• Aucun résultat trouvé

ZONAGE : OUTIL DE GESTION DE L'ESPACE POUR CONCILIER CONSERVATION ET DEVELOPPEMENT

I.1.1. Concept de conservation

La conservation est une notion polysémique. Elle suscite moult discussions voire controverses par rapport au sens propre du terme, qui évolue suivant les sociétés et les objectifs poursuivis. Qu’est-ce que la conservation? Comment évolue-t-elle? D'après Giraut et al. (2004), la conservation est synonyme de préservation, de protection ou de sauvegarde.

En Afrique, des pratiques de conservation locales tirent leur origine dans les considérations culturelles et religieuses. Selon les traditions, plusieurs espèces animales, végétales, quelques fois des espaces forestiers (forêts sacrées) étaient conservés dans le respect des coutumes ancestrales ou pour des considérations religieuses (Hannah, 1992). La chasse était réglementée par une série d'interdits et une organisation complexe dans le respect des règles traditionnelles et des rituels. Certaines viandes n'étaient pas consommées, d'autres interdites aux femmes et aux enfants ou réservées à des initiés (Ledauphin, 2006 cité dans Saleh, 2012).

12 Dans le monde occidental industrialisé, la conservation moderne tire ses origines du progrès de l'industrie couplée à la croissance démographique induisant ainsi la pollution des grandes villes et l'utilisation accrue des ressources renouvelables et non renouvelables, qui à la longue entraîne l'altération des paysages naturels à un rythme prodigieux, suscitant des inquiétudes sur l'état de la nature dans le monde, plus particulièrement en Amérique du Nord. La situation conduit les scientifiques américains à lancer un appel à la préservation de ce qui est rapidement perdu.

La parution du livre de George Perkins Marsh (1864), intitulé Man and Nature : or, Physical Geography as Modified by Human Action est considéré comme une sonnette d'alarme troublante. Dans son manuel, l'auteur décrit des études de cas qui montrent que les sociétés humaines faisaient de la nature un usage pouvant provoquer une multitude de dégradations d'intensité et d'ampleur variables (Héritier & Moumaneix, 2007), qu'il interprète comme une guerre contre l'ordre de la nature (Bergandi & Blandin, 2012), rendant ainsi nécessaire les mesures de protection des milieux de vie. Le livre de Marsh influença grandement le développement du mouvement environnementaliste. En 1872, fût créé le parc national de Yellowstone et en 1876, fût mis en place le Service forestier sous l'égide de l'association américaine pour le progrès de la science. Ce service eut une influence considérable sur l’évolution de la cause environnementale. C'est ainsi qu'en 1885, fût créé l’Adirondack forest reserve dans l’État de New York. L’œuvre de Marsh influença également le Forest reserve act a décrété la protection des forêts contre leur utilisation irrationnelle par les industries du bois en 1891 (Bergandi & Blandin, 2012). Parallèlement, le livre de William Temple Hornaday intitulé The Extermination of the American bison (1887), pose les bases de problème de la protection des animaux en voie d’extinction (Bergandi & Blandin, 2012). Il influence le Congrès à interdire en 1895 la chasse dans les parcs nationaux, et en 1900 fut approuvé un décret fédéral (Lacey act) empêchant le transport d’animaux dont la chasse était interdite (Bergandi & Blandin, 2012). Une dynamique de protection de la nature s'est développée en Amérique du Nord. Une dynamique qui s'est propagée ensuite dans le monde, en particulier en Afrique où les colons ont découvert la possibilité d'entrer en contact avec la nature sauvage. Ils ont pratiqué ainsi la chasse, sur de grands espaces libres d'abord, pour se cantonner ensuite dans des zones réservées (réserves cynégétiques). Nous le verrons plus loin.

13 Les acteurs de cette remarquable dynamique se répartissaient selon deux mouvements philosophiques, l’un appelé préservationniste, l’autre conservationniste (Bergandi & Blandin, 2012). Le premier mouvement philosophique considère que la nature a une valeur intrinsèque. Cette pensée soutient l’idée que la nature ne peut pas être réduite aux seuls gains économiques procurés à la société. L'utilitarisme économique est refusé. (Bergandi & Blandin, 2012; Wafo Tabopda, 2008; Bergandi & Galangau-Quérat, 2008). Cette philosophie plaide pour l'éloignement des sociétés humaines, considérées par les activistes comme les principaux responsables de l'accroissement urbain et de la pollution dans les grandes villes. Elle lutte pour l'établissement d'aires naturelles protégées (Tirard et al., 2012; Wafo Tabopda, 2008; Wirth, 1980 cité dans Wafo Tabopda, 2008). Elle est à l'origine de la création d'associations de protection de la nature, d'institution de protection de l’environnement tels que le Fond Mondial pour la Nature (WWF), ainsi que de parcs et réserves (aires protégées) mais plus particulièrement de réserves intégrales. John Muir (1838-1914), naturaliste, écrivain, fut l’un des représentants les plus charismatiques de ce mouvement (Bergandi & Blandin, 2012). Il partage la vision romantique et religieuse de Henry David Thoreau (1817-1862) et de Ralph Waldo Emerson (1803-1882) (Bergandi & Blandin, 2012). Le courant conservationniste (ressourcisme) s’oppose à la perception mystique et religieuse de la nature. Le forestier américain Pinchot (1865-1946) fut la figure de référence de la tendance (Bergandi & Blandin, 2012). Ce mouvement de pensée considère la nature comme un assortiment des choses définies par leur utilité ou leur caractère nuisible pour les humains (Tirard et al., 2012; Wafo Tabopda, 2008). Il convient alors de rechercher le plus grand bien de la nature c'est-à-dire faire un usage adéquat des ressources de la nature «pour le plus grand nombre et pour plus longtemps», en évitant tout gaspillage (Tirard et al., 2012; Wafo Tabopda, 2008). Cette conception est proche de l’idée actuelle du «développement durable».

Ces divergences d'opinions issues de courants philosophiques (préservationnistes et conservationnistes) ont significativement contribué à faire évoluer la pensée environnementale. Initialement très préservationniste, la conservation est désormais largement confondue avec le concept de développement durable, du moins du point de vue de sa dimension environnementale. Le terme de développement durable a d’ailleurs émergé du milieu de la

14 Conservation, quand en 1980, UICN/PNUE/WWF ont préparé la stratégie mondiale de la conservation. Le changement de paradigme était de présenter non plus la conservation comme une action contre l’homme mais pour lui. Dans cette perspective, l'UICN (1980) définit la conservation comme étant "la gestion de l'utilisation par l'homme de la biosphère de manière que les générations actuelles tirent le maximum d'avantages des ressources vivantes tout en assurant leur pérennité pour pouvoir satisfaire aux besoins et aspirations des générations futures". Cette définition est plus axée sur l'approche conservationniste. Il ne correspond pas à la préservation qui fait référence à la protection d'un site donné contre les activités humaines. Ici, la vision de l'homme comme gardien de la nature apparait et l'évitement du gâchis (prevention of waste) est souligné à travers une gestion rationnelle.

En 1992, la Convention de Rio tente de concilier les tendances préservationnistes et conservationnistes mais n'arrive pas à trouver une définition consensuelle et universelle du terme conservation. Actuellement aucun consensus n'a été trouvé sur une définition précise. La conservation reste définie avec les mêmes termes que ceux utilisés pour expliquer le développement durable. Cela illustre bien l'évolution du concept de conservation.

Cependant, les auteurs tels qu’Allanby (1993) et Heywood (2000) s'alignent à la définition de l'UICN (1980). Pour Allanby (1993), le terme de conservation correspond à la planification et l’aménagement des ressources visant à assurer leur utilisation à grande échelle et la continuité des approvisionnements tout en maintenant, voire en améliorant leur qualité, leur valeur et leur diversité. Et pour Heywood (2000), la conservation est une « philosophie de la gestion de l'environnement qui n'entraîne, ni son gaspillage, ni son épuisement, ni son extinction, ni celle des ressources et valeurs qu'il contient »

Ce qui précède montre clairement qu'on est passé progressivement d’une vision où la protection de la nature se limitait à délimiter des «sanctuaires» et à contrôler l’utilisation des espèces, à une vision beaucoup plus large conduisant à s’interroger à nouveau sur les rapports de l’homme avec le reste du monde vivant et à admettre que l'homme devrait limiter l'impact de ses activités sur la nature s’il souhaite transmettre un patrimoine «naturel» aux générations futures (Raffin, 2005).

15 Aujourd’hui, la conservation appliquée aux forêts englobe toute une gamme d'interprétations pouvant aller de la production intensive de bois à la protection totale (Eliott, 1996). Les rapports des sociétés et leur environnement ont évolué sous l'influence d’un groupe d’acteurs et ont par conséquent influencé la signification du terme conservation. Ce dernier fait appel à tout un éventail de notions, allant de la protection de la nature à l’idée d’une conservation intégrant le développement socioéconomique (Rodary et al., 2003; Binot, 2010) : la protection désigne toute action visant à maintenir ou à améliorer des systèmes écologiques naturels à l’opposé de l’exploitation qui évoque une utilisation de la nature effectuée sans considération des impacts portés à ces écosystèmes (Rodary et al., 2003). A l’interface de ces deux termes se situe la gestion. Elle désigne toute utilisation organisée. Elle illustre la volonté de rationaliser l'action entre l'orientation protectionniste, conservationniste ou exploitante (Rodary et al., 2003). Pour ce faire, le zonage reste l'outil générique pour rationaliser les actions de conservation et d'exploitation.