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Accès à l'espace public des minorités ethnoraciales et "blanchité"

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-03182065

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Submitted on 26 Mar 2021

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Accès à l’espace public des minorités ethnoraciales et

”blanchité”

Marion Dalibert

To cite this version:

Marion Dalibert. Accès à l’espace public des minorités ethnoraciales et ”blanchité”. Etudes sur le genre. Université Lille 3, 2012. Français. �tel-03182065�

(2)

UNIVERSITE) CHARLES-DE-GAULLE — LILLE 3 E)cole doctorale sciences de l’Homme et de la société — Université Lille Nord de France Laboratoire GERiiCO (Groupe d'études et de recherche interdisciplinaire en information et communication)

Thèse de doctorat en sciences de l’information et

de la communication

dirigée par Jacques NOYER — présentée et soutenue publiquement le 12 novembre 2012

Marion DALIBERT

ACCEWS AW L’ESPACE PUBLIC DES MINORITE)S

ETHNORACIALES ET « BLANCHITE) »

La construction du Sujet de la Nation française dans la médiatisation de Ni putes ni soumises et du Mouvement des Indigènes de la République dans la presse quotidienne nationale dite « de référence » (le Figaro, le Monde, Libération) et dans les journaux télévisés de TF1, France 2 et France 3 Jury : Mme Marlène COULOMB-GULLY, Professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Toulouse II — Le Mirail (Rapporteure) Mme Michèle GELLEREAU, Professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université Charles-de-Gaulle — Lille 3 M. Guy LOCHARD, Professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle — Paris 3 M. Jacques NOYER, Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Charles-de-Gaulle — Lille 3 (Directeur de thèse) M. Jean-François TE)TU, Professeur émérite en sciences de l’information et de la communication à l’Université Lumière — Lyon 2 (Rapporteur)

(3)

Résumé

Cette thèse porte sur la régulation de l’accès à l’espace public des mouvements sociaux représentant les minorités ethnoraciales par l’identité collective de la Nation française. Elle interroge en particulier les processus d’ethnoracialisation des groupes sociaux représentés dans les médias d’information généraliste (les « blancs » et les « non-blancs ») ainsi que la manifestation de la blanchité (whiteness) comme rapport de pouvoir.

Elle est basée sur l’étude, effectuée dans une perspective constructiviste d’analyse de discours, de la médiatisation de deux collectifs protestataires, Ni putes ni soumises (mouvement créé en 2002 pour lutter contre les violences de genre dans les banlieues françaises) et le Mouvement des Indigènes de la République (collectif né en 2005 pour dénoncer les discriminations systémiques dont souffrent les personnes issues de l’immigration postcoloniale), dans la presse quotidienne nationale dite « de référence » (le Figaro, le Monde et Libération) et au sein des journaux télévisés de TF1, France 2 et France 3.

Cette thèse s’appuie notamment sur les théoriciens de la reconnaissance sociale et la notion foucaldienne de « sujet » ainsi que sur les résultats des méthodes quantitatives et qualitatives effectuées sur corpus. L’analyse, pour chaque groupe protestataire, de son processus d’événementialisation au regard de celle de son identité socio-discursive représentée dans les médias, a montré qu’à l’intérieur de la couverture médiatique de Ni putes ni soumises et du Mouvement des Indigènes de la République, se construit implicitement le Sujet de la Nation française. Ce Sujet, « citoyen modèle » de la communauté nationale en partie défini par son genre et son attribut ethnoracial, circonscrit l’accès à la visibilité sociale des mouvements de protestation et leur possibilité de participer au débat public.

Mots-clés : espace public ; reconnaissance sociale ; médias ; blanchité ; mouvements sociaux ;

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Abstract

This thesis focuses on the regulation of the access to the public sphere of social movements representing ethnoracial minorities by the collective identity of the French nation. It discusses in particular the ethnoracialisation processes of social groups (the “white” and the “non-white”) represented in the mainstream media and the manifestation of whiteness as a relation of power.

It is based on the study, in a constructivist approach to discourse analysis, of the media coverage of two protest groups, Ni putes ni soumises (Neither whores nor submissive, a movement created in 2002 to fight against gender violence in the French working-class suburbs) and the Mouvement des Indigènes de la République (Movement of the Indigenous of the Republic born in 2005 to denounce the systemic discriminations against people of postcolonial immigrant origin), in the national daily press of “reference” (le Figaro, le Monde and Libération) and within the television news of TF1, France 2 and France 3.

This thesis is mainly based on the theorists of social recognition, the foucauldian notion of “subject”, and the results of quantitative and qualitative methods conducted on the corpus. The analysis, for each protest group, of its process of becoming-event in relation with its socio-discursive identity represented in the media, showed that within the media coverage of Ni putes ni soumises and the Mouvement des Indigènes de la République, the Subject of the French nation is implicitly built. This subject, the “model citizen” of the national community, who is partly defined by its gender and its ethnoracial attribute, limits and defines the protest groups access to social visibility and their ability to participate in the public debate.

Keywords : public sphere ; social recognition ; media ; whiteness ; social movements ; identity ;

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Remerciements

Cette thèse est le fruit d’un travail collectif. Je tiens à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont permis l’aboutissement de ce travail.

Je remercie tout d’abord Jacques Noyer pour avoir accepté de diriger cette thèse, pour m’avoir accompagnée pendant cinq ans avec constance et bienveillance, et pour ses précieux conseils et nombreux encouragements.

Je remercie également Marlène Coulomb-Gully, Michèle Gellereau, Guy Lochard et Jean-François Tétu pour avoir accepté de juger ce travail et dont la présence me fait honneur.

Je tiens à remercier tous les membres du laboratoire Geriico de l’université Lille 3 pour m’avoir encouragée depuis le début de cette recherche. Je remercie particulièrement Stéphane Chaudiron, Émilie Da Lage, François Debruyne et Michèle Gellereau ainsi que l’ensemble des doctorants avec qui j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler et dont l’amitié m’a été d’un grand support. Un grand merci à Claire Gabriel et à Marie-Paule Roussel pour leur aide au quotidien. Pour ces discussions stimulantes et ces échanges précieux, je tiens à exprimer ma gratitude à Anne-Sophie Beliard, Maxime Cervulle, Vincent-Arnaud Chappe, Jean-Gabriel Contamin, Lucie Dalibert, Yannick Estienne, Amandine Lauro, Guy Lochard, Éric Maigret et Nelly Quemener.

Un immense merci à Perrine Cheval, Lucie Dalibert, Joceleyn De Craeke, Anne-Sophie Beliard et Nelly Quemener pour avoir relu en totalité ou en partie cette thèse et pour m’avoir fait part de leurs pertinentes remarques.

Pour leur prévenance et leur disponibilité, je tiens à remercier les documentalistes et techniciens de l’Inathèque de France ainsi que Jérôme Delavenne, responsable de la bibliothèque de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille.

Un grand merci à l’équipe de l’UFR Culture et communication de l’université Paris 8, en particulier à Pascal Froissard et Aurélie Tavernier, ainsi qu’aux étudiants pour nos échanges qui ont fortement alimenté cette recherche.

Pour les riches discussions qui ont permis d’étoffer mes réflexions sur la problématique des discriminations ethnoraciales, je tiens à remercier toutes les personnes avec qui j’ai eu le privilège de travailler parallèlement à cette recherche. Un grand merci aux membres du laboratoire CeRIES (anciennement GRAAC) ainsi qu’aux salariés de la Compagnie générale d’imaginaire, de l’Agence régionale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances du Nord/Pas-de-Calais et de la Fédération des centres sociaux du Nord/Pas-Nord/Pas-de-Calais.

Mes pensées vont ensuite à Stéphane Gornikowski qui est en partie responsable de ce travail en m’incitant à me lancer dans ce long périple et en m’empêchant de penser une seconde à arrêter.

Je tiens à témoigner de mon éternelle gratitude à mes précieux et extraordinaires amis qui m’ont accompagnée et m’ont soutenue sans faille durant tout ce processus. Merci à Amélie

(6)

Arbeit pour la chaleur d’un foyer parisien, à Estelle Coquerel pour la chaleur d’un foyer lillois et à Yann Wauters pour la chaleur d’un foyer bruxellois. Merci à Marie Stevenard parce que son esprit V*** m’est indispensable et à Perrine Cheval parce qu’il a suffit de cinq minutes dans une Clio bleue pour qu’on adore se poser des lapins.

Un énorme merci à Alice, Greg, Gwen, Joce, Laurent, Maë, Maël, Marlène, Nico, Pascale, Pat, Régis — et à tous les autres — pour leur amitié qui m’est si chère et les pauses qu’ils m’ont obligée à prendre pour garder la tête hors du champ médiatique.

Je pense aussi à ma grand-mère, Denise Fléchais, partie alors que cette thèse était presque achevée et qui a fortement influencé ces pages sans qu’elle n’en ai jamais eu conscience. Je remercie infiniment mes parents, Jeannick et Marc Dalibert, pour leur indéfectible amour et soutien. Il n’existe pas de mots assez forts pour décrire ce que je leur dois.

Enfin, je remercie mon inestimable sœur Lucie. Cette thèse est aussi la sienne. Elle n’aurait pas été ce qu’elle est sans son appui, sa disponibilité — même si la Belgique nous sépare —, ses connaissances, sa lucidité, sa finesse et nos échanges souvent passionnés.

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(8)
(9)

Sommaire

Introduction ... 12

Le choix d’un objet d’étude : les mouvements sociaux ethnoraciaux ... 17

Ni putes ni soumises ... 18

Les Indigènes de la République ... 22

Étudier les systèmes de représentations de la francité et de la blanchité ... 24

Le chercheur français et ses difficultés à travailler sur la « race »... 27

Partie 1 – La régulation de l’accès à l’espace public des mouvements sociaux par le Sujet

de la Nation ... 32

Chapitre 1) Médias d’information généraliste et mouvements sociaux ... 35

I – La spécificité du discours d’information ... 36

1) Des visées informative et performative ... 38

2) L’autorité de l’instance d’énonciation ... 43

3) Des informations entre similarités et différences : le rôle de la ligne éditoriale ... 47

II – Penser l’action collective et les processus de publicisation... 51

1) L’École de la mobilisation des ressources ... 52

2) Les structures des opportunités politiques ... 53

3) La perspective des cadres ... 54

4) La « sociologie culturelle » ... 56

III – La relation entre journalistes et mouvements sociaux ... 57

1) Des « associés-rivaux » ... 60

2) Ni putes ni soumises, un professionnel de l’action collective et de la médiatisation ?... 64

3) Les Indigènes de la République, adversaires des médias ? ... 71

Chapitre 2) L’espace public et le Sujet de la Nation ... 79

I – L’accès à l’espace public comme forme de reconnaissance sociale... 80

1) Reconnaître : un acte normatif ... 81

2) L’invisibilité sociale et médiatique comme déni de reconnaissance ... 85

3) Les normes de reconnaissance productrices du « Même » et de « l’Autre » ... 90

II – Une Nation ethnoracialisée ... 93

1) « Race » et ethnicité ... 94

2) La République et la race ... 99

3) Marquer le non-marqué ou la prise en compte de la blanchité ... 102

(10)

5) Penser la race et le genre ... 111

III – La construction médiatique du Sujet de la Nation ... 114

1) On ne naît pas « sujet », on le devient : le processus d’assujettissement ... 115

2) Des discours hors des sujets ... 117

3) Le dispositif médiatique d’assujettissement ... 121

4) L’accès à l’espace public des assujettis... 125

Chapitre 3) Identité des mouvements sociaux et mesure de la visibilité médiatique .... 127

I – La notion d’« identité » ... 127

1) L’identité sociale ... 128

2) Identité collective, identité nationale ... 131

3) L’identité subjective ... 133

II – Les mouvements sociaux et l’enjeu identitaire ... 135

1) Se différencier par l’identité ...135

2) L’identité, une stratégie médiatique ? ... 136

3) L’ethos ou la rhétorique de l’identité ... 139

III – L’identité dans le discours médiatique ... 142

1) L’identité en analyse de discours ... 142

2) L’identité et le processus d’événementialisation ...146

3) Étudier les identités socio-discursives ...153

Partie II – La reconnaissance médiatique du Sujet de la Nation ... 161

Chapitre 4) L’accès à l’espace public du « Même » ... 163

I – L’identité du « Même » et de l’ « Autre » ... 163

1) Un positionnement différent vis-à-vis de l’attribut ethnoracial ...164

2) Ni putes ni soumises ou la construction identitaire du « Nous» ... 172

3) L’identité différentialiste des Indigènes de la République ... 177

II – L’accès à l’espace public médiatique de Ni putes ni soumises ... 182

1)

Un mouvement beaucoup plus médiatisé que les Indigènes de la République ...184

2) Ni putes ni soumises promu au rang d’événement ... 186

3) Un mouvement qui a accès aux débats publics ... 192

III – La « sanction » par l’invisibilité médiatique ... 196

1) La perte progressive de légitimité de Ni putes ni soumises ... 197

2) L’invisibilité sociale des Indigènes de la République ... 205

3) Le Monde et les Indigènes de la République ... 207

Chapitre 5) La construction médiatique de la réalité sociale du « Même » ... 210

I – Le rôle des genres et des rubriques dans la construction sociale de la réalité ... 210

1) Les genres à visée informative ... 211

2) Les genres des opinions extérieures... 216

3) Les commentaires ... 218

4) Les rubriques ... 220

II – La construction de la cause de Ni putes ni soumises comme socialement réelle ... 221

1) Des genres et des rubriques performatifs ... 221

2) Le rôle du témoignage dans la production de la « vérité » et dans les processus de catégorisation ... 226

(11)

3) L’inexistence médiatique et sociale de la cause des Indigènes de la République ... 236

III – La reconnaissance sociale d’un collectif représentant les « jeunes filles "non-blanches" » ...239

1) Le représentant médiatique d’un groupe social de 2002 à 2004... 240

2) La « jeune fille » et l’accès à la sphère publique de Ni putes ni soumises ... 244

3) Un mouvement genré et ethnoracialisé dans les médias ... 246

4) Une transformation identitaire en 2005... 254

Chapitre 6) La « jeune fille des banlieues » et le Sujet de la Nation française... 258

I – Naissance et évolution du stéréotype de la « jeune fille des banlieues » ... 259

1) Le parcours et la construction médiatique d’un stéréotype ... 259

2) Une femme « non-blanche » d’un âge générique au départ ... 264

3) Une cristallisation médiatique sur la « jeune fille » en 2003 et 2004 ... 266

3) La disparition progressive de la « jeune fille des banlieues » ... 271

II – L’identité socio-discursive de la « jeune fille des banlieues » et les normes de genre ... 273

1) Soumise aux garçons « non-blancs » ... 273

2) Victime de la religion musulmane ... 282

3) Contrainte de transgresser les normes de féminité blanche... 285

4) Un stéréotype pré-figuré et historicisé ... 289

III – La « jeune fille des banlieues » et ses dérivés ... 295

1) La « sœur émancipée » : les marcheuses de Ni putes ni soumises ... 296

2) La « grande sœur » : Fadela Amara ... 299

3) La « femme des pays islamiques » ... 305

Partie III – Construction médiatique des « mauvais sujets » et manifestation de la

blanchité ... 311

Chapitre 7) Quand le genre construit la race. Ni putes ni soumises et ses stéréotypes

ethnoracialisés ... 313

I – L’omniprésence médiatique du « jeune garçon des banlieues » ... 314

1) Un stéréotype avant tout juvénile ...315

2) Un virilisme socio-historique ... 320

3) La délégitimation des accusations de « stigmatisation » ... 325

II – Les parents de la « jeune fille des banlieues » ... 334

1) La « mère immigrée » ... 335

2) Le « père immigré »... 343

III – Les stéréotypes mis en scène lors du débat public sur le port du voile ... 349

1) La « jeune fille voilée » ... 350

2) L’ « islamiste » ... 359

3) La « féministe blanche » ... 364

Chapitre 8) L’ethos anti-républicain des Indigènes de la République ... 374

I – L’identité socio-discursive des membres des Indigènes de la République ... 375

1) Un mouvement « politique » et « militant » ... 375

2) La délégitimation médiatique des membres du mouvement ... 379

(12)

4) Les journaux et la représentation médiatique du collectif protestataire ... 385

II – Une identité contaminée par deux acteurs sociaux controversés ... 391

1) La mise en scène médiatique d’une proximité idéologique ... 391

2) L’antisémitisme de Dieudonné ... 396

3) L’intégrisme de Tariq Ramadan ... 400

III – Les Indigènes de la République et la Marche pour l’égalité et contre le racisme .... 403

1) La Marche et l’imaginaire national ... 404

2) La reconnaissance sociale des marcheurs de 1983 ... 406

Chapitre 9) La manifestation de la blanchité dans la médiatisation des Indigènes de la

République ... 412

I – La délégitimation du problème public des Indigènes de la République ... 413

1) Des discriminations attestées ... 413

2) Une thèse jugée trop caricaturale, la France n’est plus un État colonial ... 415

3) Un mouvement qui ne fait pas autorité dans la production du savoir ...418

4) Le paradigme juridique ...419

5) La prise en compte d’autres groupes ethnoraciaux et attributs catégoriels ... 421

II – La construction médiatique des membres de la Nation à l’égard de l’antiracisme ... 424

1) « Nous » Vs. les Indigènes de la République ... 425

2) L’antiracisme « raciste » des Indigènes de la République ... 431

3) Une Nation intrinsèquement égalitaire ... 435

4) Le pouvoir de la blanchité mis à distance de la sphère publique ... 442

Conclusion ... 445

Une construction médiatique qui influence la carrière des mouvements sociaux ... 445

Le régulation de l’accès à l’espace public et la réitération des rapports de pouvoir ... 451

Les médias comme technologies de genre, de race et de francité ... 454

De nouvelles pistes de recherche ... 456

Bibliographie ... 459

Corpus ... 483

Ni putes ni soumises ... 483

Le Mouvement des Indigènes de la République ... 499

Dieudonné ... 502

Tariq Ramadan ... 506

(13)

Introduction

Depuis la campagne présidentielle de 2007, le thème de l’ « identité nationale », relié à celui de l’immigration et des minorités ethnoraciales, occupe régulièrement l’espace médiatique1.

La création du « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale » qui fait suite à l’élection de Nicolas Sarkozy, a fait, par exemple, l’objet d’un débat public. Parce que l’intitulé de cette structure administrative2 appose deux notions, l’immigration et l’identité nationale, comme étant

antinomiques, une pétition, diffusée dans le journal Libération le 22 juin 20073 signée par des

centaines de chercheurs et de personnalités publiques4, a demandé au nouveau président de la

République de modifier son titre, car il inscrit « l’immigration comme "problème" pour la France et les Français dans leur "être" même ». Pour les signataires de cette pétition, l’identité nationale ne s’oppose pas aux minorités ethnoraciales parce qu’elle est le produit des vagues successives d’immigration et des différents groupes ethnoraciaux du territoire. Pour eux, cette identité est « une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère ». Le 4 décembre 2009, en réponse au durcissement de la politique d’immigration et à certains propos tenus par des membres du gouvernement sur les minorités ethnoraciales,

1

Voir L

E MONDE.FR (26/10/2009) : « L'identité nationale, thème récurrent de Nicolas Sarkozy » in Lemonde.fr [en

ligne]. Consultée le 05/03/2012. <URL : http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/10/26/l-identite-nationale-theme-recurrent-de-nicolas-sarkozy_1259095_823448.html>

2 Ce ministère, supprimé en novembre 2010, s’intitulait « ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de

l’Identité nationale et du Développement solidaire ». Il était communément appelé « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ».

3

Cette pétition (qui se trouve en annexe) s’intitule : « Nous protestons contre la dénomination et les pouvoirs

dévolus à ce ministère ».

4

Elle a été signée par un grand nombre de chercheurs comme Stéphane Beaud, Irène Bellier, Edward Berenson,

(14)

une autre pétition a été publiée dans Libération pour réclamer la suppression de ce ministère5.

Les signataires ont dénoncé la division et la séparation de plus en plus fortes, à l’intérieur du discours public et des pratiques administratives, entre des individus qui seraient de « vrais » français et ceux issus des minorités ethnoraciales6. Dans le discours politique, les immigrés et les

personnes issues de l’immigration ont été construits comme étant séparés, distincts et dissemblables de français « véritables » qui partagent une même identité. Régulièrement, les membres du gouvernement ont « dérapé » et tenu des discours fortement stigmatisants à l’égard des minorités ethnoraciales. Brice Hortefeux7 a, par exemple, été condamné en juin 2010 à verser

750 euros d'amende et 2.000 euros de dommages et intérêts pour injure à caractère racial suite à un échange filmé entre militants lors de l’université d’été de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) de 2009. Ce ministre a dit d’un militant, présenté comme le « petit arabe » de l’UMP, que « quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes ». Nadine Morano8,

quant à elle, a déclaré début 2010, lors d’un débat organisé sur l’identité nationale, qu’elle souhaitait du « jeune musulman, quand il est français » qu’il « ne parle pas le verlan, qu'il ne mette pas sa casquette à l'envers ». Claude Guéant9, lui, a dit en février 2012, dans le cadre d’une réunion avec

l’organisation étudiante de droite UNI (Union nationale inter-universitaire), que « [c]ontrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, […] toutes les civilisations ne se valent pas ». Par l’antinomie identité nationale/immigration, en marquant une catégorie de population comme n’étant pas « vraiment » française en raison de son origine, en indiquant que les immigrés et les personnes issues de l’immigration ne sont pas solubles dans la Nation, le gouvernement a tacitement ethnoracialisé les membres de la communauté française.

Le débat sur l’identité nationale est entré en contradiction avec la définition même de la Nation française qui, au nom de l’universel républicain, refuse de reconnaître les groupes sociaux minoritaires en son sein. Pour garantir l’égalité entre tous les citoyens, le régime républicain est « colorblind » (aveugle à la couleur). Il refuse de voir la « race » des individus.

5 Cette pétition, intitulée « Nous exigeons la suppression du ministère de l’Identité nationale et de

l’Immigration », a été portée par une vingtaine de chercheurs comme Michel Agier, Etienne Balibar, Luc Boltanski, Tzvetan Todorov ou encore Laurent Mucchielli. Elle se trouve en annexe.

6 Pour les signataires de cette pétition, « réfugiés et migrants, notamment originaires de Méditerranée et d'Afrique, et

leurs descendants, sont séparés d'un "nous" national pas seulement imaginaire puisque ses frontières se redessinent sur les plans matériel, administratif et idéologique ».

7 Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux a été ministre de l’Immigration et de l’Identité

nationale de mai 2007 à janvier 2009, puis ministre du Travail de janvier à juin 2009 et ministre de l’Intérieur de juin 2009 à février 2011.

8

Nadine Morano a été secrétaire d’État chargée de la Famille de mars 2008 à novembre 2010, puis, jusqu’en mai

2012, ministre chargée de l’Apprentissage.

(15)

La notion de « race » est utilisée, ici, dans son sens anglo-saxon10. Pour nous, la « race »

n’a pas d’existence biologique, mais une existence sociale. Il s’agit d’un attribut identitaire catégoriel (comme le genre, l’âge ou encore la classe sociale), construit socialement, qui est signifiant dans le monde social. Par exemple, les minorités11 ethnoraciales vont faire l’objet de

discriminations ou vont avoir un accès restreint et contraint aux sphères de pouvoir. Les rapports sociaux de « race » sont, en effet, asymétriques.

Les minorités ethnoraciales sont généralement marquées12 par leur « race » lorsqu’elles sont

désignées (« les personnes issues de l’immigration », « un homme d’origine algérienne », etc.). À l’inverse, la « race » des individus socialement identifiés comme « blancs » n’est pas signifiée par le langage en Occident. Les « blancs » sont considérés comme n’étant pas racisés. Pour Richard Dyer (1997), la couleur blanche est omniprésente dans les pays occidentaux, par conséquent, elle n’est pas visible. Les « blancs » n’ont pas conscience d’être racisés. Or, chaque individu possède un attribut ethnoracial, même si pour certains, il ne se voit pas car il est perçu comme neutre. Il est donc nécessaire de prendre en compte la blanchité (whiteness) pour étudier les rapports sociaux de « race », notion qui renvoie à l’apparente neutralité des « blancs » vis-à-vis de l’attribut ethnoracial et aux « avantages systémiques » (Cervulle, 2011a : 239 ; 2011b) des personnes socialement identifiées comme « blanches » vis-à-vis des « non-blancs » du point de vue de l’accès à la reconnaissance, aux sphères de pouvoir (dont la sphère publique) et à la redistribution économique. Nous utilisons beaucoup les termes « non-blancs » et « blancs » dans cette recherche. Ces deux catégories font référence, respectivement, aux individus marqués par leur « race »13 et à ceux dont l’attribut ethnoracial est considéré comme neutre et générique. Ces

catégories, socialement construites, sont mouvantes et fluides. Le classement d’un individu dans l’une ou l’autre de ces catégories dépend du contexte entourant le processus d’identification et des individus qui effectuent ce processus (Ahmed, 2004).

Dans le discours public, des groupes sociaux ont été désignés, marqués et différenciés par leur « race », même si cette dernière n’a pas forcément été nommée comme telle au sein d’une Nation qui se définit comme une et indivisible par rapport à l’attribut ethnoracial. Pour répondre à la rhétorique républicaine, les groupes « non-blancs » sont généralement ethnoracialisés par l’usage d’euphémismes. Les discours politiques et médiatiques font souvent référence à

10 Sur le concept et notre usage de la notion de « race », nous renvoyons le lecteur à la deuxième partie du chapitre

2.

11

Le terme « minorités » n’est pas utilisé pour faire référence à un nombre d’individus, mais aux groupes sociaux

qui souffrent de rapports de pouvoir en raison d’un ou de plusieurs attributs catégoriels. Le groupe social des femmes, par exemple, représente numériquement la moitié de l’humanité alors qu’il est dominé par celui des hommes.

12

Sur la problématique du marquage social, voir l’article de Wayne Brekhus (2001).

(16)

l’appartenance à la « banlieue », par exemple, pour marquer la « race » des individus. Lorsque Nicolas Sarkozy propose une définition de l’identité nationale dans sa campagne en 2007, il met en avant des « valeurs » (et non pas la « race ») pour différencier les groupes minoritaires ethnoracialisés des « vrais français » :

« La France n’est pas une race, la France n’est pas une ethnie, la France est une communauté de valeurs, c’est un idéal, c’est une idée. […] La France doit accueillir de nouveaux Français, des Français venus de plus loin. Nous les accueillerons avec leur propre identité, mais eux, ceux qui nous rejoignent, doivent accepter l’idée que la France vient de bien loin, qu’elle a commencé avant eux, et que la France est porteuse de valeurs qu’ils doivent eux-mêmes respecter. » Extrait du clip officiel de campagne de Nicolas Sarkozy (2007).

Mais quelles sont ces « valeurs » ? Qu’est-ce qui compose l’identité nationale française ? La francité se mesure-t-elle uniquement par l’attachement à des « valeurs » et au partage d’une « idée » de la France ? Comment s’articulent les rapports sociaux de « race » au sein de cette identité ?

À la fin de l’année 2009, un « grand débat » sur le thème de l’identité nationale a été commandé par le ministre qui a succédé à Hortefeux, Éric Besson, pour tenter de définir la francité. Des réunions ont été organisées, du 2 janvier au 28 février 2010, dans tous les départements et sous-préfectures du territoire pour débattre de ce que signifie « être français aujourd’hui » ou encore sur l’ « apport de l’immigration à l’identité nationale »14. Le rapport de synthèse de ce « grand débat »

était attendu le 4 février 2010, mais il n’a jamais été publié15. Dès lors, nous ne connaissons ni les

conclusions ni la « définition » de l’identité nationale portées par le gouvernement et établies à l’issue de ce débat.

Ce n’est pas la première fois que la « place » des minorités ethnoraciales au sein de la société française est discutée dans la sphère publique. Elle a fait l’objet d’autres débats publics tout au long des années 2000 (comme le débat sur la diversité en 2005, sur le port du voile à l’école en 2003 et 2004 puis sur le port du voile intégral en 2009 et 2010). Les émeutes dans les banlieues à l’automne 2005 ont aussi amené de nombreux acteurs sociaux à discuter et à échanger, sur les plateaux de télévision, à propos des discriminations subies par les « jeunes des banlieues » et de leurs « difficultés d’intégration ». Les individus français appartenant aux minorités ethnoraciales sont régulièrement désignés par rapport à leur origine culturelle autre

14 LE FIGARO (27/10/2009) : « Identité nationale : le débat est ouvert » in Lefigaro.fr [en ligne]. Consultée le

05/03/2012. <URL : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/10/27/01016-20091027ARTFIG00017-identite-nationale-le-debat-est-ouvert-.php >

15 Ce rapport de synthèse n’est ni disponible à la Documentation française ni au service documentation du

ministère de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration. Nous ne connaissons pas les raisons de cette non-publication, mais nous pouvons émettre l’hypothèse qu’une controverse pouvait naître dans l’espace public suite à la diffusion de ce rapport (et le gouvernement a peut-être voulu empêcher la naissance d’un tel débat public).

(17)

que française dans les médias. Nous nous trouvons face à un paradoxe : ces individus sont marqués, dans l’espace public, par leur « race », tandis que la Nation refuse de la voir pour garantir l’égalité entre tous les individus.

Comment, alors, s’articulent la francité et les rapports sociaux de « race » ? Est-ce que les minorités ethnoraciales sont incluses (ou peuvent l’être) dans le « Nous » de la communauté nationale ? Et plus généralement, qu’est-ce qui constitue l’identité collective de la Nation française ?

En partant de ce questionnement issu du débat sur l’identité nationale, et porté par la sphère politique, nous avons consacré ce travail de recherche à étudier la représentation médiatique de l’identité collective de la communauté française. Pour ce faire, nous avons interrogé les rapports sociaux de « race », tels qu’ils sont construits dans les médias d’information généraliste. Nous avons cherché à définir l’identité du « citoyen modèle » de la Nation française (ou du « Sujet de la Nation »), mise en scène dans l’espace public médiatique, en prenant particulièrement en compte l’attribut catégoriel ethnoracial.

Pour cela, nous avons interrogé la « place » des minorités ethnoraciales et de la blanchité dans la sphère publique. Nous nous sommes demandée si les « non-blancs » pouvaient participer à des débats publics pour y porter un discours et, si oui, dans quelle mesure l’attribut ethnoracial pouvait représenter une contrainte dans l’accès à la parole publique. Plus généralement, nous nous sommes questionnée sur le rôle des attributs catégoriels (genre, « race », classe sociale, etc.) dans les processus communicationnels : entrent-ils en compte dans les processus de (dé)légitimation des discours ? Tous les sujets, peu importe leur « race », leur genre ou encore leur orientation sexuelle, peuvent-ils accéder à l’espace public médiatique, être crédités d’estime sociale et porter un discours face à toute la communauté nationale ?

Par rapport à la problématique du rôle des attributs catégoriels dans les processus de médiatisation (et plus généralement communicationnels), nous avons surtout interrogé l’attribut ethnoracial. Le questionnement qui a nourri cette recherche peut se résumer par les questions suivantes : En quoi l’identité collective de la Nation française est constituée par un implicite « blanc » ? Comment la blanchité se manifeste-t-elle dans la sphère publique médiatique ? Et comment l’identité nationale (implicitement blanche) régule-t-elle l’accès à l’espace public des minorités ethnoraciales ?

(18)

L e c h o i x d ’ u n o b j e t d ’ é t u d e : l e s m o u v e m e n t s s o c i a u x

e t h n o r a c i a u x

Pour répondre à ces questions et analyser la « place » occupée par les minorités ethnoraciales dans les médias, nous avons souhaité interroger l’accès à l’espace public médiatique des mouvements sociaux formulant des revendications pour un groupe social « non-blanc ». Parce qu’il défend une cause, un mouvement social cherche à se faire entendre auprès de l’opinion publique et de la sphère politique, et ce pour les mobiliser. Les collectifs protestataires mènent donc un combat pour être entendus par le plus grand nombre et atteindre la visibilité sociale. Dès lors, ils luttent pour pouvoir porter un discours dans les médias d’information généraliste, ces derniers matérialisant une sphère publique unifiée et « nationale » (Fraser, 2001).

Nous avons choisi d’étudier l’accès à l’espace public de deux mouvements sociaux qui se définissent comme représentant les minorités ethnoraciales, nés dans les années 2000 (proches temporellement du débat sur l’identité nationale), qui ont lutté pour la visibilité et dont la médiatisation a été complètement différente : Ni putes ni soumises (NPNS) et le Mouvement des Indigènes de la République (MIR).

Nous nous sommes limitée à l’étude de la couverture médiatique de deux mouvements sociaux car nous souhaitons adopter une perspective comparative. Nous n’avons pas inclus dans notre corpus les mouvements antiracistes (souvent portés par des « non-blancs ») nés dans les années 1980 et 1990, tels que SOS Racisme ou le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB), ni les mouvements encore plus anciens comme le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) ou la Licra (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme) car leur naissance est bien antérieure à la période analysée. Nous avons tout de même effectué une brève étude de la médiatisation de la « Marche pour l’égalité et contre le racisme » de 1983, mais uniquement dans le but d’étudier plus finement la couverture médiatique du MIR. Nous n’avons pas non plus inclus le Cran (Conseil représentatif des associations noires de France) à notre corpus, même s’il a été créé en 2005 et qu’il porte des revendications pour les « noirs » qui vivent en France. Le Cran est une fédération d’associations (elle en regroupe une soixantaine), et non pas un mouvement social composé uniquement de « simples individus », lesquels se sont mobilisés collectivement autour d’une cause. De surcroît, car il s’est constitué dans les sous-sols de l’Assemblée nationale et est composé de personnalités publiques telles que l’ex porte-parole des Verts Stéphane Procrain, l’ancien footballer Basile Boli ou encore l’ancien président de SOS Racisme, Fodé Sylla, le Cran disposait de plus de ressources vis-à-vis des sphères médiatique et politique que NPNS et le MIR.

(19)

Notre choix s’est donc porté sur NPNS et le MIR. En effet, ils ont utilisé sensiblement les mêmes modes d’action collective, ils ont tous les deux fait l’objet de discours dans la sphère publique, mais leur couverture médiatique a été complètement différente : NPNS a accédé à l’espace public, ce qui n’a pas été le cas pour le MIR.

Pour mener à bien cette recherche, nous nous sommes intéressée à ces deux groupes protestataires. Cette thèse n’est pas une étude portant sur ces mouvements per se, mais une étude portant sur leur médiatisation. Nous avons étudié la couverture médiatique de NPNS et du MIR au sein de la presse quotidienne nationale dite « de référence » (le Figaro, le Monde et Libération) et des journaux télévisés (JT) de TF1, France 2 et France 3, de la naissance de chaque groupe protestataire (janvier 2002 pour NPNS et janvier 2005 pour le MIR) au 31 décembre 2010.

N i p u t e s n i s o u m i s e s

NPNS est un mouvement social né en janvier 2002 pour dénoncer les violences de genre que subissent les femmes issues des minorités ethnoraciales appartenant aux classes populaires. Ce collectif a été fortement médiatisé en mars 2003 : il a accédé à l’espace public et sa cause a été prise en charge par le gouvernement.

NPNS a pris forme au sein de la Fédération nationale des maisons des potes16 (FNMP).

En 2001, Fadela Amara (présidente de la FNMP à l’époque et présidente de NPNS d’avril 2003 à novembre 2007) et une partie de son équipe ont mis en place une « Commission nationale des femmes des quartiers » afin de dresser l’état des lieux des conditions de vie des femmes issues des minorités ethnoraciales appartenant aux classes populaires (et plus minoritairement celles des femmes « blanches » issues de cette même classe sociale). Cette action a pris la forme d’un Tour de France d’une durée d’un an, période durant laquelle Ingrid Renaudin, salariée de la FNMP, a recueilli la parole des habitantes de plusieurs banlieues françaises. Ces témoignages ont ensuite été restitués dans le « Livre blanc des femmes des quartiers » qui fut présenté, par la FNMP, comme un « diagnostic de la réalité dans laquelle vivent ces femmes »17. Suite aux conclusions

du Livre blanc, en janvier 2002, la FNMP a organisé sa première action collective à l’université de la Sorbonne à Paris : « Les États généraux des femmes des quartiers ». Dans le cadre de cette

16

La Fédération nationale des Maisons des Potes (FNMP) est une fédération proche de SOS Racisme qui a pour

ambition de répondre aux problèmes rencontrés par les habitants des banlieues populaires (les discriminations ethnoraciales, les difficultés d’accès à la culture…). Cette Fédération se définit comme « un réseau d’associations qui œuvrent, dans toute la France, au cœur des quartiers et des villes, au renforcement du lien social », La Fédération nationale des maisons des potes : « Qui sommes-nous ? » in La Fédération nationale des maisons des

potes [en ligne]. Consultée le 05/03/2007. <URL : http://www.maisondespotes.net/qui_sommes_ns2.php>

17 Ni putes ni soumises : « présentation et historique : 2001 » in Ni putes ni soumises [en ligne]. Consultée le

(20)

action, des débats furent organisés (entre femmes habitant en banlieues uniquement) sur les thèmes suivants : la violence conjugale et les violences subies par les filles dans le cadre de la famille, la sexualité, les « traditions », ainsi que l’accès à l’emploi et au logement. Au sein de ces débats, des adversaires ont été désignés et des solutions au problème formulées. À la fin de ces États généraux, « l’Appel national des femmes des quartiers » intitulé « Ni putes ni soumises ! » est diffusé18. Cet Appel, qui prend la forme d’une pétition, dénonce les violences de genre subies

par les femmes « non-blanches » et/ou pauvres et désigne l’État comme responsable de ce problème de société pour avoir laissé les habitants de banlieues (hommes et femmes) dans la précarité et l’exclusion. Concernant l’entité désignée responsable, pour le mouvement, les hommes sont coupables parce qu’ils ont des comportements sexistes en direction des femmes. Mais l’État est qualifié de premier responsable à cause de son inaction à l’égard des populations vivant dans les quartiers populaires des banlieues. Pour NPNS, cette inaction a conduit à l’augmentation de la précarité et des discriminations vis-à-vis des minorités ethnoraciales et donc au développement des comportements sexistes des hommes19. L’État est ainsi désigné par NPNS

comme adversaire de l’action collective. C’est donc en janvier 2002, lors des États généraux des femmes des quartiers qui voit l’aboutissement de l’Appel des femmes des quartiers, que le mouvement est né.

La dénonciation des violences subies par les femmes issues des minorités ethnoraciales et la désignation de l’État comme responsable ont été réaffirmées dans le « Manifeste des femmes des quartiers : « Ni putes ni soumises, c’est maintenant et de cette manière ! »20, diffusé le 8 mars

2002. Ce manifeste reprend les revendications de l’Appel, mais contient des propositions de mesures à mettre en place par les pouvoirs publics pour répondre aux comportements machistes des hommes et aux discriminations dont sont victimes les habitants des banlieues21. Suite à la

diffusion de l’Appel et du Manifeste, la FNMP organise « La Marche des femmes contre les ghettos et pour l’égalité » du 1er février au 8 mars 2003. Dans ce cadre, les membres de la FNMP

ont organisé des rencontres avec les élus locaux et des débats portant sur la cause de NPNS dans chaque ville visitée (Vitry-sur-Scène, Marseille, Clermont-Ferrand, Lille, etc.). Cette Marche s’est clôturée le 8 mars 2003 à Paris lors de la manifestation annuelle de la Journée internationale des femmes (JIDF) qui a réuni 30.000 manifestants. Dans la matinée, les membres du collectif ont rencontré le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. Des propositions pour répondre au

18 L’Appel national des femmes des quartiers se trouve en annexe.

19

Ce constat est partagé par Nacira Guénif-Souilamas (Guénif-Souilamas, 2006a : 83).

20

Le Manifeste des femmes des quartiers est disponible en annexe.

21

NPNS propose par exemple de « renforcer le dispositif existant et faire appliquer systématiquement la loi contre toutes

les formes de discrimination », « favoriser toute action visant à un meilleur accès à la culture et aux loisirs » ou encore

(21)

problème de société porté par NPNS ont été formulées et des mesures gouvernementales annoncées22. La cause du mouvement a été prise en charge par la sphère politique : la

mobilisation collective a donc été une réussite.

Après le 8 mars 2003 et le passage de sa cause à l’agenda politique, le 14 avril 2003, NPNS se constitue en association loi 1901. Le mouvement continuera donc à porter des revendications et à mener des actions. Au mois de juin 2003, NPNS organise un concert, finalement annulé, dans le but de récolter des fonds. Le 14 juillet, il met en place l’exposition des « Mariannes d’aujourd’hui » dans laquelle quatorze portraits de jeunes femmes issues des minorités ethnoraciales (et membres de NPNS) sont exposés sur le fronton de l’Assemblée nationale. En octobre, le mouvement organise sa première université d’automne dans le but de définir ses prochaines actions. Après le 8 mars 2003, les revendications portées par NPNS seront toujours en lien avec la cause des femmes « non-blanches », mais elles vont se modifier légèrement par rapport au problème de société porté au départ. Elles vont être de plus en plus centrées sur la religion musulmane. À partir du débat public sur le port du voile qui a eu lieu de 2003 à 2005, NPNS a renouvelé ses revendications. Ce débat fait suite à la mise en place en juillet 2003 de la commission Stasi, commission qui a été chargée de mener une réflexion sur la place de la laïcité dans la République et qui a abouti, en mars 2004, au vote d’une loi interdisant le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques.

En décembre 2003, le mouvement s’est mobilisé pour qu’une loi interdisant le port du voile à l’école soit votée. Désormais, NPNS met la défense de la laïcité au cœur de ses actions. Du 1e février au 8 mars 2004, il organise le « Tour de France républicain » et le slogan du

mouvement devient « Laïcité, égalité, mixité ». Depuis 2004, la défense de la laïcité et la lutte contre l’ « intégrisme » (la religion musulmane est directement visée) sont les principales revendications de NPNS (et toujours aujourd’hui).

Le mouvement a ensuite cherché à se faire reconnaître au niveau international. À partir d’octobre 2004 et de la venue de Rania Al-Baz, présentatrice de télévision Saoudienne et femme battue, à son université d’automne, NPNS a élargi ses revendications et dénoncé les mauvais traitements infligés aux femmes qui vivent dans les pays islamiques et musulmans. Cette position a été réaffirmée, lors de la JIDF de 2005, avec la diffusion de l’ « Appel pour un nouveau combat féministe »23, Appel qui dénonce « les intégrismes » qui privent les femmes de leur « liberté » et de

leur « émancipation ». Cet Appel ne concerne plus uniquement les femmes françaises «

22

Le gouvernement a accepté de financer un « Guide du respect » à destination des adolescents et de participer

à l’organisation d’une université d’été des femmes, de mettre à disposition plusieurs hébergements d’urgence pour les femmes en difficultés, de participer au développement de cellules d’accueil dans les commissariats et de lieux d’écoute dans plusieurs villes françaises.

(22)

blanches », mais les femmes « du monde » qui vivent dans un pays islamique ou dans une famille pratiquant la religion musulmane. Lors de l’université d’automne du mouvement de 2005, NPNS réinvite deux personnalités qui symbolisent la cause des femmes des pays musulmans : Taslima Nasreen (Bangladeshi) et Nawal El-Saadaoui (Egyptienne). Toutes deux sont femmes de lettres et féministes militantes de la cause des femmes.

Au niveau national, NPNS édite, en mars 2005, le « Guide du respect » (livre à destination des adolescents portant sur l’égalité entre « filles » et « garçons ») et le 8 mars 2006, il inaugure, en présence de Jacques Chirac, ses nouveaux locaux à Paris (« la Maison de la mixité »). Lors de la JIDF de 2007, le mouvement diffuse l’ « Appel des 343 mamans des cités »24 qui demande au

gouvernement des « moyens » pour que les mères de famille « non-blanches » habitant en banlieues puissent « s’émanciper ».

Le 19 juin 2007, Fadela Amara est nommée secrétaire d’État chargée de la Politique de la ville sous le gouvernement Fillon. Cet événement va engendrer une crise et une scission au sein de NPNS. Après 2003, le mouvement a été régulièrement suspecté d’être trop proche de la sphère politique ; la nomination d’Amara a consolidé cette impression de proximité. En novembre 2007, une partie des membres de NPNS quitte le mouvement pour créer une nouvelle association, « Les Insoumi.s.es ». La nomination d’Amara au gouvernement constitue, symboliquement, la date de fin de NPNS. Le collectif est, depuis, suspecté d’être une organisation gouvernée par l’UMP. Toutefois, l’association existe encore. Une autre présidente a été nommée par intérim, Sihem Habchi, qui est restée à la tête du mouvement jusqu’en novembre 201125. Après juin 2007, les

revendications portées par NPNS concernent toujours les violences de genre dont sont victimes les femmes issues des minorités ethnoraciales, ainsi que la promotion de la laïcité ; le collectif a utilisé le débat public sur le port de la burqa pour en faire une de ses principales revendications. Depuis 2009, NPNS combat le port du voile intégral.

Notre recherche porte, avant tout, sur l’accès à l’espace public des mouvements sociaux représentant les minorités ethnoraciales. En ce qui concerne NPNS, une grande partie de ce travail a été consacrée à la couverture médiatique du mouvement qui se répartit de janvier 2002 à mars 2003, c’est-à-dire de la naissance du collectif au mois où il a atteint la sphère publique.

24 Cet Appel est disponible en annexe.

25

Suite à un mouvement de grève, Habchi a été contrainte de démissionner en novembre 2011. Depuis, Asma

(23)

L e s I n d i g è n e s d e l a R é p u b l i q u e

Le MIR est un collectif protestataire qui s’est créé en janvier 2005 pour dénoncer l’héritage colonial de la société française, héritage qui est responsable, selon le mouvement, des discriminations et des discours stigmatisants dont sont victimes les minorités ethnoraciales. Ce mouvement a été très peu médiatisé et sa cause n’a jamais été prise en charge par la sphère politique.

Le problème de société porté par le MIR a été formulé au sein du collectif Une école pour tou.te.s, groupe protestataire qui s’est constitué en 2003 lors du débat public sur le port du voile à l’école et qui s’est mobilisé contre l’instauration d’une nouvelle loi au nom « des principes universels de liberté et d’égalité »26. Certains fondateurs du MIR se sont rencontrés à l’intérieur de

ce collectif. Suite à la médiatisation de deux événements, l’affaire du RER D27 et le débat public

sur le port du hijab à l’école, les initiateurs du MIR ont fait le constat que les discours entourant les minorités ethnoraciales étaient fortement stigmatisants28 et qu’ils conduisaient à un

traitement différentiel des populations « non-blanches » vis-à-vis des « blancs ». Les fondateurs du MIR sont tous issus de ces minorités et ont toujours eu l’impression d’être discriminés par rapport aux français « blancs ». Suite à ces deux événements médiatiques, ils se sont intéressés à l’histoire de la colonisation et notamment aux discours portés sur les indigènes des colonies. À cette occasion, ils ont eu le sentiment que leur condition de citoyen français « non-blanc » faisait écho au statut des indigènes des colonies.

En janvier 2005, le MIR diffuse l’Appel « Nous sommes les indigènes de la république ! »29, Appel qui acte la naissance du MIR et qui dénonce les discriminations « à

l’embauche, au logement, à la santé, à l’école et aux loisirs » subies par les personnes « issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l’immigration postcoloniale ». Pour eux, ces discriminations sont causées par « l’idéologie coloniale » qui perdure dans la société française. Concernant la désignation du responsable, le MIR a indiqué que les responsables des discriminations étaient « l’État », « la société » ou encore « la France ». C’est donc la Nation française – à la fois unité politique

26 C

OLLECTIF UNE ECOLE POUR TOU.TE.S : « Charte des collectifs Une école pour tou.te.s / Contre les lois

d’exclusion » in Collectif les mots sont importants [en ligne], 2004. Consultée le 26/03/2009 <URL : http://lmsi.net/spip.php?article268 >

27

Le 10 juillet 2004, une dépêche AFP annonce qu’une jeune femme juive a été agressée par « des jeunes d’origine

maghrébine » dans le RER D. Les agresseurs auraient coupé les cheveux de la victime, dessiné des croix gammées sur son ventre et renversé la poussette dans laquelle se trouvait son bébé. De nombreuses réactions politiques condamnant cette agression « antisémite » perpétrée par des « jeunes issus de l’immigration maghrébine » ont résulté de la diffusion de cette dépêche. Or, le 13 juillet 2004, la « victime » a avoué avoir inventé cette histoire.

28

Voir les entretiens que Jérémy Robine (2006) a effectués auprès des porte-paroles du MIR (notamment ceux

d’Houria Bouteldja et de Youssef Boussoumah).

(24)

(l’État) et communauté des citoyens (Schnapper, 2003 [1994]) – qui, pour le mouvement, est responsable des discriminations. Le mouvement a mis en cause implicitement les membres de la communauté nationale comme participant aux formes collectives de racisme, sans qu’ils ne soient pour autant accusés d’être intentionnellement discriminants.

Suite à la diffusion de l’Appel « Nous sommes les indigènes de la République ! », le mouvement organise la première « Marche des Indigènes » le 8 mai 2005. Depuis 2005, le collectif met en place tous les 8 mai une marche pour commémorer les Massacres de Sétif et de Guelma, massacres qui ont eu lieu le 8 mai 1945 et qui symbolisent le régime répressif et la violence française en Algérie pendant la colonisation30.

Le groupe protestataire organise ensuite, le 25 juin 2005, « l’Agora des Indigènes », afin que les membres et sympathisants échangent sur le futur du mouvement. Suite à cette Agora, le « Mouvement des Indigènes de la République » (MIR) est officiellement né. Le mouvement a précisé à cette occasion quels étaient ses adversaires. Le MIR s’oppose aux individus qui nient l’existence des discriminations systémiques, c’est-à-dire des discriminations non intentionnelles, bien souvent invisibles et produites au sein de la société à un niveau structurel31. Le collectif n’a

pas mis en cause les personnes intentionnellement racistes comme étant responsables des discriminations. Au contraire, le mouvement a fait état d’une responsabilité collective. Pour le MIR,

« la question pour nous n’est pas celle de l’existence d’une minorité raciste. Elle est au contraire celle de l’existence d’une discrimination systémique inscrite dans les organisations, les procédures d’embauche, l’organisation des concours, les mécanismes d’orientations, les implicites des attributions de logements. Il s’agit d’une question structurelle et non du dérapage de tel ou telle fonctionnaire raciste »32.

Le MIR est un mouvement qui se mobilise pour que les problématiques liées à la « race » fassent l’objet de débats publics, pour que les rapports sociaux asymétriques entre « blancs » et «

30

Les massacres de Sétif et de Guelma ont fait plusieurs milliers de victimes algériennes et ont été perpétrés par

la police française le 8 mai 1945 lors de la célébration de la fin de la Seconde Guerre mondiale en territoire colonisé. À Sétif et Guelma, après le brandissement du drapeau algérien par un colonisé, la police française a tiré à de nombreuses reprises sur la foule algérienne qui fêtait la fin de la guerre. Sur ces massacres, se référer, entre autres, à Bénot (2003 : 693-694).

31

A la suite de l’Agora des Indigènes, le mouvement a annoncé s’opposer « à celles et ceux qui nient l’existence des

discriminations en raison de l’origine, à celles et ceux qui les reconnaissent mais les considèrent comme secondaires, à celles et ceux qui les reconnaissent mais adoptent une posture de l’impuissance (on n’y peut rien, il faut attendre l’effet du temps), à celles et ceux qui refusent de reconnaître que la France reste une puissance coloniale dans ses rapports au reste du monde, et qu’elle reste caractérisée à l’intérieur par une situation postcoloniale, à celles et ceux qui ne défendent la « discrimination positive » que pour ne pas s’attaquer aux structures sociales elles-mêmes, à celles et ceux qui se contentent de dénoncer les symptômes sans interroger les causes. » MOUVEMENT DES INDIGENES DE LA REPUBLIQUE (2006) : « Qui

sommes-nous ? » in Mouvement des Indigènes de la République [en ligne]. Consultée le 26/03/2012. <URL : http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_article=59 >

(25)

blancs » soient combattus et pour que les minorités ethnoraciales aient le droit de porter un discours et une parole qui puissent être entendus et pris en compte. L’objectif du MIR est d’abolir les rapports de pouvoir ethnoraciaux à l’échelle nationale et internationale. Ainsi, le site internet du MIR constitue une véritable arène où les membres et les sympathisants du collectif ont la possibilité de publier des tribunes ainsi que de se positionner sur différents problèmes publics et faits d’actualité qui concernent de près, ou de loin, les « non-blancs ». Le MIR est un collectif qui veut participer, avant tout, au débat public33 pour y représenter la parole des

minorités ethnoraciales. Le MIR est un .mouvement qui prend position, qui argumente, et qui

propose des analyses en tant que « non-blancs » autour du thème des rapports sociaux de « race » et sur les inégalités dont sont victimes les « non-blancs ». En ce sens, le mouvement met en cause la blanchité de la Nation (les privilèges ou avantages des « blancs » vis-à-vis des « non-blancs ») ainsi que la participation des membres (« blancs ») de la communauté nationale dans les formes structurelles de racisme.

Le MIR n’est plus un mouvement depuis février 2010. Il s’est transformé en parti politique, le « Parti des Indigènes de la République » (PIR), pour, selon eux, accroître la visibilité et le pouvoir des « non-blancs » au sein de la sphère politique. Les membres du MIR34 ont en

effet jugé que le statut associatif manquait d’efficacité par rapport à leur mobilisation35. Toutefois,

ce parti dispose de peu de visibilité dans le champ politique et ne compte pas d’élus. Le MIR reste, avant tout, une arène de débats.

É t u d i e r l e s s y s t è m e s d e r e p r é s e n t a t i o n s d e l a

f r a n c i t é e t d e l a b l a n c h i t é

Nous avons étudié le Mouvement des Indigènes de la République et Ni putes ni soumises uniquement sous l’angle de leur médiatisation. Cette recherche n’a pas été menée en sociologie

33

De nombreux débats ont aussi lieu à l’interne. Ces débats portent sur les rapports sociaux ethnoraciaux et sur

les revendications à porter à l’intérieur du collectif. Le mouvement connaît régulièrement des divisions et des départs suite à ces discussions. Des membres fondateurs ont, par exemple, quitté le mouvement lorsque celui-ci s’est transformé en parti en 2010.

34 Par souci de clarté, sauf exception, nous ferons toujours mention du mouvement par l’acronyme « MIR », même

après que le collectif soit devenu le « PIR » en 2010.

35

Pour le MIR devenu le PIR : « Pour nécessaire qu’elle soit, l’initiative associative indigène est cependant impuissante

à converger spontanément, à développer une politique unifiée et indépendante et à agir à l’échelle nationale pour engager les institutions de l’État dans une politique décoloniale » et « La réalisation de ces objectifs [du MIR] impose la constitution d’une Direction politique indigène à l’échelle nationale, capable d’élaborer et de proposer un programme et une stratégie, de représenter les indigènes dans le champ politique et l’ensemble de ses institutions. » PARTI DES INDIGENES DE LA

REPUBLIQUE (2010) : « Principes politiques généraux du Parti des Indigènes de la République » in Mouvement des

Indigènes de la République [en ligne]. Consultée le 26/03/2012. <URL :

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des mouvements sociaux. Elle ne porte ni sur le parcours militant des membres de NPNS et du MIR ni sur l’organisation interne des deux collectifs. Ce travail n’a pas non plus été mené en sociologie des médias. Il n’a pas eu pour ambition d’étudier l’influence de l’organisation interne des rédactions dans la médiatisation du MIR et de NPNS, ni d’analyser les pratiques des journalistes et leurs représentations sociales. La réception par les publics de la couverture médiatique des deux collectifs n’a pas non plus fait l’objet d’une analyse. Nous n’avons pas étudié les débats entourant NPNS et le MIR dans des arènes et espaces publics plus restreints comme internet, des réunions publiques ou la sphère universitaire. Tous ces objets de recherche et questionnements mériteraient un travail singulier et approfondi.

Notre ambition dans ce travail a été modeste. Cette recherche porte uniquement sur la construction du Sujet de la Nation française au sein de la médiatisation de NPNS et du MIR dans le Figaro, le Monde, Libération et dans les JT de TF1, France 2 et France 3. Comme nous avons voulu analyser les systèmes de représentations de l’identité collective nationale et de la « race » dans les médias, nous avons travaillé avant tout à partir d’un corpus médiatique, même si des entretiens semi-directifs ont été menés avec des journalistes et des membres des deux mouvements pour éclairer les processus de publicisation. Malgré l’objet et le terrain de recherche choisi, nous nous préservons de tout médiacentrisme. Nous sommes consciente que ces deux collectifs protestataires ont une existence hors du champ médiatique, que ce soit dans d’autres arènes publiques ou encore dans la réception et l’interprétation des publics. Cette recherche porte plus sur les médias d’information généraliste et les processus de publicisation de NPNS et du MIR que sur ces mouvements eux-mêmes. L’étude de la couverture médiatique de ces collectifs a permis d’analyser le lien entre francité et blanchité dans l’espace public.

La première partie de ce travail vise à interroger le lien entre l’accès à l’espace public et l’identité collective de la Nation ainsi que les contraintes, de « sens » notamment, qui pèsent sur les mouvements sociaux représentant les minorités ethnoraciales dans leur lutte pour la visibilité. Ces contraintes sont déterminées par de nombreux facteurs. Lorsque les collectifs protestataires atteignent les médias, ils ne sont pas rendus visibles dans n’importe quel type de discours. Ils sont médiatisés au sein du discours d’information qui est doté d’un contrat de communication spécifique. Ce discours a notamment deux objectifs : il doit à la fois informer et séduire les publics. Un choix est effectué par les journalistes sur ce qui va faire, ou non, l’objet d’une couverture médiatique. De nombreux mouvements sociaux restent dans l’ombre des médias à cause de cette sélection. L’accès à la sphère publique des collectifs protestataires est intrinsèquement lié aux normes de reconnaissance sociale d’une société qui est, par définition, ethnoracialisée. En effet, la blanchité est, en France, une norme implicite et « hyper(in)visible » (Cervulle, 2011a : 72-81). Les individus et les groupes sociaux ne sont pas tous crédités d’estime

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sociale (Honneth, 2004, 2007a, 2007b). Cet acte de reconnaissance dépend fortement de l’imbrication de leurs attributs catégoriels, et donc de leur « race ». Nous verrons que le Sujet de la Nation est produit implicitement dans le discours médiatique par la circulation de ces normes de reconnaissance. Seuls les groupes protestataires qui répondent à la définition de ce Sujet peuvent accéder à l’espace public. L’identité collective promue par les mouvements sociaux est donc stratégique au niveau de leur processus de publicisation. Elle doit répondre à celle de la Nation en correspondant aux normes identitaires et comportementales de la société française. Lorsqu’un collectif protestataire est reconnu comme digne de valeur, il fait l’objet d’une forte couverture médiatique et l’identité de ses membres mise en scène dans le discours d’information est positive et valorisante. Le dernier chapitre de cette première partie a donc été consacré à la méthodologie quantitative et qualitative employée dans cette recherche pour étudier 1) le processus d’événementialisation de NPNS et du MIR qui a servi à mesurer la médiatisation de chacun des collectifs et 2) les identités socio-discursives des membres de chaque mouvement, celles de leurs alliés et de leurs adversaires, telles qu’elle ont été mises en scène dans les médias. La deuxième partie de ce travail porte plus spécifiquement sur la reconnaissance médiatique et sociale dont a fait l’objet NPNS. Ce mouvement a incarné, dans la première partie de son existence, un « bon sujet » de la Nation. Il a été reconnu comme digne de valeur car il a promu une identité qui répond aux normes de genre de la société française. Le mouvement a accédé à l’espace public et sa cause a été prise en charge par le gouvernement en mars 2003. À l’inverse, le MIR, lui, n’a pas fait l’objet de reconnaissance car il a promu une identité différentialiste. Il a été très peu médiatisé. La reconnaissance médiatique et sociale de NPNS s’est aussi incarnée dans le processus d’authentification dont a fait l’objet la cause du mouvement dans la sphère médiatique. Les genres et les rubriques utilisés pour rendre compte de NPNS ont fortement contribué à l’authentification des violences de genre dans les banlieues comme étant un problème « réel ». La cause du MIR, elle, n’a pas été construite dans les médias comme ayant une existence sociale. Elle a été, au contraire, discutée. Les membres de NPNS ont été extrêmement valorisés dans l’espace public. Ils ont représenté le groupe social des adolescentes et jeunes femmes « non-blanches » qui vivent en France, groupe qui a été catégorisé dans le stéréotype de la « jeune fille des banlieues ». Celui-ci a été mis en scène comme étant soumis au sexisme pathologique du « jeune garçon des banlieues », ainsi qu’à ses parents qui l’obligent à suivre des traditions « archaïques » issues de la religion musulmane. Mais comme la « jeune fille des banlieues » se bat avec NPNS pour vivre selon les codes de la féminité occidentale, elle a été reconnue, ainsi que le mouvement lui-même, comme digne de valeur.

La troisième partie de ce travail sera consacrée aux « mauvais sujets » de la Nation française qui ont été construits au sein de la médiatisation de NPNS et du MIR. Dans la

Figure

Figure 2 – Schéma synthétique de la couverture médiatique du MIR de 2005 à 2010
Graphique 1 - Nombre de sujets de JT diffusés par an où chaque mouvement est le  référent (toutes chaînes de télévision et JT confondus)
Graphique 2 - Nombre d'articles de presse publiés par an où chaque mouvement est le  référent (tous journaux confondus)
Graphique 5 – Nombre et pourcentage des articles de presse parus et des sujets de JT  diffusés où NPNS est le référent pour chaque journal et chaîne de télévision
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