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Première application du zonage pour des fins de conservation

ZONAGE : OUTIL DE GESTION DE L'ESPACE POUR CONCILIER CONSERVATION ET DEVELOPPEMENT

I.1.3. Première application du zonage pour des fins de conservation

En 1872, sous l'influence du courant préservationniste évoqué ci-dessus, un vaste espace de hauts plateaux situés dans les rocheuses américaines, aux confins ouest de l'Etat du Wyoming est mis sous protection pour lutter contre l’extinction du Bison de plaine (Wirth, 1980 cité par Wafo Tabopda, 2008) et la progression des colons attirés par les terres à bon marché et le désir d’une vie nouvelle, dans une période de croissance démographique et urbaine, faisant craindre la dégradation rapide des ressources… et de la nature en général (Héritier & Moumaneix, 2007).

21 La création du parc national de Yellowstone marque le point de départ du concept d’aire protégée dans le monde. L'aire protégée définie comme l'« espace géographique classé » en vue de la conservation de la nature ou de la biodiversité. Ce classement est un acte juridique qui scelle ou confirme un choix politique exprimé à un moment donné (Wafo Tabopda, 2010). Les aires protégées sont également connues sous les noms de parcs ou réserves. A cet effet, nous emploierons indistinctement les termes, réserve et aire protégée le long de ce travail.

La création du parc national de Yellowstone marque un tournant décisif de la politique américaine de protection et de conservation des ressources et influence fortement l’attitude de la société civile américaine vis-à-vis de la nature. La vieille emphase sur l'exploitation rapide des ressources apparemment inépuisables se transforme, chez quelques américains influents, en un éveil de conscience du danger qui pèse sur la nature, et à la nécessité de protéger induite par l'admiration de la beauté et des merveilles de la nature (Wirth, 1980 cité par Wafo Tabopda, 2008).

Cette révolution écologique n’est pas circonscrite aux Etats-Unis. Elle s’étend à d’autres parties du monde, notamment au Canada, en Océanie, en Europe, en Afrique et en Amérique latine. Le modèle de gestion des ressources naturelles par zonage est également adopté par les Canadiens. Les dirigeants politiques et les élites intellectuelles du Canada ont à leur tour réagit face à la conquête des territoires en créant le Banff National Parc en 1885 et le Glacier National Park en 1886 (Glazebrook, 1964; Lothian, 1987 cité par Héritier & Moumaneix, 2007; Wafo Tabopda, 2008). Le modèle de gestion par zonage a commencé à se diffuser dans tous les continents. Un intérêt particulier de protection de la nature se développe dans les pays industrialisés. En Europe, les premières manifestations de la protection de la nature sont soulignées en Suède avec la création des réserves de Sarek et Store Sjöfallet en 1909. La Suisse s'aligne à la Suède avec la mise en place d’un parc national dans l’Engadine en 1915 (Wafo Tabopda, 2008). Mais l’histoire et la densité de la population des pays européens ne permettaient cependant pas la mise sous protection de grands espaces vierges. Un compromis a été trouvé. On a placé sous protection des zones soumises à l’exploitation agricole et forestière tout en empêchant une urbanisation et une industrialisation galopante.

22 En revanche, les pays européens se sont tournés vers les colonies d'Afrique, où les populations n’avaient pas encore autant exploité la nature. L'Afrique était encore perçue en occident comme le continent par excellence de la nature sauvage (Adams et MacShane, 1996; Grove, 1995).

I.1.3.1. Conservation coloniale élitiste

Dès la fin du XIXème siècle et le début du XXème, l'«homme blanc» retranscrit en Afrique son modèle de gestion des espaces qu’il se représente comme «vierges» (création du parc national de Yellowstone), issu d’une représentation occidentale de la nature (Grenand, 1997; Adams & MacShane, 1996; Griffiths & Robin, 1997; Grove, 1995). Le processus est déclenché dès la fin du XIX dans le Congo-Belge5 avec la création du premier parc national africain, le Parc Albert6, créé en 1925, qui cultive son caractère colonial expérimental au cœur du continent Africain (Giraut et al., 2004). Le processus est poursuivi dans l’Afrique du Sud actuelle, où la réserve de gibier du Sabi (Transvaal) deviendra le parc Krüger en 1926 (IUCN, 19907).

Un modèle de protection de la nature imposée par les occidentaux émerge en Afrique. Influencé par le courant préservationniste au début du XXe siècle, il évolue ensuite sous l'impulsion du courant conservationniste, puis il s'ancre dans le courant de la conservation intégrée.

En Afrique sub-saharienne, pendant longtemps jusqu'à la fin du XIXe siècle, la chasse a été pratiquée de manière individuelle sur des espaces libres de toutes contraintes législatives par des colons blancs ou de riches voyageurs qui voulaient satisfaire leur soif d’aventure et de découverte de nouveaux espaces «vierges» (Roulet, 2007, Hardin, 2000).

Ces pratiques à répétition pouvant conduire à la diminution ultérieure des ressources en gibier sauvage (en particulier la raréfaction de certains grands animaux, comme l’éléphant) (Giraut et al., 2004), provoque un éveil de conscience de la part de certains dirigeants «blancs» et conduit progressivement à passer d’une stratégie de préservation utilitaire à une stratégie de conservation de la nature (Rodary, 2001 cité dans Giraut et al., 2004).

5 Le Congo-Belge, Ex-Zaïre correspond actuellement à la République démocratique du Congo. 6 Le parc national Albert est actuellement appelé parc de Virunga.

23 C’est à la fin du XIXe, jusqu’au début du XXe siècle que sont créés dans les colonies anglaises (Afrique orientale et australe), les premiers grands espaces réglementés dédiés à la faune sauvage appelées Game reserve. Ces espaces de loisir sont strictement destinées à l'élite blanche (Rodary et al., 2003). Consacrées, d'abord, à la chasse utilitaire, ensuite à la chasse de loisir, ces réserves de faune sont un privilège des occidentaux et marquent leur supériorité (Giraut et al., 2004).

Trente ans après, tout comme en Afrique australe et orientale, ils naissent en Afrique centrale et occidentale, les réserves de chasse possédant des statuts nationaux et sur lesquelles les droits cynégétiques étaient également réservés à l’élite coloniale blanche, soucieuse de marquer par-là ses privilèges (Roulet, 2007). Ici, plusieurs auteurs (Mackenzie, 1988 cité dans Roulet, 2007; Rodary, 2001 cité dans Roulet, 2007; Hardin, 2002; Roulet, 2007) s'accordent sur le fait que les règles d'utilisation de ces espaces sont fixées par l'administration coloniale (française) selon le modèle en vigueur dans la métropole, en plus de modèles d’aménagement du territoire, hérités des conceptions occidentales, niant souvent les contextes socio-culturels locaux, appliquant les politiques coercitives vis-à-vis des populations autochtones et de leurs droits et pratiques.

Cette «mise sous cloche» s'inscrit donc dans une logique qui s'oppose aux pratiques des chasseurs «autochtones» considérées comme barbares et cruelles (Rodary et al., 2003, Binot et al., 2010). Une fois de plus, la supériorité de «l'homme blanc», son statut social prestigieux et son rapport avec le grand gibier est perpétué (Rodary et al., 2003; Binot, 2010).

Toujours au XXe siècle, dans les colonies françaises, en particulier en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, le zonage fonctionnel colonial pratiqué est justifié par l’exploitation économique des forêts (Calandra, 2000 cité dans Giraut et al., 2004). Dans ce contexte, de vastes portions de forêt sont alors placées hors d’atteinte de l’utilisation des paysans, lorsque leurs pratiques d’occupation du sol sont jugées incompatibles avec la rentabilité des forêts coloniales (Schroeder, 1999 cité dans Hanon, 2008).

Il faudra cependant attendre la conférence de Londres relative à la protection de la faune et de la flore à l’état naturel, adoptée le 8 novembre 1933, pour promouvoir une «idéologie» de conservation de la nature commune à toutes les colonies d'Afrique (Giraut et al., 2004). Les

24 concessions de chasse sont mises en protection sous forme de parcs et réserves de faune, qui prônent l’exclusion totale de toutes les activités humaines pour maintenir les parcs dans un état intact, sans aucune modification essentielle (Giraut et al., 2004). Pour ce faire, les populations «autochtones», sans être consultées, se sont vu retirer ou dénier le droit de propriété des ressources naturelles sur les étendues de leurs terres mises en conservation en leur imposant des «déguerpissements». Les chasseurs traditionnels et les cueilleurs sont devenus des braconniers ou qualifiés comme tel. Les agriculteurs sont également perçus comme des concurrents dans le contrôle de l’espace (Mackenzie, 1988 cité par Rodary et Castellanet, 2003). Le coût de la conservation s'avère parfois très lourd pour les populations «autochtones» qui, du jour au lendemain, sont privées d’une partie des retombées nutritionnelles et financières issues du secteur forestier (Joiris, 1997 et 2000).

C’est également cette convention de Londres qui a permis que les colonies françaises passent d’une stratégie d’exploitation à une stratégie de protection des forêts (Giraut et al., 2004). Cette convention marque un tournant décisif dans l’intégration d’une philosophie de création d’aire protégée en Afrique coloniale. De nombreux parcs nationaux, parmi les plus prestigieux créés dans divers pays africains pendant la période coloniale, semblent en avoir été une conséquence directe (Wafo Tabopda, 2008). Nous pouvons citer les parcs suivants :

 Kagéra au Rwanda en 1934,

 Gorongosa au Mozambique en 1935,

 Niger (Burkina Faso, Bénin, Niger) en 1937,

Réserve de Luki, notre zone d'étude a été créée en 1937 au Congo-Belge8,

 Garamba au Congo-Belge en 1938,

 Upemba au Congo-Belge en 1939.

Ce mouvement de création de parc ne s'arrête pas là. Après la deuxième guerre mondiale, il se poursuit avec la création:

25  du parc du Tsavo au Kenya en 1948,

 du parc de Kafue en Zambie en 1950,

 du parc de Serengeti en Tanzanie en 1951 et enfin,

 du parc national W entre colonies du Niger, de la Haute-Volta et du Dahomey en 1956 (Wafo Tabopda, 2008).

Dans la même perspective, il est mis en place de structure d'encadrement, de normalisation de politique pour la sauvegarde de la nature. C'est dans ce contexte que fut créée l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) en 1948, acteur principal dans la création et la gestion des aires protégées.

Si la «mise sous cloche» des espaces dans les colonies africaines est justifiée par le désir de protéger la nature en réaction de la dégradation de ressources naturelles due à la surexploitation, dans les faits par contre, la mise sous cloche est justifiée par le désir de s'approprier des animaux sauvages africains, de pérenniser le contact à la nature à travers la pratique de la chasse des grands mammifères, favorisant ainsi le bien-être physique et mental. La perpétuation de l'idéologie de la nature selon la représentation occidentale est matérialisée par le désir de gérer la nature sauvage africaine à travers la mise en place de l'UICN comme organe de régulation de la politique de conservation des espaces sauvages africaines en remplacement des institutions coloniales. I.1.3.2. Conservation postindépendance

Au courant des années 1960, la plus part des colonies d'Afrique ont accédé à l’indépendance. Par conséquent, les politiques de protection des ressources ne font pas partie des priorités des nouveaux pays indépendants, soumis aux impératifs de développement (Wafo Tabopda, 2008). Influencés par la thématique de la conservation de la biodiversité9, les organisations internationales (UNESCO10, UICN et WWF11) s’emploient à convaincre les pays africains

9 La Convention sur la Diversité Biologique définit la biodiversité comme la variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie.

26 nouvellement indépendants de continuer à préserver la nature sauvage, présentée comme valeur, ressource et bien potentiellement générateur de manne financière pour le développement et pour les générations futures (Wafo Tabopda, 2008). Les aides financières sont alors versées aux pays qui s'engagent dans la poursuite de la conservation de la nature. Dans ce contexte, les parcs et réserves créés constituent des instruments géopolitiques aux mains des nouveaux Etats (Giraut et al., 2004). Leurs créations, extensions et changements de statut s'accompagnent fréquemment de «déguerpissement» ou de déplacement sans ménagement des populations en plus de l'application des politiques coercitives de défense de leurs limites (Colchester, 1996; Giraut et al., 2004). Ces modèles de gestion des ressources naturelles s'inscrivent dans la droite ligne des pratiques coloniales (Giraut et al., 2004).