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Mario – Se lancer dans l’aventure : une offre d’emploi, le mariage, l’immigration, la paternité dans une

CHAPITRE 4 : ANALYSE DE DONNÉES

4. Le travail de terrain

4.1.1. Mario – Se lancer dans l’aventure : une offre d’emploi, le mariage, l’immigration, la paternité dans une

FROIDE

Mon travail de terrain a débuté avec Mario, qui m’a invitée chez lui pour l’entrevue. Au moment de notre rencontre, son bébé n’avait pas encore un an. La transition à cette nouvelle réalité de père était donc en processus d’apprentissage. Mario est arrivé au pays accompagné de sa conjointe. Il avait un visa de travail. C’était le début du printemps au Québec. La saison a de l’importance puisque pour chacun des participants, le climat du Québec a eu de l’influence sur leur mode de vie. Mario a été engagé lors d’une mission de recrutement au Brésil. Pour lui, il ne s’agissait pas d’une première expérience comme expatrié puisqu’il avait déjà vécu et travaillé aux États-Unis. Il avait donc déjà expérimenté le fait de sortir de sa zone de confort, de se questionner sur son identité et de reformuler sa propre identité par rapport à l’Autre puisqu’habiter dans un nouveau milieu culturel est une invitation aux questionnements. Le couple vivait plusieurs transitions dans un court laps de temps.

L’immigration n’était pas le seul grand changement dans sa vie et dans celle de sa conjointe. L’arrivée au pays d’adoption représentait également le début de la vie commune, la vie de couple. « Il s’agissait de deux luttes : l’immigration et le mariage » [en portugais : Eram duas lutas : imigrar e o casamento], dit Mario, démontrant avoir la conscience du poids que représente la réalité à laquelle il a fait face. Au Brésil, ils n’avaient jamais habité ensemble. Mario travaillait dans une autre ville et le mariage faisait partie de leurs plans. Ce projet a été accéléré quand une possibilité d’emploi s’est présentée à Québec. Cette ville n’était pas vraiment dans leur plan d’immigration puisque la langue française était une barrière. Mais puisqu’ils maîtrisaient bien l’anglais et que l’environnement du travail offert était bilingue, la langue n’était plus une difficulté. Seulement quatre mois se sont passés entre l’entrevue initiale au Brésil et leur déménagement au Québec.

Au début de leur vie au Québec, ils étaient sous le charme de leur nouveau milieu de vie. « Cet enchantement est temporaire et quand le nouveau devient la routine, le choc vient » [en portugais : É um encanto temporário e quando a rotina se torna a realidade vem o choque], dit Mario en parlant des différents moments de sa trajectoire en tant que nouvel arrivant. Il évoque le deuil vécu. C’est un mélange de sentiments par rapport à son nouveau quotidien qui, au fur et à mesure, devient de la routine et qui s’ajoute aux souvenirs de son ancienne vie au Brésil. C’est le moment de la confrontation des réalités différentes. C’est le choc culturel qui prend la place. Ce moment de transition et de confrontation est très évident dans son récit.

Du côté professionnel, par contre, aucun élément ne révèle un éventuel choc culturel par rapport à la culture organisationnelle, à la façon de travailler au Québec et au Brésil. À aucun moment, il n’a comparé la façon de faire, il a plutôt parlé d’une intégration au travail bien réussie. L’équipe à laquelle il était intégré n’était formée que par des Canadiens. Il s’agissait d’un projet déjà en cours avec une charge de travail assez lourde. « On faisait des heures et des heures supplémentaires, mais cela allait très bien » [en portugais : Faziamos muitas horas extras, mas não tinha problema], dit-il. Il se sentait bien intégré et n’a pas ressenti de préjugés par le fait d’être immigrant. Même s’il n’avait pas beaucoup d’opportunités pour tisser des liens d’amitié en dehors des heures de travail, il était très

ouvert et ne voyait pas sa condition d’immigrant comme un frein. « S’il existe une synergie les liens seront tissés, peu importe la nationalité » [en portugais : Se existe uma sinergia, laços serão feitos, independente da cultura], dit Mario. Il se sentait très bien accueilli dans son nouvel environnement professionnel. Son réseau social était formé surtout par des compatriotes, nouveaux arrivants comme sa conjointe et lui.

La grossesse est arrivée par surprise, autant pour sa conjointe que pour lui. Cela représentait une nouvelle étape, d’autres découvertes et transitions à vivre avec l’arrivée d’un nouveau-né. Il fallait s’approprier de nouveaux rôles proposés par la parentalité. Provenant d’une culture où l’accouchement est vu comme un processus douloureux et une « chose d’antan », c’est-à-dire pratiqué dans le temps des grands-mères, tomber enceinte au Québec a déclenché tout un travail psychologique. Les rituels qui entourent la grossesse ne sont pas pareils et cela a été bien constaté lors de notre travail de terrain. Des rendez-vous chez le médecin étaient toujours comparés à la façon de faire au Brésil. « Il y a des choses qui seront surveillées de plus près au Brésil, mais ici ils disent que c’est normal » [en portugais : Tem algumas coisas que no Brasil eles vão dar mais atenção e que aqui eles dizem que é normal], dit Mario. « Si le médecin dit que c’est normal, oui, je l’accepte, mais cela n’enlève pas mon angoisse » [en portugais : Se o médico diz que é normal, tudo bem, mas isso não tira a minha angustia]. Il sentait un peu la distance entre le patient et le médecin par rapport à l’approche au Brésil. J’ai senti alors que certaines façons de faire au Québec le dérangeaient.

À 42 semaines de grossesse, il a été nécessaire de provoquer l’accouchement. Mario était présent tout au long du travail. Puis, pour soulager sa conjointe, il a mis en pratique quelques techniques (ballon et massage) apprises dans un cours offert par le CLSC, qu’il a d’ailleurs fait à deux reprises, une fois en français et une deuxième en anglais. Il voulait être sûr d’avoir bien compris les consignes pour mieux remplir leur nouveau rôle de parents.

Il poursuit en racontant le moment de l’accouchement : « Le travail était long… Je trouve qu’ils laissent le patient aller au bout des limites physiques… ils vont tout essayer avant de prendre la décision de faire une césarienne… Leur préoccupation c’est le bébé et non

la mère… L’accouchement était tout à fait différent de ce qu’on imaginait. Ce fut confus, intense » [en portugais : O trabalho de parto foi muito demorado... acho que eles deixam a situação chegar no limite... eles fazem de tudo para evitar uma cesárea... a preocupação deles é o bêbe não a mãe... o parto foi muito diferente do que imaginavamos].

La mère et la tante de Mario sont venues du Brésil pour les assister pendant cette période de transition. Pourtant, ils ont mis des balises dès le début et elles étaient respectées. Par exemple, elles n’étaient pas logées dans leur appartement puisque Mario et sa conjointe avaient choisi de vivre ce moment à deux. Ils voulaient « sentir » cette nouvelle vie qui se présentait, la vie de parents. De plus, sa mère et sa tante n’étaient présentes à l’appartement que lorsque Mario et sa conjointe le demandaient.

Le retour à l’appartement a été stressant, c’était une période d’adaptation. J’ai senti beaucoup d’émotion dans son témoignage. Une période turbulente, des transitions majeures de couple à parents comportant plusieurs difficultés qui effectivement bouleversent la vie du couple en s’adaptant aux nouveaux rôles. « Je dormais au salon, dans la chambre, on faisait des tests… L’allaitement n’était pas facile… Elle (la conjointe) a fait une infection. Il y avait une période où je m’occupais tout seul du bébé… Je ne me rappelais pas beaucoup de cette période, c’était intense, on ne dort pas beaucoup, on est fatigués… On a commencé à « respirer » quand notre enfant a été rendu à 6 mois ! » [en portugais : Eu dormia na sala, no quarto, a gente tentava de tudo... amamentar não foi fácil... ela (esposa) pegou uma infecção. Eu tomava conta sozinho do bébé... Não tenho muitas lembranças dessa fase, foi intenso, pouco sono, muito cansaço... A gente começou a ‘‘respirar’’ quando nossa filha tinha 6 meses].

Mario décrit sa nouvelle réalité en tant que père immigrant qui a grandi dans un pays chaud et vivant présentement la transition à la paternité dans un pays d’hiver. Ses sorties n’étaient pas nombreuses. « C’était un ‘‘calvaire’’ sortir avec un nouveau-né… Il est plus facile pour quelqu’un qui est né ici de reproduire ces gestes. Nous, on a grandi autrement, on voit le froid à l’extérieur et on dit : oh mon Dieu ! » [en portugais : Era um ‘‘calvário’’ sair com um recém nascido. É muito mais fácil para quem nasceu aqui reproduzir os

gestos. Nos que crescemos em um outro país, a gente vê o frio lá fora e fala- oh meu Deus!].

Dans son récit, il y a une claire perception des « deux mondes » quand il parle de sa nouvelle routine en tant que père immigrant en comparaison avec un père québécois habitué aux rigoureux hivers d’ici. Il reconnaît qu’il a des choses à apprendre puisqu’il n’a pas eu ce vécu d’enfance de jouer dehors en hiver. En observant les gens d’ici, il se rend compte que la vie se poursuit même sous la neige !

Si dans leur « phase couple », avant d’avoir un enfant, leur vie n’était pas trop chargée de rencontres sociales, dans cette nouvelle étape de vie leur cercle d’amitié s’est élargi. « On a commencé à avoir plus de contacts avec d’autres parents brésiliens. On vivait une même réalité, alors on s’identifiait » [en portugais : A gente começou a ter mais contato com outros pais brasileiros que viviam a mesma realidade, a gente se identificava]. Il reconnait que le fait d’être inscrit dans un même contexte facilite la création de liens plus étroits ainsi que des liens d’appartenance à des groupes spécifiques. Ces liens facilitent l’intégration à un système des valeurs symboliques partagées par un groupe d’individus. Avec ses compatriotes, il retrouvait des repères, l’équilibre pour mieux s’adapter à la nouvelle réalité des parents immigrants en partageant des expériences. C’est dans cette même logique de trouver des repères, des liens d’identification avec ceux qui seront responsables de s’occuper de son enfant que la quête pour une garderie s’est poursuivie. Mario parle de leur préférence en disant qu’une garderie d’un Latino serait intéressante, « on s’identifie », [en portugais : a gente se entende] dit-il. Ils ont fini par trouver une garderie chez une Marocaine. Elle avait en quelque sorte un vécu similaire, le fait d’être tous les deux immigrants les a liés. Bref, en racontant sa trajectoire, j’ai pu saisir que son réseau se développait avec ceux qui avaient des parcours semblables, des habitudes communes.

Mario a parlé non seulement des conflits culturels et institutionnels, comme les différences par rapport au suivi médical au Brésil et à Québec, mais il a aussi parlé de conflits internes dans le couple. En effet, chacun a grandi dans une famille avec ses valeurs et traditions, puis quand vient le temps de transmettre certaines valeurs à leur

enfant, il peut y avoir certains désaccords. « Nous, on ne s’entend pas vraiment sur la façon d’éduquer notre enfant. On n’est pas d’accord sur plusieurs points » [en portugais : Não é sempre que a gente concorda em relação a maneira de educar nossa filha. Discordamos em vários aspectos]. Donc, chacun s’approprie et prend sa place dans la parentalité à sa façon et sans doute selon sa culture familiale propre, en reproduisant les gestes de ses parents ou en les adaptant. En effet, l’adaptation nécessaire à l’arrivée d’un nouveau-né n’est pas limitée à l’arrangement de la vie dans la maison, cela inclut également l’adaptation à la vie de couple. C’est le processus de transition de la vie de couple à la vie de parents.