, & Motohashi, 1997). Sur le plan du chronotype, la méta-analyse de Saksvik et ses collègues (2011) souligne que même si certaines études tendent à démontrer un lien entre le chronotype matinal et une mauvaise adaptation au travail de nuit, d’autres études n’ont pas rapporté une telle association. Ensuite, les stratégies thérapeutiques développées à partir de la conception biomédicale démontrent certains bénéfices chez les travailleurs selon le symptôme ciblé (somnolence ou insomnie) mais ne permettent pas d’améliorer à la fois le sommeil et la vigilance des travailleurs de nuit. De plus, les améliorations sur la qualité et la quantité de sommeil ainsi que sur la somnolence sont minimes et ne sont obtenues que par un faible pourcentage des travailleurs de nuit traités (Bjorvatn et al., 2007; Campbell, 1995; Costa, 1997; Czeisler et al., 2005; Smith et al., 2005; Wright et al., 1998). Suivant la logique de la conceptualisation biomédicale, si l’insomnie et la

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somnolence des travailleurs de nuit n’étaient attribuables qu’aux facteurs biologiques, la majorité des participants auraient vu leur insomnie et somnolence se résorber à l’aide des interventions ciblant ces facteurs, ce qui n’est pas le cas.

Le caractère incomplet de la conceptualisation biomédicale actuelle soulève un questionnement sur la présence d’autres variables en jeu dans le THT. Ce constat a également été réalisé auparavant dans plusieurs autres problématiques reliées à la santé notamment en oncologie, en obésité ou en maladie cardiovasculaire (Ogden, 2014; Sarafino & Smith, 2010). Les différents modèles conceptuels ont alors été repris en incluant une compréhension biopsychosociale de la santé. Ainsi, face aux limites de la conceptualisation biomédicale du THT, il semble que des variables d’ordre psychosocial devraient être étudiées. Jusqu’à maintenant, les variables psychologiques et sociales impliquées dans le THT ont été très peu étudiées. Par contre, deux thèmes de recherche apportent des indications quant aux possibles variables psychosociales impliquées dans le THT. Le premier thème de recherche a porté sur l’adaptation au travail de nuit et le suivant sur l’insomnie vécue dans la population générale.

Variables psychosociales Études portant sur l’adaptation au travail de nuit

L’adaptation ou la tolérance au travail de nuit réfère à la capacité d’adaptation d’un individu qui lui permet de vivre avec son horaire de travail sans souffrir de conséquences négatives (Andlauer, Reinberg, Fourré, Battle, & Duverneuil, 1979) telles que les troubles digestifs, la fatigue, la somnolence et l’insomnie (Saksvik et al., 2011). À partir de leurs observations cliniques, Reinberg et Ashkenazi (2008) ont proposé des critères pour l’intolérance au travail de nuit : 1) fatigue persistante; 2) difficultés de sommeil persistantes; 3) utilisation régulière de médicaments pour dormir; 4) changements comportementaux (irritabilité, agressivité, sensibilité au bruit, etc.); 5) problèmes digestifs. L’adaptation au travail de nuit serait donc liée à des comportements et des dispositions biologiques.

Trois champs de recherche sur le concept de tolérance au travail de nuit donnent des indications sur les variables psychologiques qui pourraient être associées aux symptômes d’insomnie et de somnolence du THT. D’abord, les modèles conceptuels visant à expliquer la tolérance au travail de nuit sont d’ordre biopsychosocial et intègrent diverses variables psychologiques. Ensuite, plusieurs études soulignent le rôle de traits de personnalité dans l’adaptation au travail de nuit. Enfin, un troisième champ de recherche s’intéresse au lien entre un locus de contrôle et une mauvaise adaptation au travail de nuit.

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L’un des premiers modèles incluant des facteurs psychosociaux et expliquant la tolérance au travail de nuit a été publié par Rutenfranz, Knauth et Angersbach (1981). Ces auteurs incluaient trois composantes à son modèle : les stresseurs objectifs (l’horaire de travail et les heures de sommeil inhabituelles), les troubles (plaintes et maladies) et les variables médiatrices (les habitudes domestiques, la situation familiale, la personnalité et les facteurs physiologiques). Haider et ses collègues ont proposé un deuxième modèle en 1981 (Haider, Kundi, & Koller, 1981). Ce modèle suggérait que le travail de nuit affectait trois domaines : le sommeil, les attitudes face au travail de nuit et la vie familiale et sociale. Puis, en 1988, Monk publia son modèle comprenant trois facteurs : l’horloge biologique, le sommeil et les facteurs sociaux et domestiques. En 1990, Olsson et collaborateurs proposèrent que des facteurs liés au travail (travail de nuit, monotonie, sentiment de manque d’autonomie, etc.), des facteurs non liés au travail (difficultés familiales) ainsi que des facteurs personnels (estime de soi, mode de vie) influencent le développement de problèmes de santé. En somme, lorsqu’il s’agit de conceptualiser la tolérance au travail de nuit, un concept près du THT, une plus grande diversité de facteurs est utilisée.

Deuxièmement, en ce qui concerne les études portant sur la personnalité et la tolérance au travail de nuit, plusieurs ont mis en lumière le rôle des traits de personnalité. Le trait de personnalité neuroticiste a été le plus étudié. Celui-ci se définit par une tendance à percevoir de façon négative les situations, les évènements ou les expériences de vie. Selon Jorm (1989), les termes neuroticisme, anxiété, affect négatif et émoussement émotionnel sont variablement employés pour désigner le même concept. Plusieurs études ont démontré le rôle du trait de personnalité neuroticiste dans l’adaptation au travail de nuit. Selon Radosevic-Vidacek et ses collaborateurs (1992), le trait neuroticiste expliquerait 48 % de la variance des paramètres de sommeil rapportés. Une autre étude a évalué les traits de neuroticisme et la sécrétion de cortisol chez des travailleurs de nuit (Hennig, Kieferdorf, Moritz, Huwe, & Netter, 1998). Les participants qui présenteraient un patron de cortisol inversé comparativement à la courbe normale de cortisol auraient davantage de traits de neuroticisme de même qu’un sommeil plus court et moins réparateur. Selon Parkes (2002), la personnalité neuroticiste serait un prédicteur significatif de la qualité du sommeil perçue. Ce trait expliquerait pourquoi certains travailleurs ont une mauvaise adaptation au travail de nuit et souffriraient davantage de difficultés de sommeil. Deux études ont évalué le trait neuroticisme en tant que prédicteur de la tolérance au travail de nuit (Tamagawa, Lobb, & Booth, 2007; McLaughlin, Bowman, Bradley, & Mistlberger, 2008). La première démontre que les traits de personnalité anxieux, un style émotionnel répressif et des affects négatifs seraient associés à un haut niveau d’intolérance au travail de nuit. Les traits anxieux étaient le facteur ayant le plus d’influence sur la tolérance au travail de nuit. La deuxième étude corrobore ces résultats en montrant que le trait neuroticisme serait le meilleur prédicteur d’une mauvaise tolérance au travail de nuit dans un ensemble de prédicteurs incluant l’âge, le nombre d’années travaillées sur un horaire de nuit, l’extraversion, la tendance matinale à être

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vigilant et la flexibilité quant à l’horaire de sommeil. Enfin, une dernière étude a démontré que la résilience, qui se définit comme la capacité de s’adapter à des évènements stressants, serait le trait de personnalité le plus fortement associé à la tolérance (Natvik et al., 2011).

Le troisième thème de recherche abordé met en évidence le lien entre le locus de contrôle externe et une mauvaise adaptation au travail de nuit. Le locus de contrôle est défini comme l’impression qu’a une personne sur le contrôle qu’elle peut exercer sur les évènements de sa vie. Ainsi, les gens présentant un locus de contrôle interne croient que les renforcements qu’ils obtiennent sont dépendants de leurs propres comportements et de leurs caractéristiques personnelles (Smith & Iskra-Golec, 2003). Quelques études ont mis en lumière le rôle modérateur d’un locus de contrôle sur les difficultés de sommeil liées au travail de nuit (Samaha, Lal, Samaha, & Wyndham, 2007; Smith, Jeppesen, & Boggild, 2001; Smith & Mason, 2001; Smith, Spelten, & Normal, 1995). Dans l’ensemble, ces études démontrent qu’un locus de contrôle interne élevé est associé à un meilleur sommeil, à un niveau de fatigue moins élevé, à une moins grande utilisation d’hypnotiques et à une meilleure santé mentale. Le locus de contrôle serait également lié à une plus grande satisfaction face à l’emploi, une attitude plus positive face au travail de nuit et à un taux d’absentéisme au travail plus faible (Smith & Mason, 2001).

En somme, les études portant sur l’adaptation au travail de nuit laissent voir le rôle de facteurs psychosociaux. Elles font référence à l’estime de soi, au sentiment d’autonomie, aux perceptions négatives et aux croyances d’avoir du contrôle interne face au travail. Ces études intègrent le sommeil dans la compréhension de la tolérance au travail de nuit. L’insomnie et la somnolence vécues par les travailleurs de nuit deviennent donc le résultat d’une mauvaise adaptation au travail de nuit qui est modulée par différentes variables psychosociales. Bien que ces études sur la tolérance au travail de nuit ne visent pas à expliquer le THT, elles constituent le champ de recherche qui se rapproche le plus du THT qui lui, a été très peu étudié. Les études sur la tolérance au travail de nuit suggèrent qu’il est possible de développer une vision multidimensionnelle dans l’explication de l’insomnie et de la somnolence liées au travail de nuit et d’intégrer les variables psychologiques de type perception, sentiment ou croyances au modèle biomédical.

L’insomnie dans la population générale

L’insomnie est définie comme une difficulté à initier ou maintenir le sommeil (Morin, 2009). L’insomnie constitue l’un des deux symptômes principaux du THT. Les travailleurs de nuit et rotatifs avec insomnie présenteraient un patron de sommeil similaire et des difficultés psychologiques semblables aux travailleurs de jour avec insomnie (Vallières et al., 2014). Les similitudes soulevées entre les travailleurs de nuit et les

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travailleurs de jour souffrant d’insomnie soutiennent l’idée qu’une fois l’insomnie développée dans le THT, les facteurs qui la maintiennent sont en partie similaires à ceux de l’insomnie des travailleurs de jour. Les études portant sur les variables psychologiques de l’insomnie chez la population générale renseignent à cet effet et devraient permettre d’élargir la conceptualisation de l’insomnie au sein du THT. Dans la population générale, les variables psychologiques telles que les cognitions (Lichstein & Rosenthal, 1980; Van Egeren, Haynes, Franzen, & Hamilton, 1983) et les comportements (Bootzin, 1972) sont reconnus comme ayant un rôle majeur dans le développement et le maintien de l’insomnie. Dans les modèles étiologiques de l’insomnie, les pensées sont intimement liées aux comportements qui alimentent les difficultés de sommeil (Espie, 2002; Harvey, 2002; Morin, 1993).

Les cognitions dans l’insomnie

Plusieurs types de cognitions ont été étudiés dans l’insomnie. Les études portent sur les cognitions précédant l’endormissement, sur les cognitions stables dans le temps et sur les cognitions relevant de processus anxieux.

Premièrement, les cognitions survenant pendant la période précédant l’endormissement correspondent aux pensées présentes avant d’entrer en sommeil. Trois méthodologies différentes ont été utilisées pour les étudier : 1) manipulation expérimentale modifiant le contenu de pensées; 2) entrevue directe en laboratoire du sommeil avec les individus au moment de l’endormissement; et 3) enregistrement des pensées émises à haute voix en milieu naturel. Dans la première méthodologie, un groupe de personnes souffrant d’insomnie et un groupe de bons dormeurs (BD) ont été exposés à des situations stressantes. Les résultats montrent une diminution de la latence d’endormissement chez les personnes souffrant d’insomnie (Haynes, Adams, & Franzen, 1981). Il semble donc que la présence et la teneur des cognitions avant l’endormissement sont importantes dans l’étiologie de l’insomnie puisque lorsqu’elles sont remplacées par une autre activité cognitive, leur action diminue. Dans la deuxième méthodologie utilisée, Kuisk, Bertelson et Walsh (1989) ont procédé, deux minutes après avoir éteint la lumière, à une courte entrevue en laboratoire du sommeil auprès des participants. Les participants avec insomnie présentaient moins de pensées orientées vers la réalité et davantage de pensées négatives que les BD à l’heure du coucher. Dans la troisième méthodologie utilisant l’enregistrement des pensées, les recherches ont démontré que les pensées survenant pendant la période précédant le sommeil chez les gens souffrant d’insomnie concernent la peur de ne pas dormir suffisamment, des inquiétudes générales, des tentatives pour résoudre des problèmes ainsi que le temps et les bruits dans la maison (Harvey, 2000). Les pensées à propos du sommeil, les conséquences anticipées d’une mauvaise nuit de sommeil et le fait de tenter de résoudre les problèmes quotidiens seraient de forts prédicteurs du temps total de sommeil (Harvey & Espie, 2004).

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Deuxièmement, les recherches dans le domaine des cognitions de l’insomnie ont porté sur les cognitions stables dans le temps. Il s’agit surtout d’attitudes et de croyances par rapport au sommeil qui nourrissent le cercle vicieux de l’insomnie (Morin, 1993). Une croyance est définie comme des idées qu’une personne traite comme des vérités à propos d’un sujet donné (Beck, 1995). D’abord, de façon générale, les personnes souffrant d’insomnie ont des attentes irréalistes par rapport au besoin de sommeil cherchant à dormir au moins 8 heures (Morin, Vallières, & Ivers, 2007). Elles en ont également quant aux conséquences de l’insomnie sur leur fonctionnement diurne ou sur leur santé. D’ailleurs, en ce qui concerne ces croyances, quelques instruments ont été développés pour les aider à identifier les cognitions erronées chez leurs patients. Parmi ceux-ci, une échelle a été mise au point par Morin (1993), l’Échelle des croyances et attitudes dysfonctionnelles envers le sommeil (CAS-16), afin de mesurer les pensées irrationnelles et les attitudes reliées aux difficultés de sommeil. Selon Harvey, cette échelle constitue un avancement majeur dans l’étude des cognitions. Les croyances dysfonctionnelles envers le sommeil ont par la suite été intégrées aux interventions cognitives contre l’insomnie (Harvey, 2005).

Finalement, certaines cognitions dans l’insomnie relèvent directement de processus anxieux. Ces cognitions constituent des inquiétudes qui mènent au phénomène de la catastrophisation. Ce phénomène réfère à un processus de pensée au cours duquel la personne se concentre sur l’aspect négatif d’une situation, ce qui produit des inquiétudes envahissantes à propos des conséquences possibles liées à la situation (Beck, Emery, & Greenberg, 1985; Davey & Levy, 1998; Kendall & Ingram, 1987). Plusieurs recherches ont mis en lumière la tendance des personnes souffrant d’insomnie à catastrophiser les conséquences du manque de sommeil pendant la période d’endormissement (Barclay & Gregory, 2010; Harvey & Greenall, 2003; Willis, Yearall, & Gregory, 2011). Les personnes souffrant d’insomnie génèreraient davantage de pensées catastrophiques que les BD et celles-ci seraient associées à plus d’affects négatifs tels que de l’anxiété et de l’inconfort (Harvey & Greenall, 2003).

En somme, les cognitions sont reconnues pour jouer un rôle important dans le maintien des difficultés de sommeil dans la population générale (Harvey, 2005). Les gens qui souffrent d’insomnie présentent des cognitions spécifiques et une activation cognitive plus grande à la période précédant l’endormissement. Les personnes avec insomnie ont également des attentes et croyances incompatibles envers le sommeil. Finalement, les personnes souffrant d’insomnie ont tendance à vivre des inquiétudes qui créent un processus de catastrophisation.

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Les comportements dans l’insomnie

Sur le plan comportemental, plusieurs habitudes et comportements sont incompatibles avec le sommeil et maintiennent l’insomnie (Bootzin, 1972; Morin, 1993; Spielman, Saskin, & Thorpy, 1987). C’est par le biais du développement d’interventions contre l’insomnie que les comportements ont d’abord reçu l’attention des chercheurs. Puis, les recherches visant à démontrer la présence de comportements chez les gens souffrant d’insomnie ont été réalisées. Au fil des années, les comportements ont été inclus dans les modèles conceptuels utilisés.

Premièrement, les variables comportementales ont été considérées comme ayant un rôle dans l’insomnie à partir des années 1950 (Edinger & Wohlgemuth, 1999) et des stratégies thérapeutiques ont été développées. Deux principales interventions comportementales ont été rapportées : la technique de restriction du sommeil et les stratégies basées sur le contrôle du stimulus. La technique de restriction du sommeil (Spielman et al., 1987) vise à réduire le temps passé au lit au plus près possible de la durée réelle du sommeil. Les stratégies basées sur le contrôle du stimulus (Bootzin, 1977; Bootzin, Epstein, Wood, 1991) visent quant à elles à créer et renforcer l’association entre le sommeil et les indices de l’environnement de la chambre à coucher et des comportements qui induisent la somnolence. Par exemple, la personne doit aller au lit seulement lorsqu’elle est somnolente, elle doit réserver le lit au sommeil et à la sexualité, et la personne doit se lever et sortir de la chambre pour faire une activité relaxante si elle ne trouve pas le sommeil après 10 à 20 minutes (Morin, 2009). Ces stratégies ont fait l’objet d’une centaine d’études depuis près de 40 ans (Edinger & Wohlgemuth, 1999) et ont été prouvées efficaces.

Deuxièmement, plusieurs études ont ciblé les comportements comme facteurs de maintien de l’insomnie. Deux types de comportements en ressortent : les comportements apparents et les comportements dissimulés. D’abord, en ce qui concerne les comportements apparents, la consommation d’alcool avant le coucher et le fait de lire au lit avant de dormir seraient positivement associés à l’insomnie (Abe et al., 2011). Par ailleurs, Hood, Carney et Harris (2011) ont démontré que l’utilité perçue et non la fréquence d’utilisation des comportements sécurisants était associée à la sévérité de l’insomnie. Dans une entrevue, Harvey (2002) a utilisé certaines questions du DBAS afin de faire ressortir les comportements sécurisants chez des participants souffrant d’insomnie et des BD. L’apport de cette étude provient surtout du fait que Harvey a démontré l’importance de considérer les comportements sécurisants autant la nuit que le jour. En effet, les gens rapportaient certains comportements qui nuisaient au fonctionnement diurne et empêchaient de réviser certaines croyances (ex. faire une sieste pendant la journée, annuler des engagements, prendre des journées de congé, etc.). Ensuite, les variables comportementales ont été étudiées à travers les comportements sécurisants dits dissimulés. En effet, certaines études ont porté sur les stratégies de contrôle des pensées.

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Ces stratégies font référence à toute tentative pour contrôler le contenu ou la fréquence des pensées. Elles sont généralement étudiées pour leur forme, leur présence et leur efficacité. Les personnes souffrant d’insomnie utiliseraient plus de stratégies de contrôle comme la réévaluation, l’inquiétude et la suppression que les BD (Harvey, 2001). Aussi, la distraction cognitive serait négativement associée à l’insomnie alors que la suppression agressive des pensées (se punir d’avoir de telles pensées ou s’autocritiquer) serait positivement associée à l’insomnie (Gellis & Park, 2013). Certaines stratégies semblent aidantes et efficaces alors que d’autres ne font que maintenir le problème. Harvey (2003) a également étudié les stratégies de contrôle en les manipulant. Elle a réparti des personnes souffrant d’insomnie et des BD selon deux conditions. Les participants de la première condition recevaient l’instruction de supprimer les pensées qui leur venaient à l’esprit pendant la période précédant l’endormissement. Les participants de l’autre condition ne recevaient aucune consigne. Les résultats confirment que, dans la condition où le participant faisait un effort mental pour s’endormir et supprimer les pensées, le temps d’endormissement et la qualité perçue du sommeil étaient affectés négativement chez les participants souffrant d’insomnie et chez les BD. Par contre, les participants souffrant d’insomnie rapportaient plus fréquemment tenter de supprimer leurs pensées peu importe la condition (consigne de supprimer ou non).

Troisièmement, plusieurs modèles conceptuels ont inclus les variables comportementales dans leur conceptualisation de l’insomnie (Espie, 2002; Harvey, 2002; Morin 1993). Ces variables portent des appellations différentes à travers les modèles, mais leur action est conceptualisée de façon semblable. Par exemple, Harvey (2002) parle de comportements sécurisants. Ceux-ci sont définis comme des actions apparentes (ex : boire de l’alcool) ou dissimulées (ex : chasser les pensées) visant à prévenir l’occurrence d’une conséquence appréhendée (l’insomnie). Morin (1993) libelle les comportements comme étant de mauvaises habitudes de sommeil qui maintiennent l’insomnie. Espie (2002), quant à lui, inclut les comportements comme lire au lit ou faire des siestes dans la composante de contrôle du stimulus de son modèle. Par ailleurs, en ce qui concerne l’action ou le rôle des comportements, l’idée générale qui ressort de ces modèles conceptuels est que, même s’ils sont initialement réalisés pour pallier les difficultés de sommeil, ces comportements maintiennent le problème. En effet, les comportements empêcheraient la personne d’invalider ses pensées erronées et croyances irréalistes relativement à ses difficultés de sommeil (Harvey, 2002). De plus, ces comportements accentueraient l’activité cognitive en laissant plus de temps à la personne pour s’inquiéter de son sommeil. À titre d’exemple, une personne qui annule ses engagements en soirée en vue de récupérer du sommeil aura paradoxalement plus de temps pour s’inquiéter de son sommeil (Harvey, 2005). Les comportements incompatibles avec le sommeil pourraient également créer une association entre le lit ou la chambre à coucher et l’éveil (Espie, 2002; Morin 1993). Par exemple, une personne qui fait de la lecture au lit va créer de l’activation cognitive et inhiber le processus naturel de sommeil. De la même manière,

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rester au lit pour essayer de dormir amènerait la personne à vivre de l’anxiété ou de la frustration et une association entre le lit et ces émotions négatives serait formée. Finalement, le fait de vouloir récupérer du sommeil pendant la journée affaiblirait la pression homéostatique du sommeil et créerait un débalancement des rythmes d’éveil et de sommeil (Espie, 2002).

Pour ce qui est de considérer les variables comportementales dans un contexte de travail de nuit, déjà en 1988, Monk en faisait mention dans son modèle tridimensionnel pour expliquer l’adaptation au travail de nuit. Il suggérait treize interventions, dont la majorité concernaient des comportements directement liés au sommeil (se coucher immédiatement après le quart de travail, se coucher à des heures régulières, éviter la caféine, etc.). Dans les dernières années, d’autres études visant des stratégies comportementales ont vu le jour. Une étude visant à tester la faisabilité et l’efficacité de la restriction du sommeil a été réalisée (Vallières, Roy, Bastille-Denis, Claveau & Simon, 2015). Cette étude montre une amélioration du sommeil chez les travailleurs de nuit avec THT. Deux autres études ont aussi étudié l’efficacité d’un traitement comportemental-cognitif contre l’insomnie auprès de travailleurs de nuit sans diagnostic de THT (Järnefelt et al., 2012, 2014; Lee, Gay, & Alsten, 2014). Ces études ont démontré qu’un traitement conçu pour l’insomnie chez les travailleurs de jour peut s’appliquer chez les travailleurs de nuit et apporter de bonnes améliorations. Quelques études ont également permis de mesurer l’efficacité des siestes, une stratégie comportementale chez cette population. Les siestes réalisées pendant le quart de travail faciliteraient l’éveil chez des travailleurs de nuit sans THT (Kubo et al., 2007; Sallinen, Harma, Akerstedt, Rosa, & Lillqvist, 1998).

En résumé, les habitudes entourant le sommeil ont un impact sur le maintien des difficultés. Des stratégies ciblant ces composantes ont été développées contre l’insomnie dans la population générale. Plusieurs études ont porté sur les comportements sécurisants apparents et dissimulés. Les résultats des recherches dans le domaine des comportements liés à l’insomnie ont été intégrés à des modèles conceptuels largement utilisés. À ce jour, peu d’études ont porté sur les variables comportementales dans le THT (Thorpy, 2010). Qui plus est, on note un intérêt naissant concernant l’étude des stratégies comportementales dans le THT. Les facteurs comportementaux devraient donc être étudiés afin de diversifier la conceptualisation actuelle du THT.

Rationnel de l’étude

Le THT touche environ 10 % de la population des travailleurs à horaire non conventionnel (Drake et al., 2004). Plus précisément, 14 à 32 % des travailleurs de nuit à horaire fixe et 8 à 26 % des travailleurs de nuit à horaire rotatif souffrent du THT. Cette proportion revêt une importance considérable lorsque l’on songe aux

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types de professions qui requièrent un tel horaire et les conséquences qui peuvent être engendrées par les difficultés de sommeil pour les travailleurs eux-mêmes ou pour leur clientèle.

Actuellement, le modèle biomédical constitue la conceptualisation dominante employée pour expliquer le THT et générer les stratégies thérapeutiques. Ciblant les facteurs biologiques uniquement, cette conception explique une parcelle du problème et ignore plusieurs variables susceptibles d’être impliquées dans le développement et le maintien du trouble. Le fait que l’on note un intérêt croissant pour l’étude des variables psychosociales dans l’adaptation au travail de nuit suggère que ces variables pourraient être étudiées dans le THT également.

L’un des deux symptômes principaux du THT est l’insomnie. Certains travailleurs de nuit avec THT présentent un patron de sommeil similaire à la population générale avec insomnie (Vallières et al., 2014). Plusieurs études portant sur l’insomnie dans la population générale ont examiné les variables cognitives et comportementales. Afin de comprendre l’insomnie dans le THT, il est possible de s’inspirer des études sur la population générale afin de les adapter au sommeil des travailleurs de nuit. L’étude des variables comportementales et cognitives amènerait une plus grande diversité dans la conception du THT ce qui permettrait ultimement de développer des stratégies thérapeutiques variées qui pourraient convenir à un plus grand bassin de travailleurs.

Par conséquent, l’objectif général de cette thèse est d’étudier la nature et le rôle des cognitions et des comportements comme facteurs de maintien de l’insomnie dans le THT. Plus précisément, la thèse vise à répondre à trois objectifs spécifiques :

 Objectif 1 - Étudier la fréquence des thèmes de pensées précédant l’endormissement chez les travailleurs de nuit avec THT et chez les BD.

 Objectif 2 - Étudier la présence de cognitions dysfonctionnelles et de comportements incompatibles avec le sommeil chez les travailleurs de nuit avec THT et chez les BD.

 Objectif 3 - Explorer le thème des inquiétudes concernant le sommeil et la présence du processus de catastrophisation avant l’endormissement chez les travailleurs de nuit avec THT et chez les BD.

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Les hypothèses associées à chaque objectif sont les suivantes :  Objectif 1.

 Hypothèse 1.1 – Avant l’endormissement, les travailleurs de nuit avec THT rapporteront penser au fait de ne pas dormir ou aux situations de la journée/nuit précédente plus fréquemment que les BD.

 Objectif 2.

 Hypothèse 2.1 - Les travailleurs de nuit avec THT auront davantage d’activation cognitive, de pensées et de croyances dysfonctionnelles, de pensées intrusives et de stratégies de contrôle des pensées en lien avec le sommeil que les BD.

 Hypothèse 2.2 - Les travailleurs avec THT porteront davantage leur attention à des bruits environnants, à des préoccupations et à de la résolution de problèmes avant l’endormissement que les BD.

 Hypothèse 2.3 - Les travailleurs de nuit avec THT auront un temps passé au lit supérieur et une efficacité du sommeil inférieure aux BD.

 Hypothèse 2.4 - Les travailleurs avec THT démontreront une plus grande irrégularité dans les heures de coucher et de lever ainsi que dans le temps total dormi comparativement aux BD.  Objectif 3.

 Hypothèse 3.1 - L’appartenance au groupe THT permettra de prédire le nombre d’étapes de catastrophisation.

 Aucune hypothèse n’a été formulée concernant la nature des inquiétudes puisqu’il s’agit d’une analyse de contenu exploratoire.

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Chapitre 2.

Article 1 : Les pensées et comportements dysfonctionnels

impliqués dans le trouble du sommeil lié à l’horaire de travail

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Les pensées et comportements dysfonctionnels impliqués dans le trouble du sommeil lié à l’horaire de travail. Bastille-Denis, E., Roy, M., & Vallières, A.

Résumé

La contribution des variables cognitives et comportementales dans le maintien de l’insomnie est largement démontrée depuis plusieurs années. Aucune étude ne les a encore évaluées dans le trouble lié à l’horaire de travail (THT) qui inclut des symptômes d’insomnie. Cette étude vise à identifier les thèmes de pensées avant l’endormissement, les pensées et croyances dysfonctionnelles, les pensées intrusives, les stratégies de contrôle des pensées, les biais attentionnels, les inquiétudes en lien avec le sommeil ainsi que les comportements incompatibles avec le sommeil. Pour ce faire, 25 participants souffrant d’un THT sont comparés à un groupe de 22 bons dormeurs (BD) satisfaits de leur sommeil. L’étude comprend des mesures autorapportées sur le sommeil et les pensées ainsi que des entrevues semi-structurées. Les résultats démontrent que le groupe avec THT est significativement plus susceptible de porter son attention sur les soucis et les préoccupations, et sur les bruits à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison que les bons BD. Les personnes avec un THT ont significativement plus d’activation cognitive avant l’endormissement que les BD. Le groupe THT a une efficacité du sommeil significativement plus faible comparée au groupe BD. Cette étude innove en apportant un nouvel éclairage sur le THT et permet d’élargir sa conceptualisation. Les résultats démontrent que les pensées dysfonctionnelles, les biais attentionnels et les comportements incompatibles avec le sommeil méritent d’être considérés comme facteurs de maintien du THT.

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Introduction

Les composantes cognitives et comportementales sont reconnues pour jouer un rôle majeur dans le maintien de l’insomnie (Bootzin, 1972; Lichstein & Rosenthal, 1980; Van Egeren, Haynes, Franzen, & Hamilton, 1983) et sont incluses dans de nombreux modèles conceptuels expliquant le développement et le maintien de l’insomnie (Espie, 2002; Harvey, 2002; Morin, 1993). Les variables cognitives et comportementales forment également la base de la thérapie comportementale-cognitive de l’insomnie (TCC-I) recommandée comme traitement de première ligne (Morin, Culbert, & Schwartz, 1994; Murtagh, & Greenwood, 1995; Sivertsen et al., 2006; Smith et al., 2002; Taylor & Pruiksma, 2014).

Sur le plan cognitif, plusieurs études démontrent l’existence de processus qui nuisent au sommeil. Le fait de souscrire à des croyances inadaptées en lien avec le sommeil fait partie de ces processus (Carney & Edinger, 2006; Edinger, Wohlgemuth, Radtke, Marsh, & Quillian, 2001; Espie, Inglis, Harvey, & Tessier, 2000; Harvey, 2002; Morin, 1993). À titre d’exemple, une personne peut entretenir la croyance qu’elle doit obtenir huit heures de sommeil pour bien fonctionner. Les inquiétudes par rapport au fait de ne pas dormir et aux répercussions possibles pour la journée suivante constituent un deuxième processus cognitifs (Fichten et al., 1998; Hall et al., 2000; Hall, Buysse, Reynolds, Kupfer, & Baum, 1994; Harvey, 2000, 2002; Nelson & Harvey, 2002; Tang & Harvey, 2004; Wicklow & Espie, 2000). La personne peut craindre de ne pas être suffisamment concentrer la journée suivante et que ceci entraîne des erreurs importantes dans son travail. Finalement, les biais attentionnels vers des stimuli reliés aux difficultés de sommeil (Harvey, 2002; Semler & Harvey, 2004; Tang & Harvey, 2004; Taylor, Espie, & White, 2003) sont également connus comme étant un phénomène cognitif important chez les personnes souffrant d’insomnie. Lors de la période précédant l’endormissement, l’attention peut alors être dirigée vers les sensations qui signifient que le sommeil est sur le point de survenir. Ces processus cognitifs sont plus présents chez les personnes souffrant d’insomnie que chez les bons dormeurs (BD). Dans la période précédant l’endormissement, ces pensées créent une activation cognitive qui est incompatible avec le sommeil. Lorsque l’activation perdure sur plusieurs nuits, les inquiétudes, les croyances et les biais attentionnels créent un cercle vicieux qui maintient l’insomnie.

Sur le plan comportemental, plusieurs habitudes et comportements sont incompatibles avec le sommeil (Bootzin, 1972; Morin, 1993; Spielman, Saskin, & Thorpy, 1987). Bien que ces comportements et habitudes soient initialement réalisés pour pallier l’insomnie, ils contribuent à son maintien à plus long terme. Deux types de comportements sont identifiés soit les comportements apparents et les comportements dissimulés. Les comportements apparents prennent souvent la forme de fuite ou d’évitement de quelque chose qui est anxiogène (Hood et al., 2011). La consommation d’alcool avant le coucher en est un exemple. Ces comportements seraient davantage présents chez les gens souffrant d’insomnie (Abe et al., 2011). Parmi les

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comportements dissimulés dits sécurisants, on retrouve les stratégies de contrôle de pensées qui font référence à toute tentative pour contrôler le contenu ou la fréquence des pensées. Les personnes souffrant d’insomnie utiliseraient davantage des stratégies de contrôle comme la réévaluation, l’inquiétude et la suppression que les BD (Harvey, 2001). Aussi, la distraction serait moins présente chez les gens souffrant d’insomnie alors que la suppression agressive des pensées (se punir d’avoir de telles pensées ou s’autocritiquer) serait davantage présente chez eux (Gellis & Park, 2013). Finalement, les interventions de type comportemental qui ont été développées au cours des années ont également fourni de l’information sur les comportements incompatibles avec le sommeil. Deux principales interventions ont été rapportées : la technique de restriction du sommeil (Spielman et al., 1987) et les stratégies basées sur le contrôle du stimulus (Bootzin, 1977; Bootzin, Epstein, Wood, 1991).

Les variables cognitives et comportementales ont donc été largement étudiées, permettant ainsi de bien comprendre le maintien de l’insomnie dans la population générale. Par contre, ces connaissances n’ont pas été transposées au sommeil des travailleurs de nuit. Pourtant, l’un des deux symptômes principaux du trouble lié à l’horaire de travail (THT) est l’insomnie. La prévalence du trouble varie selon la méthodologie et la définition utilisées dans les études allant de 10 % (Drake, Roehrs, Richardson, Walsh, & Roth, 2004) à 32 % (Di Milia, Waage, Pallesen, & Bjortvan, 2013). Actuellement, les variables biologiques sont majoritairement utilisées dans la compréhension de l’insomnie chez les travailleurs de nuit. Cette conceptualisation explique donc une parcelle du problème en ignorant plusieurs variables susceptibles d’être impliquées dans le développement et le maintien du trouble.

De récentes études laissent voir un intérêt émergeant pour les variables psychologiques impliquées dans l’adaptation au travail de nuit. En effet, une association entre le traits neuroticisme et les difficultés de sommeil chez les travailleurs de nuit a été identifiée (Hennig, Kieferdorf, Moritz, Huwe, & Netter, 1998; Parkes, 2002). Aussi, un style émotionnel répressif et des affects négatifs (Tamagawa, Lobb, & Booth, 2007), une faible propension à la résilience (Natvik et al., 2011) et un locus de contrôle externe (Samaha, Lal, Samaha, & Wyndham, 2007; Smith, Spelten, & Normal, 1995; Smith et al., 2005) ont été trouvés comme étant reliés à l’insomnie chez les travailleurs de nuit. Ces résultats suggèrent qu’il serait souhaitable de développer une vision multidimensionnelle dans l’explication de l’insomnie liée au travail de nuit et d’intégrer ces variables psychologiques aux connaissances actuelles.

Dans une volonté d’élargir la conceptualisation de l’insomnie dans le THT, il est possible de s’inspirer des études dans la population générale. En effet, selon Vallières, Azaiez, Moreau, LeBlanc et Morin (2014),

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les travailleurs de nuit et rotatif avec insomnie présenteraient un patron de sommeil similaire et des difficultés psychologiques semblables aux travailleurs de jour avec insomnie. Les similitudes soulevées entre les travailleurs de nuit et les travailleurs de jour souffrant d’insomnie soutiennent l’idée qu’une fois l’insomnie développée dans le THT, les facteurs qui la maintiennent sont similaires à ceux de l’insomnie des travailleurs de jour. Les variables psychologiques ayant reçu le plus d’attention jusqu’à maintenant pour expliquer le maintien de l’insomnie dans la population générale sont les cognitions et les comportements. L’étude de ces variables dans l’insomnie chez les travailleurs de nuit amènerait une plus grande diversité dans la conception du trouble qui permettra ultimement d’inspirer le développement de stratégies thérapeutiques variées qui pourront convenir à un plus grand nombre de travailleurs. L’objectif général de la présente étude est donc d’étudier la présence et la nature de cognitions et de comportements reconnus comme ayant un lien avec l’insomnie selon la présence ou l’absence du THT. Plus précisément, le premier objectif est d’étudier la nature des cognitions à l’endormissement dans le THT. Le deuxième objectif est d’étudier la présence de cognitions dysfonctionnelles et de comportements incompatibles avec le sommeil selon la présence ou l’absence du THT. Les hypothèses suivantes seront testées. Les travailleurs de nuit avec THT rapporteront porter leur attention sur les thèmes de pensées à l’endormissement de l’entrevue de Harvey plus fréquemment que les BD. Les travailleurs de nuit avec THT auront davantage d’activation cognitive, de pensées et de croyances dysfonctionnelles, de pensées intrusives et de stratégies comportementales de contrôle des pensées en lien avec leur sommeil que les BD. Les travailleurs avec THT porteront davantage leur attention sur les éléments externes énumérés dans l’entrevue de Harvey lors de l’endormissement que les BD. Les travailleurs de nuit avec THT auront un temps passé au lit supérieur aux BD, une efficacité du sommeil inférieure à celle des BD et une plus grande irrégularité dans les heures de coucher et de lever ainsi que dans le temps total dormi comparativement aux BD. Finalement, les participants souffrant d’un THT rapporteront plus fréquemment s’adonner à des comportements incompatibles avec le sommeil que les BD.

Méthode Participants

Les participants ont été recrutés grâce à différentes stratégies. Des annonces ont été placées dans un quotidien de la ville et sur l’intranet d’un centre hospitalier de la ville de Québec. Des annonces ont également été distribuées lors de visites effectuées pendant un quart de travail de nuit. Ces stratégies ont permis de recruter 12 participants. L’échantillon a été complété à partir d’une étude déjà en cours au Centre d’étude des troubles du sommeil (CETS) de l’Université Laval (35 participants). Un total de 47 participants ont été recrutés (âge moyen : 35; 87 % femmes) et ont été divisés en deux groupes : participants avec THT (n = 25) et BD (n = 22). Le Tableau 1 présente le genre, l’âge et le type de travail des participants. Des tests t démontrent qu’il n’y a pas de différence entre les groupes concernant ces caractéristiques.

Figure

Figure 1. Conceptualisation du THT.

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