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L'agriculture itinérante sur brûlis : le cas spécifique du Laos

L'agriculture s'intègre dans le mode vie de millions de Laotiens, tant sur le plan économique que sur les plans sociaux et culturels. En plus d'être lié de près aux coutumes et aux croyances de la population, ce secteur représente plus de 80 % de la population active et plus de 50 % du produit national brut (Sisouphanthong et Taillard, 2000 : 74).

Au Laos, la production agricole par l'entremise de l'agriculture itinérante sur brûlis est toujours bien présente. Cette situation s'explique, entre autres, par le fait que 80 % de son territoire est montagneux : un relief favorable pour ce type de pratique agricole, mais qui n'est pas propice à l'agriculture sédentaire en plaine et à l'élevage intensif. Un peu plus de 70 % de la population du Laos est rurale17 et la densité reste

faible par rapport aux pays voisins.

L'utilisation de cette pratique agricole permet aussi de combler une fraction des besoins alimentaires régionaux puisque le riz cultivé selon les pratiques de l'agriculture itinérante sur brûlis approvisionne en partie les centres urbains qui, autrement, devraient combler leurs besoins alimentaires en important du riz depuis la Chine et la Thaïlande. Le riz cultivé sur les parcelles de brûlis est également prisé par les consommateurs pour son goût et son parfum (Evrard, 2006 : 22-23).

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Le portrait ethnique du Laos est plutôt diversifié ; près de 60 % de la population appartient au groupe linguistique tai qui préconise l'agriculture permanente dans les plaines alors que les membres des groupes linguistiques austro-asiatique, miao-yao et sino-tibétain utilisent les ressources forestières dans leurs pratiques agricoles. La position

17 Le gouvernement laotien attribue le titre de population rurale aux communautés qui ne possèdent pas au

moins deux des cinq critères suivants : l'accès à l'électricité, l'eau, des routes, un marché, des bureaux provinciaux ou du niveau du district (Lilao, 2005: 13).

18 Ce qui est le plus surprenant au Laos, ce n'est pas tant le nombre de groupes ethniques que la quantité des

estimations qui ont été tentées. Alors que le recensement de 1985 dénombrait 68 groupes ethniques différents, celui de 1995 ainsi que Mckinnon et Michaud (2000 : 22) en identifiaient plutôt 47. Par ailleurs, Sisouphanthong et Taillard (2000) en ont recensé 49. Pour sa part, Chazée (2006:1 ) en dénombre 132 (groupes et sous-groupes) répartis dans quatre familles linguistiques : tai, austroasiatique, miao-yao et sino- tibétaine.

gouvernementale quant aux minorités ethniques s'inspire des écrits de Marx, Lénine et Staline qui préconisent la diversité culturelle et une chance égale pour tous les différents groupes ethniques (Pholsena, 2006: 176). Toutefois, comme au Vietnam, le gouvernement a établi une distinction nette entre les «bonnes» et les «mauvaises» traditions, en particulier celles qui concernent les modes de production : l'agriculture itinérante sur brûlis est jugée destructive et arriérée alors que l'agriculture permanente est plus évoluée et productive (idem).

Les raisons qui poussent les paysans à opter pour l'agriculture itinérante sur brûlis sont bien évidemment la tradition, mais aussi le manque de terres disponibles dans les plaines pour entreprendre la riziculture permanente inondée19 (Chazée, 1998 : 194). Par

ailleurs, dans le contexte laotien, l'agriculture itinérante possède quelques avantages comparativement à l'agriculture permanente. En fait, cette pratique permet aux familles d'obtenir des rendements satisfaisants sans avoir recours aux animaux de trait, ni aux intrants extérieurs qui leur sont trop souvent inaccessibles (outils sophistiqués, mécanisation, fertilisants, herbicides, etc.). De plus, la proximité de la forêt garantit un meilleur apport nutritionnel que celui de l'agriculture en plaine de par la diversité des produits recueillis : champignons, bambous, rotins, feuilles, tubercules, fleurs, tiges, écorces, épices, graines, miel, cire, oiseaux, mammifères, insectes, batraciens, reptiles, crustacés, mollusques (ibid., 1998 : 191). Ces produits peuvent aussi être vendus pour procurer un revenu aux paysans. Ainsi, il arrive à maintes reprises que les agriculteurs comptent sur un mélange de plusieurs techniques pour assurer leur subsistance (Evrard, 2004 : 13). À l'agriculture itinérante sur brûlis, s'ajoutent la chasse, la cueillette des produits forestiers non ligneux, la pêche et parfois le travail non agricole.

Ce chapitre porte sur l'évolution de l'agriculture au Laos en s'attardant spécifiquement sur l'agriculture itinérante sur brûlis et aux programmes qui ont été mis en place pour limiter cette pratique. Le chapitre commence d'abord par un portrait géographique et historique afin de présenter le contexte dans lequel l'agriculture et plus spécifiquement l'agriculture itinérante sur brûlis laotienne ont évolué.

3.1. Contexte géographique et historique 3.1.1. Aperçu d'une région particulière

Pays d'Asie du Sud-Est enclavé, le Laos partage une frontière commune avec la Thaïlande, la Birmanie, la province chinoise du Yunnan, le Vietnam et le Cambodge. Il s'étend sur 236 800 kilomètres carrés et sa largeur varie entre 100 et 400 kilomètres d'est en ouest alors que sa longueur atteint 1 700 kilomètres du nord au sud. Son territoire comprend un tiers du bassin du Mékong et plus des trois quarts de son territoire sont montagneux (les altitudes variant entre 200 et 2 820 mètres) (figure 6).

Figure 6 Relief, Laos

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3.1.2. Histoire ancienne du Laos et agriculture

Peu d'information est disponible concernant les débuts du peuplement au Laos. Néanmoins, des indices ont révélé que l'arrivée des premiers occupants remonte à la période néolithique, qu'ils appartenaient au groupe linguistique austro-asiatique et qu'ils pratiquaient l'agriculture itinérante sur brûlis dans les montagnes (Chazée, 2002 : 14). La migration des Taï a débuté au IXe siècle et a eu des impacts sur le paysage agricole de la

région avec l'introduction des pratiques d'irrigation dans les plaines (ibid. : 15).

Puis, au XIVe siècle, le royaume du Lan Xang ou du million d'éléphants a été créé

sous le règne de Fa Ngum (idem). Le système de gouvernance reposait sur les seigneuries (principautés) où le Seigneur ne cherchait pas à contrôler le territoire et la population, mais plutôt à rassembler la plus grande armée possible afin de dominer ses voisins (Bruneau, 2006 : 88 et 91). Le royaume a connu son apogée au XVIIe siècle, avant d'être

tiraillé entre le Siam et le Dai Viet respectivement la Thaïlande et le Vietnam actuels. Au siècle suivant, le poids des puissances voisines ennemies a brisé l'unité du Lan Xang et ce dernier a été divisé en trois principautés : Luang Prabang au nord, Vientiane au centre et Champassak au sud. Plus tard, au XIXe siècle, le Siam a annexé les principautés du

nord et du sud (Pholsena et Banamyong, 2006 : 5). Par ailleurs, les divisions au sein du royaume laotien alimentaient l'influence vietnamienne à l'est du Mékong menant à des affrontements entre le Siam et le Dai Viet pour le contrôle des Lao et des Knmers (ibid. : 6). Aussi, à partir de 1820, sont arrivées les populations miao-yao et sino-tibétaines (Chazée, 2002 : 15). En 1847, les autorités des royaumes du Siam et du Dai Viet ont procédé à la signature d'un traité de souveraineté partagée sur le territoire Khmer et dans les Plaines de Jars (Pholsena et Banamyong, 2006 : 6).

Durant cette période, la société laotienne taie, qui comprend le sous-groupe lao, était stratifiée en quatre groupes : les aristocrates, les paysans libres ou roturiers, les esclaves et, au plus bas de l'échelle, les ethnies non lao (Pholsena, 2006 : 23). Comme au Siam, la population taie formait la majorité ethnique et dominait sous de nombreux aspects. Ainsi, cette dichotomie lao-non lao, plaines-montagnes, agriculteur permanent- agriculteur itinérant sur brûlis existe depuis l'arrivée même des populations taïes et a été alimentée par la présence des États voisins sur le territoire.

En ce qui concerne l'histoire de l'évolution agricole avant la présence des Européens, selon Laurent Chazée , l'agriculture a évolué de cette façon : d'abord la chasse et la cueillette ; ensuite l'agriculture itinérante sur brûlis ; et finalement l'agriculture permanente (Chazée, 1998 : 143). Actuellement, tous ces systèmes sont encore utilisés au Laos. Les chasseurs-cueilleurs sont certes devenus plutôt marginaux tandis que le groupe le plus important est celui qui pratique l'agriculture sédentaire (tableau 6).

Tableau 6

Cinq stades d'évolution des systèmes de production au Laos et la proportion actuelle d'utilisateurs pour chacun de ces systèmes

Systèmes de production Utilisateurs

(%)*

1. Chasse-cueillette-pêche 0,002**

2. Chasse-cueillette-pêche-proto-agriculture-proto- élevage itinérant en système forestier avec échanges intra-villageois

10

3. Proto-agriculture-proto-élevage sédentaire à semi- sédentaire avec chasse-cueillette, poterie et échanges intra et inter-villageois

35

4. Agriculture-élevage sédentaire avec modification des techniques agricoles, outillage, échanges intra et inter- villageois, pluriactivité et chasse-cueillette

45

5. Agriculture-élevage sédentaire-transformation- commercialisation liée à l'urbanisation et au développement des marchés

10

Total (4 581 258 habitants*) 100

Source : Chazée, 1998 : 143-144.

Notes : *Les pourcentages sont basés sur la population nationale de 1995.

**Lors du recensement de 1995, on a trouvé 100 personnes qui utilisaient toujours ce système de production.

Ici, la théorie d'Esther Boserup est corroborée par le tableau dressé par Laurent Chazée (tableau 6) : l'évolution des pratiques agricoles se fait généralement du système le plus extensif (agriculture itinérante sur brûlis) au système le plus intensif (agriculture permanente) et est le résultat d'une augmentation de la population ou d'une diminution de la fertilité du sol.

20 Laurent Chazée est un ingénieur agricole qui a mené plusieurs études socio-économiques au Laos, entre

1988 et 1995. 11 est retourné au Laos en 1997 où il travaille au sein du Programme des Nations Unies pour le développement. Aussi, en 1998, il a publié sa thèse doctorale portant sur l'évolution des systèmes agricoles au Laos.

3.2. Évolution récente des modes de production (1886 à aujourd'hui)

Analyser l'évolution de l'agriculture au Laos n'est pas chose simple faute de données récentes. Le peu d'informations disponibles peut s'expliquer par l'ouverture relativement tardive du pays (1986) et donc la présence retardée d'ONG sur le territoire ainsi que le financement étranger pour appuyer la mise en œuvre des projets nationaux. Aussi, il faut mentionner le fait que les statistiques gouvernementales ne concordent pas toujours avec la réalité. Ces écarts tendent généralement à augmenter les rendements agricoles et à diminuer la superficie utilisée pour l'agriculture itinérante sur brûlis (Chazée, 1998 :90).

Néanmoins, plusieurs chercheurs ont observé chronologiquement l'évolution de l'agriculture au Laos depuis la période coloniale pour tenter d'en comprendre les changements (Chazée, 1998 ; Sacklokham, 2003 ; Ducourtieux, 2006 ; etc.). Ces résultats varient à tous les coups, en fonction des critères utilisés et des paramètres retenus (ministère de l'Agriculture et des Forêts; Chazée, 1998; Sacklokham, 2003). La diversité des techniques agricoles est en partie liée à la diversité territoriale du Laos : types de sol, topographie, altitude, précipitations, types de végétation, système d'utilisation du sol, degré d'intégration à l'économie de marché, habitudes alimentaires, croyances et traditions ethniques, connaissance des pratiques locales, degré de conversion de l'agriculture itinérante sur brûlis vers l'agriculture permanente, degré d'intégration culture-élevage, etc. (NAFRI, 2005 : 48). Globalement, le bilan de ces classifications nous permet de distinguer quatre périodes selon le type d'interventions gouvernementales : l'époque coloniale, la période des conflits de guerre, la collectivisation et la phase d'ouverture et de libéralisation.

3.2.1.1886-1945 : la période coloniale

L'intervention française au Laos a débuté en 1886 alors que la métropole voulait rattacher le territoire à l'Indochine française et le placer sous son protectorat (Bruneau, 2006 : 97). Ainsi, en 1893, un traité selon lequel le Siam devait céder ses territoires situés à l'est du Mékong à la France a été signé (Pholsena et Banamyong, 2006 : 6).

En Asie du Sud-Est, l'arrivée des Européens allait apporter des changements importants au sein de l'ancien royaume : la définition des frontières, une nouvelle structure bureaucratique centralisée (idem) et le développement des réseaux de communication (ibid. : 133 et Déry, 2008 : 75-77). Relativement à ces réformes, les montagnards ont tenté de préserver leur autonomie politique allant jusqu'à l'utilisation des armes (Stuart-Fox, 1997 :34 et Pholsena, 2006 : 34 et 40).

Les Français sont aussi responsables de l'émergence d'une identité moderne chez ces populations (Pholsena, 2006 : 19). Ce sont eux qui ont imposé un nom et un territoire aux montagnards. Michel Bruneau va dans le même sens en rappelant que le groupe ethnique et la minorité sont des construits sociaux (2006 : 81). Concernant l'impact de l'utilisation de ces construits, Vatthana Pholsena expliquait : « Yet the case of Kommandam shows that these peoples were not ineluctably petrified by the process of tribalization » (Pholsena, 2006: 40).

En ce qui concerne l'agriculture itinérante sur brûlis, pendant la période coloniale, la même parcelle était utilisée de deux à trois ans et les périodes de mise en jachère variaient entre 15 et 30 ans. Généralement, les terres agricoles étaient situées près du village et les agriculteurs pouvaient compter sur une bonne fertilité du sol (Sacklokham, 2003 : 70-71). Aussi, certaines régions ont bénéficié des recherches menées par les Français (Xieng Khouang et le plateau des Bolovens). Ces études avaient pour but de développer les cultures de rente (Chazée, 1998 : 145-146). Notons qu'à ce moment, le commerce de l'opium était en plein essor puisqu'il assurait une source de revenus au gouvernement français en place. On cherchait alors à développer ce marché (Ducourtieux, 2006 : 302-305).

3.2.2.1945-1975 : 30 ans de conflits

Pour le Laos, la période qui s'étend de 1945 à 1975 est synonyme de bouleversement et d'instabilité. Durant ces trente années, la population a vu les Français reprendre le pouvoir après la Seconde Guerre mondiale et l'occupation japonaise pour ensuite leur accorder leur indépendance en 1949 (Bruneau, 2006 : 91). Par la suite, deux mouvements politiques ont émergé et se sont livrés bataille pour la gouverne du pays :

d'un côté, le Pathet Lao, parti communiste en fait, appuyé fortement par les communistes chinois et ceux du Nord-Vietnam, de l'autre, le gouvernement royal soutenu par les États- Unis et la Thaïlande (Ducourtieux, 2006: 328-329). Durant les années soixante, l'implication militaire américaine au sud du Vietnam a eu pour effet d'accentuer les efforts des puissances chinoises et soviétiques. Cependant, le départ des Américains du Vietnam à partir de 1969 a réduit l'appui financier et militaire disponible, ce qui a grandement nui aux forces du gouvernement royal. Les conflits ont pris fin en 1975 avec la victoire des communistes, qui ont ensuite proclamé la création de la République démocratique populaire lao (Pholsena et Banomyong, 2006 : 12-15). Le régime à parti unique est dirigé depuis ce temps par le Parti communiste lao (Parti Révolutionnaire du Peuple Lao).

Les impacts de ces années turbulentes ont été nombreux. Tout d'abord, on note que ces impacts étaient variables dépendamment des groupes ethniques : les groupes minoritaires ayant été les plus touchés, notamment les populations montagnardes (Stuart- Fox, 1997 : 153). Puis, sur le plan agricole, autant pendant les affrontements qu'après, on constatait une perte ou une diminution des récoltes, une hausse des impôts pour assurer l'aide aux troupes dans les deux clans, l'abandon des terres suite aux déplacements de la

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population et une diminution générale de la production agricole nationale (Ducourtieux, 2006 : 332). Aussi, la destruction de villages par les bombardements et le manque de main-d'œuvre à cause de la migration et des nombreux décès , notamment des civils (Sacklokham, 2003 : 94). Finalement, cette période marque aussi l'ouverture de l'exploitation forestière et de l'économie villageoise au marché (Sacklokham, 2003 : 92).

3.2.3.1975-1985 : la collectivisation

Suite à la création de la République démocratique populaire lao en 1975, le gouvernement a accordé la priorité au développement de l'agriculture dans le pays dans le but d'atteindre l'autosuffisance sur le plan alimentaire. À ce moment, le gouvernement

21 Entre 1954 et 1973, 972 000 personnes ont été déplacées au Laos (Taillard, 1989 :95, cité dans Evrard et Goudineau, 2004 :942)

pouvait compter sur la solidarité des États socialistes, particulièrement le Vietnam et l'Union Soviétique23 (Pholsena et Banomyong, 2006 : 15).

En 1975, le gouvernement a procédé à l'implantation d'un programme de collectivisation des terres afin d'assurer la production de riz nécessaire pour nourrir la nation (Bourdet, 1995 :163 et Chazée, 1998 : 85-86). Ce nouveau projet s'inspirait des fermes d'État vietnamiennes calquées sur le modèle socialiste soviétique (sovkhoze). Outre la production agricole et la mise en valeur du territoire, les fermes d'État avaient pour objectif l'éducation, le logement, la culture, la socialisation des minorités et la surveillance militaire du territoire (Bruneau, 2006 : 116). Le processus de socialisation ou d'intégration des minorités ethniques avait lieu avec l'adoption d'une nouvelle appellation nationale tripartite, liée à l'environnement des villageois : Lao Loum (habitants des basses terres), Lao Theung (habitants des terres de moyennes altitudes) et Lao Soung (habitants des hautes terres). Ceci permettait au gouvernement de limiter le nombre de groupes ethniques tout en travaillant à construire l'unité, la solidarité, la « laoïté » et du coup l'assimilation (Evans, 1988 : 24, Trankell, 1998 : 47 et Daviau, 2006).

Au Laos, le programme de collectivisation a apporté des changements pour les agriculteurs tant sur le plan scientifique, qu'au niveau technique, idéologique, culturel et relationnel (relations entre les agriculteurs eux-mêmes et celles entre les agriculteurs et l'État). De son coté, le gouvernement écartait les propos et les croyances des populations qui faisaient références aux superstitions, aux éléments surnaturels et à la tradition (Evans, 1988 : 15). Toutefois, l'application de la collectivisation a été fort difficile en raison du réseau de communication peu développé et de la présence d'un trop grand nombre de cadres inaptes à gérer leurs nouvelles fonctions24. En 1978, le gouvernement a

mis en place des règles strictes qui obligeaient les villageois à prendre part au programme, au risque d'être expropriés de leurs terres. Finalement, le résultat a pris la

23 Entre 1975 et 1985, l'Union Soviétique était le plus important donateur au Laos. On estime que cette aide

financière s'élevait à 450 millions de dollars, excluant l'aide militaire (Pholsena et Banomyong, 2006 : 18).

24 Dans le cadre du projet de collectivisation, la production, la vente et la distribution des produits agricoles

forme d'une confusion générale qui a mené à l'arrêt de la collectivisation « forcée » en 1979, la décentralisation et l'adoption d'un marché socialiste (Evans, 1988).

Le nombre de coopératives est passé de 1 356 en 1978 à 2 452 en 1979, ce qui représentait 19 % de la superficie nationale consacrée à la production du riz et 22 % de la population y participait (Bourdet, 1995 : 165). Après l'arrêt de la collectivisation « forcée » en 1979, les agriculteurs qui le souhaitaient étaient libres de quitter la coopérative et de reprendre leurs terres. Ceci explique la diminution du nombre de coopératives, une chute de près de 50 % entre 1979 et 1981. Entre 1982 et 1986, il y a de nouveau eu une hausse du nombre de coopératives qui s'explique cette fois par l'accès aux avantages fiscaux ainsi qu'aux crédits et à des intrants fournis par le gouvernement (ibid. : 166-167) (tableau 7).

Tableau 7

ombre de coopérativ es au Laos, 1978-198

Année Nombre 1978 1356 1979 2 452 1980 1420 1981 1343 1982 1952 1983 2 114 1984 2 546 1985 2 932 1986 3 976 1987 3 703 1988 3 481

Sources: Ministère de la planification économique, Centre National de Statistiques,

1985; ibid. (1989) cité dans Bourdet, 1995 : 165.

Pour terminer, toujours au cours de cette période, entre 1975 et 1985, le gouvernement a présenté ses deux premiers plans quinquennaux, ayant pour objectifs d'augmenter la production de riz et de réduire la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis (Chazée, 1998 : 87-89). Puis, suite à l'adoption du Plan d'Action Forestier Tropical de la FAO en 1985, est arrivée l'aide internationale et le financement pour diminuer la pratique de l'agriculture itinérante sur brûlis. Le processus choisi pour atteindre cet

objectif a été de déplacer les populations montagnardes vers des zones prioritaires de développement (Ducourtieux, 2006 : 365-367). Les conditions et les répercussions de ce programme sont abordées plus loin.

3.2.4. De 1986 à aujourd'hui : ouverture et libéralisation

L'année 1986 marque des changements importants autant sur le plan agricole que dans l'économie laotienne. En effet, au cours de cette année, le gouvernement a procédé à une réforme majeure et a mis en place les Nouveaux Mécanismes Économiques (NME). Ce projet n'a pas été développé de manière isolée. La même année, le gouvernement vietnamien modifiait ses priorités étatiques en misant sur les besoins économiques de l'État et non plus sur ses stratégies militaires (occupation du Cambodge). La politique du Doi Moi (politique du renouveau, version vietnamienne de la perestroïka russe) a alors été implantée (Pholsena et Banomyong, 2006 : 26). Au Laos, le Parti communiste lao était d'avis que la construction du socialisme exigeait certaines réformes : ouverture aux investisseurs étrangers et introduction de l'économie de marché (ibid. : 27). Rappelons qu'à ce moment, l'aide économique et militaire de l'Union Soviétique vers le Vietnam et le Laos a chuté. Les États devaient alors envisager de nouvelles avenues pour répondre à leurs propres besoins.

Le concept des Nouveaux Mécanismes Économiques est synthétisé par Ducourtieux (2006 : 262) :

L'économie centralement planifiée est abandonnée au profit du "socialisme de marché", concept commun aux pouvoirs politiques communistes du milieu des années 1980 pour continuer à promouvoir la supériorité du socialisme sur le capitalisme tout en libéralisant de fait l'économie. Le contrat, la monnaie et les prix

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