L’exploitation des tourbières dans une perspective de développement durable

Texte intégral

(1) L’EXPLOITATION DES TOURBIÈRES DANS UNE PERSPECTIVE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE Par Émilie Campbell-‐Renaud Essai présenté au Centre universitaire de formation en environnement et développement durable en vue de l’obtention du grade de maître en environnement (M. Env.) Sous la direction de Monsieur Stéphane Tanguay MAÎTRISE EN ENVIRONNEMENT UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE Septembre 2014 .

(2) SOMMAIRE Mots clés: tourbière, tourbe, paludiculture, développement durable, restauration, conservation Les tourbières sont des milieux humides accumulateurs de tourbe qui sont d’une grande valeur écologique. Elles abritent des espèces animales et végétales adaptées à ces milieux, notamment un vaste inventaire de flore sphagnologique. De plus, elles offrent plusieurs précieux biens et services écologiques en lien avec l’approvisionnement, la régulation, le support et les services culturels. Maints usages y sont associés, soit de nature in situ, telle que la culture sur tourbière, ou ex situ, qui implique l’extraction de la tourbe comme matière première. Les tourbières sont sujettes à la dégradation en raison des impacts associés à l’exploitation et à l’extraction. Cet ouvrage vise à répondre à la question: est-‐il possible d’exploiter les tourbières dans une perspective de développement durable? Si oui, quelles sont les méthodes à privilégier? Si non, quelles approches contreviennent le moins aux objectifs du développement durable? Le but est de formuler des recommandations afin d’améliorer le bilan actuel en ce qui a trait à la protection des tourbières. Pour ce faire, une analyse comparative des alternatives et solutions possibles est effectuée dans le cadre des 16 critères du développement durable du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Celles-‐ci sont : la conservation, la paludiculture, les produits et sites alternatifs, la restauration, la certification Veriflora, le boisement, la compensation, le réaménagement et le marché du carbone. L’analyse fait ressortir la paludiculture comme option la plus durable. Elle permet une exploitation compatible avec ces milieux, c’est-‐à-‐dire sans entraver l’accumulation de tourbe ni les biens et services écologiques associés à la tourbière naturelle. Plusieurs recommandations ressortent de l’étude. Des techniques d’exploitation et de restauration sont à privilégier afin de réduire les impacts environnementaux. Entre autres, il est aussi recommandé de mettre en place une taxe du carbone associée à la tourbe et des protocoles standardisés en faveur d’un suivi complet. Des efforts de restauration, un programme de conservation, des efforts de surveillance et de suivi ainsi qu’une politique qui sont spécifiques aux tourbières seraient bénéfiques. Il serait aussi pertinent d’établir des ratios de compensation, des mécanismes de coopération internationale ainsi qu’un système d’inclusion des parties prenantes et de sensibilisation des citoyens. Enfin, il est recommandé d’effectuer une analyse de cycle de vie indépendante et en profondeur, d’évaluer l’efficacité de la tourbe vis-‐à-‐vis des produits alternatifs et d’étudier le succès de projets de restauration sur de plus grandes superficies et à plus long terme. . . i . .

(3) REMERCIEMENTS Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur d’essai, Monsieur Stéphane Tanguay, pour ses judicieux conseils, son enthousiasme, ses commentaires constructifs et son efficacité. Ce fut une collaboration plaisante et grandement appréciée. Dans un deuxième temps, je souhaite remercier mon employeur de sa compréhension, sa patience et sa flexibilité à l’égard de mon horaire chaotique d’étudiante à temps plein. J’aimerais aussi remercier les étudiants de ma cohorte avec qui j’ai eu la chance de travailler, rire, apprendre, et surtout, passer des nuits blanches dans divers cafés de Montréal. Ce sont là de précieuses amitiés qui se sont formées. Enfin, je souhaite souligner le soutien et l’encouragement précieux que ma famille et mes proches ont su m’offrir à travers cette étape de ma vie. Vous avez fait tout en votre possible pour venir en mon aide lorsque nécessaire et pour inspirer un positivisme en moi lorsque la motivation s’épuisait. Ce soutien, sur lequel je pouvais toujours compter, fut essentiel à la réalisation de cet ouvrage et de ma maîtrise en général. . . . ii .

(4) TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ............................................................................................................................................ 1 1 LES TOURBIÈRES ........................................................................................................................................ 3 1.1 Qu’est-‐ce qu’une tourbière? .............................................................................................................. 3 1.2 Leur création ...................................................................................................................................... 4 1.3 Ce qui fait leur richesse ...................................................................................................................... 8 1.4 Leurs biens et services écologiques .................................................................................................. 13 2 EXPLOITATION DES TOURBIÈRES ............................................................................................................. 18 2.1 Les usages associés aux tourbières .................................................................................................. 18 2.2 Les procédés d’extraction et de transformation .............................................................................. 21 2.3 Les impacts de la destruction des tourbières ................................................................................... 24 2.4 L’économie de la tourbe ................................................................................................................... 30 3 LA PROBLÉMATIQUE ................................................................................................................................ 32 3.1 La situation des tourbières au Québec et dans le monde ................................................................ 32 3.2 Le contexte réglementaire et autres encadrant les tourbières ........................................................ 33 3.3 Problématique et zone d’étude ........................................................................................................ 36 4 LES ALTERNATIVES ET SOLUTIONS ........................................................................................................... 37 4.1 Conservation des milieux naturels ................................................................................................... 37 4.2 Paludiculture .................................................................................................................................... 39 4.3 Produits et sites alternatifs .............................................................................................................. 40 4.4 Restauration ..................................................................................................................................... 41 4.5 Certification Veriflora ....................................................................................................................... 44 4.6 Boisement ........................................................................................................................................ 45 4.7 Compensation .................................................................................................................................. 46 4.8 Réaménagement .............................................................................................................................. 47 4.9 Marché du carbone .......................................................................................................................... 48 5 L’EXPLOITATION DES TOURBIÈRES DANS UNE PERSPECTIVE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE ................ 49 5.1 Le développement durable .............................................................................................................. 49 . . iii .

(5) 5.2 Méthodologie d’analyse ................................................................................................................... 52 5.3 Résultats ........................................................................................................................................... 55 5.4 Analyse ............................................................................................................................................. 64 6 RECOMMANDATIONS .............................................................................................................................. 68 6.1 Méthodes d’exploitation .................................................................................................................. 68 6.2 Restauration ..................................................................................................................................... 69 6.3 Émissions atmosphériques ............................................................................................................... 70 6.4 Contrôle et suivi ............................................................................................................................... 71 6.5 Prise de décisions ............................................................................................................................. 71 6.6 Participation publique ...................................................................................................................... 73 6.7 Études supplémentaires ................................................................................................................... 73 CONCLUSION .............................................................................................................................................. 75 RÉFÉRENCES ................................................................................................................................................ 77 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................... 84 . . . iv .

(6) LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX Figure 1.1 Entourbement par comblement ............................................................................................. 6 Figure 1.2 Entourbement par paludification ............................................................................................ 7 Figure 1.3 Distribution des espèces végétales typiques des tourbières de l'Est du Canada .................. 11 Figure 4.1 Sceau de la certification Veriflora ......................................................................................... 45 Figure 5.1 Schéma du développement durable ..................................................................................... 50 Tableau 5.1 Les 16 critères du développement durable du MDDELCC ..................................................... 51 Tableau 5.2 Chiffres attribués aux alternatives et solutions .................................................................... 53 Tableau 5.3 Outil d'analyse multicritères ................................................................................................. 54 Tableau 5.4 Notes attribuées aux alternatives et solutions ..................................................................... 55 Tableau 5.5 Analyse de la durabilité des alternatives et solutions selon les 16 critères de développement durable du MDDELCC ......................................................................................................................... 56 . . . v .

(7) LISTE DES ACRONYMES ACV Analyse de cycle de vie APTHQ . Association des producteurs de tourbe horticole du Québec . BBC . British Broadcasting Corporation . BSE . Biens et services écologiques . CA . Certificat d’autorisation . CIDD . Conseil interministériel du développement durable . CNACTH . Conseil nord-‐américain de conservation des terres humides . CRECQ . Conseil régional de l’environnement du Centre-‐du-‐Québec . CWA . Clean Water Act . GRET . Groupe de recherche en écologie des tourbières . LDD . Loi sur le développement durable . LQE . Loi sur la qualité de l’environnement . MAFRD . Manitoba Agriculture, Food and Rural Development . MDDELCC . Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques . MRNF . Ministère des Ressources naturelles et de la Faune . NBDAAF . New Brunswick Department of Agriculture, Aquaculture and Fisheries . NBDNR . New Brunswick Department of Natural Resources . PNAGS . Plan nord-‐américain de gestion de la sauvagine . SCS . Scientific Certification Systems . US EPA . United States Environmental Protection Agency . . . . vi .

(8) LEXIQUE Acrotelme . Couche de surface des tourbières au sein de laquelle se produisent les fluctuations de la nappe phréatique. D’une épaisseur qui varie entre 30 et 50 cm, on réfère souvent à l’acrotelme comme étant la partie vivante de la tourbière, car c’est ici que la végétation pousse et que la décomposition est accomplie (Groupe de recherche en écologie des tourbières (GRET), 2014). L’acrotelme est « responsable de la régulation des fluctuations et du maintien de la nappe phréatique près de la surface » (Rochefort, 2001). . Catotelme . Couche inférieure de tourbe étant submergée en permanence sous la nappe phréatique. Elle est composée d’une couche de tourbe qui est compactée et qui peut être plus ou moins décomposée. On y trouve donc des conditions anaérobiques, ce qui fait en sorte que la tourbe s’y décompose 2 à 4 fois moins rapidement que dans l’acrotelme. C’est ici que le carbone s’accumule (GRET, 2014). . Géogénèse . Processus de formation de la tourbe par accumulation de débris organiques et du carbone que ceux-‐ci génèrent (Parent, 2001a). . Poïkilohydrique . Se dit d’un organisme directement dépendant de son environnement pour son approvisionnement en eau. Lorsque la source d’eau s’épuise, l’organisme poïkilohydrique s’assèche et demeure dormant jusqu’à ce que l’eau devienne disponible à nouveau. C’est alors que la plante se réhydrate en absorbant cette eau et continue sa croissance (Anonyme b, s. d.). . Rhizome . Tige souterraine garnie de racines, de feuilles, et d’un bourgeon. Permet la reproduction végétale (Dauta, 2014). . . . vii .

(9) INTRODUCTION Dans le contexte d’une société dont la conscience environnementale est en plein essor, l’importance écologique des milieux humides est désormais largement reconnue. Les caractéristiques uniques de ces lieux sont incontestables et constituent de forts incitatifs à les protéger. Toutefois, les tourbières forment une catégorie de milieux humides qui est bien souvent sous-‐appréciée malgré sa grande valeur écologique. Les maints usages possibles de la tourbe et des tourbières, combinés aux lacunes actuelles en matière de protection de ces milieux, font en sorte qu’elles sont sujettes à la surexploitation, à la dégradation et à la destruction. À la lumière de cette situation, l’objectif principal de cet ouvrage est de répondre à la question suivante : est-‐il possible d’exploiter les tourbières dans une perspective de développement durable? Si la réponse est positive, un second objectif sera d’identifier la ou les meilleures méthodes d’exploitation; si la réponse est négative, il s’agira de trouver la ou les méthodes d’exploitation qui contreviennent le moins aux objectifs du développement durable. Ultimement, le but est de formuler des recommandations afin d’améliorer le bilan actuel en ce qui a trait au respect des milieux humides riches et précieux que sont les tourbières. À travers le document, la validité des sources est assurée par des critères de sélection ayant été établis avant le début de la recherche. Ainsi, la vaste majorité des articles cités ont été tirés de bases de données fiables qui ont été trouvées à l’aide du système WorldCat, par l’entremise de l’Université McGill. Ces articles proviennent de journaux scientifiques et ont été évalués par des pairs. D’autres articles ont été dénichés à l’aide des moteurs de recherche académiques JSTOR et EbscoHost, dont la réputation et la crédibilité sont reconnues. Les informations provenant de livres, empruntés de diverses bibliothèques de la région de Montréal, ont été jugées valides, lorsqu’il était évident que ces ouvrages étaient publiés par une maison d’édition de renom et que les sources étaient rigoureusement citées. En ce qui a trait aux sources provenant directement de l’Internet, celles-‐ci n’ont été considérées comme fiables que si elles étaient affiliées à un gouvernement, une municipalité, un organisme crédible (tel que GreenPeace ou la Fondation David Suzuki) ou encore un journal renommé (tel que La Presse). Pour assurer la pertinence et l’actualité des données, les dates de publication des ouvrages cités ne dépassent généralement pas 15 ans. Seules trois sources dépassent cet horizon, mais aucun ouvrage ne . . 1 .

(10) date de plus de 17 ans. Lorsque le choix s’est présenté entre plusieurs études sur le même sujet, et lorsque la qualité et la rigueur des documents étaient comparables, l’étude plus récente a été privilégiée. Enfin, d’une façon plus subjective, certaines caractéristiques pouvant dénoter de la crédibilité ont été considérées lors de la sélection de sources d’informations, telles que le nombre d’auteurs et d’études cités dans le texte, l’objectivité de l’ouvrage ou encore la renommée de l’auteur (une simple recherche Internet faisant ressortir les sommités dans le sujet). Le présent document est divisé en six chapitres. Le premier est constitué d’une mise en contexte sur ce qu’est une tourbière, comment elle est formée, ce qui fait sa richesse et quels sont les biens et services écologiques qu’elle apporte. Le chapitre deux s’intéresse à l’exploitation des tourbières, c’est-‐à-‐dire aux usages possibles de la tourbe et des tourbières, les méthodes d’extraction et d’exploitation, ainsi que les impacts environnementaux associés à la dégradation de ces milieux. Le troisième chapitre expose l’ampleur de la problématique. Pour ce faire, la situation des tourbières au Québec et dans le monde, ainsi que la réglementation encadrant les tourbières, sont discutés. Le chapitre quatre présente les solutions pouvant amoindrir les impacts de l’exploitation des tourbières, ainsi que les alternatives à cette ressource. Les neuf alternatives et solutions discutées sont reprises dans le cadre du chapitre suivant, qui constitue la portion analyse de l’ouvrage. Ainsi, afin d’évaluer la durabilité des différentes alternatives et solutions, une analyse multicritères est effectuée selon les 16 critères du développement durable du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC). Les réponses aux questions encadrant cet ouvrage ressortent de cette analyse et les résultats sont discutés. Enfin, le sixième chapitre met de l’avant des recommandations qui découlent de la recherche et de l’analyse effectuées. . . . . 2 .

(11) 1 LES TOURBIÈRES Ce chapitre vise à présenter les aspects qui font la richesse et la spécificité des tourbières. D’abord, la définition de ce qu’est une tourbière est présentée. Ensuite sont expliqués les procédés par lesquels ces milieux sont créés. Une discussion des éléments faisant des tourbières des milieux uniques et extraordinaires suit. Les biens et services écologiques qu’elles apportent sont ensuite énumérés. L’objectif de cette section est de mettre en lumière les raisons pour lesquelles les tourbières sont précieuses et pourquoi il est impératif de les gérer de façon à assurer leur pérennité. 1.1 Qu’est-‐ce qu’une tourbière? Il est tout d’abord pertinent de définir ce en quoi consiste une tourbière. Connues en anglais sous le nom de mire ou de peatland (Payette et Rochefort, 2001), elles constituent une catégorie de milieux humides dont la principale caractéristique est de se développer sur un dépôt de tourbe mal drainé (Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), 2012). Les milieux humides sont des endroits où le sol est généralement saturé ou inondé pendant de longues périodes, créant ainsi des milieux où un sol distinctif favorise la présence d’une végétation spécialisée qui croit dans des conditions dans lesquelles l’oxygène est appauvri ou absent (Traduction libre de : Aber et autres, 2012). Les milieux humides constituent des milieux aux conditions terrestres, hydrologiques et climatiques uniques. Tout en constituant des foyers de grande biodiversité, ils jouent un rôle vital dans le cycle hydrologique ainsi que dans le stockage de nutriments et d’énergie (Aber et autres, 2012). Outre les tourbières, les différents types de milieux humides sont les marais, les marécages et les plans d’eau peu profonds, aussi connus sous le nom d’herbiers aquatiques. Bien que tous ces milieux soient caractérisés par une abondance d’eau, leurs régimes hydrologiques diffèrent. Ces régimes « dépendent de l’interaction entre la lithologie locale (la géologie, le sol, la topographie) et le climat, ce dernier déterminant l’écoulement et l’emmagasinage de l’eau » (Price, 2001). Les marais, marécages et herbiers aquatiques sont caractérisés par une végétation qui est submergée annuellement, d’après un cycle hydrologique qui est influencé par la localisation du milieu humide à proximité des plans d’eau (Payette et Rochefort, 2001). Dans ces milieux, la matière organique produite annuellement se décompose sur place ou est transportée ailleurs avec les mouvements de la nappe d’eau au fil des saisons (Payette et Rochefort, 2001). . . 3 .

(12) Ce sont les modes de décomposition de la végétation et d’alimentation en eau qui distinguent les tourbières des autres types de milieux humides (Payette et Rochefort, 2001). En effet, les tourbières sont caractérisées par un rythme d’accumulation de tourbe supérieur au taux de décomposition de celle-‐ci (Payette et Rochefort, 2001). Cette tourbe est constituée de matières organiques en décomposition provenant « de mousses, de plantes herbacées et de matériaux ligneux » (Parent, 2001a). Par définition, la tourbe est composée d’au moins 30 % de matière organique ou 17 % de carbone (Parent, 2001a). Une tourbière est généralement caractérisée par la présence d’une couche de tourbe ayant une épaisseur minimale de 30 à 40 cm. Certaines exceptions existent toutefois, puisque les tourbières peuvent se former dans de grandes surfaces bien drainées, en l’absence d’un substrat humide; ces tourbières peuvent donc avoir une épaisseur de tourbe inférieure à 30 cm (Payette, 2001). Définir avec précision une tourbière peut donc constituer un défi, particulièrement dans les régions aux climats et aux conditions dits extrêmes, telles que les façades océaniques de l’Atlantique (Payette, 2001). Néanmoins, on s’entend généralement pour définir en tant que tourbière un « milieu à drainage variable » dans lequel « le processus d’accumulation organique prévaut sur les processus de décomposition et d’humidification, peu importe la composition botanique des restes végétaux » (Payette, 2001). 1.2 Leur création La principale caractéristique des milieux humides est la présence d’une nappe phréatique qui se trouve à proximité ou au-‐dessus de la surface du sol. Ces conditions favorisent le développement de sols hydriques, d’une végétation hydrophile et d’activités biologiques particulières à ce type de milieu (Price, 2001). La formation ou non d’un milieu humide tel qu’une tourbière dépend du bilan hydrique, c’est-‐à-‐dire la résultante du rapport entre les précipitations et l’évapotranspiration. Ainsi, un bilan hydrique positif correspond à une accumulation d’eau, alors qu’un rapport négatif est synonyme à un déficit en eau (Payette, 2001). Rappelons que les tourbières se forment là où le taux d’accumulation de la matière organique est supérieur à la vitesse à laquelle celle-‐ci se décompose. Les tourbières sont formées de deux façons, soit l’entourbement par comblement (terrestrialization) ou par paludification. Les deux procédés impliquent la transformation des habitats terrestres et aquatiques en réponse à une modification des conditions atmosphériques ou des conditions hydrologiques du substrat . . 4 .

(13) (Payette, 2001). La formation d’une tourbière par comblement désigne l’entourbement d’un lac ou d’un plan d’eau par l’empilement de sédiments au fond de celui-‐ci (Payette, 2001). La paludification, quant à elle, réfère à l’entourbement d’un site terrestre, c’est-‐à-‐dire « l’accumulation de tourbe terrigène sur un substrat subaquatique ou terrestre, humide ou bien drainé » (Payette et Rochefort, 2001). Les deux procédés ne sont pas mutuellement exclusifs et peuvent être simultanément à l’œuvre. L’entourbement par comblement nécessite des conditions environnementales très particulières; c’est pourquoi on observe ce processus principalement au sein des petits lacs ou des mares peu profondes. Au début de la transformation, il se développe une végétation aquatique flottante composée d’un large éventail d’espèces hydrophiles, telles que les potamots et les nénufars. Ensuite, les abords du plan d’eau deviennent dominés par des plantes aquatiques, qui sont bien enracinées dans le sol et qui produisent une forte biomasse, ainsi que par des mousses et des végétaux riverains (Payette, 2001). Lors de périodes de sécheresse, la végétation aux abords du plan d’eau se propage vers le centre de celui-‐ci, avant d’être submergée et détruite par l’action des vagues lorsque le niveau d’eau remonte. Ce phénomène est illustré à la figure 1.1. De hauts niveaux d’eau retardent l’entourbement, voire l’arrêtent, mais favorisent toutefois l’entourbement des rives par paludification. La paludification est un procédé dynamique par lequel l’accumulation de tourbe s’étale sur un sol préalablement sec grâce à la formation de conditions de rétention d’eau (Fenton, 2004). Ce phénomène prend souvent place dans des bassins humides et dans des dépressions topographiques, ainsi qu’en bordures de bassins. Au fur et à mesure que la tourbe s’accumule, celle-‐ci peut s’étaler à l’extérieur de son bassin d’origine et atteindre le paysage entourant ce dernier (Fenton, 2004). Elle peut même gravir une inclinaison allant jusqu’à 20 %. Dans de telles situations, le dépôt de tourbe développe son propre système de drainage interne, sans quoi l’accumulation d’eau par précipitations pourrait causer un glissement de terrain de la masse tourbeuse (Fenton, 2004). Ce procédé, qui est le plus important des deux, prend différentes formes, dépendamment du climat dans lequel il prend place, mais il demeure toujours « une réponse de la végétation à un stimulus externe, dont le plus important est de nature climatique » (Payette, 2001). D’autres agents déclencheurs existent, tels que la construction de barrages par les castors, ce qui « entraine une modification considérable et rapide de la morphologie et de l’hydrologie de cours d’eau » (Payette, 2001). . . 5 .

(14) . . Gyttja (boue lacustre) . . . Tourbe . Roc . Dépôt meuble . Plante aquatique Figure 1.1 Entourbement par comblement (Tiré de : Payette, 2001) . . . 6 .

(15) De tels changements causent des modifications au sein des conditions de drainage du sol entourant une tourbière, permettant aux espèces tourbicoles d’envahir la végétation bordière (Payette, 2001). Ce phénomène est illustré à la figure 1.2. . Figure 1.2 Entourbement par paludification (Tiré de : Anonyme a, s.d.) La tourbe est composée de débris organiques qui s’accumulent depuis parfois des millénaires : les tourbières sont donc de véritables reposoirs de plantes qui s’empilent continuellement, accumulant ainsi du carbone (MRNF, 2012). Ce processus de formation de tourbe est appelé géogénèse (Parent, 2001a). La tourbe contient des minéraux sous forme granulaire, dissoute ou précipitée, qui se trouvent mélangés à la matière organique en quantités variables (Parent, 2001a). L’accumulation de cette tourbe résulte de la minéralisation et de l’humification. La minéralisation est le procédé par lequel les micro-‐organismes transforment les matières organiques en CO2, en eau et en minéraux alors que l’humification est « le processus de synthèse de substances humiques de couleur brune à noire, à partir des matériaux organiques en décomposition » (Parent, 2001a). Ces deux procédés agissent très lentement et de façon simultanée au sein du catotelme. . . 7 .

(16) En ce qui concerne la classification des tourbières, deux grandes familles existent : les tourbières minérotrophes, aussi nommées fens, et les tourbières ombrotophes, ou bogs. La distinction dépend du type d’alimentation en eau, car cette dernière influence la végétation en diversité et en composition (MRNF, 2012). Ainsi, les fens sont alimentés par les précipitations ainsi que les eaux souterraines et de surface, qui sont riches en nutriments et en minéraux. Ceci contribue à la grande productivité et diversification végétale de ces milieux (Canards illimités Canada, s.d.). En ce qui a trait aux bogs, leur source d’alimentation hydrique provient essentiellement des précipitations. La diversité végétale y est donc faible, car ces milieux ont de faibles teneurs en nutriments (Canards illimités Canada, s.d.). Au fil des ans, les fens ont tendance à se transformer en bogs car l’effet d’accumulation de la tourbe entrave la libre circulation des eaux qui apportent les minéraux et nutriments aux tourbières (MRNF, 2012). 1.3 Ce qui fait leur richesse Bien que la tourbe ne contienne pas de nutriments en soi, les tourbières sont des milieux d’une grande richesse en grande partie attribuable à l’hydrologie particulière propre à ces milieux. La chaine d’influences hydrologiques des tourbières se présente comme suit : « Les effets latitudinaux déterminent l’accumulation de tourbe selon les taux de production et de décomposition, qui sont particulièrement influencés par la radiation associée à la photosynthèse et à la température, selon la disponibilité d’humidité, qui est en fonction de l’approvisionnement en eau atmosphérique et selon l’énergie disponible pour l’évapotranspiration » (Price, 2001). Rappelons que dans le cas des tourbières minérotrophes, l’entrée d’eau se fait par l’entremise des précipitations, du ruissèlement de surface et de l’écoulement souterrain; alors que seules les précipitations alimentent les tourbières de type ombrotrophe. L’eau s’évacue surtout par évapotranspiration, mais peut aussi s’écouler de façon souterraine ou par inondation (Price, 2001). L’aspect le plus unique des tourbières est leur capacité d’emmagasinage de l’eau, qui varie selon le type de tourbière. Les tourbières ombrotrophes sont sujettes à des taux de stockage plus irréguliers puisqu’elles dépendent entièrement d’entrées d’eau provenant des précipitations. Les tourbières minérotrophes étant plus intimement liées à la nappe phréatique, ce sont plutôt les fluctuations saisonnières de celle-‐ci qui influencent leur capacité de stocker l’eau et de . . 8 .

(17) former de la tourbe. Les tourbières qui bénéficient d’une entrée d’eau souterraine sont davantage propices à la formation de tourbe, grâce aux fluctuations dans le niveau de la nappe phréatique qui sont généralement modérées. L’hydrologie des tourbières québécoises est particulièrement intéressante, car les écarts saisonniers modifient et influencent constamment les corridors d’écoulement souterrain de ces milieux. Par exemple, lors de la fonte des neiges, l’afflux d’eau provenant des hautes terres fait augmenter le niveau de la nappe. Le ruissèlement printanier est l’épisode hydrologique le plus important dans les tourbières (Price, 2001). Un second aspect contribuant à la richesse des tourbières découle du fait qu’elles peuvent renfermer diverses niches écologiques, ce qui s’explique par les différences topographiques entre les buttes et les dépressions ainsi que par les conditions qui varient entre le centre et les bordures d’une même tourbière (Campbell et Rochefort, 2001). L’écologie tourbeuse est unique en son genre et ces conditions sont favorables à une grande diversité végétale et animale. Un troisième aspect unique aux tourbières relève des conditions difficiles qui s’y trouvent : il s’agit généralement de milieux propices à l’inondation constante, qui sont caractérisés par un manque de nutriments et qui sont souvent acides et exposés au vent et au soleil (Jeglum et Rydin, 2013). Ainsi, les organismes qui y vivent ont forcément su s’adapter, à travers leur évolution, à ses conditions difficiles. Un très bon exemple est celui de la plante insectivore : certaines espèces ont su s’adapter aux tourbières en compensant pour la carence en nutriments de ces milieux. Pour ce faire, la plante attire à elle des insectes de différentes façons (avec une couleur ou une odeur attrayante, en les aspirant par succion sous l’eau, etc) et les digère une fois capturés, afin de supplémenter sa diète (Jeglum et Rydin, 2013). En ce qui a trait aux tourbières, les plantes insectivores les plus connues sont la sarracénie, mais on retrouve également plusieurs espèces de rossolis ainsi que des utriculaires et des grassettes (Rochefort, 2001). On y trouve également les espèces Drosera, Pinguicula et Dionaea muscipula (Jeglum et Rydin, 2013). Au plan végétal, la végétation tourbeuse est composée essentiellement de végétaux vasculaires et de bryophytes, cette dernière famille incluant les mousses et les sphaignes (Campbell et Rochefort, 2001). Les plantes vasculaires obtiennent leurs éléments nutritifs par l’entremise de leurs racines, qui pompent l’eau chargée de nutriments à travers leur système. Dans les . . 9 .

(18) tourbières, le réseau de racines associé à ces plantes est souvent plus important que la couverture végétale à la surface, puisque ces plantes doivent étendre leurs racines profondément dans la tourbe afin de faire compétition aux plantes bryophytes. Ces dernières, quant à elles, sont poïkilohydriques : elles sont caractérisées par l’absence de tissus vasculaires qui servent à transporter l’eau et les éléments nutritifs à travers leur système. Ces végétaux s’alimentent donc uniquement par l’entremise de l’eau qui entoure leurs parties en croissance, particulièrement par les feuilles (Campbell et Rochefort, 2001). Les bryophytes sont les plus abondantes dans les tourbières; elles occupent le premier rang parmi toutes les plantes de la planète en terme de biomasse, lorsqu’on tient compte de leur biomasse vivante combinée à la tourbe qu’elles ont accumulée dans les tourbières (Gauthier, 2001). Les sphaignes poussent au-‐ dessus des racines des plantes vasculaires et captent les éléments nutritifs directement à partir de leurs feuilles (Campbell et Rochefort, 2001). Dotées du pouvoir d’acidifier un milieu et de produire de la tourbe, les sphaignes créent elles-‐mêmes les conditions favorables à leur propre prolifération; leur abondance dans les tourbières n’est donc pas surprenante (Gauthier, 2001). Bien que plusieurs espèces de sphaignes croissent dans d’autres milieux, tels que les forêts conifériennes, ces plantes sont « absolument indissociables » des tourbières, car elles constituent un « élément clef de l’écosystème tourbeux » en jouant un rôle majeur dans la formation de la tourbe (Gauthier, 2001). Les tourbières du Québec renferment un vaste inventaire de flore sphagnologique : en effet, 44 espèces différentes ont été observées dans la péninsule du Québec-‐Labrador seulement (Gauthier, 2001). Cette richesse est attribuable à la grande diversité géographique couverte par la province, qui s’étale de la zone tempérée jusqu’en zone arctique et, d’est en ouest, d’une zone maritime à une zone continentale. De plus, le Québec abrite la seule et unique tourbière du monde dans laquelle l’espèce Sphagnum splendens Maass ait été observée à ce jour (Gauthier, 2001). Tel qu’illustré à la figure 1.3, la hauteur à laquelle se trouve la couverture végétale relativement à la nappe phréatique détermine les modes d’alimentation des végétaux bryophytes et vasculaires et influencent leur distribution au sein des tourbières. Les espèces présentées dans les lignes suivantes comptent parmi les espèces typiquement trouvées dans les tourbières de l’Est du Canada. Dans les buttes tourbeuses, dont la hauteur est supérieure à 25 cm, les tourbières minérotrophes renferment généralement des espèces comme Tomenthypnum nitens et Sphagnum warnstorfii, alors que les tourbières ombrotrophes ont plutôt tendance à accueillir . . 10 .