5 L’EXPLOITATION DES TOURBIÈRES DANS UNE PERSPECTIVE DE DÉVELOPPEMENT DURABLE 49
6.6 Participation publique 73
Une gestion multidisciplinaire est à favoriser dans la gestion des tourbières parce que ces milieux concernent et affectent un large éventail de disciplines et d’activités, telles que la biologie, le tourisme, l’agriculture, la chasse et pêche, l’histoire et l’horticulture (LePage, 2011). L’un des éléments clefs d’une telle approche est la communication entre les parties prenantes, en portant une attention particulière aux citoyens. Le principal défi en lien avec ce concept est la répartition démographique. Une portion croissante de la population s’installe dans les villes, s’éloignant ainsi des milieux naturels et se déconnectant de ceux-‐ci (LePage, 2011). Il est donc peu surprenant que les gens se sentent peu concernés ou interpellés par les questions de protection des tourbières. Par conséquent, il est important d’approcher la question en mettant l’accent sur les BSE qu’apportent les milieux naturels, afin de faire la connexion entre les urbains et les milieux naturels.
Le droit au savoir fait partie intégrante de la définition québécoise du développement durable. Pourtant, il y a un manque de compréhension en ce qui a trait aux tourbières, à la tourbe, et à l’importance de ces milieux. L’information et la participation du public sont essentielles à la compréhension de ces enjeux (Bullock et autres, 2012). La sensibilisation des citoyens est donc un premier pas essentiel à la protection de ces milieux. L’important, c’est de présenter les tourbières en tant qu’atouts nationaux qui contribuent à la richesse et à la diversité écologique du pays et qui peuvent permettre de respecter les engagements internationaux (Bullock et autres, 2012). Il est aussi important de travailler en concertation avec les groupes environnementaux (Hood, 1999). Pour contrer toute résistance, qui s’exprime le plus souvent en termes de perte de profits, il est possible d’exprimer les BSE quant à leur valeur monétaire, ce qui est susceptible de susciter un intérêt plus accru pour ceux-‐ci.
6.7 Études supplémentaires
La recherche a dévoilé que certains aspects en lien avec les tourbières méritent de faire l’objet d’une étude plus approfondie. Tout d’abord, il serait intéressant qu’une analyse de cycle de vie (ACV) de la tourbe soit effectuée de façon poussée et indépendante. La seule ACV actuellement disponible est celle sur le site Internet de l’Association des producteurs de tourbe horticole du Québec (APTHQ). Par contre, celle-‐ci n’explore pas tous les aspects de la vie de la tourbe et a été faite par un organisme ayant visiblement un parti pris dans la question. Dans la littérature, il
semble aussi y avoir un manque d’études comparant la tourbe à ses alternatives en termes d’efficacité selon les maints usages possibles. La majorité de ces études s’intéressent à la tourbe comme source de carburant ou en tant qu’engrais en horticulture, mais il serait intéressant d’en savoir davantage sur la performance relative de la tourbe en matière d’absorption, de biofiltration, de culture maraîchère et d’agriculture, par exemple. Ensuite, des études plus approfondies quant au succès de projets de restauration sont nécessaires, car il n’y a toujours pas de consensus à cet effet. La complexité des relations écosystémiques, surtout au sein des tourbières, ne peut être sous-‐estimée. De plus, l’accumulation de tourbe peut prendre plusieurs décennies, voire des siècles. Les études visant à évaluer la restauration devraient donc être effectuées sur des superficies plus importantes et, surtout, sur un laps de temps plus allongé que les études existantes. Enfin, l’utilisation de l’imagerie radar afin d’effectuer un suivi sur la restauration d’un milieu semble être une piste prometteuse; il serait toutefois intéressant d’étudier de façon plus approfondie l’efficacité de cette méthode, ainsi que sa faisabilité technique et financière. Il serait aussi intéressant d’identifier d’autres méthodes, outre l’imagerie radar et l’échantillonnage sur place, pour évaluer le succès de projets de restauration.
CONCLUSION
Dans le contexte d’une conscientisation environnementale généralement croissante, il est pertinent de se questionner sur la durabilité de l’exploitation des ressources naturelles, surtout si celles-‐ci se retrouvent au sein de milieux à intérêt particulier. Or, il a été établi que les tourbières sont d’une grande valeur écologique et que leur protection est bénéfique au niveau de l’environnement local autant que global. Ces milieux sont toutefois menacés en raison des incitatifs financiers qui sont rattachés à leur exploitation; les tourbières sont donc sujettes à la dégradation et à la destruction. À la lumière de ces faits, l’objectif de cet ouvrage était de déterminer s’il est possible d’exploiter les tourbières de manière durable. L’analyse comparative des options possibles, effectuée dans le cadre des 16 critères du développement durable du MDDELCC, a révélé que, mise à part la conservation totale des tourbières, la paludiculture est la seule méthode d’exploitation qui puisse être considérée comme durable. Cette approche permet d’exploiter les tourbières d’une manière compatible avec les conditions de ces milieux, c’est-‐à-‐dire sans entraver l’accumulation de tourbe ni les BSE de la tourbière naturelle.
Les recommandations mises de l’avant sont susceptibles d’améliorer les connaissances en matière de tourbières ainsi que le bilan des pratiques environnementales rattachées à leur exploitation. D’abord, en matière d’exploitation, il a été recommandé que des zones à conserver soient désignées avant le début des travaux et que certaines méthodes soient privilégiées lors de l’exploitation afin de réduire les dommages environnementaux de ces activités. En ce qui a trait à la restauration, des buts et objectifs clairs doivent être établis dès l’étape de la planification. De plus, certaines méthodes sont à privilégier. Le Peatland Restoration Guide de Rochefort et Quinty est un bon outil à cet effet (Rochefort et Quinty, 2003). Afin de réduire les émissions atmosphériques engendrées par l’exploitation des tourbières, il est possible de mettre en pratique certaines techniques de labourage et de gestion de la nappe phréatique. Il est également recommandé, dans une perspective de pollueur-‐payeur, d’associer une valeur à cette ressource en fonction des coûts externes liés à son usage, telle qu’une taxe du carbone. Ceci est toutefois susceptible de réduire la compétitivité de la tourbe sur le marché, tout en conscientisant le public et les exploitants aux impacts réels de cette exploitation. En termes de contrôle et de suivi, il serait bénéfique de mettre en place des protocoles standardisés afin d’assurer un suivi, complet et à long terme, des techniques de rétablissement. En ce qui a trait à la prise de décisions, il est recommandé d’interdire légalement certains usages de la tourbe,
d’effectuer un inventaire complet des lieux avant le début de l’exploitation, d’établir des ratios de compensation et, enfin, de mettre en place un programme de surveillance, un programme de conservation spécifique aux tourbières et des mécanismes de coopération internationale à cet effet. Les recommandations en matière de participation publique préconisent une approche multidisciplinaire, l’inclusion des parties prenantes ainsi que la mise en œuvre d’efforts de sensibilisation afin de conscientiser les citoyens à l’enjeu des tourbières. Enfin, il est recommandé d’effectuer des études comparatives afin d’évaluer l’efficacité de la tourbe vis-‐à-‐ vis ses alternatives, ainsi qu’une ACV de la tourbe complète et indépendante. De plus, il serait pertinent d’évaluer le succès de projets de restauration sur de plus grandes superficies et à plus long terme.
La gestion des tourbières comporte d’importants défis quant au complexe réseau d’enjeux qui sont rattachés à ces milieux. Les preneurs de décisions doivent tenir compte des aspects physiques des tourbières tels que l’hydrologie et l’écologie, mais aussi des facteurs sociaux comme l’économie, le patrimoine culturel et l’équité intergénérationnelle. Il est donc important de ne pas sous-‐estimer l’importance de l’inclusion des parties prenantes et d’une approche multidisciplinaire dans cette gestion. Néanmoins, la littérature révèle que le niveau de connaissances au sujet des tourbières s’accroît graduellement, de même que l’appréciation de leur importance écologique. Les décennies récentes ont été témoins d’un progrès significatif en matière de rétablissement de milieux dégradés. D’importants progrès ont été faits sur ce plan grâce à l’accroissement des connaissances en la matière, l’avancement de la technologie et l’amélioration des techniques de restauration. En terminant cet ouvrage, l’espoir est que les recommandations mises de l’avant puissent contribuer à cet avancement, afin que les générations futures puissent elles aussi jouir des bienfaits qu’apportent ces milieux précieux.
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