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L'utilisation de modèles ouverts de collaboration dans le cadre de la recherche en génétique humaine : promouvoir la vertu par l'innovation sociale

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Academic year: 2021

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L’utilisation de modèles ouverts de collaboration dans le cadre de la recherche

en génétique humaine: Promouvoir la vertu par l’innovation sociale

Yann Joly, Faculty of Law, McGill University, Montreal

March 2009

A thesis submitted to McGill University in partial fulfillment of the requirements of the degree of Doctor of Civil law

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Résumé

Dans le domaine des technologies de l’information, l’approche source ouverte a offert aux programmeurs une alternative pour développer les logiciels. Au lieu du modèle traditionnel, individualiste et propriétaire reposant sur l’utilisation de la propriété intellectuelle, cette approche propose une alternative fondée sur la collaboration. Cette alternative a, non seulement un attrait utilitaire considérable, elle pourrait aussi permettre de promouvoir un plus grand épanouissement humain, au sens de la théorie de l’éthique de la vertu, en favorisant le développement de nombreuses vertus chez ses participants. Cet avantage potentiel mérite d’être étudié davantage, car il est d’un grand intérêt à une époque où un nombre grandissant de chercheurs académiques ont dénoncé la centration de la propriété intellectuelle sur la promotion du développement économique au détriment de certains autres objectifs de société tout aussi valables.

La présente thèse aura donc comme objectif central de démontrer que, dans une pratique humaine donnée (celle de la recherche en génétique humaine), l’utilisation de projets source ouverte peut promouvoir le développement de la vertu chez les collaborateurs de ses projets. Auxiliairement, il sera également démontré que, la propriété intellectuelle ne générant pas toujours un scénario idéal dans le domaine de la génétique humaine, le recours stratégique à des modèles source ouverte pourrait également être défendu par des arguments de nature plus utilitaire.

Si la recherche en génétique humaine est adéquatement dirigée et confirme son potentiel actuel, elle permettra de mieux renseigner les médecins sur les processus de fonctionnement des maladies, de fournir de meilleurs tests prédictifs, de procurer des traitements médicaux optimisés et même de remplacer les organes défaillants. Vu l’énorme potentiel thérapeutique mais aussi les craintes suscitées par cette recherche, il serait important que les scientifiques qui y participent se préoccupent davantage de l’aspect humain de l’équation, sans négliger pour autant le profit économique. Le développement d’une pratique de la génétique humaine plus vertueuse pourrait être une des manières les plus efficaces de remettre de l’ordre dans nos priorités, à la satisfaction des créateurs comme des utilisateurs des biens issus de la recherche en génétique humaine.

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Abstract

In the field of information technology, the open source approach has offered programmers an alternative based on collaboration, to the traditional, individualistic and proprietary model – supported by the use of intellectual property – of developing software. This alternative has not only a considerable utilitarian appeal; it could also make it possible to promote greater human flourishing, in the sense of virtue ethics, by encouraging the development of numerous virtues in its participants. This potential advantage deserves to be studied in greater detail, because it is of great interest at a time where a growing number of academic researchers have critiqued the increasing focus of intellectual property law on the promotion of economic development at the expense of certain other valuable societal goals.

The present thesis will thus have, as a central objective, to demonstrate that in a given human practice (that of human genetic research), the development of open source projects can promote the development of virtue in contributing collaborators. Secondarily, it will also be shown that intellectual property is not always generating an ideal scenario in the field of human genetics. This second finding suggests that a strategic recourse to the open source model could be defended by arguments of a more utilitarian nature as well.

If human genetic research is properly directed and confirms its current potential, it could make it possible to better inform doctors about disease functioning processes, provide superior predictive tests, offer optimised medical treatments and even, replace failing organs. Considering the enormous therapeutic potential, but also the concerns raised by this research, it would be important that scientists who are involved in genetic research become more preoccupied by the human aspect of the equation, without necessarily neglecting economic profit. The development of a more virtuous human genetic practice could be one of the most efficient ways to put some order in our priorities and to satisfy simultaneously both the creators and the users of goods coming from human genetic research.

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Lexique

Accès ouvert : Processus visant à permettre la libre disponibilité en ligne de contenus

numériques. L’accès ouvert concerne à la fois les articles de revues révisés par des pairs, accessibles à tous par l’entremise de l’internet (publications ouvertes) ou l’auto-archivage sur un site personnel ou dans un dépôt institutionnel.

Biens externes : Dans la conception de MacIntyre, il s’agit de biens superficiels, reliés de façon

incidente à une pratique qu’ils ne définissent pas. Ces biens sont généralement associés à l’argent, au pouvoir et à la célébrité.

Biens internes : Le concept de ‘biens internes’, tel qu’envisagé par MacIntyre, peut être perçu

comme la réalisation ponctuelle, à l’aide des vertus, d’une certaine partie du standard d’excellence ou télos complet d’une pratique. Un bien interne donné peut seulement être réalisé dans le cadre d’une pratique particulière.

Code source : Le code source est un ensemble d'instructions écrites dans un langage de

programmation informatique de haut niveau, compréhensible par un spécialiste entraîné, permettant de modifier un programme pour un ordinateur. La connaissance du code source a aussi un intérêt pédagogique pour les informaticiens.

Eudaimonia : Une vie humaine réussie, heureuse et complète où l’individu est parvenu à

pleinement réaliser son potentiel vertueux. Pour un scientifique, on peut émettre l’hypothèse qu’une telle vie serait une vie consacrée à la science ouverte et à la réalisation des normes des sciences.

Études d’associations pan génomiques : Il s’agit, dans le domaine de l’épidémiologie

génétique, de l’examen des variations génétiques dans l’ensemble du génome humain, dans le but d’identifier des associations génétiques avec des caractéristiques observables, comme la pression sanguine, le poids ou certaines maladies.

Éthique de la vertu : En philosophie, l'éthique de la vertu fait référence à une variété de théories

éthiques ayant une longue tradition remontant à l’antiquité grecque. Ces théories s'intéressent avant tout aux caractéristiques morales de la personne humaine et à son devenir. Selon une majorité de ces théories, l’objectif ultime de l’existence humaine est l'eudaimonia, c'est-à-dire à la fois le bonheur et la réussite.

Ethos : Mot grec qui signifie le caractère, l’état d’âme, la disposition psychique. Maintenant

utilisé pour faire référence à un ensemble d’idées ou de valeurs communes à un groupe social, une culture ou un mouvement désigné.

FLOSS : Acronyme signifiant Free/Libre Open Source Software et utilisé pour faire référence à

la fois à la Fondation du logiciel libre et à l’Initiative source ouverte, les deux grands courants collaboratifs issus du domaine des technologies de l’information.

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Génétique humaine : Science qui étudie les fonctions chimiques inhérentes à une espèce

particulière de molécules appelée gène chez l’humain. La pratique de la génétique humaine (dans la perspective de l’éthique de la vertu) est composée majoritairement de chercheurs universitaires en génétique et de généticien. Cependant, depuis quelques années, elle inclut également un nombre croissant de chercheurs privés.

Hackers : Programmeurs expérimentés et spécialistes des réseaux possédant une compréhension

intime du fonctionnement interne des ordinateurs et réseaux informatiques et possédant une culture partagée ou une grande place est accordée à la liberté d’agir et à la curiosité scientifique.

Licence ouverte : Contrat protégeant les droits d’un concepteur sur sa création et régissant

l’utilisation de celle-ci par les licenciés suite à un transfert de droit. Les licences ouvertes sont habituellement, mais pas toujours, fondées sur un droit de propriété intellectuelle du licencieur (ex. droit d’auteur ou droit de brevet).

Logiciel libre : Modèle de développement de logiciels informatiques visant à donner à chacun le

droit d'utiliser, d'étudier, de modifier, de dupliquer, de donner et de vendre librement des logiciels, créé par le hacker Richard Stallman au milieu des années 80 et associé à la Fondation pour le logiciel libre.

Modèles ouverts de collaboration : Expression proposée par l’auteur de la présente thèse pour

faire référence à un ensemble d’approches ouvertes dans le domaine de la génétique humaine, qui rencontreraient un ensemble de critères de sélection souples également proposé par l’auteur (voir ces critères pp. 71-75, ci-dessous).

Normes des sciences : Ensemble de normes identifiées par le sociologiste Robert Merton et

certains de ses collègues pour faire référence à un idéal scientifique humaniste, connu sous le nom de science ouverte. Les quatre normes des sciences originellement recensées par Merton sont la norme de l’universalisme, la norme du communisme, la norme du désintéressement et la norme du scepticisme systématique. De nouvelles normes des sciences ont été suggérées suite aux travaux initiaux de Merton.

Noyau de système d’exploitation : Il s’agit de la partie fondamentale de certains systèmes

d’exploitation informatique. Le noyau gère les ressources de l’ordinateur et permet aux différents composants — matériels et logiciels — de communiquer entre eux.

Pratique : Le philosophe Alasdair Macintyre définit le concept de pratique comme : « Toute

forme cohérente et complexe d’activité humaine coopérative socialement établie par laquelle les biens internes à cette activité sont réalisés en tentant d’obéir aux normes d’excellence appropriées, ce qui provoque une extension systématique de la capacité humaine à l’excellence et des conceptions humaines des fins et des biens impliqués». C’est à cette définition que réfère le terme « pratique » dans notre texte.

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Principlisme: Il s’agit d’un système d’éthique d’origine nord-américaine, permettant d’analyser

et de résoudre les dilemmes éthiques posés par la recherche médicale par l’entremise de quatre principes moraux de base: l’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice.

Polymorphisme d’un nucléotide simple (SNP) : Il s’agit, en génétique, de variations

particulières entre les individus d'une même espèce qui n'affectent qu'une seule paire de bases azotées au sein d'une séquence d'ADN. Ces variations sont fréquentes (une fois à chaque mille paire de bases). Ce différent agencement de variations ponctuelles entre les individus fait de chaque personne un être unique.

Science ouverte : Culture scientifique humaniste souvent définie par l’entremise des normes des

sciences de Merton. Elle aurait, selon certains, connu son apogée entre le XVIème et le XXème siècle. Cependant, la science ouverte peut aussi être conçue comme une culture idéale vers laquelle ont tendu les chercheurs scientifiques par le passé et qui continue à interpeller la communauté scientifique à notre époque.

Source ouverte : Modèle de développement de logiciels informatiques basé sur la transparence

du processus de développement et visant à capitaliser sur les bénéfices de la révision par les pairs. Il a un objectif central similaire à celui du modèle du logiciel libre: permettre un accès universel au code source des logiciels informatiques, et il est chapeauté par l’Initiative source ouverte. L’expression source ouverte est aussi utilisée de façon générique pour faire référence à un ensemble de modèles de travail ayant en commun l’objectif d’accroître la transparence des processus de développement et de faciliter la collaboration des participants impliqués.

Standards d’excellence : Dans la conception éthique de MacIntyre, ensemble de standards

objectifs, propres à une pratique et qui permettent de la définir. Ces standards sont préétablis par les membres de la pratique et permettent d’évaluer l’excellence de ses participants. Ils ne sont pas immuables et peuvent être influencés et transformés avec le temps par les membres d’une pratique. C’est en atteignant ces standards que les participants réalisent les biens internes.

Télos: La notion de télos peut être traduite par les termes ‘objectifs’ ou ‘but’. Le télos de

l’homme, selon Aristote est d’actualiser son potentiel et d’atteindre l’excellence grâce à l’exercice des vertus.

Vertu : Disposition constante ou qualité, acquise par répétition des actes, et qui habilite l'homme

(7)

Remerciements

La réalisation d’un travail de cette envergure a nécessité l’appui continu de plusieurs personnes. Je tiens d’abord à souligner la disponibilité et l’apport de mon directeur de thèse M. Richard Gold. Je suis également reconnaissant aux membres de mon comité de thèse Mme Tina Piper et M. Evan Fox-Decent pour l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail et pour leurs judicieux conseils tout au long du processus. Un grand merci aussi à Mme Bartha M. Knoppers pour son support indéfectible à travers les années. L’idée de mon sujet de thèse m’est venue suite à une discussion avec M. David Opderbeck à qui je tiens à signifier toute ma gratitude.

Je ne voudrais pas oublier de souligner l’excellent travail de l’équipe administrative des études supérieures de l’Université McGill qui a su m’orienter efficacement et aimablement à travers les nombreux processus administratifs soulevés par mes études doctorales. Je suis particulièrement reconnaissant à Mme Claire Morel et à M. Guillaume Sillon pour leur excellent travail de révision.

Je remercie également Tina Piper, John Wallenberg, Isabel Fortier, Mark Wilkinson et James Price qui ont accepté de discuter avec moi de leur expérience du phénomène ‘source ouverte’ avec beaucoup de franchise et de professionnalisme.

Finalement, merci à ma famille qui a su une fois de plus m’épauler tout le long de cet ambitieux projet.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... II ABSTRACT ... III LEXIQUE ... IV REMERCIEMENTS ... VII INTRODUCTION ... 1

1. DE LA SCIENCE OUVERTE AUX MODÈLES OUVERTS DE COLLABORATION 15 1.1. SCIENCE OUVERTE, COMMERCIALISATION ET SOCIOLOGIE DES SCIENCES:UNE ÉTUDE DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE ... 16

1.1.1. La science ouverte et les normes des sciences ... 16

1.1.2. Évolution de la culture scientifique à travers les siècles ... 27

1.2. LES MODÈLES OUVERTS VIENNENT AU SECOURS DE LA SCIENCE OUVERTE ... 45

1.2.1. Les modèles ouverts dans le domaine de l’informatique ... 46

1.2.2. Les modèles ouverts de collaboration génétiques: rêve ou réalité? ... 58

1.2.3. Présentation des critères d’appartenance à la catégorie des modèles ouverts de collaboration ... 71

2. MODÈLES OUVERTS DE VERTUS ... 79

2.1. L’ÉTHIQUE DE LA VERTU ... 79

2.1.1. L’éthique de la vertu, un renouveau moral? ... 80

2.1.2. L’apport d’Alasdair MacIntyre à l’éthique de la vertu... 86

2.2. CONTRIBUTION DES MODÈLES À UNE PRATIQUE DE LA GÉNÉTIQUE HUMAINE PLUS VERTUEUSE ... 100

2.2.1. La recherche en génétique humaine devrait-elle être vertueuse ? ... 100

2.2.2. La recherche en génétique humain conçue comme une pratique vertueuse105 2.2.3. Les modèles ouverts de collaboration comme promoteurs de vertus ... 124

3. LE POTENTIEL DES MODÈLES OUVERTS DE COLLABORATION UTILISÉS COMME STRATÉGIE D’AFFAIRE EN GÉNÉTIQUE HUMAINE ... 136

3.1. LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ET LA RECHERCHE EN GÉNÉTIQUE HUMAINE .. 137

3.1.1. Présentation du cadre analytique et des arguments en faveur de la propriété intellectuelle ... 137

3.1.2. Analyses des différents problèmes imputés à la propriété intellectuelle dans le domaine de la génétique humaine ... 143

3.2. BÉNÉFICES ET DÉFIS SOULEVÉS PAR L’UTILISATION DE MODÈLES OUVERTS DE COLLABORATION COMME STRATÉGIE D’AFFAIRE ... 170

3.2.1. Quelques avantages d’utiliser des modèles ouverts de collaboration dans le domaine de la génétique humaine ... 170

(9)

4. ÉTUDE DE CAS: LES MODÈLES OUVERTS DE COLLABORATION

CANADIENS ... 204

4.1. MÉTHODOLOGIE, ÉCHANTILLONNAGE ET ANALYSE DES DONNÉES ... 204

4.1.1. Méthodologie et échantillonnage ... 204

4.1.2. Analyse des données ... 208

4.2. PRÉSENTATION DES PROJETS ... 210

4.2.1. Creative Commons Canada (publications ouvertes et autres œuvres protégées par le droit d’auteur) ... 210

4.2.2. Consortium BioMoby (bio-informatique) ... 216

4.2.3. Projet international HapMap (base de données) ... 221

4.2.4. Consortium P3G (banque d’informations et d’outils) ... 228

4.2.5. Aggregate Therapeutics (laboratoire réel/combinaison de projets) ... 234

4.3. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE CAS ... 242

4.3.1. Analyse comparative ... 242

4.3.2. Rapprochement entre les résultats des différentes études ... 254

CONCLUSION ... 261

ANNEXE 1 ... 269

(10)

Liste des figures

FIGURE 1. LES APPROCHES OUVERTES ... 15 FIGURE 2. ORIGINE DE LA SCIENCE OUVERTE (FACTEURS STRUCTURANTS) ... 30 FIGURE 3. LES APPROCHES OUVERTES (2). ... 46 FIGURE 4 . PRATIQUES, RÉCITS ET TRADITIONS DANS LA THÉORIE DE LA VERTU DE MACINTYRE ... 91 FIGURE 5. MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE DE CAS ... 210 FIGURE 6. SCHEMA OPERATIONNEL DE P3G ... 231

Liste des tableaux

TABLEAU 1. LA GÉNÉTIQUE OUVERTE ... 60 TABLEAU 2. PRINCIPALES VERTUS À TRAVERS LES SIÈCLES ... 82 TABLEAU 3. ASSOCIATIONS ENTRE LES VERTUS ET LES NORMES DES SCIENCES ... 111 TABLEAU 4. MODÈLES ET INFORMATEURS SÉLECTIONNÉS POUR L’ÉTUDE DE CAS ... 207 TABLEAU 5. INFORMATIONS DE CONTEXTE ... 242 TABLEAU 6. LES MODÈLES OUVERTS COMME PROMOTEURS DE LA VERTU ... 244

TABLEAU 7 . LES MODÈLES OUVERTS DE COLLABORATION ET LE TRANSFERT DES TECHNOLOGIES ... 252

TABLEAU 8 . ÉTUDES QUANTITATIVES SUR LES MOTIVATIONS DES PARTICIPANTS À COLLABORER À DES PROJETS OUVERTS ... 255

(11)

INTRODUCTION

À l’ère de l’information, l’influence politique, économique et socioculturelle de la propriété intellectuelle est énorme. La valeur des grandes corporations du monde contemporain est déterminée en grande partie par leur portfolio de propriétés intangibles, allant des formes les mieux définies de propriétés intellectuelles, comme les brevets et les droits d’auteur, aux moins tangibles des intangibles tels les secrets et les marques commerciales.1 Cependant, corrélativement à cette prise d’importance, l’institution que constitue la propriété intellectuelle est devenue significativement plus controversée au courant des trente dernières années.2 L’extension de la propriété intellectuelle à des nouveaux domaines d’innovations,3 le développement de nouveaux régimes de propriété

sui generis, l’établissement contesté de standards minimums de propriété intellectuelle au

niveau international,4 l’application rigide des règles contre les contrefacteurs, ainsi que le développement de l’Internet et des autres technologies de l’information ont amené les chercheurs à questionner la pertinence et l’adéquation des différents composants et objectifs de la propriété intellectuelle dans notre société moderne.

1 Peter S. Menell, «Bankruptcy Treatment of Intellectual Property Assets: An Economic Analysis» (2007)

22 Berkeley Tech L.J. 733 à la p. 735.

2 Keith E. Maskus et Jerome H. Reichman, «The Globalization of Private Knowledge Goods and the

Privatization of Global Public Goods» dans Keith E. Maskus et Jerome H. Reichman, dir., International

Public Goods and Transfer of Technology Under a Globalized Intellectual Property Regime, New-York,

Cambridge, 2005, à la p. 24 [Maskus].

3 L’extension de la propriété intellectuelle au domaine de la recherche en génétique humaine qui servira

d’exemple dans notre thèse, a été critiquée sous plusieurs aspects par de nombreux auteurs. Pour un résumé de ces critiques, qui seront développées plus en détail dans la troisième partie de la présente thèse, voir James Boyle, «Enclosing the Genome: What Squabbles over Genetics Patents Could Teach Us» dans F. Scott Kieff, dir., Perspectives on Properties of the Human Genome Project, St. Louis, Elsevier Academic Press, 2003, à la p. 97; Yann Joly, «Genetic Research Tools: Recent Trends and Future Outlook» dans Bartha M. Knoppers et Richard Gold, dir., Biotechnology, Ethics and Intellectual Property, Markham, LexisNexis Canada [à paraître en 2009]. Si la majorité des commentaires a été dirigée vers le système des brevets, les autres domaines de la propriété intellectuelle ont, eux aussi, suscité leur part de commentaires. Pour une critique de l’application du système de protection des bases de données sui generis européen à la recherche en génomique humaine, voir par ex. Bartha Maria Knoppers et Claudine Fecteau, «Human Genomic Database: A Global Public Good?» (2003) 10 Journal of Health Law 27 [Knoppers, «Human Genomic Database»]; pour les enjeux suscités par le secret commercial, voir David Blumenthal et al., «Data Withholding in Genetics and the Other Life Sciences: Prevalences and Predictors» (2006) 81 Academic Medicine 137 [Blumenthal, «Data Withholding»].

4

Michael Patrick Ryan, Knowledge Diplomacy, Global Competition and the Politics of Intellectual

(12)

Cependant, l’élimination complète de la propriété intellectuelle comme mode de protection des créations de l’esprit, malgré son attrait romantique, aurait probablement comme résultat de créer un large domaine public vulnérable aux abus provenant des disproportions de savoir, de richesse, de pouvoir, d’accès et d’habilités entre les populations du monde développé et celles du monde en développement.5 Conséquemment, plutôt que d’essayer de réfuter le système de protection de la propriété intellectuelle dans son ensemble, les chercheurs académiques ont plutôt cherché de nouvelles façons d’améliorer et d’actualiser celui-ci au courant des dernières années. Une grande variété de solutions a été suggérée, allant des solutions les plus tempérées à saveur utilitaire à des redéfinitions majeures des objectifs et composantes de la propriété intellectuelle. L’une des solutions les plus innovatrices proposée au cours des trente dernières années est l’utilisation complémentaire ou alternative à la propriété intellectuelle d’un nouveau modèle de transfert de technologie appelé source ouverte.

Le développement du modèle source ouverte a été rendu possible par l’avènement de ce que plusieurs appellent maintenant ‘l’économie de l’information en réseau’.6 Dans ce nouveau paradigme économique, les biens importants recherchés par la communauté humaine sont produits par des individus qui interagissent les uns avec les autres, non seulement comme des acteurs du marché à travers le système des prix, mais aussi, de façon collaborative, comme des êtres humains et des êtres sociaux.7 Cette collaboration collective est rendue possible à l’échelle locale, nationale, voire même globale, grâce au développement et à l’utilisation répandue des technologies de l’information et de l’Internet comme outils de travail. Cette transformation des moyens de production a donné à la communauté scientifique les outils pour utiliser la méthodologie source

5 Anupam Chander et Madhavi Sunder, «The Romance of the Public Domain» (2004) 92 Cal. L. Rev. 1331

[Chander].

6 Yochai Benkler, The Wealth of Networks: How Social Production Transforms Markets and Freedom,

Londres, Yale University Press, 2006 à la p. 1 [Benkler, Wealth of Networks].

7 Dans le contexte de la présente économie d’information en réseau, le capital physique essentiel pour la

production est largement distribué à travers la société. Les ordinateurs personnels et les connections de réseau sont disponibles partout dans les pays développés. Cela signifie que si quelqu’un, quelque part, parmi les millions d’êtres humains connectés, veut faire quelques chose nécessitant la créativité humaine, il pourra le faire seul ou en collaboration avec les autres. Il possède déjà la capacité en termes de capital technique de faire ce choix de travailler seul, ou plus facilement, en coopération avec d’autres personnes agissant pour des raisons complémentaires (voir ibid. à la p. 6).

(13)

ouverte à son plein potentiel. Les motivations des premiers projets source ouverte étaient surtout d’ordre moral: être capable de partager, d’aider et de collaborer librement avec ses collègues de travail et de façon plus générale faire quelque chose de bien pour la communauté.8

Le mouvement précurseur de la méthodologie source ouverte s’appelait le Logiciel libre. Cette méthodologie de travail a été conçue par un hacker informatique idéaliste, au début des années quatre-vingt, comme une approche alternative à la protection traditionnelle par le droit d’auteur qui s’était beaucoup répandue dans le domaine des technologies de l’information.9 La licence ‘copyleft’ classique permettait à quiconque d’utiliser, de copier, de modifier et de distribuer des versions modifiées d’un bien, tout en interdisant aux utilisateurs d’imposer des restrictions additionnelles aux nouveaux produits qu’ils développeraient à partir du logiciel original.10 Cependant l’expression source ouverte, telle qu’elle est maintenant utilisée à l’extérieur du domaine des technologies de l’information, réfère à toute une variété de modèles ouverts de collaboration11 qui diffèrent parfois substantiellement des idéaux et de la méthodologie des mouvements FLOSS. Dans notre thèse, nous allons démontrer que les modèles ouverts de collaboration peuvent servir d’outil pour promouvoir la vertu12 au sein de la pratique de la recherche en génétique humaine (ci-après, pratique de la génétique humaine)13 ainsi que constituer des suppléments ou des alternatives efficaces au système des brevets pour le transfert de la technologie.

8 Richard Stallman, «The GNU Operating System and the Free Software Movement» dans Chris Debona,

Sam Ockman et Mark Stone, dir., Open Sources: Voices from the Open Source Revolution, Sebastopol, O'Reilly Media, 1999 [Stallman, «GNU Operating System»].

9 Ibid. 10 Ibid.

11 Yann Joly, Clara Pham, Deborah Schorno et Bartha Maria Knoppers, «Down the Rabbit Hole:

Technology Transfer in the Field of Stem Cell Research» Revista da Faculta de Dereito de Universidade Federal do Parana [à paraître en 2009] [Joly, «Rabbit Hole»]. L’expression “modèles ouverts de collaboration” (voir lexique pour définition) sera utilisée pour faire comprendre clairement au lecteur que cette thèse ne se limite pas à traiter de la méthodologie source ouverte au sens traditionnel du terme. Plutôt, le phénomène source ouverte sera envisagé dans une perspective large, incluant entre autres: pools de brevets, publications défensives, banques de données publiques etc. Des distinctions entre les différents types de modèles ouverts seront cependant faites lorsque nécessaires à la compréhension de la thèse.

12 En donnant aux membres de la communauté scientifique l’opportunité par la pratique de développer

d’importantes vertus comme la sociabilité, l’altruisme, l’humilité, la confiance, etc.

13

L’identification d’une pratique communautaire bien définie étant nécessaire à une analyse fondée sur l’éthique de la vertu, nous avons décidé de restreindre les paramètres de notre analyse à la pratique de la

(14)

Les modèles ouverts de collaboration ont-ils le potentiel de favoriser le développement de la vertu au sein de la communauté scientifique? Ce bénéfice serait important parce qu’une critique souvent adressée au système de propriété intellectuelle est sa trop grande centration sur la promotion du développement économique au détriment de certains autres objectifs de société tout aussi valables.14 Par exemple, un auteur a récemment noté que:

«Les justifications historiques des restrictions imputables à la propriété intellectuelle, largement fondées sur des considérations d’efficacité utilitaire, démontrent des signes de tension croissants à l’ère digitale […]. En conséquence, un nouveau modèle théorique serait nécessaire afin d’alimenter le développement d’une politique de droit d’auteur qui serait à la fois technologiquement avancée et juste.» (Traduction du soussigné)15

Il a récemment été proposé par un petit nombre d’auteurs que les modèles ouverts de collaboration pourraient constituer des pratiques sociales qui encourageraient le développement d’importantes vertus telles que la sociabilité, la créativité et la bienfaisance au sein de la communauté scientifique.16 Ces modèles pourraient donc aider à positionner la pratique de la génétique humaine dans un contexte large et cohérent d’épanouissement humain.17 Malgré l’intérêt de ces travaux de recherche fondamentaux, on peut y déplorer un manque de rigueur dans le traitement de la théorie de l’éthique de la vertu, ainsi que l’absence d’une argumentation convaincante appuyée sur des données empiriques à l’effet que le modèle source ouverte promeut effectivement la vertu.

génétique humaine. Sur l’importance des pratiques communautaires, voir Alasdair MacIntyre, «The Nature of Virtues» (1981) 11 The Hastings Center Report 27 [MacIntyre, «Nature of Virtues»]. Voir aussi les termes ‘pratique’ et ‘génétique humaine’ dans le lexique.

14 Samuel E. Trosow, «The Illusive Search for Justificatory Theories: Copyright, Commodification and

Capital» (2003) 16 Can. J. L. & Jur. 217 aux pp. 217-218 [Trosow].

15 Ibid. Bien que Trosow fasse ici référence à des problèmes imputables au système de droits d’auteur, ses

conclusions sont tout aussi valables en ce qui concerne d’autres composantes de la propriété intellectuelle, par exemple, l’application du système des brevets au domaine de la recherche en génétique.

16 Yochai Benkler et Helen Nissenbaum, «Commons-Based Peer-production and Virtue» (2006) 14 The

Journal of Political Philosophy 394 aux pp. 405–409 [Benkler, «Peer-production»]; David W. Opderbeck, «A Virtue-Centered Approach to the Biotechnology Commons (or, the Virtuous Penguin)» (2007) 59 Me. L. Rev. 316 [Opderbeck].

(15)

L’auteur d’un de ces deux textes, le juriste David Opderbeck résume ainsi la théorie de l’éthique de la vertu:

« L’Éthique de la vertu est communautariste. Le développement de certaines vertus ne se produit que dans le contexte d’une communauté spécifique. La communauté forme et définit les vertus qui sont importantes à son épanouissement. L’objectif d’épanouissement humain est atteint seulement quand une communauté concrétise ces vertus.» (Traduction du soussigné)18

Le philosophe, Alasdair MacIntyre, lui aussi, dans son interprétation de la théorie de la vertu défend la notion de vertu culturellement définie. Au début des années 80, ce théoricien écossais a rédigé une critique percutante du caractère émotiviste du discours moral moderne et a proposé ce qui est très probablement la plus convaincante des représentations de la théorie de la vertu du XXème siècle. D’après lui, les vertus se développent dans le contexte d’une communauté et nous permettent de réaliser les biens qui sont internes à la pratique de cette communauté.19 En appliquant ce type de raisonnement aux modèles ouverts de collaboration, on pourrait soutenir l’argument selon lequel ceux-ci détiennent le potentiel, en favorisant le développement d’importantes vertus, de réconcilier la communauté scientifique avec le modèle de communauté idéale et vertueuse connu sous le nom de science ouverte, souvent décrit en faisant référence aux normes des sciences décrites par le sociologue Robert Merton.20 En effet, dans un contexte d’éthique de la vertu, l’institution scientifique est aussi une communauté et une définition importante de ce qu’est un excellent scientifique peut être inférée de l’idéal de science ouverte. Une telle analyse de la question permet aussi de mettre à jour le lien important, soupçonné par plusieurs chercheurs mais insuffisamment exploré, entre les notions de source ouverte et de science ouverte.

18 Ibid. à la p. 323.

19 MacIntyre, «Nature of Virtues», supra note 13.

20 Bien que ces normes aient été mises à jour par plusieurs chercheurs (par ex. Bernard Barber et Warren

Hagstrom), elles sont surtout associées à Robert K. Merton qui a effectué les travaux les plus élaborés sur le sujet. Par souci de simplicité mais aussi afin de reconnaitre le rôle prédominant de Merton dans le développement des normes des sciences, nous nous référerons pour la suite de notre thèse aux « normes de Merton » ou encore aux normes mertoniennes.

(16)

La méthodologie de cette thèse consiste en une recherche de documentation en bibliothèque et sur l’Internet, ainsi qu’en une étude de cas qui sera documentée, entre-autres, par une série d’entrevues qualitatives semi-structurées. Le cadre théorique élaboré pour supporter notre hypothèse s’inspire librement de la théorie de la vertu telle que revue par le philosophe Alasdair MacIntyre.21 De façon subsidiaire, les écrits de l’école structuraliste de la sociologie des sciences22 serviront à définir l’idéal vertueux de science ouverte et permettront d’effectuer le rapprochement entre les concepts de source ouverte et de science ouverte. La recherche effectuée pour cette thèse dépassera la discipline du droit pour explorer les contributions importantes provenant de certains autres domaines des sciences sociales dans une approche multidisciplinaire. À l’exception de l’étude de cas, la méthodologie de travail adoptée ne privilégiera pas particulièrement les sources canadiennes et s’orientera plutôt vers les textes et le droit internationaux tout en utilisant fréquemment des sources d’origine américaine (États-Unis).23

21 Alasdair MacIntyre, After Virtue, 2e éd., London, Duckworth, 1985 [MacIntyre, After Virtue].

22 Robert K. Merton, The Sociology of Science: Theoretical and Empirical Investigations, Chicago,

University of Chicago Press, 1979 [Merton, Sociology of Science]; Warren O. Hagstrom, The Scientific

Community, New-York, Basic Books, 1965; Bernard Barber, Science and the Social Order, Glencoe, The

Free Press, 1952.

23 Cet intérêt pour les textes américains se justifie par le rôle dominant des États-Unis dans le

développement et la commercialisation des innovations du domaine de la génétique. Voir OCDE, OECD

Biotechnology Statistics – 2006, Paris, OCDE, 2006, en ligne: OECD.org

<http://www.oecd.org/dataoecd/51/59/36760212.pdf>; l’activisme des États-Unis dans la promotion de l’adoption de régimes de propriété intellectuelle forts, calqués sur leur propre régime, à travers le monde, est un autre élément ayant influencé cette décision.

(17)

Dans la première partie de la thèse, suivant les recommandations d’Alasdair MacIntyre24, une étude du contexte historique et social de la communauté scientifique sera effectuée.25 Cette étude retracera l’évolution sociale de la communauté scientifique à travers les siècles depuis les premiers balbutiements de l’activité scientifique en passant par l’avènement de la république des sciences, aboutissant plusieurs siècles plus tard à la période de la commercialisation des sciences et, tout récemment, à l’émergence d’une période de post-commercialisation qui définit le contexte actuel de l’activité scientifique en génétique. Cette évolution de la communauté et de la pratique scientifique sera analysée dans une perspective socio-historique et juridique. Cette partie introductive permettra de situer le sujet de cette thèse, les modèles ouverts de collaboration, dans le temps et l’espace. Plus important encore, elle permettra d’introduire de façon chronologique les notions centrales de modèles ouverts de collaboration, de science

24 MacIntyre, After Virtue, supra note 21 aux pp. 29-30, 34. 25

Dans cette étude, l’emphase sera mise sur la pratique scientifique de la génétique humaine, centrale à notre thèse.

Approche méthodologique

Questions sociales

Primaire: Les modèles ouverts de collaboration permettent-ils de promouvoir la vertu?

Secondaire: Les modèles ouverts de collaboration facilitent-ils le transfert des technologies dans le domaine de la biotechnologie médicale?

Objectifs scientifiques

Démontrer le potentiel des modèles ouverts de collaboration à favoriser le développement de la vertu. Clarifier la relation existant entre la science ouverte, la source ouverte et les modèles ouverts de collaboration. Expliquer la pertinence de l’éthique de la vertu dans le contexte du domaine de la biotechnologie médicale. Cerner les limites de la propriété intellectuelle à promouvoir le transfert des technologies dans le domaine de la biotechnologie médicale.

Identifier les bénéfices que pourrait procurer l’utilisation des modèles ouverts de collaboration dans le domaine de la biotechnologie médicale.

Présenter une première étude de cas sur les modèles ouverts de collaboration dans le domaine de la biotechnologie.

Hypothèse vérifiable

L’utilisation stratégique de modèles ouverts de collaboration peut promouvoir la réalisation d’une pratique de la biotechnologie médicale vertueuse et efficace.

Cadre analytique

Analyse qualitative de la littérature.

Compilation/présentation d’études quantitatives. Étude de cas.

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ouverte et de normes des sciences et de démontrer les correspondances existant entre ces différentes notions. Plusieurs auteurs ont argumenté que la pratique scientifique a subi une transformation d’une approche humaniste vers une approche écono-centriste où la culture scientifique académique serait devenue progressivement plus commerciale et assujettie aux exigences de la propriété intellectuelle.26 Cette théorie ne parvient cependant pas à décrire adéquatement la riche complexité de la dynamique sociale passée ou présente existant à l’intérieur de la communauté scientifique. L’étude extensive de l’idéal vertueux de la communauté scientifique, incluant la pratique de la génétique humaine, qui sera présentée dans la première partie de notre thèse, contribuera à identifier plus facilement les vertus propres à la pratique de la génétique humaine dans la seconde partie.

Après avoir défini l’idéal scientifique représenté par la science ouverte, la partie introductive de notre thèse présentera les notions centrales de source ouverte et de modèle ouvert de collaboration. L’origine, la croissance et le succès de la Fondation du logiciel libre et de la méthodologie source ouverte, dans le domaine des technologies de l’information, seront revus et analysés de façon critique. Cette analyse critique sera suivie d’une étude similaire du développement, des accomplissements et du potentiel de ces modèles depuis leur récente introduction dans le domaine de la génétique. Finalement les ambiguïtés persistant autour du concept de modèle ouvert de collaboration27 seront résolues par l’entremise d’une proposition de critères définitionnels qui visera à favoriser une typologie des différents modèles tout en excluant certains schémas associatifs suspects de la notion abordée par cette thèse.

La seconde partie de la thèse en constituera la partie centrale, puisqu’elle introduira la théorie de l’éthique de la vertu et analysera ensuite le potentiel des modèles ouverts de collaboration comme promoteurs de vertus chez les membres de la pratique de la génétique humaine. Suite à un important regain de popularité au courant du XXème

26 Risa L. Lieberwitz, «Confronting the Privatization and Commercialization of Academic Research: An

Analysis of Social Implications at the Local, National, and Global Levels» (2005) 12 The Indiana Journal of Global Legal Studies 109 à la p. 110.

27

Yann Joly, «Open Source Approaches in Biotechnology: Utopia Revisited» (2007) 59 Me. L. Rev. 382 aux pp. 393-394 [Joly, «Utopia Revisited»].

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siècle, de nombreuses variétés d’approches à l’éthique de la vertu ont été proposées par les auteurs contemporains. Il sera donc important d’identifier les caractéristiques identitaires communes pouvant être dégagées des multiples incarnations de l’éthique de la vertu. En ce qui concerne les disparités, il conviendra de prendre position entre les différentes formulations de l’éthique de la vertu en faveur d’une théorie culturellement et historiquement définie telle que celle énoncée par McIntyre28 tout en reconnaissant certains aspects intéressants des propositions théoriques à vocation plus universelle, par exemple celles proposées par la philosophe Martha Nussbaum.29

Il sera établi dans cette partie du texte que l’éthique de la vertu est une théorie philosophique dont les bases ont été conçues par certains des philosophes les plus estimés de la tradition occidentale (Platon, Aristote) et qui est toujours aussi pertinente, en ce début du XXIème siècle pour résoudre les débats moraux qui se posent continuellement à notre société. L’urgent besoin de recourir à une approche morale telle celle proposée par l’éthique de la vertu pour résoudre les nombreux défis posés au scientifique par la recherche en génétique humaine, sera d’ailleurs spécifiquement démontré.

Un concept central de la théorie de la vertu est celui d’eudaimonia qui peut être associé au fait de vivre une vie humaine heureuse et complète ou à la réalisation de potentiels humains estimés.30 La thèse démontrera que c’est à travers l’adoption de modèles ouverts de collaboration que la communauté scientifique pourra pratiquer les vertus qui lui sont importantes, ce qui permettra à celle-ci d’atteindre l’eudaimonia représentée par l’idéal de la science libre. Les vertus centrales et le télos de la pratique de la génétique humaine seront aussi identifiés à travers une revue de la littérature. Suite à cette étape, les résultats de plusieurs études empiriques sur les motivations des

28 Celui-ci reconnait cependant l’existence d’un petit noyau de vertus universelles autour duquel

s’attacherait un ensemble de vertus plus relatives. Voir MacIntyre, After Virtue, supra note 21.

29 Martha C. Nussbaum, «Human Functioning and Social Justice: In Defense of Aristotelian Essentialism»

(1992) 20 Political Theory 202 [Nussbaum, «Aristotelian Essentialism»]; Martha C. Nussbaum, Frontiers

of Justice: Disability, Nationality, Species Membership, Cambridge, Bellknap press, 2006 [Nussbaum, Frontiers of Justice].

30 Edward L. Deciand et Richard M. Ryan, «Hedonia, Eudaimonia, and Well-Being: An Introduction», en

ligne: (2008) Journal of Happiness Studies à la p.1

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collaborateurs participant aux projets source ouverte dans le domaine des technologies de l’information seront présentés pour démontrer la capacité des modèles ouverts à favoriser le développement de la vertu. Cette démonstration est importante car, selon la théorie de la vertu de MacIntyre appliquée à la pratique de la génétique humaine, les membres de cette pratique, qui participent à des modèles ouverts pour des raisons principalement altruistes et avec des motifs vertueux, sont susceptibles de développer certaines vertus qui contribueront à leur épanouissement personnel.

La troisième partie de cette thèse vise à démontrer que la propriété intellectuelle n’engendre pas un scénario optimal en termes de transfert des technologies dans le domaine de la génétique. Elle commencera par examiner les arguments avancés par les défenseurs des droits de la propriété intellectuelle pour justifier leur utilisation dans ce domaine et se poursuivra par l’étude de quelques-unes des faiblesses imputées à la propriété intellectuelle dans le domaine de la recherche génétique (ex. théorie de l’anti-commun, brevets trop étendus, brevets sur les tests de diagnostic génétiques, droit sui generis sur les bases de données, etc.).31 Cette étude est nécessaire car, comme le soutiennent certains défenseurs de la propriété intellectuelle, si le système fonctionne correctement, pourquoi perdre notre temps à rechercher des alternatives?32

Au moment présent, il serait cependant utopique de vouloir faire une évaluation complète des différents types de propriétés intellectuelles en utilisant des critères universellement reconnus. Le manque de données permettant de mesurer les effets de la propriété intellectuelle sur notre société et sur notre économie33 constitue un obstacle insurmontable à la réussite d’une telle entreprise. De plus, la fonction utilitariste traditionnellement associée aux différents systèmes de propriété intellectuelle est

31 Cette partie de la thèse va aborder les régimes de propriété intellectuelle suivants : brevets, droits

d’auteur et protection sui generis du contenu des banques de données, puisqu’ils sont les plus pertinents au domaine de la recherche en génétique humaine.

32 Solveig Singleton, «Should the Patent Office be an Independent Corporation? Pros and Cons, Working

Paper», Washington (D.C.), The Progress and Freedom Foundation, 2005 à la p. 9, en ligne: Progress and Freedom Foundation <http://www.pff.org/issues-pubs/pops/pop12.28patentoffice.pdf >.

33 Michael Taylor et Jerry Cayford, «The U.S. Patent System and Developing Country Access to

Biotechnology: Does the Balance Need Adjusting? Discussion Paper», Washington (D.C.), Resources for the Future, 2002 à la p. 45, en ligne: Resources for the Future <http://www.rff.org/documents/RFF-DP-02-51.pdf>.

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même sujette à contestation,34 privant ainsi le chercheur d’un standard commun nécessaire pour orienter son évaluation.

L’impossibilité de procéder à une évaluation complète du système ne devrait pas empêcher le chercheur d’essayer d’apprendre tout ce qu’il lui sera possible des données qui sont présentement disponibles. Si, avec cette information, il est possible de démontrer une probabilité élevée que des problèmes substantiels dans le processus de transfert des nouvelles technologies sont imputables au système, alors le recours à des solutions alternatives sera d’autant plus fortement justifié. En d’autres mots, cette analyse limitée n’aura pas pour objectif de contester le système dans son ensemble, mais plutôt celui de soulever un doute quant au potentiel du système de générer les résultats utilitaires désirés dans certaines situations déterminées dans le domaine spécifique de la génétique humaine. Si les solutions alternatives ou complémentaires proposées pour régler ces manquements, c’est-à-dire les modèles ouverts de collaboration, ont éventuellement le potentiel d’être efficaces d’un point de vue utilitariste en plus de rendre une communauté plus vertueuse, alors celles-ci devraient être bien accueillies par toutes les parties impliquées dans le débat. À cet effet, les avantages stratégiques que pourraient apporter les modèles ouverts de collaboration au transfert des technologies dans le domaine de la génétique, seront passés en revue. Afin de démontrer que l’utilisation des modèles ouverts de collaboration dans le domaine de la recherche génétique est une entreprise tout à fait réalisable d’un point de vue juridique, une étude de la légalité, des bénéfices et des obstacles présentés par les différents modèles de licences ouvertes, proposés jusqu’ici par les auteurs, complètera cette section de la thèse.

La quatrième et dernière partie présentera une étude de cas portant sur l’utilisation de modèles ouverts de collaboration dans des projets canadiens sélectionnés. Cette étude a comme objectif de compléter l’information déjà obtenue dans les parties précédentes plus théoriques. Elle permettra également d’illustrer nos hypothèses quant à l’idéologie, au fonctionnement et à l’efficacité des modèles de collaboration dans le domaine de la génétique humaine. Adoptant une approche exploratoire et qualitative pour notre étude de

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cas, un petit nombre de projets ouverts canadiens (ou partiellement canadiens) représentatifs de différents champs d’activités du domaine de la génétique a été choisi pour étude. Il s’agit de l’organisme à but non lucratif Creative Commons Canada, du projet bioinformatique BioMOBY, du Consortium international HapMap, du Consortium international P3G et de la compagnie Aggregate Therapeutics inc.35

L’information sur les cas sélectionnés sera obtenue par l’entremise d’une recherche de la littérature en ligne, de documents archivés ainsi que d’entrevues avec des personnes ressources ayant travaillé sur les projets choisis.36 Cette information sera analysée, classée de façon taxonomique et formatée sous forme de description de cas individuels. Notre analyse se terminera par une comparaison de l’information issue des différents cas et de l’information plus théorique obtenue dans les parties précédentes de la thèse. Il est à noter que cette étude de cas est de nature exploratoire et ne servira pas à valider les analyses et informations obtenues antérieurement, mais plutôt à apporter un complément d’informations et de données empiriques à la recherche. En effet, le petit nombre et la disparité des modèles ouverts de collaboration en existence dans le domaine de la recherche en génétique humaine au Canada ne permet pas au chercheur d’effectuer une étude comparative ou statistique conclusive du phénomène au moment présent.

Le XXème siècle a manifestement été une période d’expansion sans précédent des différents régimes de propriété intellectuelle. Il s’est de plus terminé lors d’une période marquée par un intérêt nouveau des gouvernements pour la valorisation du potentiel de la recherche scientifique par l’entremise de stratégies de commercialisation de la recherche académique favorable à une extension de la propriété intellectuelle.37 Au début du XXIème

35 L’organisation Creative Commons Canada n’est pas intéressée de façon spécifique par la génétique

humaine. Cependant les licences Creative Commons sont utilisées pour protéger des publications et des sites internet concernant la génétique. C’est ce lien avec la génétique ainsi que la position de premier plan occupée par Creative Commons au sein de la communauté des divers projets ouverts qui a motivé notre choix de l’inclure parmi nos cas.

36 Les personnes ont été choisies parce qu’elles occupaient chacune une position clé dans un des modèles à

l’étude. Ce projet de recherche sur des sujets humains a reçu un certificat d’approbation du Comité d’éthique à la recherche REB1 de l’université McGill (Certificat est inclus à l’annexe 2).

37 Yann Joly, Flora Wahnon et Bartha M. Knoppers, «Impact of the Commercialization of Biotechnology

Research on the Communication of Research Results: North American Perspective» (2007) 8 Harvard Health Policy Review 71.

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siècle, les experts questionnent maintenant de plus en plus l’impact sociétal de cet engouement pour la propriété intellectuelle et pour la commercialisation de la recherche.38 L’intérêt porté au potentiel commercial de la créativité humaine a, nul doute, généré certains résultats positifs dans le domaine du transfert des technologies.39 Cependant, on peut percevoir un sentiment grandissant au sein de la communauté académique à l’effet qu’un excellent système de propriété intellectuelle pourrait et devrait accomplir davantage pour la science, pour l’état et pour les pays en développement.40 Il devient donc particulièrement nécessaire de regarder par delà les préoccupations utilitaristes vers un modèle théorique capable de produire davantage que des résultats économiquement satisfaisants. Un modèle idéal devrait aussi contribuer au développement d’une meilleure communauté scientifique qui serait plus vertueuse et en accord avec son ethos intérieur.

Ceci est particulièrement d’actualité dans le domaine de la génétique humaine où l’importance de faire progresser la recherche pour améliorer la santé humaine est parfois éclipsée par des préoccupations commerciales ponctuelles (ex. pression sur les chercheurs universitaires d’acquérir davantage de brevets pour parfaire leur curriculum vitae).41 Les récentes recherches dans le domaine de la génétique humaine promettent de révolutionner les systèmes de santé des pays développés et en développement. Si elles sont adéquatement dirigées et confirment leur présent potentiel, elles permettront de mieux renseigner les médecins sur les processus de fonctionnement des maladies, de fournir de meilleurs tests prédictifs, de procurer des traitements médicaux optimisés plus

38 Robert J.W. Tijssen, «Is the Commercialisation of Scientific Research Affecting the Production of Public

Knowledge? Global Trends in the Output of Corporate Research Articles» (2004) 33 Research Policy 709; Don Chalmers et Dianne Nicol, «Commercialisation of Biotechnology: Public Trust and Research» (2004) 6 International Journal of Biotechnology 116.

39 F. Scott Kieff, «Perusing Property Rights in DNA» dans F. Scott Kieff, dir., Perspectives on Properties on the Human Genome Project, Oxford, Elsevier Academic Press, 2003, 145.

40 Sigrid Sterckx, «Patents and Access to Drugs in Developing Countries: An Ethical Analysis» (2004) 4

Developing World Bioethics 1471; Carlos M. Correa «Can the TRIPS Agreement Foster Technology Transfer to Developing Countries?» dans Keith E. Maskus et Jerome H. Reichman, dir., International

Public Goods and Transfer of Technology, 2005, 227 aux pp. 255-256. 41

CJ Murdoch et Timothy Caulfied, «Commercialisation, Patenting and Genomics: Researcher Perspectives» [à paraître]; Joly, Wahnon et Knoppers, supra note 37 à la p. 71.

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puissants et plus sécuritaires et même de remplacer les organes défaillants.42 Il serait donc logique que la recherche dans ce domaine commence à se préoccuper davantage de l’aspect humain de l’équation, sans négliger pour autant le profit économique. Un moyen prometteur permettant d’atteindre ce résultat serait de promouvoir, par l’entremise de l’adoption stratégique de modèles ouverts de collaboration, le développement d’importantes vertus telles que l’impartialité, la sociabilité, la justice, l’humilité, l’intégrité et la camaraderie au sein de la pratique de la génétique humaine. Effectivement, le développement d’une pratique génétique plus vertueuse pourrait être une des manières les plus efficaces de remettre de l’ordre dans nos priorités à la satisfaction à la fois des créateurs et des utilisateurs des biens issus de la recherche génétique.

42 Thomas H. Murray, Mark A. Rothstein et Robert F. Murray Jr., dir., The Human Genome Project and the Future of Healthcare, Bloomington, Indiana University Press, 1996; Muin J. Khoury, Wylie Burke et

Elizabeth J. Thomson, dir., Genetics and Public Health in the 21st Century, New-York, Oxford University

Press, 2000; Muin J. Khoury, Julian Little et Wylie Burke, dir., Human Genome Epidemiology: A Scientific

Foundation for Using Genetic Information to Improve Health and Prevent Disease, New-York, Oxford

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1. De la science ouverte aux modèles ouverts de collaboration

Cette première partie a pour double objectif d’introduire de façon chronologique les notions voisines de science ouverte, de source ouverte et de modèle ouvert de collaboration ainsi que de déposer les principaux éléments contextuels pertinents à la suite de cette thèse (commercialisation de la recherche, potentiel des modèles ouverts de collaboration dans le domaine de la recherche en génétique humaine, la science ouverte comme un idéal eudémonique, etc.). Ce choix structurel, permettra de mieux constater les liens et les relations d’influence existant entre les différents concepts ouverts (voir fig.1, page 15 et fig. 3 page 46). L’approche chronologique permet également de mieux comprendre la réalité socioculturelle dans laquelle évolue la pratique de la génétique humaine.

Figure 1. Les approches ouvertes

Les approches ouvertes

Science ouverte XVIème siècle -Logiciel libre 1980-Source ouverte 1990-Modèles ouverts de collaboration

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2000-1.1. Science ouverte, commercialisation et sociologie des sciences: Une étude de la culture scientifique43

1.1.1. La science ouverte et les normes des sciences

De nombreux auteurs ont qualifié la culture de la communauté scientifique académique comme étant une culture de « science ouverte ».44 L’expression science ouverte étant utilisée par les auteurs pour décrire diverses réalités qui, bien que similaires ne sont pas toujours identiques. Il est important de définir adéquatement cette expression avant de procéder plus loin dans notre analyse. Que veut-on exprimer quand on fait référence à la science ouverte? Selon Maurer, la science ouverte est définie de plusieurs façons par les auteurs mais se caractérise généralement par les attributs suivants: a) publication franche, complète et dans les délais des résultats de recherche, b) absence de restriction imputable à la propriété intellectuelle, c) transparence importante des données, activités et délibérations à l’intérieur des groupes de recherche avant et après la publication des résultats.45 Cette définition fonctionnelle de ce qu’est la science ouverte correspond assez bien à l’idée que les scientifiques se font du phénomène. Elle explique aussi pourquoi ceux-ci associent maintenant cette expression à diverses méthodologies

43

Le concept de science ouverte est généralement associé aux écrits de l’école structuraliste de la sociologie des sciences dont le représentant le plus connu est Robert Merton. Les positions de Merton ne font pas l’unanimité et ont été contestées par certains sociologues contemporains à partir des années 70. Malgré ces critiques, Merton reste un auteur influent et cité par de nombreux sociologues, historiens, juristes, scientifiques etc., intéressés à décrire la réalité socioculturelle propre à la communauté scientifique. On constate d’ailleurs un regain d’intérêt pour ses idées dans la littérature récente. Ceci explique pourquoi nous avons choisi d’adopter sa théorie des normes des sciences pour décrire le concept de science ouverte. Cependant, l’acceptation de la vision Mertonienne de la science ouverte n’est pas essentielle à notre thèse. Il s’agit simplement d’un choix permettant de mieux illustrer l’idéal eudémoniste de la pratique de la génétique humaine ainsi que d’expliquer le rapport parfois difficile entre science et commercialisation. Il est possible d’être en désaccord avec Merton tout en reconnaissant le potentiel des modèles ouverts de collaboration de promouvoir la vertu et de favoriser le transfert des technologies.

44 Joanna Poyago-Theotoky, John Beath et Donald S. Siegel, «Universities and Fundamental Research:

Reflections on the Growth of University-Industry Partnerships» (2002) 18 Oxford Review of Economic Policy 10 à la p. 18; Nicholas S. Argyres et Julia Porter Liebeskin, «Privatizing the Intellectual Commons: Universities and the Commercialization of Biotechnology» (1998) 35 Journal of Economic Behavior & Organization 427 à la p. 431; Brian Rappert et Andrew Webster, «Regimes of Ordering: the Commercialization of Intellectual Property in Industrial Academic Collaborations» (1997) 9 Technology Analysis and Strategic Management 116; Kartik Kumaramangalam, «Does Collaborating with Academia Improve Industry Science?» (2005) 57 Aslib proceedings: New information perspectives 263.

45 Stephen Maurer, «New Institutions for Doing Science: From Databases to Open Source Biology»,

European Policy for Intellectual Property Conference on Copyright and Database Protection, Patents and Research Tools, and Other Challenges to the Intellectual Property System, Maastricht, 24 novembre 2003 [non publiée]. Transcription disponible en ligne: Maastricht University

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collaboratives de travail présentant des attributs similaires tels que source ouverte, accès ouvert, libre information, science libre ou domaine public.46

Cependant les auteurs ayant exploré le phénomène de façon plus rigoureuse utilisent l’expression science ouverte pour faire référence à une culture scientifique humaniste ayant, selon eux, connu son apogée entre le XVème et le XXème siècle de notre ère.47 Cette culture est alors habituellement définie par les normes des sciences identifiées par Robert Merton.48 Cette façon de percevoir la science ouverte implique la possibilité de concevoir la communauté scientifique comme une institution sociale régie par des normes de conduite et non seulement comme une communauté socioculturelle.49 Le comportement scientifique serait alors régi par une série de normes, faciles à reconnaître et relativement stables.50 Les normes des sciences ont été élaborées par Merton pour définir l’idéal scientifique humaniste et non la réalité concrète.51 Cette distinction qui a échappé à plusieurs auteurs est importante et suggère que la science ouverte pourrait comme les normes des sciences être un idéal vers lequel la société scientifique tend sans pour autant l’avoir entièrement réalisé jusqu’à présent. La « République de la science » ou encore la science ouverte correspondrait donc à une culture scientifique idéale fonctionnant en parfaite conformité avec les normes «mertonienne».52

46 Nik Brown et Brian Rappert, «Emerging Bioinformatic Networks: Contesting the Public Meaning of

Private and the Private Meaning of Public» (2000) 18 Prometheus 438.

47

Paul A. David, «Understanding the Emergence of ‘Open Science’ Institutions: Functionalist Economics

in Historical Context» (2004) 13 Industrial and Corporate Change 571 [David, «Emergence of ‘Open Science’»]; Rebecca Eisenberg, «Property Rights and the Norms of Science in Biotechnology Research» (1987) 97 Yale L.J. 177 [Eisenberg, «Property Rights»]; Daryl E. Chubin, «Open Science and Closed Science: Tradeoffs in a Democracy» (1985) 10 Science, Technology & Human Values 73.

48 Arti K. Rai, «Regulating Scientific Research: Intellectual Property Rights and the Norms of Science»

(1999-2000) 94 Nw. U.L. Rev. 77 à la p. 89 [Rai, «Regulating Scientific Research»].

49 Cette vision fonctionnaliste de la science ne fait pas l’unanimité. Elle est contredite, entre autres, par les

tenants de la nouvelle sociologie des sciences (relativiste et constructiviste) qui ne croient pas en l’existence d’un ethos scientifique.

50 John Ziman, Real Science: What It Is and What It Means, Cambridge, Cambridge University Press, 2000

à la p. 31 [Ziman].

51 Stephen Cole, «Merton’s Contribution to the Sociology of Science» (2004) 34 Social Studies of Science

829 à la p. 839 [Cole]; Ziman, ibid.; pour un exemple de situation où Merton reconnaît l’existence de distinctions entre l’agir des scientifiques et les normes des sciences, voir Robert K. Merton, «Priorities in Scientific Discovery: A Chapter in the Sociology of Science» (1957) 22 American Sociological Review 635.

52 Les normes des sciences ont été développées par Merton afin de décrire l’éthos de la communauté

scientifique académique. Une confusion fréquente dans la littérature provient du fait que plusieurs auteurs ont utilisé ces normes de façon large pour décrire la communauté scientifique dans son ensemble (pas

(28)

Il convient donc de s’intéresser ici à la signification du terme ‘norme’ et plus précisément à l’expression ‘norme sociale’. Le Dictionnaire de la culture juridique définit le mot norme comme étant «une mesure ou un standard par rapport auquel on qualifie la conformité d’un objet ou d’une action».53 Une norme n’est pas seulement constituée d’un comportement observable, ce que les gens font, mais surtout du comportement que les gens ont par sentiment d’obligation.54 Les normes « comprennent plusieurs classes (normes morales ou juridiques, coutumes sociales, règles d’étiquette, règle de jeu), présentant souvent plusieurs sous ensembles (lois, règles, décisions, etc.) et elles sont exprimées de multiples manières (par ex., propositions prescriptives, signes non linguistique)».55 Dans le domaine des sciences sociales les normes sont habituellement définies comme: « règles, prescriptions, principes de conduite, de pensée, imposés par la société, la morale, qui constituent l'idéal sur lequel on doit régler son existence sous peine de sanctions plus ou moins diffuses. »56 (Souligné du soussigné) Cependant, il semble que dans le domaine spécifique du droit, la définition de norme puisse être plus exigeante. Dans un de ses multiples articles sur le droit et la normativité, le juriste Richard Posner définissait la norme sociale comme étant: « une règle qui n’a ni été promulguée par une source officielle, ni imposée par la menace d’une sanction juridique, cependant elle est régulièrement suivie (autrement il ne s’agirait pas d’une règle)».57 (Traduction et souligné du soussigné) Comme nous l’avons mentionné, la communauté scientifique ne suit pas toujours les normes des sciences qui sont plutôt perçues comme

seulement académique) ou alors l’ensemble de la communauté académique (pas seulement scientifique). Voir par ex. Dan L. Burk, «Cyberlaw and the Norms of Science», en ligne : (1999) B.C. Intell. Prop. & Tech. F. 1 <http://bc.edu/bc_org/avp/law/st_org/iptf/commentary/content/1999060502.html>. Ceci pourrait s’expliquer par le fait qu’historiquement la distinction entre ces différents ensembles n’a pas toujours été aussi marquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les normes des sciences pourraient aussi avoir une signification pour des ensembles culturels plus grands (ex. la communauté scientifique) tout comme ceux-ci pourraient avoir influencé la création et le développement de ces normes. Cependant, des études plus poussées sur le sujet seraient nécessaires afin de bien cerner l’ampleur du phénomène.

53 Denis Alland et Stéphane Rials, dir., Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige/Lamy-Puff,

2003 à la p. 1079.

54 Rai, «Regulating Scientific Research», supra note 48 à la p. 81. 55 Ibid.

56 Paul Imbs, dir., Le Trésor de la Langue Française informatisé, Paris, CNRS édition, 2004, en ligne :

Analyse et traitement informatique de la langue française,

<http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?37;s=1921849065> [Imbs].

57

Richard A. Posner, «Social Norms and the Law: An Economic Approach» (1997) 87 The American Economic Review 365.

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des pratiques sociales permettant d’atteindre un idéal vers lequel la communauté scientifique tend. Cependant, les normes des sciences ont indubitablement un aspect contraignant en ce qu’elles sont profondément intégrées à l’éthos scientifique sous forme de prescription et de préférence institutionnelle et culturelle.58 Les déviations importantes des normes sont peux fréquentes et le fait que les comportements déviants soient généralement regardés comme scandaleux et indignes par les membres de la communauté scientifiques démontre l’autorité de l’éthos représenté par les normes de Merton. De toutes les façons, il n’est pas nécessaire pour ce qui va suivre d’entreprendre un débat interdisciplinaire sur la force contraignante des normes des sciences. L’important est plutôt de reconnaitre que les normes des sciences fournissent un excellent cadre conceptuel pour expliquer l’adhésion de la communauté scientifique à l’idéal vertueux et humaniste de la science ouverte ainsi que pour définir succinctement ce même idéal.

Les normes des sciences ne sont ni codifiées ni imposées par des sanctions spécifiques. Elles sont plutôt décrites par Merton comme étant « exprimées sous forme de prescriptions, proscriptions, préférences et permissions légitimées sous forme de valeurs institutionnelles ».59 Elles ont la fonction précise de résister aux impulsions contraires; les impératifs moraux de tout système social impliquant toujours une balance tendue entre les normes et contre-normes correspondantes.60 Aucune codification verbale ne pourrait suffire à transmettre le cadre normatif défini par les normes des sciences tel que présentement constitué, institué et exprimé à travers les pratiques des membres de ce domaine. Un tel ordre sera transmis et acquis à travers la pratique dans ce domaine et par les accomplissements continuels de ses membres.61 Les normes des sciences originellement identifiées par Merton sont les normes du communisme, de l’universalisme, du désintéressement et du scepticisme systématique.62 Selon Ziman ces normes se présentent sous forme de traditions et de coutumes sociales plutôt que de

58 Merton, Sociology of Science, supra note 22. 59 Ibid.

60 Ziman, supra note 50 à la p. 31.

61 Barry Barnes, «Catching up with Robert Merton: Scientific Collectives as Status Groups» (2007) 7

Journal of Classical Sociology 179 à la p. 183 [Barnes].

Figure

Figure 1. Les approches ouvertes
Figure 2. Origine de la science ouverte (facteurs structurants). D’après PA David.
Figure 3. Les approches ouvertes (2).
Tableau 1. La génétique ouverte
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Références

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