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2 Les régions côtières : des écosystèmes particuliers

Les régions côtières sont à l'interface entre le continent et l'océan, et peuvent donc être considérées comme des zones "tampons" ayant des apports de ces deux écosystèmes. Il n'existe pas de définition unique d'une zone côtière. Certains auteurs, revenant sur ce concept de zone "tampon", les définissent comme "la partie du continent qui est la plus affectée par sa proximité avec la mer, et la partie de l'océan qui est la plus affectée par sa proximité avec la terre". D'autres études donnent un cadre plus précis comme "les aires intertidales et subtidales du plateau continental (jusqu'à 200 m de profondeur) qui sont régulièrement inondées par l'eau de mer, et les terres immédiatement adjacentes" (Burke et al., 2001). Quelle que soit la définition choisie, les régions côtières sont des zones particulières sur la Planète. Bien qu'elles ne représentent que 7% de la surface des océans et 20% de la surface des continents, elles sont peuplées de 2,2 milliards de personnes, soit 39% de la population mondiale (en 1995, à moins de 100 km d'une côte) et ce chiffre est en augmentation (Burke et al., 2001). La longueur cumulée des traits de côtes est estimée à 1,6 million de km, soit 4 fois la distance de la Terre à la Lune…! Ceci regroupe évidemment des environnements très différents, tels que les côtes bretonnes, les mangroves, les barrières de coraux, les estuaires, etc. (Figure 1-6). Toutes ces régions, d'une remarquable productivité et accessibilité, ont attiré l'Homme depuis des millénaires. Elles sont aujourd'hui à la base d'innombrables activités professionnelles ou de loisirs, et soutiennent donc l'activité économique.

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La zone côtière joue un rôle considérable dans les cycles biogéochimiques pour plusieurs raisons (Gattuso et al., 1998; Gazeau et al., 2004). Tout d'abord, comme il a déjà été mentionné, c'est une zone tampon. Elle reçoit par conséquent des apports massifs de composés organiques d'origine terrestre, et échange des quantités considérables de matière et d'énergie avec l'océan ouvert. Elle constitue par ailleurs l'une des zones les plus productives de la planète, tant en termes géochimiques que biologiques.

Les écosystèmes côtiers renferment des communautés végétales abondantes, comprenant des macro-algues (dominantes sur les côtes rocheuses, les estuaires et les barrières de coraux) et des plantes marines (dominantes dans les systèmes intertidaux tels que les mangroves, les marais salants et les zones sableuses). L'étendue de ces communautés végétales est estimée à 2 millions de km² (Whittaker and Likens 1973), et elles peuvent contribuer jusqu'à 50% de la production primaire dans les zones non turbides où la lumière pénètre facilement (Gattuso et al., 1998). Il a été montré que les zones côtières dominées par des végétaux sont des sites privilégiés de séquestration de matière organique. En effet, le temps de renouvellement des végétaux marins est relativement long par rapport au

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Figure 1-6 : L'étendue et la diversité des régions côtières.

A. Représentation schématique de la longueur des régions côtières, qui représente 4 fois la distance Terre-Lune. B. Les Duons, Baie de Roscoff. C. Mangrove dominée par l'espèce Avicenna marina, Matapouri,

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phytoplancton (de l'ordre de l'année par rapport à quelques jours), et leur biomasse jusqu'à 400 fois plus importante. Les composants de cette biomasse sont donc moins rapidement ré-injectés dans les réseaux trophiques (Smith 1981). Par conséquent, les zones côtières sont considérées comme des puits de carbone, retenant environ 200.1012 g de carbone par an (Duarte et al., 2005). Cependant, une grande partie de la matière organique produite par les végétaux marins est exportée vers le large soit sous forme détritique, soit après dégradation par des organismes hétérotrophes. Cet apport de matière des zones côtières vers l'océan ouvert pourrait représenter jusqu'à 3.1015 g de carbone par an. Le régime alimentaire d'un grand nombre d'animaux marins herbivores (poissons, invertébrés) est basé sur la consommation de ces végétaux, qui supportent donc le réseau trophique local. Les bactéries hétérotrophes jouent également un rôle prépondérant dans la dégradation de cette matière organique et sa ré-injection dans le réseau trophique. Par exemple, dans les forêts de laminaires typiques de la baie de Roscoff, il a été montré que la voie détritique est le principal mode de transfert de matière vers des niveaux trophiques supérieurs, plus important que la consommation directe par les herbivores (Schaal et al., 2009). La prévalence de détritus d'algues brunes dans la POM en suspension dans ces zones est principalement due à la colonisation de ces particules par des bactéries spécialisées capables notamment de dégrader les polysaccharides complexes. On sait par ailleurs que les tissus d'algues frais ne sont pas une source de nourriture appropriée pour la plupart des consommateurs, à cause de leur contenu pauvre en azote et de la présence de métabolites secondaires qui repoussent les herbivores. Les processus de dégradation bactériens augmentent la valeur nutritionnelle des tissus, qui peuvent ensuite être ingérés par des organismes filtreurs (Norderhaug et al., 2003; Schaal et al., 2010).

Les éléments présentés dans cette partie soulignent donc l'importance des bactéries hétérotrophes dans les cycles biogéochimiques océaniques. Par leur activité de dégradation de la DOM et de la POM, ces organismes contrôlent la quantité de carbone réinjectée dans les chaînes alimentaires ou au contraire séquestrée dans les sédiments. Ce phénomène, prépondérant pour l'équilibre du système océanique, est finement contrôlé. L'élucidation de ces mécanismes est une étape clé de la compréhension du rôle joué par les bactéries hétérotrophes dans le fonctionnement des écosystèmes marins. Pour ce faire, deux approches sont possibles. On peut étudier les communautés microbiennes naturelles et tenter de déchiffrer comment elles interagissent avec la matière organique, par des techniques de métagénomique ou métatranscriptomique par exemple (Moran 2008; Moran 2009). De manière complémentaire, on peut également s'intéresser à la dégradation de la matière par des

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organismes modèles, dont la culture est maîtrisée en laboratoire. La dissection fine des mécanismes de perception, de régulation et de dégradation par de tels organismes permet de bâtir des modèles qui facilitent l'interprétation des données sur les communautés microbiennes naturelles.

Dans le cadre de ce travail de thèse, je me suis intéressé une bactérie marine hétérotrophe cultivée au laboratoire : Zobellia galactanivorans et à l'utilisation de la matière organique issue d'algues brunes.