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Liens entre le stress conjugal, la suppression émotionnelle et la prise alimentaire au sein de couples hétérosexuels

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Academic year: 2021

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LIENS ENTRE LE STRESS CONJUGAL, LA SUPPRESSION

ÉMOTIONNELLE ET LA PRISE ALIMENTAIRE AU SEIN DE

COUPLES HÉTÉROSEXUELS

Thèse

Marilou Côté

Doctorat en psychologie – Recherche et intervention (orientation clinique) Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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LIENS ENTRE LE STRESS CONJUGAL, LA SUPPRESSION

ÉMOTIONNELLE ET LA PRISE ALIMENTAIRE AU SEIN DE

COUPLES HÉTÉROSEXUELS

Thèse

Marilou Côté

Sous la direction de :

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Résumé

L’étude de l’alimentation induite par le stress et les émotions négatives a été largement menée jusqu’à maintenant en vue d’identifier différentes caractéristiques individuelles pouvant être désignées comme facteur de risque à la suralimentation. À cet effet, le fait de souffrir de surpoids ou d’obésité, de même que la présentation d’un profil alimentaire restrictif ont été identifiés. Bien que certaines études se soient intéressées à la variation des types de stress auxquels sont soumis les individus, aucune n’a élargie sa perspective aux relations de couple. Pourtant, les émotions vécues au sein du couple et la régulation qui en est faite peuvent sans contredit contribuer à l’installation et l’exacerbation de comportements alimentaires problématiques pouvant mener à une prise de poids. En ce sens, à l’aide d’une expérimentation en laboratoire impliquant l’induction d’un stress de nature conjugale, la thèse vise à approfondir les connaissances actuelles quant aux liens qui unissent les émotions vécues dans le contexte d’une discussion conjugale stressante et la prise alimentaire qui s’en suit chez des individus en couple hétérosexuel. Pour ce faire, 80 couples ont été recrutés et ont discuté, en laboratoire, d’aspects qu’ils aimeraient voir changer chez l’autre. La quantité de nourriture consommée suite à la discussion a été mesurée, à leur insu, à l’aide d’un test de goût. Les couples ont été invités à évaluer leur humeur ainsi que la suppression émotionnelle qu’ils ont exercée pendant la discussion, de même qu’à remplir des questionnaires auto-rapportés. L’indice de masse corporelle (IMC) des partenaires a été calculé à partir de mesures objectives. Le premier objectif spécifique de la thèse vise plus particulièrement à étudier l’impact d’un changement d’humeur suite à la discussion conjugale stressante sur la prise alimentaire subséquente des hommes et des femmes, et de tester l’effet modérateur de l’IMC et de la restriction alimentaire sur cette relation. Les résultats indiquent d’abord des associations différentes chez les hommes et les femmes en réponse à la situation expérimentale. Chez les hommes, seules les perceptions d’appétit prédisent la prise alimentaire, tandis que chez les femmes, un patron plus complexe se dessine. Un sous-groupe de femmes à risque de se suralimenter en réponse au stress conjugal est identifié, soit les femmes présentant un IMC élevé et un profil alimentaire restrictif. Ces résultats ajoutent à la littérature actuelle en ce sens où l’impact d’un stresseur de nature conjugale sur la prise alimentaire n’avait jamais été testé auparavant. De plus, ils soulignent l’importance de tenir compte en concomitance de l’IMC et de la restriction dans la compréhension du phénomène

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de l’alimentation induite par le stress chez les femmes. Le deuxième objectif spécifique de la thèse a pour but d’examiner, à l’aide d’un modèle dyadique, l’effet médiateur de la suppression émotionnelle sur le lien entre le changement d’humeur suite à la discussion conjugale stressante et la prise alimentaire subséquente, en fonction de l’IMC des deux membres du couple. Les résultats de cette étude révèlent que la suppression émotionnelle est un médiateur valide de la relation entre le changement d’humeur et la prise alimentaire, et met également en évidence l’effet modérateur de l’IMC sur cette médiation. Plus particulièrement, la dégradation de l’humeur des individus présentant un IMC élevé est associée à une plus grande prise alimentaire via l’adoption de suppression émotionnelle pendant la discussion avec le partenaire, tandis que chez les individus présentant un IMC faible, la dégradation de l’humeur est plutôt associée à une plus faible prise alimentaire via la suppression. D’un point de vue dyadique, la suppression émotionnelle d’un membre du couple agit comme médiateur de la relation entre le changement émotionnel et la prise alimentaire de son partenaire, sans égard à l’IMC des conjoints. En d’autres mots, la dégradation de l’humeur de l’un mène à une plus grande consommation via la suppression émotionnelle de l’autre. Ces résultats font ressortir le rôle clé de la suppression émotionnelle dans l’alimentation induite par le stress conjugal non seulement au plan individuel, mais également au plan dyadique. Ils soulignent la pertinence de s’intéresser aux interrelations entre les membres d’un couple pour prédire leurs comportements alimentaires. Dans leur ensemble, les travaux de la thèse suggèrent que le couple puisse générer du stress et des affects négatifs qui peuvent mener à la suralimentation. Une attention grandissante devrait être portée à ce type de stresseur dans l’avenir, de même qu’à l’étude de la réponse alimentaire d’un sous-groupe de personnes précis face au stress conjugal, soit les femmes qui présentent des difficultés de régulation du poids et de l’alimentation.

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Abstract

Stress-induced eating has been widely studied up until now in order to identify individual characteristics which may be designated as risk factors to overeating. Being overweight or obese, as well as being a restrained eater, have been identified. Although some studies have investigated the impact of different types of stressors on eating, none has broadened its investigation on romantic relationships. However, emotions experienced through couple interactions as well as the way partners deal with (or regulate) those emotions may certainly contribute to the development and exacerbation of problematic eating behaviors that can lead to weight gain. Thus, using a laboratory experiment involving a dyadic stress, the present thesis aims to deepen the current understanding of the relationship between emotions following a stressful couple discussion and food intake among heterosexual couples. Eighty couples were recruited and discussed an aspect that they wanted their partner to change. Food intake was measured following the discussion with a bogus taste test. Both partners assessed their mood state, as well as emotion suppression, and completed self-reported questionnaires. Body mass index (BMI) was calculated with objective measures. The first specific objective of the thesis was to examine the impact of mood change induced by a stressful couple discussion on food intake in both spouses, while simultaneously taking into account the moderating effect of BMI and restraint on this association. First, results showed different responses in men and women following the discussion. Among men, only appetite perceptions significantly predicted food intake, while a more complex pattern emerged among women. A subgroup of women at risk to overeat in response to dyadic stress was identified, those with a high BMI and a restrictive eating profile. These results add to the current literature since the impact of a dyadic stressor on food intake had never been tested before. Moreover, these results highlight the importance of considering the concomitant effect of BMI and restraint in the understanding of stress-induced eating among women. The second specific objective of the thesis was to examine, using dyadic analysis, whether emotion suppression was a valid mediator in the relationship between mood change following a stressful couple discussion and subsequent food intake among couples, while taking into account spouses’ BMI. Results showed that emotion suppression was a valid mediator in the relationship between mood change and food intake, and that BMI significantly moderated this mediation. That is, mood worsening was related to high food

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intake through emotion suppression among high BMI spouses, while for low BMI spouses, mood worsening rather predicted low food intake through emotion suppression. Dyadic analysis revealed that emotion suppression in one partner acted as a mediator in the association between mood change and food intake in the other partner, regardless of BMI. In other words, mood worsening of one partner led to a greater consumption of food via emotion suppression in the other partner. These results emphasise the key role of emotion suppression in the relationship between mood change and food intake in the context of a stressful couple discussion. They also underscore the relevance to focus on the interrelationships between spouses to predict their eating behaviors. Taken together, the thesis results suggest that romantic relationships can generate stress and negative emotions that can lead to overeating. More attention should be paid to this type of stressor in the future, as well as to the study of the eating response to dyadic stress of a specific subgroup of people, i.e. women presenting eating and weight regulation issues.

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Table des matières

Résumé ...ii

Abstract ... v

Table des matières ...vii

Liste des tableaux ... x

Liste des figures ... xi

Remerciements ...xii

Avant-propos ... xv

Chapitre 1. Introduction générale ... 1

1.1 Problématiques du poids et comportements alimentaires ... 1

1.2 Stress, émotions négatives et prise alimentaire ... 6

1.2.1 Stress et problématiques du poids ... 6

1.2.2 Impact du stress et des émotions négatives sur la prise alimentaire ... 7

1.2.3 Influence des caractéristiques individuelles sur l’alimentation induite par le stress ... 8

1.2.3.1 Le surpoids et l’obésité ... 8

1.2.3.2 La restriction alimentaire ... 11

1.2.3.3 Le sexe ... 13

1.3 Stratégies de régulation émotionnelle et alimentation ... 13

1.3.1 Impact de la suppression émotionnelle sur la prise alimentaire ... 14

1.4 Types de situations influençant la réaction alimentaire face au stress ... 18

1.5 Relations conjugales et comportements alimentaires... 22

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Chapitre 2. Induced Dyadic Stress and Food Intake: Examination of the Moderating

Roles of Body Mass Index and Restraint ... 26

Résumé ... 27 Abstract ... 28 Introduction... 29 Methods ... 30 Participants ... 30 Procedure ... 31 Measures ... 32 Mood ... 32 Appetite perceptions ... 32 Restrained eating ... 32

Bogus taste test ... 33

BMI ... 33

Statistical analysis ... 33

Results... 34

Manipulation check of mood induction ... 34

Sex differences... 34

Relationship between mood change and food intake ... 35

Discussion ... 36

Conclusions ... 38

References ... 39

Chapitre 3. Emotion suppression and food intake in the context of a couple discussion: A dyadic analysis ... 46

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Abstract ... 48

Introduction... 49

Emotion suppression and food intake ... 49

Emotion suppression, couple and eating ... 50

Methods ... 51

Participants ... 51

Procedure ... 52

Measures ... 53

Mood and emotion suppression ... 53

Appetite perceptions ... 53

Food intake ... 54

Anthropometric measures ... 54

Statistical Analysis ... 54

Results... 55

Actor and partner effects of mood change and emotion suppression on food intake ... 55

Discussion ... 56

References ... 60

Chapitre 4. Conclusion ... 67

4.1 Discussion générale des principaux résultats ... 67

4.2 Implications scientifiques et cliniques de la thèse ... 70

4.3 Limites de la thèse ... 74

4.4 Directions futures ... 76

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Liste des tableaux

Tableau

1 Demographic characteristics by sex ... 43 2 Multiple regression models predicting the effect of mood change on food intake in

women and men... 44 3 Associations between food intake, mood change, emotion suppression, and body

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Liste des figures

Figure

1. Interaction plot showing associations between subjective mood change and food intake for women at different values of restraint as measured by the Restraint Scale score and body mass index (BMI). All variables are z-standardized. ... 45 2. Actor-partner interdependence model relating mood change, emotion suppression,

BMI, and food intake... 65 3. Interaction plot showing the conditional indirect effect of mood change on food

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Remerciements

Bien sûr, je tiens d’abord à remercier la personne sans qui la réalisation de cette thèse aurait été impossible, ma directrice de thèse Catherine Bégin. Catherine, je te remercie pour ton enthousiasme et ta passion pour la recherche que tu as su me transmettre très tôt, à ton insu d’ailleurs, dans le cours de psychopathologie au baccalauréat. En sollicitant ta supervision pour mon doctorat, je faisais littéralement un choix de cœur, ce que mes parents m’avaient toujours conseillé de faire. Depuis mon entrée dans ton laboratoire, j’ai découvert une femme authentique et d’une accessibilité remarquable. Au fil des ans, nous avons développé une belle complicité qui je l’espère perdurera dans le temps. J’ai toujours senti que tu me vouais une grande confiance, qui se reflète aujourd’hui par le partenariat que nous formons alors que tu m’engages comme coordonnatrice de ton laboratoire. Je te remercie de croire en moi, je te suis et te resterai très loyale.

Un merci spécial à Marie-Pierre Gagnon-Girouard qui a sans contredit été une actrice importante dans la réalisation de ce projet, mais également dans le développement de mes compétences et de mon identité professionnelles. Marie, tu as été un modèle pour moi tant au plan de la clinique que de la recherche, et je suis d’ailleurs tes traces aujourd’hui, ce qui me remplit de bonheur.

Je remercie également mon comité de thèse, composé de M. Stéphane Sabourin et de Mme Véronique Provencher qui se sont tous deux montrés généreux dans leurs commentaires et leurs conseils à mon égard. De par votre gentillesse et votre générosité, il a toujours été un plaisir pour moi de vous présenter mes travaux et de recueillir vos précieux conseils. Merci également à Stéphane Sabourin pour sa supervision clinique lors de mon internat. Votre grande expérience clinique dans le domaine du couple a sans contredit été d’une grande inspiration pour moi. Vous avez contribué à mon développement en tant que jeune professionnelle et je vous en remercie.

Merci à Hélène Paradis, statisticienne, qui m’a été d’une grande aide dans l’analyse de mes données. Hélène, tu m’as prêté main forte à plusieurs occasions tout au long de mon doctorat

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et je t’en suis infiniment reconnaissante. Merci d’avoir été un aussi bon professeur pour moi et d’avoir contribué à faire de moi une meilleure professionnelle de recherche pour l’avenir. Cette aventure qu’est le doctorat n’aurait pas été la même si je n’avais pas été accompagnée de mes collègues et amies. Isabelle, Katrine et Mélodie (alias les quatre mousquetonnes!), je vous remercie pour le soutien que vous m’avez donné et pour tous les fous rires et les belles soirées! Vous êtes des amies précieuses et je suis extrêmement heureuse que nous réussissions à maintenir notre belle amitié au-delà du contexte des études doctorales. Je tiens aussi à remercier Marie-Pier Tremblay, mon amie depuis le baccalauréat. Marie, je te l’ai souvent dit, mais tu as littéralement été une bouffée d’air frais pour moi quand je me suis installée à Québec pour mes études! Merci pour ta bonne humeur et pour ta solidarité tout au long de nos études. Finalement, je remercie Mathieu Gagné mon précieux ami d’enfance ainsi que Marie-Christine Girard, Sébastien Larouche et leurs deux beaux enfants (Vincent et Léa, dont je suis la marraine). Vous voir a toujours été une source intarissable de plaisir, ce qui m’a fait le plus grand bien tout au long de mes études.

Bien-sûr, je tiens à remercier ma famille. Mes parents, Josée et Alain, qui m’ont encouragée et soutenue depuis que je suis née, tant sur le plan moral que financier. J’ai toujours senti que vous croyiez en moi au plus haut point, ce qui m’a permis de développer une confiance en moi et en mes capacités qui m’a portée tout au long de mes études. Je remercie spécialement mon père pour ses bons mots et ses conseils par rapport au milieu universitaire qu’il connait bien. Maman, tu es une grande source d’inspiration pour moi. Je prends en modèle ta force et ta détermination depuis que je suis toute petite. Merci simplement d’être la mère que tu es pour moi. Sophie, merci d’être une aussi merveilleuse grande sœur! Merci de m’avoir « trimballée » avec toi si souvent pendant notre enfance et notre adolescence. Je te dois plusieurs de mes apprentissages et tu as sans contredit contribué au développement de ma confiance et de ma persévérance. Je t’en suis reconnaissante. Bruno, mon beau-frère, merci d’être l’ami que tu es, généreux et dévoué aux gens que tu aimes. Merci à mes grands-parents de toujours m’avoir fait sentir toute la fierté et l’amour que vous me portez. À ma famille d’adoption, c’est-à-dire ma belle-famille, je vous remercie d’être aussi accueillants et chaleureux que vous l’êtes. Quel bonheur d’être des vôtres et de partager autant de plaisir

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avec vous. Un merci spécial à Édith pour ses bons soins lorsque j’ai eu des soucis médicaux. Tu es une belle-mère hors pair!

Finalement, je tiens à remercier mon allié, mon complice, mon amoureux, Mathieu. Au cours des dix dernières années, tu as été sans aucun doute la personne la plus présente pour moi. Tu m’as soutenue dans les moments les plus difficiles, où j’avais même envie d’abandonner. J’ai toujours senti qui tu serais là pour moi peu importe les choix que je ferais. Ton amour et ton soutien indéfectibles sont ma plus grande source de bonheur et de réconfort. Je sais que je peux compter sur toi en tout temps. En plus, j’ai sans doute le chum le plus drôle au monde, ce qui fait un bien fou quand vient le temps de décrocher! Tu contribues à ma santé mentale, merci!

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Avant-propos

La présente thèse comporte une introduction générale décrivant le contexte théorique et empirique dans lequel s’inscrivent les travaux de la thèse, deux manuscrits dans lesquels sont présentés les résultats de recherche obtenus, de même qu’une conclusion générale qui met en évidence la contribution des travaux de la thèse à la littérature actuelle. Le premier article scientifique est présenté tel qu’il a été publié, tandis que le deuxième article est présenté tel qu’il a été soumis pour publication. Un résumé en français a été ajouté à chacun des deux articles, ceux-ci étant rédigés en langue anglaise.

Références détaillées des deux articles : Chapitre 2 :

Côté, M., Gagnon-Girouard, M.-P., Provencher, V., & Bégin, C. (2016). Induced dyadic stress and food intake: Examination of the moderating roles of BMI and restraint. Eating Behaviors, 23, 86-90. doi: 10.1016/j.eatbeh.2016.08.006

Chapitre 3 :

Côté, M., Gagnon-Girouard, M.-P., & Bégin, C. (en révision). Emotion suppression and food intake in the context of a couple discussion: A dyadic analysis. Appetite.

Les travaux de la thèse ont été menés en totalité sous la direction de la Dre Catherine Bégin. L’auteure principale, Marilou Côté, a conçu l’expérimentation et a effectué la collecte des données, les analyses statistiques, l’interprétation des résultats et la rédaction des deux articles scientifiques de la thèse. Elle a également rédigé l'introduction et la conclusion générales de la thèse. Les Dre Marie-Pierre Gagnon-Girouard et Véronique Provencher ont contribué à l’élaboration du devis de recherche et de la méthodologie, de même qu’à la rédaction du premier article de la thèse.

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Chapitre 1.

Introduction générale

Au Canada, 6,7 millions d’individus âgés de 15 ans et plus déclarent que la plupart de leurs journées sont stressantes, les femmes étant plus susceptibles que les hommes de rapporter vivre du stress (Statistique Canada, 2014). Le stress vécu dans les relations interpersonnelles apparait être le plus fréquent (Almeida, 2005) et les relations de couple, plus particulièrement, semblent en être une source importante. En effet, les taux élevés de séparation et de divorce actuels (38 % des mariages au Canada aboutiraient à un divorce avant leur 25e anniversaire; Milan, 2013) reflètent les insatisfactions vécues par plusieurs au sein de leur relation conjugale. À ce contexte de stress exacerbé se jumellent des taux préoccupants de surpoids et d’obésité (Statistique Canada, 2014) qui sous-tendent des comportements alimentaires problématiques. La thèse s’intéresse ainsi à la compréhension du phénomène de l’alimentation en réponse au stress dans le contexte des relations conjugales.

1.1 Problématiques du poids et comportements alimentaires

Le surpoids et l’obésité sont actuellement un enjeu de santé publique autour du monde (Shields, Carroll, & Ogden, 2011); ils représentent une menace grandissante pour la santé des populations d’un grand nombre de pays, remplaçant petit à petit les problèmes associés à la malnutrition et aux maladies infectieuses (World Health Organization, 2000). Bien qu’ils puissent être définis comme un excès de masse adipeuse sur le corps, cette définition est toutefois remise en question puisque l’adiposité peut être conceptualisée comme un continuum sur lequel aucune division claire ne marque la normalité et l’anormalité (Ogden, Yanovski, Carroll, & Flegal, 2007). Considérant en plus le fait qu’il est difficile de mesurer directement l’adiposité, le surpoids et l’obésité sont souvent définis comme un excès de masse corporelle, plutôt que comme un excès d’adiposité. En effet, l’utilisation de l’indice de masse corporelle (IMC), c’est-à-dire la division du poids en kilogrammes par la taille en mètres au carré (kg/m2), est la mesure standard utilisée en clinique et en recherche (Keys, Fidanza, Karvonen, Kimura, & Taylor, 1972). Actuellement, le poids santé est défini comme étant un IMC entre 18,5 et 24,9, le surplus de poids comme un IMC entre 25 et 29,9, et

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l’obésité comme un IMC de 30 et plus selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS; OMS, 2015). Cette classification permet d’évaluer les risques que pose chaque catégorie pour la santé.

La prévalence d’individus qui font face à des difficultés de régulation du poids, telles que reflétées par un IMC élevé, s’est vue augmentée en Amérique du Nord dans les dernières décennies. En effet, au Canada, de 1985 à 2011, la prévalence de l’obésité chez les adultes a triplé, passant de 6,1 à 18,3 % (Twells, Gregory, Reddigan, & Midodzi, 2014). Chez nos voisins du Sud, une tendance similaire se dessine, la prévalence de l’obésité chez les adultes aux États-Unis s’est vue augmenter de façon tout aussi importante dans les trente dernières années (Flegal, Carroll, Kit, & Olgden, 2012). Néanmoins, au Canada, une relative stabilisation des taux combinés de surpoids et d’obésité est observée depuis 2009, alors que 61,8% des hommes et 46,2 % des femmes présentaient un excédent de poids (Statistique Canada, 2014), probablement en raison des efforts soutenus de prévention de l’obésité mis en place.

Il est bien connu que l’excédent de poids constitue un facteur de risque pour plusieurs maladies cardiovasculaires et métaboliques (Bray & Bellanger, 2006; Dixon, 2010). D’autres maladies associées à une augmentation de la masse adipeuse peuvent se manifester, telles que l’apnée du sommeil et les maladies des os (Bray & Bellanger, 2006), et certains types de cancer sont davantage prévalents chez les personnes souffrant d’obésité (Calle, Thun, Petrelli, Rodriguez, & Heath, 1999; Dixon, 2010). Somme toute, il appert que le risque de décès de diverses causes (p.ex., maladies cardiovasculaires, cancer) augmente chez les hommes et les femmes souffrant d’un surplus de poids modéré à sévère (Calle et al., 1999; Tanamas et al., 2016). De plus, des coûts importants directs et indirects sont associés à l’obésité. Le fardeau économique du surpoids et de l’obésité se chiffrait en 2006 à six milliards de dollars au Canada, ce qui correspond à 4,1 % des dépenses canadiennes totales en santé (Anis et al., 2010). Ces faits reflètent l’importance capitale de faire avancer les connaissances en ce qui concerne les difficultés de régulation du poids, afin d’être en mesure d’aider efficacement les personnes qui en souffrent.

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Il est bien établi dans la littérature qu’une part de génétique soit impliquée dans le développement des problématiques du poids, 50 à 90 % de la variance de l’IMC ayant été expliquée par des facteurs génétiques (Locke et al., 2015; Maes, Neale, & Eaves, 1997). Toutefois, il est clair que l’environnement dans lequel l’individu évolue joue également un rôle dans la prise de poids. Les sociétés occidentales sont considérées comme des environnements obèsogènes dans lesquels l’accessibilité à la nourriture est grandement facilitée, tant en termes de temps que de coûts (Swinburn et al., 2011). Cette accessibilité incite à la consommation excessive de nourriture, tandis que l’environnement moderne incite peu à l’activité physique (p.ex., services au volant, ascenseur, etc.; Feng, Glass, Curriero, Stewart, & Schwartz, 2010). Ainsi, bien qu’adopter des comportements alimentaires sains et pratiquer régulièrement des activités physiques puissent s’avérer des facteurs de protection contre l’obésité, l’environnement nord-américain rend difficile actuellement de maintenir et d’adopter ces comportements.

D’un point de vue individuel, certains facteurs comportementaux influencent également la prise de poids menant subséquemment au développement de surpoids ou d’obésité. Les comportements alimentaires adoptés par les individus exercent sans aucun doute un impact d’une grande importance sur la prise de poids. Les deux principaux comportements alimentaires étant associés au poids sont la restriction et la désinhibition alimentaire (Dulloo, Jacquet, & Montani, 2012; French, Epstein, Jeffery, Blundell, & Wardle, 2012). La désinhibition alimentaire est définie comme une réactivité aux stimuli alimentaires, tels que la vue ou l’odeur de nourriture, et une alimentation en réponse à des états émotionnels positifs et négatifs (French et al., 2012). La désinhibition induit ainsi une suralimentation qui contribue à la prise de poids. Or, la désinhibition est souvent précédée d’une période de restriction alimentaire (Polivy, 2009; Polivy, Zeitlin, Herman, & Beal, 1994), et la sévérité de la suralimentation qui s’en suit est significativement associée à la sévérité de la restriction (Marcus, Wing, & Lamparski, 1985). Ainsi, ironiquement, la décision de perdre du poids en exerçant une restriction de l’apport calorique conduit souvent à la suralimentation, menant au long cours à des épisodes répétés de perte de poids et de regain du poids perdu. Ce phénomène, connu sous le nom de cycle de la perte poids ou « régimes yo-yo » (Goldbeter, 2006), est associé à une difficulté à perdre du poids au fil du temps, notamment en raison

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d’un ralentissement du métabolisme rendant le corps plus efficace à l’emmagasinage du gras (Strychar et al., 2009). Ainsi, la restriction alimentaire peut conduire à des comportements de suralimentation et à une prise de poids subséquente. En effet, tant la restriction que la désinhibition alimentaire sont associées à un gain de poids dans le temps (Dong, Jackson, Wang, & Chen, 2015; Drapeau et al., 2003; Hays & Roberts, 2008; Hays et al., 2002; Pliner & Saunders, 2008; van Strien, Herman, & Verheijden, 2014).

Ce n’est toutefois pas seulement le fait de restreindre les calories ingérées qui conduirait à la désinhibition alimentaire et au gain de poids, mais également le fait de se restreindre cognitivement. La restriction cognitive est définie comme « l’ensemble des comportements alimentaires, des croyances, des interprétations et des cognitions concernant la nourriture et la façon de se nourrir, découlant d’une intention de maitriser son poids par le contrôle mental du comportement alimentaire. » (Apfeldorfer & Zermati, 2009). L’alimentation est ainsi guidée par ces cognitions et croyances telles que « Je ne dois pas manger entre les repas » ou « Tous mes repas doivent être équilibrés » (Apfeldorfer & Zermati, 2009), plutôt que par les goûts, les envies et les signaux internes de faim chez les personnes restreintes cognitivement. Par conséquent, ces personnes ont souvent l’impression de manger moins que ce qu’elles voudraient ou encore de ne pas manger exactement le type de nourriture qu’elles souhaiteraient, malgré un bilan neutre ou positif de la balance énergétique (c’est-à-dire malgré qu’elles ne soient pas en privation calorique réelle). En effet, les personnes restreintes cognitivement mettent principalement des efforts à limiter le type de nourriture qu’elles se permettent de manger (p.ex., proscrivent les aliments palatables hautement calorifiques), plutôt que la quantité de nourriture consommée à proprement dit (Markowitz, Butryn, & Lowe, 2008).

Depuis les années 70, Peter Herman et Janet Polivy se sont d’ailleurs intéressés aux effets psychologiques de la restriction cognitive, principalement chez les femmes (Polivy, 1996). Ils ont élaboré la théorie de la restriction de même qu’une mesure largement utilisée pour l’évaluer, l’Échelle de restriction (Restraint Scale; Polivy, Herman, & Warsh, 1978; Herman & Polivy, 1980). Cette théorie propose que la restriction alimentaire/cognitive réduise la sensibilité aux signaux de faim et conduise à l’adoption de comportements influencés par des

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facteurs externes à l’individu. En ce sens, la restriction génère une réponse de contre-régulation face à différents désinhibiteurs, c’est-à-dire une suralimentation provoquée par un bris (réel ou imaginé) des règles alimentaires (Herman & Mack, 1975; Herman & Polivy, 2005; Johnson, Pratt, & Wardle, 2012). Plus spécifiquement, le phénomène de contre-régulation est illustré par le fait que les personnes restreintes mangent plus après avoir consommé une pré-charge de nourriture que lorsqu’elles n’en ont pas consommée, contrairement aux non-restreintes qui mangent moins après une pré-charge. Il semble que cet effet contrintuitif soit observé chez les personnes restreintes puisqu’elles percevraient avoir brisé leur règle préétablie en initiant la consommation de nourriture, ce qui provoque une désinhibition alimentaire. Des pensées telles que « J’ai gâché ma diète, aussi bien continuer de manger » seraient associées à cette désinhibition alimentaire (Polivy, 1976). Toutefois, les personnes restreintes se désinhibent non seulement après la consommation d’une pré-charge de nourriture, mais également en réponse à différents déclencheurs, notamment la simple vue ou l’odeur de nourriture (Jansen & van den Hout, 1991), la consommation d’alcool (Polivy & Herman, 1976), ou la présence de stress et d’émotions négatives (Polivy & Herman, 1999). Ces déclencheurs n’impliquant pas de bris réel de la diète, le modèle de la réactivité aux indices a été mis de l’avant pour expliquer l’effet de contre-régulation observé chez les personnes restreintes (Wardle, 1990). Il stipule que la surconsommation d’aliments est précédée de certains indices (p.ex., odeur, pensées, émotions), et qu’un effet de conditionnement à l’exposition de ces indices prédit l’arrivée d’un épisode de suralimentation (Jansen, 1998). Le conditionnement se caractérise par le pairage répété d’un indice (p.ex., émotion) avec l’ingestion de nourriture, qui résulte en ce que la simple exposition à cet indice initie la prise alimentaire, même en l’absence de faim (Nederkoorn & Jansen, 2002). Ainsi, le fait de vivre de la colère, par exemple, peut être associé au fait de manger. Une attention importante a été portée au cours des vingt dernières années à l’implication du stress et des émotions négatives dans la compréhension des comportements alimentaires problématiques. La prochaine section aborde ces liens ainsi que les diverses hypothèses proposées afin d’expliquer la suralimentation.

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1.2 Stress, émotions négatives et prise alimentaire 1.2.1 Stress et problématiques du poids

Le stress est communément défini comme une réponse générale et non-spécifique du corps à tout facteur qui bouleverse ou menace de submerger les capacités compensatoires de l'organisme nécessaires pour maintenir l'homéostasie (Torres & Nowson, 2007). Le stress et les émotions négatives sont considérés comme des construits inter-reliés, c’est-à-dire que le stress engendre des émotions négatives et que ces dernières causent du stress. En ce sens, dans la majorité des études en laboratoire, l’effet du stress induit expérimentalement est évalué par le changement d’humeur ou d’émotions observé (Greeno & Wing, 1994). L’association du stress et des émotions négatives au surpoids et à l’obésité a fait l’objet de plusieurs études récentes.

Une revue a mis en évidence les liens unissant le stress social chronique (p.ex., difficultés relationnelles, faible statut socioéconomique) à l’obésité et à différents syndromes métaboliques qui y sont associés, tels que le cholestérol et le diabète de type 2 (Scott, Melhorn, & Sakai, 2012). Plus précisément, il semble que le risque d’être obèse associé au stress est d’autant plus important pour les femmes (Chen & Qian, 2012). S’intéressant plus spécifiquement au gain de poids dans le temps associé au stress, des études longitudinales mettent en évidence qu’en réponse à de hauts niveaux de stress psychosociaux, les individus tendent à prendre du poids au fil du temps (Ayanian, Block, He, Zaslavsky, & Ding, 2009; Kouvonen et al., 2011). Par exemple, Kouvonen et collaborateurs (2011) montrent qu’une forte exposition aux interactions négatives dans les relations intimes contribue à accroitre le risque de 10 % et plus de prendre du poids, tel qu’illustré par l’augmentation de l'IMC et du tour de taille. Encore une fois, certains suggèrent que cet effet nocif du stress sur la prise de poids se retrouve uniquement chez les femmes (Udo, Grilo, & McKee, 2014). Il appert ainsi que les évènements de vie stressants et le stress vécu au quotidien, notamment en sein des relations, puissent accélérer la prise de poids des individus, et qu’une attention importante devrait être consacrée aux différences de sexe sur l’association entre le stress et le poids. Les résultats de ces études ne permettent toutefois pas d’isoler quels comportements alimentaires contribuent à la relation entre le stress et le gain de poids. À cet effet, plusieurs enquêtes

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populationnelles et études en laboratoire ont été menées pour éclaircir le lien entre le stress et l’alimentation.

1.2.2 Impact du stress et des émotions négatives sur la prise alimentaire

Bien que le lien entre le stress et l’obésité ait été jusqu’à maintenant démontré de façon consistante (Scott et al., 2012), la relation qui unit le stress et l’alimentation apparait plus complexe. Selon des enquêtes populationnelles, les gens percevraient vivre différents changements d’appétit face au stress, certains rapportant une augmentation (69 %) et d’autres une diminution (31 %) de l’appétit (Kandiah, Yake, & Willett, 2008; Stillar, 2015). Plusieurs individus rapporteraient plus de grignotage, tel que reflété par la sélection de nourriture de type collation plutôt que de type repas, et une préférence pour les aliments sucrés ou salés lorsqu’ils font face au stress (Kandiah et al., 2008; Oliver & Wardle, 1999; Stillar, 2015). Ces résultats illustrent bien que le stress semble non seulement influencer la prise alimentaire en termes de quantité, mais également en termes de qualité. En ce sens, une enquête menée auprès de 457 femmes américaines montre que le stress du quotidien ainsi que le stress chronique sont associés à de fortes envies de manger et à une plus grande consommation de nourriture palatable et peu nourrissante (Groesz et al., 2012). Le stress est également associé à un sentiment de manque de contrôle sur l’alimentation, à une susceptibilité à la faim et à des épisodes de suralimentation (Groesz et al., 2012). Des résultats similaires illustrant l’effet délétère du stress sur la prise alimentaire (qualité et quantité) ont été obtenus auprès de différentes populations, telles que des adultes hispaniques (Isasi et al., 2015), portoricains (Laugero, Falcon, & Tucker, 2011), afro-américains (Sims et al., 2008) et australiens (Leske, Strodl, Harper, Clemens, & Hou, 2015; Mouchacca, Abbott, & Ball, 2013). Une étude menée auprès d’adolescents britanniques révèle également que les jeunes qui perçoivent vivre un niveau de stress élevé au quotidien rapportent consommer plus d’aliments riches en gras, moins de fruits et légumes, plus de grignotage et être moins enclins à déjeuner quotidiennement (Cartwright et al., 2003).

La somme des résultats de ces enquêtes s’avère préoccupante en termes de santé publique et souligne l’importance de mieux comprendre les processus par lesquels le stress et l’alimentation sont liés. Tel que rapporté plus haut, bien que la majorité des individus

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rapporte vivre un changement d’appétit lorsqu’ils subissent un stress ou des émotions négatives (Kandiah et al., 2008), le sens de ce changement n’est pas le même pour tous. La relation qui unit le stress et l’alimentation semble être complexe et peut être influencée par divers facteurs, notamment d’ordre biologiques et psychosociaux (Adam & Epel, 2007; Torres & Nowson, 2007).

Afin d’expliquer par quels processus les émotions affectent l’alimentation, Macht (2008) a élaboré un modèle en cinq facteurs. Ce modèle met l’emphase sur l’importance de tenir compte tant des caractéristiques des émotions vécues que de celles qui sont propres à l’individu dans la compréhension de l’alimentation induite par le stress et les émotions négatives. L’auteur propose d’abord que l’intensité de l’émotion (faible, modérée et intense) module la réponse alimentaire. D’une part, les émotions intenses suppriment la prise alimentaire, principalement pour des raisons physiologiques (Macht, 2008). En effet, vivre un stress intense est associé d’abord à la suppression de la prise alimentaire via la libération de corticotropine (hormone sécrétée en réponse au stress), dans le but d’allouer les ressources à une réponse appropriée au stress (Sominsky & Spencer, 2014). D’autre part, la réponse alimentaire face aux émotions d’une intensité faible à modérée dépend des caractéristiques individuelles (Macht, 2008). De nombreuses études se sont d’ailleurs intéressées à l’impact de différentes caractéristiques individuelles sur l’alimentation induite par le stress. Certaines seront présentées dans la prochaine section.

1.2.3 Influence des caractéristiques individuelles sur l’alimentation induite par le stress

1.2.3.1 Le surpoids et l’obésité. Le fait de souffrir d’obésité a été une des premières caractéristiques étudiées comme potentiel corrélat de la consommation de nourriture face au stress (Greeno & Wing, 1994). Différentes théories ont été élaborées en ce sens, telles que la théorie de l’externalité (Schachter, Goldman, & Gordon, 1968) et la théorie psychosomatique (Kaplan & Kaplan, 1957). Cette dernière propose que les individus en surpoids aient de la difficulté à distinguer l’éveil somatique associé à une émotion de l’éveil généré par les signaux de faim, ce qui les amènerait à manger en réponse à tout état d’éveil (p.ex., face au stress). Certaines études en laboratoire n’ont cependant pas permis de corroborer cette

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théorie, suggérant notamment que les personnes obèses mangeraient moins en réponse au stress (Reznick & Balch, 1977; Ruderman, 1983). Au cours des décennies suivantes, l’attention des chercheurs s’est tournée vers l’étude du profil restrictif des individus (peu importe le poids), qui semblait s’avérer plus efficace que le poids pour prédire la prise alimentaire en réponse au stress et aux émotions négatives (Baucom & Aiken, 1981). Ce pan de littérature sera décrit dans la prochaine section.

Plus récemment, l’intérêt de mieux comprendre la réaction alimentaire des personnes en surpoids face au stress et aux émotions négatives s’est ranimé. Les résultats des récentes études suggèrent que les personnes en surpoids mangent davantage en réponse au stress que les personnes de poids normal, ce qui corrobore la théorie psychosomatique. Entre autres, Lemmens et collaborateurs (2011) ont étudié l’impact d’une situation stressante en laboratoire sur la prise alimentaire d’individus (hommes et femmes) souffrant ou non d’obésité abdominale en l’absence ou non de faim. Les résultats montrent que les personnes obèses ont significativement plus mangé, en l’absence de faim, dans la condition stressante comparativement à la situation de repos, tandis que le stress n’a pas d’impact sur la prise alimentaire des individus de poids normal (Lemmens, Rutters, Born, & Westerterp-Plantenga, 2011). Ces résultats appuient l’idée que les personnes obèses sont plus vulnérables à s’alimenter en réponse au stress, et ce, même en l’absence de faim.

Au cours des dernières années, plusieurs chercheurs ont porté leur attention plus spécifiquement sur l’impact des émotions négatives sur l’alimentation des personnes en surpoids ou obèses. De façon consistante, il a été démontré que les femmes obèses qui vivent un plus haut niveau d’affects négatifs au quotidien rapportent plus de comportements de suralimentation problématiques que celles qui en vivent moins (Henderson & Huon, 2002), et qu’une augmentation des affects négatifs est observée avant un épisode de suralimentation (Berg et al., 2014, 2015). Quelques études expérimentales testant l’impact d’une manipulation de l’humeur (la plupart à l’aide de films tristes en comparaison à des films neutres) sur la prise alimentaire ont également été menées auprès d’échantillons de femmes obèses souffrant d’hyperphagie boulimique. Un consensus émerge de ces études en laboratoire, soit que l’induction d’émotions négatives est associée à une suralimentation

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subséquente objective (Chua, Touyz, & Hill, 2004), ou dans d’autres études à une perception subjective de perte de contrôle et d’avoir trop mangé rapportée par les femmes hyperphagiques (Agras & Telch, 1998; Dingemans, Visser, Paul, & van Furth, 2015; Telch & Agras, 1996).

Sur la base d’études ayant identifié des sous-types de profils élevés et faibles en termes d’affects négatifs (établis par différents questionnaires) chez les femmes obèses, Jansen et ses collaborateurs (2008) ont subdivisé des femmes en surpoids et de poids normal selon leur niveau d’affects négatifs. Leurs résultats suggèrent que les femmes en surpoids/obèses qui affichent de hauts niveaux d’affects négatifs au quotidien mangent significativement plus lorsqu’elles font face à une situation désinhibante (notamment l’induction d’émotions négatives en laboratoire) que dans une condition contrôle. Au contraire, les femmes en surpoids ayant de faibles niveaux d’affects négatifs ont mangé de façon similaire à celle des femmes de poids normal dans les différentes conditions. Les auteurs concluent que le degré d’affects négatifs de base est un facteur important dans la compréhension de l’alimentation induite par les émotions négatives chez les femmes en surpoids/obèses (Jansen et al., 2008). Pour mieux comprendre la vulnérabilité que semblent présenter les personnes en surpoids/obèses à se suralimenter en réponse au stress et aux émotions négatives, de récentes études se sont intéressées à la réactivité de ces individus au cortisol, communément appelé l’hormone du stress (Geliebter, Carnell, & Gluck, 2013; Lorig, Kießl, & Laessle, 2015; Vicennati et al., 2011). Les personnes en surpoids ou obèses ont été identifiées comme plus réactives à la sécrétion de cortisol face au stress que les personnes de poids normal (Lorig et al., 2015). Cette sécrétion élevée de cortisol a été associée à une plus grande prise alimentaire au quotidien chez les femmes obèses, particulièrement d’aliments riches en glucides et en gras (Vicennati et al., 2011).

En somme, les personnes qui souffrent de surpoids ou d’obésité semblent présenter une vulnérabilité à la suralimentation en réponse au stress (Lemmens et al., 2011; Vicennati et al., 2011). L’étude de profils au sein d’échantillons de personnes en surpoids apparait être

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une voie prometteuse pour assurer une meilleure compréhension de l’implication de l’IMC dans le phénomène de l’alimentation induite par le stress et les émotions négatives (Jansen et al., 2008).

1.2.3.2 La restriction alimentaire. Mis à part l’IMC, plusieurs études se sont intéressées à la restriction alimentaire dans le contexte du stress et des émotions négatives, vu le lien qui l’unit à la désinhibition alimentaire (Greeno & Wing, 1994). Les résultats de ces études sont majoritairement consistants et la plupart s’accorde sur le fait que les femmes restreintes au plan alimentaire mangent davantage lorsqu’elles font face à un stress ou des émotions négatives que face à des situations contrôles, et qu’elles mangent également plus que les femmes non-restreintes face au stress (Cools, Schotte, & McNally, 1992; Frost, Goolkasian, Ely, & Blanchard, 1982; Habhab, Sheldon, & Loeb, 2009; Heatherton, Herman, & Polivy, 1991; Polivy, Herman, & Mcfarlane, 1994; Schotte, Cools, & McNally, 1990; Tanofsky-Kraff, Wilfley, & Spurrell, 2000; Wallis & Hetherington, 2004; Wardle, Steptoe, Oliver, & Lipsey, 2000; Zellner et al., 2006).

Ayant pour objectif d’expliquer quels processus cognitifs mènent les personnes restreintes au plan alimentaire à se suralimenter face à différents désinhibiteurs comme le stress et les émotions négatives, Boon et son équipe ont articulé et testé l’hypothèse de la capacité limitée (Boon, Stroebe, Schut, & Jansen, 1997, 1998; Boon, Stroebe, Schut, & Ijntema, 2002). Celle-ci se base sur le principe que chaque individu possède une quantité limitée de ressources pour exercer un contrôle cognitif, tel que proposé par la théorie des ressources limitées (Muraven, Tice, & Baumeister, 1998). Comme il est nécessaire d’exercer un certain contrôle de soi pour réguler ou inhiber les émotions négatives, il est particulièrement difficile pour les personnes restreintes de maintenir le contrôle de leur alimentation lorsqu’elles font face à un stress. En ce sens, le contrôle nécessaire à la régulation des émotions générées par un stresseur résulte en une moins grande quantité de ressources disponibles pour effectuer une tâche requérant un contrôle cognitif accru, telle la restriction (Boon et al., 2002). En effet, quelqu’un qui tente de réguler sa prise alimentaire doit constamment monitorer ses comportements alimentaires, évaluer la quantité de calories

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ingérée ou la taille des portions et éviter d’être trop indulgent envers lui-même (Ward & Mann, 2000).

Cette hypothèse est appuyée par les résultats de plusieurs études qui montrent que l’induction d’une charge cognitive (p.ex., mémoriser des images en effectuant simultanément un test de temps de réaction) chez les personnes restreintes les amène à manger plus que lorsqu’aucune charge n’est présente (et qu’ainsi plus de ressources sont disponibles pour appliquer la restriction alimentaire) (Bellisle & Dalix, 2001; Hofmann, Rauch, & Gawronski, 2007; Lattimore & Caswell, 2004; Wallis & Hetherington, 2004; Ward & Mann, 2000). Lattimore et Maxwell (2004) suggèrent que cet effet désinhibant d’une charge cognitive sur l’alimentation des personnes restreintes soit d’autant plus grand lorsque la charge implique une menace à la valeur personnelle (ego-threatening). En effet, ils ont montré que les personnes restreintes mangent significativement plus lorsqu’elles sont face à une charge cognitive induite par un test de Stroop modifié contenant des adjectifs dénigrants (p.ex., laid, stupide), comparativement à une charge cognitive plus neutre impliquant des couleurs (test de Stroop couleur-nom classique).

D’autres études proposent que les personnes restreintes au plan alimentaire puissent présenter une vulnérabilité au stress (Silva, 2011). Au plan biologique, les femmes restreintes affichent de plus hauts taux de cortisol dans le sang que les femmes non-restreintes, et ce, tant chez les pré-ménopausées que les post-ménopausées (Anderson, Shapiro, Lundgren, Spataro, & Frye, 2002; McLean, Barr, & Prior, 2001; Rutters, Nieuwenhuizen, Lemmens, Born, & Westerterp-Plantenga, 2009). Les personnes restreintes auraient aussi un profil hormonal orexigénique, c’est-à-dire qu’elles sécrèteraient plus de ghréline (hormone qui stimule l’appétit) que les non-restreintes, indépendamment de leur poids (Schur, Cummings, Callahan, & Foster-Schubert, 2008). Hilterscheid et Laessle (2015) montrent même que face à une situation stressante, les femmes restreintes sécrètent plus de ghréline que les non-restreintes, ce qui pourrait contribuer à l’explication de l’effet désinhibant du stress sur la prise alimentaire de ces femmes. Ces résultats ne permettent toutefois pas de déterminer si la libération de ghréline induite par le stress est une cause ou une conséquence de la restriction (Hilterscheid & Laessle, 2015). De futures études sont ainsi nécessaires pour mieux

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comprendre l’implication des hormones du stress et de l’appétit dans l’alimentation induite par le stress chez les personnes restreintes.

Tout compte fait, un lien clair a été établi jusqu’à maintenant entre le fait de présenter un profil alimentaire restrictif et la prise alimentaire face au stress et aux émotions négatives. Le fait de présenter un surpoids ou de l’obésité y a également été associé. Compte tenu de l’interrelation avérée entre la restriction et l’IMC (Dulloo et al., 2012), il est étonnant de constater que peu d’études ont pris simultanément en considération l’IMC et la restriction alimentaire dans l’examen de la réponse alimentaire au stress et aux émotions négatives. De futures études sont nécessaires pour examiner cette possibilité.

1.2.3.3 Le sexe. D’autres études se sont intéressées à l’influence du sexe sur l’alimentation en période de stress. Certaines d’entre elles affirment que le sexe puisse influencer les comportements alimentaires associés au stress, les femmes ayant davantage tendance à se suralimenter en réponse au stress et les hommes à moins manger ou à ne vivre aucun changement d’appétit (Grunberg & Straub, 1992; Kandiah et al., 2008; Stone & Brownell, 1994). Toutefois, d’autres études ne notent aucun impact du sexe sur l’alimentation induite par le stress (Oliver & Wardle, 1999; Weinstein, Shide, & Rolls, 1997). Notamment, deux récentes études menées auprès de vastes échantillons d’adultes américains n’ont rapporté aucun effet modérateur du sexe dans la relation entre le stress perçu et la prise alimentaire au quotidien (Barrington, Beresford, McGregor, & White, 2014; Barrington, Ceballos, Bishop, McGregor, & Beresford, 2012), suggérant que les femmes ne soient pas plus vulnérables à s’alimenter en réponse au stress que les hommes. Les inconsistances entre les résultats des différentes études soulèvent la nécessité de poursuivre les efforts pour comparer la réponse alimentaire face au stress chez les deux sexes.

1.3 Stratégies de régulation émotionnelle et alimentation

Tel qu’illustré jusqu’à présent, les liens qui unissent le stress, les émotions négatives et l’alimentation sont de mieux en mieux définis. Plusieurs se sont également intéressés à la façon dont les gens font face au stress et aux émotions négatives en étudiant les stratégies

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d’adaptation et de régulation émotionnelle adoptées. Vers la fin des années 90 et le début des années 2000, une attention marquée a été accordée aux liens entre différents types de stratégies d’adaptation au stress (coping) et les comportements alimentaires de personnes souffrant de troubles alimentaires ou issues de la population générale (pour une revue, voir Ball & Lee, 2000). Il ressort clairement de ces études que les stratégies les plus associées aux comportements alimentaires problématiques sont celles orientées vers les émotions et l’évitement, et ce, tant chez la population souffrant de troubles alimentaires (Freeman & Gil, 2004; Spoor, Bekker, Van Strien, & van Heck, 2007) ou présentant un surpoids (Henderson & Huon, 2002) qu’auprès de populations étudiantes (Denisoff & Endler, 2000; Koff & Sangani, 1997; Macneil, Esposito-Smythers, Mehlenbeck, & Weismoore, 2012; Martyn-Nemeth, Penckofer, Gulanick, Velsor-Friedrich, & Bryant, 2009; Mayhew & Edelmann, 1989). Certains ont même mis en évidence le rôle médiateur des stratégies d’adaptation dysfonctionnelles (orientées vers les émotions et l’évitement) dans la relation entre le stress/émotions négatives et les comportements alimentaires problématiques auprès de jeunes femmes étudiantes (Beukes, Walker, & Esterhuyse, 2009; Sulkowski, Dempsey, & Dempsey, 2011).

1.3.1 Impact de la suppression émotionnelle sur la prise alimentaire

La suppression émotionnelle consiste à « inhiber l’expression des émotions de sorte à ne pas communiquer à autrui d’information à propos de ses états émotionnels. Il s’agit de modifier la réponse émotionnelle elle-même après qu’elle ait été engendrée » (Gross, 1998; traduction par Christophe, Antoine, Leroy, & Delelis, 2009). La suppression des émotions peut être considérée comme une forme de stratégie d’adaptation face au stress consistant en l’évitement des affects négatifs vécus. L’application de cette stratégie étant coûteuse en termes de ressources cognitives (Gross, 2002), plusieurs auteurs ont proposé que ce coût entraine une diminution de la capacité à réguler les comportements alimentaires subséquents. Cette hypothèse s’appuie sur la théorie des ressources limitées de Muraven, Tice et Baumeister (1998) qui stipule que le contrôle de soi est une ressource limitée. Comme il est nécessaire d’exercer un certain contrôle pour réguler ou pour inhiber les émotions négatives et que chaque individu possède une quantité limitée de ressources pour exercer ce contrôle, lorsqu’un individu exerce une régulation active de ses émotions (p.ex., supprimer les

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émotions négatives vécues), il a moins de ressources par la suite pour effectuer une nouvelle tâche requérant un contrôle de soi, comme la régulation de la consommation d’aliments ou d’alcool (Muraven & Baumeister, 2000; Muraven et al., 1998). En ce sens, plusieurs études se sont intéressées à l’effet de la suppression des émotions sur la prise alimentaire, en comparaison à d’autres types de régulation émotionnelle et en fonction de différentes caractéristiques individuelles. Parmi les stratégies de régulation étudiées en comparaison à la suppression figure au premier rang la réévaluation cognitive, qui consiste en un « processus cognitif par lequel l’évaluation d’une situation permet d’en atténuer ou d’en accroitre le caractère émotionnel » (Gross & John, 2003; traduit par Christophe et al., 2009). Par exemple, lors du visionnement d’un film bouleversant, la réévaluation cognitive consiste à garder à l’esprit que la scène n’est pas réelle et qu’elle est simplement jouée par des acteurs (Evers, Marijn Stok, & de Ridder, 2010).

D’abord, des études expérimentales menées auprès d’échantillons de jeunes femmes universitaires ont démontré un lien consistant entre la suppression émotionnelle et la prise alimentaire. Les femmes qui ont l’habitude de supprimer leurs émotions (mesure auto-rapportée) mangent davantage lorsqu’elles vivent des émotions négatives induites en laboratoire que celles qui utilisent peu cette stratégie (Evers et al., 2010). D’autres études expérimentales ont plutôt choisi d’enseigner différentes stratégies de régulation émotionnelle, dont la suppression émotionnelle et la réévaluation cognitive, avant le visionnement de films violents ou bouleversants afin de comparer leur effet sur la prise alimentaire subséquente des participantes. Auprès d’échantillons non-cliniques, il a été démontré que les femmes assignées à une condition de suppression émotionnelle mangent significativement plus que celles assignées à d’autres conditions impliquant des stratégies de gestion émotionnelle plus saines, comme la réévaluation cognitive, ou aucune stratégie, et ce, sans égard aux émotions vécues (Evers et al., 2010; Keenan, 2013). Il semble ainsi que la prise alimentaire puisse être davantage liée à la régulation émotionnelle plutôt qu’aux émotions négatives vécues à proprement dit (Evers et al., 2010; Keenan, 2013). Ces conclusions sont cohérentes avec la théorie des ressources limitées, comme quoi ce serait les coûts en termes de contrôle de soi qui seraient associés à la désinhibition alimentaire (Muraven & Baumeister, 2000; Muraven et al., 1998).

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À l’instar des études portant sur l’alimentation induite par le stress, certaines ont étudié l’impact de différentes caractéristiques individuelles sur cette relation. Jusqu’à maintenant, seulement deux études aux résultats divergents ont été menées en laboratoire auprès de populations cliniques obèses (Dingemans, Martijn, Jansen, & van Furth, 2009; Svaldi, Tuschen-Caffier, Trentowska, Caffier, & Naumann, 2014). La première, menée auprès de femmes souffrant d’hyperphagie boulimique vivant ou non des symptômes dépressifs, suggère que la suppression émotionnelle (comparativement à une condition contrôle qui implique de réagir naturellement aux émotions) n’a aucun impact sur leur prise alimentaire. Ce serait plutôt le fait de vivre des symptômes dépressifs qui a un impact sur l’alimentation en réponse aux émotions négatives, c’est-à-dire que les femmes hyperphagiques qui présentent des symptômes dépressifs sévères ont mangé significativement plus que celles présentant une absence ou un niveau léger de symptômes dépressifs. Cette étude n’apporte ainsi aucun appui à l’hypothèse que la suppression émotionnelle mène à la suralimentation, du moins chez les femmes hyperphagiques (Dingemans et al., 2009). Il est toutefois possible de croire que le fait que les auteurs aient choisi de comparer la suppression émotionnelle à une condition où les femmes réagissaient comme elles le voulaient puisse influencer les résultats. En effet, les femmes en surpoids et/ou affichant des comportements hyperphagiques sont enclines à reposer sur des stratégies d’évitement et de suppression émotionnelle (Iliceto et al., 2012; Svaldi, Griepenstroh, Tuschen-Caffier, & Ehring, 2012; Whiteside et al., 2007). Ainsi, les femmes du groupe qui a réagi naturellement ont pu faire usage de suppression à l’instar de celles dans le groupe formé à cet effet, ce qui a pu brouiller les différences attribuables à l’effet de la suppression sur la prise alimentaire.

La deuxième étude, à l’aide d’un devis semblable à celui de Dingemans et collaborateurs (2009), a également testé l’impact de la suppression émotionnelle sur la prise alimentaire, mais cette fois auprès de femmes en surpoids/obèses souffrant ou non d’hyperphagie boulimique (Svaldi et al., 2014). Afin de pallier aux lacunes associées à la formation d’un groupe qui réagit naturellement aux émotions utilisé par Dingemans, les auteurs ont plutôt donné l’instruction aux participantes soit de supprimer leurs émotions ou de les réévaluer cognitivement. Les résultats montrent que toutes les femmes (hyperphagiques ou non) dans la condition suppression ont mangé davantage que celles dans la condition réévaluation

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cognitive, même après avoir contrôlé pour l’effet de la dépression. Contrairement à celle de Dingemans et collaborateurs (2009), cette étude permet d’identifier l’effet désinhibant de la suppression émotionnelle sur la prise alimentaire des femmes hyperphagiques (Svaldi et al., 2014). De plus, il importe de souligner le fait que les mêmes résultats ont été obtenus auprès des femmes en surpoids sans égard au fait qu’elles souffrent d’hyperphagie ou non, ce qui permet de croire que le poids est une variable importante à prendre en considération dans l’association entre suppression et alimentation.

Comme la restriction alimentaire a été associée de façon consistante à l’alimentation induite par le stress et les émotions négatives (p.ex., Heatherton et al., 1991; Schotte et al., 1990; Tanofsky-Kraff et al., 2000), certains auteurs se sont intéressés à l’effet de cette variable sur l’association entre la suppression émotionnelle et la prise alimentaire. Vohs et Heatherton (2000) ont été les premiers à le faire. Auprès d’un échantillon de femmes restreintes, ils ont montré que celles ayant reçu l’instruction de supprimer leurs émotions ont mangé significativement plus que les autres suite au visionnement d’un film bouleversant. Similairement, auprès d’un échantillon de femmes restreintes ou non au plan alimentaire, une étude subséquente, également menée en laboratoire, montre que les femmes restreintes qui reçoivent l’instruction de supprimer leurs émotions rapportent une augmentation de l’envie de manger comparativement à celles qui reçoivent l’instruction de réévaluer leurs émotions (Svaldi, Tuschen-Caffier, Lackner, Zimmermann, & Naumann, 2012). Des résultats semblables ont été observés en étudiant l’usage de stratégies d’évitement : les femmes restreintes qui utilisent des stratégies d’évitement sont plus à risque de se suralimenter face aux affects négatifs induits en laboratoire (Lee, Greening, & Stoppelbein, 2007). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que les femmes qui inhibent leurs envies de façon chronique (restriction alimentaire) ont plus de difficulté à réguler leurs comportements alimentaires lorsqu’elles vivent une situation nécessitant un effort d’autorégulation (p.ex., vivre des émotions négatives et en supprimer l’expression) (Vohs & Heatherton, 2000).

L’effet désinhibant de la suppression émotionnelle sur l’alimentation des personnes restreintes peut sans aucun doute être interprété à la lumière de la théorie des ressources limitées (Muraven et al., 1998) et de l’hypothèse des capacités limitées (Boon et al., 2002).

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Ces deux modèles se chevauchent de façon importante sur le principe de base qui les soutient, soit que le contrôle de soi est une ressource limitée et qu’une demande d’autocontrôle nuise ainsi à une demande subséquente. L’hypothèse de Boon s’applique toutefois plus spécifiquement aux comportements de désinhibition alimentaire adoptés par les personnes restreintes lorsqu’elles font face à une tâche nécessitant un contrôle de soi accru, comme la régulation émotionnelle. En effet, lorsqu’elles utilisent une stratégie coûteuse en termes de contrôle cognitif comme la suppression émotionnelle, il est possible de croire que les personnes restreintes voient leur capacité d’autocontrôle des comportements alimentaires diminuée, entrainant une levée des inhibitions reflétée par une plus grande prise alimentaire (Vohs & Heatherton, 2000). Les études qui se sont intéressées à la suppression des pensées associées à la nourriture (plutôt qu’à la suppression des émotions) obtiennent d’ailleurs des résultats qui corroborent cette hypothèse. La suppression des pensées a été désignée comme un facteur de risque à la suralimentation chez les personnes restreintes au plan alimentaire (Erskine & Georgiou, 2010; Soetens & Braet, 2006).

1.4 Types de situations influençant la réaction alimentaire face au stress Tel qu’illustré précédemment, la littérature renferme plusieurs études portant sur les différentes caractéristiques individuelles pouvant expliquer les comportements alimentaires adoptés face au stress. Toutefois, le type de stresseur peut également jouer un rôle dans la réaction alimentaire qui y est associée (Heatherton et al., 1991; Heatherton, Striepe, & Wittenberg, 1998; Lattimore, 2001; Tanofsky-Kraff et al., 2000). Un constat clair émerge des études qui ont comparé l’impact de différents types de stresseurs sur la prise alimentaire en laboratoire, soit que les situations qui menacent la valeur personnelle des individus (ego-threatening stress; p.ex., échec à une tâche impossible, anticipation de prendre la parole) ont un potentiel désinhibiteur plus grand sur la prise alimentaire des femmes restreintes que les stresseurs d’ordre physiologique (p.ex., anticipation d’un choc électrique) (Heatherton et al., 1991; Heatherton, Herman, & Polivy, 1992; Heatherton et al., 1998). En accord avec la théorie de la fuite, il appert que ce type de stress qui implique une menace à l’image de soi soit particulièrement douloureux, ce qui encourage l’individu à fuir cet état aversif. Pour ce faire, les personnes restreintes (et/ou les personnes souffrant de compulsions alimentaires) détournent leur attention vers un stimulus plus neutre et moins douloureux. L’attention est

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redirigée loin des pensées désagréables, vers les stimuli alimentaires de l’environnement, afin que la personne soit à présent concentrée sur le goût et la sensation apportés par la nourriture plutôt que sur la détresse ressentie. Par le fait même, la restriction et les inhibitions alimentaires habituellement opérées par la pensée volontaire seraient levées, résultant en une désinhibition alimentaire (Heatherton & Baumeister, 1991; Heatherton et al., 1992).

Parmi les menaces auxquelles fait face l’ego figure sans aucun doute le stress issu des relations interpersonnelles. En ce sens, Tanofsky-Kraff et ses collaborateurs (2000) ont entrepris de comparer la réaction alimentaire subséquente à divers types de stress, dont un stress interpersonnel, chez 82 femmes restreintes ou non au plan alimentaire. Parmi les types de stress à l’étude se retrouvent deux stresseurs menaçant la valeur personnelle (échec à une tâche et anticipation d’être évaluée) ainsi qu’un stresseur interpersonnel (induction d’un sentiment d’inadéquation sociale lors d’une discussion de groupe). Une condition contrôle conçue afin de n’induire aucun stress aux participantes était également présente. Les résultats démontrent que, lors d’un test de goût subséquent, les participantes présentant les plus hauts niveaux de restriction alimentaire ont mangé davantage face à un stress interpersonnel comparativement aux autres conditions (Tanofsky-Kraff et al., 2000). Ce type de stress, impliquant sans aucun doute une menace à la valeur personnelle, apparait être le plus susceptible de lever les inhibitions alimentaires des femmes retreintes. Compte tenu du fait que les stresseurs interpersonnels sont les plus fréquents au quotidien tant pour les hommes que pour les femmes (représentent 50 % des stresseurs auto-rapportés; Almeida, 2005), leur impact sur l’alimentation induite par le stress et les émotions négatives gagnerait à être mieux documenté.

D’ailleurs, plusieurs études suggèrent que les personnes aux prises avec des problématiques de poids ou d’alimentation présentent de plus hauts degrés de problèmes interpersonnels (Broberg, Hjalmers, & Nevonen, 2001; Lo Coco, Gullo, Salerno, & Iacoponelli, 2011), une moins grande efficacité dans la résolution de ceux-ci (Svaldi, Dorn, & Trentowska, 2011) et plus de déficits au plan des habiletés sociales (Duchesne et al., 2012). Les personnes souffrant d’obésité sévère rapportent significativement plus de tensions et moins de soutien dans leurs relations familiales (Carr & Friedman, 2006).

Figure

Figure 1. Interaction plot showing associations between subjective mood change and food  intake for women at different values of restraint as measured by the Restraint Scale score and  body mass index (BMI)
Figure 3. Interaction plot showing the conditional indirect effect of mood change on food  intake at different values of BMI

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