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Zonage et modalités de prise en compte des structures endogènes de gestion de la terre de gestion de la terre

ZONAGE ET GESTION DES RESSOURCES NATURELLES

III.3.3. Zonage et modalités de prise en compte des structures endogènes de gestion de la terre de gestion de la terre

III.3.3.1. Analyse de l'implication des populations dans la mise en œuvre des stratégies de conservation

Comme mentionné au point III.3.1.1.2, avant la création de la réserve, la gestion du foncier à Luki était régie par la loi coutumière, axée sur des spécificités liées à l'historique d'installation des populations. Les chefs de lignages ont coordonné le partage de la terre, ses règles d'accès ainsi que d'usage. L'appartenance à un lignage confère à une personne le droit d’accès. Les populations locales se réfèrent à des pratiques dictées par les garants de la terre, qui sont les chefs de famille.

A partir de 1937, la gestion foncière basée sur les règles coutumières est remplacée par la gestion administrative dictée par ordonnance n° 5 AGRI du 12 janvier 1937, interdisant l'installation des habitations et l'exploitation en dehors des limites démarquées. La forêt fait d'office l'objet de plusieurs initiatives de conservation issues des stratégies de préservation des espèces végétales et animales. Cette période est caractérisée par la mise en œuvre des profonds aménagements tels que la délimitation de la réserve (limite externe) et des enclaves. Sous l'impulsion de l'administration coloniale, les populations sont déplacées, les autorités coloniales récupèrent les forêts exploitées par les populations et les obligent à se regrouper dans des enclaves.

D'après nos enquêtes, la mise en œuvre des stratégies de conservation révèle clairement que les populations en particulier les structures endogènes de gestion de la terre n'ont pas été impliquées suffisamment dans le processus de zonage de la conception à la mise en œuvre des stratégies appliquées. Les limites de la réserve et des enclaves n'ont pas été établies de façon concertée avec les populations locales. Aucune forme de négociation n'a été entreprise entre les autorités administratives coloniales et les populations locales. L'objectif de la création de la réserve était de sécuriser certaines zones de forêt jugées encore intactes. Quant aux enclaves, leurs délimitations avaient un double objectifs : (1) celui de contenir les soulèvements des populations suite au «déguerpissement» induit par la décision de la création de la réserve et (2) de sécuriser le reste de la réserve encore intacte. La prise en compte des intérêts des populations était classée en arrière-plan. D'après les récits de vie, les populations ont juste été informées sur les règles et les limites à respecter, qui par la suite ont été matérialisées sur le terrain.

158 Au vu du dispositif de zonage et des objectifs de conservation affichés, nous pensons que l'aménagement réalisé visait à priori à rencontrer les objectifs de préservation des espèces animales et végétales. Cela se manifeste par le fait que lors des délimitations des zones de conservation, les conversationnistes ont fait abstraction des relations hiérarchiques qui existaient entre les lignages, celles établies selon le principe du premier occupant sur le territoire ou de l'obtention des objets ancestraux offrant ainsi le pouvoir sur le foncier. La gestion endogène du foncier basée sur les règles endogènes a été remplacée par la gestion étatique. Les membres de lignages déplacés ont perdu leur droit de propriété et se sont vus attribuer un droit d'usage commun sur les terroirs des autres lignages, qui à leur tour ont également perdu le droit de propriété sur leur terre. Ils se sont tous retrouvés avec le même droit foncier sur l'espace dans lequel ils ont été recasés. Si à l'égard de l'Etat colonial, les soulèvements des populations par rapport aux «déguerpissements» avaient été maîtrisés par la création des enclaves, cette solution intermédiaire s'est plutôt révélée initiatrice d'autres soulèvements. Les enclaves qui sont considérées par l'aménagiste comme la terre de l'Etat, étaient par contre considérées par ses occupants comme l'héritage de leurs ancêtres. Les lignages, «propriétaires» des terres érigées en enclaves, se sont vus dépossédés de leurs terres, qui ont été transformées en un «bien commun» de tous les lignages établis.

Cette ignorance ou cette connaissance superficielle des modalités d'appropriation et de gestion de terres par les chefs de lignage entraîne les conflits d'usage et d'accès entre : (1) les populations entre elles et (2) les populations et le pouvoir colonial.

Ces faits précités illustrent clairement la volonté de l'aménagiste de «lisser la réalité sociale» en imposant un critère d’homogénéité à ses interlocuteurs, ignorant les relations hiérarchiques qui régissent la vie sociale et le foncier.

Il s'illustre clairement ici que la représentation de l'espace par l'aménagiste ne correspond pas à la représentation de l'espace des populations.

Après ces grands aménagements liés à la délimitation de la réserve et des enclaves, à partir des années 1940, la forêt de la réserve a été profondément remaniée dans le but d'identifier les normes pour une sylviculture tropicale rentable. Ces expérimentations reposaient sur deux méthodes d'enrichissement et d'amélioration des peuplements naturels: l'Uniformisation par le Haut (UH) et l'Uniformisation par le Bas (UB) (Voir point II.4.1.2).

159 Confronté à la difficulté technique d'assurer un entretien suffisant aux plantations d'essences précieuses, l'INEAC avait conçu le principe des contrats avec des paysans qui manquent des terres arables.

La proposition de l'implication des populations consistait à planter les bananiers, des caféiers ou des cacaotiers en intercalaire avec les essences précieuses. Les essences forestières bénéficient des soins apportés aux bananiers, aux caféiers ou aux cacaotiers. En contrepartie, le paysan profite de la récolte avant d'abandonner le terrain qui demeure la propriété de l'Etat, au même titre que les essences forestières plantées.

Il ressort de tout ce qui précède que la volonté de préserver l'échantillon de la forêt originelle demeure présente dans les opérations d'aménagement de la réserve. La délimitation des parcelles a été faite de façon autoritaire sans impliquer des populations préétablies sur les territoires. Aucune forme de concertation n'avait été réalisée au préalable. Le but principal était la productivité des forêts pour l'industrie de bois.

C'est en 2004, cela dans le souci de répondre aux exigences d'une réserve de biosphère suivant le modèle d'un zonage à 3 auréoles concentriques que le WWF/RDC participe à la conception des stratégies de conservation et de développement auprès du gouvernement Congolais à travers le projet de développement. Et c'est dans le cadre du projet intitulé « projet de développement et de conservation de la réserve de Luki » qu'a été mise en œuvre le plan de zonage, considéré comme un apport technique visant à améliorer la capacité de gestion et de répression des activités illégales.

Le plan de zonage est la première stratégie de conservation appliquée à Luki pour concilier la conservation et le développement local. Son principe de fonctionnement est basé sur un accord entre les acteurs de conservation et les populations. Cet accord consiste à mettre en protection une partie de la forêt au profit de la faune et/ou de la flore, en contrepartie de bénéfices sociaux et/ou économiques (Hanon, 2008). Normalement, sa délimitation est définie en concertation avec les populations, qui ensemble avec les autorités de l'Etat définissent à travers un plan de gestion, les limites, les modalités d'accès et les règles d'usage.

Cependant, nos recherches sur les sites ont révélé que les populations n'ont pas été impliquées de la conception à la matérialisation des limites du plan de zonage. L'enjeu visé est le renforcement de la sécurisation de la zone centrale, la délimitation de la zone tampon

160 et de la zone de transition par des bornes de délimitation en vue de répondre aux critères d'une réserve de biosphère. Les limites du plan ont été discutées au bureau entre le WWF, l'INERA et le MAB, sur base de propositions préétablies en fonction d’objectifs préalablement définis par le projet en vue des résultats escomptés. Les éléments pris en compte dans la conception du plan de zonage sont : (1) la progression du front agricole vers la zone centrale, (2) l'existence des enclaves et des parcelles forestières remaniées. Les premiers zonages établis par les aménagistes ainsi que leurs modalités de gestion n'ont pas été remis en question.

L'absence des autorités coutumières et traditionnelles de la conception à la mise en œuvre du plan de zonage est notée. Ces autorités sont plutôt informées du processus au lieu d'être impliquées dans le processus, alors qu'elles représentent des acteurs incontournables dans les affaires foncières comme l'illustrent également Binot et Joiris (2007) dans leur étude qui aborde les questions foncières touchant les utilisateurs des ressources naturelles.

Cette absence de prise en compte des autorités traditionnelles dans les aménagements entrepris accentue les abus d’ordre technique (violation de l’intégrité de l’aire centrale par la carbonisation, le braconnage, la coupe de bois, etc.). Cette situation qui consiste à ignorer ou à contourner l'autorité coutumière en matière de règles d'usages des ressources naturelles et de gestion du foncier n'est pas particulière à Luki. Les auteurs comme Goodman (2003), Igoe & Brockington (2007) soulèvent également cette non-prise en compte des autorités endogènes au rang des « décideurs». Elles sont plutôt considérées comme des «bénéficiaires» que comme des gestionnaires de l'espace.

La non implication de ces autorités coutumières, détenant le pouvoir de gestion des questions foncières dans les processus d'aménagement résulte des blocages, des conflits et des menaces verbales entre les populations et les agents de conservation (Binot et al., 2010; Binot, 2010; Hanon, 2008).

La représentation de l'espace de l'aménagiste n'est pas prise en compte par les populations locales, qui ne comprennent pas son bien-fondé. Nous nous demandons comment ces dernières intégreront les nouvelles règles d'usage et d'accès à la ressource? Cette appropriation de la représentation de l'espace par les populations est un aspect très important qui a été négligé dans la mise en œuvre du zonage entrepris à Luki.

161 III.3.3.2. Analyse de la représentativité des parties prenantes dans les structures de gestion La difficulté particulière de gestion de la réserve de Luki est liée à la présence de deux institutions étatiques présentes dans la réserve : l'INERA et le MAB. Pour surmonter les divergences en termes de politiques de conservation sur le terrain, il a été mis en place un comité de gestion de la réserve appelé le «Comité Local de Pilotage» (CLP) dans le cadre du projet d'appui aux acteurs institutionnels de la réserve, supervisé par le WWF/Kinshasa. Le nouveau centre de décision est régi par une convention de collaboration entre les acteurs présents dans la réserve. C'est un organe de décision, un instrument de dialogue entre les acteurs présents dans la réserve.

Notre principale analyse est basée sur la composition du CLP qui nous pousse à poser cette question : dans quelle mesure le CLP peut-il établir le dialogue entre les parties prenantes si on note une faible représentation des populations locales dans sa composition, alors que les populations constituent le groupe d'acteurs les plus lésés, vulnérables par les pertes liées à l'implantation de la réserve.

En effet, tel que le CLP est composé, les autorités traditionnelles réellement concernées par les décisions foncières et la planification du développement local, ne sont pas toutes représentées de manière efficiente au sein de l’Unité de décision. Outre la présidence, attribuée à l’INERA, la vice- présidence attribuée au MAB. Le CLP doit réunir le représentant des intervenants extérieur (WWF), le représentant des ONGD opérant dans la réserve (GRAED), le représentant du Gouverneur de la Province et le représentant des autorités traditionnelles (autorités endogènes).

Le choix de ces « représentants » est, à notre sens, arbitraire, et repose sur une vision tout à fait simpliste de l'organisation sociale des communautés de la réserve. En effet, nos enquêtes ont révélé l’existence de 5 lignages dont un est subdivisé en 5 segments de lignage au sud tandis qu'au nord, nous avions relevé 2 lignages. Une question mérite cependant d'être posée : pourquoi avoir choisi le représentant d'un seul lignage comme membre du CLP alors que l'ensemble de la zone de la réserve en compte 7. Il faut cependant noter que l'autorité de chaque chef du lignage est limitée aux limites du terroir de son lignage.

En outre, à notre connaissance, il n’existe pas de structure qui réunit les autorités endogènes de Luki, leur permettant de désigner démocratiquement leur «représentant». Nous craignons

162 que la procédure trop complexe de la désignation du représentant des autorités endogènes et les décisions prises au sein de l’unité de décision soient perçues comme des ingérences disproportionnées dans l’exercice des droits d'accès et d'usages sur les terroirs des autres autorités endogènes. Il est peu vraisemblable que le représentant désigné pour l’Unité de gestion soit en position de faire accepter les décisions arrêtées par les autres autorités endogènes.

La remarque soulevée ci-dessus pour le représentant des autorités traditionnelles vaut également pour le représentant des ONGD opérant dans la réserve. Au meilleur de notre connaissance, il n'existe pas de structure qui réunit les ONGD opérant dans la réserve de Luki, qui leur permettrait de désigner démocratiquement leur «représentant». Nous pensons que les décisions issues du CLP courent le risque de ne pas être appliquées par les autres ONGD.

Cette volonté de «lisser la réalité sociale locale» par les autorités administratives n'est pas caractéristique de Luki. Elle a déjà été relevée dans d'autres contextes. Hanon (2008) soulève le choix arbitraire de deux représentants de chefs de cantons comme membre de l'organe de décision (comité de suivi) sur un territoire qui regroupe 7 unités cantonales. Pour l'auteur, le choix de ces représentants est basé sur une vision simpliste du contexte social et politique de la réalité de la périphérie du parc national de Zakouma, dans le sens où l'autorité d'un chef de canton est strictement limitée au territoire de son canton.

Quand bien même la présence des représentants des institutions étatiques (INERA et MAB) serait obligatoire dans la constitution du comité de gestion, les critères d’éligibilité des autres représentants au sein du CLP n'ont pas été définis. Ils sont arbitraires et basés sur le réseau d'amitié, de clientélisme entre le bailleur et les représentants choisis.

III.4.C

ONCLUSIONS

Au terme de cette étude, il est ressorti qu'avant la création de la réserve, le lignage et le segment de lignage restent les principales structures sociales qui (1) organisent la vie au village à travers le chef du village et (2) assurent le partage du foncier à travers le chef de famille, garant de la terre du lignage ou du segment de lignage.

Cette organisation sociale basée sur le lignage ou le segment de lignage est construite sur la base d'un processus de détachement des membres d'un lignage du village mère pour

163 s'installer ailleurs et former des villages hameaux, soit par des nouvelles installations de groupes d'arrivants sur le site déjà conquis sur lequel ils s'installent par versement de biens de valeur sous forme d'un contrat d'achat.

Ainsi, les terroirs de lignages ou de segments de lignages sont organisés et gérés par des liens traditionnels du type hiérarchique avec prédominance du premier occupant sur le territoire au sud et d'obtention des objets ancestraux qui confèrent le droit sur le foncier au nord.

Les ressources foncières du terroir sont gérées sur base du droit coutumier qui définit les règles d'accès aux ressources à travers des chefs de famille, autorités foncières endogènes. La mise en conservation des terres exploitées par les populations «autochtones» a entraîné des modifications profondes des règles d'accès et d'usage de la terre pour tous les membres du lignage ou du segment de lignage.

Les terroirs des lignages sont devenus les propriétés de l'Etat congolais. La gestion de la réserve est actuellement caractérisée par une diversité d'acteurs qui s'entrechoquent pour le contrôle et l'accès à la ressource. Ayant une représentation différente de l'espace, chaque acteur lutte pour imposer la légitimité de ses droits d'accès et de contrôle. Une pluralité des normes est affichée. Les normes officielles s'entrecroisent aux normes internationales, coutumières ainsi qu'aux documents des projets. Par conséquent, des conflits sont déclenchés entre les gestionnaires qui se disputent la direction de la gestion de la réserve. Ces derniers sont en conflits pour l'accès avec les populations. Pour pallier aux divergences de stratégies d'accès et de contrôle de la ressource entre les acteurs, un organe de décision est mis en place pour impliquer l'ensemble des parties prenantes dans la gestion de la réserve. Cependant, l'approche participative développée dans la constitution de l'organe et son fonctionnement révèle des faiblesses telles que le représentant de la population n'est pas représentatif de l'ensemble des lignages. En plus du fait que les critères sur lesquels sont choisis les membres du CLP sont restés méconnus des populations, ce qui entraîne la non-exécution des décisions prises au niveau du CLP.

Compte tenu de tous ces écarts soulevés, la gestion concertée souhaitée risque de maintenir une relation conflictuelle entre les gestionnaires et les populations, et de pénaliser lourdement les modalités de mise en œuvre des décisions relatives à l'aménagement.

164 En conclusion nous répondons à la question de recherche en affirmant que « les structures endogènes de gestion de la terre sont faiblement impliquées dans la prise des décisions foncières, précisément dans la mise en œuvre du zonage». Nous en déduisons que cette situation constitue un blocage dans l'application de toutes mesures foncières. Aucune collaboration réelle ne peut être envisagée entre les acteurs dans ces conditions d'absence de concertation.

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CHAPITRE IV