• Aucun résultat trouvé

Roscoff North Sea British Columbia

III- 3 Z. galactanivorans : un dégradeur d'algues marines

Comme il a déjà été mentionné, Z. galactanivorans a été isolée de l'algue rouge D.

sanguinea pour sa capacité à dégrader les polysaccharides sulfatés pariétaux (agars et

carraghénanes). Depuis lors, différentes études ont confirmé son grand potentiel de dégradation des algues marines et ont mis en évidence les liens étroits qu'elle peut établir avec ses hôtes végétaux.

Z. galactanivorans est capable d'utiliser de nombreux polysaccharides d'algues comme

seule source de carbone (cf. Chapitre 3). Il s'agit aussi bien de polysaccharides d'algues rouges (agars, carraghénanes) que brunes (alginate, laminarine). Ceci signifie qu'elle possède toutes les enzymes nécessaires à la dégradation totale des différents substrats et à leur assimilation dans les voies métaboliques. Ce fort potentiel de dégradation a conduit à l'utilisation de Z.

galactanivorans comme une source d'enzymes agissant sur ces polysaccharides. A ce jour, 11

polysaccharidases ont été caractérisées chez Z. galactanivorans, agissant toutes sur des composés d'algues rouges (Tableau 1-4).

50

Ce travail de thèse est donc le premier à s'intéresser à la dégradation d'un polysaccharide d'algue brune, l'alginate, par Z. galactanivorans. Pourtant, des observations antérieures montrent que Z. galactanivorans est bien capable d'interagir étroitement avec ce type d'algues. Lors de la co-incubation de l'algue brune Ectocarpus siliculosus avec Z.

galactanivorans, il a été constaté que les bactéries adhèrent fortement à la paroi (Figure 1-20)

et provoquent l'apparition de protoplastes après quelques jours, indiquant une digestion de la paroi. Cette expérience a néanmoins été réalisée avec de fortes concentrations de Z.

galactanivorans (Tonon et Michel, communication personnelle).

Enzyme Nom Référence Identifiant PDB ID

iota-carraghénase cgiA (Barbeyron et al., 2000) Q9F284 -

iota-carraghénase cgiA2 (Rebuffet et al., 2010) D9UAT1 -

iota-carraghénase cgiA3 (Rebuffet et al., 2010) D9UAT2 -

kappa-carraghénase cgkA (Barbeyron et al., 1998) P43478

-agarase agaA (Jam et al., 2005) Q9RGX9 1O4Y[A], 1URX[A]

-agarase agaB (Jam et al., 2005) Q9RGX8 1O4Z[A,B,C,D]

-agarase agaC (Jam et al., 2005) - -

-agarase agaD (Hehemann et al., 2010b) D7GXG4 -

porphyranase porA (Hehemann et al., 2010a) D7GXG0 3ILF[A]

porphyranase porB (Hehemann et al., 2010a) D7GXF9 3JUU[A,B]

anhydrogalactosidase ahgA (Rebuffet et al., 2011) F0V1E3 3P2N[A,B]

Tableau 1-4 : Les polysaccharidases caractérisées de Z. galactanivorans

© Thierry Tonon

A

B

Figure 1-20 : Interaction entre Z. galactanivorans et l'algue brune Ectocarpus siliculosus

A. Photographie de l'algue brune filamenteuse E. siliculosus. B. Photographie au microscope d'un filament d'E. siliculosus (grosse cellule) après incubation avec Z. galactanivorans (flèche noire). Tonon et Michel (communication personnelle).

51

Par ailleurs, on sait qu'en présence d'un support solide (par exemple la paroi d'une algue), Z. galactanivorans est capable d'adhérer et de former un biofilm dense et épais. Lors d'une précédente thèse dans l'Unité, Stéphanie Salaün a testé l'effet de composés iodés et d'exsudats de l'algue brune Laminaria digitata sur les capacités d'adhérence et de croissance en biofilm chez Z. galactanivorans (Salaün 2009). Comme il a été décrit dans la partie précédente, de tels composés sont émis par l'algue pour se défendre face à une agression, et on s'attendrait donc logiquement à ce qu'ils inhibent la croissance du biofilm. De manière très surprenante, les résultats ont montré que l'ajout de diiodométhane (CH2I2) dans le milieu favorise l'adhérence de Z. galactanivorans sur un support solide inerte, et ne perturbe pas (voire augmente) la formation du biofilm. De même, l'ajout dans le milieu d'exsudats d'algues témoins ou préalablement traitées pour induire les réactions de défense augmente considérablement la formation du biofilm (Figure 1-21). Ces résultats suggèrent que Z.

galactanivorans soit capable de résister aux réactions de défense des algues brunes et de

coloniser leur paroi. Une fois fixées, les bactéries pourraient entamer des processus de dégradation des composés pariétaux tels que l'alginate. D'autre part, comme il a déjà été mentionné plus haut, les détritus d'algues brunes constituent une part importante de la matière organique particulaire dans les eaux côtières. Ces particules, chargées en polysaccharides, constituent également des supports pour l'implantation de bactéries telles que Z.

galactanivorans sous forme de biofilms.

L'intérêt pour le potentiel d'enzymes de dégradation que représente Z. galactanivorans a permis d'obtenir le financement du séquençage de son génome par le Génoscope. Il comporte 5.5 Mb et 4738 gènes ont été prédits (Barbeyron, Thomas et al., in prep). L'annotation experte a confirmé le potentiel de cette bactérie en tant que dégradeur de polysaccharides. En effet, Z. galactanivorans possède 123 glycoside hydrolases, 12

A B C

Figure 1-21 : Biofilms de Z. galactanivorans en présence d'exsudats de l'algue brune L. digitata Visualisation en 3D de biofilms formés en 24 h dans une chambre à flux contenant un milieu contrôle (A), un milieu enrichi en exsudats de L. digitata préalablement traitée (C) ou non (B) pour induire les réactions de défense. L'ensemble des bactéries a été coloré au Syto 61 Red (marqueur des acides nucléiques, fluorescent) avant observation au microscope confoncal à balayage laser. Images copiées de Salaün (2009).

52

polysaccharide lyases et 18 carbohydrate estérases. Par ailleurs, 72 gènes codant des sulfatases ont été annotés, ce qui pourrait refléter l'importance de la dégradation de polysaccharides sulfatés. Collectivement, environ 4,5% du génome seraient consacrés à la dégradation de polysaccharides. Le nombre important de CAZymes (Carbohydrate Active

enZymes) prédites place Z. galactanivorans parmi les espèces les mieux équipées au sein du

phylum des Bacteroidetes (cf. Chapitre 2). De nombreux systèmes impliqués dans la perception de l'environnement ont été trouvés. Il s'agit notamment de 118 récepteurs TonB dépendants dont l'implication a été montrée dans des locus d'utilisation de polysaccharides (cf. Chapitre 2) et de 68 systèmes de transduction du signal à 1 ou 2 composants. De manière intéressante, de nombreux clusters de gènes dont la fonction peut être reliée au catabolisme des sucres ont été trouvés dans le génome. Ceci suggère la présence d'opérons de dégradation, permettant une co-régulation de tous les gènes impliqués dans une voie.

Par ailleurs, l'hypothèse selon laquelle Z. galactanivorans serait capable de résister aux défenses des algues est corroborée par la présence de nombreux systèmes de détoxification et de résistance au stress oxydant. Pour détoxifier les espèces activées de l'oxygène, elle possède des enzymes cytoplasmiques (2 catalases, 1 peroxydase, une superoxyde dismutase à manganèse, 9 peroxyrédoxines) et périplasmiques ou fixées à la membrane externe (une azurine, 3 peroxydases à cytochrome c, une superoxyde dismutase [Cu-Zn] dépendante et une peroxyrédoxine). Elle pourrait également résister aux espèces activées de l'azote telles que l'oxyde nitrique NO grâce à plusieurs systèmes de réduction de ce composé en N2. Enfin, la présence de sulfoxyde réductases pourrait favoriser la réparation des dommages oxydatifs causés sur les protéines.

Ainsi, même si Z. galactanivorans a été isolée d'une algue rouge, il semble qu'elle soit également bien armée pour utiliser la matière organique provenant des algues brunes. Cet aspect n'a pourtant encore jamais été abordé auparavant. Ces potentielles capacités de résistance aux défenses des algues et de dégradation des composés pariétaux en font un bon modèle pour l'étude des interactions entre algues et bactéries.

53