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« Faire le poids » : minceur, féminité et respectabilité dans les pratiques de contrôle du poids chez les boxeuses de niveau amateur au Québec

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Academic year: 2021

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« Faire le poids » : Minceur, féminité et respectabilité

dans les pratiques de contrôle du poids chez les

boxeuses de niveau amateur au Québec

Mémoire

Camille Moreau

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

« Faire le poids »

Minceur, féminité et respectabilité dans les pratiques de contrôle

du poids chez les boxeuses de niveau amateur au Québec

Mémoire

Camille Moreau

Sous la direction de :

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Résumé

Ce mémoire porte sur les microrelations de pouvoir, basées notamment sur le genre, qui traversent les pratiques de contrôle du poids des boxeuses. La gestion du poids corporel est fréquente chez les athlètes, mais elle est plus souvent associée aux disciplines sportives traditionnellement « féminines ». La boxe, un sport dit « masculin », constitue cependant un milieu intéressant pour se pencher sur ce phénomène en raison de son fonctionnement par catégories de poids. L’objectif principal de cette recherche est de mieux comprendre la manière dont les boxeuses négocient avec les normes corporelles parfois contradictoires de l’environnement pugilistique et celles de genre à travers leurs pratiques de contrôle du poids. Plus spécifiquement, il s’agit de mettre en lumière les mécanismes de pouvoir (et de résistance) qui sous-tendent ces pratiques et qui participent à la production de corps et de sujets « féminins ». Les données analysées dans ce mémoire ont été récoltées à l’aide d’une méthode ethnographique combinant l’observation (participante et non participante) et des entretiens semi-dirigés auprès de boxeuses de niveau amateur (11) au Québec.

Les résultats de l’analyse montrent que les pratiques et les stratégies de perte de poids sont valorisées et normalisées parmi les boxeuses. En adoptant un mode de vie axé sur de « bonnes » habitudes de vie, sur un souci corporel constant et sur le contrôle de soi et de ses désirs, les boxeuses aspirent non seulement à atteindre leurs objectifs sportifs, mais aussi à se construire comme des femmes « respectables », parce que « minces » et « disciplinées ». Au terme du mémoire, il est possible d’affirmer que le mode de vie discipliné des boxeuses a des implications profondes sur le plan identitaire : les pratiques de contrôle du poids rendent possible l’« identité de boxeuse ».

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Abstract

This thesis focuses on the microrelations of power, based in particular on gender, that underlie the weight control practices of female boxers. Bodyweight management is common among athletes, but it is more often associated with traditionally "female" sports. However, boxing, a so-called "male" sport, constitutes an interesting environment for studying this phenomenon because of its diverse weight categories. The main objective of this research is to better understand how female boxers deal with the sometimes contradictory body norms of the pugilistic environment as well as gender norms through their weight control practices. More specifically, the research aims to shed light on the mechanisms of power (and resistance) which underlie these practices and participate in the production of "female" bodies and subjects. The data analyzed in this thesis were collected using an ethnographic method combining observation (participant and non-participant) and semi-structured interviews with amateur female boxers (11) in Quebec.

The results of the analysis show that weight loss practices and strategies are valued and standardized among female boxers. By adopting a lifestyle based on "good" habits, care of the body, and self-control, female boxers aspire not only to achieve their sporting goals, but also to build themselves as respectable women, because they are "thin" and "disciplined". At the end of the thesis, it is possible to assert that the disciplined lifestyle of female boxers has profound implications on the identity level: weight control practices allow for the "boxer identity".

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Chapitre 1. Mise en contexte, revue de la littérature et problématique ... 4

1.1 La boxe comme objet sociologique ... 4

1.1.1 L’intégration des femmes dans le milieu de la boxe : lorsque les femmes mettent les gants ... 5

1.1.2 Un sport à catégories de poids ... 9

1.2 L’imbrication des discours sur le poids, la santé et la féminité : la minceur comme super-norme... 13

1.3 Le rapport au corps des athlètes féminines : des normes corporelles en tension ... 16

1.4 Questions et objectifs de recherche ... 17

Chapitre 2. Orientations théoriques et méthodologiques ... 21

2.1 L’approche compréhensive et la reconnaissance de la capacité réflexive des individus ... 23

2.2 Penser les pratiques sportives des femmes : une approche féministe inspirée des Cultural Studies ... 25

2.3 Penser le pouvoir à partir des capacités comme des incapacités ... 27

2.3.1 La microphysique du pouvoir chez Foucault ... 28

2.3.2 Hégémonie et sous-culture ... 31

2.4 Le genre et la fabrique des corps sexués ... 32

2.5 Cadre méthodologique : l’ethnographie ... 36

2.5.1 Recrutement et portrait sommaire des participantes ... 37

2.5.2 Réception de la recherche sur le terrain : les enjeux rencontrés ... 40

2.5.3 L’observation participante et non participante ... 41

2.5.4 Les entretiens semi-dirigés ... 43

2.5.5 Analyse et rédaction ... 46

2.5.6 Limites et potentiel émancipatoire de la participation à la recherche ... 48

Chapitre 3. Les enjeux stratégiques et sportifs du contrôle du poids corporel ... 50

3.1 Les représentations du corps performant et idéal sur le ring ... 51

3.1.1 Les caractéristiques physiques de l’adversaire et le choix de la catégorie de poids ... 51

3.1.2 « Être mince, c’est être en forme » ... 61

(6)

3.3 Une répartition inégale des boxeuses à travers les catégories de poids ... 74

3.4 Synthèse du chapitre. La perte de poids : une pratique normalisée chez les boxeuses ... 77

Chapitre 4. Musculature, minceur et féminité... 79

4.1 « Les muscles, ça pèse lourd » : le paradoxe pondéral ... 80

4.2 « C'est beau quand tu es fit » : des corps féminins minces, fermes et « en forme »... 82

4.3 « Pas trop musclées hein! » : les femmes et le plafond de verre de la musculation ... 88

4.4 La figure de la boxeuse : une (sous-)culture d’apparence propre à la boxe? ... 95

4.5 Synthèse du chapitre. Les muscles sous tension ... 104

Chapitre 5. Autodiscipline, contrôle de soi et responsabilité corporelle ... 105

5.1 La rationalisation et l’objectivation du poids corporel : connaître son corps pour mieux le contrôler ... 105

5.2 L’atteinte du poids de compétition : un moment critique dans la négociation des injonctions à la minceur et à la maîtrise de soi ... 109

5.3 La diète : une continuité entre les logiques de performance sportive et de genre ... 117

5.3.1 « Les fameux glucides que tout le monde diabolise » : des normes alimentaires partagées ... 117

5.3.2 Des habitudes alimentaires héritées du contexte familial : le discours de la diète au prisme de la classe et de l’ethnicité... 123

5.3.3 Le « yoyo du poids » : (re)trouver l’équilibre entre contrôle et plaisir ... 126

5.4 Se discipliner, faire des sacrifices et souffrir pour être une boxeuse : « La boxe, ce n’est pas un sport, c’est une façon de vivre » ... 130

5.5 Synthèse du chapitre. Le contrôle du poids corporel : une quête tactique de respectabilité . 139 Conclusion ... 141

Rappel du questionnement de la recherche ... 141

Retour sur l’analyse ... 141

Considérations à propos des suites possibles de l’étude ... 144

Bibliographie ... 146

Annexe A Lettre d’autorisation des responsables des clubs de boxe participants ... 152

Annexe B Document de recrutement ... 153

Annexe C Formulaire de consentement et liste des ressources d’aide psychologique ... 154

Annexe D Grille d’observation... 158

(7)

À toutes ces femmes pour qui leur corps est un combat au quotidien

(8)

« Je veux montrer que, nous, les filles, on est aussi bonnes que les gars. […]

Depuis que je suis petite, j'entends ‘les filles ne sont pas fortes, tu as besoin d'un homme’. Ça m’a poussé à montrer que, non, je suis capable, je suis forte ».

(9)

Remerciements

Merci d’abord à toutes les participantes sans qui cette recherche n’aurait été possible. Je ne pourrais vous exprimer toute la reconnaissance que j’ai envers vous. Merci de m’avoir ouvert les portes de votre monde, de votre quotidien et de vous être confiées si intimement à moi. J’espère grandement que les résultats de la recherche vous redonneront ne serait-ce qu’un fragment de ce que vous m’avez apporté, autant sur le plan personnel que scolaire.

Merci également à tous les coachs qui m’ont accueillie à bras ouverts dans leur club de boxe et qui ont porté un intérêt à ma recherche. Vous m’avez fait sentir comme l’une des vôtres et vous m’avez permis de croire en la pertinence de ma démarche. Merci également pour toute l’aide et le soutien que vous m’avez offerts dans le déroulement de mon projet.

Je tiens à remercier Élisabeth Mercier pour son impressionnante disponibilité et pour la confiance et l’autonomie qu’elle m’a offertes tout au long des deux années de travail sur ce mémoire. Merci de m’avoir suivie sur le terrain inusité de la boxe. Ce mémoire se trouve grandement enrichi par tes commentaires, réflexions, reformulations et précisions, ainsi que par les différentes « lunettes » d’analyse que tu m’as aidée à porter.

Cette recherche n’aurait pu se réaliser dans des conditions optimales sans l’appui financier du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).

Merci à mon entourage familial et amical pour le partage de réflexions, le support moral et les encouragements. Merci à Louis-Pierre qui a fait un travail colossal de révision et de polissage de mon mémoire avec une attention extrêmement généreuse et méticuleuse. Finalement, un merci tout spécial à Tim qui a relu la majorité de mes chapitres avec enthousiasme, qui a cru en moi et en mon projet, qui m’a soutenue durant toute cette épreuve et qui a su trouver les mots pour me redonner la motivation nécessaire lorsqu’elle manquait.

(10)

Introduction

Loin d’être une page blanche, le corps est marqué de manière intime et quotidienne par la culture et les rapports de pouvoir qui le traversent. Les études féministes critiquent depuis longtemps le fait que les femmes se conçoivent d’abord par leur apparence corporelle et qu’elles se soient résignées à une vie centrée sur le corps, que ce soit le leur qu’elles essaient de rendre conforme aux critères de beauté ou encore celui des autres dont elles doivent prendre soin (Bordo, 1993). Le poids corporel semble constituer un aspect important des différents discours qui régulent les corps (féminins surtout) dans les sociétés occidentales. Par exemple, la promotion de la minceur est omniprésente à travers les discours sur la santé et la féminité qui invitent les femmes à perdre du poids, à manger « léger » et à faire de l’exercice. Plus qu’une norme, la minceur est érigée en un véritable devoir envers soi-même, mais aussi envers les autres. Ne pas adhérer aux modèles attractifs de féminité relèverait d’une mauvaise volonté, puisque les critères de beauté tels que la minceur sont décrits comme étant faciles à atteindre et accessibles à toutes les femmes (Le Breton, 2010). La grosseur des corps se lit donc à travers des jugements moraux qui pathologisent les corps « gros » et valorisent les corps « minces » (Mackay et Dallaire, 2010).

Depuis quelques années, le thème de la diversité corporelle occupe une place plus marquée dans les débats publics, en particulier sur les réseaux sociaux (Mackay et Dallaire, 2010). C’est notamment ce mouvement ou contre-discours critique remettant en question l’injonction à la minceur et la trop grande importance accordée au poids corporel dans la société qui a inspiré le sujet de ma recherche portant sur les enjeux de poids chez les boxeuses. La pratique d’un sport de combat, où la force physique est valorisée, vient-elle contrecarrer l’injonction sociale à la minceur chez les boxeuses? La boxe permet-elle une plus grande diversité corporelle chez ceux et celles qui la pratiquent? Plus précisément, je me suis intéressée à la question du contrôle du poids dans le milieu de la boxe féminine de niveau amateur au Québec. La boxe constitue un univers d’étude particulièrement pertinent à ce sujet, puisque ce sport s’organise autour de catégories de poids. Le poids corporel occupe donc une place très importante dans la vie des athlètes qui pratiquent ce sport. La boxe féminine offre aussi un contexte intéressant d’un point de vue du genre, car la boxe

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est encore très associée à la virilité, notamment en ce qui a trait aux caractéristiques corporelles (force de frappe, capacité à encaisser les coups, etc.). Je souhaitais donc interroger le rapport au poids corporel de ces femmes engagées dans un sport traditionnellement masculin et observer si la minceur fait toujours office de norme dans ce milieu spécifique.

Dans le présent mémoire, je me penche sur les pratiques de contrôle du poids chez les boxeuses en suivant une démarche qualitative et compréhensive, c’est-à-dire en prenant comme point de départ le sens que les boxeuses donnent à leurs propres comportements et pratiques. Ma recherche porte plus spécifiquement sur la façon dont les boxeuses négocient avec les normes corporelles de genre à travers la mise en place de pratiques de contrôle du poids.

Dans le premier chapitre, je dresse un portrait du contexte dans lequel s’inscrivent les pratiques de contrôle du poids des boxeuses afin de bien cerner en quoi elles « font problème ». J’y explore la littérature sociologique traitant de la place des femmes dans la boxe, des spécificités des sports à catégories de poids, ainsi que de la norme de minceur qui cible spécialement les femmes. J’offre aussi un aperçu des tensions dont fait l’objet le corps des athlètes féminines au regard des normes corporelles parfois contradictoires entre le domaine sportif et la féminité dans sa forme hégémonique. Je présente ensuite les objectifs et les questions qui ont guidé ma recherche, à savoir mieux comprendre 1) comment la boxe (et ce qu’elle implique en termes de gestion de poids) agit comme un mode de subjectivation genrée, et 2) les façons par lesquelles les boxeuses négocient avec les normes corporelles de genre à travers leurs pratiques de contrôle du poids. Puis, dans le deuxième chapitre, j’explique les orientations théoriques et méthodologiques qui ont été privilégiées afin de répondre à ces objectifs et questions de recherche. J’aborde les apports conceptuels du champ des Cultural Studies, de l’approche compréhensive, ainsi que des études féministes sur le sport. Je montre également la pertinence de la théorie foucaldienne du pouvoir et de la théorie queer pour ma proposition de recherche. Je poursuis en présentant le choix de la méthode ethnographique pour effectuer la collecte des données à la base de mon analyse.

(12)

Dans les trois chapitres suivants, je présente les résultats de mon analyse. Je prends d’abord appui sur les données récoltées auprès des boxeuses pour analyser les enjeux sportifs et stratégiques qui sous-tendent les pratiques de contrôle du poids des boxeuses. J’examine ensuite la manière dont les boxeuses négocient avec les normes de minceur et de féminité à travers leur rapport à la musculature. Ce thème s’est révélé être un point d’entrée important pour cerner les pratiques de contrôle du poids des boxeuses. Enfin, j’approfondis les réflexions initiées dans les deux chapitres précédents quant à la question de l’autodiscipline, qui ressort de manière frappante des entretiens. Cela m’amène notamment à appréhender les pratiques de contrôle du poids comme des tactiques adoptées par les boxeuses dans leur quête de respectabilité.

(13)

Chapitre 1. Mise en contexte, revue de la littérature et

problématique

La boxe anglaise, qu’on appelle communément la « boxe » en Amérique du Nord, est un sport de combat divisé en plusieurs rounds qui se déroule dans un ring où s’affrontent deux athlètes uniquement avec les poings, ce qui la différencie de la boxe thaïe et de la boxe française où les coups de pied sont permis (Beauchez, 2014) : « In its most elemental technical terms, boxing is a body-on-body combat over physical prowess within the confined space of the ring against limited time » (Heiskanen, 2012, p. 6). Dans le cadre de mon mémoire, je m’intéresse spécifiquement au contexte de la boxe féminine de niveau amateur dans laquelle les boxeuses ne sont pas payées pour performer. Je ne traite pas de la boxe professionnelle pour des raisons de faisabilité et d’accessibilité au terrain, mais aussi parce que les règles entourant les catégories de poids y sont légèrement distinctes qu’en boxe amateur. Par exemple, en boxe professionnelle, les pesées officielles se déroulent la veille d’un combat, tandis qu’en boxe amateur, elles se font la journée même, ce qui comporte des implications bien différentes en termes de stratégies de gestion du poids. Dans ce chapitre, je vise à mettre en contexte le sujet de la recherche tout en soulevant les différents enjeux autour desquels se formule le questionnement central de ce mémoire.

1.1 La boxe comme objet sociologique

La question du pouvoir et plus précisément de la domination est centrale dans les quelques études sociologiques qui se sont penchées sur l’univers de la boxe (Beauchez, 2017). Une première génération d’études sur le sujet pense la domination à l’intersection de la classe et de la race (Hare, 1971; Sugden, 1985; Weinberg et Arond, 1952) en s’intéressant à la condition de subalternes et de dominés occupée par les boxeurs (Beauchez, 2017). D’ailleurs, tant dans la littérature sociologique que dans la culture populaire et le sens commun, la boxe est couramment associée aux hommes racisés des classes populaires (Beauchez, 2014; Oates, 2012; Rotella, 1999; Wacquant, 2002) : « Since the 1950s, boxing has continued to attract practitioners primarily from working-class, especially immigrant, minorities » (Heiskanen, 2012, p. 2). Dans ces études, l’ethnographie s’est avérée un moyen privilégié pour accéder à l’univers des gymnases, faire découvrir le quotidien des pugilistes

(14)

(Beauchez, 2014) et ainsi « appréhender la boxe par son côté le moins connu et le moins spectaculaire : la grise et lancinante routine des entraînements en salle, de la longue et ingrate préparation, inséparablement physique et morale, qui prélude aux brèves apparitions sous les feux de la rampe, les rites infimes et intimes de la vie du gym qui produisent et reproduisent la croyance alimentant cette économie corporelle, matérielle et symbolique très particulière qu’est le monde pugilistique » (Wacquant, 2002, p. 10). Dans deux ethnographies importantes qui ont été réalisées dans des clubs de boxe – l’une dans le ghetto noir à Chicago (Wacquant, 2002) et l’autre dans le nord-est de la France (Beauchez, 2014) –, la boxe est dépeinte comme un milieu réunissant presque exclusivement des hommes afro-descendants, latino-américains, issus de l’immigration et appartenant aux classes populaires. Dans la première ethnographie mentionnée ici, les seules femmes entrant dans le gymnase sont les conjointes des boxeurs qui, à la veille d’un combat important, viennent regarder l’entraînement à partir d’un banc au fond du club et pour qui il est interdit d’interagir avec les boxeurs (Wacquant, 2002). Dans la seconde, une seule femme parmi une quinzaine de boxeurs pratique la boxe au sein du club à l’étude (Beauchez, 2014).

Depuis quelques années, la question du genre apparaît de manière plus marquée dans les travaux sociologiques sur la boxe. Ces derniers s’intéressent surtout à la façon dont les hommes pratiquant ce sport incarnent de façon emblématique des formes dominantes et traditionnelles de masculinité (Beauchez, 2017, p. 111). Les images très masculines de la boxe, aussi appelée le manly art, tendent toutefois à s’estomper avec la présence de plus en plus marquée (et remarquée) des femmes dans cette discipline sportive (Heiskanen, 2012, p. xii).

1.1.1 L’intégration des femmes dans le milieu de la boxe : lorsque les femmes mettent les gants

« La boxe est pour les hommes, à propos des hommes;

la boxe, c’est les hommes »

- Joyce Carol Oates, De la boxe (2012, p. 65)

La romancière Joyce Carol Oates affirme que la présence des femmes dans le milieu de la boxe est un fait qui soit « surprend, inquiète ou amuse », mais qui reste très marginal

(15)

(Oates, 2012, p. 65). Elle affirme : « Lors des combats de boxe, le rôle des femmes est limité à celui de la fille qui brandit le carton indiquant la reprise ou de la chanteuse occasionnelle de l’hymne national – car les femmes n’ont naturellement pas d’autre place dans le spectacle » (Oates, 2012, p. 65). Cependant, le rôle des femmes dans la boxe n’est pas aussi réducteur que le prétend Oates. Malgré la résistance à la participation des femmes et la place dominante des hommes dans la boxe à travers l’histoire, la boxe féminine n’est pas un sport nouveau : « There is strong historical evidence of women’s involvement in early prize fighting and pugilism in the 18th century, particularly in England » (Tjønndal, 2017, p. 3). En Amérique du Nord, les femmes s’engagent progressivement dans la boxe à un niveau professionnel depuis les années 1970, mais c’est surtout depuis les années 1990 que la boxe féminine prend son essor dans le volet tant amateur que professionnel. Elle devient une discipline olympique seulement à partir des Jeux de 2012 à Londres, alors que la boxe masculine y est présente depuis 1904. Avant 2012, la boxe était la seule discipline olympique qui excluait encore les femmes (Tjønndal, 2017, p. 2).

Cette reconnaissance tardive des boxeuses par l’événement international le plus important en sport amateur montre bien que l’intégration des femmes dans la boxe ne s’est pas faite sans résistance. Malgré cette nouvelle opportunité de compétition pour les boxeuses aux Jeux olympiques de 2012 et de 2016, ces événements n’ont inclus que trois catégories de poids pour le volet féminin – 48-51 kg (flyweight), 57-60 kg (lightweight) et 69-75 kg (middleweight) –, alors que le volet masculin en comptait dix. Les boxeuses ne pouvant s’inscrire dans ces trois catégories de poids étaient tout simplement exclues et devaient ainsi renoncer au rêve olympique. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les catégories de poids plus lourds (75-81 kg et plus de 81 kg) ne comptent pas parmi ces trois catégories. Cette présence réduite de catégories de poids pour la boxe féminine semble relever d’un discours normatif sur le poids et le corps des femmes, qui favorise et valorise certains corps (lire : minces, mais pas trop) au détriment des autres (lire : gros). L’absence des catégories de poids plus lourds chez les femmes constitue également une forme de discrimination genrée, puisqu’elle nuit considérablement non seulement à l’accès des femmes aux Jeux olympiques, mais aussi à leurs chances de se faire valoir comme athlètes de haut niveau à travers cet événement d’envergure internationale grandement médiatisé. Les deux dernières éditions des Jeux olympiques ont d’ailleurs fait une place très limitée aux boxeuses (36

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athlètes féminines au total pour les trois catégories de poids), alors que les boxeurs disposaient de 250 places réparties dans les dix catégories (Tjønndal, 2017, p. 12).

Par contraste et à une plus petite échelle, c’est-à-dire au sein même des clubs de boxe, l’égalité de traitement entre les athlètes constitue un des codes informels régissant la pratique pugilistique (Mennesson et Clément, 2009, p. 84). C’est ce que Loïc Wacquant (2002) appelle l’éthos égalitariste. Dans la plupart des clubs, les femmes et les hommes s’entraînent en mixité et mettent même régulièrement les gants1

ensemble. Les femmes boxent alors avec et contre les hommes. Selon cet éthos égalitariste, ce qui distingue les pugilistes repose davantage sur l’expérience du ring que sur les catégories de sexe, de race2

ou de classe. Cependant, cet éthos égalitariste comporte certaines limites. Notamment, le respect des normes corporelles de genre semble jouer un rôle important dans l’intégration des femmes dans les milieux traditionnellement masculins comme la boxe.

L’étude de Christine Mennesson et Jean-Paul Clément (2009) auprès de boxeuses françaises montre que l’intégration de ces dernières dans un contexte « masculin »3 les incite à utiliser des stratégies d’hyperféminisation de leur apparence afin de faire la preuve de leur féminité et de leur hétérosexualité. Les femmes qui fréquentent de manière assidue les clubs de boxe « encodent généralement dans leur hexis corporelle et leur apparence une définition d’elles-mêmes acceptée par les hommes » (Mennesson et Clément, 2009, p. 85). Conscientes des sanctions que risquent d’entraîner des écarts aux normes genrées d’apparence, elles se vêtissent et agissent de manière « féminine » dans le but de contrer l’ambiguïté de leur identité sexuée et sexuelle suscitée par la pratique d’un sport dit masculin. Celles qui divergent de ces normes s’exposent à des sanctions physiques : « La conformité protège en effet relativement des mauvais coups. Opposés à une femme jugée féminine, les boxeurs évitent de ‘lui abîmer le portrait’. Les combattantes perçues comme

1

L’expression « mettre les gants » signifie monter sur le ring pour une séance de sparring (combat sous forme d’entraînement plus ou moins contrôlé).

2 J’utilise le mot « race » en référence à un système de différenciation et d’oppression qui découle des processus sociaux de racisation. Il n’est donc évidemment pas question d’une donnée biologique ou physiologique, mais d’une « expérience sociale, façonnée à la fois par l’héritage d’un passé déshumanisant et par les disparités de pouvoir et injustices raciales toujours persistantes » (Hamrouni et Maillé, 2015, p. 13). Naïma Hamrouni et Chantal Maillé défendent l’utilisation parfois controversée du mot « race » en soutenant que « ce n’est pas de nommer la domination qui la reproduit, c’est de l’ignorer » (2015, p. 13).

3

J’utilise fréquemment les guillemets dans ce mémoire afin d’éviter de reproduire l’évidence de certaines catégories qui se comprennent ici comme des construits sociaux.

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peu ‘féminines’ subissent souvent en revanche des coups plus appuyés » (Mennesson et Clément, 2009, p. 85). Leïla, une participante de l’étude de Mennesson et Clément, affirme : « On a un poids lourd dans notre club, c’est une bête, elle n’est vraiment pas féminine, elle tape fort en plus. Les gars du club n’aiment pas trop boxer avec elle. Un jour, un copain l’a prise, il l’a chargée et pang! Il lui a pété le nez, il ne l’a pas loupée! » (2009, p. 85). Autrement dit, durant les séances d’entraînement qui se déroulent en mixité, les boxeurs ont tendance à ménager davantage les boxeuses qui respectent les normes genrées de présentation corporelle. Les boxeuses qui respectent ces normes semblent ainsi attirer l’estime et la protection des boxeurs, comme c’est le cas pour Leïla : « Leïla, très attentive à son apparence, ne subit pas le même sort (sauf accident) tout en frappant relativement fort et en combattant de manière similaire aux hommes » (Mennesson et Clément, 2009, p. 87). Cela renseigne sur l’importance de l’apparence physique et de la minceur dans le modèle de féminité dominant tout en montrant comment s’opère un travail de maintien et de visibilisation des différences entre les femmes et les hommes au sein de la pratique pugilistique (Mennesson et Clément, 2009, p. 87). Les propos présentés ici montrent que, malgré l’éthos égalitariste mentionné ci-haut, le contexte de la boxe n’échappe pas aux rapports de pouvoir basés sur le genre et comporte des représentations et des pratiques codifiées et prescrites selon le genre.

Cela dit, bien que discriminées à plusieurs égards, les boxeuses ont réussi à se tailler une place dans cet univers typiquement masculin en défiant les stéréotypes de genre : « When women engage in competitive boxing they challenge traditional norms of femininity by displaying aggression and power, qualities that are traditionally attributed to men and masculinity » (Tjønndal, 2017, p. 2). En effet, la violence perçue de la boxe en a longtemps fait un véritable bastion de la masculinité hégémonique, c’est-à-dire un lieu d’expression de la virilité et de la domination à travers l’agression. Selon l’ordre de genre existant, les femmes et la boxe se comprennent comme deux entités incompatibles. Voir une femme exercer de la « violence physique »4 et, en contrepartie, être confrontée à de la souffrance physique, relève alors de l’anormalité, voire de l’intolérable (Mennesson et Clément, 2009, p. 84) :

4

L’expression est mise entre guillemets puisque les pugilistes ne conçoivent généralement pas leur sport comme étant violent (Beauchez, 2014).

(18)

L’entrée des femmes dans l’enceinte quasi sacrée du gymnase a donc des implications symboliques extrêmement fortes. Elle détruit d’une part la possibilité même de conserver une définition de la pratique sportive en tant qu’activité convenant naturellement aux hommes. Elle permet, de plus, une reconstruction des corps des femmes que l’on cesse de percevoir comme faibles, déficients, inférieurs. La suprématie du physique masculin est remise en cause lorsque la discipline, la vigueur et la résistance deviennent un territoire qui peut être conquis depuis l’anatomie féminine (Moreno, 2012, pp. 95-96).

La participation des femmes dans la boxe, tout comme dans les autres sports de combat, peut être vue comme une forme d’empowerment, puisqu’elles se défont des scénarios culturels conventionnels dans lesquels les femmes sont perçues comme des objets passifs et faibles en se réappropriant et en réinvestissant à leur manière une activité historiquement réservée aux hommes (Moreno, 2012, p. 105).

Malgré quelques études sociologiques portant sur les femmes investies dans le milieu de la boxe (Halbert, 1997; Hargreaves, 1997; Mennesson et Clément, 2009; Moreno, 2012; Paradis, 2012), le thème du contrôle du poids semble être laissé de côté. Pourtant, il apparaît important de se pencher sur ce phénomène sachant que les femmes sont ciblées de manière spécifique par la norme de minceur diffusée par les discours sur le poids, la santé et la féminité (que j’aborde dans la section 1.2). J’avance ici que la boxe, qui constitue un sport à catégories de poids, offre un contexte particulièrement intéressant et inédit pour étudier le rapport au corps et au poids des femmes.

1.1.2 Un sport à catégories de poids

Les pratiques de contrôle du poids sont fréquentes chez les athlètes. Elles font partie de leur préparation physique (Chapman, 1997, p. 207). Les athlètes façonnent leur corps et leur poids au moyen de l’exercice physique, mais aussi de l’alimentation. La combinaison de ces deux éléments peut avoir pour fonction d’augmenter, de diminuer ou de maintenir la masse adipeuse et la masse musculaire. La diète et le type d’entraînement peuvent s’adapter selon les exigences physiques que demandent le sport pratiqué et les objectifs de performance recherchés par les athlètes. Dans les sports d’endurance comme la course ou le vélo de longue distance, un « excès » de poids (autant adipeux que musculaire) est perçu comme pouvant nuire à la performance : le corps doit être départi de charges inutiles qui,

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traînées sur plusieurs kilomètres, rendraient l’effort physique moins optimal. Dans les sports où l’esthétisme semble aller de pair avec la performance sportive comme le patinage artistique, la danse et la gymnastique, la minceur et l’apparence physique générale des athlètes tendent à se présenter comme des critères (explicites ou implicites) à partir desquels les juges évaluent les performances (Chapman, 1997, p. 207). Dans les sports à catégories de poids – qui sont aussi pour la plupart des sports de force et/ou de combat comme la boxe, les arts martiaux mixtes, la lutte et l’haltérophilie –, le rapport au corps et au poids se vit différemment chez les athlètes, notamment parce qu’ils et elles doivent s’inscrire dans une fourchette de poids spécifique pour participer à des compétitions.

Le corps est un élément central dans la pratique de la boxe : « The instrument as well as the target of the combat, the body is the foundation of the entire pugilistic regimen: training, competition, injuries, sacrifices, diet, pain, fear, and control of desire » (Heiskanen, 2012, p. 6). Les athlètes qui choisissent de s’investir dans ce sport s’engagent dans un « processus intense de régulation du corps » (Ohl, 2006). Le fait que la boxe soit un sport de combat à catégories de poids vient complexifier ce processus de préparation physique. En effet, en plus d’apprendre les techniques, de travailler leur puissance, leur vitesse, leur flexibilité et autres qualités physiques requises dans ce sport, les athlètes doivent surveiller leurs poids et calculer dans quelle catégorie de poids il est le plus stratégique de boxer : « While the expression ‘pound for pound best fighter’ tries to write skill across weight classes, weight so fundamentally shapes boxing styles and stakes that weight talk is an unavoidable component of the game » (Paradis, 2012, p. 99). Dans ce type de disciplines sportives, les athlètes doivent répondre aux exigences de poids, c’est-à-dire à la limite pondérale maximale imposée par la catégorie de poids en question. Le respect de la catégorie de poids choisie constitue alors une condition à la participation aux compétitions. Un poids plus élevé que la limite de la catégorie disqualifie l’athlète avant même qu’il ou elle se retrouve entre les cordes. L’expression « faire le poids », qui est fréquemment utilisée dans le milieu de la boxe, se comprend donc tant dans le sens métaphorique de « faire le poids » face à un adversaire sur le ring que dans le sens littéral où les boxeuses doivent « faire » un poids précis pour la compétition.

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Les règles entourant les catégories de poids définies par les organisations sportives assurent des performances équitables en imposant un cadre restrictif dans lequel les athlètes doivent se positionner (Rouleau, 2014, p. 37) : « Les catégories de poids ont un effet structurant pour ces combattants [et combattantes], leur offrant certaines possibilités d’action, comme celle de modifier le poids de leur corps » (Rouleau, 2014, p. 39). Le poids peut être diminué, augmenté ou maintenu selon la stratégie empruntée. Les athlètes peuvent ainsi faire varier leur poids au sein d’une même catégorie de poids ou encore changer complètement de catégorie. Le choix de la catégorie de poids fait partie intégrante de la stratégie adoptée par les athlètes, puisque performer dans une catégorie qui n’est pas la plus optimale peut résulter en un handicap sur le ring (Wacquant, 1989, p. 63) : « la règle générale veut qu’un boxeur [ou une boxeuse] aille au désastre en combattant en dehors de sa catégorie de poids » (Oates, 2012, p. 13). Le contrôle du poids devient ainsi un moyen d’augmenter ses chances de l’emporter. Il est aussi nécessaire dans la mesure où la catégorie de poids visée correspond rarement au « poids de tous les jours » (walk-around

weight)5 des athlètes (Rouleau, 2014, p. 11). En effet, dans les sports à catégories de poids, l’objectif est de se classer dans une catégorie qui permet d’avoir un avantage (pondéral) sur l’adversaire (Rouleau, 2014, p. 11). En perdant du poids et en se classant dans une catégorie de poids plus léger, les athlètes espèrent affronter des adversaires moins imposantEs6 : « l’athlète croit pouvoir éviter de se battre contre une personne plus massive que lui [ou elle] » et « se donne aussi des chances d’être plus corpulent[e] que son adversaire » (Rouleau, 2014, p. 42). Bien que le poids de compétition des athlètes soit souvent en deçà de leur poids de tous les jours, la stratégie ne consiste pas à perdre un maximum de poids, mais bien à trouver le poids optimal où l’athlète sera le ou la plus performante.

Le choix de la catégorie de poids s’oriente à partir des connaissances que les athlètes ont de leurs propres caractéristiques (taille, gabarit, corpulence, masse musculaire, masse

5 Les boxeuses parlent souvent de leur poids de compétition en comparaison avec leur « poids de tous les jours », « normal », « habituel » ou encore « naturel ». Celui-ci réfère au poids qu’elles essaient de maintenir à l’année en dehors des périodes de préparation physique d’avant-combat. J’utilise cette expression à des fins pratiques, explicatives, mais il faut garder en tête que le poids corporel n’est pas fixe et que les personnes n’ont pas une telle chose qu’un « vrai » poids.

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Bien que j’essaie le plus possible d’utiliser une écriture épicène, j’utilise aussi parfois cette forme de féminisation « par extension », reconnue et acceptée en études féministes (Berthelet, 2014).

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adipeuse, etc.), capacités et limites corporelles. Le contrôle du poids met en branle un ensemble de pratiques, de connaissances, de savoir-faire et de techniques : « Les techniques corporelles utilisées pour réduire le poids de son corps sont généralement réflexives, c’est-à-dire que le corps a été préalablement objectivé tel un objet qui existe dans le monde. Ces techniques sont intentionnelles et utilisées dans un but précis » (Rouleau, 2014, p. 104). Cette connaissance de sa propre corporalité s’acquiert aussi à travers un « rapport de son corps à l’autre » (Rouleau, 2014, p. 40), c’est-à-dire à travers l’expérience du poids des autres pugilistes sur le ring. Les athlètes développent des connaissances relatives aux conséquences d’affronter un ou une adversaire plus lourde ou plus légère (Rouleau, 2014, p. 44). Les pugilistes se comparent physiquement aux autres en fonction de ces expériences et, de ce fait, évaluent dans quelle catégorie de poids il est le plus avantageux de s’inscrire. Ainsi, au fil de leur parcours sportif et de leurs expériences vécues, les athlètes forgent un certain savoir-faire quant au travail à mener sur leur propre corps.

« Faire le poids », c’est-à-dire monter sur la balance pour la pesée officielle d’avant-combat, est considéré comme un combat avant le combat (Wacquant, 2002, p. 152). En effet, l’atteinte du poids de compétition constitue une étape primordiale et très exigeante de la préparation physique qui déborde les espaces et les temps d’entraînement pour investir la vie quotidienne des athlètes, notamment à travers l’alimentation qui doit être constamment surveillée et mesurée (Wacquant, 2002, p. 68). La diète est vécue comme un stress psychologique constant (Heiskanen, 2012, p. 37). Elle n’implique pas simplement de calculer et de restreindre la quantité ingérée de certains types d’aliments : « C’est l’ensemble de sa relation à la nutrition comme activité physico-symbolique que le combattant [ou la combattante] est amené[e] à remanier de sorte à incarner à travers elle le rapport du soi et du monde conforme à sa profession » (Wacquant, 2002, p. 152). Les pratiques alimentaires de contrôle du poids sont donc centrales dans la préparation physique et dans ce qu’implique être un boxeur ou une boxeuse. La diète débute généralement quelques semaines avant un combat ou une compétition7. Des techniques de déshydratation

7 Les combats de gala, organisés par les clubs de boxe, se distinguent des compétitions, organisées par les fédérations de boxe. Dans un combat de gala, le poids à respecter est fixé par une entente entre les coachs des deux athlètes qui s’affrontent et un certain écart de poids est permis. Dans les compétitions, la limite maximale des catégories de poids fixées au préalable doit être respectée au gramme près par les athlètes, ce qui rend le contrôle du poids plus exigeant pour ce type d’événement.

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rapide – telles que le sauna, les bains chauds, la prise de substances diurétiques ou encore le port d’un wetsuit8

en faisant du jogging, de la corde à danser ou du shadowboxing9 – peuvent aussi être utilisées si les athlètes n’ont toujours pas atteint leur poids de compétition quelques heures ou jours avant la pesée (Rouleau, 2014, p. 16). En boxe de niveau amateur, les pesées officielles se déroulent la journée même du combat, seulement quelques heures avant le début, ce qui rend la déshydratation encore plus risquée, puisque les athlètes n’ont pas toujours le temps de se réhydrater convenablement entre la pesée et leur combat.

Le rapport au poids corporel étant central dans le contexte pugilistique, il est surprenant de constater le vide relatif à ce sujet dans la littérature sociologique. Cela est sans doute lié au fait que la question du poids corporel en milieu sportif est souvent associée aux disciplines « féminines ». En effet, une recension des écrits sur les pratiques sportives des femmes montre que les sports dits féminins sont plus propices aux préoccupations relatives au poids que les sports dits masculins (Crissey et Honea, 2006). En revanche, peu d’études se sont intéressées au contrôle du poids chez les femmes engagées dans des sports à prédominance masculine. Les femmes pratiquant un sport « masculin » seraient-elles pour autant à l’abri des préoccupations liées au poids corporel? Bien que la boxe ne soit pas un sport traditionnellement « féminin », les femmes semblent au contraire y vivre un contrôle important de leur poids et de leur corps, notamment en raison des enjeux spécifiques liés aux règles entourant les catégories de poids.

1.2 L’imbrication des discours sur le poids, la santé et la féminité : la

minceur comme super-norme

Il est communément admis que l’apparence et le poids corporel sont des préoccupations typiquement féminines. Bien que certaines études montrent que les jeunes hommes se préoccupent de plus en plus de leur apparence, des différences de genre perdurent à cet égard (Mackay et Dallaire, 2010; Wright, O’Flynn, et Macdonald, 2006). En effet, les filles et les femmes se soucient davantage de leur image corporelle et des critères de beauté que les garçons et les hommes qui, eux, parlent plutôt de l’utilité que peut procurer un corps en

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Combinaison de sudation.

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forme pour la performance physique (Wright et al., 2006). En d’autres mots, tandis que les hommes tendent à aborder leur propre corps en termes de force et de performance sportive, les femmes discutent plutôt du « travail à faire sur leur corps afin de le transformer pour qu’il se rapproche des normes esthétiques » (Mackay et Dallaire, 2010, p. 8). Les investissements faits en matière d’apparence sont fortement différenciés selon le genre : « le féminin demeure largement défini par un impératif de beauté, de jeunesse, de séduction » (Le Breton, 2010, p. 149). Colette Guillaumin affirme que les normes corporelles esthétiques se comprennent toujours au prisme d’une différenciation sexuée et participent en retour à naturaliser et à ritualiser cette différence : « les préférences d’une époque, d’un groupe social, d’un moment, élisent, choisissent une allure physique, un type musculaire, une couleur des yeux, de peau, une corpulence, comme étant le canon de la beauté et du souhaitable tant dans le type femelle que dans le type mâle, toujours soigneusement distingués et différenciés, et que l’on considère comme la réussite de leur

état respectif » (1992, p. 121; je souligne).Le culte de l’apparence, intrinsèquement lié aux

normes corporelles de genre, concerne avant tout les femmes, puisque le discours sur la féminité fait valoir l’importance de leur apparence et, plus spécifiquement, de la taille et de la forme de leur corps non seulement pour leur attractivité (aux yeux des hommes, dans un cadre de référence hétérocisnormatif10), mais aussi pour leur compétence et leur bien-être global (Chapman, 1997, p. 219).

Il existe une forte relation entre les thèmes de la santé, de la forme physique et de l’apparence dans le discours de la féminité qui est repris par plusieurs femmes, particulièrement celles ayant un mode de vie actif (Wright et al., 2006, p. 711). Plusieurs d’entre elles conçoivent l’exercice physique et une alimentation saine comme étant intimement liés au maintien d’un « poids santé » et/ou d’une silhouette svelte (Wright et al., 2006, p. 715). Aux côtés de la chirurgie plastique et des régimes minceur, l’activité physique est devenue une véritable marchandise sur le marché de la beauté (Choi, 2000, p. 64). Isabelle Queval (2008) parle même d’une « sportivisation des mœurs et des corps » (c’est-à-dire la connotation positive de tout ce qui est sport) qui agirait au niveau des subjectivités en mettant de l’avant « l’importance des sensations », « la méthodicité de l’effort » et « l’élaboration quotidienne de la sculpture de soi » (p. 110). Qui plus est,

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l’exercice physique est devenu une pratique de santé désirable, encouragée par les recommandations médicales (Choi, 2000, p. 64). Par conséquent, la féminité est construite en lien avec un souci corporel axé conjointement sur la santé, la bonne forme physique et la minceur : « Health [is] thus a physical state that could be measured through comparison with an ‘ideal’ body shape, clothing size, or weight, and that required constant work on the body and a close monitoring of the bodily practices of eating and exercising » (Wright et al., 2006, p. 715). Dans les sociétés occidentales contemporaines, le discours sur le poids est intrinsèquement lié au discours sur la santé (Wright et al., 2006, p. 707). La minceur devient le signe d’une bonne santé (Durif, 1990, p. 306), puisque « les représentations culturelles d’une personne en santé sont davantage fondées sur son apparence physique que son statut de santé » et sa condition physique (Baril, 2017, p. 79). Les travaux dans le champ des fat studies critiquent la façon dont les représentations « grossistes » ou « grossophobes », associant les corps minces à une bonne santé et les corps gros à un statut pathologique, se retrouvent dans la culture populaire, mais aussi dans les recherches scientifiques et la pratique médicale (Baril, 2017, p. 78). Le discours sur la santé se retrouve ainsi imprégné d’une « idéologie ‘beautéiste’ traversée de standards hétérosexistes, racistes, classistes, âgistes, ‘grossistes’, et cisgenristes » (Baril, 2017, p. 79). Les discours sur le poids et la santé ciblent les femmes de manière spécifique à travers l’injonction à la minceur (Wright et al., 2006, p. 707). En effet, les régimes discursifs qui diffusent l’idée de bien manger et d’avoir un mode de vie actif agissent de pair avec le discours sur la féminité et les critères de beauté féminins dans la promotion de la minceur et, inversement, dans la stigmatisation des corps « gros » (Mackay et Dallaire, 2010, p. 8). La minceur est alors construite comme un attribut féminin idéal et désirable (Wright et al., 2006, p. 708). Mise en opposition avec la lourdeur, l’idée de légèreté est par ailleurs très utilisée dans les discours sur la minceur et la santé visant les femmes à travers, par exemple, des publicités qui offrent des solutions pour qu’elles se sentent légères ou encore via la gastronomie et le marketing alimentaire qui ont pris un tournant « diète » offrant des plats et des produits « légers » (Godin, 2011).

De plus, l’apparence, la santé et le poids corporel deviennent du ressort de la responsabilité individuelle (Crawford, 1980; Vigneault, 2009) : « Selon la construction discursive néolibérale dominante, le corps ‘gros’ est un corps non conforme aux normes, un corps

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malade en raison du manque de volonté des individus ‘gros’ de gérer leurs désirs » (Mackay et Dallaire, 2010, p. 7). En parlant des campagnes de santé publique, Laurence Godin (2011) affirme :

Il [s’agit] alors de sensibiliser les citoyens à l’importance du maintien d’une bonne santé, pour qu’eux-mêmes s’en fassent les adeptes et les apôtres. Cette responsabilité repose toujours sur les individus, à qui l’on enjoint d’adopter de bonnes habitudes de vie en vue d’atteindre une santé optimale. Il est de leur devoir de tirer parti des informations diffusées par l’État, tant en matière d’alimentation que d’activité physique, d’autant plus qu’ils sont réputés vouloir être en santé (p. 80).

Le corps « gros » représente alors un manquement éthique, une faute personnelle, en plus d’une violation esthétique, à l’opposé du corps mince qui fait office de norme de beauté et, ultimement, de contrôle de soi et de ses désirs (Durif, 1990, p. 316) : « Le corps visible, léger ou lourd, tonique ou relâché figure la maîtrise de soi ou son absence. Davantage, sans doute, que toute autre apparence corporelle, le ‘poids du corps’, parce qu’adossé à l’incontestable argument de la santé, définit le normal et le pathologique, mais aussi le beau et le laid, le bien et le mal » (Queval, 2011, p. 22). Le poids corporel se comprend alors comme une catégorie à la fois médicale, sociale, morale et esthétique (Queval, 2011, p. 23).

1.3 Le rapport au corps des athlètes féminines : des normes corporelles en

tension

Le sport est souvent perçu comme ayant des répercussions positives sur le bien-être et sur l’image corporelle (Lunde et Gattario, 2017). Toutefois, des normes corporelles distinctes semblent intervenir de manière parfois contradictoire dans le rapport qu’entretiennent les athlètes féminines avec leur corps, tout particulièrement chez celles qui pratiquent des sports de force et/ou de combat comme les boxeuses. En effet, leur rapport au corps pose le problème de l’articulation et des possibles tensions entre les objectifs de performance sportive et les normes de féminité et de minceur (Choi, 2003). Le rapport au corps des athlètes féminines se trouve alors ambigu et négocié, car le corps idéal pour la performance sportive est parfois en décalage avec le corps féminin idéalisé (Roussel et Griffet, 2004). Ainsi, les boxeuses, comme la plupart des sportives pratiquant un sport de force et/ou de combat, opèrent à plusieurs égards un brouillage des « frontières socialement construites entre les catégories de sexe » en s’appropriant des qualités et des caractéristiques physiques

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typiquement associées au masculin comme la musculature, la force physique et l’agressivité (Mennesson et Clément, 2009, p. 81). Cette position particulière de transgression dans les rapports et normes de genre concerne spécialement le corps : « Whereas bodily prowess is the single most important marker of empowerment within the everyday context of the gym; outside the sport, women’s very physicality is often considered suspect, subversive, or dangerous in light of the conventional notions of masculinity or femininity » (Heiskanen, 2012, p. 42). La norme de minceur entre sensiblement en tension avec les normes corporelles des sports de combat comme la boxe, dans lesquels les corps musclés et costauds sont valorisés. Des contradictions importantes émergent alors entre les objectifs de performance sur le ring et les normes corporelles de féminité. C’est notamment à travers l’expérience de ces contradictions que risquent de s’exprimer des rapports au corps négociés et ambigus, mais aussi des formes de contestation des discours dominants (Chapman, 1997, p. 219).

Il semble ainsi que l’opposition décrite dans la section précédente entre les préoccupations liées au poids corporel qui seraient « féminines » et celles liées à la performance physique qui seraient « masculines » mérite d’être reconsidérée à la lumière du cas des athlètes féminines et, plus spécifiquement, des boxeuses. En effet, il y a lieu de se pencher sur le rapport au corps de ces femmes qui travaillent sur leur poids pour réaliser des objectifs sportifs, mais qui s’identifient aussi comme « femmes » et sont par conséquent concernées par les normes corporelles de féminité.

1.4 Questions et objectifs de recherche

À partir des connaissances existantes et des enjeux soulevés dans les sections précédentes, ma recherche vise à mieux comprendre les rapports de pouvoir basés sur le genre qui sous-tendent les pratiques de contrôle du poids des boxeuses. En plus des règles formelles instaurées par les organisations sportives, le poids des boxeuses semble être traversé par un ensemble de discours (notamment sur la santé, la performance sportive, la féminité et la minceur), parfois contradictoires, qui opèrent sur le plan normatif en proposant des connaissances et des représentations particulières du corps. Autrement dit, au-delà de leurs objectifs sportifs, les boxeuses sont aussi concernées par les discours sur la féminité et la minceur qui invitent à entretenir et modeler son corps et son poids dans le but de « bien

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faire son genre11 » (Butler, 2005; Chapman, 1997). J’avance toutefois que, n’absorbant pas ces discours de manière passive, les boxeuses négocient avec les différentes normes corporelles en fonction notamment de leur position dans les rapports de pouvoir basés sur le genre, la classe et la race. Il y a alors lieu de se demander comment ces négociations se reflètent dans les représentations et les pratiques de contrôle du poids des boxeuses, notamment dans leurs habitudes alimentaires et leurs systèmes d’entraînement (Moreno, 2011)?

L’un des objectifs de cette recherche est de mieux comprendre les enjeux non seulement sportifs, mais aussi de genre qui sont constitutifs des processus de contrôle du poids. En me penchant spécifiquement sur les parcours féminins, je souhaite faire ressortir la manière dont les rapports de genre prennent forme dans les expériences de contrôle du poids des boxeuses. Il s’agit alors de montrer comment la boxe opère comme un mode de subjectivation genrée – c’est-à-dire comme un ensemble de pratiques, de discours, de normes et de représentations qui produisentle genre, le sujet et le corps féminin – à travers les pratiques de contrôle du poids codifiées et prescrites selon le genre, mais aussi d’en dévoiler les failles qui s’observent dans les contestations et les résistances des boxeuses (Moreno, 2011, p. 50). Par conséquent, je cherche aussi à comprendre ce que les corps des boxeuses font à l’ordre social genré. Le genre se comprend ici comme « un champ premier au sein duquel, ou par le moyen duquel le pouvoir est articulé » (Scott, 1988, p. 143). La question du pouvoir est donc centrale dans ma recherche, comme je l’explique plus loin dans le chapitre 2.

Le fait que la boxe soit un sport à catégories de poids ouvre, selon moi, des brèches importantes pour penser les résistances face aux discours normatifs sur la minceur et la féminité. La pluralité des catégories de poids dans la boxe semble favoriser un plus grand éventail de « corps type » que dans les autres disciplines sportives (Heiskanen, 2012, p. 91) : « With its wide spectrum of weight divisions, boxing is in principle a remarkably egalitarian sport » (Heiskanen, 2012, p. 37). Chaque catégorie de poids se caractérise par des qualités physiques distinctes. Par exemple, les catégories de poids légers sont associées

11 Dans un cadre de référence hétérocisnormatif, « bien faire son genre » se comprend comme avoir un genre qui concorde au sexe « biologique » assigné à la naissance (Butler, 2005). Je développe davantage le concept de genre dans le chapitre 2.

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à un style de boxe dans lequel priment la vitesse, l’agilité et la technique. Dans les catégories de poids lourds, le style de boxe correspond plutôt à des qualités physiques telles que la force de frappe et la capacité à encaisser les coups. Il n’y a donc pas de modèle corporel unique dans ce sport : « Boxing champions range from 101 pounds to more than 260 pounds. […] From tiny and wiry to huge and fat, boxers come in all sizes, shapes, and forms » (Paradis, 2012, p. 91). Ce contexte singulier semble alors offrir un terrain fertile pour contester la norme de minceur (et, par extension, de féminité) et pour investir positivement des modèles corporels alternatifs. En plus de s’approprier des qualités physiques fortement associées à la masculinité comme l’agressivité et de mettre en doute l’idéologie sexiste qui réduit les femmes à des êtres passifs, faibles et fragiles, les boxeuses semblent se trouver dans une position privilégiée pour résister aux injonctions à la minceur en valorisant d’autres traits physiques comme la robustesse et la musculature.

À l’aune des hypothèses et objectifs de recherche présentés ci-dessus, mon mémoire tente de répondre à la question de recherche et aux sous-questions suivantes :

Comment les boxeuses de niveau amateur négocient-elles avec les normes corporelles de genre à travers leurs pratiques de contrôle de poids?

i. Comment les boxeuses construisent-elles le sens de leurs pratiques de contrôle de poids? Quelles sont les représentations du corps sous-jacentes à ces pratiques? ii. Quels sont les enjeux propres au contexte pugilistique?

iii. Quelles sont les spécificités des parcours féminins en termes de contrôle du poids dans le milieu de la boxe?

iv. De quelles manières s’imbriquent (ou non) les logiques de performance sportive avec les logiques de genre et d’apparence physique?

v. Quel(s) type(s) de corps (sportif, sexué) les boxeuses visent-elles à façonner à travers leurs pratiques de contrôle du poids? La minceur est-elle toujours un idéal à atteindre chez les boxeuses?

vi. Quels autres rapports sociaux sont en jeu dans les pratiques de contrôle du poids des boxeuses?

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La pertinence sociale de ma recherche repose sur le fait qu’elle répond à des préoccupations déjà présentes sur le terrain. Dès le début de ma recherche, au moment des observations préliminaires et exploratoires, j’avais remarqué que le contrôle du poids était perçu comme quelque chose de très exigeant et difficile pour les athlètes. En effet, il constitue une préoccupation quotidienne largement discutée entre les athlètes au sein des clubs de boxe (Paradis, 2012). C’est d’ailleurs à partir de cette préoccupation émergeant du terrain que j’ai orienté le choix de mon sujet de recherche.

De plus, se pencher sur les logiques sociales et genrées du contrôle du poids dans le contexte particulier de la boxe s’avère pertinent pour éclairer les représentations liées au poids corporel dans la société en général. Cette recherche se veut ainsi une contribution à la réflexion sur la norme de minceur et sur des manières alternatives de penser le poids.

Du côté de la pertinence scientifique, ma recherche vise le développement d’une meilleure compréhension de ce phénomène social peu documenté afin de contribuer aux champs de la sociologie du sport et des études sur le genre. Aussi, mon étude permet de pénétrer dans l’univers de la boxe qui demeure méconnu de la littérature scientifique. J’espère ainsi pouvoir contribuer à l’avancée des connaissances au sujet des particularités de la boxe au Québec.

Par ailleurs, la plupart des études portant sur le contrôle du poids en milieu sportif s’inscrivent dans un paradigme positiviste et adoptent un discours de prévention des troubles alimentaires dans lequel les attitudes et pratiques liées au poids corporel sont perçues comme un problème à régler (Chapman, 1997; Crissey et Honea, 2006; Scoffier et D’Arripe-Longueville, 2012). Ma recherche rompt avec ce type d’approche en évitant de tomber dans une lecture moraliste et en adoptant plutôt une approche compréhensive qui s’intéresse au sens que les boxeuses donnent elles-mêmes à leurs pratiques.

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Chapitre 2. Orientations théoriques et méthodologiques

Au sein des sciences sociales, certains objets d’études sont perçus comme peu valides ou valables, notamment parce qu’ils seraient moins « pertinents » d’un point de vue sociologique. Bien qu’il soit raisonnable de penser que tous les objets d’études ne se valent pas, les Cultural Studies voient dans cette hiérarchisation de la légitimité et de la validité des objets de recherche, la (re)production d’un ordre culturel dominant au sein des sciences sociales (Hargreaves, 1982). Cet ordre culturel participe à l’invisibilisation voire au mépris des objets et des sujets se rattachant spécifiquement aux cultures populaires. Les Cultural

Studies se caractérisent, au contraire, par un intérêt pour les cultures populaires « snobées »

ou ignorées par les sciences sociales : « By concentrating on the popular realm, cultural studies has rescued the common, everyday experiences of common, everyday people from the disdainful neglect of previous interpretive approaches » (Andrews et Loy, 1993, p. 258). C'est donc en opposition à un certain élitisme académique que ce champ d’études s’est développé.

Le sport, compris comme un domaine de la culture populaire, fait partie de ces objets de recherche trop souvent dévalorisés au sein des sciences sociales (Andrews et Loy, 1993). J’ai d’ailleurs moi-même ressenti un malaise évident à chaque fois que j’ai dû expliquer mon projet de recherche à des collègues universitaires. Néanmoins, l’attention que les

Cultural Studies portent envers les cultures populaires a favorisé l’émergence d’études sur

le sport en tant que pratique culturelle sociologiquement signifiante (Howell, Andrews, Jackson, et Ohl, 2006). Aujourd’hui, les Cultural Studies constituent un champ d’études important autour duquel gravitent les débats et les recherches en sociologie du sport, spécifiquement en ce qui a trait aux pratiques sportives peu diffusées ou marginalisées comme le culturisme, le skateboard et la participation des femmes dans le sport. C’est donc dans la lignée des Cultural Studies qu’a été pensé mon projet de recherche. En alliant science et militantisme, ce champ d’études est porteur d’un projet théorique et d’une sensibilité critiques (Howell et al., 2006) qui visent à légitimer, à revaloriser et à prendre au sérieux les formes culturelles dévalorisées et méprisées.

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Plus précisément, la boxe est une forme culturelle dont la légitimité est souvent remise en question au sein de débats publics polarisés qui émergent à la suite d’incidents tels que la corruption de juges et d’arbitres au sein d’événements sportifs, ou encore le décès d’athlètes au lendemain d’un combat (Courville, 2018; Moreno Esparza, 2011). La santé et la sécurité des athlètes se retrouvent souvent au cœur de ces débats dans lesquels la boxe est signifiée comme étant indigne d’être une discipline sportive, puisque violente, dangereuse, immorale, voire sauvage (Moreno Esparza, 2011) – sans oublier les personnes qui pratiquent ce sport qui sont parfois dépeintes comme insouciantes face aux risques encourus (commotions cérébrales, maladies dégénératives cognitives, etc.) (Rémillard, 2018). La boxe de compétition peut ainsi être pensée comme une forme culturelle dévalorisée, bien que sa forme strictement récréative (c’est-à-dire la boxe d’entraînement et de mise en forme, ou encore, les galas de levée de fond incluant la participation sporadique de personnalités publiques, comme l’actuel Premier ministre du Canada Justin Trudeau) fait plutôt l’objet d’une certaine valorisation dans le discours public. Par ailleurs, des expressions telles que « noble art » et « sweet science of bruising » servent à nommer la boxe de manière positive, pour contrecarrer son image au premier abord « violente » (Moreno Esparza, 2011; Rauch, 1992). La première expression provient, d’une part, des règles bien établies qui structurent les combats de boxe et qui appellent au respect entre adversaires et, d’autre part, de l’esthétisme du style de certainEs pugilistes qui rappelle parfois la danse (Acharian, 2000). La deuxième consiste en un oxymore qui désigne « à la fois la technicité de la boxe et sa rudesse » et qui invite « à voir une certaine sophistication au-delà des apparences les plus frustes » (Beauchez, 2017, p. 97). Pour les adeptes de la boxe, la « violence » de ce sport se situe davantage dans la violation explicite, ritualisée et routinière du tabou de la violence que dans la violence en elle-même (Oates, 2012).

Prenant ancrage au sein des Cultural Studies, ce chapitre vise à mettre en lumière les orientations théoriques et méthodologiques qui ont guidé l’élaboration de cette recherche. Je présente d’abord l’approche compréhensive (section 2.1) qui m’a permis de placer le sens que les boxeuses accordent à leurs pratiques et à leurs expériences vécues au cœur de ma recherche. L’ethnographie (décrite dans la section 2. 5) constitue la méthode que j’ai privilégiée pour récolter le type de données (descriptions des pratiques et leurs significations) me permettant d’inscrire mon projet dans une approche compréhensive. En

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