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Roscoff North Sea British Columbia

IV- 1 Les organismes dégradeurs

Deux catégories d'organismes peuvent dégrader l'alginate : ceux qui en produisent et ceux qui le consomment.

IV-1-a La dégradation de l'alginate chez les organismes producteurs

Deux types d'organismes principalement produisent de l'alginate : des bactéries et des algues brunes. Il faut noter également que de l'alginate a été détecté chez certaines algues rouges calcaires de la famille des Corallinaceae (Okazaki et al., 1982). On retrouve des alginate lyases chez les organismes qui produisent ce polysaccharide.

A ce jour, les bactéries productrices d'alginate appartiennent exclusivement aux genres

Pseudomonas et Azotobacter, qui le sécrètent sous forme d'exopolysaccharide (Sabra et al.,

2001). Chez Azotobacter, l'alginate est un composé majoritaire du cyste : il forme une couche extracellulaire qui protège les cellules dans un environnement défavorable (ex. dessiccation) (Figure 1-22). Les cystes sont capables de survivre pendant des années dans des sols desséchés et de "germer" lorsque les conditions redeviennent favorables (Wyss et al., 1961). Il a été montré que l'activité alginate lyase joue un rôle important dans ces processus de germination (Gimmestad et al., 2009).

A B C

Figure 1-22 : Encapsulation et germination chez A. vinelandii

Microscopie électronique (x 25000). A. Cellule avant l'encapsulation. B. Cyste encapsulé dans une couche notamment constituée d'alginate. C. Cyste après germination. La capsule est dégradée. D'après Wyss et al. (1961).

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La bactérie pathogène Pseudomonas aeruginosa qui infecte les malades de la mucoviscidose (fibrose kystique) excrète également de l'alginate. Celui sert à protéger les cellules bactériennes des agents anti-microbiens (système immunitaire, antibiotiques) et favorise l'adhésion des cellules et l'implantation dans les tissus. Dans ce cas, l'action des alginate lyases permet de fluidifier la matrice de polysaccharides et libère les bactéries qui peuvent alors coloniser d'autres sites d'infection (Boyd and Chakrabarty 1994).

Enfin, des alginate lyases ont été isolées à partir des algues Laminaria digitata (Madgwick et al., 1973), Pelvetia canaliculata (Madgwick et al., 1978) et Undaria

pinnatifida (Watanabe and Nishizawa 1982). Des activités alginate lyases ont aussi été

détectées dans des extraits bruts préparés à partir d'autres espèces (Shiraiwa et al., 1975). Les auteurs ont noté que l'activité est plus forte lors des périodes où les algues sont fertiles et dans les parties âgées. Aucun gène d'alginate lyase n'a pu être détecté dans le génome de l'algue brune Ectocarpus siliculosus, le seul séquencé à ce jour (Cock et al., 2010). Les alginate lyases d'algues sont donc vraisemblablement trop divergentes pour trouver des homologies de séquences avec les protéines bactériennes : elles pourraient constituer une (des) nouvelle(s) famille(s) (Michel et al., 2010). La fonction biologique de ces enzymes serait de remodeler la paroi au cours de la croissance et de la différenciation cellulaire.

IV-1-b La dégradation de l'alginate chez les organismes non-producteurs

Chez les organismes ne produisant pas d'alginate, ce polysaccharide peut la plupart du temps être utilisé comme seule source de carbone, ce qui démontre l'existence d'une voie catabolique complète. Des activités de dégradation de l'alginate ont été retrouvées chez de multiples organismes procaryotes et eucaryotes (Wong et al., 2000). Comme on peut s'y attendre, on compte parmi eux de nombreuses espèces marines, qui ont accès à l'abondance d'alginate dans la paroi des algues brunes et les détritus en suspension. Il s'agit surtout de bactéries marines, principalement des phyla Gammaproteobacteria et Bacteroidetes. Chez la plupart de ces bactéries, la production des alginate lyases est induite par la présence du substrat dans le milieu (par exemple Stevens and Levin 1977; Doubet and Quatrano 1984; Weiner et al., 2008). Cependant, chez certaines espèces, l'expression d'une alginate lyase peut être constitutive (Boyen et al., 1990a; Sawabe et al., 1992). Il est intéressant de remarquer que des bactéries alginolytiques ont été retrouvées dans des sédiments à 250 m de profondeur, au

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large des côtes japonaises (Kobayashi et al., 2009; Uchimura et al., 2010). Ceci pourrait indiquer que la dégradation de l'alginate continue même lorsque la matière organique atteint le fond des océans.

Concernant les eucaryotes, des champignons marins isolés d'algues en décomposition peuvent dégrader l'alginate, tout comme des invertébrés marins herbivores se nourrissant d'algues brunes. Ainsi, des alginate lyases ont pu notamment être purifiées à partir des genres

Haliotis (ormeau), Aplysia (lièvre de mer), Turbo et Littorina (Elyakova and Favorov 1974;

Muramatsu and Egawa 1982; Boyen et al., 1990b). Cependant, un doute subsiste quand à l'origine de ces enzymes. Une hypothèse alternative serait qu'elles soient produites par des bactéries symbiontes des mollusques marins étudiés. Des bactéries alginolytiques ont en effet été isolées à partir de fluides gastriques de différents invertébrés marins tels que l'ormeau et l'oursin (Sawabe et al., 1995; Sawabe et al., 1998). Le fait de trouver des bactéries alginolytiques dans l'intestin d'organismes friands d'algues brunes soulève une question : qu'en est-il chez l'Homme ? Cette question peut sembler incongrue, mais on sait que les bactéries intestinales (le "microbiome") participent activement à la dégradation de polysaccharides végétaux résistants aux enzymes digestives (cf. Chapitre 2). Par ailleurs, comme je l'ai mentionné précédemment, l'alginate est largement utilisé dans l'industrie agro-alimentaire et donc nous en consommons régulièrement. Des études sur la flore intestinale humaine ont montré une légère dégradation de l'alginate par les bactéries intestinales. Sur 25 espèces fréquemment rencontrées dans l'intestin (représentant 300 souches différentes), seules 10 souches de l'espèce Bacteroides ovatus ont été montrées comme capables de dégrader l'alginate (Michel and Macfarlane 1996). Seule une dégradation partielle de l'alginate a pu être obtenue in vitro en utilisant des populations mixtes de bactéries intestinales. Il semble donc que la plupart des bactéries intestinales n'aient pas la capacité de dégrader l'alginate alimentaire, et que cette source de matière soit perdue à la fois pour l'hôte humain et la majorité des bactéries résidentes du tractus digestif. De manière intéressante, il a été montré que les produits de dégradation de l'alginate accélèrent la croissance de bifidobactéries, un autre groupe de bactéries intestinales considérées comme bénéfique pour la santé (Akiyama et

al., 1992).

Des bactéries Gram-négatives et Gram-positives dégradant l'alginate ont aussi été retrouvées dans les sols. Nakagawa et al. (1998) ont montré que l'arrosage du sol avec une solution d'alginate de sodium pendant trois mois permet d'augmenter la population de bactéries alginolytiques et facilite leur isolement (6 souches isolées dans les sols traités, zéro dans les sols contrôles). Dans leur environnement naturel, ces bactéries alginolytiques

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pourraient utiliser l'alginate acétylé excrété par d'autres bactéries (Hansen et al., 1984; Nakagawa et al., 1998).

Enfin, certains virus produisent des alginate lyases. C'est le cas de bactériophages spécifiques pour Azotobacter et Pseudomonas (Bartell et al., 1966). Les enzymes aident les phages à pénétrer dans la matrice d'exopolysaccharides sécrétés par ces bactéries. Une lyase extraite du virus de la microalgue Chlorella (dont elle dégrade les résidus glucuronates présents dans la paroi) est aussi active sur l'alginate (Ogura et al., 2009).