• Aucun résultat trouvé

Présentation des critères d’appartenance à la catégorie des modèles ouverts de

1. DE LA SCIENCE OUVERTE AUX MODÈLES OUVERTS DE COLLABORATION

1.2. L ES MODÈLES OUVERTS VIENNENT AU SECOURS DE LA SCIENCE OUVERTE

1.2.3. Présentation des critères d’appartenance à la catégorie des modèles ouverts de

Tel que vu précédemment les modèles de transfert de technologie assimilés au phénomène FLOSS sont nombreux et variés dans le domaine de la génétique. L’utilisation de l’expression distincte ‘modèle ouvert de collaboration’, semble donc plus appropriée et terminologiquement exacte que « source ouverte » pour se référer à ces diverses stratégies. L’utilisation de cette expression n’a pas pour objectif de créer une catégorie artificielle où tous modèles comportant des similitudes aussi lointaines soient- elles avec la méthodologie source ouverte puissent être classées. L’intérêt d’utiliser cette expression est plutôt de décrire de façon distincte, un phénomène qui, même s’il a été influencé par la méthodologie source ouverte issue du domaine des technologies de l’information, se veut plus englobant. Cette expression permet donc de faire abstraction des spécificités et exigences propres à l’informatique pour décrire les qualités essentielles294 de la pratique et de la méthodologie ouverte qui devraient pouvoir se retrouver à travers les différentes disciplines scientifiques.

L’étude et les observations faites jusqu’ici sur la science ouverte, la source ouverte et les modèles de collaboration ouverts permettent effectivement de suggérer certains critères qui pourraient être utilisés pour déterminer l’appartenance d’une stratégie à la catégorie particulière des modèles ouverts de collaboration. Comme la plupart des tentatives de catégorisation, cette proposition comporte son lot d’arbitraire, elle offre néanmoins l’avantage de mettre l’accent sur la variabilité importante existant entre les modèles du domaine de la génétique humaine (et possiblement dans d’autres domaines scientifiques). Ces modèles ne répondant souvent pas à certaines des exigences posées

294

Ces qualités essentielles permettront généralement, de façon pratique, de favoriser la collaboration ou la dissémination de l’information dans le domaine de la recherche en génétique humaine.

par la Fondation du logiciel libre ou par l’Initiative source ouverte et n’impliquant pas l’accès à un code source ne devraient pas être associés à l’expression plus restrictive de « source ouverte ». Il conviendra de tester nos critères définitionnels en les appliquant à certains modèles utilisés dans le domaine de la génétique humaine, de façon à démontrer leur aptitude à bien cerner le phénomène que nous cherchons à décrire. L’objectif de notre démarche n’est pas de développer un modèle de contrat de licence qui pourrait être utilisé pour favoriser la collaboration scientifique dans le domaine de la génétique mais plutôt de déterminer l’appartenance à une catégorie de modèles de développement et de transfert similaires, sans se prononcer à ce stade sur le type de licence nécessaire pour assurer la transposition juridique de ces critères ou le succès de ces modèles.

D’entrée de jeu, il convient d’admettre que la plupart, sinon tous les modèles

ouverts de collaboration impliqueront une utilisation à un stade ou à un autre de l’Internet et des technologies de l’information. Il a été expliqué plus tôt que le

développement de l’informatique et de l’Internet a donné à l’individu de nouveaux moyens de production sans lesquels le type de coopération impliquée par le courant FLOSS en informatique ou par les modèles ouverts de collaboration en génétique pourraient difficilement fonctionner efficacement.295 L’utilisation de l’Internet permettra au chercheur de collaborer de façon efficace, de donner une visibilité à son projet ainsi que d’assurer la transparence des mécanismes de gestion, de participation et d’attribution qui sont indispensables à sa réussite.

Un modèle ouvert de collaboration devrait être élaboré de façon à permettre aux membres de la communauté scientifique de collaborer au projet qu’il promeut.296

Idéalement, le nombre de collaborateurs qui pourront contribuer devrait être aussi élevé que le permettront les considérations d’efficacité et de budget liées au projet. Dans tous

295 Voir pp. 47-49, ci-dessus.

296 À défaut de permettre une collaboration actuelle, un modèle devrait au minimum favoriser les

collaborations futures des membres de la pratique de la génétique humaine. On peut penser, par exemple, aux publications ouvertes qui ne sont pas toujours le fruit d’une collaboration ouverte. Cependant, en permettant de disséminer des résultats de recherche rapidement à l’ensemble de la communauté, elles favorisent très certainement les collaborations futures des chercheurs intéressés au projet publié.

les cas, toute contribution valable297 effectuée au projet devrait être acceptée. Cette condition de participation démocratique retrouve sa justification tant dans les normes de Merton que dans le Manifeste GNU de la Fondation du logiciel libre et dans l’Open

Source Definition.298

Tout modèle ouvert de collaboration devrait prévoir une stratégie pour assurer une dissémination publique rapide de l’information ou des résultats des recherches qu’il supporte. Inspiré des paroles d’Isaac Newton: « Si j'ai vu plus loin que les autres, c'est parce que j'ai été porté par des épaules de géants »,299 il s’agit ici d’un critère important auquel devrait répondre tout modèle ouvert de collaboration. La génétique humaine est une science qui progresse très rapidement; par exemple, seulement une vingtaine d’année après que les scientifiques se soient intéressés aux tests pour les maladies monogéniques, les avancées de la génétique et de la bio-informatique permettent aujourd’hui le génotypage, à faible coût, de millions de polymorphismes d’un nucléotide simple.300 Cette nouvelle information devrait pouvoir être bonifiée promptement par les travaux d’autres scientifiques qui pourront l’utiliser afin de développer des tests et des médicaments permettant d’améliorer la santé de la population. Ce critère de dissémination rapide, particulièrement pertinent à la réalité de la recherche génétique, perd un peu d’importance dans le domaine du logiciel informatique.301 Il est cependant partie intégrante de la notion de science ouverte, étant une conséquence des normes du communisme et du scepticisme systématique.302

297 L’intérêt d’une contribution donnée sera généralement déterminé par les pairs ainsi que par le

coordonateur du projet. Voir Raymond, Cathedral & the Bazaar, supra note 186 aux pp. 34-37.

298 Pour la norme d’universalisme, voir Merton, Sociology of Science, supra note 22 à la p. 270, et pour la

norme de communisme, voir Merton, Sociology of Science, supra note 22 à la p. 273; Perens, «Open Source Definition», supra note 191; Stallman, GNU Manifesto, supra note 211.

299 Lettre d’Isaac Newton à Robert Hooke, 15 février 1676, Nicholas Croce, Newton and the Three Laws of Motions, New-York, Rosen Publishing Group, 2005 à la p. 23.

300 Jiannis Ragoussis, «Genotyping Technologies for All» (2006) 3 Drug Discovery Today 115.

301 Malgré l’absence de références spécifiques à ce critère des principaux textes à caractère normatif du

mouvement, l’auteur Eric Raymond considère que la mise à la disponibilité fréquente et rapide de l’information est un facteur de réussite de tous projets ouverts dans le domaine des technologies de l’information. Voir Raymond, Cathedral & the Bazaar, supra note 186.

302

Pour la norme du communisme, voir Merton, Sociology of Science, supra note 22 à la p. 273; pour celle du scepticisme systématique, voir Merton, Sociology of Science, supra note 22 à la p. 277.

Un modèle ouvert de collaboration devra aussi permettre à la communauté scientifique d’utiliser les résultats du projet qu’il a pour mission de promouvoir dans des recherches ultérieures, sans avoir à conclure d’accords restrictifs qui limiteraient la liberté et l’intégrité de la recherche académique. En effet, si l’accès aux résultats ou aux

outils de recherche était conditionné à la conclusion de licences ou d’accords de transfert de matériel ayant pour effet de restreindre la liberté future des chercheurs, le progrès scientifique et la culture de science ouverte se trouveraient tous deux fatalement compromis. Ce critère trouve ses fondements dans le Manifeste GNU de la Fondation du logiciel libre et dans l’Open Source Definition il a aussi influencé le développement des divers modèles contractuels de l’organisation Cambia.303 Il peut aussi trouver un appui implicite dans les normes du désintéressement et du scepticisme systématique énoncées par Merton.304

Une conséquence directe des critères précédents est que les droits de propriété

intellectuelle ne pourront être utilisés pour restreindre l’accès au projet ou à ses résultats ou discriminer entre les utilisateurs et les utilisations. Un modèle ouvert de

collaboration pourra tout de même avoir recours à la propriété intellectuelle; cela est même souhaitable. En effet, la propriété intellectuelle reste une institution juridique efficace pour protéger le projet ouvert du problème du « passager clandestin » qui pourrait tenter de subtiliser l’information non protégée et de se l’approprier après avoir effectué des améliorations mineures.305 Cependant, la propriété intellectuelle devra être utilisée avec parcimonie de façon à protéger les libertés et valeurs sociales des utilisateurs plutôt que pour les restreindre.

Finalement, il convient de dire un mot sur la vente des nouveaux produits issus de la recherche en génétique humaine. La science offre aux scientifiques plusieurs incitatifs non monétaires pour assurer l’innovation et l’efficience du processus créatif, entre autres:

303 Perens, «Open Source Definition», supra note 191; Stallman, GNU Manifesto, supra note 211; CAMBIA Draft Health Technologies BiOS 2.0 agreement, Canberra, CAMBIA, en ligne: Bios.net

<http://www.bios.net/daisy/bios/3540/version/default/part/AttachmentData/data/CAMBIA%20Health%20 Technologies%20BiOS%20agreement.pdf> [CAMBIA].

304 Pour le scepticisme systématique, voir Merton, Sociology of Science, supra note 22 à la p. 277, et pour

le désintéressement, voir Merton, Sociology of Science, supra note 22 à la p. 275.

le respect des pairs, la popularité, le plaisir de la découverte d’une nouvelle solution et ultimement, la satisfaction personnelle d’avoir accompli un excellent travail pour le bien public.306 Les scientifiques ne devraient cependant pas pour autant avoir à se replier au plus profond de leur tour d’ivoire et à faire complète abstraction des impératifs financiers reliés à la vie moderne. Il convient donc d’accepter que les modèles ouverts de

collaboration puissent prévoir des mécanismes permettant aux chercheurs de récupérer les coûts de production raisonnables qui auront dû être défrayés pour la réalisation des projets sans faire cependant obstacle à la nature ouverte du processus.307

Ayant élaboré ces critères, il convient maintenant de démontrer comment ceux-ci pourront êtres utilisés pour déterminer l’appartenance d’une stratégie de transfert de technologie donnée à la catégorie des modèles ouverts de collaboration. Pour ce faire les critères précités seront appliqués à trois exemples de stratégies fréquemment utilisées dans le domaine de la génétique: les pools de brevets, la publication défensive et le brevetage défensif.

Un pool de brevets est un accord entre plusieurs titulaires de brevets consistant à s’accorder des licences mutuelles pour un ou plus de leurs brevets ou encore, d’accorder ces licences à des tiers. On peut aussi concevoir un pool de brevets comme une agrégation de droits de propriété intellectuelle étant assujettie à des ententes de concession réciproque de licences, que ces droits soient transférés directement par le breveté au licencié, ou, par l’entremise d’intermédiaire comme une entreprise commune créée pour administrer le pool.308

Un pool de brevets pourra être considéré comme un modèle ouvert de collaboration seulement si le modèle de gestion du pool et si toutes les exigences requises pour l’obtention d’une licence répondent aux critères établis ci-haut. Le pool pourrait

306 Peter Howitt, «The Economics of Science and the Future of Universities», the 16th Timlin Lecture,

University of Saskatchewan, 2000 aux pp. 7-9, en ligne: Brown University <http://www.econ.brown.edu/fac/Peter_Howitt/publication/Timlin.pdf>.

307 Stallman, Free Software, supra note 183 à la p. 44. Pour un exemple dans le domaine de la génétique,

voir CAMBIA, supra note 303.

308

Jeanne Clark et al., Patent Pools: A Solution to the Problem of Access in Biotechnology Patents?, Alexandria, United States Patent and Trademark Office, 2000 à la p. 4.

effectivement fournir une structure commune à plusieurs détenteurs de brevets pour collaborer de façon ouverte et promouvoir l’accessibilité de leurs inventions tout en se partageant les coûts et risques de développement. Un tel mécanisme n’a pas encore été utilisé de cette façon dans le domaine de la génétique humaine. La plupart des pools de brevets existants présentement (ex. Aggregate Therapeutics309) sont plutôt des modèles associatifs que collaboratifs puisque leurs gestionnaires utilisent en général la propriété intellectuelle dans un but lucratif et d’une manière qui pourrait restreindre les libertés des membres de la communauté scientifique. Comme mécanisme, le pool de brevets offre cependant des possibilités de collaboration intéressantes qui gagneraient à être explorées davantage par les chercheurs.310

La publication défensive est une stratégie consistant à publier en détails les résultats de recherches entreprises afin de produire de l’art antérieur et donc d’empêcher la brevetabilité d’inventions reliées à ces résultats.311 Ce type de modèle ouvert répondra généralement aux critères suggérés plus haut. Cependant, ce modèle n’offre pas une protection maximale contre le problème du « passager clandestin ».312 Ce risque devra être pris en compte par les gestionnaires de projets qui devront décider au cas par cas, si un niveau de protection plus élevé est nécessaire pour s’assurer que les bénéfices liés au caractère ouvert de leur projet ne soient pas compromis.

Le brevetage défensif est une stratégie qui consiste à breveter une invention dans un but de protection ou de contre-attaque à d’éventuelles poursuites que pourraient

309 Pour plus d’information sur le modèle de pool de brevets présenté par la compagnie biotechnologique

Aggregate Therapeutics, voir pp. 233-240, ci-dessous.

310 Voir par exemple, le plan de travail pour la creation de ‘l’Essential Medical Innovation Licensing

Agency’ soumis à l’Organisation Mondiale de la santé par l’organisation Knowledge Ecology International: Knowledge Ecology International (KEI), EMILA -The Essential Medical Innovation Licensing Agency, Washington DC, KEI, 2008, en ligne: KEI <http://www.keionline.org/misc-docs/1/emila-June08-with- licenses.pdf>

311 Talia Bar, «Defensive Publications in an R&D Race» (2006) 15 Journal of Economics & Management

Strategy 229; Anthony Arundel et Pari Parel, Strategic Patenting, Background Report for the Trend Chart

Policy Benchmarking Workshop New Trends in IPR Policy, Luxembourg, European Commission, 2003 à la

p. 3, en ligne: TrendChart

<http://trendchart.cordis.lu/Reports/Documents/TCW15_background_paper.pdf>.

entamer un concurrent.313 Son utilisation pré-date la création de la Fondation du logiciel libre et les autres mouvements source ouverte.314 Elle est tout à fait conciliable avec les critères des modèles discutés préalablement. Cependant, le brevetage défensif ne pourra constituer qu’une partie de la stratégie d’un modèle ouvert de collaboration, des moyens indépendants de diffusion de l’information devront être développés pour favoriser l’accès de la communauté scientifique. De plus, une attention spéciale devra être portée aux accords de licences qui devront être simplifiés et avoir comme objectif majeur de promouvoir la libre utilisation de l’information par la communauté scientifique.315

Le problème majeur de cette stratégie est que les brevets sont dispendieux à obtenir et à défendre.316 Ceci signifie que les gestionnaires de ce type de modèle devront obtenir un financement substantiel qui ne devra pas avoir été acquis au prix d’une limitation des droits d’utilisations de la communauté.

Les modèles ouverts de collaboration autant dans le domaine de la génétique humaine que dans celui des technologies de l’information promeuvent une série de pratiques qui contribuent à la promotion de la culture de science ouverte telle que décrite par les normes de Merton. Malgré certaines spécificités relativement mineures rattachées aux domaines scientifique ou technique où ils sont utilisés, les modèles ouverts favorisent une éthique vertueuse et répondent à des préoccupations morales similaires dans leur communauté d’utilisation. Le potentiel commercial des modèles a été clairement démontré dans le domaine des technologies de l’information.317 Cependant, d’après les propos des leaders du mouvement ainsi que les études des motivations des contributeurs à

313 Federal Trade Commission, To Promote Innovation: The Balance of Competition and Patent Law and Policy, Darby, Diane Publishing, 2003 à la p. 142.

314 «Patents: Knowledge, Reduction to Practice and Defensive Patenting Under Section 102(a)» (1966) 66

Colum. L. Rev. 394.

315 Une alternative intéressante à la stratégie du brevetage défensif est l’engagement formel de non

assertion. Cette stratégie est abordé dans le troisième chapitre de cette thèse, voir pp. 191-193, ci-dessous.

316 United States General Accounting Offices, Report to Congressional Requesters (GAO-02-789),

Washington (D.C.), United States General Accounting Offices, 2002; David Malakoff, «Will a Smaller Genome Complicate the Patent Chase?» (2001) 291 Science 1194.

317

Karim R. Lakhani et Eric von Hippel, «How Open Source Software Works: ‘Free’ User-to-User Assistance» (2003) 32 Research Policy 923.

ces projets,318 l’argent n’est pas la première motivation pour développer et participer au succès d’un modèle ouvert de collaboration. La raison principale est que ces modèles favorisent une série de pratiques plus conformes à l’éthos de la communauté scientifique que les modèles commerciaux présentement utilisés dans ces domaines.

*****

Maintenant que nous avons introduit les notions de science ouverte, de source ouverte, et que nous avons élaboré des critères permettant de mieux définir ce que nous envisageons par le terme ‘modèle ouvert de collaboration’, dans la partie suivante de cette thèse, la théorie philosophique de l’éthique de la vertu sera utilisée pour démontrer de quelle façon l’utilisation répandue des modèles ouverts de collaboration encouragera le développement d’une communauté scientifique ouverte, heureuse et plus humaniste dans le domaine de la recherche en génétique humaine.

318

Voir par ex. Torvalds, supra note 233 à la p. 72. Voir aussi les résultats des différentes études présenté dans notre thèse aux pp. 209-240, ci-dessous.