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Reconstructions identitaires et changements dans la dynamique familiale chez les couples immigrants après la naissance d'un enfant : le père en quesion

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Academic year: 2021

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Reconstructions identitaires et

changements dans la dynamique familiale

chez les couples immigrants après la

naissance d’un enfant : le père en question

Mémoire

Fernanda Franco Fernandes

Maîtrise en ethnologie des francophones en Amérique du Nord

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Reconstructions identitaires et

changements dans la dynamique familiale

chez les couples immigrants après la

naissance d’un enfant : le père en question

Mémoire

Fernanda Franco Fernandes

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Cette étude s’intéresse aux influences de la culture québécoise sur la dynamique des familles qui ont choisi la ville de Québec pour s’installer. La parole a été donnée à six pères brésiliens qui ont parlé de leur transition à la paternité immigrante. La méthodologie appliquée est la recherche qualitative. Des entrevues semi-dirigées ont été faites pour aller chercher des réponses à mes questionnements de recherche. Ces hommes exposaient leur perception par rapport aux différences culturelles auxquelles ils sont confrontés. Je cherche à comprendre comment ces pères se redéfinissent dans un contexte d’immigration, en bref : quelles sont les influences culturelles dans les comportements adoptés dans les rôles de la vie quotidienne.

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En donde el miedo no cuenta cuentos y poema, no forma figuras de terror y de gloria.

Vacío gris es mi nombre, mi pronombre.

Conozco la gama de los miedos y ese comenzar a cantar despacito en el desfiladero que reconduce hacia mi desconocida que soy, mi emigrante de sí. Escribo contra el miedo. Contra el viento con garras que se aloja en mi respiración. Y cuando por la mañana temes en encontrarte muerta (y que no haya más

imágenes) : el silencio de la compresión, el silencio del mero estar, en esto se van los años en esto se fue la bella alegría animal.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

TABLE DES MATIÈRES ... v

REMERCIEMENTS ... viii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : Revue de la littérature et problématique ... 4

1.1. Immigration et paternité : deux grands enjeux ... 4

1.2. L’immigration au canada ... 5

1.2.1. La transition de couple à parents ... 6

1.2.2. À chacun sa place ... 7

1.2.3. La paternité immigrante : comment s’approprier des rôles culturels dans une culture « étrange » ... 8

1.2.4. Le père dans la recherche académique... 9

1.3. Transformations de la paternité : du traditionnel rôle de pourvoyeur à la paternité contemporaine ... 10

1.3.1. Deux qui deviennent trois : une transition assez importante dans la vie de nouveaux parents ... 11

1.3.2. Apaiser les différences culturelles à travers la communication interculturelle ... 12

1.3.3. Reformuler la dynamique familiale dans un contexte d’immigration ... 14

1.3.4. Les attentes de la société envers les parents ... 16

1.3.5. Les enjeux d’être père dans un contexte interculturel ... 19

1.3.6. Problématique et questions de recherche ... 20

CHAPITRE 2 : CADRE CONCEPTUEL ... 21

2. L'approche conceptuelle………21

2.1. La culture ... 21

2.2. L’identité culturelle ... 22

2.3. Les liens d’appartenance ... 23

2.4. Le choc culturel ... 25

2.5. La transition ... 26

CHAPITRE 3 : MÉTHODOLOGIE ... 29

3. Approche méthodologique ... 29

3.1. Appel aux pères brésiliens : la démarche scientifique ... 29

3.2. « Se mêler dans le champ » : le terrain ethnographique ... 30

3.3. L’herméneutique ... 31

3.4. Techniques appliquées en recherche qualitative ... 31

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3.6. Questionnements possibles : l’échantillon proposé et la proximité culturelle ... 34

3.7. Le regard ethnographique et l’analyse de la matière ... 35

3.8. La quête du sens après le travail de terrain : la proximité de la réalité ou la construction du sens à partir du regard ethnographique ? ... 36

3.9. Le recrutement des participants : des pères brésiliens dans la région de Québec ... 37

3.10. Analyse transversale : prendre connaissance des données, les convergences et divergences de récits .. 37

CHAPITRE 4 : ANALYSE DE DONNÉES ... 40

4. Le travail de terrain ... 40

4.1.1. Mario – Se lancer dans l’aventure : une offre d’emploi, le mariage, l’immigration, la paternité… dans une terre froide ... 41

4.1.2. Luis – Ces deux mondes : celui du Brésil et le Québec ... 46

4.1.3. Rafael – Quand on s’imagine imbattable et que la vulnérabilité frappe à notre porte ... 49

4.1.4. Alex – La création de ponts entre des cultures différentes ... 53

4.1.5. Matias – L’intégration de son enfant et la découverte de la culture locale ... 55

4.1.6. Vitor – Un autre regard sur le terrain déjà connu : de la vie d’étudiant à celle d’étudiant père ... 59

4.2. L’analyse transversale des données ... 62

4.2.1. Des parcours singuliers qui convergent sur certains points ... 63

4.2.2. Au Brésil, mais loin de la famille ... 64

4.2.3. Sortir de la zone de confort pour une deuxième fois... 64

4.2.4. Au Québec, mais chez eux : la vie avec les compatriotes ... 65

4.2.5. Le marché du travail : quand les opportunités se présentent dans un milieu francophone, mais que la langue française n’est pas maitrisée ... 66

4.2.6. Femme au foyer, enfants au foyer ? Pas toujours le cas ... 66

4.2.7. Chocs culturels différents... 67

4.2.8. Choc culturel des pères immigrants ... 67

4.2.9. Choc culturel pour les habitants locaux ... 68

4.2.10. Les différences entre deux systèmes de santé ... 68

4.2.11. Une nouvelle dynamique familiale avec un nouveau-né ... 69

4.2.12. Le rôle de la vie professionnelle dans la décision d’immigration ... 70

CHAPITRE 5 : DISCUSSION ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS ... 72

5. INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS ... 72

5.1. La culture et la rencontre des cultures : le choc culturel ... 72

5.2. De nouveaux liens d’appartenance et la reformulation identitaire ... 74

CONCLUSION ... 80

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ANNEXE 1 ... 90 ANNEXE 2 ... 92

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REMERCIEMENTS

Un nouveau cycle se termine, beaucoup d’apprentissages ces dernières années. Je tiens à remercier tous ceux qui ont croisé mon chemin à l’Université Laval. Merci Lucille de m’avoir guidé dans cette démarche académique, de m’avoir partagé tes connaissances et ton expertise dans ce domaine qui me touche : l’immigration. Merci à l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ) pour les opportunités que se sont présentées. En tant qu’étudiante membre de l’ÉDIQ, j’ai eu l’occasion de participer à des colloques, des ateliers de l’imaginaire, des tables rondes, bref tant d’occasions d’échanger toujours très enrichissantes. Merci à mes interlocuteurs qui m’ont donné de leur temps pour partager leurs expériences et qui m’ont permis de conclure ce cycle d’apprentissage. Gratitude pour les belles amitiés, des gens d’ici et d’ailleurs, que la vie académique m’a offerte. Merci mon Dieu pour ces expériences qui m’aident à grandir et à progresser. Je pars avec des beaux souvenirs. Enfin, un gros merci à ma famille qui me supporte de loin et à Mateus et Lucas avec qui je partage ma vie et qui sont mon refuge d’amour et paix.

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INTRODUCTION

L’immigration et la parentalité sont deux expériences très marquantes. Dans le cadre de ce mémoire de maîtrise, je plongerai dans cet univers de grandes découvertes marqué par des transformations intenses, un long temps de solitude, de réflexion et de questionnement, devant une nouvelle vie à « vivre » et une nouvelle vie qui « s’ajoute ». Au départ, un couple ou une petite famille immigrante qui doit prendre en compte un nouveau composant qui occupe un espace sur le plan physique et affectif très important au sein de la famille. Dans cette nouvelle situation, certaines conditions, comme porter et accoucher d’un enfant, sont biologiquement définies alors que d’autres sont établies par le vécu quotidien au sein de nouvelles normes culturelles.

Les personnes concernées par cette période de transformation nourrissent plusieurs attentes, telles une nouvelle carrière ou encore agrandir la famille. Pour ceux qui ont déjà franchi ces étapes, il s’agit plutôt de la possibilité de vivre autrement la vie de parents. C’est une nouvelle étape qui cause des ruptures et nécessite une intégration à de nouveaux réseaux. Elle implique une pression à répondre d’abord aux attentes personnelles et à celles de la société ensuite. Ce sont ces différentes phases que j’essaie de saisir en m’intéressant à la problématique de la parentalité dans un contexte de déplacement.

L’intérêt pour le sujet est né de mon expérience d’avoir enfanté dans un contexte culturel différent de celui dans lequel j’ai grandi. Cette expérience, m’ouvert les yeux à un nouveau monde, pas seulement celui de la maternité, mais aussi celui de la culture que j’avais adoptée. Le regard de ma mère envers le comportement de mon conjoint a attiré mon attention. Elle faisait des remarques par rapport la façon dont il s’engageait auprès de nous, sa présence et son attention par rapport aux besoins physiques et émotionnels de mon enfant et moi.

Sous l’angle de la dynamique familiale, je cherche avant tout à étudier les influences culturelles au sein des familles immigrantes et leurs interactions dans la société d’accueil. Je porte un intérêt particulier à la paternité, c’est-à-dire au rôle du père et à sa place dans

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un contexte d’immigré. Mon intérêt repose sur le fait que dans la parentalité, l’attention est particulièrement portée sur la mère : c’est elle la porteuse du bébé, qui attire tous les regards et qui est suivie pendant les neuf mois de la grossesse. Toutefois, enfanter implique beaucoup d’adaptations dans la vie du couple, autant pour le père que pour la mère. Je souhaite comprendre davantage les transitions vécues par ce dernier, découvrir comment il traverse cette période de réorganisation de rôles, d’engagement envers ses nouvelles fonctions de père. Il est important également de comprendre le poids de la culture locale dans l’engagement paternel.

L’étude est divisée en cinq chapitres. Dans le premier, j’aborde brièvement la question de l’immigration dans le contexte global et local. Il s’agit de cerner les effets de l’expérience migratoire dans la vie des individus qui se déplacent ainsi que les effets des migrations dans la société d’adoption. Par la suite, j’aborderai les transitions vécues par le couple à la suite de l’arrivée d’un enfant. La paternité sera le sujet suivant, soit la place du père. Je me pencherai sur des études faites auprès de pères immigrants au Québec afin de faire le point sur la paternité immigrante. Ensuite, je présenterai quelques études faites sur le père immigrant au Québec pour évaluer comment je pourrais combler certaines lacunes qui n’auraient pas été abordées, ce qui me permettra de formuler les questionnements de départ pour le travail de terrain. À la fin de ce chapitre, la problématique sera présentée ainsi que les questions de recherche.

Le deuxième chapitre présent le cadre théorique, soit les concepts qui guident les réflexions et l’analyse, notamment la culture, l’identité, le choc culturel, les liens d’appartenances, le choc culturel et la transition.

La méthodologie est le sujet du troisième chapitre. Cette recherche s’inscrit dans une démarche qualitative et j’ai eu recours aux récits de vie pour récolter les données d’analyse.

Le quatrième chapitre, soit l’analyse des données, se divise en deux parties. L’analyse de chaque entrevue dans son contexte de narration est suivie d’une analyse transversale de toutes les entrevues faisant ressortir les points communs et les écarts entre les différentes expériences des participants. Cette deuxième partie est divisée en deux

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différents profils : les pères qui ont eu un premier enfant au Québec et ceux qui après avoir eu un enfant au pays d’origine, ont vécu une deuxième expérience d’avoir un enfant au Québec et qui ont dû ainsi réinventer leur paternité en tant qu’immigrant.

L’analyse des données de terrain est présentée dans le dernier chapitre, ainsi que l’analyse transversale des entrevues, suivie d’une discussion faisant le lien avec le cadre conceptuel décrit dans le chapitre 2. La conclusion rappelle les différentes étapes et ouvre sur des pistes à approfondir dans de futures recherches éventuelles.

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CHAPITRE 1 :

REVUE DE LA LITTÉRATURE ET PROBLÉMATIQUE

1.1. IMMIGRATION ET PATERNITÉ : DEUX GRANDS ENJEUX

Dans l’actualité, beaucoup d’informations sont diffusées par les médias sur la crise des immigrants, principalement dans le contexte européen. Pourtant, la migration n’est pas un mouvement moderne, immigrer fait partie de l’histoire humaine. Les gens se déplacent pour des raisons diverses, dans l’espoir notamment de trouver ailleurs un espace moins menaçant et plus attractif (Chédemail, 1998). La complexité des sociétés modernes s’explique en grande partie par les migrations. À l’heure actuelle, le contact avec l’autre est de plus en plus fréquent. Cette rencontre interculturelle entraîne une transformation de l’individu et de la société d’accueil. La diversité culturelle peut produire chez les individus un choc culturel qui s’explique par « l’écart entre les manières de penser le monde et de faire les choses dans un contexte administratif et public » (Guilbert, 2004, 213).

L’immigration ne se résume pas en un simple déplacement, plusieurs enjeux sont au rendez-vous. Elle suppose différentes trajectoires, des impacts transversaux entre locaux et immigrés inscrits dans un même contexte. Ce transit de personnes entre différents territoires entraîne des changements sociaux, culturels et personnels. Il fait aussi surgir de nouvelles problématiques dans la société d’accueil : est-ce que le marché de travail est prêt à les accueillir ? À accepter d’autres façons de faire les « choses » ? Est-ce que les services de santé sont prêts à répondre aux nouveaux besoins ? Est-ce que la population locale est ouverte à la diversité culturelle ? Est-ce que les écoles sont en mesure d’intégrer ces nouveaux étudiants qui arrivent de partout dans le monde ? Enfin, est-ce que le Québec est prêt à gérer toute cette diversité culturelle ?

L’immigration met en jeu des ruptures : la rupture des liens d’appartenance sociaux, affectifs et professionnels qui font la culture d’une personne ainsi que la rupture de l’équilibre du système culturel du pays d’accueil. Mais cela fomente un renouvellement d’alliances ainsi que la création de nouvelles alliances et de nouveaux rapports à l’Autre

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(Guilbert, 2005). Le bagage culturel personnel acquis au long de la trajectoire individuelle semble ne plus faire de sens lorsque les gens se retrouvent dans un nouvel environnement culturel (Hernandez, 2007), cela mène à la transformation des gens et des sociétés. Lorsque des personnes s’établissent dans un autre pays, c’est le moment de relativiser, d’avoir un nouveau regard sur le quotidien. Qu’en est-il quand l’on est dans une situation d’immigration et de parentalité ? Les transitions à partir des influences de l’un sur l’Autre sont au cœur de mon intérêt.

1.2. L’IMMIGRATION AU CANADA

La migration a joué un rôle fondamental dans l’histoire canadienne : « Sans les immigrants qui se sont établis dans toutes les régions du pays depuis le tournant du siècle, le Canada n’afficherait pas la même richesse culturelle, la même prospérité et n’aurait pas enregistré les mêmes progrès que ceux que l’on connaît aujourd’hui » (CIC, 2000).

Le Canada est donc « un pays né de l’immigration et vivant grâce à elle » (Vatz Laaroussi, 2001, 1). Il détient une politique d’immigration pour faire face aux besoins du marché du travail et des exigences démographiques, il reçoit des immigrants de partout dans le monde. Les villes les plus choisies par ces nouveaux arrivants sont Vancouver, Toronto et Montréal.

Le Québec est notre terrain d’étude. La province détient un programme d’immigration orienté vers les besoins économiques. La politique migratoire vise surtout une population jeune (35 ans et moins, une tranche d’âge comportant de potentiels nouveaux parents) pour répondre au déficit de main-d'œuvre locale (MICC, 2013). C’est une immigration de remplacement pour garantir le développement de l’économie et qui pourrait aussi garantir le taux de natalité compte tenu de l’âge des immigrants ciblés. La province a reçu 258 057 immigrants entre 2011 et 2015, une moyenne de 51 611 nouveaux arrivants issus des différents continents : Afrique (32,9 %), Asie (29,6 %), Amérique (20,8 %, dont 6,9 % d’Amérique du Sud) (MIDI, 2015).

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La région de Montréal reçoit la plus grande partie des immigrants dans la province, soit 71,2 %. La Capitale-Nationale, Québec, reçoit 5,2 % de ces nouveaux arrivants. Il s’agit d’une population immigrante jeune : 68,8 % ont moins de 35 ans (MIDI, 2015). Puisque ces immigrants ont contribué à l’augmentation du taux de natalité dans la province, il est pertinent de s’intéresser aux répercussions et aux changements qu’amènent les déplacements humains.

Dans une démarche qualitative dont le but est de comprendre les transformations identitaires vécues à partir de l’expérience de parents, il s’agit de « mesurer » le poids de la culture locale dans le quotidien des familles immigrées. Comment réagissent-elles relativement à la façon de faire locale ? Est-ce que de nouveaux gestes doivent être intégrés dans leur quotidien ? Quelles sont les stratégies adoptées pour réussir à y faire sa place en tant que père ? Il existe des normes et des attentes culturelles locales construites collectivement avec lesquelles les pères immigrants doivent composer, faire du travail de bricolage identitaire (Gohard-Radenkovic, 2009) pour réussir « à se "placer" dans la société d’accueil, devenir sujet et acteur » (Vatz Laaroussi, 2005b, 10).

L’étude se divise comme suit : d'abord, je m’attarderai sur l’expérience d’enfanter, de devenir parent et de la place du père et de la mère selon le construit social. Ensuite, je m’intéresserai à la figure du père. J’aborderai quelques études consacrées à l’identité masculine et je me pencherai sur son rôle de pourvoyeur, c’est-à-dire que les principales ressources financières de la famille provenaient de son travail. Enfin, je tenterai de saisir les enjeux reliés à la parentalité, notamment à l’aide d’études qui s’intéressent à l’engagement père-enfant.

1.2.1. LA TRANSITION DE COUPLE À PARENTS

Tout comme l’expérience migratoire, donner la vie implique une série d’adaptations quotidiennes et divers engagements en fonction des besoins affectifs et physiques du nouveau-né. Il faut le nourrir, le soigner, le calmer, etc. L’allaitement, par exemple, n’est pas toujours facile : l’engorgement des seins, les fissures, la douleur, le stress, le manque du lait, les conseils des infirmières, médecins et conseillères en allaitement. Des pleurs, des coliques, des nuits blanches, quel découragement ! Un sentiment d’impuissance

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s’installe devant l’incapacité de contrôler tous ces nouveaux évènements. Or, c’est un engagement pour la vie et il ne faut pas lâcher ! C’est aux parents d’assumer la responsabilité de soigner et d’éduquer cet enfant.

Ainsi, l’arrivée d’un enfant est un événement accompagné de transformations majeures qui met à l’épreuve la relation de couple. Les deux parents sont confrontés à de nouveaux rôles qu’il faut s’approprier : celui de mère et de père (Vézina, 1995; Fox, 2009). La vie gagne un nouveau sens, une autre direction. Cela va modifier non seulement les rapports du couple, mais également les relations avec leur entourage : la famille, les amis, le travail, la société. On « passe alors de l’état d’amoureux à celui des parents » (Vézina, 1995).

1.2.2. À CHACUN SA PLACE

Dans cette zone instable, la place de la mère est plus ou moins définie biologiquement, tandis que celle du père s’inscrit en sa totalité dans les pratiques culturelles (Antil et O’Neill, 1987; Lanoue et Cloutier, 1996; Dyke et Saucier, 2000). « Les lois de la nature » ne permettent pas (du moins jusqu’à maintenant) à un homme de porter un enfant et conséquemment d’accoucher. Cette capacité d’enfanter qui est exclusive aux femmes favorise assurément la place des mères dans la parentalité. Par contre, on ne peut douter de la prédisposition des hommes à répondre aux signaux relatifs aux besoins des enfants (besoins hygiéniques, affectifs et cognitifs). Il n’existe pas « un manque de capacité à ce sujet » (Antil et O’Neill, 1987). Ils sont parfaitement capables de s’en occuper de manière aussi appropriée que les femmes. Or, si les femmes sont de façon générale plus « compétentes » pour s’occuper des enfants, c’est parce qu’elles ont passé plus de temps avec eux (Lanoue et Richard, 1996). En effet, des pratiques culturelles et, pourquoi pas, des circonstances socio-économiques ont contribué à ce que les femmes développent ces habiletés maternelles (Antil et O’Neill, 1987; Lanoue et Cloutier, 1996). Pendant longtemps, le terrain occupé par les femmes se limitait à la maison (Lanoue et Cloutier, 1996; Knibiehler, 2002; Neyrand, 2002), où elles exécutaient les tâches domestiques et s’occupaient des soins et de l’éducation des enfants. Elles ne participaient pas à la vie publique. Pourtant, au cours des siècles, les femmes ont acquis

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une participation plus active hors du foyer et dans la vie publique; un terrain fréquenté auparavant par les hommes (Knibiehler, 2002). L’arrivée des femmes sur le marché du travail ainsi que les mouvements féministes, par exemple, ont beaucoup contribué au partage des tâches entre les deux sexes (Antil et O’Neill, 1987; Lanoue et Cloutier, 1996). En conséquence, d’autres responsabilités s’ajoutent au rôle de pourvoyeur du père. Les responsabilités relatives aux soins et à l’accompagnement de l’enfant n’incombent plus exclusivement aux femmes (Knibiehler, 2002; Neyrand, 2002), ce qui a favorisé le resserrement des liens père-enfant.

La nouvelle dynamique familiale provoque de nouveaux besoins. L’absence des parents à la maison fait que l’éducation et la garde de l’enfant sont déléguées à des tiers. Il s’ensuit une professionnalisation des « métiers » occupés traditionnellement par les mères (Neyrand, 2002). La famille devient un enjeu politique en occupant une place dans les discours publics. L’État offre et gère les services d’éducation : services de garde, enseignement primaire, secondaire, etc. Le pouvoir public est également impliqué dans la socialisation des enfants afin de les préparer à devenir adultes; l’éducation de l’enfant devient une question d’ordre public puisque tout échec peut conduire à des problèmes sociaux, entre autres la délinquance (Martin, 2002).

Puisque la réalité de l’immigré dans un monde moderne n’est pas forcément similaire à celle où il a grandi, il faut s’intéresser à la paternité des pères immigrants.

1.2.3. LA PATERNITÉ IMMIGRANTE : COMMENT S’APPROPRIER DES RÔLES CULTURELS DANS UNE CULTURE « ÉTRANGE »

Comme souligné précédemment, immigrer et enfanter sont des moments singuliers dans la vie d’un couple : ils sont marqués par une période de turbulences, de transformation profonde de la personnalité (Guilbert et al., 2012). Il faut se réinventer en tant qu’immigré, tout comme en tant que parent, négocier de nouveaux rôles à l’intérieur de la famille, se repositionner au sein de la société. Nouveaux défis, nouvelles responsabilités, nouvelle routine. Il faut aussi passer par une période d’apprentissages, de conflits culturels, de reconstruction identitaire. Concernant plus particulièrement la paternité, il est intéressant de se questionner sur la position du géniteur, dans son rôle de père et de conjoint, ce

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dernier vivant une période très instable constituée de questionnements et de pressions tant personnelles que professionnelles.

1.2.4. LE PÈRE DANS LA RECHERCHE ACADÉMIQUE

C’est à partir des années 1970 que les études sur la paternité ont pris de l’ampleur dans le monde de la recherche (Antil et O’Neill, 1997; Tremblay, 2009). Cela est lié au contexte des mouvements féministes, de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail ainsi que des transformations dans les familles (divorce, garde partagée, famille recomposée, monoparentale). Si les femmes demeuraient au foyer et s’occupaient des soins, de l’éducation et des tâches ménagères à l’époque, les femmes actuelles fréquentent de plus en plus des espaces auparavant exclusifs aux hommes. En contrepartie, les hommes sont amenés à élargir leur rôle de père en partageant des tâches qui, selon le construit social, étaient dévolues aux femmes. De plus, dans la société contemporaine, il est clair que la participation des femmes à la vie publique (marché du travail, politique, etc.) est fort encouragée. Pourtant, la participation des hommes dans la parentalité est souhaitée, mais il existe encore des barrières à dépasser. À titre d’exemple, dans la catégorie travailleur qualifié, le régime de base au Québec est de 18 semaines de congé maternité et 5 semaines de congé paternité payées à 70% du salaire. Le congé parental qui peut être divisé entre les parents est de 7 semaines payées à 70% du salaire et il y a la possibilité de 25 semaines additionnelles, mais le pourcentage diminue à 55% (MTESS, 2017). Alors, le choix de consacrer plus de temps à la maison dans cette période postnatale a des conséquences dans le revenu familial, principalement si le revenu le plus important vient du père.

Le rôle des hommes dans la parentalité prenant de plus en plus d’ampleur, la paternité a dès lors gagné de l’intérêt dans la recherche. Comment les hommes s’approprieront-ils de nouveaux rôles, notamment les soins et l’éducation des enfants ?

Je poursuis ma réflexion avec quelques études sur la paternité. D’abord, je m’attarde à une étude faite sur la construction de l’identité paternelle. Zaouche-Gaudron (2007) et Lévesque, Perrault et Goulet (1997) ont consacré leurs regards sur la paternité en milieu plus démuni en démontrant comment l’appropriation de rôles parentaux est affectée

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quand les hommes confrontés aux nouveaux rôles se retrouvent en situation économique critique. Par la suite, j’ai repéré quelques travaux qui touchent la transition de conjoints qui deviennent parents, dont Lemieux (2008) qui s’attarde aux difficultés auxquelles sont confrontés les nouveaux parents à la suite de l’arrivée d’un bébé. Guilbert et al. (2012) a parlé également des transitions multiples que vivent les jeunes mères, immigrantes ou non, qui sont à la fois mamans, professionnelles et étudiantes. La réflexion se poursuit avec quelques études faites auprès de familles immigrantes dans la région de Montréal portant sur les changements dans la transformation du couple, de la relation parent-enfant et des liens avec la famille influencée par la culture.

1.3. TRANSFORMATIONS DE LA PATERNITÉ : DU TRADITIONNEL RÔLE DE POURVOYEUR À LA PATERNITÉ CONTEMPORAINE

Des recherches comme celles de Zaouche-Gaudron (2007) et de Lévesque, Perrault et Goulet (1997) sont consacrées aux familles en milieu défavorisé. La première s’intéresse à la problématique de la construction de l’identité paternelle quand l’identité professionnelle est déstabilisée. Pour l’auteur, qui a d’abord défini la condition de la précarité, laquelle doit être abordée de façon pluridimensionnelle selon lui, le fait de ne pas avoir un travail empêche le père d’occuper son rôle traditionnel qui est celui de pourvoyeur. Cela a pour conséquence de fragiliser son identité à plusieurs niveaux. « Ainsi, l’identité paternelle ne peut se construire que si elle peut s’appuyer sur une identité sociale, professionnelle et personnelle, et s’articuler avec elles » (Zaouche-Gaudron, 2009, 27).

La question du rôle pourvoyeur de l’homme est aussi évoquée par Lévesque, Perrault et Goulet (1997). Ils se sont penchés sur les pratiques paternelles dans des situations d’extrême pauvreté. La recherche a été menée auprès de neuf intervenants sociaux. L’objectif était de repérer les faits saillants en ce qui concerne l’exercice de la paternité en milieu défavorisé. Ils ont constaté que « le modèle traditionnel de la paternité et la crise de l’identité masculine sont les deux principaux aspects qui émergent des propos des intervenants » (Lévesque, Perrault et Goulet, 1997, 97). Par « rôle traditionnel », ils entendent celui de pourvoyeur et d’agent de socialisation. Le fait d’avoir un emploi ainsi que la constitution d’une famille serait un indice de réussite et d’estime de soi chez les

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hommes. Les auteurs se questionnent sur la façon dont se vit cette réalité de père dans les milieux démunis étant donné que le modèle traditionnel y prédomine aussi.

L’étude tente alors de démontrer qu’il s’agit d’une condition difficile à supporter. Ces pères qui font face à une pauvreté extrême « sont dans une situation contradictoire puisque étant exclus des activités sociales de la vie publique (sans valorisation, sans emploi, etc.), cette situation ne leur permet donc pas de remplir les rôles qui leur sont attribués dans la vie privée, au sein de la famille » (Lévesque, Perrault et Goulet, 1997, 97). Ils abordent également la question de la crise de l’identité masculine que vivent les hommes dans le monde contemporain. Cette crise serait une conséquence de la place que les femmes occupent désormais. Elles ont gagné beaucoup de visibilité dans la sphère publique tandis que les hommes ne se retrouvent pas dans les tâches traditionnellement accomplies par les femmes, entre autres les soins de l’enfant et les responsabilités domestiques (organisation de la maison, tâches ménagères, etc.). Ces deux études ne ciblaient pas les familles immigrantes, mais donnent de bonnes pistes de réflexion. Or, l’immigration implique des ruptures, une crise identitaire, une reconstruction des liens, déstabilise l’individu. En quelque sorte, elle place en situation de précarité ces pères immigrants qui sont en quête d’identité à tous les niveaux (dimensions) : professionnel, social et personnel. Alors, que penser des familles immigrantes et de la place des hommes dans la transition à la paternité ?

1.3.1. DEUX QUI DEVIENNENT TROIS : UNE TRANSITION ASSEZ IMPORTANTE DANS LA VIE DE NOUVEAUX PARENTS

Denise Lemieux (2008) a recueilli des récits de transitions à la parentalité et les a analysés pour comprendre le passage de la vie de couple à la vie de parents. Parmi les témoignages, l’on retrouve des couples immigrants, des couples mixtes et des couples québécois. Le terrain de recherche rejoint alors le nôtre, le Québec, bien que les transformations de la dynamique de la petite famille soient différentes. L’auteure a divisé les récits par la durée des relations. Dans son étude, l’on constate que de façon générale, l’arrivée d’un enfant est toujours une source de stress, peu importe la culture et le temps de cohabitation. On y retrouve des couples qui avaient des conditions de vie diverses :

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une vie socio-économique stable, des jeunes adultes en recherche d’emploi, des familles reconstituées, des personnes qui ont perdu leur emploi pendant la grossesse et des immigrants. Dans son analyse, l’auteure a conclu que malgré cette variété de parcours, la période de transition à la parentalité comporte plus de ressemblances que de contrastes. C’est une période très exigeante dans la vie de couple, peu importe la condition sociale ou économique et l’origine ethnique. C’est une troisième personne qui rejoint le quotidien du couple et qui transforme leur routine et le rôle de chacun à l’intérieur de la famille.

L’étude de Guilbert et al. (2012) corrobore cette conclusion. Il s’agit d’un projet où cinq femmes de différentes nationalités (deux Québécoises, une Brésilienne, une Sénégalaise, une Tunisienne et une Nord-Américaine) ont été invitées à parler de leur expérience en tant que mère. Plusieurs outils ont été utilisés : le récit de vie, la carte mentale, l’atelier de l’imaginaire. De cette diversité de parcours de vie, il était ressorti que la maternité implique de nombreux défis dans le quotidien, mais que ces défis étaient similaires.

Dans ces deux études, l’on arrive à la problématique des familles immigrantes et des diversités de parcours. La figure du père n’est pas ciblée, mais l’étude parle des transitions après l’enfantement. De plus, l’approche méthodologique utilisée, soit le récit de vie, m’intéresse beaucoup puisque comme le définit bien Lemieux (2008), cela permet de saisir les transitions au cours du parcours migratoire, de voir le développement de chaque étape de la vie du couple, ainsi que de chacun des conjoints lors de cette transition à la parentalité.

1.3.2. APAISER LES DIFFÉRENCES CULTURELLES À TRAVERS LA COMMUNICATION INTERCULTURELLE

Les périodes de transition vers une nouvelle réalité impliquent beaucoup de négociations dans le couple, avec soi même et avec le milieu culturel fréquenté. Le travail de Matas et Pferfferkorn (1997) est une étude de reconstruction de mémoires d’immigrants réalisée à partir des récits de vie. Les auteurs ont interrogé des immigrants qui habitent en France depuis une quinzaine d’années. Dans ce travail, ils parlent du rôle de médiation

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adaptatrice de la communauté des patriotes qui est considérée au départ « comme une ‘‘micro-société’’ d’entraide et survie » (Matas et Pferfferkorn, 1997, 125). Par exemple, dans la présente étude, les participants ont été recrutés dans des groupes de discussion tenus par la communauté brésilienne de la région de Québec. Ce sont des communautés d’entraide virtuelle, Québec Bazar et Brasileiros-em-Québec. Quel est donc le rôle de ces communautés virtuelles dans l’adaptation de ces familles immigrantes au Québec ? La médiation consiste à créer des mécanismes qui favorisent la communication interculturelle, « elle sert à dissiper les malentendus, à atténuer les difficultés, à établir une relation adéquate » (Cohen-Emerique, 2001, 38). La médiation est une façon de « lire » l’Autre, de l’interpréter, il ne suffit pas de trouver les mots correspondants pour traduire, il faut aussi les mettre en contexte (Jewsiewick, 2004). La médiation crée des possibilités d’un dialogue entre cultures. De cette conversation surgit l’occasion de changements mutuels entre la société d’accueil et les pères immigrants. Au départ, les familles immigrantes ont besoin de trouver des repères dans ce nouvel espace culturel. Avec leur « communauté de langue et culture » (Matas et Pferffekorn, 1997) où sont cultivées des relations interpersonnelles, les « apprentis » des nouveaux savoir-faire et savoir-être peuvent trouver une « médiation vers un après » (Zittoun et Pferffekorn, 2001), une orientation face aux différences auxquelles ils sont confrontés.

Cohen-Emerique (2001) aborde la médiation en tant que processus qui peut à la fois faciliter la communication, d’autres fois résoudre une situation déterminée ou qui peut créer d’autres possibilités. « Dans le cas de la médiation interculturelle, l’objectif est de créer ou recréer la communication entre les acteurs du social et leurs clients. Toute interaction est susceptible de malentendus surtout quand s’y ajoutent des différences linguistiques et culturelles (Cohen-Emerique, 2001, 38) ».

Dans le cadre de cette recherche, le dialogue interculturel ne se limite pas aux rapports entre les immigrants et la société d’accueil. Le dialogue père-enfant est en quelque sorte une relation interculturelle puisque ces enfants grandissent dans deux mondes. À ce sujet, Manço (2001) parle de la difficulté d’exercer l’autorité paternelle dans une autre culture à cause de la dichotomie culturelle que vivent les enfants de parents immigrants

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puisque ces enfants « mènent ‘‘deux vies’’, celle de la maison et celle de l’école » (Manço, 2001, 25). Le travail de Matas et Pfefferkorn (1997) touche aussi la question de « l’intrusion » « des comportements et des attitudes souvent mal comprises ou rejétées par les parents, car perçues comme remettant en question les valeurs du groupe ». (Matas et Pefefferkorn, 1997,127). Il s’agit là d’une bonne piste de réflexion pour mon analyse. Est-ce que les habitudes incorporées par les enfants de mes interlocuteurs vont contre les valeurs identitaires des parents ?

Je tente alors d’identifier les vecteurs qui déclenchent ce dialogue dans leur quotidien et qui provoquent possiblement des changements. Qui est le médiateur de ce rapport interculturel à la maison ? Des négociations interculturelles surviennent assurément et je cherche à savoir comment se font ces échanges.

1.3.3. REFORMULER LA DYNAMIQUE FAMILIALE DANS UN CONTEXTE D’IMMIGRATION

Concernant la dynamique de familles immigrantes, j’ai trouvé de bonnes pistes de réflexion dans les travaux menés par Dyke et Saucier (2000) ainsi que Hernandez (2007). Ces deux études s’intéressent aux familles immigrantes dans la région de Montréal. La première étude porte sur les impacts de l’immigration dans l’exercice de la paternité, y compris les changements dans la relation de couple, avec les enfants et avec la famille étendue. Les auteurs cherchent à comprendre comment les pères se placent par rapport aux « idéaux occidentaux tels que la valorisation de l’implication du père, l’égalitarisme à l’intérieur des relations familiales, et l’affectivité comme sens et motivation de ces relations » (Dyke et Saucier, 2000, 85). Les familles immigrantes participantes à cette étude étaient d’origine vietnamienne et haïtienne. Hernandez (2007) s’intéresse quant à lui au vécu familial des hommes issus de l’immigration. Son étude s’était réalisée au sein d’un CLSC où il y avait une clientèle immigrante très représentative.

À partir de la lecture du premier travail (Dyke et Saucier, 2000), quelques exemples sont ressortis et illustrent bien certaines transformations concrètes dans la dynamique des familles immigrantes. Dans les deux cultures, soit haïtienne et vietnamienne, le rôle de père pourvoyeur est très fort et celui-ci est extensif à la famille étendue (parents, frère,

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sœur, etc.). Pourtant, l’installation de ces familles au Québec a provoqué des ajustements à ce niveau puisque les revenus ne suffisaient pas pour que le père puisse assurer pleinement ce rôle de pourvoyeur. Avec cette nouvelle réalité, il n’était alors plus question d’avoir une famille nombreuse comme dans le pays d’origine.

La participation du père à la maison a été aussi transformée. Le manque d’aide des proches, comme la mère, la belle-mère, la sœur, etc., a provoqué la participation du père aux soins du bébé et aux tâches ménagères. Cette absence s’est également ressentie lors d’une nouvelle grossesse. Par exemple, la participation du père lors de l’accouchement ne faisait pas partie de leur culture d’origine, mais au Québec, ils étaient présents dans la salle d’accouchement. C’est que les auteurs appellent de la « paternité hybride », un ajustement dû à l’immigration que vivent ces pères. Il est important de mentionner que ce partage n’est pas égalitaire et que cette négociation cause des tensions à l’intérieur du couple. Je m’attarderai plus loin sur cette négociation de rôles chez ces familles immigrantes qui expérimentent notamment « une rupture avec les modèles traditionnels de la vie de famille » (Dyke et Saucier, 2000, 93).

L’harmonisation avec la culture locale était l’un des points abordés dans le travail de Hernandez (2007). Selon lui, il s’agit de trouver un équilibre dans le nouveau milieu, la société d’adoption. Il s’intéresse aux changements de comportement au niveau familial et individuel, ainsi qu’au rôle masculin traditionnel, celle du pourvoyeur abordé précédemment. D’après Hernandez (2007), « la transformation des rôles au sein du foyer renvoie donc à la transformation des manières de penser, de croire, d’être en relation, de se comporter en tant que mari ou épouse, en tant que père ou mère, en tant que fils ou fille, en tant qu’aîné, dès lors que la famille immigrante est plongée dans un nouveau contexte socioéconomique et culturel » (Hernandez, 2007, 28).

En fait, toute la dynamique familiale est affectée dans un contexte d’immigration. L’auteur illustre bien la vulnérabilité à laquelle sont confrontées ces familles en donnant l’exemple des enfants qui, maitrisant bien la langue locale, agissent en tant qu’interprètes pour leurs parents. C’est donc une inversion de rôles, les enfants ont plus de « voix » que leurs parents ! Ils jouent le rôle de médiateur culturel (Jewsiewick, 2004) puisqu’à part le fait

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de maîtriser la langue, ils fréquentent des espaces sociaux, comme l’école, qui leur permettent d’expérimenter la vraie vie locale. D’ailleurs, il existe toute une adéquation de rôles envers les normes socioculturelles locales. Quelles sont les attentes de la société d’accueil concernant l’exercice de la paternité ? Chaque culture a ses propres valeurs et ses propres « codes » de conduite (Hernandez, 2007). Effectivement, immigrer et devenir parent implique un exercice d’adaptation complexe. Puis, pour ceux qui ont déjà vécu la transition à la paternité, s’établir dans un nouveau pays provoque un déséquilibre de la famille, ce qui rend confuse l’appropriation des rôles qui était bien définie dans le pays d’origine.

Le travail de Hernandez (2007) touche aussi la question du niveau scolaire et du statut professionnel de certains immigrants dans leur pays d’origine. Ces qualifications les ont peut-être poussés vers l’immigration. Pourtant, une fois sur place, il existe divers obstacles qui les empêchent d’occuper des postes dans leur métier, comme la barrière de la langue, le manque d’expérience, la méconnaissance de la culture organisationnelle, l’absence d’un réseau de contacts, la validation des diplômes, etc. Le « rêve nord-américain » est loin de la réalité vécue, la qualité de vie est donc affectée. Dans bien des cas, ces gens vont accepter des postes qui ne correspondent pas à leurs qualifications et même accumuler plusieurs boulots pour garantir un revenu adéquat. La perte du statut professionnel est une perte de plus à gérer.

1.3.4. LES ATTENTES DE LA SOCIÉTÉ ENVERS LES PARENTS

Concernant les attentes sociales, le travail de Montigny et al. (2012) aborde la pression vécue par les pères dont les conjointes ont choisi de ne pas allaiter ou sevrer leurs enfants précocement. Gervais et al. (2009) a étudié les influences au sein même de la famille dans une recherche portant sur l’engagement du père et sur la construction de l’identité paternelle. Ils ont fait une comparaison de l’exercice de la paternité chez les immigrants d’origine maghrébine de première et deuxième génération. Par ailleurs, les travaux de Battaglini et al. (2002) et de Gervais et de Montigny (2008) s’attardent aux nouvelles possibilités qui s’offrent lorsque l’on plonge dans une nouvelle réalité culturelle.

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L’étude de Montigny et al. (2012) traite des pressions sociales vécues par des pères sous l’angle de l’allaitement maternel. En fait, l’allaitement serait la chose attendue par la société, mais il n’était pas une question prioritaire chez les couples ciblés dans cette étude. Les enfants n’ont pas du tout été allaités ou ils ont été sevrés au cours du premier mois. L’article porte sur les effets de cette décision sur leur rôle en tant que père, la vie de famille et le soutien professionnel reçu quand il y avait des difficultés auprès du nouveau-né (la perte de poids, le reflux, les coliques, etc.). Les auteurs s’interrogeaient sur la réaction des pères qui décident d’aller à contre-courant lorsque l’Organisation mondiale de la Santé et les professionnels de la santé en général font la recommandation du lait maternel et que des recherches scientifiques prouvent la supériorité de ce lait. L’étude démontre que malgré le jugement des professionnels de la santé et même de leurs propres familles, des aspects très positifs sont ressortis en ce qui concerne l’engagement paternel. Il a été démontré que cette décision contribue davantage à créer des liens plus étroits dans le rapport père-enfant et qu’il y avait des retombées sur la vie familiale. Les tâches parentales étaient également partagées et les pères se sentaient plus utiles du fait de pouvoir aussi nourrir leurs enfants. Par contre, ces familles éprouvent un sentiment de culpabilité d’aller à contre-courant, croyant ne pas être de bons parents. Quelques participants à l’étude éprouvaient un sentiment d’échec en tant que parents puisqu’il existe beaucoup de soutien pour bien réussir l’allaitement et donner ainsi tout le « bonheur et la santé » à l’enfant.

La problématique des pères immigrants n’était pas présente dans cette étude, mais rejoint quand même ma réflexion en ce qui concerne le poids des normes sociales sur l’exercice de la paternité. Or, si l’on pense aux pères immigrants, leur conception sur la paternité ne correspond pas nécessairement aux normes locales. Le fait d’immigrer les force même à se redéfinir de façon indirecte, à se repositionner par rapport aux normes locales. Pour autant, comment être conforme à ces normes que vous ne connaissez pas ? C’est quoi être un bon père québécois ? Comment ces pères se positionnent-ils, et comment leur identité paternelle est-elle reconstruite ou redéfinie ?

L’autre étude faite dans cette optique de pression sociale est celle de Gervais et al. (2009), laquelle s’intéresse à la paternité chez les familles maghrébines de première et

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deuxième génération. L’étude cherche à savoir comment se construit l’identité paternelle chez les hommes qui vivent l’expérience migratoire et la transition à la parentalité. Selon les auteurs, la construction de cette identité passe par l’engagement en tant que père. La façon d’exercer la paternité sera inspirée des expériences vécues avec leur propre père bien plus que par la culture dans laquelle ils sont maintenant inscrits. L’exercice de la paternité chez les familles immigrantes implique donc une redéfinition des rôles de la parenté sous l’influence de facteurs internes et externes à la famille.

Concernant la « réinvention » de la paternité en contexte migratoire, le texte de Battaglini et al. (2002) apporte de bonnes pistes de réflexion. Tel qu’abordé par les auteurs, « lorsqu’on s’intéresse aux pères immigrants, on peut s’interroger plus précisément sur la perméabilité de leur rôle et de leur place face à l’expérience migratoire qui entraîne une restructuration de la famille et qui remanie l’implication de chacun de ses membres » (Battaglini et al., 2002, 166). Le travail est alors fait à partir du regard des conjointes. Comment voient-elles l’engagement de leur conjoint auprès des enfants après l’immigration ? Selon l’auteur, dès l’arrivée dans un autre pays, d’autres possibilités s’ouvrent pour l’exercice de la paternité. Par exemple, il arrive que dans certaines cultures, l’implication du père auprès de l’enfant soit mal perçue. La mère compte sur l’aide d’un réseau familial. Or, l’expérience migratoire présente de nouveaux besoins. Le vide laissé par la famille pourrait alors être comblé par le conjoint. Selon l’auteur, c’est ce qui favorise entre autres l’engagement paternel (Battaglini et al., 2002).

D’ailleurs, l’étude aborde aussi la question des attentes des parents à l’égard des enfants. Par exemple, la préoccupation par rapport à l’intégration de ceux-ci influence la façon dont ces pères immigrants vont les éduquer. On revient ici à la question des influences extérieures, de la culture locale, c’est-à-dire que des balises seront redéfinies par rapport au nouveau contexte social. Il existe donc une adéquation des valeurs et coutumes à transmettre pour répondre à ces nouveaux besoins. L’immigration représente donc une possibilité de faire les choses autrement, « c’est une expérience favorisant l’émergence d’exceptions aux normes qui prévalaient au pays d’origine quant aux valeurs et aux comportements paternels » (Battaglini et al., 2002, 177).

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1.3.5. LES ENJEUX D’ÊTRE PÈRE DANS UN CONTEXTE INTERCULTUREL

Les enjeux auxquels les hommes issus de l’immigration font face sont nombreux. Il s’agit de transformations dans la vie conjugale, dans la vie professionnelle et dans la vie familiale (De Montigny et al., 2015). Il s’agit d’un exercice complexe d’adaptation à un nouveau statut (immigrant) dans la société d’adoption ainsi qu’une re-reconfiguration (père-immigrant) à travers la paternité. Cela implique ainsi une reconstruction des liens avec la société d’adoption. Être père dans un contexte interculturel suppose également des ajustements des certains concepts ancrés dans la culture d’origine car les méthodes disciplinaires peuvent changer selon l’optique culturelle. Par exemple, le châtiment corporel chez les latino-américains n’est pas associé aux « concepts de violence et d’insensibilité parentale qui y sont associés dans la société d’accueil » (Pangop, 2015 cité par De Montigny et al., 2015, 28) . Alors, comment harmoniser (Hernandez, 2007) ces différences culturelles chez les familles immigrantes? Comment ces pères immigrants se positionnent-ils? Les comportements adoptés « ne se moulent pas précisément à ceux préconisés par la société d’accueil, tout en étant différents de ceux attendus dans le pays d’origine » (De Montigny, 2015, 25). De plus, la perte du réseau familiale prive ces familles « d’un soutien affectif et moral élémentaire » (Montigny, 2015, 28) nécessaire dans ces périodes de transition majeure que représente la paternité. En effet, la migration et la naissance sont des moments singuliers dans la vie de l’individu. Dans ce processus d’adaptation, il y a bien sûr des gains et des pertes. Il faut se réinventer en tant qu’immigré et en tant que parent, négocier de nouveaux rôles à l’intérieur de la famille, se repositionner au sein de la société. Certains individus vont s’ouvrir davantage aux modèles proposés, tandis que d’autres se montreront réfractaires. De nouveaux défis et de nouvelles responsabilités s’ajoutent au quotidien de la famille, tout un ensemble de facteurs qui contribuent à fragiliser la famille et le processus d’intégration. Il s’agit d’une période d’apprentissages, de conflits culturels, de reconstruction identitaire.

Alors que les études consacrées à la question de la paternité sont nombreuses (Antil et O’Neill, 1997; Battaglini et al., 2002; Tremblay, 2009; Zaouche-Gaudron, 2009; Lévesque et al., 1997; Dyke et Saucier, 2000; Hernandez, 2007; Gervais et De Montigny, 2008;

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Gervais et al., 2009 ; De Montigny et al., 2015), je constate néanmoins dans l’ensemble l’absence de certaines thématiques qui, abordées selon une approche ethnologique, pourront venir enrichir la réflexion sur la paternité en contexte migratoire. L’immigration d’origine latino-américaine n’étant pas tout aussi bien explorée, je propose d’axer ma problématique sur la paternité en contexte d’immigration chez les hommes brésiliens.

1.3.6. PROBLÉMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE

La revue littéraire m’a permis d’identifier les questions liées à l’instabilité identitaire, aux pressions internes et externes, ainsi qu’aux nouvelles possibilités qui s’ouvrent avec l’immigration. En proposant d’étudier la question des pères immigrants d’origine latino-américaine, plus précisément les pères brésiliens, je cherche avant tout à enrichir la réflexion sur l’immigration en m’intéressant à la manière dont ces migrants vivent l’immigration et la paternité en tant qu’expatriés dans le Québec contemporain.

Dans un contexte migratoire, les immigrés brésiliens se voient en quelque sorte obligés de combler les espaces vides laissés par leurs familles. Ceci conduit à une question de recherche principale : la rupture des liens, principalement les liens familiaux, offre-t-elle la possibilité de reconstruire des liens plus étroits qui conduisent à l’engagement paternel ou conduit-elle à une crispation sur les habitudes culturelles acquises dans le pays d’origine ? Je tente de comprendre les changements influencés par la culture locale dans leur quotidien à la maison. Quels sont les impacts de l’immigration dans la dynamique familiale ? Quelle est la place du père dans le couple ? Dans leur territoire privé, à la maison, sentent-ils la pression pour s’ajuster à la culture locale ? Qu’incorporent-ils dans ce nouvel environnement ? Enfin, comment ces pères construisent-il ou reconstruisent-ils leur identité paternelle ? Des réponses à ces questions permettront de comprendrela dialectique entre l’influence culturelle et les valeurs identitaires acquises et redéfinies localement dans la situation de père. Il me semble en effet qu’au sein de la famille, certaines valeurs transmises de manière empirique sont moins influençables que celles qu’on laisse apparaître dans un contexte public, en situation d’immigré, c’est-à-dire que l’essence de l’identité a des relents conservateurs au sein de la famille.

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CHAPITRE 2 :

CADRE CONCEPTUEL

2. L’APPROCHE CONCEPTUELLE

Pour développer notre analyse, il faut d’abord s’entendre sur quelques définitions, notamment les notions de culture, d’identité, d’appartenance, de choc culturel et de transition. À propos de la culture je fais une brève définition, puisqu’essayer de la définir est, en quelque sorte, une tentative de raconter l’histoire d’une société (Clanet, 1990). La culture doit être comprise dans un champ symbolique plus large, comblé par des codes symboliques divers qui permettent même de prendre en compte le concept d’identité sur lequel je m’arrêterai. Or, on ne saura parler de construction de l’identité culturelle sans aborder la question de l’appartenance dans un contexte de rapport à l’Autre et, bien évidemment, la problématique du choc culturel, ce qui me permettra de mieux saisir mon raisonnement. Finalement, je ne pourrai outrepasser le concept des transitions car elles sont multiples dans ce processus de passage d’une réalité familière vers une nouvelle vie à découvrir.

2.1. LA CULTURE

La culture [est] comme un ensemble de systèmes de significations propres à un groupe ou à un sous-groupe, [un] ensemble de significations prépondérantes qui apparaissent comme valeurs et donnent naissance à des règles et à des normes que le groupe conserve et s’efforce de transmettre et par lesquelles il se particularise, se différencie des groupes voisins. (Clanet, 1990, 16)

Selon Clanet (1990), tout individu est amené à interagir en créant des liens d’identification et d’adhésion avec l’ensemble de l’univers symbolique qui l’entoure. En adhérant à certains symboles, il en réfute en même temps quelques autres. Néanmoins, la culture est dynamique, c’est ce qui permet la reformulation des liens. L’auteur poursuit son propos en remarquant que le sujet interagit aussi avec son groupe. Il « est amené à percevoir, penser, agir… de façon semblable aux autres membres de la collectivité dans la mesure même où il s’est approprié ces formes imaginaires/symboliques proposées par

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le contexte; ainsi, l’individu acquiert une “identité culturelle” » (Clanet, 1990, 16). Je dois également aborder ce concept.

2.2. L’IDENTITÉ CULTURELLE

Le concept d’identité, comme celui de la culture, est ancré dans un univers symbolique, tout aussi complexe. Il se mélange même avec les multiples approches utilisées pour comprendre la culture. Pour l’instant, je prends comme point de départ l’analyse de Dubar (2000). Selon lui, l’individu est investi par la culture. Il est donc porteur d’une identité culturelle que Dubar considère comme étant « le résultat d’une “identification” contingente » (p. 3). Il s’agit des liens d’identification tissés avec son entourage et l’individu se positionne par rapport à l’environnement auquel il est inscrit (Hall, 2003; Vinsonneau, 2012). L’identité est en fait l’essence de l’individu (Dubar, 2000).

L’identité culturelle n’est pas figée, elle représente un ensemble de « conformités » qui ont été partagées par un groupe, une société. Selon Hall (2003), l’identité culturelle représente ce qu’il appelle le positioning. Il la décrit ainsi : « cultures identities are the points of identification, the unstable points of identification or suture, which are made, within the discourse of history and culture » (Hall, 2003, 237). Vinsonneau (2012) la définit également dans cette ligne de pensée en disant que l’identification identitaire est « un incessant mouvement dialectique fait d’emprunts et d’ajouts, d’assimilation et d’exclusion » (Vinsonneau, 2012, 26). La définition de Guilbert (1990) rejoint aussi cette idée de positionnement. Selon l’auteur, l’identité culturelle représente la façon dont l’individu se positionne « face à des règles de comportement, des valeurs, des normes et des buts communs » (Guilbert, 1990, 9).

Du texte de Lipiansky (1990), on dégage deux notions d’identité : l’identité sociale et l’identité personnelle. Pour la première notion, il la définit comme déjà cité antérieurement. L’identité sociale serait le résultat de « la position du sujet dans la culture et la société et de son appartenance à différentes catégories biosociales », par exemple la nationalité, la profession et les rôles sociaux. Quant à l’identité personnelle, il la définit comme « une perception subjective qu’a un sujet de son individualité; elle inclut des notions comme la conscience de soi, la définition de soi » (Lipiansky, 1990, 173). Selon

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l’auteur, ces deux catégorisations ne représentent pas un écart. Au contraire, l’identité sociale constitue l’appropriation de l’identité personnelle. Selon Lipiansky (1990), l’identité ne se construit que par des interactions sociales, on ne pourrait pas le saisir dans l’isolement. Elle se crée par rapport à des expériences vécues ainsi que par des moments présents.

Alors, comment intégrer ces notions dans le cadre de mon travail où les individus qui vivent l’expérience migratoire expérimentent aussi une rupture avec leurs attachements culturels d’origine ? Comment ces individus vont-ils se positionner face à une nouvelle réalité sociale qu’ils ne connaissent pas alors qu’ils ne sont peut-être pas reconnus ou peu visibles ? Tel que constaté dans mes lectures, on ne peut définir l’identité dans l’isolement (Lipiansky, 1990), il faut tisser des liens avec les acteurs sociaux locaux pour y devenir aussi sujet et acteur (Vatz Laaroussi, 2005a). Ce qui m’amène à parler de lien d’appartenances.

2.3. LES LIENS D’APPARTENANCE

Le sentiment d’appartenance s’inscrit dans des logiques sociales et culturelles. Il se construit à travers des dimensions à la fois symboliques et émotionnelles fortes. La question d’appartenance renvoie inéluctablement à la notion d’identité. (Guilbert, 2005, 11)

Les individus ont besoin d’une sécurité identitaire, d’être reconnus, d’être visibles. L’absence de cette légitimation par l’autre met les individus en position marginale, d’exclusion (Lipiansky, 1990). L’arrivée dans un nouveau groupe déclenche alors une quête de reconnaissance, pour « trouver une continuité à travers les ruptures » (Guilbert, 2004, 216). Ces individus sont en quête de « visibilité sociale », terme utilisé par Lipiansky (1990) parce qu’être reconnu, « c’est se sentir exister, être pris en compte, mais aussi avoir sa place, faire partie du groupe, être inclus dans la communauté des ‘‘nous’’ » (Lipiansky, 1990, 180). Guilbert (2004) rappelle le concept de besoin de sécurité ontologique, défini par Anthony Giddens comme étant « la confiance de base de l’individu dans ses relations avec les autres et avec son environnement » (Giddens cité par Guilbert, 2004, 215).

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Plonger dans une nouvelle société amène les individus à mettre en œuvre des stratégies pour y trouver des repères, pour s’y attacher. Il faut donc créer des liens d’appartenance dans ce nouveau contexte culturel. Ces liens d’appartenance sont ainsi définis par Guilbert (2005) : « de nouvelles alliances et rapports à l’Autre, une appropriation de nouveaux lieux physiques et symboliques » (p. 6). Chaque individu développe ses stratégies d’insertion selon l’expérience de vie (Guilbert, 2005). Toujours selon Guilbert (2005), le sentiment d’appartenance est comme le sentiment d’appartenir à une communauté, d’être « une partie intégrante d’une famille, d’un groupe ou d’un réseau » (Guilbert, 2005, 7). Pour pénétrer le quotidien de cette nouvelle réalité, il faut donc lancer des stratégies, prochaine étape de notre étude.

La stratégie identitaire a été objet d’intérêt de l’étude de Kastersztein (1990). Selon l’auteur, « appartenir à une autre culture, une nation, un groupe implique qu’on soit reconnu comme semblable aux autres sur quelques caractéristiques jugées essentielles, mais rarement explicitées » (p. 32). Les comportements qu’adoptent les individus confrontés à d’autres réalités culturelles leur « permettront de prouver son appartenance ou de démontrer sa volonté d’intégration » (p. 33). Kastersztein (1990) identifie trois différentes possibilités de se faire reconnaître ou de démontrer l’envie de s’intégrer : la conformisation, l’anonymat et l’assimilation. Pour la conformisation, il s’attarde sur la question d’accepter les logiques sociales locales, cesser d’aller à leur encontre. Les individus les acceptent, même s’ils ne sont pas d’accord (Kastersztein, 1990). Pour l’anonymat, l’auteur parle de la décision de l’individu de ne pas se manifester, de passer inaperçu. Et finalement, pour l’assimilation, ce serait l’incorporation des « valeurs et des normes dominantes » (p. 35).

Ces comportements sont adoptés « en fonction de la représentation qu’ils se font de ce qui est mis en cause dans la situation, des enjeux et des finalités perçues, mais également en fonction de l’état du système dans lequel ils sont impliqués et qui fait peser sur eux une pression constante à agir dans tel sens » (Kastersztein, 1990, 31). L’adoption d’une tactique ou d’une autre est faite dans le but « de résoudre des conflits identitaires au profit du système social dominant » (Kastersztein, 1990, 36), mais selon l’auteur, d’autres stratégies sont mises en œuvre lorsque celles-ci ne répondent pas à leur objectif

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(Kastersztein, 1990). Pour les besoins de cette recherche, je vais m’attarder à ces trois stratégies déjà citées.

La définition de Taboada-Leonetti (1990) pourrait être également considérée. L’auteur définit les stratégies identitaires comme un ajustement individuel aux logiques sociales « en fonction de la variation des situations et des enjeux qu’elles suscitent » (Taboada-Leonetti, 1990, 49). Selon l’auteur, trois éléments sont nécessaires pour déclencher le « processus de stratégie identitaire […] les acteurs, individuels ou collectifs; la situation dans laquelle sont impliqués les acteurs et les enjeux produits par cette situation; les finalités poursuivies par les acteurs » (Taboada-Leonetti, 1990, 51).

Dans ce travail de recherche, je veux identifier les stratégies qui sont adoptées par ces pères immigrés pour tisser des liens d’appartenance avec cette nouvelle réalité sociale puisque chaque départ ouvre la possibilité d’un renouvellement d’alliances entre différents sujets. Ce nouveau chapitre de l’histoire individuelle s’inscrit dans le contexte plus large de la société (Sauvain-Dugerdil et Preiswerk, 1993), terrain où les identités culturelles diverses sont mises à profit. Le milieu d’accueil devient donc un espace de négociation culturel entre ceux qui maîtrisent bien les besoins locaux et les autres qui apportent de nouveaux concepts. Cette reconstruction de liens d’appartenance suppose « une appropriation de nouveaux lieux physiques et symboliques » (Guilbert, 2005, 6). À partir de ces échanges, je cherche à connaître les impacts sur la famille et la vie privée.

2.4. LE CHOC CULTUREL

Les définitions sur la culture et l’identité convergent : nos actions sont investies par notre culture (Guilbert, 1990; Lipiansky, 1990; Hall, 2003; Vinsonneau, 2012). En considérant la réalité du Québec contemporain, il semble que le choc culturel est inévitable puisque l’on parle d’une société où la diversité culturelle est présente (MIDI, 2013). Il s’agit d’une collectivité porteuse de pratiques culturelles diverses qui partage un même espace à la fois physique (travail, école, hôpital, centre de loisirs, etc.) et symbolique (la façon d’agir et de penser une certaine situation, par exemple la paternité). Selon Guilbert, le choc culturel représente « l’écart entre les manières de penser le monde et de faire les choses dans un contexte administratif et public » (Guilbert, 2004, 213).

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Vinsonneau (2012) aborde aussi ce concept de choc culturel. Selon l’auteure, ce dernier représente une situation « généralement douloureuse et conflictuelle, qu’éprouve un acteur posé au défi de gérer des interactions sociales alors qu’il est brutalement immergé en milieu inconnu, sans avoir à sa disposition habituelle et/ou privée des repères socioculturels qui lui sont familiers, le sujet peut alors vivre les affres d’une désorientation proche de la détresse, qui le met véritablement en ‘‘état de choc’’ » (Vinsonneau, 2012, 35). L’auteure distingue quatre différentes étapes de ce choc, qu’il appelle « le modèle de la courbe en U ». La première étape est marquée par une période de découverte, « d’enchantement, d’enthousiasme », tout comme la lune de miel. La seconde, c’est l’étape d’incompréhension, de questionnements, ce qui provoque une « crise chez l’individu qui fait monter en lui divers sentiments d’inadéquation, de frustration, d’anxiété et de colère » (p. 38). L’effet de nouveauté qui avait captivé son attention passe alors à la critique (Vinsonneau, 2012). Survient ensuite l’étape d’intégration « graduelle par apprentissage de la culture étrangère » (p. 39), lorsque l’individu est plus familiarisé avec les us et coutumes locaux. Puis, la courbe en U est complète quand l’intégration est réussie, quand « l’étrange devient ordinaire » (p. 39).

En bref, dans cette terre d’accueil qu’est le Québec contemporain, nos interlocuteurs sont interpellés par d’autres savoir-faire et savoir-être. Dans ce nouveau terrain, les pères immigrants reconstruisent leur identité culturelle, à l’aide de liens tissés avec la société où ils sont accueillis. Ce lieu de passage et d’ajustement est marqué par des transitions vécus par ces pères.

2.5. LA TRANSITION

La notion de transition inclut deux idées : d’un côté, que la personne vit une forme de ‘‘rupture’’ avec une forme de vie antérieure; de l’autre, que la personne est nécessairement ‘‘en changement’’pour s’adapter à des nouvelles conditions. (Zittoun et Perret-Clermont, 2001, 1)

Ruptures, adaptations, redéfinition identitaires, nouveaux rôles, adaptation à une nouvelle réalité, etc. Le passage d’un territoire familier vers un autre inconnu implique des transitions. Immigrer et devenir parent sont des périodes de transitions profondes dans la vie d’une personne. Les déplacements géographiques ne se limitent pas

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seulement à traverser des frontières physiques, ils représentent aussi un voyage profond sur soi (Mattas et Pfefferkon, 1997), qui ébranle l’essence de l’individu, qui ne « met pas seulement en évidence mais, aussi en péril, l’identité » (Grinberg et Grinberg, 1986, 42). Le passage à la paternité est ponctué de redéfinitions identitaires, de négociation des rôles et du statut de la personne, de nouvelles relations interpersonnelles (Zittoun et Perret-Clermont, 2001). Immigrer et devenir parent implique donc des changements majeurs dans le quotidien d’un individu : la discontinuité d’une vie familière suivie d’un saut dans un nouveau territoire avec d’autres configurations sociales, la création d’un espace de transition.

La transition est un lieu de passage où il y a beaucoup des choses à assimiler et « tout ce travail d’acquisition de compétences méta-reflexives, travail de re-signification des apprentissages, re-définition de soi, ne peut se faire dans l’urgence » (Zittoun, Tania et Perret-Clemont, 2001, 9). Le monde auquel l’individu appartenait est resté derrière et il doit maintenant composer avec le monde présent. Tel qu’énoncé par Matas et Pfefferkorn (1997, 129) « quitter un pays équivaut en quelque sorte à une nouvelle naissance ». Grinberg et Grinberg (1986), faisant référence à l’individu immigré, parlent de la nécessité d’avoir un espace « potentiel » qui sert de lieu de passage et de transition puisqu’en l’absence de cet espace, survient la perte de la capacité de symbolisation. C’est un processus subjectif où la personne est en quête de re-signification personnelle par rapport sa nouvelle réalité, soit celle d’immigrant et parent dans le cadre de la présente étude.

La transition est donc un espace créé lorsque l’individu vit une rupture avec une vie antérieure et doit s’ajuster à des nouvelles conditions (Zittoun et Perret-Clermont, 2001). C’est le passage d’un monde vers l’autre, consistant non seulement à franchir des frontières physiques, mais qui « se traduit parallèlement par un véritable déplacement intérieur » (Matas et Pfefferkorn, 1997, 125), c’est transformer une mode de vie antérieur par rapport à la réalité présente.

Les participants à cette recherche sont confrontés à des défis complexes : se retrouver dans la culture locale en tant qu’individu, en tant que professionnel et en tant que père. Ils sont constamment appelés à se positionner, à faire des choix entre les repères d’ici et

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