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Le débat entourant la question du travail des enfants dans une société industrielle : le cas de la ville de Québec de 1885 à 1907

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Le débat entourant la question du travail des enfants

dans une société industrielle : le cas de la ville de

Québec de 1885 à 1907

Mémoire

Marie-Michèle Giroux

Maîtrise en sociologie

Maître ès arts (M.A)

Québec, Canada

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Résumé

La mise au travail des jeunes en industries était pratique courante vers la fin du XIXe siècle et le

début du XXe siècle. Selon les statistiques du recensement de 1901, près de 25 % des enfants ont

déclaré occuper un travail rémunéré dans la ville de Québec. L’instabilité sociale causée par l’industrialisation et l’urbanisation a favorisé cette nouvelle pratique sociale. La situation des jeunes travailleurs suscitait alors de nombreux avis, parfois contradictoires. Il en résulte notamment que le travail en industrie fut longtemps considéré comme un moyen d’apprentissage et d’accomplissement ou comme un moyen d’aliénation et d’esclavagisme. Le débat était alors bien présent : pour ou contre le travail des enfants dans les fabriques ? Pour y répondre, l’approche utilisée dans ce mémoire consiste à mettre de l’avant les représentations sociales de l’enfance, tirées d’une analyse qualitative des périodiques publiés à Québec entre 1885 et 1907.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Liste des illustrations... vii

Remerciements ... ix

Avant-propos ... xi

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I : La construction sociale de l’enfance et ses représentations sociales ... 7

L’approche des représentations sociales ... 8

Le rôle et la place des acteurs dans les représentations sociales entourant un débat ... 10

Les représentations sociales en mouvance ... 11

Les représentations sociales : une image collective ... 12

La relation entre le sujet désirant et le but valorisé : l’importance des idéologies dominantes ... 13

L’importance de la religion et de l’État ... 15

L’étude des formes de représentation des enfants ... 20

Les principes de jugement des relations entre enfants et adultes ... 22

La définition de l’enfance dans le temps : les limites et les lois qui encadrent cet âge de la vie sont étroitement liées à la fois à l’organisation sociale et aux représentations sociales ... 24

Objectifs de la recherche ... 27

CHAPITRE II : Sources et méthodologie de recherche ... 29

Les sources secondaires et primaires ... 29

La recherche de sources primaires : les archives... 31

Le choix des sources primaires ... 32

Le choix d’un espace-temps ... 33

L’étude des journaux : un échantillonnage nécessaire ... 35

Caractéristiques des journaux retenus dans l’échantillon ... 39

Critiques au sujet de l’échantillonnage ... 40

Une grille d’analyse pour recenser les points de vue ... 40

Analyse des données ... 43

Limites de l’étude et problèmes rencontrés ... 44

Synthèse de la démarche ... 46

Biais lorsque l’on se penche sur les représentations sociales ... 49

CHAPITRE III : La ville de Québec en phase industrielle : une ère de changements ... 53

Contexte historique de la ville de Québec ... 53

La politique de la ville : l’idéologie libérale domine les votes ... 54

Quel titre la ville de Québec se méritera-t-elle ? ... 56

La ville de Québec se classe au second rang des villes industrielles canadiennes ... 58

Les changements démographiques ... 59

Une main-d’œuvre docile et abondante ... 61

Les travailleurs sont aussi des enfants ... 62

Prémisses au débat ... 65

À qui revient le droit de légiférer sur la question du travail des enfants ? ... 65

L’Acte des manufactures de Québec ... 67

La confrontation des idéologies et des valeurs ... 70

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Plaidoyer « pour » le travail des enfants ... 74

L’avis des patrons ... 74

Le travail des enfants permet le développement économique de la ville ... 74

Un travail impossible sans les enfants ... 75

Les lois vexatoires ... 77

La responsabilité du père ... 81

L’avis des parents ... 83

Le travail des enfants : une nécessité économique ... 83

Transmission du savoir par le père ... 86

Le travail comme régulateur social ... 89

Plaidoyer « contre » le travail des enfants ... 94

L’avis des médecins et des hygiénistes... 94

Dégénérescence de la race ... 96

La dangereuse promiscuité des sexes ... 97

Les adultes chômeurs en sont les victimes ... 98

La place des enfants est ailleurs qu’à l’usine ... 99

Les enfants aiment jouer; ils sont inconscients du danger ... 100

L’école est essentielle à l’enfant et à la productivité industrielle ... 102

Chacun dans sa cour d’école... 107

Les priorités diffèrent selon l’appartenance ethnoreligieuse et selon le sexe de l’enfant ... 109

La position des Églises : un plaidoyer ambivalent ou franc ?... 117

L’ambivalence de l’Église catholique ... 117

L’Église protestante et ses idéologies prônant l’obligation scolaire et le retrait la main-d’œuvre enfantine... 121

Un débat qui évolue au fil du temps ... 122

CONCLUSION ... 127

Bibliographie ... 137

Documents historiques ... 137

Journaux ... 137

Autres documents d’archives ... 138

Sites internet ... 139

Livres et revues ... 139

Annexe 1 – Articles de journaux retranscrits et codifiés ... 145

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Liste des illustrations

Tableau 1 : Lois limitant le travail des enfants dans les manufactures au Québec ... 36

Tableau 2 : Caractéristiques des journaux retenus dans l'échantillon ... 39

Tableau 3 : Grille d'analyse pour recenser les points de vue ... 42

Tableau 4 : Le travail des enfants de 13-16 ans : portrait ethnoreligieux ... 113

Tableau 5 : Arguments évoqués dans le débat ... 123

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ix

Remerciements

Tout compte fait, la rédaction de ce mémoire s’est échelonné sur près du tiers de ma vie…les premiers mots ont été écrits à Sainte-Anne-de-Beaupré en 2005, dans une maison centenaire perchée dans le cap. Ce sera donc en regardant le fleuve et l’île d’Orléans que je débuterai la rédaction de ce mémoire. Et près de 9 ans plus tard, j’écris ces mots dans une autre maison ancestrale, située près de la chute Kabir Kouba à Loretteville. Au-delà des résidences et des paysages qui ont changé, j’ai accumulé des expériences de travail, des rencontres et des connaissances qui participent, en quelque sorte, à l’aboutissement de ce mémoire.

Je n’ai donc pas l’intention de dresser une liste nominale des gens qui ont contribué, de près ou de loin à la rédaction de ce mémoire. J’aurais trop peur d’en oublier…et parce que je sais bien que les gens importants ne s’en formaliseront pas. Toutefois, je ne dois pas omettre d’exprimer ma gratitude envers mon Directeur de maîtrise, Monsieur Richard Marcoux, pour son accompagnement pédagogique, sa patience et sa compréhension tout au long de mon cheminement scolaire.

Enfin, pour terminer, j’ai l’envie de dépeindre l’image qui s’inscrit comme souvenir marquant la fin de ce projet. Il s’agit de ma « grande » Flavie, âgée de 2 ans et demi, qui vient me chercher dans le bureau en me disant « as-tu fini ta maîtrise maman? ». Bien sûr, elle était accompagnée de mon « petit » Jules qui poussait un trotteur, faute d’être capable de marcher sans aide. En lui répondant « oui », un sourire a illuminé nos visages. Nous étions heureux car cette réponse signifiait que j’allais retourner jouer aux blocs dans le salon. À travers les tours et les ponts de blocs, ma grosse bedaine de femme enceinte créait une belle montagne… Encore ici, je réalise à quel point je sais m’entourer des plus beaux paysages qui soient ! Merci à tous ceux qui les créent, les observent ou les apprécient en ma compagnie. Votre présence et votre support sont irremplaçables. Je vous dois, en partie, la réalisation de ce mémoire.

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Avant-propos

Dans les sociétés occidentales, le travail des enfants est souvent perçu comme étant l’apanage des pays en développement. Il est donc, la plupart du temps, chargé de jugements négatifs et de préjugés. Or, il y a quelques décennies, cette pratique était courante dans les pays industrialisés. Ici même, au Québec, les statistiques démontrent qu’il n’était pas rare de faire travailler les enfants. Alors, que s’est-il passé pour que cette pratique devienne interdite ?

Au début du siècle dernier, les petits étaient notamment mis à contribution dans les fabriques et les ateliers. Les raisons qui étaient alors évoquées afin de justifier l’emploi des enfants étaient nombreuses. Elles l’étaient tout autant que les arguments évoqués afin de contrer cette pratique. Les acteurs de l’époque, avec leurs avis divergents, ont donc alimenté un débat social. Ce débat a contribué à définir la place et le rôle des enfants dans la société industrielle qu’était le Québec d’alors. Par la même occasion, il a contribué à faire émerger l’idée de l’obligation scolaire.

Il convient donc de se pencher sur les arguments évoqués dans ce débat afin de mieux comprendre les représentations sociales ayant eu cours au Québec sur cette question. L’étude des représentations sociales comporte l’intérêt de se pencher sur le jeu des acteurs, sur leur organisation et sur les motivations entourant leur action. Il sera alors possible de découvrir les acteurs impliqués dans le débat, leur rapport de force, ainsi que leurs arguments et actions.

Pour ce faire, le cas de la ville de Québec sera étudié. À l’époque des premières législations visant à encadrer le travail des enfants, les particularités sociodémographiques et historiques de cette ville montrent clairement que l’industrialisation et l’urbanisation battaient leur plein. L’étude du débat ayant eu cours dans la ville de Québec servira à étudier la place et le rôle des enfants dans une société industrielle.

Enfin, cette analyse du rôle joué par les enfants durant la phase de transition d’une économie de type artisan à une économie de type industriel permettra, souhaitons-le, de mieux comprendre et concevoir le travail des enfants d’aujourd’hui. Ainsi, bien que ce travail ait une portée historique, il est

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xii

ultimement souhaité que les lecteurs puissent prendre conscience de la complexité de la question du travail des enfants dans les sociétés industrielles et qu’ils puissent réviser leurs préjugés envers cette pratique sociale.

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INTRODUCTION

En 1901, 30 % des garçons et 16,1 % des filles âgées de 13-16 ans ont déclaré, lors du recensement de la ville de Québec, avoir une activité économique. En d’autres mots, près d’un garçon sur trois et près d’une fille sur six occupaient un travail rémunéré à cette époque dans la ville de Québec1. Malgré cette présence importante des enfants au travail, notamment dans les industries, cette pratique est loin de faire l’unanimité.

Pour certains, le travail des enfants constitue une occasion d’apprendre un métier alors que pour d’autres, ce même travail représente la possibilité pour les patrons d’encourager un esclavage déguisé. En effet, de longues journées de travail dans des lieux souvent insalubres, des tâches dangereuses et des punitions corporelles, font souvent partie du quotidien des enfants travailleurs. D’ailleurs, les voix contre le travail des enfants décrient les mauvaises conditions de travail et leurs effets sur le corps et l’esprit des enfants qui y sont confrontés.

D’autre part, le travail des enfants est dicté par le choix des parents et peut constituer un bon supplément à l’apprentissage scolaire2; d’autant plus qu’il permet un revenu supplémentaire à la

famille.

Toutefois, la liberté de mouvement, le jeu et l’instruction des enfants, prônés par certains, ne semblent pas compatibles avec le travail exigeant qu’est celui des fabriques. Pourtant, la rigueur et les efforts soutenus que les enfants doivent fournir au travail sont également perçus tel un antidote au vagabondage et tel un moyen d’éviter le dévergondage des jeunes.

1D’après les données de recensement de 1901 – pour la ville de Québec. Elles ont été fournies et analysées dans le

cadre du programme de recherche « Population et histoire sociale de la ville de Québec » du Centre interuniversitaire d’Études québécoises (PHSVQ/CIEQ).

2Mélanie Julien, Thérèse Hamel, Richard Marcoux, et André Turmel, Portrait de la fréquentation scolaire dans la ville de

Québec, 1871-1901, colloque Québec-Wallonie : Dynamiques des espaces et expériences francophones, CIEQ et

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2

Ces deux facettes d’une même réalité gagnent à être mieux comprises, car c’est en elles que repose le travail des enfants. Pauvreté et industrialisation ne suffisent pas à expliquer cette réalité sociale; mentalités et perceptions en sont également garantes.

À cet égard, l’historienne belge, Florence Loriaux, constata que c’est sans doute une action combinée de lois, d’innovations technologiques, d’inspections au travail, de l’obligation scolaire et de l’influence des nouveaux courants de pensée qui ont, petit à petit, mené à l’interdiction du travail des enfants dans les fabriques3. Du moins, Loriaux a démontré que la question du travail des enfants

était loin de faire l’unanimité en Europe. De plus, ses recherches permettent de voir de nombreuses similitudes entre le cas de la Belgique et celui du Québec, notamment par rapport aux tâches que l’on confiait aux enfants et sur les mesures législatives ayant été instaurées par l’État4.

Or, même si des similitudes semblent lier la Belgique et le Québec, François Weil parle d’une démarcation culturelle frappante lorsqu’il s’agit d’étudier les représentations sociales liées au travail des enfants5. En se penchant sur le cas des États-Unis, il démontre que les Canadiens français

ayant immigré vers ce pays en 1900 étaient plus déterminés à faire travailler leurs enfants que les immigrants issus de la plupart des autres nationalités. Son étude révèle que les immigrants d’origines ethniques diverses, vivant dans des conditions de vie comparables, n’adopteront pas les mêmes attitudes et pratiques face au travail des enfants dans les manufactures. De ce fait, il n’est pas improbable que l’étude du débat ayant eu cours au Québec permette de découvrir des caractéristiques culturelles propres à la société industrielle québécoise. Pour ce faire, l’étude des représentations sociales sera privilégiée.

L’étude des représentations sociales présente l’avantage de se pencher sur les valeurs, croyances, idéologies, intérêts et idées dans un contexte donné. De plus, la notion de représentation sociale renvoie au groupe et au discours normatif tenu par celui-ci. De fait, cette approche permet de relever

3 Florence Loriaux, (sous la direction de), Enfants-Machines : histoire du travail des enfants en Belgique aux XIXe et XXe siècles. CARHOP-EVO, Belgique, 2000.

4 Renée Joyal, Les enfants, la société et l’État au Québec, 1608-1989. Jalons, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 1999. 5 François Weil, Les Franco-Américains, 1860-1980. Paris, Bélin, 1989.

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3 les arguments ayant eu cours dans le débat, tout en ayant l’avantage de les resituer par rapport au groupe.

De plus, les représentations sociales, par leur fonction normative, permettent de comprendre les mécanismes d’intégration de la nouveauté dans un contexte de changement social. Plus exactement, les représentations sociales serviront à mieux saisir comment les groupes d’acteurs ont pu intégrer les changements survenus dans le monde du travail en phase d’industrialisation et, plus particulièrement, auprès des enfants.

À cet égard, la ville de Québec est un exemple particulièrement fascinant. À la fin du XIXe siècle et

au début du XXe siècle, les transformations, tant sur les plans économiques, politiques que

démographiques, sont majeures. La ville de Québec est plongée dans un vent d’optimisme et de changements. La reconversion de l’économie de la ville contribua largement à initier la plupart de ces changements. Fortement ébranlée par le déclin du commerce du bois et de l’industrie navale, la ville de Québec dut compter sur ses industries afin d’assurer sa « survie ». Toutefois, cela ne se fait pas sans doute et sans tensions. « Progrès, empire, angliciste » et « déclin, français, catholique », « vieux monde » et « Nouveau Monde », « industrialisation » et « romantisme » s’opposent et animent les débats. Ces tensions ne sont pas sans lien avec celui entourant le travail des enfants où se contestent des idéologies contraires.

Déjà, les premières hypothèses poussent à croire que les médecins et philanthropes ont évoqué des opinions et recommandations allant à l’encontre du travail des enfants, alors que les parents et patrons l’auraient plutôt encouragé. De plus, il semble que l’influence des enseignements de l’Église catholique fût considérable dans le monde du travail, mais que la position du clergé sur la question du travail des enfants n’ait pas eu de grands retentissements. Enfin, parallèlement à cela, l’école et la fréquentation scolaire occupent une place centrale dans le débat puisqu’elles semblent être, pour certains, la solution aux inquiétudes liées à l’avenir de la nation.

Le fil d’Ariane de ce travail consiste alors à répondre à cette question de recherche : Quels ont été les arguments ayant servi à justifier ou à s’opposer au travail des enfants en industries ? Pour ce

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4

faire, des témoignages tirés des journaux de l’époque, de rapports sur le sujet, ainsi que sur quelques études déjà menées sur le travail aux XIXe et XXe siècles seront utilisés. L’essentiel du

travail repose donc sur une analyse du discours et se situe dans une perspective qualitative.

Plus exactement, l’étude se consacrera à la période se situant entre 1885 et 1907. Le choix de cet espace-temps s’explique par le fait que la première loi visant à réglementer le travail des enfants – l’Acte des manufactures – a été instaurée en 1885, et parce que l’an 1907 correspond à l’instauration d’une première loi ayant une exigence de formation : savoir lire et écrire pour les moins de 16 ans ou fréquentation des cours du soir.

Afin de valider ou réfuter les hypothèses de recherche énoncées, il s’agira d’analyser et de resituer quelques témoignages et sources historiques de l’époque. L’analyse qualitative ainsi menée permettra d’imager et de comprendre les raisons évoquées par les acteurs impliqués dans le débat entourant le travail des enfants en industries. De plus, quelques données du recensement de la ville de Québec de 1901 seront également mises à profit afin de dresser un portrait plus précis de ce fait social.

Plus exactement, la lecture du chapitre un permettra de mieux comprendre la théorie des représentations sociales. De plus, il sera question de l’enfance comme construction sociale et comme catégorie sociale. De la sorte, les balises théoriques à partir desquelles la question du travail des enfants a été pensée et envisagée seront mieux définies et cela permettra de comprendre les motivations et avenues par lesquelles la recherche s’est effectuée.

Dans le second chapitre, la méthodologie employée sera exposée, de même que les principales limites que comporte ce mémoire. Essentiellement, il sera question de l’historiographie entourant le travail des enfants, de la mise en place d’une stratégie de collecte de données et de la construction d’une grille d’analyse. À cela s’ajoutent les principaux problèmes rencontrés, de même que les principaux biais qu’une analyse qualitative basée sur le contenu d’archives peut contenir.

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5 Au chapitre trois, le contexte social ayant eu cours dans la ville de Québec à la fin du XIXe siècle et

au début du XXe siècle sera abordé. Plus exactement, il sera question des changements d’ordre

politique, démographique, et ceux ayant eu cours dans le secteur de l’emploi.

Enfin, le dernier chapitre se consacra à l’analyse des données recueillies. Dans un premier temps, les arguments en faveur du travail des enfants seront présentés. Par la suite, les arguments contraires seront explicités et enfin, certaines ambivalences seront mises en lumière.

Pour conclure, les valeurs associées à l’enfant selon la place qu’on lui accordait à l’époque – soit celle liée au statut de travailleur ou celle liée au statut d’étudiant ou d’enfant à la maison – seront révélées.

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CHAPITRE I : La construction sociale de l’enfance

et ses représentations sociales

Les représentations sociales, comme le mentionnait Weber, permettent d’expliciter la signification des valeurs qui guident les choix sociaux6. Or, la notion d’enfance est considérée, en sociologie,

comme une construction sociale7. Sa définition revêt alors un caractère variable et est sujette à une

redéfinition lorsqu’il y a des transformations sociales; cela implique généralement que soient faits des choix sociaux8. À cet égard, Jenks soutient d’ailleurs que l’enfance est une forme structurelle,

qui ne disparaît jamais, bien que ses membres changent constamment, et dont la forme évolue historiquement9.

En bref, si ces préceptes sont retenus et acceptés, la notion d’enfance est variable selon le temps et l’espace et elle se modifie au gré des transformations sociales. Pour comprendre son statut, les représentations sociales permettent au chercheur de saisir les valeurs ayant influencé les choix sociaux. Ces valeurs désignent ainsi une relation entre le sujet désirant et le but valorisé10. Enfin, ces choix sociaux servent à déterminer et définir la place et le rôle des enfants dans une société donnée. Cela s’explique par le fait que les adultes qui entourent les enfants ont des représentations de l'enfance. Celles-ci sont liées à des préoccupations centrales de toute société : son avenir, la solidarité, la filiation et donc le sens de la vie ensemble. L'examen de l'enfance, en tant que représentation, permet de comprendre la manière dont une société se représente son action envers les enfants et donc sur elle-même.

6 Encyclopédie de la philosophie (trad. et adap.), La Pochothèque, 2002, p. 1673.

7 Allison James et Alan Prout (eds), Constructing and Reconstructing Childhood. Contemporary Issues in the

Sociological Study of Childhood, London, Falmer Press, 1990.

8 Pascale Garnier explique à cet effet que « à force d’être placée devant nos yeux, bien en évidence, cette catégorie

d’âge qu’est l’enfance nous paraît aller de soi. Elle s’impose à nous tout naturellement pour traiter de l’histoire du travail des enfants et nous oublions du même coup qu’elle a été produite par les acteurs de l’époque. Nous avons perdu de vue qu’elle est un enjeu fondamental de leurs débats et le résultat d’opérations multiples de mise en forme et de

catégorisation des ouvriers selon leur âge.», 1995, p. 109.

9 C. Jenks, The sociology of Childhood, Aldershot (UK), Gregg Revivals, 1982, éd. 1997.

10 André Akoun et Pierre Ansart (sous la direction de), Dictionnaire de sociologie, Éditions Le Robert / Seuil, 1999,

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L’approche des représentations sociales

À la lecture de nombreux travaux sur les représentations sociales, on relève comme Doise11 qu’il est

difficile de dégager une définition consensuelle chez les auteurs qui utilisent cette notion. Cette difficulté tiendrait, selon Moscovici, à « sa position ―mixte‖ au carrefour d’une série de concepts sociologiques et d’une série de concepts psychologiques.12 »

Mais alors qu’est-ce qu’une représentation ? Comme le soutient Denise Jodelet, une représentation sociale est « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.13 » Il s’agit

d’un système de savoirs pratiques, alimentés par les opinions, les images, les attitudes, les préjugés, les stéréotypes et les croyances. Ce système prend forme dans des contextes d’interaction sociale et est marqué par sa forme et son contenu, de même que par la position sociale ou idéologique de ceux qui y adhèrent14.

On peut alors s’interroger sur les mécanismes qui sont à la base de la formation et du fonctionnement de la représentation sociale. Selon Jean-Marie Seca, il s’agirait d’une forme de savoir collectif. Ce dernier étant alimenté par les conversations quotidiennes et en lien avec les circonstances culturelles et historiques. Ce savoir permettrait aux individus de se persuader d’être « dans le vrai » et de trouver consensus auprès des individus de leur entourage15. D’une part, la

représentation sociale participe à l’organisation signifiante du réel en assurant une orientation des conduites et des comportements, de même qu’en justifiant les prises de position et de décision.

Travailler sur les représentations sociales, c’est donc : « observer comment cet ensemble de valeurs, de normes sociales, et de modèles culturels, est pensé et vécu par des individus de notre

11 W. Doise. « Les représentations sociales : définition d’un concept ». Connexions, no 45, 1985, pp. 243-253. 12 Serge Moscovici. Social influence and social change, Academic Press, 1976, p. 39.

13 Denise Jodelet. Les représentations sociales. Paris : PUF, 1994, p. 36.

14 Jean-Marie Seca. Les représentations sociales, collection Cursus, Paris, 2001, p. 11. 15 Ibid., p. 13.

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9 société; étudier comment s’élabore, se structure logiquement, et psychologiquement, l’image de ces objets sociaux.16»

De ce fait, la théorie des représentations sociales en sociologie a la particularité de permettre de prendre en compte le rôle et la place des idées au sein d’une société donnée, et ce, dans un rapport de structuration et de changement social.

Parmi les sociologues ayant traité de cette notion, Durkheim et Weber montrent bien à quel point les représentations sociales peuvent servir à bien comprendre un débat social, comme celui entourant la mise au travail des enfants en industries.

Parce que Durkheim a insisté sur la dimension collective des représentations mentales, c’est évidemment à son œuvre qu’on rattache la source première de la notion des représentations sociales. Selon Durkheim, la société forme un tout, une entité originale, différente de la simple somme des individus qui la composent. C’est le principe de l’extériorité. Les faits sociaux sont extérieurs à l’individu. En parlant de représentation sociale ou collective, Durkheim fait apparaître une idée de contrainte sur l’individu : la représentation impose à l’individu des manières de penser, d’être et d’agir, et se matérialise dans les institutions sociales au moyen de règles sociales, morales et juridiques. L’individu serait donc lié aux représentations sociales dominantes du groupe auquel il s’identifie. Dans le cas d’un débat, la dialectique des idées et des actions serait donc le fruit de regroupements d’individus ayant des représentations sociales divergentes à propos du sujet débattu.

Cependant, même si Durkheim fut le premier à énoncer sa théorie des représentations collectives, il convient de dire que « cette notion est l’héritière de la double tradition durkheimienne et weberienne, par l’intermédiaire notamment de Halbwachs pour l’une et à travers la sociologie de l’action sociale et l’interactionnisme symbolique pour l’autre.17 »

16 Herzlich, Santé et maladie. Analyse d’une représentation sociale. Paris, Mouton, 1969.

17Guy Rocher, « Les représentations sociales: perspectives dialectiques », Social Science Information, Vol. 41, #1, 2002.

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10

Pour Weber, les représentations sociales exercent une action historique certaine. Il a notamment montré comment des représentations du monde et de l’autre monde, inspirées par des théodicées, ont produit et continuent toujours de produire des idéologies et des actions individuelles et collectives variées et parfois antithétiques. Le cas classique, le plus savamment analysé, est évidemment celui des conduites économiques d’accumulation du capital, produites par une éthique ascétique issue du puritanisme18. L’action sociologique et historique des représentations peut donc

se dévoiler de manière complexe, à travers des avenues inopinées, dans une dialectique entre, d’une part, des représentations sociales et, de l’autre, les éthiques et les conduites qu’elles animent.

Ainsi, les représentations sociales doivent être considérées en lien avec les autres facteurs qui agissent conjointement et souvent en interaction avec les représentations elles-mêmes. D’après Guy Rocher, « c’est ainsi que l’on peut dire, par exemple, que le capitalisme occidental a sans doute été influencé par des idées religieuses, mais celles-ci n’auraient pas eu les effets connus sans l’action de conditions économiques déjà en place.19 » De nouvelles dialectiques se révèlent alors par

les réalités empiriques qu’il nous est donné d’observer.

Le rôle et la place des acteurs dans les représentations sociales

entourant un débat

Pour bien comprendre le rôle et l’action des représentations sociales, il est impératif de se reporter aux acteurs et à leur action, c’est-à-dire aux créateurs et porteurs de représentations sociales et à l’usage qu’ils en font. Comme le mentionne Guy Rocher,

il ne s’agit pas, bien sûr, de nier les effets entraînés par certaines grandes révolutions, effets à très long terme et en profondeur. Cependant, m’étant depuis longtemps efforcé de comprendre et d’expliquer le changement social, je considère que celui-ci est aussi le résultat de multiples réformes, menées à différents niveaux de la société, soit sur une grande échelle — réformes qui atteignent toute une société, tout un pays — soit à petite ou moyenne échelle — réformes menées au sein d’une entreprise, d’une

18 Guy Rocher, op.cit., 2002, p. 3.

19 Guy Rocher, « Le lien social et les réformes », Bulletin de l’Association internationale des sociologues de

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11 institution, d’un parti, d’un mouvement social. Les réformes offrent au sociologue un chantier multiple et varié, ouvert à l’analyse de la dynamique sociale. 20

Dans la présente étude, il est primordial d’établir les raisons qui laissent croire que la révolution industrielle est liée à une révolution de l’image de l’enfant. La dynamique sociale, telle qu’avancée par Dumont, est donc liée à des transformations sociales – à l’idée que la société n’est pas immuable.

Les représentations sociales en mouvance

Cela est notamment possible, car tous les acteurs d’une société ne partagent pas les mêmes représentations sociales. De plus, chaque représentation sociale est une forme de pensée évolutive, en mouvement et en construction. Cela fait en sorte que les avis dans un débat peuvent diverger et se modifier au fil des interactions. Évidemment, dans le cas du débat entourant le travail des enfants, les représentations sociales permettront de mieux comprendre les avis évoqués, mais également pourquoi certains enfants travaillent, alors que d’autres ne le font pas et enfin, pourquoi les discours évoluent dans le temps.

Cela s’explique parce que la représentation sociale a une fonction cognitive lorsqu’il y a intégration de la nouveauté. De fait, la représentation sociale doit être prise dans un contexte – soit « un assemblage de références sémantiques et cognitives qui varie selon les finalités et les intérêts des acteurs sociaux qui tentent de maîtriser leur environnement et leurs relations avec autrui.21 » Par

exemple, cet aspect explique l’adhésion ou la réfutation des acteurs aux lois lorsqu’elles furent adoptées. C’est également le cas en ce qui concerne les nouvelles conditions de travail créées par l’implantation de nouvelles fabriques.

Les circonstances externes, dans lesquelles les acteurs évoluent, contribuent énormément à modifier les représentations sociales. Les conditions d’existence des individus se modifient et conséquemment, les conduites et les pratiques habituelles changent aussi. Autrement dit, la

20 Guy Rocher, op.cit., 2000, p. 121-129. 21 Jean-Marie Seca. op cit., p. 11.

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12

modification des circonstances externes génère des pratiques nouvelles. Ainsi, les nouvelles pratiques, lorsqu’elles deviennent fréquentes, activent les schèmes cognitifs et lui donnent une importance accrue. Ultimement, cela donne lieu à une transformation progressive et sans rupture de la représentation. Pour ce faire, il faut que l’événement soit particulièrement impliquant pour le groupe. Il faut également que les conséquences de l’événement puissent être saisies comme irréversibles22.

De fait, la nouveauté, du point de vue technique ou juridique implique un remaniement des forces et contraintes émanant de la société. Dans le contexte de l’industrialisation, nombreux sont les changements dans l’environnement des individus – et leur caractère irréversible est évident. Ainsi, la place de l’enfant dans une société en phase d’industrialisation change à mesure que les connaissances sur l’enfance se développent et à mesure que l’individu tente de maîtriser les éléments de nouveauté qui apparaissent dans son environnement.

Pour Moscovici, cette caractéristique des représentations sociales est possible grâce à un processus qu’il nomme l’ancrage. Plus exactement, cela permet de rendre familier ce qui est nouveau, en se servant de ses a priori. Par exemple, une nouvelle réalité sera interprétée à partir des références antérieures et dominantes d’un groupe. Ces références sont alors considérées comme un ensemble de conceptions premières, d’idées-forces, voire d’archétypes. Elles sont à l’origine du discours mené par le groupe23.

Les représentations sociales : une image collective

Qui plus est, la représentation sociale constitue et renforce l’identité des groupes en tant que mode de connaissance et comme système d’interprétation de la réalité. Cette fonction est, selon Serge Moscovici et Georges Vignaux, liée à l’intégrité normative du groupe24. La représentation sociale est

22 Michel-Louis Rouquette et Christian Guimelli, « Sur la cognition sociale, l’histoire et le temps », In Structures et

transformations des représentations sociales, sous la dir. de Christian Guimelli, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1994,

p. 262-265.

23 Dans son ouvrage paru en 1982, Holton utilise le terme « thêmata » afin d’y faire référence.

24 Serge Moscovici et Georges Vignaux, « Le concept de Thêmata », In Structures et transformations des

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13 générée collectivement et elle se réfère à ses valeurs, ses croyances et ses intérêts. Elle contribue donc à la spécificité du groupe – elle permet la différenciation du groupe vis-à-vis les autres25.

Selon ce principe, les représentations sociales génèrent des prises de position. Évidemment, cela vient donner lieu aux deux partis en opposition – les acteurs en faveur et ceux en défaveur du travail des enfants. Cet aspect est également intéressant à mettre en perspective lorsqu’il est question des groupes comme les syndicats et le patronat ou encore, les catholiques et les protestants.

La relation entre le sujet désirant et le but valorisé : l’importance

des idéologies dominantes

C’est ainsi que se pose l’apport des idéologies dominantes. Puisque les représentations sociales se présentent comme un jeu de dialectiques plus ou moins influencées et influençables, il en résulte que les idées proposées par le groupe le mieux pourvu et structuré ont davantage de chances d’être retenues. C’est pourquoi les meilleures idées ne sont pas toujours celles que l’on préconise. De façon générale, le groupe ayant le plus d’influence a donc la possibilité de prendre une plus grande place dans le débat. C’est donc à travers les discours et les savoirs sur l’enfant que les adultes parviennent à faire circuler des messages qui reflètent les rapports de pouvoir et de domination présents dans la société. De plus, se crée simultanément une capacité de représentation et de production du réel dans un double jeu d’occultation et de sélection qui structure, codifie, investit et interprète la place de l’enfant26. Il appartient donc au chercheur de trouver la diversité des opinions

et de prendre en considération toutes les voix du débat.

Dès lors, il s’agit de comprendre les jeux de pouvoir et les rapports de force entre les différents acteurs impliqués dans la réforme. C’est de cette façon que le sort réservé à cette réforme mènera à son adhésion ou à son échec. À cet égard, les institutions jouent un rôle primordial. Selon Guy Rocher, « les représentations sociales prennent vie dans et par les institutions, tout comme elles

25 Christian Guimelli (sous la direction de), Structures et transformations des représentations sociales, Delachaux et

Niestlé, Lausanne, 1994, p.13.

26 Ana Nunes De Almeida, « La sociologie et la construction de l’enfance. Regards du côté de la famille », In Éléments

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peuvent aussi y perdre leur vie. Ce sont elles qui donnent signification et vie aux institutions sans que l’institution change, comme elles peuvent aussi vider une institution de son sens et la couper de toute réalité.27 »

Il poursuit sa réflexion en se basant sur le principe que les représentations sociales émanant des institutions sont généralement intériorisées, puisque normatives, sans équivoque et parce qu’elles sont présentées par des « spécialistes » ou des acteurs ayant une expertise légitimée par la majorité. Par la suite, la dynamique – parfois lente – engage une évolution par les individus qui en font une représentation sociale dite populaire. Ultimement, la représentation sociale s’enracine et objective afin d’être intégrée dans une réalité de « sens commun »28.

Toutefois, cette dynamique n’est pas infaillible! Par exemple, dans certains cas, les représentations sociales judiciarisées peuvent aller au-delà de l’opinion publique majoritaire. La réglementation au sujet du travail des enfants subira notamment ce sort lors de son implantation. Les parents, malgré les restrictions imposées par la loi, seront nombreux à favoriser la mise au travail de leurs enfants – allant jusqu’à mentir sur l’âge de leur enfant ou en déjouant les inspecteurs en fabrique. Leurs motivations personnelles et leur conception de la place de l’enfant n’étaient pas liées à celles imposées par l’État. Du moins, les lois n’étaient pas acceptées unanimement et nombreux étaient ceux et celles qui la contournaient ou l’ignoraient volontairement. Dans cet exemple, la représentation dite populaire, malgré ses divergences avec la représentation sociale institutionnalisée, continue d’avoir des adeptes et cela fait en sorte que la loi ne semble pas légitime pour tous29.

27 Guy Rocher, op.cit., 2002, p. 6. 28 Christian Guimelli, op.cit., 1994, p. 14.

29 André Turmel démontre bien, en se servant du champ médical, que les parents n’obéissent pas toujours aux

scientifiques afin de poursuivre des pratiques domestiques jusqu’alors bien ancrées dans la routine familiale. En ce sens, la continuité semble parfois primer sur la discontinuité imposée par les experts. (2013; p. 66.)

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15 Cela fait donc dire à Turmel que « la transparence du discours ou l’immédiateté de l’enfant/objet empirique doivent être remises en question.30 » Il y a donc un lien entre l’enfant discursif et

empirique. Cela s’explique, entre autres, par la dialectique entre les représentations sociales populaires et celles qui sont institutionnalisées. Cela est également vrai pour les institutions politiques, religieuses, économiques et familiales. Dans le cas de la question entourant le travail des enfants, cet aspect prend toute son importance, car la dialectique psychologique des individus est occultée, voire quasi impossible à documenter. Enfin, cette question mène à s’interroger sur la place qu’occupent certaines idéologies lorsqu’il y a absence de consensus.

Plus exactement, Hamel et Larocque prétendent que la structure familiale évolue en ce début du XXe siècle, plus particulièrement en ville. Cette évolution permet de redéfinir le rôle des membres de

la famille, et ce, en dehors des murs de la maison. Elles expliquent ce fait ainsi : « on cherche donc à développer un modèle de famille urbaine qui convienne à la fois à l’idéologie conservatrice et clérico-nationaliste et à la vision réformiste d’une bourgeoisie féminine libérale.31 »

L’Église et l’État ont donc un rôle indéniable quant à la formation et à la diffusion des idéologies qui prévalent à cette époque.

L’importance de la religion et de l’État

Dans l’étude des rapports de force ayant eu cours au XIXe siècle, tant chez les protestants que chez

les catholiques, la religion occupe une place importante. Par son influence sur les croyances des citoyens, de même que sur leurs attitudes et valeurs collectives, la religion est un agent de socialisation incontournable. D’ailleurs Fernand Dumont affirme au sujet de la religion que « des leaders, même incroyants, ne pouvaient manquer de reconnaître que la religion était un facteur essentiel de la solidarité sociale et un élément fondamental de la nation canadienne-française dans

30 André Turmel, Une sociologie historique de l’enfance, pensée du développement, catégorisation et visualisation

graphique, Presses de l’Université Laval, 2013, p. 37.

31 Marie-Josée Larocque et Thérèse Hamel, « L’école dans la cité », in Atlas historique du Québec : Québec, ville et

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16

sa différenciation avec l’Anglais.32 » En ce sens, la religion, autant catholique que protestante,

marquait deux mondes quasi imperméables l’un à l’autre.

Plus exactement, tel que révélé par Linteau, Durocher et Robert : le recensement de 1871 fait ressortir près d’une quarantaine de religions différentes. Par contre, de ce lot, la religion catholique est largement représentée et prédomine. Le catholicisme est pratiqué chez plus de 85 % des Québécois. Pour sa part, la minorité protestante se répartit dans 34 sous-confessions réformées et représente environ 14 % des citoyens au Québec33.

Incidemment, le réseau protestant est beaucoup moins centralisé que le réseau catholique. Cela s’explique notamment par le fait qu’il doit tenir compte des différentes confessions réformées et ainsi afficher un peu moins son caractère religieux. De plus, les Églises protestantes entretiennent des liens avec d’autres institutions apparentées siégeant dans les autres provinces, de même qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Les Églises protestantes du Québec font donc partie d’un vaste réseau où de nombreuses confessions et sous-confessions se côtoient. Par exemple, en 1891, 88 % de l’ensemble des protestants québécois se retrouvent dans les trois confessions suivantes : les Anglicans, les Presbytériens et les Méthodistes. Par contre, ces mêmes confessions sont souvent divisées en sous-confessions. C’est surtout le cas pour les presbytériens et les méthodistes qui cumulent un nombre important de sous-confessions. Toutefois, un mouvement unitaire permettra de diminuer le nombre de sous-confessions protestantes à 13, en 189134. Malgré leurs disparités, les

confessions protestantes s’accordent principalement à reconnaître l’importance de la piété individuelle et de la Bible, de même que l’implication des laïcs, notamment dans les œuvres de charité ou de bénévolat35.

32 Fernand Dumont, « Idéologies au Canada français, 1850-1900 : quelques réflexions d’ensemble », Recherches

sociographiques, vol. 10, numéro 2-3, 1969, p. 155-156.

33 Linteau, Durocher, Robert, Histoire du Québec contemporain : de la confédération à la crise, Éditions Boréal,

Montréal, 1989, p. 255.

34 Rappelons qu’en 1871, elles étaient 34. 35 Linteau, Durocher, Robert, op.cit., p. 257.

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17 De fait, l’organisation ecclésiale protestante laisse davantage de place aux citoyens laïcs. Cela fait en sorte que les différents organismes chapeautés par les Protestants sont moins liés ouvertement à une religion que leur contrepartie catholique36.

Pour leur part, les catholiques jouissent d’un statut particulier en raison de leur position majoritaire. D’ailleurs, la place du clergé catholique fera un bond spectaculaire au cours du XIXe siècle, passant

de 500 à 2000 clercs entre 1840 et 1880. Enfin, le nombre de prêtres fait plus que doubler entre 1860 et 189037. Selon Dumont, « cela sans doute explique leur emprise sur la société et sur ses

idéologies.38 »

Cette augmentation du nombre de clercs se déploie, notamment, par la mise en place d’une structure étatique qui favorise l’influence de l’Église. Cette structure, rendue possible lors de la Confédération, laisse aux provinces les compétences que l’Église privilégie, telles que l’éducation, la santé et la propriété. De plus, l’avènement d’une nouvelle assemblée législative permet la présence d’un grand nombre de catholiques. Conséquemment, l’influence de ces derniers sera à la hausse. D’ailleurs, certains clercs tentent d’utiliser la force de l’Église catholique pour intervenir dans le jeu électoral. Le réseau des paroisses et des diocèses forme un instrument puissant de communication. De fait, l’Église catholique peut, à bon escient, centraliser l’information ou la disséminer. Voilà l’une de ses principales puissances39. Cela fait dire à Linteau, Durocher et Robert au sujet de l’Église

catholique que « son action déborde à un point tel que le domaine religieux qu’elle devient rapidement, vers la fin du siècle, un élément tout à fait indispensable dans la vie sociale québécoise.40 »

D’ailleurs, rapidement, l’Église catholique développera des moyens d’encadrement afin de se rapprocher des fidèles. Par exemple, le clergé catholique encouragera les manifestations de piété populaire41, il multipliera les lieux de pèlerinage et créera des associations de charité ou d’entraide.

36 Ibid., p. 230. 37 Ibid., p. 261.

38 Fernand Dumont, op.cit., 1969, p. 156. 39 Linteau, Durocher, Robert, op.cit., p. 260-261. 40 Ibid., p. 60.

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18

Les communautés religieuses s’immisceront également dans les relations entre petite bourgeoisie et bourgeoisie, où les rapports de dépendance sont alors évidents : les marchands locaux s’approvisionnent auprès des grossistes qui leur fournissent la marchandise et le crédit nécessaire au bon fonctionnement de leur commerce. Or, « par son contrôle des institutions locales, par l’encadrement idéologique de sa population, la petite bourgeoisie joue un rôle important dans le maintien de la paix sociale et de la stabilité des institutions. À cet égard, le clergé exerce une action particulièrement importante et met volontiers son influence au service des grands entrepreneurs.42 »

Cela s’explique par le fait que les institutions religieuses, menées par des gens issus de grandes familles, disposent de ressources financières importantes. Ces ressources leur permettent d’effectuer des investissements considérables au sein des compagnies prometteuses.

Les institutions religieuses investissent donc dans des entreprises et servent même d’institutions de crédit à de nombreuses occasions. Le plus grand bénéfice que les communautés religieuses en retirent est celui d’obtenir une main-d’œuvre abondante et peu coûteuse, issue des familles nombreuses où le recrutement de religieux et de religieuses est encouragé43. Cette dynamique crée

un sentiment de redevance auprès des fidèles et cela tend à alimenter à nouveau l’influence de l’Église. Il s’agit là d’un cercle vicieux servant à maintenir et renforcer la place de la religion catholique au sein de la population.

En plus de cela, le clergé catholique contrôle une part de l’information qui circule, puisqu’il est responsable de la création de journaux consacrés à transmettre les positions catholiques en lien avec les diverses préoccupations sociales. Par exemple, dans le journal La Vérité est véhiculée l’idée selon laquelle « tous les partis doivent s’entendre pour entourer la religion du même respect.44 » Évidemment, il n’est ici question que de la religion catholique!

Qui plus est, ces journaux s’affairent à promouvoir la droite ultramontaine « laquelle aura finalement le dernier mot, dictée par le clergé triomphant imperméable aux changements de l’économie et de

42Linteau, Durocher, Robert, op.cit., p. 193. 43 Ibid., p. 193

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19 toute l’infrastructure.45 » À ce courant idéologique s’opposait celui du libéralisme. Ce dernier, déjà

présent chez les Anglophones depuis la fin du XVIIIe siècle se base sur l’expression des valeurs

telles que la primauté de la propriété privée, de même que sur l’individualisme. Dans cette perspective, la propriété privée est considérée comme la source du progrès matériel et du bonheur individuel. Au tournant du XXe siècle, il sera surtout prôné par les hommes d’affaires et les hommes

politiques, indépendamment de leur confession religieuse46.

À ce même moment, les tensions s’apaisent et la méfiance envers le libéralisme tend à diminuer dans certains milieux catholiques. Dans l’ensemble, le clergé catholique s’inspire de Léon XIII, jugé beaucoup moins hostile envers les idées libérales, allant même jusqu’à orienter l’Église dans une voie de conciliation. L’évolution économique et démographique de la province incite également à accepter des mutations sociales et idéologiques liées au développement du capitalisme. Force est de constater que « l’Église catholique exerce une influence importante dans certains domaines, mais elle a peu de prise sur la vie économique et elle ne peut pas prétendre contrôler les décisions de l’État. C’est là l’ultime limite de sa puissance.47 »

D’ailleurs, dans le monde des affaires, les industriels sont eux-mêmes largement représentés dans la classe politique et sont peu enclins à s’exposer eux-mêmes à des conditions qui leur paraissent contradictoires avec l’idée de profit et de rentabilité. Ils ne se préoccupent guère des conditions de travail de leurs employés, à moins qu’ils y voient un intérêt électoral. En d’autres mots, le libéralisme qui prévaut laisse peu de place aux interventions étatiques dans le monde du travail48. Notamment,

en affirmant l’égalité, l’idéologie libérale rejette la plupart des solutions collectives.

Face à ces deux courants idéologiques, soit celui des ultramontains et celui des libéraux, on assiste à une cohabitation et à des accommodements. Cela s’explique, notamment, par le fait que les libéraux acceptent, de façon générale, d’éviter toute attaque envers l’Église catholique. La raison

45 Jean-Charles Falardeau, « Propos sur les idéologies », Recherches sociographiques, vol. 17, no 3,

septembre-décembre, 1976, pp. 393-402.

46 Linteau, Durocher et Robert, op.cit., p. 345-346. 47 Ibid., p. 267.

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20

évoquée est la suivante : cette dernière assure un ordre social favorable au monde des affaires. Puisque l’Église catholique accepte les principes de propriété privée, les libéraux s’en réjouissent et bâtissent leur action sur cet accord fondamental. Pour leur part, les ultramontains doivent cohabiter avec la présence des Angloprotestants, ce qui restreint leur perspective d’une soumission de l’État à l’Église catholique49.

Enfin, ces accommodements démontrent que l’expression des idées dans la société québécoise ne peut se résumer à deux modèles stricts et immuables. Ces deux courants idéologiques fournissent plutôt un cadre général servant aux réflexions des penseurs et des personnages publics de l’époque. C’est donc à partir de ces courants idéologiques que les arguments évoqués dans le débat sur le travail des enfants dans les manufactures prendront leurs racines. Mais avant d’en arriver là, il est primordial de s’attarder à ce qu’est un enfant, d’un point de vue sociologique.

L’étude des formes de représentation des enfants

L’intérêt à étudier les formes de représentation des enfants est maintenant reconnu. Jusqu’à tout récemment, l’enfance était considérée, comme relevé par André Turmel, tel un « objet impensable.50 » L’hypothèse première qui explique ce fait est la suivante : la psychologie adopte

historiquement les thèmes liés à l’enfant alors que la sociologie s’intéresse à la famille. Cet accord implicite entre ces deux disciplines a mené à une division des champs d’intérêts et de compétences et a fait en sorte que la sociologie de l’enfance a été occultée51. Toutefois, bien que la sociologie ait

longtemps ignoré l’enfance ou l’ait mise à l’écart, il est maintenant admis que l’enfant occupe une place indéniable dans la société, notamment par le fait qu’il est fortement impliqué dans le processus de formation identitaire de l’individu. De fait, il est socialisé par les agents de socialisation les plus marquants.

49 Ibid., p. 347.

50 André Turmel, op.cit., 2013, p. 18. 51 Ibid.

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21 À cet égard, la famille reste et restera l’agent de socialisation le plus important dans l’existence d’un individu – à cela s’ajoutent également le monde du travail, les médias, les groupes religieux et les pairs, pour n’en nommer que les principaux. À partir de ce constat, il est alors nécessaire de considérer l’enfant comme un acteur social à part entière puisqu’il évolue au sein de toutes les instances de socialisation, mais également, parce que ces institutions orientent leur enseignement et leurs obligations en fonction de l’image qu’elles attribuent aux enfants. En d’autres mots, ces institutions travaillent de concert avec la représentation sociale qu’elles se font au sujet de l’enfance.

Attention, il ne s’agit pas ici de prendre l’enfant comme un récepteur passif! Tel est le piège à éviter lorsque la socialisation de l’enfant est abordée. Margaret Mead a notamment démontré que la socialisation est un processus interactif qui se fait de façon bidirectionnelle. André Turmel propose même l’analogie du réseau lorsqu’il aborde la socialisation52. Conséquemment, nous sommes bien

loin du modèle de la seringue hypodermique prônée comme mécanisme de la communication ou encore, comme l’exprime Turmel : « d’une cruche vide à remplir.53 » C’est par l’interaction entre les

différents acteurs que la place de l’enfant s’inscrit dans le changement social. À cet égard, les enfants ne sont pas mis à l’écart. Ils jouissent d’une capacité d’action et ils sont compétents dans leur propre univers de vie54. D’ailleurs, c’est parce qu’il en est ainsi qu’un débat autour de la place

de l’enfant s’est développé.

D’ailleurs, il semblerait que l’enfant soit de plus en plus tôt mis en relation avec d’autres agents socialisateurs, notamment parce qu’il est appelé à travailler à un âge précoce. Il aurait alors à vivre l’expérience d’une nouvelle dynamique structurant activement son identité. Cela permettrait, par ailleurs, de le confronter à un éventail de places concurrentielles d’acquisition et de développement de rôles, de compétences, de savoirs et de perceptions sur le monde. En ce sens, l’enfant jouit

52 André Turmel, op.cit., 2013, p. 48. 53 Ibid., p. 23.

54 Par exemple, il était fréquent que les enfants travaillant dans les usines aux États-Unis fassent la grève. Il est donc

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22

d’une capacité d’action, du moins, c’est ce que prétendent Ana Nunes De Almeida55 et André

Turmel56.

L’étude des représentations de l’enfance permet donc de tracer l’évolution, le changement et le regard social que la société a portés sur cette catégorie d’individus. C’est, en quelque sorte, d’après Cléopâtre Montadon, la perspective « de l’enfant socialement construit ». Soit celle qui consiste à analyser les discours et les pratiques sociales qui concernent les enfants afin de comprendre les constructions sociales et perspectives liées à l’enfance57. Enfin, cette approche permet de dégager

le savoir dominant, ses logiques comparatives, de même que les rapports d’inégalité et de pouvoir entre les groupes concernés.

Les principes de jugement des relations entre enfants et adultes

D’après Marie-José Chombart de Lauwe, les représentations de l’enfant peuvent constituer un excellent point de repère quant au système de valeurs et des aspirations d’une société. Elles caractérisent autant ceux qui les expriment et surtout qui les créent que ceux qui sont désignés. Cette constatation est valable pour la représentation de tout objet, mais celle de l’enfant a l’avantage de concerner le passé de chacun, son futur dans sa descendance, et l’avenir de chaque groupe humain. Qui plus est, l’enfance est liée au concept de totalité – c’est-à-dire que l’enfant est d’abord et avant tout un être humain. En ce sens, l’enfance et la personne sont liées, elles sont figure de la vie et il serait malaisé de les percevoir autrement58.

Toutefois, jusqu’à une époque récente, il n’existait pratiquement pas de documents écrits par des enfants. Par conséquent, l’histoire de l’enfance est surtout à travers le regard que les adultes ont porté sur les enfants. Ainsi, il ne faut pas oublier que l’étude des formes de représentation des

55 Ana Nunes De Almeda, op. cit., p. 120. 56 André Turmel, op.cit, 2013, p. 36 et p. 45-48.

57 Cléopâtre Montadon, « De l’étude de la socialisation des enfants à la sociologie de l’enfance », In Éléments pour une

sociologie de l’enfance, sous la direction de Régine Sirota, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2006. p. 47. 58André Turmel, op.cit. 2013, p. 35.

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23 enfants par des adultes s’attache à la fois aux différentes façons des acteurs de se représenter les enfants et de les représenter auprès d’autres acteurs. Ceci fait dire, à Pascale Garnier :

dans le premier sens, elle porte sur les partages que font les acteurs entre ce qui est de l’ordre des faits réels et ce qui est de l’ordre d’une perception particulière des faits, d’un point de vue de leur observateur. Dans son deuxième sens, elle concerne la capacité des adultes à défendre l’intérêt propre des enfants et à s’en faire les porte-parole auprès des autres adultes. Le travail de jugement des acteurs est indissociable d’une légitimité des adultes à parler au nom des enfants ou à leur donner la parole. Elle est elle-même un formidable enjeu de luttes et l’objet d’un permanent travail de dévoilement.59

Néanmoins, il ne faut pas omettre de souligner que défendre les « seuls » intérêts de l’enfant c’est occulter les intérêts des adultes. En ce sens, les arguments évoqués par les adultes lorsqu’ils prennent position sur la place et le rôle des enfants cachent souvent leurs propres intérêts d’adulte. Il y aura certes, dans le débat, des arguments qui viseront à mettre de l’avant des valeurs souhaitées pour l’adulte et non pas seulement pour l’enfant. Garnier le souligne : ce travail politique et cognitif de représentation des enfants relève bien d’une grammaire des relations entre enfants et adultes60. Les a priori de certaines croyances envers les enfants s’expliquent donc par la place de l’enfance et de l’enfant dans la vie de l’adulte. Les attentes de l’enfant lui-même peuvent être tout autres. André Turmel le souligne bien dans son ouvrage, il s’agit d’une conception essentiellement adulto-centriste61.

Cela est d’autant plus important qu’au XIXe siècle, les seuls acteurs pouvant se prévaloir du droit de

présenter leurs opinions sont les adultes mâles. Ce droit est, non seulement légitime, mais également le seul reconnu par la loi. Le Code civil restaurait la puissance paternelle, pour laquelle le père avait autorité sur les membres de la famille, afin de maintenir l’unité de la société familiale. Enfin, l’analyse des arguments évoqués dans le débat permettra de clarifier les principes de jugement des relations entre enfants et adultes.

59 Pascale Garnier, op.cit., p. 7. 60 Ibid.

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24

La définition de l’enfance dans le temps : les limites et les lois qui

encadrent cet âge de la vie sont étroitement liées à la fois à

l’organisation sociale et aux représentations sociales

La définition de ce qu’est l’enfance est également un point sur lequel il faut s’attarder avant d’entreprendre l’analyse des représentations sociales ayant eu cours lorsqu’il était question des petits travailleurs en industries.

Il s’avère donc essentiel de situer le sens du terme enfant afin de le présenter dans son contexte. De fait apparaît le problème de la définition de l’enfance à travers l’histoire : s’arrête-t-elle avec l’âge traditionnel de la raison, avec la capacité de travailler ou avec la majorité civique tel qu’entendu aujourd’hui ?

En d’autres mots, la question posée est quels âges les enfants ont-ils ? L’enfance n’est pas seulement une question de bornes posées arbitrairement, mais plutôt l’objet d’une construction sociale ayant des repères qui évoluent et qui changent selon le contexte étudié et qui s’avèrent, ultimement, être une catégorie sociale. Par exemple, Varagnac démontre que les catégories d’âges liées à l’enfance sont différentes d’une région à une autre dans la paysannerie française62. Au Québec, l’anthropologue Horace Miner fait de même lorsqu’il dresse une monographie de St-Denis de Kamouraska en 1938-1987. Bien qu’il tente de dresser et d’identifier des catégories d’âges, il découvre que ces catégories sont assez floues et changeantes lors du changement de contexte auquel les individus sont liés63.

En ce sens, l’enfance comme catégorie sociale est l’objet d’un choix basé sur des considérations ou intérêts afin d’être un objet d’étude. De fait, une catégorie sociale se crée afin d’effectuer des manipulations statistiques ou d’en faciliter l’étude.

62 André Varagnac, De la préhistoire au monde moderne : Essai d’une Antrhropodynamique, Paris, Plon, 1954, p.

162-163.

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25 C’est sans doute pour cela que Madeleine Gauthier relève que « l’histoire des jeunes ne manque pas de relater toutes les controverses qui traversent le temps à propos de ce type de classification inévitable qui est lié à l’âge.64 » Elle explique ces controverses ou cette instabilité par le fait que les

limites établies, afin de circonscrire les périodes de la vie, sont le fruit des décisions prises par les institutions tels l’Église, l’État et la famille, éléments constitutifs de l’organisation sociale. Or, puisque l’organisation sociale est elle-même en mouvance, il apparaît logique que des redéfinitions soient proposées à travers l’histoire.

Quelques difficultés surviennent donc lorsqu’il s’agit de définir, de délimiter avec précision les âges que la notion d’enfance circonscrit. Or, comment y arriver ?

Toujours selon Madeleine Gauthier, les lois prennent une importance capitale afin de structurer la période du cycle de vie dont il est question. De fait, la législation s’appuie sur « l’évolution des modes de vie et des mœurs, mais aussi sur une conception du lien social qui s’exprime dans la manière dont se fait l’intégration des jeunes à la société.65 » À cet égard, les lois du travail semblent

tout à fait pertinentes afin de situer quel âge ont les enfants en fabrique.

Toutefois, une difficulté supplémentaire apparaît : les différentes lois sur le travail des enfants ne sont pas sans équivoque lorsqu’il s’agit de définir l’âge de l’enfance. Encore ici, la représentation de l’enfance semble chancelante. Cette imprécision s’explique par le fait que les différentes lois ayant été instaurées semblent considérer les jeunes travailleurs différemment selon leur sexe et selon le type d’emploi à occuper.

De plus, il semble que ces lois n’avaient pas comme objectif d’enrayer définitivement le travail de tous les enfants, mais plutôt de l’encadrer afin que les abus et mauvaises conditions de travail soient évités. Par exemple, si la loi visant à interdire le travail des enfants énonce que les petits de 12 ans

64 Madeleine Gauthier, « L’âge des jeunes : un fait social instable », Lien social et Politiques, n° 43, 2000, p. 23-32. 65 Ibid.

Figure

Tableau 1 : Lois limitant le travail des enfants dans les manufactures au Québec
Tableau 2 : Caractéristiques des journaux retenus dans l'échantillon
Tableau 3 : Grille d'analyse pour recenser les points de vue
Tableau 4 : Le travail des enfants de 13-16 ans : portrait ethnoreligieux  Le travail des enfants de 13-16 ans :

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