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Riz de ray : surfaces

Chapitre 6. L'agriculture itinérante sur brûlis : constats générau

Au fil du temps, les « hommes de la forêt » ont adapté l'agriculture itinérante sur brûlis en réponse aux conditions environnementales et socio-économiques changeantes, consciemment ou non (Myllyntaus, et al, 2002 : 294). Cette pratique a aussi été modifiée en fonction des restrictions issues des politiques gouvernementales (relocalisation, stratégies des sites de développement prioritaires, allocation foncière, consolidation des villages et création des aires protégées). Comme il a été indiqué dans les chapitres précédents, cette situation déséquilibre l'ensemble du système agricole, ce qui a pour effet de contrevenir au caractère durable qu'assurait auparavant l'agriculture itinérante sur brûlis. L'ensemble de ces facteurs contraint les agriculteurs à modifier leurs pratiques agricoles s'ils veulent arriver à subvenir à leurs besoins. Ceci a pour effet de transformer leur mode de vie, notamment par une intégration plus ou moins volontaire aux échelons supérieurs par la production d'hévéa.

Ce chapitre se veut un retour sur les résultats de recherche observés dans les chapitres précédents et une interprétation de ces mêmes résultats afin de tisser des liens entre eux. Plus précisément, il sera question de constatations multiscalaires concernant l'évolution de l'agriculture itinérante sur brûlis, des fausses perceptions à propos des opportunités économiques qui s'offrent aux agriculteurs itinérants sur brûlis et de la relation entre cette pratique agricole et la deforestation observée. Les priorités du gouvernement seront aussi revues, à savoir si les autorités favorisent le développement ou la protection environnementale. Puis, une analyse de l'évolution des conditions de vie des villageois de Lunag Namtha sera effectuée et finalement, les limites de cette recherche seront exposées.

6.1. Constatations multiscalaires

Bass et Morrison (1994) affirment que l'augmentation de la population, le développement des routes et des marchés et l'introduction de l'économie de marché ont pour impacts la réduction des périodes de mise en jachère si les cultivateurs veulent atteindre des rendements satisfaisants. Cette intensification augmente les risques

d'érosion du sol, ce qui diminue la fertilité du sol et, par le fait même, la productivité. Une telle situation contraignante peut mener à des modifications de la technique agricole : une transition vers l'agriculture itinérante pionnière ou vers l'agriculture permanente, une hausse de la production à des fins commerciales et l'intégration dans l'économie nationale (ibid. : ii).

Cette argumentation s'apparente à la situation analysée à différents échelons géographiques : l'Asie du Sud-Est (chapitre 2), le Laos (chapitre 3) et la province de Luang Namtha (chapitre 4). Dans les trois cas, on constate une diminution de la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis : de manière générale en Asie du Sud-Est, durant les années 1960, et à la fin des années 1980 au Laos, dont à Luang Namtha.

Comme l'ont soulevé Bass et Morrison, on constate que ce recul de la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis peut être lié à la forte croissance démographique qui a eu lieu en Asie du Sud-Est, y compris au Laos, et ce, depuis la Seconde Guerre mondiale. En ce qui concerne la province de Luang Namtha, la population continue également de croître depuis les 20 dernières années. Par ailleurs, la mise en place de certains programmes de développement tels que l'allocation foncière ou la création d'aires protégées a pour effet de limiter la durée des périodes de mise en jachère et l'accès aux terres. La combinaison de ces éléments, l'augmentation de la population et l'implantation de programmes de développement restrictifs, contraint les agriculteurs à changer leurs méthodes de production, et, comme il a été indiqué dans le cas de Luang Namtha (chapitres 4 et 5), ceux-ci optent parfois pour l'agriculture permanente. Toutefois, encore à Luang Namtha, cette dernière possibilité n'est pas toujours envisageable à cause du peu de terres propices à l'agriculture vivrière disponibles. Pour obtenir un revenu, les villageois sont alors intégrés dans l'économie nationale par le développement des plantations d'hévéas, qui demandent un terroir moins exigeant (chapitres 4 et 5).

Cependant, comment expliquer ce recul de l'agriculture itinérante sur brûlis plus tardif au Laos ? À titre d'hypothèse, la pénétration du marché, ce que Jonathan Rigg (2006) appelle la marketisation ou l'intégration à l'économie de marché, n'a eu lieu que récemment au Laos, en particulier dans les montagnes du Nord. Ceci pourrait expliquer

le décalage dans le recul de la pratique de l'agriculture itinérante au Laos par rapport au reste de l'Asie du Sud-Est. Depuis un peu plus d'une vingtaine d'années, certaines opportunités économiques s'offrent aux populations montagnardes telles que la vente du latex tiré la production d'hévéas, de fruits et de légumes qui sont destinés aux compagnies nationales laotiennes ou étrangères, plus particulièrement chinoises et thaïlandaises.

6.2. Fausses perceptions des opportunités économiques qui s'offrent aux agriculteurs itinérants sur brûlis

Longtemps perçue comme une pratique répondant aux besoins de subsistance, l'agriculture itinérante sur brûlis ne limite toutefois pas les ressources des agriculteurs qui l'utilisent. Michael Dove (1983) explique qu'il est vrai que les agriculteurs assurent leur subsistance avec la nourriture produite par l'agriculture itinérante sur brûlis et que cette production est rarement destinée aux marchés même s'il y a des surplus. Cependant, il arrive que ces agriculteurs mélangent d'autres activités économiques qui leur permettent de prendre part aux marchés locaux et même parfois internationaux, dont le travail dans les plantations d'hévéas, et la culture des fruits et des légumes dans la province de Luang Namtha (chapitres 4 et 5). Malgré le fait que l'agriculture itinérante sur brûlis ne nuit pas au développement des populations locales puisqu'il offre certaines opportunités, il est considéré comme l'une des principales causes de deforestation. Mais tel que présenté dans la section suivante, quelques chiffres tendent à infirmer que l'agriculture itinérante sur brûlis n'est pas la première cause de deforestation.

6.3. Agriculture itinérante sur brûlis et deforestation

De fait, les aires protégées ont été créées afin d'éliminer l'agriculture itinérante sur brûlis, d'intégrer les populations et de préserver la forêt. Précisons que depuis les années 1950, l'Asie du Sud-Est, dont le Laos, a vu son couvert forestier décroître de façon accélérée et continuelle (Boulbet, 1984 : 22-23), à l'exception du Vietnam qui connaît une hausse de sa superficie forestière depuis 199048 (FAO, 2005) (tableau 36).

48 II faut toutefois apporter quelques nuances concernant l'évolution du couvert forestier vietnamien. Selon

Pareillement, Rodolphe De Koninck (1997 : 1) indique que le couvert forestier sud-est asiatique a diminué du tiers depuis les années 1960, ce qui, a priori, justifie la création des aires protégées.

Tableau 36

Évolution du couvert forestier en Asie du Sud-Est continentale (en milliers d'hectares et en pourcentage)

Pays 1990 2000 2005

Pays

Superficie % Superficie % Superficie %

Birmanie 39 219 58 34 554 51 32 222 47

Cambodge 12 946 72 11541 64 10 447 58

Laos 17314 73 16 532 70 16 142 68

Thaïlande 15 965 31 14 814 29 14 520 28

Vietnam 9 363 28 11 725 36 12 931 39

Source : FAO (2005) Global Forest Resources Assessment.

Notes : La FAO définit la forêt comme suit : « Land spanning more than 0,5 hectares with trees higher than 5 meters and a canopy cover of more than 10 percent, or trees able to reach these thresholds in situ. It does not include land that is predominantly under agricultural or urban land use ».

On remarque que la superficie forestière ne cesse de décroître malgré les efforts de protection et de conservation environnementale qui, dans la plupart des cas, remontent à fin du XIXe siècle, durant la période coloniale (Vanhooren, 2006). Aussi, cette

diminution du couvert forestier continue même s'il a été constaté précédemment (chapitres 2, 3 et 4) que la pratique de l'agriculture itinérante décroit de manière générale en Asie du Sud-Est. Évidemment, d'autres éléments doivent entrer en ligne de compte dans l'énumération des causes de deforestation : l'utilisation des produits forestiers comme matériaux de construction et combustible, l'exploitation commerciale de la forêt, l'expansion agricole (De Koninck, 1994 : 41-42) et les coupes reliées aux projets de développement d'infrastructures (routes et barrages hydroélectriques), etc.

Le présent débat entourant la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis serait donc issu des propositions d'utilisation du sol et de la forêt qui comprend l'industrie forestière, l'exploitation des mines, l'agriculture commerciale à grande échelle, les programmes de relocalisation, les projets de construction de barrages et, parallèlement, la hausse de la population (Myllyntaus et al, 2002 : 291). Toutefois, à la suite des

différentes évaluations du couvert forestier sont probablement issues de variation dans la définition des forêts représentées.

programmes implantés par le gouvernement laotien dans le but de protéger les forêts, dont la création des aires protégées et la relocalisation, on peut se demander quel est l'objectif prioritaire de l'État.

6.4. Développement ou protection environnementale ?

Depuis 1979, différentes actions ont été entreprises par le gouvernement afin de sauvegarder les ressources forestières. Après une analyse des deux approches, protection des forêts et les programmes de développement rural, il apparaît difficile de retracer l'ordre de priorité du gouvernement dans l'application de ces programmes. Selon Evrard (2004 : 14), « La problématique foncière telle qu'elle se pose aujourd'hui au Laos apparaît comme le résultat d'un parti pris délibéré en faveur d'une politique "forestière", "légaliste" et "conservationniste" qui officiellement vise à améliorer le niveau de vie des paysans, mais qui cherche avant tout à protéger la forêt ». En observant la situation des agriculteurs itinérants sur brûlis, cela confirme ces dires. Les résultats d'une enquête menée à Phongsaly (Ducourtieux, 2006) démontrent que le gouvernement restreint d'abord les périodes de mise en jachère pour sauvegarder la forêt. Cette contrainte, à laquelle se greffe la mise en place des aires protégées, restreint la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis en éliminant un certain nombre d'espaces autrefois utilisés durant le cycle agricole, entraînant du même coup une augmentation de la pression foncière. La période de mise en jachère est réduite, ce qui contribue à faire diminuer la production. Finalement, le tout engendre une réduction du revenu familial qui repose principalement sur l'agriculture. Pour subvenir à leurs besoins, les villageois apportent des changements à leur système de production ou optent pour la mise en culture de nouveaux produits, quitte à transformer leur mode de vie.

Du côté des villageois rencontrés à Luang Namtha, il a également été constaté que les agriculteurs ont adopté un virage dans leur pratique agricole, et ce, depuis la mise en place des programmes gouvernementaux (relocalisation, allocation foncière et aire protégée) (chapitres 4 et 5). De fait, l'agriculture itinérante sur brûlis n'était pratiquée que dans trois villages sur les treize visités, comparativement à dix suivant l'arrivée sur le nouveau site. Aussi, actuellement, dans sept villages les agriculteurs mélangent

agriculture itinérante et permanente alors qu'un seul le faisait suite à la relocalisation. Concernant l'évolution de la durée des périodes de mise en jachère, faute de données, il est possible d'affirmer qu'il y a une diminution dans trois villages uniquement. Pour ce qui est de la productivité des terres, les représentants de dix villages ont affirmé qu'elles étaient moins productives depuis la relocalisation. Ces faits (diminution de la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis, de la durée des périodes mise en jachère et de la productivité) rejoignent les constatations d'Oliver Ducourtieux (2006). Toutefois, il est impossible de dresser le lien entre la diminution de la productivité et des revenus dans le cadre de cette étude, d'autant plus que les résultats obtenus indiquent plutôt une diversification agricole et économique à l'échelle du village, depuis l'arrivée des villageois sur le nouveau site.

6.5. Les conditions de vie : amélioration ou détérioration ?

Outre l'analyse des réseaux socio-économiques des villageois afin de vérifier l'évolution de leurs modes de vie depuis la relocalisation et la mise en place de l'aire protégée de Nam Ha (chapitre 5), la prise en compte de l'accès aux besoins de base nous permet d'appuyer avec certaines nuances les constations faites dans le chapitre précédent : une certaine amélioration des conditions de vie des villageois par l'accès aux services d'éducation et de santé.

En ce qui concerne l'accès à l'eau par le biais d'un système d'approvisionnement, l'ensemble des 13 villages à l'étude en bébficient, toutefois, dans trois cas, les villages de Nam Kap Thai, Lakkaimai et Nong Boua, les systèmes ne sont pas toujours fonctionnels durant la saison sèche. Aussi, dans le village de Namsing, selon les habitants, l'eau n'est pas propre à la consommation.

Dans 11 villages sur 13, la route est accessible durant toute l'année. Les deux exceptions sont les villages de Heu Hôk et Nam Kap Thai où la voie routière n'est plus praticable durant la saison des pluies.

L'électricité est disponible dans 11 villages sur 13, les villages de Heuay Hôk et Nam Kap Thai faisant exception encore une fois. Cependant, les systèmes fournissent

l'ensemble des villageois d'un même village dans deux cas uniquement : les villages de Sop Oe et Lakkaimai.

Par ailleurs, mis à part ces manques, les villageois ont profité de mon passage pour formuler des demandes bien spécifiques, comme quoi la venue de chercheurs ne leur est pas inconnue. Cette situation peut aussi illustrer une impossibilité de faire remonter les demandes aux autorités. La demande la plus populaire était la construction d'un système d'irrigation soulevée dans les villages de Prang, Namsing, Sop Oe et Tha Se. Les chefs de Namsing et Nong Boua ont spécifié que cette démarche serait nécessaire pour entreprendre l'agriculture permanente, une transition souhaitée par le gouvernement. Les autres demandes sont plutôt isolées, selon les besoins des villageois. Dans le cas de Prang, on a réclamé l'accès à une forme de financement pour entreprendre des activités d'élevage alors qu'à Nam Kap Thai, on sollicitait des installations sanitaires et à Nong Boua la construction d'une nouvelle école puisque celle présentement utilisée était trop petite. Finalement, les villageois de Done Xai ont demandé la mise en place de projets pour combler le creux financier occasionné par le délai de la récolte de la sève d'hévéa (rappelons que les agriculteurs doivent attendre que les arbres atteignent leur maturité, soit sept à huit ans).

En somme, malgré que jusqu'à ce jour tous les villages aient amélioré leur situation en ce qui à trait aux services d'éducation et de santé, certains besoins de base ne sont pas totalement comblés. Des interventions pourraient être priorisées afin de remédier à la situation puisque les initiatives de développement ne pourront réellement réussir que si les besoins de base sont satisfaits.

Bien que l'accès auxe services d'éducation aient connu une amélioration, il faut souligner le fait que la langue d'enseignement est le lao. Ainsi, on ne peut pas confirmer que cette amélioration s'applique aux minorités ethniques. Toutefois, selon Yves Goudineau, l'enseignement dans les langues et les dialectes de groupes minoritaires est impossible parce qu'il y a trop de langues différentes utilisées au Laos et que la majorité n'ont pas de systèmes de transcription. De plus, certaines sont mal connues (Goudineau, 2003 : 265). Il demeure néanmoins que l'enseignement en Lao consiste en une forme

d'intégration à laquelle les minorités doivent se soumettre s'ils veulent bénéficier de ce service. L'impact de l'enseignement en Lao sur les groupes minoritaires reste alors à vérifier. De manière générale, l'amélioration des services est trop récente pour identifier une acculturation.

6.6. Limites de la recherche

Quelques éléments limitatifs liés à cette recherche doivent être soulignés. Tout d'abord, il faut reconnaître que la partcipation d'un interprète lors des enquêtes a, en quelque sorte, limité le lien entre la chercheuse et les villageois. Il est fortement suggéré qu'un effort soit fait dans le but d'apprendre la langue lao. Il s'agit d'un atout important puisque dans cette région du Nord du Laos, à l'extérieur du centre des districts, il y a très peu de gens, pour ne pas dire aucune personne, qui arrive à parler une autre langue. Évidemment, ce travail ne ferait que faciliter les échanges avec les populations locales. Bien que le travail de l'interprète ait été énormément apprécié, il semble qu'à quelques reprises, l'exercice de traduction ait été une barrière dans la compréhension du discours des gens interpellés.

Les propos des populations locales n'ont pas toujours été faciles à comprendre. À maintes reprises, les mêmes questions ont dû être posées et reformulées afin d'arriver à décortiquer l'exactitude des propos des villageois qui semblaient se contredire par moment (peut être dû à une incompréhension des questions par les villaegois ou un manque d'information). Aussi, à certains moments, la véracité des propos portant sur la critique des interventions des autorités étaient douteuse. Certains villageois semblaient s'assurer de tenir un discours non contradictoire avec celui des autorités, notamment concernant les impacts de l'implantation de l'aire protégée de Nam Ha.

Par ailleurs, il a été malaisé de discuter avec les femmes. Dans pratiquement tous les cas, il a fallu insister pour que des femmes (non prises en compte et/ou barrière de la langue) puissent participer à des entretiens, et ce, même si cela avait été clarifié avec le chef du village la veille. De plus, l'importance de la collaboration des femmes a du être expliquée à l'interprète puisqu'il ne la considérait pas non plus. Selon lui, il était préférable de s'adresser aux hommes puisque ce sont eux qui sont responsables des

activités agricoles et économiques de leur famille respective. À plusieurs reprises, il a été demandé à l'interprète de s'adresser directement à elle et non au chef ou au vice-chef (rappelons qu'un ou l'autre assistait à tous les entretiens des villageois). Bref, des faits tout aussi contraignants qu'intéressants.

Il faut souligner le fait que seules des personnes pouvant parler lao ont été interrogées. Le niveau de connaissance variait de village en village, selon le groupe ethnique. En fait, plus nous nous éloignions des centres des districts, plus il devenait difficile de converser avec les villageois. La barrière de la langue a donc été un obstacle dont il est important de tenir compte dans cette étude.

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