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CHAPITRE 4 : ANALYSE DE DONNÉES

4. Le travail de terrain

4.1.2. Luis – Ces deux mondes : celui du Brésil et le Québec

Luis a été le deuxième père que j’ai rencontré. L’endroit choisi était un café, « ça sera plus tranquille », me dit Luis, père de deux enfants nés au Québec. Luis est arrivé au Canada comme résident permanent avec sa conjointe. Le projet d’immigration était le sien. Sa femme n’aimait pas l’idée, mais il l’a convaincue. Avoir un enfant faisait aussi partie des projets du couple, projet qu’ils ont reporté puisqu’« il serait plus facile d’arriver sans enfant » [en portugais : Seria muito mais fácil chegar sem filhos]. Leur plan était de trouver une stabilité professionnelle et financière au Québec et avoir des enfants ensuite. Dès leur arrivée au Québec, ils se sont consacrés à l’apprentissage de la langue française, chose essentielle pour entrer sur le marché du travail, selon lui. Il a effectivement trouvé un emploi quelques mois après. Sa place en tant que pourvoyeur est bien précisée dans son discours, ainsi que son rôle d’« équilibre » en cas d’instabilité dans le couple. Pourvoir non seulement avec des ressources financières, mais également en gardant l’équilibre émotionnel face à des situations de turbulence, comme l’immigration, ou des moments spécifiques, comme l’accouchement par exemple.

Luis a tout planifié pour bien « atterrir » en sol québécois. Il a même eu le temps de convaincre sa conjointe d’embarquer dans le projet d’immigration. Parler leur langue maternelle et se faire un réseau de compatriotes, par exemple, étaient importants pour eux. Ils ont tenté de contacter des Brésiliens au Québec, sans trop de succès. « On a paniqué parce que la plupart des immigrants se trouvaient à Montréal et à Toronto. On a

réussi à contacter une Brésilienne juste deux semaines avant notre départ et ça nous a rassurés » [en portugais : A gente entrou em pânico, porque a maoiria dos immigrantes estavam em Montreal e Toronto. Nós conseguimos contactar uma brasileira 2 semanas antes de vir, isso nos deixou mais tranquillos].

Pour sa copine, il était important de parler portugais et d’avoir des amis brésiliens puisque « ce sont des amitiés de même genre » [en portugais : Mesmo tipo de amizade], dit Luis. Il s’agissait d’une stratégie pour trouver une continuité dans leur quotidien malgré les ruptures vécues. Trouver des points de repères et de possibles « traducteurs culturels » dans son futur milieu était l’une de ses préoccupations. Ils sont donc arrivés, se sont installés et se sont retrouvés parmi d’autres Brésiliens. Toutefois, le contact avec la communauté locale du Québec était restreint au réseau professionnel.

Le premier enfant est arrivé quatre ans après l’immigration. C’était planifié : les deux conjoints avaient une stabilité financière et ils s’étaient bien familiarisés avec leur nouvel environnement. Comme mentionné, l’hiver prend une place importante dans la vie des interlocuteurs. En conséquence, les deux grossesses ont été planifiées pour pouvoir profiter de l’été avec le bébé. « On a ‘‘programmé’’ la grossesse pour que l’accouchement soit 3 mois avant l’été, pour pouvoir sortir profiter du soleil » [en portugais : A gente programou a gravidez, o parto seria 3 meses antes do verão, assim poderiamos aproveitar o sol], dit Luis. Le récit d’accouchement de sa conjointe était très direct, sans beaucoup de détails, sans parler des émotions. Il a parlé d’un petit « dérangement » à l’hôpital, qu’il a pris en charge parce que « chez nous, s’il y a un problème c’est moi qui s’en occupe » [en portugais : Lá em casa se tem um problema, sou eu que resolvo]. C’est quand nous avons parlé de la nouvelle vie à la maison que plus de détails sont ressortis. Le retour à la maison a été difficile. « C’est là que la vraie vie commence. Des nuits difficiles, le bébé ne dormait pas bien. Nous deux étions à l’écoute du nouveau-né » [en portugais : E quando a gente encara a realidade. São noites difíceis, com um bêbe que não dorme direito, ficavamos nos dois de guarda]. Toute une adaptation était nécessaire. « On était de garde, être là juste pour lui, pour répondre à ses besoins. On n’essayait pas de contrôler la situation, mais on s’adaptait aussitôt que le besoin était là » [en portugais :

A gente estava ali, dedicando todo nosso tempo para ele. Sem muito contrôle, se adaptando toda vez que era necessário]. C’est une nouvelle étape, un nouveau positionnement où les deux conjoints sont impliqués dans les moments difficiles. Une reformulation de sa place dans le couple est venue avec la paternité.

La belle-mère de Luis est arrivée au Québec dix jours après l’accouchement pour les aider les premiers mois. Sa présence n’a pas été perçue de la même façon par le couple. « Je n’ai pas trouvé sa présence stressante, mais je pense que pour ma conjointe c’était plus difficile » [en portugais : Eu não achei estressante ela estar aqui, mas acho que para minha esposa foi mais difícil]. Il parlait des conflits intergénérationnels mère et fille, cultures d’époques différentes formulées dans un autre contexte. « Ma belle-mère s’occupait de tout à la maison et c’était à sa façon » [en portugais : Minha sogra tomava conta da casa, do jeito dela]. Il poursuit en comparant la maternité vécue à différentes époques : « Les choses ne sont plus pareilles. Il y avait beaucoup d’informations dans son temps qui ont changé, qui ne s’appliquaient plus. Il y avait des choses que nous on voulait mettre en pratique et avec lesquelles, elle n’était pas d’accord. Elle voulait les adapter à la façon de faire au Brésil » [en portugais : As coisas não são mais as mesmas, Tem muitas informações de outras épocas que não funcionam hoje. Tinham coisas que gostariamos de botar em prática e ela não concordava, queria fazer do jeito brasileiro]. Il y avait l’adaptation à la nouvelle routine à la maison de même que des « accommodements raisonnables » lors de la présence de la belle-mère.

La découverte du système de garderie a commencé dix mois après l’accouchement. Ils ont choisi une garderie en milieu familial, chez une dame québécoise. « Il y avait beaucoup de règles à suivre, pas beaucoup de flexibilité » [en portugais : Eram muitas regras a seguir, sem muita flexibilidade]. Toutefois, cela ne posait pas de problème. Ils ne s’opposaient pas à la façon locale de faire. À la garderie, ils laissaient l’enfant s’adapter : « c’était leurs règles et à la maison on avait les nôtres » [en portugais : eram as regras deles, mas em casa eram as nossas].

Pour Luis, il était très important de conserver leurs valeurs. Il était intéressant de constater dans son discours sa perception par rapport à d’autres manières de faire et son désir de

transmettre ses valeurs identitaires enracinées dans sa culture d’origine. « Nous, on écoute des conseils, on mesure et on les met dans la balance. On est conscients que nous éduquons nos enfants en deux mondes distincts, il y a notre réalité chez nous et celle du monde à l’extérieur. Alors, nos enfants sont influencés par ces deux mondes » [en portugais : A gente escuta os conselhos, analisa, bota na balança. Tenho consciência que educo meus filhos em dois mundos, existe nossa realidade e a realidade deles. Eles são influenciados por esses 2 mundos ].

C’était son positionnement par rapport à ces différences. Il y avait le désir de transmettre les valeurs culturelles d’origine à ses enfants tout en étant conscient de l’influence de la culture locale dans l’éducation de ceux-ci. Les enfants étaient d’âge scolaire au moment de l’entrevue. Les différences culturelles sont souvent questionnées : Luis explique qu’au Québec, ils ont des savoir-faire différents de ceux du Brésil. Néanmoins, chez lui c’est leur savoir-faire qui compte et ce sont les valeurs culturelles ancrées dans leur culture d’origine qu’il essaie de mettre en pratique à la maison.

4.1.3. RAFAEL – QUAND ON S’IMAGINE IMBATTABLE ET QUE LA