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La transformation récente des modes de vie des populations montagnardes au Laos : le cas de la province de Luang Namtha

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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LUCIE DUBE

La transformation récente des modes de vie des

populations montagnardes au Laos : le cas de la

province de Luang Namtha

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en sciences géographiques pour l'obtention du grade de Maître en sciences géographiques (M.Sc.Géogr.)

DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE

FACULTÉ DE FORESTERIE ET DE GÉOMATIQUE UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2010

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Résumé

Au Laos, l'agriculture itinérante sur brûlis est utilisée principalement par des groupes ethniques montagnards. Au cours des 30 dernières années, l'augmentation de la population et la mise en œuvre de politiques gouvernementales ont contribué à transformer le mode de vie de ces populations. Plusieurs programmes se rejoignent sur deux objectifs : la sédentarisation et une tentative d'améliorer les conditions de vie. Cette recherche multiscalaire étudie la transformation des modes de vie des populations montagnardes de la province de Luang Namtha. La première partie dresse le portrait évolutif de la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est. Plusieurs indices témoignent du recul généralisé de cette pratique. La deuxième partie est consacrée à la vérification de l'hypothèse selon laquelle la mise en place des aires protégées contribue à la marginalisation de certains groupes de la population. En observant l'évolution des réseaux socio-économiques, il n'est pas possible de conclure pour l'instant qu'il y a eu une telle marginalisation.

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Abstract

In Laos, shifting cultivation remains important, used in most cases by ethnic groups who dwell in the mountains. In the course of the last 30 years, population increase and governmental programs contributed to transforming the livelihoods of these mountain dwellers. Some of these programs meet on two points: sedentarization and a will to improve the living conditions. This multiscalar research studies the transformation of livelihoods of mountain dwellers in Luang Namtha province. The first part of the dissertation draws a portrait of shifting cultivation in Southeast Asia. Several indications are showing a reduction of this practice. The second part of this dissertation will contribute to examine the hypothesis according to which protected areas contribute to the marginalization of some ethnic groups. By analyzing the evolution of socioeconomic networks, it is not possible to conclude for now that there is such a marginalization process.

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Remerciements

À mon directeur de recherche, le professeur Steve Déry, pour sa patience, pour avoir lu et relu mes chapitres à maintes reprises, pour ses nombreux commentaires constructifs et pour le soutien financier qui m'a permis de faire mon terrain et de poursuivre mon travail les sessions suivantes. Ce projet de recherche a été bénéfique tant sur le plan personnel qu'académique.

Aux professeurs Nathalie Gravel et Matthew Hatvany qui ont accepté de faire partie du comité de direction de ce mémoire.

Aussi, cette recherche n'aurait pas pu être menée à terme sans l'intervention de précieux collaborateurs au Laos : Messieurs Sithong Thongmanivong et Thavy Phimminith, professeurs à l'Université Nationale du Laos, ainsi que Monsieur Khamleck Xaydala, directeur du Bureau provincial de l'Agriculture et des Forêts, qui m'ont donné les premières autorisations nécessaires afin d'entreprendre ma campagne de terrain à Luang Namtha, à l'hiver 2008. À Bakham Chanthavong, également professeur à l'Université Nationale du Laos, qui a agit à titre d'assistant et d'interprète, mais surtout pour les nombreuses conversations qui m'ont permis de mieux comprendre certains aspects de culture laotienne : « There are many things about Laos... ».

À mes parents et mes sœurs, Hélène et Monica, pour leur appui et leurs encouragements reçus tout au long de ce projet, et ce, malgré tout ce que je leur ai fait subir. À mes amis et collègues, Maud, Elona, Ariane, Yoan, Jérôme et Mélanie pour tous les fous rires et les discussions « sérieuses » qui ont mis de la vie autant à l'intérieur et à l'extérieur du bureau, mais aussi pour ces échanges qui ont sûrement bonifié mon travail.

Finalement, à mon amoureux, Jonathan, pour sa simple présence qui fait toute la différence, et plus encore...

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Table des matières

Résumé II Abstract Ill Remerciements IV

Table des matières V Liste des tableaux VII Liste des figures IX Chapitre 1 : Introduction 1

1.1. L'agriculture itinérante sur brûlis : un mode de vie en transformation 1

1.2. Les effets de cette transformation au niveau local 3

1.3. Méthodologie 6 1.3.1. Cueillette des données 6

1.3.2. Traitement et représentation des données 9

1.4. Principaux concepts 9 Chapitre 2. La pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est 12

2.1. L'utilisation du sol pour répondre aux besoins de la population 13 2.2. L'agriculture itinérante sur brûlis ou la diversité d'un système complexe 14

2.3. Portrait général de l'agriculture itinérante sur brûlis à l'échelle mondiale 16 2.4. Évolution du contexte politique et économique en Asie du Sud-Est 19 2.5. L'agriculture itinérante sur brûlis : controverses d'origine ancienne 21

2.5.1. Des solutions...difficiles à appliquer 22 2.5.2. Et si les agriculteurs itinérants n'étaient pas les seuls responsables ? 23

2.6. L'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est : portrait régional général

en faits et en chiffres 24 2.6.1. Analyses cartographiques 25

2.6.2 L'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est : portrait par pays 27

Chapitre 3. L'agriculture itinérante sur brûlis : le cas spécifique du Laos 37

3.1. Contexte géographique et historique 39 3.1.1. Aperçu d'une région particulière 39 3.1.2. Histoire ancienne du Laos et agriculture 40

3.2. Évolution récente des modes de production (1886 à aujourd'hui) 42

3.2.1. 1886-1945 :1a période coloniale 42 3.2.2. 1945-1975 : 30 ans de conflits 43 3.2.3. 1975-1985 : la collectivisation 44 3.2.4. De 1986 à aujourd'hui : ouverture et libéralisation 47

3.3. La pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis au Laos 48

3.3.1. Des calendriers culturaux adaptatifs 49 3.3.2. Principaux intrants utilisés par les agriculteurs itinérants laotiens 50

3.4. Changements récents : portrait évolutif de la pratique de l'agriculture itinérante

sur brûlis au Laos 51 3.5. Position et interventions gouvernementales 55

3.5.1. Discours de l'État laotien concernant l'agriculture itinérante sur brûlis 55 3.5.2. Les politiques de développement rural en lien avec la sédentarisation 58

(6)

3.6. Implantation des aires protégées 66 3.6.1. 1975 à 1988, le début d'un long processus 67

3.6.2. 1989 à 1995 : mise en place des bases 67 3.6.3. De la loi sur la Forêt de 1996 à aujourd'hui 68 Chapitre 4. Production agricole et conservation à Luang Namtha 72

4.1. Luang Namtha : portrait de la région d'étude 73 4.2. Utilisation du sol dans la province de Luang Namtha 76

4.2.1. Vue d'ensemble du portrait potentiel agricole à l'échelle provinciale 76

4.2.2. La riziculture selon le mode de production utilisé 78 4.2.3. Évolution de la production agricole, par produit 81 4.2.4. Les plantations d'hévéa : une solution pour améliorer le sort des

agriculteurs? 82 4.3. La relocalisation dans la province de Luang Namtha 86

4.3.1. Présentation générale des déplacements à l'échelle provinciale 86

4.3.2. Relocalisation à l'échelle des districts 87 4.4. Nam Ha: conservation et rentabilité 89

4.4.1. Portrait d'une région protégée 89 4.4.2. L'écotourisme : développement et intégration 96

Chapitre 5. Des politiques aux projets : quels impacts sur les populations locales? 99

5.1. La recherche 99 5.2. L'établissement des 13 villages à l'étude 101

5.3. Évolution des sources de revenus 105 5.4. Des changements sur le plan agraire 108

5.4.1. Situation agricole passée dans les 13 villages à l'étude, à la suite de la

relocalisation 108 5.4.2. Situation agricole actuelle dans les 13 villages à l'étude 109

5.4.3. La production d'hévéa dans la région à l'étude 113

5.5. Évolution des réseaux socio-économiques 116

5.5.1. L'accès aux marchés 117 5.5.2. Les services d'éducation 119 5.5.3. Les services de santé 120 5.6. La mise en place de l'aire protégée Nam Ha 123

5.7. La marginalité et l'aire protégée de Nam Ha 127

5.8. Conclusion préliminaire 132 Chapitre 6. L'agriculture itinérante sur brûlis : constats généraux 134

6.1. Constatations multiscalaires 134 6.2. Fausses perceptions des opportunités économiques qui s'offrent aux

agriculteurs itinérants sur brûlis 136 6.3. Agriculture itinérante sur brûlis et deforestation 136

6.4. Développement ou protection environnementale ? 138 6.5. Les conditions de vie : amélioration ou détérioration ? 139

6.6. Limites de la recherche 141

Conclusion générale 143 Bibliographie 147

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Les agriculteurs itinérants sur brûlis dans le monde. Des estimations

contrastées, 1957-2005 18 Tableau 2 : Comparaison des données démographiques (par pays et en pourcentage).... 25

Tableau 3 : Population qui utilise l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est,

1948-2003 (en millions) 32 Tableau 4 : Bilan de la superficie occupée par l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie

du Sud-Est, 1948-2003 (en millions d'hectares) 34 Tableau 5 : Bilan de la superficie utilisée par l'agriculture itinérante en Asie- du

Sud-Est, 1800-1990 (en millions d'hectares) 35 Tableau 6 : Cinq stades d'évolution des systèmes de production au Laos et la

proportion actuelle d'utilisateurs pour chacun de ces systèmes 41 Tableau 7 : Nombre de coopératives au Laos, 1978-1988 46 Tableau 8 : Exemple d'un calendrier cultural s'appliquant à l'agriculture itinérante sur

brûlis en saison des pluies 50 Tableau 9 : Pratique de l'agriculture itinérante en hautes terres au Laos, par province,

1976-2005 (en milliers d'hectares) 53 Tableau 10 : Superficies concernées par le Programme d'allocation foncière et

l'agriculture itinérante au Laos, 1996-2003 (en hectares) 63

Tableau 11 : Les aires protégées du Laos 69 Tableau 12 : PIB des secteurs agriculture et foresterie, province de Luang Namtha (en

milliers de kips et en pourcentage) et le taux de change moyen annuel par rapport à la

devise canadienne 76 Tableau 13 : Comparaison de la superficie agricole potentielle et de la superficie

agricole réelle, 2006-2007 (hectares) 78 Tableau 14 : Évolution de la surface de production du riz selon le mode de production

utilisé, province de Luang Namtha, 1976-2005 (hectares) 79 Tableau 15 : Superficie agricole selon le type de production, Luang Namtha, 2003 81

Tableau 16 : Superficie agricole, selon le produit, 1976-2005 (hectares) 82 Tableau 17 : Compagnies impliquées dans les plantations d'hévéa pour l'ensemble de

la province de Luang Namtha 85 Tableau 18 : Couvert forestier de la province de Luang Namtha, 1990 (hectares et %).. 90

Tableau 19 : Villages situés à l'intérieur d'un rayon de 5 kilomètres de l'aire protégée

de Nam Ha 94 Tableau 20 : Pratiques pouvant avoir un impact direct sur l'aire protégée de Nam Ha

(en pourcentage) 95 Tableau 21 : Activités éco touristiques dans la province de Luang Namtha, 2008 96

Tableau 22 : Les activités éco touristiques dans la province de Luang Namtha, touristes

(en nombre) et revenus, 2001-2006 97 Tableau 23 : Historique de l'établissement des villages 103

Tableau 24 : Emplacement d'origine des villages à l'étude et la distance par rapport à

(8)

Tableau 25 : Revenus moyens annuels, par district et par village 106 Tableau 26 : Sources de revenus passées et actuelles, pour chaque village 107

Tableau 27 : Mise en culture rizicole à la suite de la relocalisation (en hectares),

utilisant l'agriculture itinérante sur brûlis, et durée des jachères (en année) 108 Tableau 28 : Superficie actuelle de la production du riz dans les 13 villages à l'étude,

selon la technique (en hectares) 110 Tableau 29 : Bilan des pratiques agricoles dans les 13 villages à l'étude, 2008 113

Tableau 30 : Superficie consacrée à la production d'hévéa (en hectares) et année du

début des plantations, par village 114 Tableau 31 : Fréquentation des marchés, depuis la relocalisation jusqu'à l'hiver

2008 118 Tableau 32 : Évolution des réseaux socio-économiques: l'éducation de niveau

primaire depuis la relocalisation jusqu'à l'hiver 2008 119 Tableau 33 : Évolution des réseaux socio-économiques: les services de santé, depuis

la relocalisation jusqu'à l'hiver 2008 121 Tableau 34 : Connaissances de la population au sujet de l'aire protégée de Nam Ha.... 125

Tableau 35 : Résultats d'enquête pour l'ensemble des villageois interrogés, selon le

niveau d'organisation sociale 130 Tableau 36 : Évolution du couvert forestier en Asie du Sud-Est continentale (en

(9)

Liste des figures

Figure 1 : Schéma des variables à l'étude 8 Figure 2 : Utilisation de l'agriculture itinérante sur brûlis à travers le monde,

1991 17 Figure 3 : Proportion des types de riziculture en Asie (en pourcentage) 21

Figure 4 : Pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est,

1966 26 Figure 5 : Proportion de la surface rizicole cultivée avec la technique de l'agriculture

itinérante sur brûlis dans l'Asie des moussons 27

Figure 6 : Relief, Laos 39 Figure 7 : Évolution de la riziculture en hautes terres au Laos, selon la superficie,

1976-2005 51 Figure 8 : Proportion de la surface rizicole cultivée avec l'agriculture itinérante sur

brûlis au Laos, district 54 Figure 9 : Aires protégées du Laos 70

Figure 10 : Localisation de la province de Luang Namtha 74

Figure 11 : La Province de Luang Namtha 74 Figure 12 : Limites de l'aire protégée de Nam Ha 91

Figure 13 : L'aire protégée de Nam Ha et les aires de conservation avoisinantes 92

Figure 14 : Utilisation du sol dans l'aire protégée de Nam Ha 93

Figure 15 : Localisation des 13 villages à l'étude 100 Figure 16 : Intégration de la population suite à la mise en place de l'aire protégée de

(10)

Chapitre 1 : Introduction

1.1. L'agriculture itinérante sur brûlis : un mode de vie en transformation

L'agriculture itinérante sur brûlis, pratique qui consiste à défricher une parcelle forestière par l'utilisation du feu pour ensuite alterner période de culture et de mise en jachère d'une durée variable, reste courante à travers le monde, principalement dans les régions tropicales. Bien que son utilisation ait diminué, en Asie du Sud-Est, ce mode de production agricole est principalement utilisé dans les régions isolées montagnardes.

Aujourd'hui, on accole différents qualificatifs à cette pratique (primitive, ancestrale, traditionnelle, destructive) qui témoignent en partie des débats nationaux et internationaux qu'elle engendre. En particulier, c'est la question de sa durabilité et de son efficacité qui soulèvent les passions. D'un côté, on retrouve les États et les agences de développement, qui agissent dans le but de contrôler leur territoire et les gens qui y habitent. De l'autre côté, de nombreux chercheurs affirment que lorsqu'elle est pratiquée selon les « règles de l'art », elle permet à la forêt de se régénérer et arrive à assurer les besoins des familles, leur permettant même, à l'occasion, de procéder à la vente de surplus. Néanmoins, avec l'augmentation progressive de la population dans tous les pays d'Asie du Sud-Est, les systèmes sont déréglés puisque la demande de terres agricoles augmente alors que les espaces forestiers sont de plus en plus restreints (Bernard et De Koninck, 1996). Jean Boulbet avait noté ce fait dès 1966, au Vietnam: «Déjà compromis, l'équilibre ne peut donc que continuer à se détériorer, la surface de forêt consommable diminuant dans le même temps qu'augmente le nombre de consommateurs» (Boulbet, 1966: 98). Les «paysans de la forêt» (Boulbet, 1975) adaptent alors leurs techniques afin de subvenir à leurs besoins alimentaires. Cette adaptation se traduit en fait par une réduction de la période de mise en jachère et donc l'utilisation plus fréquente des mêmes parcelles agricoles ce qui a pour effet de diminuer la fertilité du sol. Puis, la chute de fertilité du sol elle-même entraîne la diminution des rendements agricoles.

(11)

En Asie du Sud-Est continentale, des actions contre cette pratique ont été entreprises dès l'époque coloniale. La colonisation amena alors des changements dans les relations entre l'autorité centrale et les périphéries. Avant l'arrivée des Européens, la région était caractérisée par ses frontières mal définies et changeantes ainsi que ses nombreuses entités politiques. Aussi, les liens entre les autorités et la population variaient souvent en fonction de la distance du village par rapport au centre du royaume et le centre de décision politique était situé à l'intérieur du village (Déry, 2004 : 75; Bruneau, 2006; Déry, 2008 : 75). Pendant la période coloniale, différentes réformes ont été appliquées. Le centre de décision est devenu l'État central et on a procédé à l'amélioration des réseaux de communication qui ont contribué à la diffusion de nouveaux modes de production et de la monnaie. De plus, les relations avec l'État sont devenues individualisées et on a fixé les frontières (Déry, 2004 : 75-76; Pholsena et Banamyong, 2006: 133-134). Le gouvernement cherchait alors à intégrer les populations montagnardes marginales.

La période s'échelonnant entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l'année 1975 marque la décolonisation et l'émergence des États modernes en Asie du Sud-Est. À ce moment, l'amélioration du contrôle du territoire restait l'un des défis à relever et la sédentarisation des agriculteurs itinérants sur brûlis faisait partie des outils utilisés (Déry, 2008 : 78).

Dans le cas du Laos, dont les frontières actuelles ont été stabilisées en 1975 à la fin de la Deuxième guerre d'Indochine, les réformes les plus importantes ont été mises en place par le gouvernement à partir de la fin des années 1970 et elles ont toutes visé le même but : l'arrêt de l'agriculture itinérante sur brûlis pour la sauvegarde des forêts et le développement. Mentionnons que les deux tiers du territoire laotien sont montagneux et que le couvert forestier représentait une proportion de 47 % de ce territoire en 1992 (Gouvernement du Laos, ministère de l'Agriculture et des Forêts, 2005 : 2), couvert dont l'étendue a ensuite diminué à 41,5 % du territoire national en 2002 (Gouvernement du Laos, 2007b : 25). Le gouvernement associe cette perte à l'agriculture itinérante sur brûlis. Pratiqué majoritairement par les groupes minoritaires montagnards, ce type de production a un poids important puisqu'en 2003, environ 100 000 familles l'utilisaient, ce

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qui représentait 43 % de la population rurale du pays (Evrard, 2004 : 13). Aussi, la surface utilisée correspondait à 13 % de la superficie du pays (idem).

Pour le gouvernement, l'atteinte de cet objectif qui est de stopper la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis passe par la mise en place de programmes de développement tels que la relocalisation, l'allocation foncière et la stratégie des sites prioritaires de développement. L'objectif officiel de ces programmes est d'améliorer les conditions de vie des agriculteurs en les déplaçant vers les basses terres pour leur offrir des services et faire la promotion de l'agriculture sédentaire. À ces projets, on peut également ajouter ceux ayant pour but la conservation de l'environnement par la création d'aires protégées. Ces derniers s'inscrivaient dans un engouement international pour la protection et la conservation, suite à la publication du rapport Bruntland en 1987 et du Sommet de la Terre à Rio en 1992. Ces événements marquaient une hausse du financement des projets environnementaux appuyés notamment par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature et le World Wild Fund.

Néanmoins, les résultats de ces programmes restent mitigés. Selon le rapport d'Yves Goudineau publié en 1997, un tiers de tous les villages laotiens a été déplacé et ces relocalisations ont eu des impacts négatifs chez les populations locales (retardement de l'attribution des terres et des services promis, pertes humaines, rupture culturelle, etc.). De plus, malgré la création des aires protégées en 1993, la superficie forestière a continué à décroître entre 1993 et 2002. Finalement, de nouvelles opportunités, telles les plantations d'hévéa, ont commencé à remplacer l'agriculture itinérante sur brûlis et assurent un revenu aux agriculteurs. Puisque ces projets sont relativement récents, il est pour l'instant difficile d'évaluer leur efficacité. Cette recherche se contentera de les examiner.

1.2. Les effets de cette transformation au niveau local

Cette évolution des dernières décennies constitue le cadre principal de ce mémoire. Cette recherche porte sur la transformation des modes de vie des montagnards

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de la province de Luang Namtha, au Laos'. Plus précisément, elle vise à observer comment les programmes de développement et de conservation ont contribué à transformer les réseaux socio-économiques et l'évolution du degré de marginalité des populations locales. Elle s'attarde particulièrement à l'étude des impacts de la relocalisation et de la mise en place de l'aire protégée de Nam Ha. Ces politiques publiques ont été mise en place par le gouvernement dans un but de développement rural et de protection environnementale, notamment pour réduire la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis.

La période d'analyse choisie s'étend de 1990 à aujourd'hui puisque les relocalisations effectuées ont majoritairement eu lieu dans le but d'améliorer les conditions de vie des villageois. De plus, cette période marque les débuts du programme d'allocation foncière (1989), programme qui a aussi engendré le déplacement d'agriculteurs itinérants sur brûlis. C'est également durant cette période qu'a eu lieu la création des premières aires protégées laotiennes, dont l'aire protégée de Nam Ha, dans la province de Luang Namtha (1993).

Un certain nombre de choses commencent à être comprises, ou à tout le moins ont été identifiées dans le processus de transformation des modes de vie des populations locales. Par exemple, selon une étude menée par Olivier Ducourtieux (2006) dans la province de Phongsaly, les programmes de développement et de conservation ont bel et bien eu un impact direct sur l'agriculture itinérante sur brûlis. Il maintient que la création des aires protégées restreint la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en éliminant un certain nombre de territoires autrefois utilisés durant le cycle agricole en entraînant une augmentation de la pression foncière sur les terres restantes. Ce dernier phénomène amène une diminution de la période de mise en jachère, puis une diminution de la production. Finalement, le tout engendre une réduction du revenu familial qui repose principalement sur cette agriculture.

1 Le Laos a été choisi comme troisième étude de cas avec le Vietnam et la Thaïlande dans le cadre d'un

projet dirigé par Steve Déry, professeur au département de géographie de l'Université Laval : Les aires protégées et la transformation des modes de vie: contribution à l'étude de la marginalité sur les hautes terres d'Asie du Sud-Est continentale, 1960-2005. Le financement de ce projet de recherche provient du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada. Cette province a été retenue à cause de la présence de l'aire protégée de Nam Ha ainsi que pour des raisons de faisabilité et de logistique.

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Par ailleurs, d'autres études au Vietnam et en Thaïlande, dans des régions montagneuses similaires, ont démontré que la création des aires protégées contribue à la marginalisation de certaines populations (Déry, 2005a et b, 2007a et b, et 2008; Vanhooren, 2006; Tremblay, 2007).

Ainsi, la relocalisation et la création des aires protégées se répercuteraient négativement chez les agriculteurs montagnards, à tout le moins chez certains d'entre eux. Les programmes de développement rural engendreraient la pauvreté en raison des difficultés d'adaptation aux nouvelles situations. Dans cette optique, on peut se demander quels sont les impacts sociaux, territoriaux et environnementaux associés aux programmes ? Jusqu'à quel point ces impacts touchent-ils les réseaux socio-économiques des populations ? Quelles sont les stratégies envisagées et utilisées par les villageois pour répondre à ces changements ? Des réponses à ces questions, même partielles, permettraient certainement de mieux comprendre pourquoi, paradoxalement, des investissements de «développement» ne portent pas leurs fruits, ou même, empirent la situation.

De ce portrait, l'hypothèse générale retenue est la suivante : la mise en place de des aires protégées au Laos contribue aussi à la marginalisation des populations locales. De manière plus spécifique, on peut faire l'hypothèse que la mise en place de l'aire protégée de Nam Ha, dans la province de Luang Namtha au Laos, ainsi que la relocalisation concomitante des populations locales ont transformé les réseaux socio-économiques des villageois touchés, contribuant à les marginaliser.

Pour contribuer à la vérification de ces hypothèses générales et spécifiques, cette recherche vise les objectifs suivants :

1. dresser un bref portrait géographique de la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis à différents niveaux géographiques, d'abord a) pour l'ensemble de l'Asie du Sud-Est, b) puis au Laos et finalement c) dans la province de Luang Namtha; 2. dresser un portrait géographique de l'utilisation du sol dans la province de Luang

Namtha;

3. documenter la relocalisation des populations montagnardes de Luang Namtha pour en comprendre les impacts, en particulier les relations avec la mise en place de l'aire protégée de Nam Ha;

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4. dresser un portrait évolutif des réseaux qui permettent la survie des villageois concernés par la relocalisation;

5. tenter de mesurer le degré de marginalité de la population locale à l'aide d'une grille d'analyse spatio-temporelle multiniveaux.

1.3. Méthodologie

Afin d'atteindre chacun des objectifs, différentes méthodes ont été appliquées dans le but de récolter les données nécessaires à la réalisation de cette recherche. Ces méthodes consistent en une revue de littérature et des entretiens semi-dirigés à deux niveaux menés directement sur le terrain, au Laos. Une partie de l'enquête s'est donc déroulée suivant la méthode de l'observation participante selon laquelle l'observateur est à la fois instrument et analyseur (Arborio et Fournier, 2005).

1.3.1. Cueillette des données

La première partie de la recherche s'est déroulée dans la capitale nationale, Vientiane, dans le but de recueillir des données provenant de sources secondaires telles que des rapports gouvernementaux ou rédigés par des organisations locales et internationales. Pour ce faire, des représentants de différents organismes ont été rencontrés, notamment l'Union mondiale pour la Nature (UICN), la World Conservation Society (WCS), le Comité de Coopération Laos (CCL) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Ces représentants nous ont permis de consulter leur centre de documentation, à l'exception de celui du PNUD qui était fermé. Les informations recueillies ont été utilisées afin de répondre aux objectifs l(a, b et c), 2 et 3. Le Centre National de Cartographie a aussi été visité dans le but d'obtenir des cartes de la région d'étude à différentes échelles.

La seconde partie de la recherche s'est déroulée sous forme de campagne de terrain mise sur pied en collaboration avec la Faculté de Foresterie de l'Université Nationale du Laos. Le choix de l'emplacement du terrain, dans la province de Luang Namtha, s'est fait en collaboration avec deux professeurs de l'université, MM. Sithong Thongmanivong et Thavy Phimminith. Ce sont eux qui nous ont fourni une première autorisation officielle nous permettant d'entreprendre le travail de terrain à Luang

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Namtha. Dans cette université, nous avons aussi fait la rencontre de M. Bakham Chanthavong qui a été embauché à titre d'assistant et d'interprète.

Les travaux de terrain proprement dits se sont déroulés dans la province de Luang Namtha. Tout d'abord, nous avons rencontré le directeur du Bureau provincial de l'Agriculture et des Forêts, Dr Khamleck Xaydala. Celui-ci nous a autorisé à effectuer la recherche et nous a demandé de rencontrer les directeurs des bureaux de l'Agriculture et des Forêts du niveau du district, pour l'approbation du choix des villages. À la suite de l'obtention d'une autorisation formelle de la part des autorités du niveau du district, des entretiens ont été conduits auprès de chefs de villages et des populations locales. Pour ce faire, une première visite du village avait lieu dans le but de rencontrer le chef ou le vice-chef et de fixer un rendez-vous. Lors de cette rencontre, nous informions le vice-chef que nous désirions aussi discuter avec les représentants de cinq ménages, soit trois hommes et deux femmes. C'est le chef qui sélectionnait les personnes qui allaient participer aux interviews.

Des enquêtes à deux niveaux ont été menées à l'intérieur des villages concernés par la relocalisation et la mise en place de l'aire protégée. Premièrement, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés avec les chefs ou vice-chefs des villages. Ces entretiens avaient pour but de construire des profils de communauté en vérifiant les moyens de subsistance des villageois ainsi que l'évolution des réseaux socio-économiques auxquels ils prennent part (objectifs lc, 2 et 4). Les paramètres retenus afin de faire l'étude des réseaux socio-économiques sont : la fréquentation des marchés pour la vente et la localisation de ce marché par rapport au village, la fréquentation des marchés pour l'achat de produits et la localisation de ce marché par rapport au village, l'évolution des services d'éducation et l'évolution des services de santé (voir questionnaire, annexe 1). Ces paramètres sont comparés à la suite de la relocalisation des villages et selon la situation actuelle.

2 Le terme « village » est utilisé ici car c'est celui qui traduit généralement le mot ban en Lao.

Toutefois, dans l'optique d'une comparaison éventuelle avec la situation vietnamienne, ces villages correspondent plutôt à des hameaux.

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Deuxièmement, des entretiens semi-dirigés ont été menés auprès de foyers dans chacun des villages ciblés afin de comparer la marginalité des populations locales (objectif 5). Pour ce faire, un portrait actuel de la marginalité a d'abord été effectué en en observant le degré d'information, de participation et de prise de décision des hommes et des femmes, à l'échelle de la famille, du village, du district et de la province. Ce portrait a été établi à partir d'un questionnaire administré oralement. Aussi, le pouvoir décisionnel à été comparé avant et après la création de l'aire protégée de Nam Ha à partir des informations recueillies dans le questionnaire et lors des entretiens avec les villageois et les chefs ou vice-chefs (voir questionnaire, annexe 2) (figure 1).

Figure 1

Schéma des variables à l'étude

Variables indépendantes Politiques publiques : 1. Implantation de l'aire protégée de Nam Ha 2. Relocalisation Variables intermédiaires 1. Sexe 1. Sexe 2. Groupe ethnique 3. Accès aux services

de base (eau, route, électricité) 4. Distance du village

par rapport aux services

4. Distance du village par rapport aux services

Variables dépendantes 1. Réseaux socio-économique: -accès aux marchés -accès à l'éducation -accès aux services

de santé 2. Marginalité de la population: -information -participation -prise de décision

Les enquêtes ont permis de recueillir des données qualitatives et quantitatives. Treize villages répartis dans trois districts (cinq à Muang Luang Namtha, quatre à Muang Sing, quatre à Muang Vieng Poukha) ont été visités. En tout, soixante-douze personnes ont été interrogées : huit chefs et quatre vice-chefs de villages, deux enseignants et 59 foyers.

(18)

Le déroulement des enquêtes a varié en fonction des villages. Dans certains cas, tous les participants se réunissaient et les entretiens prenaient l'allure d'une entrevue de groupe sans pour autant que ceux qui assistaient n'interviennent pendant que ceux qui étaient interviewés parlaient3. Les gens pouvaient quitter après leur entretien, mais peu

ont fait ce choix. Aussi, pour tous les villages, le chef ou le vice-chef assistait à tous les interviews .

1.3.2. Traitement et représentation des données

Une analyse qualitative des informations obtenues à partir des entrevues a été effectuée. Les données recueillies sur le terrain par l'entremise des enquêtes et dans les rapports ont été compilées dans des fichiers Excel détaillés à des fins de comparaisons. De cette façon, différents portraits on pu être dressés : historique de la relocalisation, activités agricoles pratiquées à la suite de la relocalisation et aujour'hui, sources de revenus passées et présentes, la fréquentation des marchés et la connaissance par rapport au parc. Les résultats sont illustrés à l'aide de représentations graphiques et de tableaux conçus à l'aide des logiciels informatiques Microsoft Excel et Word. Ces analyses avaient pour but d'établir les relations existantes entre le déplacement, la présence de l'aire protégée, l'évolution des réseaux socio-économiques et la marginalisation des populations.

1.4. Principaux concepts

Dans le cadre de cette étude, certains termes et concepts centraux sont traités à même les différents chapitres du mémoire. Sur le plan technique, la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est, pour laquelle les appellations et les définitions sont nombreuses (Pelzer, 1948; Conklin, 1957; Boserup, 1965; Spencer, 1966; Boulbet, 1975, Wagner, 1991), consiste à mettre à feu d'une parcelle forestière et, une fois la majorité de la végétation brûlée, à semer à même les cendres. Une parcelle peut être utilisée de manière cyclique,. Globalement, l'agriculture itinérante sur brûlis

3 Cela était le cas si la personne interrogée avait de la difficulté à répondre aux questions, soit par une

incompréhension de termes lao ou une impossibilité à fournir des informations générales chiffrées, possiblement en raison d'un faible niveau d'éducation. À noter que cette situation était plus fréquente pendant les entretiens avec les femmes.

Voir l'annexe 3 pour une description des démarches effectuées sur le terrain afin de réaliser cette recherche.

(19)

constitue en fait un mode de vie, qui est toutefois remis en question par les autorités. Le concept est d'abord présenté dans le chapitre 2, mais il est repris de manière continue dans les chapitres suivants pour préciser la situation particulière laotienne. Les portraits dressés à chacun de ces niveaux géographiques permettront de saisir l'importance relative de cette pratique agricole et la place qu'elle occupe dans la vie des villageois.

Dans cette recherche, il est aussi question de la relocalisation. Le but recherché concernant ce qui est en fait un programme gouvernemental est de vérifier l'évolution des services (accessibilité aux marchés, éducation et santés) offerts à la population locale et des pratiques agricoles dans certains villages situés dans la province de Luang Namtha. Brunet et ses collaborateurs définissent brièvement la relocalisation comme un changement d'adresse (Brunet et a l , 2005 : 426). L'auteur avance aussi que la relocalisation réfère parfois au redéploiement, qui se définit précisément comme la «réorganisation d'un système productif ou d'un dispositif spatial » (ibid. : 419). La redistribution, synonyme de redéploiement, consiste à la « nouvelle répartition d'une même population dans l'espace » {idem). Le déplacement des populations est le résultat de quatre types de situations qui sont pour la plupart incontrôlables par les villageois: les désastres naturels (sécheresse, inondations, tremblements de terres, etc.), les guerres ou conflits politiques, les persécutions (ethniques, raciales, religieuses, etc.) et la création de programmes de développement qui affectent l'utilisation du sol et des ressources (Cernea et Guggenheim, 1993 : 379). Cette dernière situation correspond à celle laotienne détaillée au chapitre 3 et reprise dans les chapitres 4 et 5 à plus petite échelle, dans la province de Luang Namtha.

Le concept de marginalité est aussi utilisé dans le cadre de cette recherche. Leimgruber (2001) associe la marginalité aux régions moins développées ou pauvres. Aussi, selon lui, la marginalité n'est pas qu'un phénomène économique, mais elle s'applique à tout le spectre de vie des hommes. Elle est présente dans tous les systèmes, mais n'atteint jamais un état final puisque tous les éléments d'un système peuvent subir des changements (Leimgruber, 2004 : 277). Il identifie deux aspects liés à la marginalité : l'échelle et la perspective. Déry (2007a) reprend ces observations en allant plus loin; il ajoute qu'au-delà de l'échelle d'observation, il faut tenir compte des niveaux qui

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constituent cette échelle. L'étude de ces systèmes répartis selon différents niveaux géographiques et la relation qui les lie les uns aux autres permettront de comparer les territoires selon leur marginalité. En ce qui concerne la perception, Déry décrit deux types de marginalités. D'un côté, il identifie une marginalité objective qui correspond à « toutes les "marginalités" dans tous les systèmes spatio-temporels dans lesquels un individu ou un groupe est impliqué » (Déry, 2007a : 7). Cette marginalité reste théorique et impossible à mesurer de façon précise. De l'autre côté, il définit la marginalité subjective qui se construit en fonction de la connaissance qu'un observateur a des systèmes et des valeurs qu'il accorde à chacun d'eux (idem).

De plus, puisque la marginalité évolue dans un cadre dynamique, son étude nécessite une analyse du système dans lequel la population à l'étude prend part (idem). Déry propose l'utilisation d'une grille spatio-temporelle qui tienne compte des systèmes se déployant à plusieurs niveaux géographiques et sur plusieurs échelles de temps. En ce qui concerne la présente étude, il a été tenté de vérifier quelques aspects (participation, information et prise de décisions) selon une grille saptio-temporelle - dans le but tirer certaines conclusions relatives à la marginalité des populations locales de Luang Namtha, principalement des agriculteurs itinérants sur brûlis, et ce, depuis la relocalisation. Ces analyses sont présentées au chapitre 5. À noter que l'ensemble des résultats sont repris dans le dernier chapitre afin d'exposer les liens qu'ils ont entre eux.

Considérant l'ampleur de la recherche, qui s'attarde principalement aux effets de la relocalisation des agriculteurs itinérants sur brûlis, les concepts de conservation et de préservation n'ont pas été traités en détails dans ce mémoire; ils ne sont pas considérés comme indispensables au cadre de la présente analyse. Gardons tout de même en tête que le concept de conservation peut se définir comme une « gestion prudente et mesurée des ressources naturelles, c'est-à-dire une utilisation de la nature avec une finalité explicite de protection destinée à assurer les usages futurs ce qui s'oppose à la préservation, qui elle « n'autorise aucun prélèvement : la protection est totales sur les espaces considérés » (Rodary et al., 2003 : 8).

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« ...Je coupe l'enfant de la Plaine, à l'imitation des Ancêtres ; J'abats l'enfant de l'Arbre, à l'imitation des Ancêtres ; Je défriche la forêt et la brousse, à l'imitation des Ancêtres5 »

Incantation de la tribu Mnong Gar Condominas, 1974 : 204.

Chapitre 2. La pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est

L'agriculture itinérante sur brûlis est un mode de vie selon lequel les agriculteurs apprivoisent la forêt tropicale afin d'y puiser les ressources nécessaires à leurs besoins. Observant minutieusement leur environnement, ils y ont développé une compréhension leur permettant d'adapter leurs techniques de production selon les caractéristiques physiques de leur milieu (variations climatiques, végétales, animales et disponibilité de l'eau). Leurs croyances prennent une place considérable dans la manière dont l'agriculture itinérante sur brûlis est mise en pratique. Des rituels sont liés à chacune des étapes du processus agricole, du choix de l'emplacement de la parcelle à la récolte. Au total, cette pratique culturale s'intègre dans l'organisation sociale de la communauté villageoise et de la famille; chacun a un rôle bien défini, selon son âge et son sexe, bref sa position dans la hiérarchie sociale, notamment en Asie du Sud-Est (Boulbet, 1975).

Actuellement, cette technique est perçue négativement par les autorités gouvernementales des pays concernés et, presque partout, elle est identifiée comme l'une des principales causes de deforestation dans ces régions tropicales. La forêt tropicale étant vue comme une ressource globale, sa réduction, entraînant à son tour des inondations, des sécheresses et des problèmes d'érosion à grande échelle, inquiète les cadres au niveau international. Depuis leur création, des agences internationales se sont engagées dans une lutte contre l'utilisation de l'agriculture itinérante sur brûlis (FAO et Banque Asiatique de Développement, entre autres) (Warner, 1991 : 2). Dans le but de clarifier la situation actuelle concernant cette pratique, ce chapitre présente d'abord un portrait de la diversité des pratiques agricoles, en particulier selon leur degré d'intensification. Puis, un bref portrait des agriculteurs qui l'utilisent à l'échelle mondiale, ainsi qu'une description de l'évolution de l'agriculture itinérante sur brûlis et

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de la position des gouvernements. Finalement, des faits portant sur la situation spécifique en Asie du Sud-Est seront présentés afin de dresser un portrait géographique de l'agriculture itinérante sur brûlis pour l'ensemble de cette région.

2.1. L'utilisation du sol pour répondre aux besoins de la population

Au fil du temps, hommes et femmes ont su tirer avantage de leur environnement afin de combler leurs besoins alimentaires. La cueillette, la chasse, la pêche, puis l'agriculture, ont d'abord permis d'assurer leur subsistance et, plus tard, l'accumulation de surplus a mené aux échanges commerciaux régionaux et internationaux, selon la demande.

Deux types de pratiques agricoles s'opposent l'une à l'autre : l'agriculture permanente et l'agriculture itinérante qui comprend très souvent le brûlis. Cette dénomination sur laquelle se construisent bien des projets reste toutefois insatisfaisante pour aider à comprendre la diversité des pratiques agricoles.

Esther Boserup (1965) classe les techniques agricoles en cinq catégories selon le degré d'intensification d'utilisation du sol. Les trois premiers groupes réfèrent à l'agriculture itinérante et correspondent respectivement à l'agriculture à jachère longue variant entre vingt et vingt-cinq ans ce qui permet à la forêt de se régénérer complètement (Forest-fallow cultivation), l'agriculture à jachère moyenne qui perdure entre six et dix ans (Bush-fallow cultivation) et l'agriculture à jachère courte se limitant à quelques années (Short-fallow cultivation). Plus la durée de la mise en jachère est réduite, plus le travail des cultivateurs devient exigeant en raison de l'accumulation des herbes (1965 : 15-16). Toujours selon Boserup, l'agriculture itinérante constitue un système flexible qui permet d'apporter des changements au niveau technique et passer d'un système agricole à l'autre en réponse aux conditions environnantes changeantes. Warner va dans le même sens lorsqu'il décrit l'agriculture itinérante : « Shifting cultivation represents a response to the difficulties of establishing an agroecosystem in the tropical forest » (1991 : 11). Ces difficultés sont les types de sols variés et peu fertiles, la faible quantité de nutriments, et les productions agricoles compétitives (idem).

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Pour Boserup, lorsque les cultures deviennent annuelles (Annual cropping), on entre dans le domaine sédentaire. La dernière catégorie qui témoigne de l'utilisation la plus intensive, est celle de la culture pluri-annuelle (Multi-cropping). La première fonctionne selon un système de rotation annuelle pendant lequel la terre est laissée en repos pendant quelques mois entre les périodes où elle est cultivée, tandis que la seconde permet d'obtenir deux récoltes ou plus sur la même parcelle, chaque année (Boserup,

1965 : 16).

Le passage d'un système à un autre se fait généralement dans le sens du plus extensif vers le plus intensif et peut être causé par une augmentation de la population ou une diminution de la fertilité du sol. Aussi, Boserup a établi une étroite relation entre le type d'agriculture et la technique de fertilisation (ibid : 25). Elle ajoute également que le système de production est intrinsèquement lié aux outils utilisés : «[...] some technical changes can materialize only if the system of land use is modified at the same time, and some changes in land use can come about only if they are accompanied by the introduction of new tools » (ibid. : 23).

Bien qu'il existe plusieurs variantes à l'intérieur de ces systèmes de production, le classement effectué par Boserup nous permet de comprendre l'évolution qu'ont pu suivre les systèmes de production. Pelzer (1948), Spencer (1966) et Rigg (1991) sont aussi d'avis que ce cheminement ait eu lieu de cette façon : les agriculteurs ont pratiqué l'agriculture itinérante avant l'agriculture permanente. Par ailleurs, l'agriculture itinérante à elle seule est synonyme de diversité et de complexité.

2.2. L'agriculture itinérante sur brûlis ou la diversité d'un système complexe

De nombreuses appellations sont utilisées pour identifier le même système de production et ses variantes : agriculture itinérante, essartage, défriche-brûlis, abattis-brûlis, ou encore slash-and-burn cultivation, swidden cultivation, swiddening en anglais. Jean Boulbet, présente cette pratique de façon détaillée :

Dès que la forêt, grâce à un bioclimat favorable, conserve assez de vitalité pour repousser toujours drue après chaque abandon des champs essartés, l'homme a trouvé commode de profiter de cette

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réserve d'humus renouvelé et, en apparence, inépuisable. Seul, sans animaux de trait ni instruments encombrants, il peut, avec des outils personnels légers et l'aide du feu, tirer sa nourriture de terrains au relief varié et aux qualités pédologiques très inégales. Cela, sans retourner la surface du sol ni en organiser le drainage; sans avoir, non plus, à aménager tout un territoire (Boulbet, 1975 : 9).

Pour sa part, Conklin la définit comme « any agricultural system in which fields are cleared by firing and are cropped discontinuously » (1957 : 1, cité dans Spencer,

1966 : 22). Quant à Pelzer, il explique simplement la technique comme suit : Shifting-field agriculture may be defined as an agriculture system which is characterized by a rotation of fields rather than of crops, by short periods of cropping (one to three years) alternating with long fallow periods (up to twenty and more years, but often as six to eight years); and by clearing by means of slash and burn (1958 : 126, cité dans Spencer, 1966 : 22).

Une intégration de ces définitions ne sera pas tentée ici; il convient tout de même de rappeler deux éléments essentiels : la préparation de la parcelle par la mise à feu du couvert forestier et les récoltes discontinues6 (Spencer, 1966 : 23). Parmi les principaux

éléments qui ressortent de ces définitions on peut ajouter que la rotation culture-jachère se déroule selon une séquence où la période de culture est plus courte que la période de mise en jachère. Spencer ajoute qu'il s'agit d'un ensemble de techniques7 et qu'elle ne

peut pas être considérée comme un simple système puisque son application implique une série de motivations, de facteurs, de buts, de traits culturels, d'habitudes et de pressions gouvernementales (1966 : 2).

Dans le cadre de ce mémoire, l'expression « agriculture itinérante sur brûlis » représentera de manière générale tous les types de techniques de production en Asie du Sud-Est qui utilisent le brûlis comme moyen de défrichage d'une parcelle agricole à l'exception de l'agriculture itinérante pionnière, selon laquelle le sol est cultivé jusqu'à

6 Par ruptures discontinues on entend des ruptures dans l'espace et le temps dans l'utilisation des parcelles à

cause des rotations cycliques et des périodes de mise en jachère ou l'abandon des terres après épuisement.

7 À cet effet, Conklin distinguait deux différents types d'agriculture itinérante, chacune étant divisée en

deux sous-catégories, alors que Watters en identifiait huit (Conklin, 1957 : 2-3, Watters, 1960 :65 cité dans Spencer, 1966: 23). Quant à Spencer, il a établi dix-huit variations de l'agriculture itinérante sur brûlis (1966: 204-212). Pour terminer, d'autres chercheurs lui attribuent une centaine de milliers de sous-techniques (Brookfield et Padoch cités dans Fox, et a i , 2000 : 521).

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épuisement et abandonné (Gouvernement du Laos, 2003 : 55, cité dans Evrard, 2004 : 13). L'agriculture itinérante pionnière est définie par Conklin (1957) comme un système partiel d'agriculture itinérante sur brûlis et est intégré aux autres modes de production utilisés afin de répondre à un but précis, tel que nourrir la famille, parce que les autres modes de production ne sont pas efficaces. Il ne fait pas nécessairement partie du mode de vie traditionnel des agriculteurs qui l'utilisent (Spencer, 1966 : 23).

2.3. Portrait général de l'agriculture itinérante sur brûlis à l'échelle mondiale

L'agriculture itinérante sur brûlis est pratiquée dans les régions tropicales humides. Ces territoire partagent quelques caractéristiques communes: une température moyenne annuelle qui s'élève au-dessus de 18 degrés Celsius au long de l'année, une température moyenne quotidienne de plus de 20 degrés Celsius et plus de 180 jours de croissance par année (Warner, 1991 : 3).

En 1957, la FAO affirmait que les agriculteurs itinérants sur brûlis étaient répartis sur un territoire de 3 600 millions d'hectares. Durant la décennie de 1970, l'agriculture itinérante sur brûlis était utilisée sur 30 % des sols exploitables au niveau mondial (Hauck, 1974 et Sanchez, 1976 : 346, cités dans Warner, 1991 : 9), ce qui représentait 750 millions d'hectares, soit le cinquième de la superficie établie par la FAO. D'où peut provenir un si grand écart? Tout d'abord, il peut s'agir de variations entre la définition des territoires potentiels ou du type d'agriculture itinérante sur brûlis concernées dans le tableau dressé par les chercheurs. Aussi, parallèlement à cette réduction des surfaces potentielles pour l'agriculture itinérante sur brûlis à l'échelle mondiale, on remarque une diminution du couvert forestier, qui, rappelons-le, est utilisé lors de l'application de cette pratique. De fait, le couvert forestier est passé de 3 800 millions d'hectares en 1963 (FAO, 2006 : 315) à 3 400 millions d'hectares de 1990 à 1995 (FAO, 1997 et 2006 : 319). Depuis les années 1990, les agriculteurs itinérants qui pratiquent le brûlis ne se rencontrent plus que dans le bassin du fleuve Amazone, en Amérique du Sud tropicale, en Afrique tropicale et en Asie du Sud-Est (Warner, 1991 : 1) (figure 2).

(26)

Figure 2

Utilisation de l'agriculture itinérante sur brûlis à travers le monde, 199

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_-> I I \ . \ rt Source: Warner, 1991 :1.

En ce qui a trait au nombre de personnes pratiquant cette agriculture à l'échelle mondiale, les estimations sont nombreuses. Par exemple, selon la FAO, on recensait 200 millions de personnes en 1957. Dans la deuxième moitié des années 1980, les estimations varient de 250 à 500 millions d'agriculteurs. L'estimation la plus élevée se chiffre à 1 milliard en 1997, alors que, des sources plus récentes suggèrent plutôt un nombre total de 37 millions d'agriculteurs itinérants (tableau 1).

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Tableau 1

Les agriculteurs itinérants sur brûlis dans le monde. Des estimations contrastées, 1957-2005.

Source Estimation FAO, 1957 200 000 000 Dove, 1983 240-300 000 000 Lanly, 1985b et Braby, 1996 500 000 000 Myers, 19861 300 000 000 Russel, 1988' 250 000 000 Thrupp et al, 19972 1 000 000 000 Gifler et Palm (2004) et Sanchez et al. (2005)2 37 000 000

Notes : Pour chacune des estimations, précisées. Sont présentées dans ce publication.

Cités dans Warner, 1991 : 9.

2Cités dans Ducourtieux, 2006 : 22.

les années ne sont pas tableau les années de

Les estimations varient donc entre 37 millions et 1 milliard, ce qui représente un écart très large. Cette différence marquée est bien sûr liée aux difficultés à définir la technique de l'agriculture itinérante sur brûlis comme il a été démontré précédemment. Mentionnons aussi que les définitions varient dans l'espace et le temps et selon la personne qui analyse la pratique agricole (les instances gouvernementales tendent à percevoir la pratique négativement comparativement aux chercheurs). Aussi, les autorités ont du mal à différencier les diverses techniques d'agriculture itinérante sur brûlis, ce qui nuit à leur interprétation de la situation (Bass et Morrison, 1994 : iii). Cependant, à l'exception des données fournies par Thrupp et al. (1997), ce portrait nous permet de constater que le nombre d'agriculteurs itinérants sur brûlis tend à diminuer. Cette situation est peut-être le résultat de l'évolution du contexte politique et économique ayant engendré la création de programmes de sédentarisation implantés par les différents gouvernements, comme ce fut le cas en Asie du Sud-Est. .

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2.4. Évolution du contexte politique et économique en Asie du Sud-Est

L'origine de la population sud-est asiatique s'explique par la migration de peuples venus du continent, notamment du sud de la Chine. Les premiers royaumes d'Asie du Sud-Est étaient situés entre la mer et les plaines et profitaient davantage des ressources maritimes. Puis, les royaumes établis ensuite se sont plutôt édifiés à l'intérieur des terres et ont concentré leurs activités sur l'agriculture : ce sont les royaumes agraires8 (De

Koninck, 2005 :43). Ces royaumes ont marqué l'histoire par le défrichement de la forêt, la colonisation agricole et l'expansion de la riziculture inondée.

À partir du XVIe siècle, les Européens, qui convoitaient les épices exotiques,

s'imposent de plus en plus en Asie du Sud-Est. Néanmoins, selon Jonathan Rigg, entre le XVIIe et le XVIIIe siècles, les Européens se sont quelque peu désintéressés de la région à

cause de la décevante quantité d'épices trouvées, de sa géographie particulière qui rendait la colonisation difficile et du défi militaire énorme face aux autres puissances européennes (Rigg, 1991 : 19-21). Puis, au début du XIXe siècle, alors que la révolution

industrielle battait son plein en Europe, la demande de matières premières augmenta. La colonisation a donc repris pour des raisons économiques, mais aussi religieuses avec l'évangélisation des populations locales (idem). Entre 1825 et 1870, presque tous les États étaient sous le contrôle des métropoles européennes. Le seul pays qui ait échappé à la colonisation est la Thaïlande. Par la suite, la Seconde Guerre mondiale et la présence japonaise (1941-1945) ont préparé le terrain pour l'indépendance des futurs États. Cet intérêt était alimenté par la défaite des Occidentaux face aux Japonais et donc la destruction de l'image d'invincibilité occidentale, par l'expérience des leaders locaux prêts à reprendre les rênes et par la montée du nationalisme. La région a connu un vent de décolonisation entre 1946 et 19759 (ibid. : 30-31).

8 Parmi les grands royaumes continentaux, on note celui des Birmans, les royaumes siamois, celui des

Khmers et le royaume viet. En ce qui concerne la région insulaire, on note ceux de Mojopahit et Maratam situés sur l'île de Java (De Koninck, 2005 : 44-50).

9 Les Philippines ont reçu leur indépendance en 1946, suivies de la Birmanie en 1948, de l'Indonésie et du

Viet Nam en 1949, le Cambodge en 1954, la Malaysia en 1957, Singapour en 1963, le Laos en 1953, le Brunei en 1984 et le Timor oriental en 2002 (De Koninck, 2005 : 78-88).

(29)

Parmi les impacts de la colonisation, on souligne l'introduction du capitalisme ainsi que de la production agricole pour la vente (vente des surplus agricoles et introduction de nouveaux produits tels que l'hévéa et le thé) et un effort d'intégration des régions marginales (Déry, 2008 : 77). Les agriculteurs étaient alors propulsés dans une économie de marché, nécessitant des investissements pour de nombreux nouveaux intrants (Rigg, 1991 : 22-23). On assistait à l'expansion et l'intensification de la riziculture.

Présentement, l'agriculture demeure une activité prédominante en Asie du Sud-Est. Elle s'adapte aux changements causés par l'augmentation de la population, la commercialisation et l'influence de l'État. Rigg met l'accent sur l'imposante présence des États dans le domaine agricole : « In no country of Southeast Asia can the pattern and nature of agriculture be portrayed as 'natural'. It is extensively molded by the state, and in this sense the form that agriculture takes is 'artificial' »(ibid. : 42).

Le type de production rizicole le plus important est la riziculture irriguée, suivi de la riziculture alimentée par l'eau de pluie, de la riziculture en eau profonde10, de la

riziculture sèche ou en hautes terres (agriculture itinérante sur brûlis) et de la riziculture inondée graduellement ou flottante11 (ibid. : 35) (figure 3).

10 Ici, la profondeur du bassin peut atteindre jusqu'à 1 mètre comparativement à la hauteur habituelle de

cinquante centimètres (Rigg, 1991 :36).

11 Dans le cas de la riziculture flottante, les graines sont semées avant l'inondation du bassin (idem). Les

épis poussent et s'élèvent au-dessus de la surface de l'eau à mesure que celle-ci s'élève. La profondeur du bassin peut atteindre 3 ou 4 mètres.

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Figure 3

Proportion des types de riziculture en Asie* (en pourcentage)

■ riziculture inondée D riziculture alimentée

par l'eau de pluie ■ riziculture en eau profonde ■ riziculture sèche ou en hautes terres D riziculture inondée graduellement Source : Rigg, 1991 :35.

Note: *La région nommée «Asie» par l'auteur correspond plutôt à l'Asie du Sud-Est puisque, selon les notes de ce dernier, elle ne comprend pas l'Inde, la Chine, le Japon ni les Corées.

Sachant que l'intensification agricole fait partie des projets actuels des gouvernements, qu'en est-il de la perception qu'ont les autorités de l'agriculture itinérante sur brûlis toujours bien présente sur le territoire sud-est asiatique et qui va à l'encontre de ces projets d'intensification?

2.5. L'agriculture itinérante sur brûlis : controverses d'origine ancienne

En Asie du Sud-Est, la perception négative de l'agriculture itinérante remonte au débarquement des Européens dans la région, alors qu'ils comparaient la pratique à un «fouillis» et à un «gâchis» (Barrau, 1974: 18). Déjà, à l'époque coloniale, les administrateurs avaient entrepris de sédentariser les agriculteurs itinérants sur brûlis pour faciliter l'administration de leurs territoires et mieux contrôler les populations, l'utilisation des terres et celle des ressources forestières (Spencer, 1966 : 3). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les nouveaux gouvernements indépendants ont gardé

cette position (Déry, 2008 : 78). Ce propos a aussi été soulevé par James C. Scott: « The unspoken logic behind most of the state projects of agricultural modernization was one of

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consolidating the power of central institutions and diminishing the autonomy of cultivators and their communities vis-à-vis those institutions » (1998 : 286).

Aujourd'hui, l'agriculture itinérante sur brûlis est toujours perçue comme primitive, peu productive et destructive pour l'environnement (deforestation et érosion du sol). De fait, une liste dressée par Thrupp et al. (1997, cités dans Ducourtieux, 2006 : 43-44) rassemble des critiques de cette pratique recueillies dans la littérature scientifique et des rapports d'organisations internationales qui vont dans ce sens. Bref, selon les autorités, l'agriculture itinérante sur brûlis nuit au développement des États ainsi qu'à leur environnement.

2.5.1. Des solutions...difficiles à appliquer

Pour contrecarrer les effets « dits néfastes » de l'agriculture itinérante sur brûlis, des programmes de relocalisation à grande échelle ont été implantés par les gouvernements de différents pays afin de modifier les pratiques des agriculteurs itinérants pour qu'ils deviennent des cultivateurs sédentaires (Fox et al, 2000 : 522). À titre d'exemple, citons les programmes de relocalisation au Laos12 et le programme de

sédentarisation au Viet Nam (Déry, 2004 : 109).

Néanmoins, une transition vers l'agriculture permanente amène divers problèmes auxquels les agriculteurs peuvent difficilement faire face pour plusieurs raisons. Parmi les nouvelles exigences que demande la pratique de l'agriculture permanente moderne, on note la nécessité d'avoir recours à des ressources externes (formation, capital, engrais, mécanisation et système d'irrigation) (Bass et Morrison, 1994 : ii ; Myllyntaus et a l , 2002 : 294 ). L'adoption de l'agriculture permanente par les agriculteurs itinérants sur brûlis implique généralement le déplacement des paysans des montagnes vers les plaines. Par ailleurs, les droits fonciers sur le nouveau territoire ne sont pas garantis, tout comme l'accès aux nouveaux services promis par l'État (services de santé et d'éduction) {idem). En dernier lieu, Pinkaew Laungaramsrï (cité dans Colchester, 1999 : 178) évoque le côté unidirectionnel de cette transition encouragée par les autorités. Selon elle, l'utilisation

(32)

d'une combinaison de pratiques agricoles (agriculture itinérante sur brûlis, agriculture permanente et autres sous techniques) est plutôt à considérer.

2.5.2. Et si les agriculteurs itinérants n'étaient pas les seuls responsables ?

En premier lieu, dans les régions tropicales, d'autres facteurs entrent en jeu lorsque vient le temps de faire l'étude de l'utilisation du sol et de la deforestation. En fait, on recense deux secteurs compétitifs majeurs qui convoitent les ressources foncières, soit la coupe commerciale du bois et l'expansion agricole (Myllyntaus et al, 2002 : 284). Dans la même veine, Fox ajoute : « The real threat to these tropical forests is posed by the steady advance of large-scale permanent and commercial agriculture » (Fox, 2000 :

1).

En second lieu, de nombreux auteurs ont fait la démonstration que l'agriculture itinérante sur brûlis n'est pas nécessairement nuisible aux forêts tropicales (Dove, 1983 ; Warner, 1991 ; Sponsel et al, 1996 ; Schmidt-Vogt, 1998 ; Fox, 2000 ; Seidenberg et al., 2003 ; ADB/UNEP, 2004). Dans un rapport préparé pour la FAO, Warner mentionnait, qu'au contraire, les techniques utilisées par un bon nombre de cultivateurs permettaient à la forêt de se régénérer. Elle expliquait qu'en plus de défricher la parcelle, la mise à feu apportait des bienfaits aux futurs sols cultivés en concentrant les nutriments (1991 : 11).

Dans un troisième temps, l'agriculture itinérante sur brûlis n'est pas nécessairement nuisible pour l'environnement si les périodes de mise en jachère sont assez longues pour permettre la régénération des forêts secondaires qui demeurent aussi diversifiées que les forêts primaires (ADB/UNEP, 2004 : 93). Ce point offre un avantage à cette technique par rapport à l'agriculture permanente qui ne le permet pas (Fox, 2000 : 3). L'agriculture itinérante sur brûlis est également plus efficace pour l'absorption du carbone et permet une plus grande conservation de la biodiversité (idem ; Collins et a l ,

1991 :31).

Il est faux de croire que cette technique est primitive puisque lorsqu'elle est l'unique mode de production utilisé par un groupe ethnique, les agriculteurs y accordent

(33)

beaucoup de soins et elle demande plus d'énergie que la riziculture (Condominas, 1980 : 200).

Finalement, avec la pêche, la chasse et la cueillette, l'agriculture itinérante sur brûlis prend part à un système, productif, stable et durable qui fournit une certaine souplesse si l'un des sous-systèmes échoue (Warner 1981, cité dans Warner 1991 : 12). Ces derniers propos rejoignent ceux de Mylyntaus et ses collègues : «In general, slash-and-burn farming, in the boreal zone as well as in the tropics, is an extensive system with no need for large capital inputs which can, under favorable conditions, be productive and, in the ideal case, also sustainable» (2002 : 294). Néanmoins, lorsque l'application de ce mode de production est déséquilibrée et que la rotation ne s'effectue pas régulièrement, à ce moment, des risques pour l'environnement se présenteront (Boulbet, 1984 : 66-67).

2.6. L'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est : portrait régional général en faits et en chiffres

Avec le temps, la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis a changé suivant l'évolution du contexte démographique et politique. En effet, la forte croissance démographique en Asie du Sud-Est depuis la seconde moitié du XIXe siècle a contribué à

transformer l'agriculture itinérante sur brûlis en créant une plus grande demande pour des terres cultivables. Les terres arables sont de moins en moins disponibles en Asie du Sud-Est en raison de l'augmentation de la population et de la diminution de la fertilité des sols; cela pousse les agriculteurs itinérants sur brûlis à intensifier leurs pratiques agricoles et ils reviennent plus rapidement sur leurs anciennes parcelles, ce qui rejoint la thèse d'Esther Boserup. Entre 1953 et 2006, la population a quasiment triplé en Birmanie, au Cambodge, en Indonésie et en Thaïlande. Durant la même période, elle a quadruplé au Laos et aux Philippines tandis qu'elle a pratiquement quituplé en Malaysia et au Vietnam (tableau 2).

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Tableau 2

Comparaison des données démographiques (par pays et en pourcentage)

Pays Population 1953 (en milliers) Population 20063 (en milliers) Superficie4 (km2) Densité de population 2006 (hab./km2) Population rurale3 (%) Population agricole3 (%) Birmanie 19 2721 48 379 676 572 72 69 68 Cambodge 4 740' 14 197 181 035 78 80 68 Indonésie 80 200' 228 864 1 904 842 120 51 40 Laos 1445' 5 759 236 800 24 79 75 Malaysia 5 706' 26 114 329 758 79 31 14 Philippines 212111 86 264 300 000 288 37 36 Thaïlande 19 5561 63 444 513 115 124 67 44 Vietnam 'r. - . . . . " ' I - - , ' 17 800- 86 206 331 041 260 73 65

2 Fisher, 1966 : 177, données pour 1958 tirées du livre Statistique des Nations Unies, 1962 (comprend le

Vietnam Nord et Sud).

3 Annuaire Statistique de la FAO (2007-2008). 4 De Koninck, 2005: 7.

Note : La population agricole comprend celle qui pratique la pêche et coupe la forêt.

Déterminer le nombre de personnes ou encore la superficie consacrée à ce type d'agriculture aujourd'hui n'est pas chose facile. Ceci est dû au manque d'information disponible et à l'imprécision des données qui sont accessibles. En effet, la catégorisation des types de sol n'est pas clairement définie par les États qui en ont fait le compte. Aussi, les représentations effectuées à partir des données gouvernementales regroupent trop de catégories à la fois. D'ailleurs, Fox et ses collègues accusent les gouvernements concernés de ne pas bien connaître la technique et les forêts secondaires qui en résultent (Fox et a l , 2000 : 522). Cette constatation fait en sorte que la deforestation est mal quantifiée puisque certains types de sol (scrub, brush, pasture, waste) sont inclus dans la deforestation alors qu'ils peuvent constituer des jachères ou des forêts secondaires en régénération. En Asie du Sud-Est, 26 % de l'ensemble du territoire ferait partie de ces catégories (idem).

2.6.1. Analyses cartographiques

Il est possible d'observer la situation en Asie du Sud-Est d'un point de vue cartographique en comparant la carte de Spencer (1966) avec celle de Trébuil et Hossain (2004). Bien qu'elles soient différentes, ces cartes nous renseignent sur la localisation des agriculteurs itinérants sur brûlis selon l'importance de la pratique à l'échelle régionale. En 1966, les principaux foyers de l'agriculture itinérante étaient le Est et le

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Nord-Ouest de la Birmanie, le Nord et le Nord-Est de la Thaïlande, le Nord et le centre du Laos, l'île de Bornéo et la Papouasie-Nouvelle-Guinée (figure 4).

Figure 4

Pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est, 1966

SHIFTING CULTIVATION ob..nt

r.mronlol diitribution only l i . q v . n i l y present, but not dominant dominant, bot not axclutivo

A r . o included in thii itudy

__.__= Source : Spencer, 1966 : 12.

En 2004, les régions concernées étaient celles plutôt au nord du Laos, la partie est de Kalimantan, les petites iles de La Sonde et l'archipel des Moluques (figure 5).

(36)

Figure 5

Proportion de la surface rizicole cultivée avec la technique de l'agriculture itinérante sur brûlis dans l'Asie des moussons

\r

JAPON * Y ^'fAMBOOC. / %-*rh l MER j DES FHILIPPISES M M M OCEAN INDIEN

legandt (X lurroca totals an riz)

1 1 Ab-enc* C_J «2 _^_ 265 O 5610 ■ 1 10620 __■ 20 6 40 ■_. >40 __■ Pas da donné** 2 0001m

Source : Trébuil et Hossain, 2004 : x, cité dans Ducourtieux, 2006 : 31.

Bref, on remarque que les régions où la pratique de l'agriculture est dominante sont situées aux mêmes endroits, mais que ces superficies ont rétréci.

2.6.2 L'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est : portrait par pays Appelée caingin aux Philippines, humah à Java, ladang en Malaysia, taungya en Birmanie, tamrai en Thaïlande, rây au Vietnam et hai au Laos, l'agriculture itinérante sur brûlis fait partie intégrante du paysage des pays d'Asie du Sud-Est. Cette section présente la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en Asie du Sud-Est, par pays, à partir de données disparates. Ici, nous tenterons d'aller plus loin que les analyses précédentes, soit au-delà des années 1980 pour vérifier si les tendances à la diminution concordent avec les chiffres qui concernent les différents États. Les pays retenus sont la Birmanie, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaysia, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam.

Figure

Figure 6  Relief, Laos

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