• Aucun résultat trouvé

ZONAGE : OUTIL DE GESTION DE L'ESPACE POUR CONCILIER CONSERVATION ET DEVELOPPEMENT

I.1.7. Enchevêtrement de lois foncières

Des chercheurs tels que Le Roy (1996), Le Meur et al., 2006; Joiris & Tchikangwa (1995), Diaw (1997), Nguinguiri (1998), Constantin (1998), Bahuchet & de Maret (2000), Vermeulen (2000) et Vermeulen et Carrière (2001), Vermeulen et al., (2008) ont étudié l'organisation sociale des communautés, le rapport à l'espace vécu, la représentation de l'espace par les communautés, l'enchâssement de questions foncières dans la structure de parenté et toutes les formes de négociations (inter et intrafamiliale) qu'elles impliquent.

Ces auteurs ont démontré que dans les sociétés précoloniales, les pratiques foncières étaient dépendantes de modes d'organisations sociales des communautés. Ils ont souligné la grande diversité de représentations spatiales et de règles foncières coutumières qui régissent les communautés. Ils ont relevé plusieurs droits d'usage (droits d’usage familiaux, propriétés lignagères, zones en accès libre, etc.) et niveaux de tenures foncières. Le droit d'accès à l'espace peut varier des terres de culture aux des zones d’habitation, passant par les jachères, les sites des anciens villages, les zones de pâturage, les sites tabous, les lieux de culte, le site de chasse, la cueillette, la pêche, la propriété collective, etc.

Ce régime foncier traditionnel évoqué ci-dessus subit de changement imposé par les colonisateurs. Coquery-Vidrovitch (1983) démontre comment les institutions coloniales réagirent de façon diverse. La loi britannique reconduit progressivement certaines «coutumes» précoloniales en matière de jouissance et de transmission des terres, mais souvent à usage

47 strictement indigène, une fois la spoliation effectuée en faveur des colons blancs. En revanche, la loi française, très proche des principes belges, procéda à une expropriation massive en faveur de l'Etat au nom des «Terres vacantes et sans Maître» (Coquery-Vidrovitch, 1983).

Les pays africains indépendants se sont essentiellement basés sur le droit foncier colonial pour légiférer sur le foncier. Par conséquent, l'expropriation a continué au nom des « Terres vacantes et sans Maître ».

Depuis 1980, les réformes forestières ont été entamé dans quelques pays africains : au Cameroun (20 janvier 1994), au Congo (20 novembre 2000), puis au Gabon (11 avril 2001) et en République démocratique du Congo (29 août 2002), consacrant dorénavant la place aux populations locales dans la valorisation des ressources forestières (Joiris et al., 2010).

Aujourd'hui, le droit foncier coutumier coexiste avec le droit moderne qui découle du droit foncier colonial. Selon les situations et les intérêts à défendre, les communautés peuvent résister à l'arbitraire de l’Etat, se référant ainsi au droit coutumier.

Ainsi, Le Roy (1996) a mis en place la théorie des maîtrises foncières pour rendre compte de changements induits par le fait de généraliser le droit de propriété par l’occident, à côté du mode africain d’organisation du rapport foncier.

Selon Vermeulen (2000 et 2008), la théorie des maîtrises foncières de Le Roy (1996) permet de rendre compte d’une graduation des modes de contrôle des choses et des biens (les « objets de maîtrise »), ainsi que des rapports entre les hommes qui les contrôlent (les « sujets de maîtrise »). Karsenty et al., (1997) cités dans Vermeulen (2000 et 2008), précisent que cette théorie de Le Roy (1996) permet également de dépasser le cadre dichotomique classique de l’opposition privé-public ou propriété-accès libre.

Partant de Le Roy (1996), Vermeulen (2000) définit :

 est public ce qui est commun à tous, groupes ou individus;

 est externe ce qui est commun à quelques groupes, en nombre toujours limité; est interne-externe ce qui est commun à deux groupes en principe selon un mécanisme d’alliance qui peut être matrimonial, résidentiel, sacralisé ou sur base d’un contrat;

48  est interne ce qui est commun à un seul groupe ou communauté, dès lors qu’il est

constitué en corps et donc agit avec une unité de direction;

 est privé ce qui est propre à une personne physique ou morale ; dans le cas, c’est la reconnaissance de la personnalité juridique qui permet de distinguer entre « groupes en corps » et personne morale.

 Maîtrise : suggère l’exercice d’un pouvoir (...) reconnu à celui qui, par un acte d’affectation de l’espace, a réservé plus ou moins exclusivement cet espace.

 Maîtrise foncière exclusive : relation qui s’exerce entre des acteurs, définis par leur appartenance à une même communauté, et un espace comportant le droit d’en jouir et d’en disposer (mais pas celui de l’aliéner) dans le cadre communautaire, et qui se caractérise par le droit d’en exclure des tiers. Sur des terrains défrichés et des jachères par exemple, la maîtrise est exercée par le groupe familial.

 Maîtrise interne : signifie que les ressources d’un espace défini sont communes à un seul groupe ou communauté, leur accès étant déterminé par la qualité de membre.

I.2.C

ONCLUSION

Comme nous venons de le voir, différents débats, discussions ou points de vue sur la stratégie de conservation par zonage concernent notre étude. Nous pouvons en retenir que le zonage continue d’être utilisé comme outil de gestion de l'espace, séparant les aires à exploitation villageoise aux aires vouées à la conservation. Cependant, la généralisation et la multiplication des zonages, sans une prise en considération des réalités socioculturelles propres à une communauté sont souvent source d'incohérence et d'incompréhension de la part des populations concernées. Par conséquent, ces gestes limitent l'efficacité de l'outil ou entraînent carrément pour certains cas son rejet.

Les débats sur la stratégie de conservation par zonage montrent clairement que dans les pays du nord (Amérique du nord et l'Europe), la conservation par zonage est née dans la foulée de courants philosophiques (préservationnistes et conservationnistes) en réaction de la dégradation des ressources naturelles liées à l'industrialisation et à la démographie galopante. Les espaces naturels sont créés à des fins esthétique, récréative, éthique et scientifique.

49 Cependant dans le contexte africain, plusieurs auteurs s'accordent sur le fait que de la période coloniale à la période postcoloniale, la conservation par zonage s'est opérée en trois temps. D'abord avant 1920, il est mis en place de vastes réserves de chasse à vocation récréative (game reserves) à l'attention de l'élite coloniale. Ensuite, au cours des années 1960, sous l'influence de la communauté internationale, les nouveaux états africains indépendants ont continué le processus de création des réserves et parcs nationaux. Il faut cependant noter que toutes ces formes de conservation par zonage ont été calquées sur le modèle d'aménagement occidental: régi, pratiqué sur des espaces bornés et déterminés par l'élite blanche sans prendre en considération des dynamiques locales d'appropriation et d'exploitation.

Au milieu des années 1980, les acteurs de conservation ont réalisé que les aires protégées n'étaient pas seulement des espaces à forts enjeux de conservation mais également d'importantes arènes de conflits occultés ou exprimés entre acteurs. Ce constat induit un recadrage de la conservation par zonage. Le zonage exclusif a été progressivement remplacé par le zonage inclusif par la mise en place de zone tampon, de réserve de biosphère, de zone cynégétique villageoise, de zone de chasse villageoise à travers les Programmes de Conservation et de Développement Intégrés (PCDI) qui, ont été progressivement remplacés par les Programmes de Gestion Communautaire des Ressources Naturelles. Ces nouveaux modes de zonage constituent à la fois une rupture et une innovation par rapport aux modèles classique de conservation. Ils visent d'intégrer les besoins des populations locales et la conservation dans le même espace.

Comme on peut le constater cependant sur le terrain, les nouveaux zonages ont été plus influencés par la conservation que par le développement. Leurs logiques ont été situées dans une continuité conservationniste où il s'agissait de limiter les influences anthropiques sur les zones intégralement protégées. Le modèle de l'aire protégée issue de la biologie de la conservation a persisté. En outre, créés dans une perspective de développement intégré, ces nouveaux zonages qui étaient censés répondre aux préoccupations environnementales et sociales, semblent n'avoir ni amélioré les conditions de vie des populations, ni apporté des solutions aux problèmes de conservation de la biodiversité, par exemple au problème

50 d’isolement matérialisé par le manque d’échanges génétiques entre les populations animales protégées et de leurs habitats.

De ces faits, toujours sous les allures de nouveauté, calqué sur le modèle occidental, il est mis en place le corridor biologique et/ou écologique pour assurer la connexion entre les habitats. Par ailleurs, ces politiques de création de corridor entretiennent un flou scientifique. Le rôle écologique et/ou biologique de ces espaces n'a pas encore été scientifiquement démontré. En plus, du fait de consommer d'espace, la mise en place des corridors écologiques ou biologiques rencontre des contraintes sociales, déjà évoquées lors de mise en œuvre de différentes formes de zonage évoquées ci-dessus.

Au regard de ce qui précède, il apparaît que, du zonage exclusif qui prône la conservation intégrale au zonage inclusif qui prône la conservation par les populations, pour les populations et avec les populations, les espaces conservés ont été toujours délimités sur base de critères purement écologiques, sans prendre en compte les modalités d'appropriation des terres et d'exploitation au niveau local. Le secteur de la conservation est toujours contrôlé par une vision occidentale de la conservation et postcoloniale et les différentes formes de zonages légitiment, élargissent et renforcent le pouvoir d'ingérence des acteurs de conservation au-delà des limites des espaces « mise sous cloche ».

Comme on peut le constater, ce chapitre soulève la problématique des modalités de création des espaces de conservation, dictée par la vision occidentale de la nature, selon une représentation de l'espace exogène à la conception africaine de l'espace, dont les règles de gestion sont en décalage avec les pratiques locales.

51

CHAPITRE II