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La "gloire" dans le théâtre de Corneille.

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(1)

M.A.

French Dept.

July 1969

La gloire est un des concepts fondamentaux de la littérature héro!que au XVIIe siècle et de la société qu'elle reflète. Elle est partout présente dans le thé-âtre de Corneille. Après une brève introduction oÙ nous

situons ce concept dans le courant de pensée du XVIIe siècle, nous examinons la forme et l'évolution de cette "gloire", c'esW-dire la conception qu'on a de soi, le soin qu'on a de sa réputation et de son rang, dans cinq pièces de Corneille: La Place Royale, au début de sa car-rière, Horace et Polyeucte

à

son apogée, et enfin à son déclin, Attila et Suréna:.

Dans La Place Royale, comédie, nous trouvons une recherche puérile d'une gloire essentiellement fausse, vouée donc à l'échec. Dans les deux tragédies que nous étudions ensuite se définit une gloire plus authentique: gloire po-litique, le sacrifice de soi au bien de l'Etat (Horace), gloire religieuse se situant par delà les considérations

(2)

Les deux derni~res tragédies illustrent, à des degrés différents, l'échec de cet idéal: dans Attila le héros ne parvient plus à réconcilier son amour et sa gloire; dans Suréga non plus, mais ici c'est la société corrompue mais toute-puissante qui sly oppose.

La courbe descen~te de 116volution de la gloire montre le pessimisme croissant de Corneille, et de son siècle.

(3)

A Thes1. Presented to

the Faculty'

ot

Graduate Studies and Rese&rch McGlll Universit,y

In Partial FultilJaent

ot

the Requirements tor the Degree

ot

Master

ot

Arts

BY

Mar,y Ruth Martel1

Jul3,

1969

(4)

A Thesi. Presented to

the Facul ty or Gradua te Studies and Research McGlll Universit,y

In Partial Fultil.1lent

ot

the Reqairements tor the Degre.

ot

Mast8r

ot

Arts

BY

M&r,y Ruth Martell

J~, 1969

,

..

(5)

c'est encore les agréments de l' esprit et des mani~es et, par-dessus tout, le courage. ft

Jean Orieux,

Bussy-Rabutin, le libertin galant hOmme, p. 252.

(6)

INTRODUCTION • • • • • • • • • • • • • • CHAPITRE l - La Plaoe Royale • • • • •

CHAPITRE II - Horaoe • • • • • • • • CHAPITRE III - Polyeucte • • • • • •

• • • • • • • • • • • • • • • • • • 1

4

• • • • • • • 13 • • • • • • • 3.3 CHAPITRE IV - Entre Polyeuate et Attila • • • • • • • 47

CHAPITRE

V -

Attila • • • • • • • • • • • • • • • • •

54

CHAPITRE VI - Stn"éna • • • • • • • • • • • • • • • • •

67

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 80 • • • • 83

(7)
(8)

la renommée d'une personne. Elle est le regard d'au-trui posé sur un individu donné e'(; la plus ou moins haute opinion qu'on forme de lui. Elle dépendra donc beaucoup de tout le contexte de l'observateur et de

l'observé - contexte historique, géographique, socio-logique, religieux, pour n'en n01lDDer que quelq,ues aspects.

Chez Corneille, la gloire du héros ne se fonde pas uniquement sur l'opinion des autres mais aussi et surtout sur la conception élevée qu'il a de sa gloire et sur la haute image de lui-même

à

laquelle il veut se conformer et qu'il tient ensuite

à

préserver.

Cette gloire peut 3tre liée

à

la naissance, au nom,

à

la famille du héros. Elle peut être aussi une gloire acquise, due

à

son seul mérite.

Chaque héros a sa notion unique, personnelle de sa gloire, de ce qu'il se doit

à

lui-même. Notion qui n'a rien

à

voir avec la morale puisqu'elle peut mime

(9)

Horace lorsqu'il tue Camille. Notion indépendante du contexte contemporainl ainsi PoJyeucte choisit pour sa gloire le titre méprisable de chrétien. Enfin, du point de vue de la tension dramatique, ou le héros, tel Suréna, est déjà glorieux au commencement de la

pi~ce et voudra se maintenir au sommet qu'il a atteint ou, comme pour Rodrigue, Horace et Po~euate, la pi~ce sera une ascension, une montée vers la gloire.

De même ce IVIlème siècle qui sera le plus grand siècle français, symbolisé par le soleil de Louis XIV. A l'heure du château de Versailles, de l'Académie française, du r~onnement intellectuel de la France, à

l'époque de l'expansion ~gaise, quel th~me aurait pu mieux convenir que la ,loire ?

(10)
(11)

la loi. a

Cv.

1506 - 1509)

L'idéal pour Alidor est d'âtre libre, de se suffire l

lui-m3me et de vivre pour lui-m3me ~ sa guise. Sa gloi-re est strictement personnelle. Elle consiste

a

ess~er d'atteindre un degré toujours plus grand d'indép9ndance. D'autres héros cornéliens, au oontraire, auront besoin d'un milieu, d'une société qu'ils domineront, qu'ils transcenderont pour acoomplir leur destin glorieux. Horace sera glorifié par ses exploits guerriers et son

pa. triotisme eml té jusqu' ~ l'immolation de Bion r!'opre

ami, Polyeucte contre sa femme, contre son beau-père et toute la société romaine choisira les palmes du mart,yre.

Afin d'accéder

A

l'indépendance qu'il désire, Ali-dor doit se séparer d'Angélique car elle l'aime trop, et son amour contrarie la liberté d'Alidor. Il consid~e l'amour comme une perte d'autonomie, un esclavage même. Pour Alidor, l'amour n'est qu'une limite

A

son

(12)

indépen-dance, une prison.

"Je sens de ses regards mes plaisirs se borner; Mes pas d'autre côté n'oseraient se

tourner, Et de tous mes soucis la liberté bannie Me soumet en esclave

a

trop de tyrannie. J'ai honte de souffrir les maux dont je

me plains, Et d'éprouver ses yeux plus forts que

mes desseins. n

(v. 215 - 220)

Ainsi, notre héros craint la perte de sa liberté dans l'amour. Il fuit la dépendance d'autrui, même s'il s'agit de la personne aimée. Alidor croit pouvoir assu-rer sa gloire dans le refus de l'amour. Sa gloire lui donne l'énergie de se retrancher sn lui-même. Sa philo-sophie apparatt COllDlle un sto!sme négatif.

Un sto!f.sme car Alidor a le courage de renoncer

!

Angélique, la personne qu'il aime. Ce faisant, il ra- . nonce aussi

!

toute une partie importante de lui-même: au lieu d'écouter son coeur qui le porte vers Angélique, 11 suit la voix de son esprit qui lui dit que les pl8sions sont faites pour être dominées et que la liberté est pré-férable aux ohatnes de l'amour et du mariage.

(13)

Sto!cisme négatif: Alidor aurait pu ess~er,

A

force de volonté, de concilier son amour et sa liberté et y -trouver sa gloire. Cependant, il fuit la si tua-tion, refuse le combat entre les deux et rejette son amour compl~tement pour préserver son indépendance.

"Amour, que ton pouvoir t!che en vain de ~aitre. Fuis, petit in~olent, je veux être le

maltre; Il ne sera pe.a dit qu'un homme tel que

moi,

En dépit qu'il en ait, obéisse

A

ta loi. "

Cv.

941 - 944)

Alidor pense assurer sa liberté en se débarras-sant d'Angélique et en la donnant

l

son ami Cléandrez

"Mon coeur, las de porter un joug ai

tyrannique, Ne sera plus qu'une heure esclave

d'Angélique. Je vais faire un ami possesseur de mon

bien: Aussi dans son bonheur je rencontre le

mien. C'est moins pour l'obliger que pour me

satisfaire, Moins pour le lui donner qu'afin de m'en

défaire. "

Cv.

893 - 898)

La question essentielle de La Place Royale est celle de l'échelle des valeurs d'Alidor. L'indépendance, telle que la conçoit le héros, mérite-t-elle de lui tenir

(14)

lieu de gloire, est-elle digne des sacrifices qu'il lui consent? Sacrifice personnel de son affectivité, comme nous l'avons déj! vu, mais aussi de son honnêteté.

En

effet, Alidor ira jusqu'au mensonge et A la perfidie. Pour détacher de lui Angélique, il lui fait porter par Polymas son serviteur, une lettre d'amour soi-disant destinée

à

Clarine. Dans catte lettre, plutôt que de louer les charmes de Clarine, il dénigre Angélique de la

façon la plus odieuse.

"Angélique n'a point de charmes Pour me défendre de vos. coups; Ce n'est qu'une idole mouvante;

Ses yeux sont sans vigueur, sa bouche sans appas:

Alors que je l'aimais, je ne la connus pas; Et, de quelques attraits que le monde vous

vante, Vous devez mes affections

Autant

à

ses défauts qu'à vos perfections."

(v. 345 - 352)

Alidor a ensuite l'audace de se présenter chez Angélique et de se comporter vis-A-vis d'elle avec la

plus parfaite des grosBi~retés. Angélique ~ant déchiré la lettre devant lui, il lui avance un miroir et d'un ton persifleur lui déclare :

IIPOW~ dire fraJachement votre peu de mérite, Commet-on des forfaite si grands et si

(15)

Qu'on doive tout

A

l'heure être mis en morceaux ? Si ce crime autrement ne sam:-ai t se

remettre, Cassez; ceci vous dit encor pis que ma

lettre. a

Cv.

374 - 378)

Ce qu'il voulait arrive: Angélique lui donne son congé. Cependant, par dépit, elle se fiance

a

Doraste et Alidor doit former un .second plan pour se débarrasser d'elle au profit de Cléandre. Alidor se fait aimer d'An_ gélique

A

nouveau, prétend vouloir l'enlever, mais, en réalité, c'est son ami qu'il envoie comme ravisseur

A

sa place. Tant de mensonge, de vilenie, une telle perte de qualité humaine, n'est-ce pas pour Alidor payer bien cher cette indépendance qu'il poursuit?

Sacrifice personnel mais aussi sacrifice des autres: Angélique autant qulAlidor fera les frais de sa passion dl indépendance.

Nous pouvons maintenant nous demander pourquoi Ali-dor a choisi cette indépendance comme valeur supr3me et comme gloire. Serait-ce un effet de la sagesse? Alidor connatt la vie et se conna1t lui-même.

n

sait ce qulil

(16)

est, il sait qU'il aime Angélique mais que sera-t-il demain et qu' adviendra-t-il alors de son amour ?

"Du temps, qui change tout, les révolutions Ne changent-el1es pas nos résolutions ? Est-ce une humeur égale et ferme qUG la

nStre ? N'a-tlon point d'autres goûts en un âge qu'en

l'autre .1 Juge alors le tourment que c'est d'être

attaché, Et de ne pouvoir rompre un si fâcheux marché.

-Cv •.

231 - 236)

Ainsi donc, Alidor manifeste une certaine compréhension de la nature humaine et une certaine sagesse quand il choisit l'indépendance comme mode de vie et décide de renoacer

A

l'amour. Au lieu de se fier A quelqu'un d'autre et

A

la durabili té de leur amour réciproque pour accéder au bon-heur, il prér~e se retrancher, ne se fier qu'A lui-m&te.

D'autre part, la sagesse ne réside-t-elle point

dans un détachement de plus en plus grand du monde imparfait, limité, passager 1 Les affections humaines sont de ce mon-de et l'homme sage les ma!trlse mon-de toutes ses forces.

Cependant, une telle sagesse, une telle attitude de non-engagement ne nous satisfont point comme explication de la conduite dtAlidor et nous y va,yons bien davantage un

(17)

sérieux manque de maturité. Alidor nous semble incapa-ble d'établir aveo les autres de relation vraie, pro-fonde, humaine. Il n'y a pas qu'Angélique qu'il traite avec le manque de respect le plus absolu, mais aussi son ami Cléandre: il les manipule comme des pantins et tout est bien puisqu'il s'agit de son indépendance et de sa gloire.

De plus, n'est-ce point d'un être faible, de quel-qu'un qui a peur, que de vouloir ainsi, vivant dans le monde, parmi les autres, s'en retrancher et goater les plaisirs orgueilleux et stériles de sa tour d'ivoire?

Voulant dominer ses passions, précisément son amour pour Angélique, Alidor devient esclave d'une autre passion, celle de son indépendance, plus exigeante et certainement moins intéressante et enrichissante ~e la premi~re.

Cette indépendance, Alidor la tiendra d'Angélique elle-même quand,

A

la fin de la pi~e, elle décide d'en-trer au couvent. A oe point-lA, il était pr3t

l

flancher,

(18)

e

"Aussi ma liberté n'a plus rien qui me flatte;

Le grand soin que j'en eus partait d'une âme ingrate, Et mes desseins, d'accord avecque mes désirs, A servir Angélique ont mis tous mes plaisirs. II

(v. 1310 - 1313)

Alidor avoue lui-même que c'est

à

Angélique qu'il doit s'on indépendance et sa gloire :

"Que par cette retraite elle me favorise J Alors que mes desseins cèdent

à

mes amours, Et qu'ils ne sauraient plus défendre ma

franchise,

Sa haine et ses refus viennent

à

leur secours. ft

(v. 1490 - 1493) Ainsi donc Alidor atteint sa gloire mais non par

lui-même et cette gloire nous a paru bien pauvre tant du point de vue personnel que du point de vue social.

Mais nous ne pouvons pas condamner Alidor. On ne s'attend pas qu'un personnage comique égale les exploits dl un héros tragique. Comme le but de cette pi~ce est SUI"-tout d'amuser au lieu de montrer les grands gestes et les grandes émotions, on ne peut pas comparer la conduite d'Alidor avec celle des héros des tragédies cornéliennes. D'Alidor

A

Horace, nous verrons un changement total dans le caractère du personnage et dans l'idée qu'il se fait de la gloire ainsi que dans la façon qu'il choisit pour réaliser cette gloire.

(19)
(20)

sociale. Au lieu de vouloir être indépendant comme Alidor, il recherche l'admiration des autres. Pour mériter cette admiration, il se fait le meilleur et le plus courageux des guerriers romains.

Tout jeune qu'il soit (il n'a que vingt ans

1

peu

pr~s), Horace est déjl un guerrier renommé pour ses exploits. De plus, il a la responsabilité de soutenir l'honneur de sa famille; une famille noble et fi~re d'être romaine. Bien que l'action de cette pièce se passe avant la période de grandeur de Rome, les personnages sont conscients de l'avenir de leur cité. Le vieil Hor~c& dépeint l'Empire Romain ainsi:

Un jour, un jour viendra que par toute la terre Rome se fera craindre ~ l'égal du tonnerre,

Et que, tout l'univers tremblant dessous ses lois, Ce grand nom deviendra l'ambition des roisl

Les dieux

à

notre Enée ont promis cette gloire. (v. 987 - 991)

A cause de sa foi dans l'avenir glorieux de Rome, le vieil Horace met le bien public avant toute considération person-nelle, et il demande ~ ses enfants de faire de même. r,~histoi­ re se place tout au début de l'expansion de Rome comme

(21)

puis-sance mondiale. Les Romains se sont engagés dans une guerre contre Albe, la ville voisine. Horace aide à construire l'Empire; par son épée, Rome va devenir la maîtresse d'Albe, sa premi~re conquête.

En suivant son idée de la gloire -- celle du guerrier renommé pour son courage -- Horace devient le patriote par

excellence. Il met le bien de Rome avant ses désira per-sonnels. Il risque sa vie volontiers pour la patrie. Comme guerrier, il doit tuer l'ennemi ou être tué en protégeant son p~s. Mais Horace ne craint pas cette mort; en fait,il la recherche car il sait que le guerrier trouve la gloire supr3me en mourant pour son pays:

"Quoi ! vous me pleureriez mourant pour mon pays ! Pour un coeur généreux ce trépas a des charmes; La gloire qui le suit ne souffre point de larmes, Et je le recevrais en bénissant mon sort,

Si Rome et tout l'Etat perdaient aoins en ma mort, " (v. 398 - 402)

Ainsi, Horaoe espère atteindre deux buts dans la guerre contre Albe. Il veut, en même temps, bien servir Rome et assurer sa gloire: ou il remportera la victoire pour la patrie, ou il mourra glorieux sur le champs de bataille.

(22)

qui de Rome ou d'Albe remporte la victoire. Horace et ses deux frères sont élus entre tous les guerriers pour repré-senter leur cité. Horace dit sa fierté de l'honneur qui lui échoit :

liMais quoique ce combat me promette un cercueil,

La gloire de ce choix m'enfle d'un juste orgueil; MOn esprit en conçoit une mâle assurance;

J'ose espérer beaucoup de mon peu de vaillance; n

Cv.

377 - 380) Les combattants pour Albe sont ensuite désignész les trois fr~re8 Curiace. Ici commence pour Horace le con-flit entre son bien personnel et le bien public car les Cu-riace sont liés par l'amour, le mariage et l'amitié à la

famille Horace. Sabine, la femme d'Horace, est de la famil-le Curiace, et Camilfamil-le, la soeur d'Horace, est fiancée

a.

Cu-riace. Cependant, malgré les cirèonstances du combat, Horace ne laisse point ses émotions diminuer sa soif de gloire :

nNotre malheur est grand, il est au plus haut point; Je l'envisage entier, mais je n'en frémis point: Contre qui que ce soit que mon pays m'emploie, J'accepte aveuglément cette gloire avec joie; Celle de recevoir de tels commandements

Doit étouffer en nous tous autres sentiments. n

Cv.

J.89 - 494)

La premi~re victoire d'Horace dans ce combat contre les trois Curiace est donc sur lui-même. Il doit vaincre ses

(23)

sentiments personnels pour servir sa patrie. Horace est obligé d'accepter la situation: il doit sacrifier son ami.

"Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime, S'attacher au combat contre un autre soi-même, Attaquer un parti qui prend pour défenseur Le rr~re d'une femme et l'amant d'une soeur, Et, rompant tous ces noeuds, s'armer pour la

patrie Contre un sang qu'on voudrait racheter de sa

vie; Une telle vertu n'appartenait

qn'A

nous. n

(v. 443 - 449)

Bien entendu, cette lutte intérieure est plus dure pour Horace ps.ychologiquement que le combat -- l'acte pqysique d'immoler Curiace. La décision d'entreprendre un acte qui blesse le coeur est difficile, mais une fois prise, l'acte lui-même est vidé de l'émotion. Horace se convainc qu'il doit immoler Curiace à sa patrie et à sa gloire. Apr~s avoir accepté ce fait, il oublie Curiace l'ami, le beau-frère, l'autre "soi-même" pour pouvoir le tuer comme simple ennemi de l'état. Horace admet même à ce cher adver-saire que les liens entre leurs deux familles ne reviendront plus dans son esprit ,

"Rome a choisi mon bras, je n'examine rien. Avec une allégresse aussi pleine et sinc~re; Que j'épousai la soeur, je combattrai le fr~re; Et, pour trancher enfin ces discours superfius, Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. "

(24)

Reste le combat pqysique: Horace nly trouvera pas de difficultés insurmontables. Nous pouvons même dire que la victoire sur les Curiace était faoile. Clest ainsi que Va1~re rapporte la bataille au vieil Horace :

"Resté seul contre trois, mais en cette aventure

Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure, Trop faible pour eux tous, trop fort pour

chacun dIeux, Il sait bien se tirer d'un pas si dangereux; Il fuit pour mieux combattre, et cette

prompte ruse Divise adroitement trois fr~res qul e1le aby.se.1I

(v. 1103 -- 1108)

Quand ses deux fr~res sont tués dans le combat, Horace sait vaincre les Curiace par ruse et non pas uniquement par force. Après avoir séparé les trois frères en feignant la fuite, il attend que les autres llattaquent, un par un. Aussitôt le premier tué, le second se présente, et après lui, le troi-sième. Ainsi un seul homme en a vaincu trois.

"JI en viens d'immoler deux aux mânes de mes frères, Rome aura le dernier de mes trois adversaires l CI est

à

ses intérêts que je vais 11 inuno1er Il

(v. 1131 - 1133) Horace a ainsi, tout

à

la fois, gagné la victoire pour Rome, assuré sa gloire, et vengé ses deux frères.

Non seulement il a empêché que Rome devienne la sujette d'Albe, il a encore montré sa vertu unique -- le pouvoir de

(25)

subordonner ses sentiments au bien de l'état et de tuer un

ami pour le bien public. Tuer un ennemi anonyme ne demande qu'une âme ordinaire, mais le sacrifice d'Horace est le fait d'une âme supérieure. Il a fait, de ses sentiments, un sacrifice unique, sans précédent, pour accomplir sa gloire. Serge Doubrova~ en parle ainsi :

L'originalité d'Horace, c'est d'avoir com-pris que la plus haute forme de l'héro!sme et le point où il atteint, en quelque sor-te, la perfection, c'est le fratricide conscient. l

Ce geste douloureux, la situation absurde dans laquelle les héros sont engagés pourraient nous amener

à

comparer Horace à un drame existentialiste. Horace res-semble beaucoup à ces pièces par l'absurdité de la situa-tion. Quelle co!ncidence qu'entre tous les guerriers de Rome et tous ceux d'Albe, ce soient eux précisément qui aient été choisis! Pourtant, ce n'est pas du tout par

hasard qu'ils se trouvent face à face dans ce combat, car, s'ils ont été choisis par leurs chefs, ce choix a été approuvé par le ciel !

1. Serge Doubrovs~, Corneille et la dialectique du héros,

(26)

8

Le v. Horace: Je viens vous apporter de fâcheuses nouvelles, Mes filles; mais en vain je voudrais

vous celer Ce qu'on ne vous aurait longtemps

dissimuler: Vos frères sont aux mains, les dieux

ainsi l'ordonnent. (v. 928 - 931)

Comment expliquer cet ordre injuste des dieux et des rois? Les personnages ne sont pas coupables, au contraire, ce sont des guerriers courageux qui aiment la patrie

Horace:

Curiace:

Rome, quoi qu'il en soit, ne sera point sujette Que mes derniers soupirs n'assurent

ma défaite.

(v.

387-388)

••• Albe, après l'honneur que j'ai regu de toi, Tu ne succomberas ni vaincras que par

moi; Tu m'as commis ton sort, jet' en

rendrai bon compte, Et vivrai sans reproche, ou périrai

sans honte.

(v.

557 - 560) Comme le dit Her land 1

Dans Horace le malheur n'est pas le fait des hommes, il tom'bP du ciel ••• 2

(27)

Car ici llhomme est beau: il ne porte

ni souillure ni remords, et Camille dans son sacril~ge, Horace dans son fratricide conservent ••• une incor-ruptible innocence. 3

Horace et Curiace sont simplement les victimes dlun con-cours de circonstances absurde.

Ainsi les héros de cette pi~ce se trouvent, malgré eux, plongés dans llabsurde sans issue heureuse. Car il nly a que deux solutions possibles: ou tuer un autre soi-même -- le fratricide -- ou manquer A son devoir envers 11état -- la lâcheté. Horace choisit le premier plan dlaction, il atteint sa gloire, mais, comme nous le ver-rons, sa gloire ne lui apporte pas le bonheur.

Tout de suite apr~s sa victoire sur les trois Curi-ace, HorCuri-ace, en revenant chez lui, se trouve devant le premier obstacle à son bonheur, sa soeur Camille. Cette

jeune fille ne ressemble pas du tout à son frère. Elle est trop sensible et elle nia pas le courage dlHorace. Camille ne voit que ses désirs personnels. Tout ce qui manquai t à son bonheur était le mariage à son amant, Curi-ace. Maintenant son bonheur ni est plus possible parce'~que

(28)

e

son amant a été tué par son propre frère. Camille n'est pas capable de subordonner ses émotions au devoir comme le fait Horace. Elle aime toujours son Curiace, m3me s'il est mort en ennemi de Rome. Son devoir envers l'état se-rait d'oublier Curiace et de fêter la victoire de son frè-re. Même son pwe lui indique la façon dont elle doit agirz

"Ma fille, il ni est plus temps de répandre des pleurs, Il sied mal d'en verser où lion voit tant

d' honneurs;

On

pleure injustement des pertes domestiques, Quand on en voit sortir des victoires

publiques. Rome triomphe d'Albe, et c'est assez pour nous: Tous nos maux

à

ce prix doivent nous 3tre doux."

(v.

1173 -- 1178)

Mais Camille s'obstine dans sa douleur et dans son amour pour l'ennemi. Elle choisit ses sentiments au lieu de son devoir quand elle décide de braver son frère :

l "Dégénérons, mon coeur, d'un si vertueux père:

Soyons indigne soeur d'un si généreux fr~re:

C'est gloire de passer pour un coeur abattu, Quand la brutalité fait la haute vertu. •

(v. 1239 -- 1242)

Offensez sa victoire, irritez sa col~re, Et prenez, s'il se peut, plaisir

à

lui

déplaire."

(29)

C'est à ce moment qu'arrive Horace, justement fier de sa victoire. Il vient d'atteindre sa gloire dans le combat, au prix de la vie de son ami. Mais pour lui l'idée de Curiace, l'ami, n'existe plus. Il s'était déjà co~ vaincu avant le combat qu'il fallait tuer Curiace

l'J!!!!!!-~ de la patrie. Ainsi, Horace et Camille ne voient pas

la situation du même point de vue. Elle regarde son fr~re comme un être inhmnain, une brute qui a immolé son ami

pour le bien du ~s. Et Horace, de son côté, ne voit ~e

la victoire qui lia porté au comble de la gloire. Il mon-tre les épées des trois Curiace à sa soeur, et demande qu'elle le félicitez

"Ma

soeur, voici le bras qui venge nos deux

fr~res,

Le bras qui rompt le oours de nos destins contraires, Qui nous rend mattres d'Albe; enfin voici le

bras

Qui seul fait aujourd'hui le sort de deux: Etats; Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma

gloire,

Et rends ce que tu dois à 11 heur de ma victoire. "

(v. 1251 - 1256) Mais c'est trop pour Camille. Jeune fille sensible, désolée par la mort de son amant, elle ne veut que montrer à ce frère qu'elle hait ce qu'elle pense de sa gloire

(30)

Que tu tombes au point me porter ellVie ! Et toi bientôt souiller par quelque liicheté Cette gloire si c~re

à

ta brutall té J"

(v. l291 - 1294)

Elle est furieuse qu' Horace réclame ses lO'Q8,nges - ce serait une infidélité

A

son amaAt mort que de glorifier le frère qui l'a tué. Camille refuse d'honorer Horace, et pis encore, elle maudit Rome qui a exigé cette mort:

"Rome, l'unique objet de mon ressentiment! Rome,

à

qui vient ton bras d'immoler mon

amant J Rome, qui t'a vu nattre, et que ton coeur

adore! Rome, enfin, que je hais parce qu'elle

t'honore l

Puissent tous ses voisins ensemble conjurés Saper ses fondements encor mal assurés J ft

(v. 1.301 - 1.306)

Pour son frère, ces mots présentent un affront

A

sa gloire et au pays qu'il aime avant tout. Comme il nt est plus capable de se mattrlser, Horace tue sa soeur avec la même épée qu'il avait employée contre les Curiace""1)

Par ses insultes, Camille a forcé son fr~re A l'immoler: "C' est trop, ma patience

A

la raison fait

place;

Va dedans les enfers plaindre t'on Curiaoe 1 " (v. 1.319 - 1320)

(31)

différentes de celles ~ui ont causé l'immolation de son amant. Horace ne tue pas sa. soeur pour atteindre la

gloire - il est

déjA

arrivé

A

son zénith - il

immo-le sa soeur pour sauvegarder cette gloire. En pimmo-leurant Coriace, elle nie la valeur de la victoire de son frère, elle insulte Horace et

" Cette gloire si chère

1

(sa) brutalité n

(v.

1294)

Mais Horace ne peut pas se laisser affliger par la mort de son ami: sa gloire dépendait de ce sacrifice, et s'il pleurait la perte de Curiace, il nierait sa gloire.

Il est le soutien de l' honneur de la famille. Or

sa soeur déshonore sa famille. En pleurant un ennemi de l'état, Camille devient elle-m~me une ennemie de Rome. En mettant son bien avant le bien public, elle trahit. Quiconque fait passer ses désirs personnels avant le bien du ~s est un élément de désordre dans la société. Si tout un pays était peuplé de Cam1lles - chacun pour soi -il tomberait vite dans l'anarchie. Pour garder l'ordre dans Rome, un élément de désordre comme elle doit être supprimé. Par ses paroles, elle se manifeste indigne

(32)

e

qu'en étant tra!tresse, elle déshonore sa famille, son frère l'immole pour protéger l'honneur de la famille. En maudissant l'état et en niant la gloire de son frwe, elle invite le meurtre:

no

dt une indigne soeur insupportable audace J

Dt am ennemi public dont je reviens vainqueur

Le nom es1i dans ta bouche et l'aoour dans ton coeur !

Ton ardeur criminelle lla vengeance aspire !

Ta bouche la demande, et ton coeur la

respire 1 n

Cv.

1268 - 1272) Ainsi Horace tue sa soeur, pour sauvegarder sa gloire et pour protéger l' honneur de sa famille, mais aussi parce qu'elle l'enrage jusqu'au point o~ il la tue.

Par ce meurtre de Camille, Horace se trouve encore une fois dans Wle i:lituation absurde. D'am côté, U doit tuer

sa soeur: elle est ennemie de l'état, indigne de la.

ra-mille. Mais, de l'autre côté, il ne devrait pas la tuer parce qu'elle est toujours sa soetn". Nous trouvons en-core ici qu'Horace est forcé de prendre une décision ter-rible - liuer Camille ou laisser vivre une soeur tra!tresse. Apr~s avoir choisi le meurtre, il doit d'abord justifier cet acte à ses propres yeuz pour pouvoir convaincre les autres qu'il a raison

z

(33)

"Ne me dis point qu'elle est et mon sang et ma soeur. Mon ~re ne peut plus l'avouer pour sa

fille: Qui maudit son pays renonce

A

sa famille; Des noms si pleins d'amomo ne lui sont plus

permis; De ses plus chers parents il fait ses

ennemis; Le sang même les arme en halne de son crime.

La plus prompte vengeance en est plus légi-time; Et ce souhait impie, encore qu'impuissant, Est un monstre qu'U faut étouffer en

naissant. ft

(v. 1326 - 1334)

C'est son attitude envers le meurtre de Camille qui efface l'absurdité de son action pomo Horace. Il refuse de renier cet acte - et devant son ~re et devant le roi. Il ne regrette pas le meurtre de Camille; il le justifie

à

son ~re ainsi ~

"Ma. main n'a pu souffrir de crime en votre race;"

(v. 1427)

Horace donne du sens

A

son acte en refusant de le nier. Nous pouvons voir une situation analogue dans le théâtre existentialiste. Dans Les Mains sales de Sartre, Hugo aussi immole quelqu'un qui lui est cher, Hoederer, moitié par rage, moitié par raison, et comme Horace, U ne Die pas le memotre. Ainsi Hugo, comme Horace, arfi.'"Ille le sens

(34)

lA W

d'un acte qui autrement serait absurde.

Horace, a-t-il accompli ~e qu'il voulait faire? A ses propres yeux, oui, il a réussi. Il a assuré sa gloire dans le fratricide du combat, saorifiant ses senti-ments personnels d'amitié

A

la patrie. Ainsi il est de-venu non seulement un héros national mais aussi il s'est fait une gloire unique et véritable. Dans le meurtre de Camille, il a conservé sa gloire et l'honneur de la fa-mille. Et dans le refus de nier ce meurtre, il a réussi

à

donner un sens

A

l'absurde.

Pourtant, la gloire d'Horace ne représente pas une réussite compl~te. Elle est ternie dans une oertaine mesure par une double ambigufté. Premi~rement, la gloire d' Horace (surtout apr~s le meurtre de sa soeur) ni est pas

acceptée par les autres dans la pi~oe. Même son père n'approuve pas l'immolation de Camille. Il ne comprend pas la nécessité de cet acte pour protéger la gloire de son fils. Il regarde le meurtre plutôt comme une tache qui souille la gloire d'Horace :

"Je ne plains point Camille; elle était oriminelle; Je me tiens plus

A

plaindre, et je te plains

plus qu'allei Moi, d'avoir mis au jour un coeur si peu

(35)

A V

Toi, d' avoir

main. Je ne la trouve point injuste ni trop

prompte; Mais tu pouvais, mon fils, tien épargner

la honte; Son crime, quoique énorme et digne du

trépas, Etait mieux: impuni que puni par ton bras."

(v. l.4ll - 11.18)

Le roi Tulle est étonné et indigné ! cause du meurtre, et lui aussi blâme Horace:

"Cette énorme action faite presque à nos yeux Outrage la nature, et blesse jusqu'aux

dieux. Un premier mouvement qui produit un tel

crime Ne saurait lui servir d ' excuse légitime: Les moins sév~es lois en ce point sont

d'accord; Et si nous les suivons, il est digne de

mort."

(v. 1733 - 1738)

Val~re, qui aimait Camille, est encore plus sév~re dans sa condamnation d'Horace:

"Mais, puisque d' un tel crime il Si est montré capable, Qu'il triomphe en vainqueur, et périsse en

coupable. Il

(v. l1$l - lL$8)

Val~re prétend que si Horace a été capable de tuer sa propre soeur pour son manque de patriotisme, il pourra tuer d'autres citoyens de Rome pour la même raison. Il

(36)

affirme qu'Horace n'est pas indispensable au bien de l'état et que sa victoire n'est pas compl~tement due à son mérite personnel. C'est ainsi qu'il plaide contre Horace devant le roi :

"Pensez-vous que les dieux, vengeurs des innocents,

D1une main parricide acceptent de l'encens? Sur vous ce sacril~ge attirerait sa peine; Ne le considérez qu'en objet de leur haine Et croyez avec nous qu'en tous ses trois

combats

Le bon destin de Rome a plus fait que son bras, Puisque ces mêmes dieux, auteurs de sa victoire, Ont permis qu'aussitôt il en souillât la

gloire, Et qu'un si grand courage, apr~s oe noble

effort, Flit digne en même jour de triomphe et de mort."

(v.

1521 -- 1530)

Selon Va1~re, le meurtre de Camille fait d'Horace une me-nace à la société et pour la protéger, il faut le mettre à mort.

Le deuxi~me aspect de l'ambigu!té de la gloire

d'Horace est l'incertitude de la permanence de cette gloire. Comment un jeune homme pourrait-il maintenir une telle

gloire jusqu'! la fin de ses jours? Horace est arrivé à son zénith, il lui sera impossible d'égaler

à

nouveau ses exploits et puisqu'il ne pourra plus augmenter sa gloire,

(37)

il sera toroé de la voir diminuer

à

mesure qu lil vieil-lira. Il sait lui-même qu'il est impossible de oonserver sa gloire pure et totale Si il continue de vivre, car il

ne rencontrera plue de circonstances aussi uniques pour se prouver. Horace indique ce sentiment lui-même au roil

"Votre majesté, sire, a vu mes trois combatss I l est bien malaisé qu'un pareil les seconde, Qulune autre oC08sion à celle-ci réponde, Et que tout mon courage, apr~s de si grands

coups, Parvienne à des suac~s qui n'aillent

au-dessous; Si bien que, pour laisser une illustre

mémoire, La mort seule aujourd' hui peut conserver ma

gloire:" (v. 1574 - 1580)

Horace veut donc se suicider. Il demande au roi la permission de conserver sa gloire de la seule fagon possi-ble:

"Permettez, ô grand roi, que de ce bras vainqueur

Je mlimmole

à

ma gloire, et non pas! ma soeur."

(v.

1593 -- 1594)

Par conséquent, llacte qui assurerait la gloire d ' Horace mène

à

la mort. Mais le bonheur de sacrifier sa vie pour sauvegarder sa glo:lre lui est refusé. Le roi le condamne

à

vivre, car le geste dlHorace en taveur de l'état

(38)

l'a placé au-dessus de la loi qui i l a violée en tuant

sa soenr. Ce prob1be qu'a le héros cornélien de main-tenir sa gloire une fois qui elle est atteinte est admi-rablement résolu par Polyeucte. Il a uni la gloire et la mort dans le m3me acte - le martyre - pour conser-ver sa gloire

A

jamais.

(39)
(40)

dans le théâtre de Corneille jusqu'ici. Au lieu de choisir la gloire sociale d'Horace, ou bien la gloire personnelle et sociale de Rodrigue, Polyeucte aspire

à

un bonheur et une gloire éternels:

ft J'ai de l'ambition, Jl8.is plus noble et plus belle:

Cette grandeur périt, j'en veux une immortelle, Un bonheur assuré, sans mesure et sans tin, Au-dessus de l'enVie, au-dessus du destin. n

Cv.

1191 - 1194)

Sa gloire est une négation de la gloire - dans le sens habituel que l'on donne

l

ce mot. PolJeucte ne désire point être admiré du monde, en fait, il nie la société. Au lieu de vouloir recueillir l'admiration des autres, Polyeucte Teut attirer l'approbation divine et obtenir son laisser-passer pour les cieux.

Apr~s aToir choisi cette gloire unique, Polyeucte entreprend de l'atteindre. Il se tait un plan d'action dont la premi~re nécessité sera de devenir chrétien. Pour être adllis aux cieux, il taut d'abord se joindre au peuple choisi, aux élus. Cette premi~re démarche Ters sa gloire

(41)

n'est pas trop difficile pour lui.

Son aai Néarque, qui est déjà chrétien, l'encourage

à

suivre son exemple. Ses remarques sur la grandeur de Dieu, "ce Seigneur des seigneurs" (y. 71), ont tout pour 8lIener Polyeucte

à

se conyertir sans tarder. Néarque,

dont le bonheur consiste

l

être chrétien, ne oache pas

l

son 8lIi jusqu 1 'ft le service de Dieu :

Il COWle rien ni est égal l sa grandeur suprême,

Il faut ne rien aiaer qulapr~s loi, qu'en lui-même, Négliger, pour lui plaire, et femme, et biens, et rang, Exposer pour sa gloire et Terser tout 80.0. sa~. n

(y.

73 -

76)

Avant mêlle de devenir chrétien, Polyeucte suit déjà le cons8il de Néarquel Pauline, sa nouelle épouse, ne veut pas qu'il sorte de la maison ce jour-là

l

cause d'un c:auche-mar qu'elle a eu mais, bien qu'il aiJJ.e sa femme, bien qu'il veuille lui plaire, son désir d' accollplir sa gloire est plus puissant que son amour. Malgré les craintes de Pauline, Polyeucte la quitte ayec empressement et se rend

à

l'assem-blée des chrétiens:

n Oui,

j '7 cours, cher Néarque; Je brÛle dl en porter la glorieus8 arque. n

(y. 93 - 94)

(42)

chrétiens. Stratonice en témoigne dans sa définitionl " C'est l'ennemi commun de l'Etat et des dieux~

Un méchant, un infâme, un rebelle, un perfide, Un tra!tre, un scélérat, un lâche, un parricide, Une peste exécrable

l

tous les gens de bien, Un sacril~ge impie: en un mot, un chrétien. n

(T. 780 - 784)

Po~eucte se retranche des autres pour se rapprocher de Dieu et forcer son approbation. Il veut mourir en état de grâce pour obtenir sa récompense céleste. Il cherche donc le martyre pour franchir la porte des cieux. Ce n'est pas la gloire mondaine de ses contemporain. qu'il recherche, mais le bonheur éternel apr~s la mort.

Pour y parvenir, Polyeucte se prépare

1

renverser les idoles des dieux romains avec son ami.

" Je rends grâces au Dieu que tu m'as fait connaitre

De cette occasion qu'il a sitôt fait nattre, Où déjà sa bonté, prête

1

me couronner,

Daigne éproUY8r la .t'oi qu'il vient de .e donner. "

(T. 649 - 652)

Les jeux sont faits! Polyeucte rejette définitivement la société et court att aartyre en songeant à la gloire éternelle qui l' a~~tendl

"Mais dans le ciel déjl la palme est préparée. • (v. 662)

(43)

Po~eucte s'assure le aartyre par son geste

iconoclaste et par son reius de retourner aux dieux ro_ina

pour plaire à son beau-~e. Mais il n'a pas CODe Néarque la chance de subir la mort immédiate. Il doit d'abord com-battre son beau-p~re Félix qui emploie les aenac8s, llJvpo-crisie, et l'amour de Pauline pour essayer de le fléchir.

Po~eucte a la force de résister aux larmes de sa femme, et

l'intelligence de forcer Félix à le faire mart.yrlser par

son insolence envers les dieux. Il n'est pas du tout la

Tictllle du martyre: il offre sa vie, il organise son martyre pour "acheter" (T. 1195) sa gloire.

La gloire de Pauline diff~e radicalellent de celle de son mari. Pour comprendre cette différence, on do~t d'abord

tenir compte du fait qu'elle est Romaine. Ainsi sa culture, ses idées du monde ne sont pas celles de Polyeucte, Arménien. Elle appartient à la race des conquérants; son p~re est le gouverneur romain d'Arménie. Po~eucte n'est qu'un seigneur

arménien.

Pauline se fait donc de la gloire une idée modelée par

la société romaine dont elle fait partie. CODe Rodrigue et

(44)

Rodrigue et Chimène, elle a le sens de l'honneur familial. De même qu'eux, elle ferait tout son possible pour préserTer l'honneur de son p~e et de son nom. Ainsi, elle se force à voir Sévère, son ancien amant, aalgré l'émotion puissante qu'elle éprouve toujours pour lui. Pour sauvegarder l'hon-neur de son père, en attirant la faveur de Sévère, elle est prête à risquer jusqu'à son repos. Elle avoue à son ~re:

n Je crains ce dur comtat et ces troubles puissants Que fait déjà chez moi la révolte des sens;

Mais puisqu'il faut combattre un ennemi que j'aime, Sourfrez que je me puisse armer contre moi-même, n

(T. 355 - 358)

Par deux fots déjà elle avait sacrifié ses désirs personnels à l'ambition de son p~re. Premièrement, elle lui avait obéi quant à son amour pour Sév~e. Pour plaire à son p~re, elle avait renoncé à épouser Sévère, car celui-ci n'avait

à

l'époque ni fortune ni influence. Deuxièmement, elle avait accepté sans se plaindre le mari choisi par Bon ~re, Félix voyant en Polyeucte, chef des seigneurs arméniens, un moyen de consolider sa position de gouverneur romain d'Arménie:

"Polyeucte est ici l'appui de me. faDil18; n

(v. 1053)

(45)

terminée depuis quinze jours, Pauline se voit tiraillée entre son devoir envers son p~re et son devoir enTers son mari. Nous voyons ici un autre aspect de sa gloire - la fidélité

A

Polyeucte. Quand leur mariage approchait, Pau-line a tout fait pour dompter son amour pour Sév~re et a réussi l aimer celui que son p~re lui avait choisi pour époux:

nEt Doi, comme l son lit je De Tis destinée, Je donnai par devoir l son affection

Tout ce que l'autre avait par inclination. ft

(v. 214 -- 216)

Pauline affirme sa gloire, non seulement en aimant tout d'abord son Dari par devoir, mais aussi en lui restant fid~le lorsqu'il n'est plus digne de son amour. Il y a deux raisons pour lesquelles elle serait justifiée de cesser de l'aimer -- il est devenu chrétien, et Sév~re revient, victo-rieux et prestigieux. Polyeucte n'est plus qu'un ennemi de l'état tandis que Sév~re est maintenant le favori de l'empe-reur Décie. Cependant, même après que son mari est devenu chrétien donc l'ennemi des dieux romains et de Ro.e

-Pauline le détend. Elle le soutient ainsi contre Stratonice, sa confidente:

(46)

e

Paul. :

Qui trahit tous nos dieux aurait pu vous trahir.

(v. 791 - 792)

Je jJ,'aimerais encor, quand il m'aurait trahie; Et si de tant d'amour tu peux être ébahie,

Apprends que mon devoir ne dépend point du sien; Qu'il y manque, s'il veut; je dois faire le mien.

(v. 793 - 796)

Ainsi, parce qu'elle aime toujours son mari, pour obéir ~ son p~re, et pour sauver leur honneur

à

eux trois, Pauline essaie de sauver Polyeucte du martyre. Par son amour et ses larmes, elle veut le fléchir mais il résiste et essaie même de convertir sa femme :

Paul. : Poly.:

Paul.: Poly.:

Quittez cette chim~re, et m'aimez.

Je vous aime, Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus

que moi-même. Au nom de cet amour, ne m'abandonnez pas. Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas.

(v. 1279 - 1282)

Quand elle voit qu'il lui serait impossible de re-gagner son mari, Pauline entreprend d'attendrir son p~e

à

son égard :

"N'écoutez point pour lui ces maximes cruelles; En épousant Pauline il s'est fait votre sang. •

(v. 922 - 923)

Mais, m~me aux derniers appels de sa fille, Félix s'obstine

à

blâmer Polyeucte au lieu d'avoir pitié de lui et de Pauline.

(47)

Félix: Oui, ma fille, il est vrai qu'un père est toujours phe· Rien n'en peut effacer le sacré oaracttre; Je porte un coeur sensible, et vous l'avez

peroé. Je me joins avee TOUS contre cet insensé.

Malheureux Po~eucte, es-tu seul insensible ? Et Teux-tu rendre seul ton crime irrémissible?

---- - (T. 1635 - 1640)

Ainsi, Pauline ne réussit

1

fléchir ni son mari ni son père. Mais il lui reste encore un plan 1 tenter. Elle entreprend un chantage sentimental dans lequel elle dresse Po~eucte et Sévère l'un contre l'autree Elle tient à sauver la Tie de son mari non pas uniquement par fidélité envers lui mais aussi afin ile protéger son père - pour des raisons familiales. Pour conserver l'honneur de sa famille, elle veut garder son père contre un double scandale. D'un côté son gendre est criminel: i l enoourrait la oolère de l'empe-reur romain s'il ne sacrifiait pas Po~euote selon la loi.

De l'autre oôté, Félix risquerait une révolte du peuple arménien s'il mettait à mort le ohet de leur noblesse. En dernier

ressort, Pauline prie donc son anoien amant de sauver la vie 4e son rival. Ce geste dépasse toutes ses autres tentatives et

(48)

son honneur,

1

Po~eucte et

1

son p~e, elle réussit

à

do-nner son amour pour Sévhe. S'il a quelque espoir de l'épouser apr~s la mort de Po~eucte, Pauline le détruit.

Sa gloire, son honneur personnel ne lui permettraient pas de l'épouser dans ces circonstances.

n Mais sachez qu'il n'est point de si cruel trépas

d'un front assuré je ne porte mes pas, Qu'il n'est point aux enfers d'horreurs que je

n'enà.ure, Plutôt que de souiller une gloire si pure, Que d'épouser un homme, apr~s son trl.:te .• or~,

Qui de quelque façon soit cause _e sa morte ft

(v. 1341 - 1.346)

Même quand Po~eucte lui-même encourage le mariage entre sa femme et Sévère, Pauline s'y oppose. Au lieu cie s'abandonner à la pensée du bonheur futur avec 8év~re, elle essaie à.e préserver son honneur, la vie de son mari, et de protéger son père contre le scanèale. Pour ces raisons, elle demanà.e

l'impossible

à

Sévère et, par conséquent, réalise sa gloire et lui donne l'occasion à'atteindre la sienne.

"Je sais que c'est beaucoup que Cfa que je demande; Mais plus l'effort est grand, plus la gloire en est

gran_e. Conserver un rival dont vous êtes jaloux,

C'est un trait de vertu qui n.'appartient qu'à vous; •

(v. 1355 - 1358)

(49)

devient le soutien de llempire et, de oe tait, le tavori de

11 empereur. Il a même remporté lladmiration de l'ennemi, le roi des Perses qui, ayant tait Sévère prisonnier, ne le tue pas mais fait soigner ses blessures et propose ensuite à Décie un échange de prisonniers. Pour recouvrer ce héros courageux, llempereur renvoie le frère du Perse et cent chefs de 11 armée •.

Il Ainsi revint au camp le valeureux Sévère

De sa haute vertu recevoir le salaire;

La taveur de Décie en fut le digne prix.

De nOUTe&U l'on combat, et nous sommes surpris. Ce malheur toutefois sert à crottre sa gloire. Lui seul rétablit llordre, et gagne la nctoire. Il

(v. 305 - 310)

Mais Sévère ne S8 limite pas

l

la gloire politique

comme Horace. Son idée de la gloire embrasse aussi ses devoirs envers les autres. Quoi qulil en ait, il accède aux instances de Pauline et renonce à la revoir pour ne pas 11 arniger. Il est aussi capable cil exanrlner la situation des chrétiens et de questionner la justice de llétat qui les condamne. Au lieu d'immoler llennemi politique pour le bien public, ce qu'Horace

(50)

l'empereur.

A cause de cette bienveillance pour les chrétiens, de son sens du devoir envers autrui, et de son amour pour Pauline, Sév~re essaie de sauver la vie de Polyeucte. Il entreprend de convaincre Félix qu'il ne devrait pas sacrifier son propre gendre aux lois, dans ce cas injustes, de Rome. Chiilléne, par devoir, veut se venger de son amant et ainsi se montre digne de lui; de même Sévère, par devoir, veut sau-ver Polyeucte et ainsi mériter l'amour de Pauline. Quand son domestique, Fabian, lui demande pourquoi il fait ce geste contraire

à

son coeur, il lui répond ainsi : Fabian:

Sév~re:

DI un si cruel effort quel prix espérez-vous ? (v. 1390)

La gloire de montrer

l

cette âme si belle Que Sévère l'égale, et qulil est digne dlelle; Qu'elle m'était bien due, et que l'ordre des

cieux

En me la refusant alest trop injurieux. (v. 1391 - 1394)

Si Pauline accomplit sa gloire en demandant l'aide de Sévère pour sauver son mari, il affirae la sienne quand il se3lOntre assez noble pour essayer de sauver un homme qui il doit ha.!r - le mari de la femme qu'il aille toujours 1

(51)

"Allons trouver Félix, commengons par son gendre; Et oontentons ainsi, d'une seule action,

Et Pauline, et ma gloire, et ma compassion. n (v. 1444 - 1446)

Malgré tous les efforts de Pauline et de Sév~re, Polyeucte accomplit ss. gloire dans le martyre. Contraire-ment 1 Pauline et l SéT~re qui cherchaient une gloire

terrestre, Po~eucte voulait réaliser la sienne dans le ciel. Il a renoncé i tout, même l Pauline, pour atteindre cette gloire.

Bien qu'il n'ait cherché que le martyre et sa récom-pense céleste, Polyeucte a aussi forcé l'admiration des autres. Pauline et Félix suivent son exemple en se convertissant; Polyeucte entraine sa femme et son beau-p~e da.ns le christi-anisme apr~s sa mort.

Félix: De ma fureur je passe au z~le de mon gendre. C'est lui, n'en doutez point, dont le sang

innocent Pour son persécuteur prie un Dieu

tout-puissant; Son amour épandu sur toute la famille

Tire apr~s lui le p~re aussi bien que la fille. J'en ai fait un martyr, sa mort me fait chrétien: J'ai fait tout son bonheur, il veut faire le mien.

(v. 1772 -- 1778)

Sév~re, plein d'admiration pour Po~eucte et les chrétiens, s'engage l protéger ceux-ci au risque de perdre les faveurs

(52)

de llempereur.

La réconciliation de l'amour et de l'honneur, thème important dans les pièces cornéliennes depuis Le Ci4, est

.-'

résolue par Po~eucte. En renonçant

a

l'amour de Pauline pour atteindre l'honneur du martyre, Polyeucte garde quand même son amour -- car elle le suivra au paradis. Ainsi

Po~eucte réalise sa gloire personnelle, le bonheur éternel, et en mime temps la gloire sur le plan social qulil ne

(53)
(54)

théories cornéliennes de la gloire. Ce héros a réa-lisé une double gloire. Gloire personnelle a par son mart,yre, il force l'admiration de Dieu et obtient une gloire éternelle. Gloire sociale: i l réussit à con-server l'amour de Pauline et gagne le respect de Sév~e et même de Félix. Cette pi~ce marque l'apogée du thél-tre de Corneille; en Polyeucte nous voyons l'accomplis-sement des idées de Corneille sur la gloire de ses per-sonnages. Comme dit Doubrov~ 1

Apothéose du héros, Po~eucte représente le couronnement d'un effort, l'ach~ ment d'une quête. 1

Cependant, avec Polyeucte, Corneille n'en- est qu'au premier tiers de son oeuvre. Parviendra-t-il à se

maint&-nir au sommet qu'il a atteint? Pour ce faire, il cher-chera dès lors de nouvelles voies, de nouvelles sources d'inspiration.

1. Serge Doubrov~, Corneille et

la

dialectique du héros,

(55)

La prochaine pi~ce que nous allons étudier est Attila, qui se place presque

a

la fin de la carrière de Corneille. Entre Polyeucte et Attila vingt-cinq ans se sont écoulés, seize pi~es ont vu le jour. Il con-vient donc, avant dlaborder Attila, de dire quelques mots sur cette période productive. Nous la diviserons en deux groupes, avant et après Perthari te et la re-traite de Corneille.

Dans le premier groupe figurent encore trois comédies, si lion considère Don Sanche d'Aragon, comé-die héro!que, comme telle. Le Menteur est probablement la meilleure comédie de Corneille, du moins la plus

p0-pulaire, comptant 700 représentations à la Comédie-Française. Malgré le grand succès du Menteur, la comé-die qui la suit et dont le titre Si en inspire: La Sui te gu Menteur n'a pas du tout réussi.

Les tragédies de ce premier groupe sont de deux sortes. La plupart, telle Rodogune, sont de purs mélo-drames: qui immoler? l'amante au trt>ne ou la mère à llamante? Cléopltre de Rodogune, Marcelle de Théogore

(56)

Arsinoé de Nicom~de auraient pu sortir d'un quelconque roman noir. A l'oppo~é Androm~de, pi~ce à machines, très fantaisiste, qui de plus fait très peu cornélienne.

Après sa retraite, Corneille revient au théâtre avec une nouvelle série de tragédies dont Oedipe annonce la direction. A part La Toison d'or, autre pièce à

ma-chines, les tragédies qui mènent à Attila traitent de l'amour et de la politique.

Parmi les thèmes développés dans les tragédies après Polyeucte, deux surtout nous intéressent. Tout d'abord, la prédominance de la gloire féminine que l'on peut voir éclater en Rodogune. A partir de cette pièce, les héroines seront plus fortes que les héros. Il y aura, bien stir, des exceptions comme Nicomède, mais la plupart des héros à venir seront comme son père, Prusias, comme Valens de Théodore et comme Attila lui-même: tous de caractère inférieur

à

celui des personnages féminins. L'exemple classique est celui de Rodogune

oh

les pauvres frères Antiochus et Séleucus ne peuvent rien, ni contre leur mère, ni contre leur amante. Ils sont les jouets de ces deux femmes, qai, elles, savent au moins ce

(57)

qu'el-les veulent -- le tr~ne à tout prix -- et feront n'im-porte quoi pour le garder ou pour l'obtenir.. Les re-marques de Doubrovsky sur les héros de Rodogune s'ap-pliquent aussi aux autres héros qui viendront apr~s eux :

Les deux frm-es, par un curieux change-ment, incarnent l'attitude t,rpiquement féminine de faiblesse et de passivité, tandis que les feJlUlles, Rodogune et Cléo-pâtre, vont, en s'effors~nt d'3tre ma!-tresses de la situation et d'elles-m3-mes, représenter l'attitude et les va-leurs masculines. 2

Autre th~me qui apparaît dans les pi~ces de cette époque et devient important dans le théâtre de Corneille:

la préexistence de la gloire des héros. Jusqu'ici, le~

personnages accédaient

A

la gloire au cours de la pi~ce.

Rodrigue atteint la sienne en tuant le ~re de Chimène et en défendant le royaume. Horace immole son ami et sa soeur, et Polyeucte trouve le martyre sur la scène. ~ais

à

partir de Polyeucte, la plupart des héros seront déjà glorieux, ils auront déjà réalisé leur gloire avant que

la pi~ce ne commence. Nicomède, comme Suréna plue tard,

(58)

est le premier guerrier, plus respecté du peuple que le roi d~s le début de la pi~ce. Attila a fait ses conquê-tes et a mérité le surnom de n néau de Dieu" avant que nous le vo,yions sur la so~ne. Ainsi, au lieu dlaocom-plir leur gloire, les personnages de cette époque auront

à

la préserver. Llintrigue des pi~ces nlest plus du tout

la même: les exploits se situent dans le passé et la

question est maintenant de maintenir la gloire acquise.

A ce point, les héros, comme Corneille lui-même, ont vieilli. Au lieu de continuer leurs conquêtes, ils veulent, tout en sauvegardant leur gloire, jouir de la

vie, de l'amour et du mariage, ainsi Suréna.

Avant de commencer notre étude dl Attila, il con-viendrait de voir les raisons pour lesquelles llidée de

la gloire a tellement changé dans les pi~ces qui suivent Polyeyçte. P.remi~rement, ainsi que nous l'avons mentionné, la perfection, le suco~s de Polyeucte ont forcé Corneille

à

créer de nouvelles sortes de gloire, de nouveaux types de personnages. Deuxièmement, le changement dans le thé-&tre de Corneille ren~te le changement dans la société.

(59)
(60)
(61)

Georges

May

le décrit ainsi :

His domination of all the other cbaracters appears effortless, and even, ta a certain extent, justitied by the lover leval or inferior tension of their passions. 1

Mais sa renommée de "fiéau de Dieu" ne lui apporte qu'une gloire de deuxième classe. Il réussit h. dominer les au-tres sans gagner leur admiration.

n

n'est pas bien né, il est parvenu l sa position.

Dans la pièce m3me, Corneille nous montre ses efforts pour se rehausser - pour atteindre une gloire de premier rang. Et cette gloire llaquelle aspire Atti-la est da s'intégrer dans Atti-la société: d'être accepté comme égal par les gens de haute naissance. Dès lors, l'Attila de Corneille étant

!)lus homme de tête que de main 2

1. Georges May,"Attila Redivivus"- in Studies

in

Seyenteenth

cen~ Frenoh Literature, ed. J.J. Demorest p. 10

(62)

ne va pas atteindre sa gloire par de nouveaux combats mais va chercher la légitimation de sa position en s'alliant avec un souverain puissant. Et comment mieux former une telle alliance qu: en épousant la soeur d'un monarque important ?

Nous trouvons ainsi, au début de la pi~ce, qu'At-tila avait demandé en mariage la main de deux princesses, Honorie et Ildione, qui attendent son choix dans son camp. Ho norie , soeur de l'empereur Valentinian,apporterait en mariage la gloire de l'empire romain. Ildione apporte-rait moins de gloire

à

Attila car son fr~re Marouée, roi des Francs, n'est que le roi d'un pays naissant.

Du point de vue social, c'est-à-dire pour légi-timer ses conquêtes et atteindre sa gloire, Attila doit épouser Honorie. Mais il aime Ildione à cause de sa grande beauté, et il ne peut dompter cet amour. Il est incapable de prendre une décision. Ses désirs person-nels sont contradictoires à son ambition, mais il ne sait pas choisir entre l'amour et les besoins de sa gloire. Attila, le conquérant, ne peut rien contre l'amour, il ne peut pas dominer llémotion qu'il éprouve

(63)

pour la princesse franque. C'est ainsi qu'il répond

à

Octar, le capitaine de ses gardes :

Octar: Attila:

Ainsi donc votre choix tombe sur Honorie ? J'y fais ce que je puis, et ma gloire m'en

prie: Mais d'ailleurs I1dione a pour moi tant

d'attraits, Que mon coeur étonné flotte plus que jamais. Je sens combattre encor dans ce coeur qui

soupire Les droits de la beauté contre ceux de

l'empire.

Cv.

753 -

758)

Pour faciliter sa décision, Attila prie I1dione de la

refuser. De même qu'Alidor, il se sent trop faible en face de l'amour pour le repousser et dépend de l'objet aimé pour être libéré des chatnes de l'amour. Ainsi, il lui demande :

"Prêtez-moi des refus, prêtez-moi des mépris,

~ , .l .. ,

Et rendez-moi vous-meme a mo.-meme a ce

prix."

Cv.

843 - 844)

Attila veut maintenant donner légitimité

à

son ti-tre de roi et étendre sa domination non seulement sur le pays de celle qu' 11 épousera mais aussi sur le pays de l'autre. Il expose son plan

à

Octar :

(64)

e

Si j'offense par lA l'un des deux souverains, Il craindra pour sa soeur qui reste entre

mes mains. Ainsi je les tiendrai 11 un et l'autre en

contrainte; ft

(v. 62 - (5)

Parlant de cette domination qui Attila exerce sur les autres, Corneille nous dit qu'il

• •• Si était fait un tel empire sur les rois qui l'accompagnaient, que, quand. même il leur edt commandé des parricides, ils nleus-sent osé lui désobéir. j

En fait Attila jouit d'un pouvoir total sur ses subor-donnés. Les deux rois, Ardaric et Valamir, doivent leur titre et même leur vie su tyran, ils sont les vassaux d'Attila et, en cette qualité, ne Bont pas dignes de slap-peler roi. Nous partageons l'opinion d'Attila sur ces ombres qui ne sont ni des héros ni de vrais roisl

"Ce titre en eux me choque, et je ne sais pourquoi Un roi que je commande ose se nommer roi. Un nom si glorieux marque une indépendance Que souille, que détruit la moindre

obéissance; Et je suis las de voir que du bandeau

royal

(65)

ns prennent droit tous deux de me

traiter d'égal. " (v. 23 - 28)

Peut-être ont-ils le front de traiter Attila d f égal mais ni l'un ni l'autre n'essaient de le

bra-ver. Ils restent soumis au t.y.ran au lieu de risquer d'encourir ses foudres. Ardaric aime Ildione et Va-lamir, Honorie - mais ils ne font rien pour obtenir l'objet de leur désir. Ils ne savent que se plaindre de lour sort en attendant qu'on les débarrasse du tyranl Ardaric: En serons-nous toujours les malheureux

objets ?

Et verrons-nous toujours qu'il nous

traite en sujets ?

Valamir: Fermons les yeux, seigneur, sur de telles disgrâces: Le ciel en doit un jour effacer jusqu'aux

traces:

(v. 303 - .306)

Quand enfin nos deux rois se souviennent de leur gloire, il est trop tard. Ils ne peuvent plus que re-fuser de s'abaisser davantage. Attila avait demandé

à

chacun d' assassiner l'autre, lui promettant la princes-se qu'il aime en récompenprinces-se. Ils refuprinces-sent de souiller ainsi ce qui leur reste d' honneur et préfèrent

(66)

s'entre-tuer. Soumis à Attila dans la vie, ils cherchent à lui éohapper dans une mort qu'ils oonsid~ent main-tenant plus glorieuse.

Cependant, tous ne se trouvent pas sous la do-mination du tyran: les deux primesses suivent l'exem-ple de Rodogune, de Cléopâtre et de Théodore. Attila ne les intimide nullement.

La

gloire d'Honorie est fondée sur son nom et sur sa famille. Elle est tr~9 oonsoiente de sa haute naissance et de sa position comme soeur de l'empereur romain. Pour sauvegarder sa gloire et son rang dans la société elle refuse d'épouser Valamir qu'elle aime:

un vassal d'Attila est indigne d'elle.

"Pour peu que vous m'aimiez, seigneur, vous devez oroire Que rien ne m'est sensible

à

l'égal de

ma gloire. Régnez oomme Attila, je vous préf~re

à

lui, Mais point d'époux qui n'ose en dédaigner

l'appui, Point d'époux qui m'abaisse au rang de ses

sujettes. ft

Cv.

485 - 489)

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