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L’appropriation des technologies de l’information et de la communication dans le processus d’autonomisation des jeunes femmes d’Afrique de l’Ouest

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Academic year: 2021

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L’appropriation des technologies de l’information et de

la communication dans le processus d’autonomisation

des jeunes femmes d’Afrique de l’Ouest

Mémoire

Anne-Marie Pilote

Maîtrise en communication publique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Les femmes ont globalement un tiers de chance en moins que les hommes de bénéficier des avantages de la société de l’information en Afrique de l’Ouest francophone. Pourtant, plusieurs travaux montrent que les progrès réalisés dans les domaines des technologies de l’information et de la communication (TIC) pavent la voie à une plus grande contribution des Africaines, particulièrement pour celles âgées de 18 à 35 ans, aux sphères politiques, économiques et sociales (PNUD, 2012). Notre projet a consisté à étudier les modalités d’appropriation des TIC de jeunes professionnelles de cette tranche d’âge issues de cette région du monde, regroupées au sein de coopératives et utilisant les outils technologiques dans leurs activités quotidiennes. S’appuyant sur 16 entretiens individuels semi-dirigés menés à Cotonou au Bénin de juin à août 2013, les résultats de notre recherche révèlent que les jeunes femmes interrogées se servent des TIC de multiples façons et que les usages développés favorisent leur autonomisation. Si l’appropriation de ces outils leur donne des moyens efficaces d’améliorer leurs conditions de vie, elle ne permet toutefois pas nécessairement de transformer une structure sociale qui les désavantage traditionnellement.

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Table des matières

Résumé ...iii

Table des matières...v

Liste des tableaux ...vii

Liste des figures...ix

Remerciements ...xi

Introduction...1

CHAPITRE I ...3

1. Les Africaines à l’heure des TIC : état de la question ... 3

1.1 Regards croisés sur la société de l’information ... 3

1.2 L’explosion de la téléphonie mobile et d’Internet en Afrique... 5

1.3 Les TIC comme moteurs de changement ... 7

1.4 Clivages numériques : une inégalité hommes-femmes bien ancrée ... 8

1.5 Cadre d’analyse théorique : la sociologie des usages ... 10

1.5.1 Les usages ... 10

1.5.2 L’appropriation... 12

1.6 Problème spécifique et objectif de la recherche ... 15

CHAPITRE II ...19

2. Cadre conceptuel... 19

2.1 Les TIC ... 19

2.2 Le genre ... 20

2.2.1 Repères historiques ... 21

2.2.2 La situation des inégalités liées au genre en Afrique de l’Ouest... 22

2.2.3 L’approche « genre et développement » ... 24

2.3 La fracture numérique de genre ... 25

2.3.1 TIC et inégalités ... 25

2.3.2 Fracture numérique et marginalisation des Africaines ... 26

2.4 Autonomisation des femmes... 27

2.4.1 La participation des femmes : une condition essentielle à l’autonomisation ... 29

CHAPITRE III...31

3. Démarche méthodologique... 31

3.1 Description du terrain de la recherche ... 31

3.1.1 Aperçu de la société béninoise... 31

3.1.2 Usage des TIC et fracture numérique au Bénin... 33

3.2 Description du corpus de la recherche... 35

3.2.1 L’Association des femmes restauratrices du Bénin ... 36

3.2.2 L’Association des femmes commerçantes de tissus wax hollandais et divers ... 36

3.2.3 La Fédération des femmes entrepreneures et femmes d’affaires du Bénin ... 37

3.2.4 La Coopérative des femmes d’Ekpè ... 37

3.2.5 Composition de l’échantillon ... 38

3.3 Justification de la méthode de collecte de données ... 39

3.4 Opérationnalisation des concepts... 40

3.5 Élaboration du schéma d’entretien semi-dirigé ... 42

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vi

3.5.2 Limites de l’entretien semi-dirigé ... 43

3.5.3 Prétest de l’instrument... 43

3.6 Considérations éthiques...44

3.7 Déroulement des entretiens semi-dirigés ...44

3.8 Procédure d’analyse des données...45

CHAPITRE IV... 47

4. Résultats...47

4.1 Présentation des résultats ...47

4.1.1 Association des femmes restauratrices du Bénin - Les TIC comme moteur de changement : le cas des propriétaires de maquis... 48

4.1.2 Association des femmes commerçantes de tissus wax hollandais - Entrepreneures du textile : l’utilisation d’Internet comme outil d’importation et d’exportation ... 53

4.1.3 Fédération des femmes entrepreneures et femmes d’affaires du Bénin - Femmes d’affaires de Cotonou : conquérir le marché grâce aux technologies ... 58

4.1.4 Coopérative des femmes d’Ekpè - Le téléphone cellulaire : instrument d’autonomisation pour les femmes de milieux populaires... 66

4.2 Discussion des résultats...69

4.2.1 Constats généraux... 69

4.2.2 Principaux usages des TIC ... 71

4.2.3 Appréciation globale de l’utilité des TIC au niveau économique, politique et social ... 73

4.2.4 Maîtrise des TIC et déstabilisation des rapports conjugaux ... 76

4.2.5 Quand scolarisation rime avec appropriation... 77

4.3 Retour sur l’hypothèse de recherche ...78

4.4 Limites et pistes de recherche ...80

Conclusion ... 83 Bibliographie ... 87 Annexe A... 97 Annexe B... 99 Annexe C... 101 Annexe D... 105

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Profil des répondantes... 47 Tableau 2 : Principaux usages des TIC... 71 Tableau 3 : Appréciation globale de l’utilité des TIC au niveau économique, politique et social ... 73

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Liste des figures

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Remerciements

Quelle formidable aventure que ces deux années passées à la maîtrise au Département d’information et de communication! De mon terrain de recherche effectué à Cotonou, au Bénin, en passant par mon poste de présidente de l’Association de Communication de Deuxième Cycle, les projets étudiants se sont accumulés à la tonne. Ce fut un réel plaisir d’y consacrer toute mon énergie. Si je ressors grandie de ma formation de deuxième cycle, c’est sans aucun doute grâce à l’incroyable support de ma famille, collègues, amis et professeurs.

Je tiens d’emblée à te remercier maman. Si toute petite, je rêvais de découvrir l’Afrique et le monde, c’est un peu, beaucoup, énormément grâce à toi. Il fallait du cran pour partir seule au Rwanda en 1986 mener tes premiers travaux de recherche en tant que jeune anthropologue. Cette détermination qui m’anime dans mes projets, cette volonté de sortir des sentiers battus et de m’ouvrir à d’autres cultures, je te les dois.

Papa, tu m’as appris une chose essentielle de la vie, soit d’être fidèle à mes valeurs et de demeurer toujours en contact avec mon rêve d’améliorer notre société. Peu importe ce qui m’attend, peu importe le métier que j’exercerai, l’important, comme tu me dis toujours, c’est le cœur que l’on y met. Et dans mon projet de maîtrise, j’y ai mis tout mon cœur.

Ma reconnaissance va également à Charles Moumouni, mon directeur de recherche, qui m’a soutenue à toutes les étapes de mon cheminement, de la préparation aux demandes de bourses des organismes subventionnaires à la planification de mon séjour au Bénin. Je n’oublierai pas de sitôt les deux mois et demi passés à Cotonou. Merci Charles d’avoir été l’intermédiaire m’ayant permis d’interviewer ces femmes, ces battantes, pour mieux comprendre leur réalité. Ton appui est inestimable !

Comment ne pas souligner l’aide précieuse de Guylaine Martel et Thierry Watine, qui plus que des professeurs, ont été de véritables mentors durant mes années d’études au Casault. Votre écoute et vos encouragements ont été déterminants dans mon parcours. Je ne pourrai

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jamais assez vous en remercier. Si j’ai la chance d’enseigner un jour, vous me servirez de modèles.

Je tiens aussi à remercier le Conseil de recherches en Sciences humaines du Canada et le Fonds de recherche du Québec – Société et culture pour leur soutien financier.

Et enfin, un merci du fond du cœur à Maman Christiane, Leslie, les Jumelles Érin et Érica, Yasmine, Bienvenu, Paul, André, Chantale et tous ceux qui ont partagé mon Afrique… À tout moment !

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Introduction

Internet, médias sociaux, téléphones intelligents et autres technologies de l’information et de la communication (TIC) prennent de plus en plus d’importance en Afrique. Les gouvernements en place ne sont plus les seuls à disposer des TIC, les citoyens pouvant désormais se les approprier à leur tour. Pensons notamment aux évènements du Printemps arabe et à la chute du président sortant de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, accélérée par les nombreux tweets des Ivoiriens (Bonjawo, 2011). Sur une population d’un milliard d’habitants, seuls 50 millions d’Africains étaient connectés à Internet en 2007 contre 140 millions aujourd’hui (Krook, 2013). Certains experts estiment qu’ils seront 380 millions d’ici 2018 (Alozie, Akpan-Obong et Foster, 2012). Même constat pour le cellulaire, alors que plus de 80 % des Africains disposent dorénavant de leur propre téléphone portable (Union internationale des télécommunications, 2013). L’Afrique numérique est en émergence. Dans cette mouvance, il apparaît pertinent de se questionner sur la participation des femmes de ce continent au Web social.

Plusieurs recherches établissent des liens entre inégalités numériques et inégalités sociales. Selon Tiemtoré (2008), l’appropriation des TIC laisse de côté une grande partie de la population. En effet, tous les individus n’ont pas accès à ces outils numériques et leur diffusion reste très inégale parmi les groupes sociaux (Granjon et al., 2009). Le plus récent rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) révèle que les Africaines éprouvent plus de difficultés à avoir accès et à s’approprier de façon durable ces technologies que les hommes en raison d’un modèle de société patriarcale favorisant ces derniers (2012). Selon ce rapport, les Africains utilisent trois fois plus les TIC que les Africaines, que ce soit pour un usage personnel ou professionnel.

Si les femmes ont un accès plus restreint à ces outils, plusieurs études de genre ont pourtant récemment montré que les Africaines, surtout celles âgées entre 18 et 35 ans, participent indéniablement à la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) et qu’elles le font de multiples façons, que ce soit en utilisant Internet pour promouvoir leur entreprise ou en se servant du téléphone portable pour connaître les prix du marché (Buskens et Webb, 2011; Asiedu, 2012; Bosch, 2011). En outre, les perspectives

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de développement et d’autonomisation des femmes engendrées par l’utilisation des TIC semblent prometteuses au niveau politique, économique et social. Pourtant, peu de recherches traitant des modalités d’appropriation des TIC ont jusqu’ici été menées sur les expériences de ces femmes afin de mieux cerner les usages qu’elles font de ces outils et en quoi cela favorise leur autonomisation.

C’est dans ce contexte que nous avons mené une étude de cas au Bénin afin de comprendre comment les femmes d’Afrique de l’Ouest s’approprient les TIC mises à leur disposition et observer si cette appropriation contribue à accroître leur autonomie.

La première partie de ce mémoire présente la problématique générale dans laquelle s’insère notre projet de recherche. Par la suite, nous exposons le cadre théorique sur lequel il prend appui et émettons l’objectif et l’hypothèse de travail qui en découlent. Puis, nous précisons notre démarche méthodologique qui consiste en une série d’entretiens semi-dirigés avec des Béninoises âgées de 18 à 35 ans, mobilisées au sein de coopératives et utilisant les TIC dans leurs activités quotidiennes. S’ensuivent la présentation et la discussion des résultats. Enfin, la dernière partie aborde les limites de l’étude et identifie quelques pistes de recherche futures qui émanent de notre projet.

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CHAPITRE I

1. Les Africaines à l’heure des TIC : état de la question

Faisant d’abord état de la situation concernant l’interaction femmes et TIC en Afrique, cette première section traite ensuite du cadre d’analyse théorique de notre projet de recherche, la sociologie des usages, et enfin, présente le problème spécifique et l’objectif de notre recherche.

1.1 Regards croisés sur la société de l’information

Entre les années 1990 et 2000, de nombreux auteurs tels que Castells (1998; 2000) ou encore Mansell (1993; 1998) se sont intéressés aux TIC et à leur rôle important dans les transformations qui affectent les sociétés contemporaines. Castells (2001) fut notamment l’un des premiers à annoncer l’avènement de l’économie de l’information et de la société en réseaux grâce aux TIC et à Internet. L’un des aspects les plus importants des points de vue développés par Castells (2000) est que les transformations entraînées par les TIC interviennent dans un contexte de globalisation. Le développement d’Internet et des infrastructures à haut débit, la numérisation des données, l’avènement des médias sociaux fournissent en effet une base technologique accélérant la production et la circulation de l’information.

Média privilégié de l’espace économique mondialisé, les technologies numériques ont ainsi favorisé la réorganisation en profondeur du mode de production et de consommation (Klein et Carrière, 1999; Proulx, 2002). Selon Delamotte (2004), ces outils induisent trois principaux effets sur l’économie. Elles permettent un gain de productivité en accélérant le traitement, le stockage et l’échange des informations, entraînent l’augmentation des activités liées à l’industrie culturelle du multimédia et de la téléphonie et favorisent l’émergence de nouveaux secteurs d’activités tels que la formation ou le commerce en ligne. Ce faisant, elles incitent les organisations à adopter de nouvelles façons de faire afin de mieux exploiter les nouvelles possibilités de circulation des connaissances.

Dans cette perspective, les territoires qui veulent agir sur leur développement gagnent à encourager l’appropriation et le développement d’usages efficaces et créatifs des TIC au

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sein de leur population (Bertrand, 2010; Castells, 2002). À ce titre, dès le début du 21e siècle, les TIC ont même été qualifiés de « moteurs du progrès humain » (Ndiaye, 2008 : 10). Dans son rapport de 2001, le PNUD soutenait notamment que :

Les TIC sont des outils sans précédent pour en finir avec la pauvreté au 21e siècle, car elles interviennent à presque tous les niveaux de l’activité humaine. Elles peuvent être utilisées partout et par tous. Aussi, ces technologies suppriment les obstacles au savoir par la mise à disposition de sources variées d’informations aussi bien pour les pauvres que pour les riches. Ces différentes couches peuvent désormais accéder librement à l’information grâce à Internet. Cet outil est susceptible de supprimer, pour ainsi dire, les obstacles aux opportunités économiques (2001 : 35).

Ce rapport du PNUD a consacré les TIC comme leviers de développement et internationalisé le débat sur l’accès à ces outils, menant ainsi à l’organisation du premier Sommet mondial sur la société de l’information à Genève du 10 au 12 décembre 2003. La déclaration finale de ce sommet pare également les TIC de toutes les vertus, en plus de souligner que « bien utilisées, les TIC améliorent la qualité de vie, stimulent la participation politique et promeuvent la cohésion sociale et l’égalité dans toutes les régions du monde » (2003 : 14). Dès lors, la disposition d’équipements technologiques et l’appropriation des TIC sont devenues des enjeux importants pour les institutions internationales (Tufte et Mefalopulos, 2009; Lafrance et al., 2010).

Bon nombre de chercheurs se sont toutefois rapidement inscrits en faux avec cette vision linéaire des TIC comme porteuses du progrès social. En effet, selon Veltz (1999), Pimienta (2003) et Mottin-Sylla (2005), la mondialisation et l’avènement des TIC favorisent les sociétés urbaines, où se retrouvent concentrés les flux de capitaux, d’information et de savoirs, au détriment des pays du tiers-monde, où l’accès aux outils technologiques est beaucoup plus restreint. Pour eux, la société de l’information se retrouve ainsi composée de gagnants et de perdants. Des études récentes révèlent en effet la présence d’inégalités numériques entre territoires et, au sein même des territoires, de liens entre clivages numériques et inégalités sociales (Grandjon et al., 2009). Ces inégalités que l’on désigne souvent par le terme de fractures numériques et qui ont été au centre des débats du second Sommet mondial sur la société de l’information tenu à Tunis en 2004 affectent ainsi tout particulièrement les pays en voie de développement (PED) (Erwin et Taylor, 2005; Chéneau-Loquay, 2004). Dans cette optique, bien que peu d’auteurs aient placé l’Afrique au cœur de leurs recherches, il convient de se demander où en est le continent quant au développement des usages des technologies numériques (Alzouma, 2008). L’Afrique

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est-elle entrée dans la société de l’information ? Les TIC favorisent-est-elles le développement du continent africain et contribuent-elles à améliorer les conditions de vie de la population ? Les chercheurs oscillent entre une vision des TIC permettant de « brûler des étapes » vers le développement et celle d’une Afrique qui ne pourrait que « partiellement et très lentement » s’approprier ces outils, tant les écarts de tous ordres sont majeurs (Gabas, 2005 : 7).

1.2 L’explosion de la téléphonie mobile et d’Internet en Afrique

Selon Brotcorne et al., (2010), l’Afrique n’a pas été épargnée par la société de l’information, bien au contraire. Si la faiblesse des infrastructures de communication constitue un obstacle indéniable et majeur à la pleine expansion des TIC, les outils technologiques s’y diffusent néanmoins avec une rapidité sans précédent (McLean, 2009). Le téléphone mobile connaît ainsi une croissance exceptionnelle sur le continent africain. Symbole de la globalisation culturelle et « objet de l’ubiquité par excellence », il est devenu en quelques années le fer de lance de la révolution numérique africaine (Compiègne, 2011 : 14). Depuis 2004, le nombre de connexions mobiles a augmenté en moyenne de 30 % par année et atteint maintenant 800 millions d’utilisateurs sur une population d’un peu plus d’un milliard d’habitants (GSM Association, 2013). L’Afrique occupe désormais la seconde place au niveau mondial, après l’Asie, en termes de nombre de connexions. Jeunes et vieux, hommes et femmes, riches et pauvres ; toutes les classes de citoyens se sont approprié cet instrument de communication avec une rapidité qui a étonné bien des observateurs (Jorge, 2006; Holvoet et al., 2007).

Trois raisons permettent essentiellement d’expliquer cette explosion insoupçonnée des réseaux mobiles. La première raison de ce boom réside dans le fait que l’usage du cellulaire est beaucoup mieux adapté au contexte difficile des PED que le téléphone fixe résidentiel, dont le coût de développement des lignes terrestres est extrêmement élevé (Mbarika et al., 2007). Par ailleurs, l’utilisation de cartes prépayées par opposition aux formules d’abonnements est intéressante pour l’usager à revenu faible ou irrégulier, parce qu’il ne comporte pas de charges fixes. Une fois l’achat du terminal portable effectué à titre d’investissement initial, l’usager ne paie que la consommation et continue de bénéficier d’un service de réception, même si sa carte est épuisée (Gabas, 2005). Pour l’opérateur, ce système offre l’avantage de simplifier grandement la gestion de sa base clients. La mobilité

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qu’offre le cellulaire, se voulant davantage en adéquation avec le mode de vie des populations africaines que le téléphone fixe, apparaît également comme un facteur clé de réussite de la diffusion des TIC en Afrique (Soupizet, 2005). La deuxième raison du boom réside dans la profonde évolution du marché des télécommunications africain. Même si les pays africains attribuent actuellement beaucoup moins de fréquences aux services mobiles que l’Europe, l’Amérique et l’Asie, la libéralisation et la privatisation de leur secteur des télécommunications ont attiré d’importants flux d’investissements qui ont permis de construire et d’exploiter efficacement de nouveaux réseaux qui s’étendent jusque dans les communautés rurales les plus reculées (Senghor, 2007). Les services mobiles à valeur ajoutée introduits par les opérateurs de téléphonie mobile constituent la troisième raison expliquant l’explosion du cellulaire en Afrique. À titre d’exemple, les opérateurs ont développé des services de paiement électroniques qui permettent aux citoyens de régler leurs factures et/ou d'envoyer de l’argent à leurs proches par le biais de leur téléphone portable pour une fraction du prix qu’il en coûte dans les comptoirs spécialisés de transfert d’argent (Bergeron, 2012). Dans un continent où moins de 40 % de la population détiennent un compte bancaire, ce nouveau type d’applications mobiles trouve rapidement son créneau et incite les plus démunis à se procurer un cellulaire.

À l’instar du téléphone portable, Internet a connu un essor fulgurant en Afrique dans les dernières années. Le nombre d’utilisateurs est passé de 50 à 140 millions entre 2007 et 2013 (Krook, 2013). S’il s’agit d’un bond important, le nombre d’utilisateurs d’Internet demeure toutefois relativement faible par rapport à ceux qui disposent d’un téléphone mobile. En effet, alors que 80 % des Africains possèdent leur propre cellulaire, seuls 14 % se servent d’Internet (Loukou, 2012). Selon Bessette (2007), ce faible pourcentage s’explique par une infrastructure Web médiocre et insuffisante. Éloignée des « grandes autoroutes de l’information » des sociétés occidentales qui profitent de bandes passantes à haute vitesse, l’Afrique doit héberger ses serveurs dans les pays développés, ce qui lui coûte des millions par année et qui explique le coût élevé d’utilisation d’Internet dans les foyers et dans les télécentres1 (Lamarche, Rallet et Zimmerman, 2006 : 78). Aussi

1 Un télécentre « is a shared, centrally-located community centre, that we usually found in developing

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paradoxal que cela puisse paraître, c’est en effet sur le continent africain que l’on trouve le coût d’abonnement à Internet le plus élevé au monde (Bonjawo, 2011).

Depuis 2002, un câble sous-marin à fibre optique baptisé SAT-3 dessert toutefois les principales villes côtières de l’ouest de l’Afrique, de Casablanca au Maroc à Cape Town en Afrique du Sud (Chéneau-Loquay, 2004). Si les grandes agglomérations bénéficient désormais d’une bande passante en quantité suffisante sans devoir transiter par l’Europe ou l’Amérique, il est presque impossible de redistribuer à haut débit cette connexion dans les communautés rurales (Coombs, 2008). Voilà pourquoi il est laborieux pour les 75 % d’Africains vivant en zone rurale d’avoir accès à Internet et de s’en servir. Bessette ajoute à cela que tant que la vitesse de connexion ne sera pas plus rapide et qu’« Internet ne sera pas la priorité des décideurs de la communication en Afrique en tant qu’élément essentiel des programmes de développement, le seuil d’utilisation ne dépassera pas les 25 % » (2007 : 66). Selon une récente étude de Land (2012), 17 des 25 derniers pays du monde sur 178 classés selon la vitesse de connexion à Internet sont en Afrique subsaharienne. Malgré tout, l’usage d’Internet est en hausse constante et la progression du nombre de connexions au Web demeure impressionnante.

1.3 Les TIC comme moteurs de changement

On ne compte plus les articles à caractère académique dont les titres débutent par : « Comment les TIC transforment l’Afrique ? ». La récente explosion des TIC en Afrique tend en effet à accréditer, pour plusieurs auteurs, l’idée de transformations socio-économiques sur le continent. Dahmani a entre autres étudié l’effet du cellulaire dans le secteur de la pêche artisanale au Bénin. Ses conclusions attestent que, grâce au téléphone portable, le secteur connaît une meilleure organisation du circuit de distribution des produits et « cela avant même le retour des piroguiers », ces derniers pouvant aviser les commerçants de la quantité de poissons rapportée avant de toucher terre (2007 : 31). D’après Brännström (2011), le cellulaire permet aux agriculteurs des zones rurales du Kenya d’être informés du prix des aliments au marché sans être obligés de se déplacer en ville via l’application mobile FoodNet, créée par une société américaine, qui leur envoie

and Internet) » (Colle, 2008 : 5037). Implantés majoritairement en zones urbaines et périurbaines, les télécentres sont les moyens de connexion les plus répandus en Afrique (Bexell, 2012).

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par SMS2 les prix de gros et de détail des produits agricoles. Les recherches de Brännström révèlent aussi que le téléphone portable favorise la reconnexion de la famille élargie en Afrique subsaharienne. Dans une société à forte tradition orale, le cellulaire s’impose comme un outil précieux de sociabilité, facilitant les échanges familiaux entre ceux qui demeurent en ville et ceux éloignés des grands centres. Dans une autre étude, Traoré (2007) mentionne qu’Internet a permis la mise en place au Mali d’un réseau de télémédecine permettant aux médecins des zones rurales et isolées d’accéder au savoir de spécialistes de milieux urbains se trouvant à des centaines de kilomètres de distance et d’améliorer l’offre de soins. Dahmani (2007), Brännström (2011) et Traoré (2007) démontrent ainsi que l’utilisation d’Internet et du téléphone portable en particulier a sensiblement amélioré les conditions de vie des citoyens visés par leurs travaux.

Dans cette optique, les gouvernements africains, conscients des retombées potentielles des TIC sur leur économie, centrent de plus en plus leurs politiques de développement autour du téléphone cellulaire et d’Internet (Alzouma, 2008). En matière d’éducation, mentionnons à titre d’exemple l’e-learning, qui offre aux enseignants et aux étudiants de milliers d’écoles de bénéficier gratuitement d’ordinateurs connectés à Internet pour développer leurs compétences informatiques (Touré, 2011). Dans le domaine de la santé, l’e-health correspond au financement lié à la télé-médecine et à l’usage des TIC dans la lutte contre le VIH/sida. Les investissements dans l’e-gouvernance visent quant à eux à améliorer les performances des administrations africaines et assurer la transparence des processus électoraux alors que ceux en e-banking ont pour but d’élargir l’accès aux services bancaires pour les populations plus défavorisées (Slater et Kwami, 2005). Le point commun à tous ces programmes réside dans la certitude que les TIC permettent ou vont permettre aux Africains de faire un pas de géant sur la voie du développement et de l’autonomisation (Alzouma, 2008).

1.4 Clivages numériques : une inégalité hommes-femmes bien ancrée

Les avantages qu’offrent les TIC sont toutefois inégalement répartis entre les citoyens du continent africain (Granjon et al., 2009). Selon Mottin-Sylla (2004), cette inégalité

2 SMS est l’abréviation de Short Message Service. Le service de messagerie SMS permet de transmettre et de

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s’observe surtout entre les sexes et se traduit par une plus faible proportion de femmes qui ont accès à ces technologies et les maîtrisent par rapport aux hommes. Un rapport récent du PNUD (2012), de même que la recherche sur la fracture numérique de genre en Afrique (Taran, 2011; Mottin-Sylla, 2005), établissent que les femmes ont globalement un tiers de chance en moins que les hommes de bénéficier des avantages de la société de l’information. L’aptitude des femmes à tirer parti des possibilités qu’offrent les TIC se heurte à différents obstacles, dont l’analphabétisme, la pauvreté, la langue et un accès insuffisant aux outils technologiques causé par la faible représentativité des femmes à des postes de responsabilités dans les programmes de développement en matière de TIC (Mefalopulos, 2008). Même lorsque les femmes ont les qualifications nécessaires pour utiliser les TIC, « des obstacles culturels tenaces, tels que la définition stéréotypée des rôles des femmes et des hommes en Afrique, continuent de faire obstacle à leur pleine participation à l’âge de l’information » (ONU, 2005 : 10).

Bien que les hommes soient avantagés quant à l’accès à ces outils, bon nombre de travaux montrent pourtant que les progrès réalisés dans le domaine des TIC pavent la voie à une plus grande contribution des Africaines, particulièrement pour celles âgées entre 18 et 35 ans, aux sphères politiques, économiques et sociales (Kiyindou, 2010). Le Centre de recherches pour le développement international du Canada (CRDI) a notamment mené plusieurs études sur les relations entre les TIC et l’autonomisation des femmes en Afrique australe et orientale par le biais du réseau GRACE3, s’intéressant spécifiquement à cette thématique. Une de leurs recherches, menée à Nairobi, au Kenya, a par exemple permis de démontrer que l’utilisation du téléphone portable permet aux jeunes femmes œuvrant dans le secteur du textile d’accroître les revenus de leur entreprise (Wanjira Munyua et Mureithi, 2008). En disposant d’un canal privilégié de communication, c’est-à-dire leur cellulaire, les Africaines interrogées ont pu régler des transactions bancaires et obtenir de nouveaux contrats plus facilement qu’avec une ligne fixe. Les conclusions d’une autre étude du réseau GRACE, dirigée cette fois-ci par Gumede, Urmilla et Okech (2009), ont révélé que l’utilisation d’Internet et des médias sociaux dans la province du KwaZulu-Natal en Afrique du Sud « have empowered women entrepreneurs even at the lowest economic

3GRACE est l’abréviation de Gender Research in Africa Into ICT’s for Empowerment (Buskens et Webb,

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levels, providing a powerful tool to compete in global marketplaces and to promote their products » (2009 : 120). Selon Gumede, Urmilla et Okech (2009), les Sud-Africaines qui se servent des TIC dans leurs activités quotidiennes augmentent leur confiance en soi et osent davantage s’imposer dans une société patriarcale où la domination masculine est largement acceptée.

Les Africaines utilisent donc les TIC dans leur processus d’autonomisation et elles le font de multiples façons. L’appropriation de ces outils numériques semble leur donner des moyens efficaces de prendre part plus activement au développement de leur communauté au sein d’une structure sociale qui les désavantage traditionnellement. Très peu de données sur l’utilisation des TIC par les femmes d’Afrique de l’Ouest sont toutefois disponibles, faute de recherches (Alozie, Akpan-Obong et Foster, 2012). Le CRDI a démarré deux projets traitant de l’appropriation des TIC dans cette région en 2007. La question de genre est toutefois seulement étudiée au Sénégal et ne s’intéresse qu’à l’aspect politique de l’appropriation des TIC (Thioune, 2007). De nouveaux travaux sont donc nécessaires pour pallier ces lacunes.

1.5 Cadre d’analyse théorique : la sociologie des usages

1.5.1 Les usages

Notre recherche s’appuie sur le cadre d’analyse théorique de la sociologie des usages. Noyau conceptuel des premières études consacrées à l’utilisation des TIC, cette théorie pose les relations entre les outils de communication et les usagers dans un cadre social (Proulx, 2005). S’intéressant aux utilisateurs des objets techniques non pas comme des individus passifs devant les TIC, mais comme de véritables acteurs, la sociologie des usages s’est construite en opposition au modèle de la diffusion des innovations qui repose sur la primauté de l’offre technologique et qui néglige la capacité d’action des usagers (Akrich, 1998; Rogers, 1995; Van Dijk, 2005).

Michel de Certeau fait figure de pionnier de cet environnement théorique, alors que dès 1990, il tente de comprendre « les mécanismes par lesquels les individus se créent de manière autonome » à travers leurs usages des nouvelles technologies (Breton et Proulx, 2002 : 258). Selon de Certeau, l’étude des usages n’est pertinente que si elle s’intéresse aux

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marques laissées par les pratiques des individus dans la société à la suite de leur consommation de la technologie en question (1990).

Dans la même lignée que de Certeau et contrairement à Jouët (2000) qui limite l’usage à l’emploi d’une technique, Proulx indique que la notion d’usage renvoie aux « utilisations sociales particulières d’un bien, d’un instrument ou d’un objet […] et a pour but de mettre en relief les significations culturelles complexes de ces conduites de la vie quotidienne » (2005 : 8). Pour le chercheur, le lien unissant la technique et l’usager ne se réduit pas à une relation de déterminisme technologique plaçant l’instrument ou l’objet au cœur du concept d’usage et les individus en périphérie comme l’entend McLuhan (1964). Dans la définition d’usage de Proulx, les facteurs sociaux interviennent dans l’articulation des usages des TIC au même titre que les facteurs techniques (2006). En effet, l’insertion sociale du téléphone cellulaire par exemple dépend moins de ses performances techniques et fonctionnelles « que des possibilités qu’elle offre à une intégration dans l’ensemble des significations sociales et culturelles des modes de vie des usagers » (Gabas, 2004 : 296). Proulx ajoute à cela que la perception d’une pertinence d’usage de tel ou tel objet technique est fonction des prédispositions cognitives et du capital économique, social et culturel des personnes confrontées à ces objets (2002). Loin d’être stable et figée, la construction des usages met donc en jeu des processus d’acquisition de savoirs et d’habiletés pratiques (Jouët, 1998). Les usagers s’étant familiarisés antérieurement avec des objets techniques du même type se voient avantagés pour apprivoiser les niveaux dispositifs (Compiègne, 2011). Le niveau d’instruction et l’accès à ces outils de même qu’à des ressources pour apprendre à les maîtriser jouent donc un rôle clé dans la dynamique des usages. Conséquemment, la notion d’usage ne renvoie pas uniquement à l’utilisation de la technologie, mais réfère à un processus tenant compte du contexte personnel, social et culturel des individus (Gaglio, 2011). Les utilisateurs développent les usages des objets techniques en interagissant en réseau au sein de leur environnement par le biais d’un processus dynamique d’interrelations entre acteurs et objets techniques nommé « bricolage du récepteur » par de Certeau (1990). Les usages sont ici considérés comme une construction sociale des facteurs déterminant les utilisations particulières des TIC développés par les usagers (Proulx, 2002).

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1.5.2 L’appropriation

Sujet d’intérêt marqué des premières études de la sociologie des usages, l’appropriation a permis d’élargir le concept d’usage en le faisant déborder du simple cadre de l’accès (Proulx, 2005). Elle est définie par Breton et Proulx comme la « maîtrise cognitive et technique d’un minimum de savoir-faire permettant éventuellement une intégration significative et créatrice de celle-ci dans la vie quotidienne de l’individu et de la collectivité » (2002 : 270). Pour Ndiaye, les usagers, en tant qu’acteurs dotés « d’un minimum de savoir-faire nécessaire » pour rendre les TIC opérationnelles, sont à la base de la notion d’appropriation (2008 : 25). Par appropriation, il faut donc comprendre le processus par lequel « an individual or a community fit the ITCs to their needs » en leurs assignant des fonctions et des finalités propres à leurs besoins (Erwin et Taylor, 2005 : 44).

Proulx (2005) identifie trois conditions essentielles pour qu’il y ait appropriation. En premier lieu, pour éviter d’en arriver au rejet de la technologie, il faut démontrer un minimum de maîtrise technique et cognitive face à l’objet technique. Selon Ndiaye (2008), près de la moitié des Africaines ayant accès à un cellulaire et/ou un ordinateur ne savent pas s’en servir adéquatement, et ce, principalement parce les conditions sociales de production des inégalités dans la société africaine provoquent chez les femmes une distribution inégale des compétences nécessaires pour maîtriser les TIC par rapport aux hommes. La seconde condition requise est d’intégrer l’objet technique dans ses pratiques quotidiennes. Dans certains contextes, notamment en milieu rural, les Africaines ne considèrent pas le téléphone mobile et Internet comme étant suffisamment utiles à leurs besoins de survie immédiats alors que dans d’autres cas, elles ne sont tout simplement pas conscientes des possibilités offertes par ces technologies (Alzouma, 2008). Tel que le soulignent Granjon et al, « l’appropriation d’une technique doit impérativement se trouver en synchronie avec des moments de transformation significative de pratiques considérées comme subjectivement importantes par les individus concernés » (2009 : 252). La troisième et dernière des conditions nécessite une participation indirecte ou directe des usagers au processus innovant à travers l’usage répété de la technologie.

Selon Chéneau-Loquay (2010), la participation au processus innovant crée les conditions propices à une accélération des changements induits et attendus des TIC et revêt différentes

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formes. À titre d’exemple, les commerçantes de Sarakollé au Sénégal ont pensé à utiliser le moteur de mobylettes pour recharger la batterie de leur téléphone portable lors des fréquentes pannes de courant de leur village. Elles ont ainsi créé une nouvelle source de revenus pour les propriétaires de mobylettes en plus de s’assurer que leur cellulaire soit toujours fonctionnel. Au Mozambique, des agricultrices de la province de Sofala ne pouvant se déplacer en ville faute de moyens ont quant à elles eu l’idée de servir de la fonction haut-parleur de leur téléphone mobile pour consulter un expert en groupe à même leur plantation lorsque nécessaire. Ces exemples démontrent la capacité des Africaines à adapter les TIC à leurs spécificités locales, à leurs « manières de faire » comme le mentionnait de Certeau (1990 : 201), créant ainsi leurs propres usages créatifs de ces dispositifs techniques. Une fois les trois conditions de Proulx (2005) remplies, l’appropriation des TIC produit un effet de levier qui conduit ultimement à l’autonomisation des usagers (Proulx, Rueff et Lecomte, 2007).

Sur cet aspect du rôle déterminant du processus innovant dans l’appropriation des TIC, soulignons que la sociologie des usages partage de nombreuses préoccupations communes avec la sociologie de l’innovation (Breton et Proulx, 2002). Pour Callon et Latour, l’innovation désigne « le travail des acteurs sociaux mobilisés par la conception même de l’objet technique » (1984 : 303). L’innovation technique et l’innovation sociale sont toutefois abordées séparément dans cette définition. Lévesque souligne d’ailleurs que cette distinction rend mal compte de la dynamique des processus sociaux en cause :

On ne saurait opposer trop fermement innovations technologiques et innovations sociales : d’une part, les innovations technologiques sont elles-mêmes le produit d’un processus social et ne se diffusent généralement qu’en faisant appel à de nombreuses innovations dites sociales; d’autre part, les innovations sociales ont elles-mêmes toujours besoin d‘un support technologique minimal […]. De même, on ne saurait définir les innovations sociales comme exclusivement non marchandes ou encore comme relevant du seul domaine du développement social puisqu’elles se retrouvent également dans le champ du développement économique et dans celui des entreprises manufacturières. De plus, même dans le champ du développement social, les innovations peuvent être valorisées directement ou indirectement dans le cadre du marché (2005 : 37).

Godin propose une définition plus englobante de l’innovation, définissant celle-ci comme « la modification des façons de faire ou l’apparition de nouvelles façons de faire, grâce à l’invention ou l’adoption de nouveaux biens, services ou pratiques nouvelles » (2004 : 10).

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L’innovation se distingue de la simple invention par la valorisation des savoirs nouvellement produits. C’est en effet par le biais de la demande de biens ou de produits nouveaux provenant de la société, laquelle juge que les avantages tirés de l’invention sont supérieurs, que l’invention deviendra innovation. Cette dernière n’existe donc pas en soi (Cardon, 2005). Une même invention peut se traduire en innovation dans une communauté et pas dans un autre. Et c’est seulement lorsqu’une invention est valorisée par un usager qu’elle devient innovation et que ce dernier pourra se l’approprier (UNESCO, 2005). L’insertion sociale d’une TIC, c’est-à-dire son intégration à la quotidienneté des usagers dépend donc « moins de ses qualités techniques “intrinsèques”, de ses performances et de sa sophistication, que des significations d’usage projetées et construites par les usagers sur le dispositif technique qui leur est proposé » (Toussaint et Mallein, 1994 : 318). En outre, le phénomène de l’appropriation fait ressortir le vécu des usagers, en l’occurrence leur statut social, leur personnalité, leurs trajectoires d’usages des outils technologiques, le contexte social dans lequel ils vivent, etc. (Charest et Bédard, 2013). Proulx reconnaît ainsi qu’au-delà de sa fonction proprement utilitaire, le système technique devient ainsi l’objet d’un investissement symbolique, soit « l’occasion d’une cristallisation de représentations sociales et individuelles » que l’usager associe et projette vers la technologie (2005 : 20). À la lumière du courant théorique de la sociologie des usages, il ressort que si l’arrivée d’Internet et des objets techniques, dont le téléphone mobile, a grandement facilité l’appropriation des TIC et offert de nouvelles opportunités d’action aux usagers pour développer des usages sociaux pionniers et des appropriations inédites, les TIC ne favorisent pas en elles-mêmes l’autonomisation. C’est l’aptitude des utilisateurs à intégrer ces outils dans leur quotidien et à en développer des usages innovants et pertinents à valeur ajoutée auxquels les industriels ne répondent pas et qui visent à améliorer leurs conditions de vie qui peut renforcer ou non l’autonomisation. Pour un changement durable et une véritable autonomisation, les femmes doivent donc être les agentes de leur propre évolution. Tel que le souligne Bonjawo, « ce n’est que par l’appropriation des TIC et non par le simple usage de ces outils que les Africaines assureront leur développement » (2011 : 12).

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Il ressort également que l’appropriation des TIC dans le contexte de l’autonomisation de la femme en Afrique de l’Ouest répond au besoin d’accéder à des ressources qui amplifient la marge de manœuvre des Africaines à l’endroit d’un environnement politique, économique et social caractérisé par la pénurie (Granjon et al., 2009). Selon Gabas, les Africaines s’approprient principalement les TIC selon une logique d’accès à des ressources, à des avantages, qui ont été longtemps inaccessibles pour elles « en raison des carences de l’État dans ses missions de service public et d’agent principal du développement » (2005 : 241). La motivation des femmes d’Afrique de l’Ouest à s’approprier les TIC s’expliquerait donc moins par la présence d’une offre infrastructurelle d’accès aux TIC de qualité que par l’aptitude de cette offre à « générer des services numériques » qui répondent à leurs problématiques quotidiennes (2005 : 246).

Au final, la sociologie des usages se veut un cadre d’analyse intéressant pour étudier les rapports entre technique et société en adoptant une posture épistémologique beaucoup plus nuancée que le déterminisme (Breton et Proulx, 2002). L’analyse de l’appropriation des TIC à savoir ce qu’en font réellement les Africaines de l’Ouest constitue donc une entrée méthodologique pertinente pour identifier les logiques d’appropriation à l’œuvre derrière les usages dont les TIC font l’objet au sein de cette région du continent. Selon Ndiaye, « une description précise ainsi qu’une analyse voire une compréhension du phénomène de l’appropriation des objets techniques permet de saisir les façons de penser, d’agir et de se comporter propres aux individus et aux groupes sociaux » (2008 : 19). Cherchant à éviter le déterminisme technique, notre démarche ne nie toutefois pas l’importance de la composante technique dans la compréhension du phénomène des usages. Tel que mentionné par Proulx (2005), il y a des facteurs techniques au même titre que des éléments du social qui interviennent dans l’articulation des usages des TIC. C’est dans l’articulation entre environnements sociaux, identités des usagers et objets techniques que se joue l’enjeu de l’appropriation.

1.6 Problème spécifique et objectif de la recherche

Malgré les disparités hommes-femmes d’accès et d’utilisation des TIC, les travaux de recherche analysés portant sur la thématique des femmes et du développement ont démontré que les Africaines, surtout celles âgées entre 18 et 35 ans, utilisent les outils

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numériques dans leur processus d’autonomisation (Buskens et Webb, 2011; Munyua et Mureithi, 2008). Cependant, tel que le souligne Bessette (2004), les nouvelles technologies numériques, bien qu’impressionnantes, ne peuvent pas à elles seules déterminer des changements attendus de leurs utilisations. Elles ne sont que « des catalyseurs pour faciliter ces changements » (Thioune, 2003 : 2). Comme toute autre technologie, c’est le contexte social dans lequel elles sont introduites et mises en œuvre qui détermine leurs utilisations et leurs impacts. Pour favoriser leur processus d’autonomisation, les individus doivent donc s’approprier les TIC en les intégrant dans leurs pratiques quotidiennes.

Si les perspectives de développement et d’autonomisation des femmes engendrées par l’utilisation des TIC semblent prometteuses, il apparaît qu’une bonne compréhension de la signification et de la nature des changements apportés par les TIC constitue un atout essentiel pour l’élaboration de nouveaux projets aptes à répondre à la réalité des Africaines. En effet, faire ressortir à travers une étude de cas, les processus, c’est-à-dire les changements observés au sein de ces communautés, permettra de cibler les conditions optimales de mise en œuvre des projets intégrant les TIC dans des environnements défavorisés (Tiemtoré, 2008). Mieux encore, en clarifiant comment les femmes exercent leur capacité d’action dans leur utilisation des TIC, la présente recherche contribuera à une meilleure compréhension du potentiel de ces technologies.

Les études s’étant intéressées aux modalités d’appropriation et d’utilisation des TIC par les femmes et à la façon dont ces outils techniques contribuent à leur autonomisation sont peu nombreuses. Les quelques travaux se penchant sur cette problématique concernent, rappelons-le, l’Afrique australe et orientale (Benchenna, 2012), délaissant l’Afrique de l’Ouest. Concrètement, notre projet de recherche a donc consisté à étudier le cas de jeunes Africaines de l’Ouest âgées entre 18 et 35 ans, mobilisées au sein de coopératives et utilisant les TIC dans leurs activités quotidiennes. La question spécifique de recherche étudiée est la suivante : comment les jeunes femmes d’Afrique de l’Ouest francophone s’approprient-elles les TIC dans leur processus d’autonomisation ?

L’objectif a été d’analyser de quelles manières les Africaines s’approprient les TIC à leur disposition. Le fait que les jeunes femmes semblent intensifier leur processus

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d’autonomisation dans différentes sphères de la vie publique nous amène à formuler l’hypothèse selon laquelle : les jeunes femmes d’Afrique de l’Ouest s’autonomisent davantage au niveau politique, économique et social lorsqu’elles s’approprient les TIC à leur disposition.

L’analyse du courant théorique de la sociologie des usages appliquée à notre problème spécifique de recherche a permis d’étudier en profondeur le portrait de l’utilisation de TIC par des femmes issues de coopératives ciblées à un moment précis dans le temps. Nous avons pu faire ressortir leur appréciation globale de ces technologies du point de vue de l’autonomisation, mais aussi les difficultés d’appropriation des TIC observées au sein de leur association.

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CHAPITRE II

2. Cadre conceptuel

Ce deuxième chapitre définit les cinq concepts clés qui sous-tendent notre démarche de recherche, soit les TIC, l’appropriation des TIC4, le genre, la fracture numérique de genre et l’autonomisation des femmes.

2.1 Les TIC

Si le terme Internet réfère au vaste réseau informatique mondial permettant d’interconnecter divers outils technologiques, le concept de TIC englobe quant à lui une plus vaste réalité (Castoriadis, 2011). Faisant l’objet d’une multitude de définitions, tantôt élargies, tantôt plus restrictives, les TIC représentent de façon générale « l’ensemble des technologies numériques issues de la convergence de l’informatique et des techniques évoluées du multimédia et des télécommunications » (Office québécois de la langue française, 2013). L’avènement de la société de l’information est en effet associé à l’émergence de nouvelles TIC, telles que les ordinateurs, le courriel électronique, les téléphones cellulaires, les scanneurs, les consoles de jeu, etc., indissociables toutefois de l’évolution d’Internet. Ne constituant qu’une facette des TIC, le téléphone mobile de même qu’Internet, et son principal support d’accès et de consultation, l’ordinateur, représentent les TIC les plus utilisées par le grand public dans les sociétés actuelles (Bonjawo, 2011). Les technologies « traditionnelles », qui sont entrées progressivement dans les habitudes et les modes de vie quotidiens des populations et qui regroupent essentiellement la radio, la télévision et le téléphone fixe, sont quant à elles exclues du concept de TIC par les chercheurs (Thioune, 2003; Webb et Young, 2006; Buskens et Webb, 2011; Rhodes, 2005). Jusqu’au milieu des années 2000, certains travaux employaient parfois encore la terminologie NTIC, où le N signifiait « nouvelles », en raison de la récente arrivée de l’informatique dans le monde communicationnel (Buskens et Webb, 2011). L’informatique n’étant dorénavant plus considérée comme un phénomène fondamentalement nouveau, l’acronyme TIC représente maintenant le terme utilisé en recherche.

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Depuis une vingtaine d’années, les TIC accélèrent donc la diffusion, la reproduction, l’échange, le stockage et la transmission de l’information par le biais du numérique (Bonjawo, 2011; Greenstein, 2008). Ces dispositifs techniques jouent un rôle central dans le vaste mouvement de globalisation des échanges et favorisent l’intégration des territoires à l’espace mondial (Buchanan, 2012). Se moquant des barrières nationales, les technologies numériques constituent le média privilégié de l’espace économique actuel où la détention des connaissances perd de son importance au profit de la capacité des acteurs à y réagir et à les diffuser (Bertrand, 2010). Aujourd’hui, ce n’est plus tant la détention de l’information et du savoir qui confère du pouvoir aux citoyens, mais leur capacité à s’approprier les TIC et à en développer de nouveaux usages.

Dans cette perspective, la majorité des auteurs s’intéressant à la question du genre et du développement abordent les TIC « as communication tools that can significantly improve women political, social and economic empowerment when use properly to fulfill local needs and goals » (Mansell, 2008 : 5013). C’est précisément ce sens qui nous intéresse dans le cadre du présent projet de recherche. Ne pouvant étudier l’ensemble des TIC, notre étude s’est limitée à l’ordinateur, à Internet et au téléphone portable. Ces trois TIC sont reconnues par plusieurs chercheurs comme stratégiques pour la promotion de l’égalité de genre et comme les dispositifs dont les Ouest-Africaines sont le plus susceptibles de s’approprier du fait que leur accès s’est largement démocratisé dans cette région du continent et qu’ils font l’objet d’usages créatifs et innovants par les citoyens à un rythme très soutenu (Buskens et Webb, 2011; Steeves, 2008).

2.2 Le genre

Le genre est un concept polysémique dont la portée a grandement évolué au fil du temps. Issu du champ disciplinaire des gender studies des milieux féministes anglo-saxons des années 1970, il réfère à la prise en compte des rapports sociaux entre les femmes et les hommes (Boserup, 1970; Barrett, 1980). Selon la sociologue britannique Ann Oakley, la notion de genre est basée sur le constat que parallèlement au sexe biologique, il existe un genre social, c’est-à-dire une construction sociale et culturelle des rôles et des stéréotypes féminins et masculins :

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Le mot « sexe » réfère aux différences biologiques entre mâles et femelles : à la différence visible entre leurs organes génitaux et à la différence corrélative entre leurs fonctions procréatives. Le « genre », lui, est une question de culture : il se réfère à la classification sociale en « masculin » et « féminin » (1972 : 244).

Cette construction sociale se traduit souvent dans la pratique par des inégalités défavorisant les femmes. Les hommes et les femmes ont, en règle générale, un accès différent aux responsabilités, au pouvoir, à certains droits civils, politiques et économiques, à l’espace public, aux TIC, au travail ou encore aux ressources naturelles (Holvoet et al., 2007). Le concept de genre, comme l’expliquent Fletcher et Ely, sous-tend ainsi qu’il n’existe pas d’essence masculine ou féminine qui serait rattachée au fait d’être un homme ou une femme :

Gender identity bas no inherent content outside of gender relations: gender relations are structural arrangements that give meaning to the categories male and female and shape people’s experiences as members of those groups. They are influenced in part by all other social relations, including race, ethnicity, class, nationality, religion, and sexual identity (2003 : 4).

À titre d’exemple, partout dans le monde, les femmes, à compétences et à responsabilités égales, ont en moyenne un salaire inférieur à celui des hommes (Buskens et Webb, 2011). S’accordant sur le fait qu’il n’existe pas de rapport de cause à effet entre la différence physique et cette donnée sociale et économique, Buskens et Webb soutiennent que les inégalités dont « pâtissent les femmes, loin d’être naturelles, sont le résultat de facteurs et de stéréotypes sociaux, culturels, ou de structures économiques et institutionnelles conformes aux impératifs d’un ordre sociopolitique – le patriarcat – » (2011 : 53). Cette conjoncture est liée à un contexte historique basé sur une inégalité de traitement entre femmes et hommes ainsi que sur des rapports de pouvoir et de domination (Foucault, 1984). Historiquement, la grande majorité des sociétés ont, en effet, eu tendance à considérer qu’une femme avait une valeur moindre qu’un homme (Tshibilondi, 2008; Touré, 2011).

2.2.1 Repères historiques

La littérature féministe sur le genre des années 1970 a contribué à mettre en lumière les inégalités de traitement entre les femmes et les hommes sur la scène internationale en montrant que si les femmes ne sont pas pleinement intégrées au processus de développement, le progrès social et économique tend à se faire au prix de la marginalisation

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de celles-ci (Boserup, 1970; Rathgeber, 2000). Interpellée, l’ONU lance en 1975 la Décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985), ponctuée par une série de conférences internationales. En 1979, les maîtres d’œuvre de ces conférences en viennent à adopter la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, accord international le plus complet sur les droits fondamentaux des femmes (Mottin-Sylla, 2005). Vingt-cinq ans plus tard (1995), la Conférence mondiale sur les femmes à Pékin marque le passage à l’approche « femme et développement » qui considère qu’il faut tenir compte des situations inégalitaires afin de renforcer l’autonomie de ces dernières (McCall, 2010). La déclaration finale de cette conférence stipule qu’en raison d’une situation de départ inégale face aux hommes, « la prise en compte transversale du genre doit s’articuler avec le renforcement des appuis spécifiques en direction des femmes » (UNESCO, 2005 : 176). Enfin, en 2000 se tient le Sommet du Millénaire qui aboutit à la définition de huit objectifs pour le développement des populations. L’objectif numéro trois, qui concerne spécifiquement l’égalité hommes-femmes, vise à promouvoir l’autonomisation des femmes par l’élimination des disparités entre les sexes dans les domaines de l’éducation (ONU, 2005).

Malgré ces initiatives, force est de constater pour les institutions internationales que la situation des femmes au milieu des années 2000 n’a que peu progressé et que les inégalités de genre demeurent toujours un obstacle important à la mise en place d’un développement équitable des femmes par rapport aux hommes (Chéneau-Loquay, 2004). Dans certains cas, la situation des femmes s’est même détériorée. Selon Holvoet et al., « la concurrence et l’ouverture des marchés dans le cadre de la mondialisation économique libérale, le poids de la dette dans les pays pauvres et les politiques de privatisation de services sociaux essentiels ont aggravé la charge de travail et la pauvreté féminines et ce, particulièrement en contexte africain » (2007 : 32).

2.2.2 La situation des inégalités liées au genre en Afrique de l’Ouest

Selon Bessette (2007), les inégalités de genre se sont particulièrement accentuées de 1975 à 2005 en Afrique de l’Ouest. Même en ayant une activité professionnelle, les Ouest-Africaines assument les tâches ménagères et reproductives (soins aux enfants, alimentation, collecte d’eau et de bois, etc.). Ainsi, dans cette région du continent, les hommes travaillent

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en moyenne huit heures par jour, alors que les femmes, qui totalisaient 15 heures de travail quotidiennement jusqu’au début des années 2000, consacrent dorénavant jusqu’à 18 heures par jour à leurs diverses tâches.

Selon Buisset (2012), les inégalités croissantes des rapports sociaux de sexe en Afrique de l’Ouest tirent également leur influence, et de façon non négligeable, de la conception européenne de la division sexuelle du travail et de la mise en place du capitalisme par le biais de l’État colonial. En effet, la colonisation a contribué à mettre en place une dichotomisation de la société africaine basée sur le sexe. Les hommes, engagés dans des activités lucratives et bénéficiant de diverses ressources, dont l’éducation, ont été associés au secteur moderne de l’économie tandis que les femmes confinées à la production vivrière, aux travaux ménagers et aux soins des enfants ont hérité du secteur traditionnel (Boserup, 1970). En marginalisant les femmes, cette situation a cristallisé les inégalités hommes-femmes, rendant ces dernières économiquement dépendantes des premiers, ce qui, selon Tinker (1979), a assujetti les femmes à l’autoritarisme des hommes.

Se perpétuant jusqu’à nos jours, cette hiérarchisation sociale est maintenant légitimée par le modèle culturel de la division sexuelle du travail. Dans la majorité des pays africains, les femmes, « peu importe qu’elles habitent en ville ou en campagne, sont subordonnées et dépendantes de leur mari qui détient l’autorité et contrôle l’unité domestique » (Coquery-Vidrovitch, 2013 : 26). Malgré leurs rôles de mère et de gestionnaire de foyer, elles demeurent mineures au regard de la loi et marginalisées au niveau politique, économique et social. Conséquemment, leurs perceptions d’elles-mêmes se reflètent souvent à travers les filtres créés par la pensée de domination masculine largement acceptée (Brimacombe et Skuse, 2013).

Mis en place dans les deux dernières décennies du XXe siècle pour faire écho aux gender studies, les projets de développement tendant à favoriser les femmes n’ont donc guère diminué l’écart entre les sexes, et ce, parce que les modalités de ces programmes ne tenaient entre autres pas compte du contexte des rapports sociaux de sexes ouest-africains :

Dans l’immense majorité des cas, les femmes d’Afrique de l’Ouest doivent continuer à s’acquitter de leurs tâches sans profiter pleinement des bienfaits de l’instruction, de la formation et de techniques plus modernes, avec la seule différence que maintenant la charge de travail devient plus lourde. Par ailleurs, […] les discriminations fondées sur le genre, accentuées par les projets de

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développement de la femme mésadaptés au contexte ouest-africain, contribuent de manière significative à entraver l’accès des femmes à la société mondiale de l’information, et donc aux connaissances et aux données indispensables pour prendre part aux sociétés du savoir émergentes. Or, la perspective de l’essor de la société de l’information met en relief ces problèmes dans toute leur acuité : plus que jamais, il importe que les femmes aient accès non seulement aux TIC, mais aussi à l’éducation, afin d’être aptes à utiliser ces outils (PNUD, 2001 : 54).

2.2.3 L’approche « genre et développement »

À la suite de l’échec des programmes visant à lutter contre les disparités hommes-femmes dans les PED, les perspectives sur le genre ont évolué au début du XXIe siècle, passant d’une démarche « intégratrice des femmes au développement » considérant ces dernières comme « un problème à résoudre » et comme « un groupe à part ciblé et problématique », à l’approche « genre et développement » où le rapport entre les femmes et les hommes est mis en exergue (Hovoet et al., 2007 : 15). Selon Bessette :

Les sociologues se sont aperçus qu’il ne suffisait pas de porter une attention particulière aux femmes en tant que groupe spécifique, mais qu’il fallait dans tous les cas porter une attention aux rôles différents des hommes et des femmes dans la situation de développement concernée pour en arriver à des changements équitables de statut et de conditions sociales (2000 : 61).

La question n’est donc plus posée en termes d’exclusion des femmes, mais en termes de rapports de pouvoir, empêchant un développement équitable et une véritable autonomisation des femmes. Il devient désormais plus important de reconnaître et de valoriser le rôle crucial des femmes comme actrices du développement, au moins au même titre que les hommes.

Au final, le concept de genre nous permet de relever les caractères sociaux et culturels proprement associés aux jeunes femmes d’Afrique de l’Ouest ciblées dans notre étude en plus de nous aider à définir et à comprendre la construction identitaire de ces femmes. Selon Buisset (2012), la prise en considération du genre ne peut toutefois se faire de manière isolée. Elle doit s’articuler avec l’analyse d’autres facteurs et clivages socio-économiques : appartenance à une communauté, origine ethnique, classe sociale, statut matrimonial, tranche d’âge, activité formelle ou informelle, etc. Conséquemment, ces facteurs ont été considérés parallèlement à la notion de genre dans l’analyse de nos résultats.

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2.3 La fracture numérique de genre

2.3.1 TIC et inégalités

Les premières publications traitant du « Digital divide », appelé fracture ou fossé numérique en français, datent de la décennie 90, alors que des études menées aux États-Unis soulèvent les risques liés à l’exclusion de certains groupes sociaux par rapport aux TIC (Rallet et Rochelandet, 2004). Les chercheurs y font la distinction entre les « infos riches » et les « infos pauvres », désignant respectivement ceux qui bénéficient de l’économie numérique de ceux qui en sont exclus (Ndiaye, 2008). D’abord axé sur les écarts de taux d’équipements en matériel informatique, le questionnement s’étend ensuite aux inégalités d’accès à Internet, particulièrement à la haute vitesse, puis aux inégalités d’usages (Regan Shade, 2003).

Pour l’Institut de la Statistique du Québec, la fracture numérique « […] fait référence au fait que l’adoption des TIC se fait à un rythme fort différent selon les caractéristiques socio-économiques d’une population » (2011 : 1). Granjon et al., définissent quant à eux ce concept comme :

[…] une différence notoire dans la distribution de ressources dont certains individus ou groupes sociaux subissent directement les conséquences négatives. Cette différence est socialement produite et exercée, et entraîne une hiérarchisation des positions au sein de l’espace social, qui est de facto l’expression de formes de domination qui en assurent par ailleurs la reproduction (2009 : 16).

Il est possible de distinguer plusieurs types d’inégalités numériques. Il y a d’abord des inégalités dans l’accès aux divers équipements informatiques (ordinateurs, téléphones mobiles, etc.). On peut aussi relever des disparités dans l’accès à un réseau haute vitesse, condition essentielle à l’utilisation efficace des applications les plus interactives du Web. À ces différences présentes au niveau de l’équipement s’ajoutent d’autres inégalités quant à l’appropriation, l’apprentissage et l’utilisation des TIC. En effet, si l’accès aux TIC constitue une condition incontournable à leur appropriation, il ne garantit toutefois pas que les individus en développent des usages créatifs et efficaces, propices à la transformation de l’information qui y circule en savoir (Crapeau et Metzger, 2009).

Au-delà des inégalités d’accès, la fracture cognitive qui se profile chez les utilisateurs en fonction de divers facteurs sociaux apparaît tout particulièrement préoccupante (Fluckiger,

Figure

Tableau 1 : Profil des répondantes
Tableau 2 : Principaux usages des TIC
Tableau 3 : Appréciation globale de l’utilité des TIC au niveau économique,  politique et social

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