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L’illusion majeure en matière d’études bibliques est la conviction enracinée que le texte serait déjà donné là, posé devant nous, n’attendant que d’être lu, expliqué et exploité. Je relève, par exemple, cette exclamation dans la Poétique du traduire :

Pourtant le rythme est tout simple. Visible, audible depuis on peut dire toujours. C’est la place de l’accent en hébreu sur lama : l’accent conjonctif munah porte sur la seconde syllabe.4

1

Voir, en particulier, L'Espace littéraire, Gallimard, 1955 ; Le Livre à venir, Gallimard, 1959 ; L'Entretien

infini, Gallimard, 1969.

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On peut d’autant moins extrapoler sur l’évolution éventuelle du rapport au texte en France et en Europe, que les pratiques légales et spirituelles qui sous-tendent structurellement le rapport à la chose écrite sont toujours objet de tensions. À l’heure où j’écris ces lignes, les législateurs européens se proposent d’interdire la circoncision sur le territoire européen, comme si la domination romaine n’avait jamais pris fin dans les esprits, habités par la même bonne conscience et la même ignorance crasse. Or, la question de la circoncision de la chair est la porte d’entrée du rapport juif à la lettre.

3

Cf. Hilkhot Mélakhim 11:4. 4

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Cette attitude n’est pas propre à Henri Meschonnic. La Massorah est cultivée parfois comme un champ de revendications, à la fois, idéologiques et pédagogiques, destiné à attester du seul texte « véritable » et « authentique ». Ses partisans réclament d’enseigner la lecture de la Bible selon sa cantillation, et déplorent que ce ne soit pas le cas1.

Cette attitude pose trois problèmes. Le premier est que le plaidoyer en faveur du privilège du texte massorétique sert aussi, parfois, de recours contre ce qui devient, alors, péjorativement, des « interprétations rabbiniques ». Puisque le texte est « donné » entièrement dans ses lettres, sa vocalisation, sa ponctuation, son intonation, etc., la légitimité de la position de l’interprète tend, une nouvelle fois, à s’effacer. Avec elle, tombe aussi le besoin d’un enseignement oral. Du coup, les lectures talmudiques perdent leur force et leur légitimité, elles paraissent de plus en plus controuvées et artificielles. Il n’est pas indifférent que certains des plus grands massorètes se soient convertis au christianisme2. Or, loin que le problème crucial du rapport au texte et à la lettre entrave leurs activités, leur conversion n’a rien changé à la qualité de leurs travaux. Le fait, patent, que la conversion au christianisme n’ôte rien à la grande qualité des travaux de certains massorètes signifie précisément que la Massorah peut être exploitée indépendamment du rapport juif à la lettre ; c’est-à-dire indépendamment de l’écho existentiel qu’ont suscité les textes bibliques auprès de ceux qui les ont cultivés, dans leur langue, pendant des millénaires. Telle qu’elle est constituée aujourd’hui, on peut détacher la Massorah de ses racines, c’est-à-dire du travail de réflexion et des décisions qui l’ont constituée, comme une branche morte. Ce sort n’est pas réservé exclusivement à la Massorah, comme si elle comportait un défaut majeur. C’est le destin inévitable de toute forme de tradition et de tout savoir, au sein du judaïsme, lorsqu’il se transforme en discipline autonome, dissociée de la dynamique qui la produit en permanence, laquelle repose sur la décision souveraine du sens laissée au lecteur. Il se produit exactement la même chose, aujourd’hui, sous nos yeux, avec le savoir de la halakha, qui devient une sorte de législation générale et abstraite, dépourvue d’histoire et de tradition, débarrassée surtout de ses profondes controverses, des failles qui la parcourt et lui donnent sens, et dont l’ordonnancement prétend être désormais réservé à des techniciens spécialisés.

1

De nos jours, c’est en Israël qu’a lieu le débat ; voir par exemple les articles de Yéhochoua Mena’hem Rosenberg sur le site « Daat » et sur le site « education.gov.il », qui dépend du ministère de l’éducation.

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Par exemple, le premier d’entre eux, le plus important : Jacob ben Hayim ibn Adoniya (XVème-XVIème siècle), voir le livre de C.D. Ginsburg, Jacob ben Chajim ibn Adonijah's Introduction to the Rabbinic Bible, London, 1865, p. 11 sq. Et, bien entendu, le grand Ginsburg lui-même était converti au christianisme.

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La deuxième difficulté est que ceux qui fondent l’autorité de la Bible sur la Massorah, lorsqu’ils ne sont pas chrétiens, doivent nécessairement trouver appui dans la tradition talmudique et midrachique. Ils multiplient alors les références. Il n’est pas possible, ici, de les examiner toutes. Cette tâche n’est cependant pas nécessaire. On fera aisément comprendre, avec quelques exemples, à quel point l’exercice est contradictoire. La source principale est le traité Nédarim 37 a, cité déjà en partie plus haut. Le Talmud se demande à quel titre un maître d’école peut percevoir un salaire pour son travail. En effet, enseigner la Torah doit être une tâche assumée gratuitement, puisque c’est aussi gratuitement qu’elle fut donnée par Moïse. Cela s’applique aussi bien à la Torah écrite qu’à la Torah orale. Pourtant, la coutume veut que ceux qui enseignent la Torah écrite perçoivent un salaire, et cela semble légitime. Pour en rendre raison, deux avis s’opposent. Rav dit que l’école fait aussi office de garderie, et un maître d’école peut donc réclamer un salaire au titre de surveillant en charge d’enfants. Ce qui n’a rien à voir avec sa fonction d’enseignant (comme chacun sait). Ce n’est pas l’opinion de Rabbi Yo’hanan. Selon lui, le maître d’école perçoit un salaire parce qu’il enseigne la « ponctuation des téamim » ( ). Selon Rabbi Yo’hanan, la « ponctuation des

téamim » ( ) n’est pas, à proprement parler, un enseignement intrinsèque de la Torah reçue de Moïse ; car il faudrait, sinon, l’enseigner gratuitement, comme le reste. C’est un supplément, peut-être indispensable, mais indépendant du contenu de la Torah. Tandis que Rav, au contraire, inclut entièrement la « ponctuation des téamim » ( ) dans l’enseignement transmis par Moïse (dé-oraïta). En bref, pour Rav apprendre la Torah écrite consiste à connaître aussi la « ponctuation des téamim » ( ) ; tandis que, pour Rabbi Yo’hanan, celle-ci n’est qu’un supplément qui exige salaire. Or, il va de soi que la pratique matérielle de la lecture requiert que l’enseignement de la Torah écrite inclut toutes les dimensions de lecture. On ne peut apprendre à lire le texte biblique qu’en le vocalisant, en le ponctuant, en le rythmant, etc. Et le Talmud Yérouchalmi1 ajoute même la traduction (targoum). La controverse ne porte pas sur la pratique matérielle de la lecture ni sur le travail de l’enseignant mais, uniquement, sur ce qui est considéré comme « dû », comme devoir de l’enseignement, et sur ce qui s’y ajoutant forcément (garderie, ponctuation) mérite salaire. La question posée est celle du « nécessaire » : la Torah reçue de Moïse inclut-elle comme une donnée « intrinsèque » la « ponctuation des téamim » ( ), ou bien non ? Cela ne remet pas en cause l’antiquité de la Massorah mais son degré d’autorité. Est-elle assimilable à

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la Torah écrite, ou bien en n’est-elle un supplément « techniquement » indispensable de la lecture mais, cependant, indépendant, second ?

Ce passage du Talmud a suscité beaucoup de questions. La première difficulté est de cerner précisément la notion de « ponctuation des téamim » ( ). Dans son commentaire sur Méguila 3 a, où figure aussi cette notion, Rachi explique qu’il s’agit des « tons musicaux » ( ) ; cet avis est repris par les Baalé Hatossafot et Roch (Nédarim,

ibid.). L’expression utilisée par Rachi donnerait à croire qu’est visée la valeur musicale des

signes de cantillation. Du coup, selon certains interprètes de Rachi — ceux qui veulent fonder l’autorité de la Massorah1 — les « tons musicaux », en controverse ici, ne désigneraient que la valeur musicale des « téamim » ( ), indépendante du rythme et de la ponctuation. Il en découlerait que le rythme et la ponctuation des versets ne sont pas en controverse. Au contraire, ils feraient partie intégrante de l’enseignement du maître d’école, quelles que soient les opinions au sujet du motif pour lequel il perçoit un salaire. Il en résulterait que, de l’avis unanime, la division des versets, par exemple, et peut-être même la valeur rythmique des accents, et donc l’ensemble de la ponctuation, feraient entièrement partie de l’enseignement de la Torah, au même titre que l’apprentissage des lettres de l’alphabet et la lecture des mots. Il existerait ainsi un accord unanime entre les sages du Talmud sur le fait que le rythme est un élément intrinsèque de la Torah écrite ; tandis que les tons musicaux (mélodiques) n’en feraient pas forcément partie, du moins selon un avis. En réalité, on verra ci-après (cf.

‘Haguiga 6 b) que, lorsque Rachi parle de « tons musicaux » ( ), il désigne en fait immédiatement le rythme ; il n’a pas du tout à l’esprit la valeur « musicale » ou « mélodique » de la cantillation, mais sa fonction de ponctuation dans la structure de la phrase. Mais cela importe peu à notre démonstration. Admettons qu’il en aille différemment ici, et qu’il règnerait un accord unanime entre les sages concernant l’importance fondamentale du rythme et de la ponctuation dans l’apprentissage scolaire. Quoi qu’il en soit, la portée de ce texte est extrêmement limitée. Il est bien évident qu’un maître d’école enseigne aux élèves à « lire » le texte biblique, et donc à le vocaliser et à le ponctuer. En ce sens, on peut considérer comme allant de soi que la vocalisation et la ponctuation appartiennent de plain-pied à l’enseignement de la Torah écrite. N’est-ce pas cela apprendre à « lire » ! Mais, on ne peut en déduire aucune conséquence concernant l’importance et l’autorité de la Massorah dans l’interprétation des versets et la décision du sens. L’originaire ne suffit pas à faire autorité. Même si la « ponctuation des téamim » ( ) avait été enseignée par Moïse lui-même, dès le

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premier jour où il a déclamé la Torah devant les enfants d’Israël1, cela donnerait une valeur d’antiquité respectable à cette tradition, mais rien de plus. Car les lois de la Torah ne relèvent pas des agissements de Moïse mais de ce qu’il a explicitement déclaré comme « loi ». Sans doute serait-il heureux que le maître d’école enseigne la Torah sur le ton même qu’utilisait Moïse, pour que les enfants la reçoivent comme au premier jour. Mais il ne s’agit que d’un bénéfice psychologique possible, non d’un impératif. Il suffit, d’ailleurs, de rappeler que même les règles de lecture publique de la Torah de Maïmonide ne tiennent aucun compte des

(téamim) de la Massorah. Alors que la déclamation publique de la Torah à la synagogue est censée répéter la scène du Sinaï et le don de la Torah2. La seule chose que MaÏmonide prescrive sur la qualité de l’acte de lecture, considéré en tant que tel, est qu’il faut tenir compte de la « précision de chaque lettre » ( ). Mais il ne s’inquiète aucunement de la ponctuation des phrases, et encore moins de la mélodie3. Même si l’on est convaincu que l’apprentissage scolaire de la lecture présuppose l’ensemble des téamim de la Massorah, y compris s’il l’on veut les tons mélodiques, cela ne signifie absolument pas que la lecture et l’interprétation de la Torah doivent se tenir dans ces limites. Entre le maître d’école enseignant aux enfants, et l’interprète de la Torah, il y a une marge, qui n’est pas du tout étroite.

Prenons un autre exemple, tout à fait caractéristique du traitement talmudique des rythmes et de la ponctuation de la Massorah. Dans le traité ‘Haguiga (6 b), Rav ‘Hisda s’interroge sur la structure grammaticale du verset suivant (Exode 24:5) :

ֹ '

.

(Littéralement) Il envoya les jeunes gens d'Israël ils offrirent des holocaustes ils immolèrent comme victimes rémunératoires au Nom des taureaux.

1

Cf. Méguila 22 a, Taanit 27 b. Ce qui ne concerne, au demeurant, que la seule séparation des versets ; c’est-à-dire la ponctuation minimum.

2

Une autre personne doit être présente aux côtés du lecteur ; comme au moment du don de la Torah, un intermédiaire (Moïse) se tenait entre Dieu et le peuple. Voir le commentaire de Rabbi Joseph Caro (Kessef

Michné) sur Hilkhot Téfila 12:7, au nom du Rif et du Talmud Yérouchalmi ; de même dans les Hagahot Maïmoniot (ad. loc.).

3

Cf. Hilkhot Téfila, 12:6. Selon le commentaire de Rabbi Joseph Caro (Kessef Michné), la « précision de chaque lettre » inclut la vocalisation, au moins dans la lecture de la Torah proprement dite. Même chez les décisionnaires séfarades actuels, qui accordent plus de valeur à la Massorah de lecture, « si le lecteur s’est trompé dans les téamim de l’Écriture, on ne le fait pas recommencer » (cf. Yalkout Yossef, Hilkhot Kryat Séfer

Torah, 142, 1). La tradition ashkénaze médiévale est moins contraignante encore que Maïmonide, voir Tour Oraʻh ‘Hayim, 142. Mais, pour les décisionnaires ashkénazes modernes, une erreur de vocalisation ou de

ponctuation qui affecte le sens d’un mot doit être corrigée, voir les notes de Rabbi Moïse Isserlès (« Remo ») sur

Shoulkhan Aroukh Oraʻh ‘Hayim, 142, et le commentaire de Rabbi Israël Meir Hakohen (Michna Beroura).

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Comment faut-il structurer la fin de la phrase ? Faut-il la découper en deux propositions, et comprendre que, primo, ils offrirent des holocaustes, c’est-à-dire, implicitement, des

agneaux ; et secundo, ils immolèrent des taureaux, comme victimes rémunératoires. Ou bien, ne faut-il lire aucun sous-entendu, et dans ce cas, les « taureaux » font l’objet des deux sortes de sacrifices : holocaustes et victimes rémunératoires. Le Talmud, qui s’intéresse peu aux questions historiques, lui objecte : Quelle importance ! Quel est l’intérêt de la question ? Mar Zoutra répond par l’expression, employée plus haut : ! L’expression, cette fois, ne peut manifestement pas désigner les « tons musicaux », puisqu’il s’agit de découper la phrase en propositions distinctes, ou, au contraire, de les regrouper en une seule. C’est donc de rythme et de ponctuation qu’il s’agit. La question est : faut-il lire la phrase en deux parties, ce qui requiert une pause entre les deux assertions ?

« Il envoya les jeunes gens d'Israël, ils offrirent des holocaustes ; ils immolèrent comme victimes rémunératoires au Nom des taureaux.

Ou bien faut-il la lire comme une seule phrase continue ?

« Il envoya les jeunes gens d'Israël, ils offrirent des holocaustes [et] immolèrent comme victimes rémunératoires au Nom, des taureaux.

Constatons, certes, que le Talmud s’intéresse effectivement à ce genre de questions1. Mais, pas trop, cependant, puisque le débat s’interrompt subitement, comme si tout avait été dit. Toutefois, le point décisif n’est pas l’intérêt du Talmud, mais plutôt le fait que Rav ‘Hisda ignore, tout bonnement, qu’il existe une Masssorah de lecture ayant déjà tranché ce problème. Et, pire encore, tous les maîtres du Talmud semblent l’ignorer puisque la question reste sans réponse ! La démarche de Rachi est instructive :

L’expression désigne les « tons musicaux » ( ). Si tu penses que deux sortes d’animaux sont offertes en sacrifice, tu dois décider de l’ordonnance de l’accent (

) de ֹ par un Etna’hta, comme nous sommes d’usage de le lire, ou bien par un

Zakèf katân, c’est-à-dire par une ordonnance ( ) disjonctive de ce qui vient après le mot. Mais, s’il s’agissait d’une seule espèce animale [des taureaux], tu dois le lire, au contraire, par l’une des autres ordonnances non disjonctives, tel le Pachta ou le Révia.

J’ai souligné à dessein, dans le commentaire de Rachi, que l’expression massorétique ne désigne aucun contenu ni tradition donnée, mais une activité de décision. Car le Talmud, et Rachi à sa suite, ne tiennent aucun du fait que, d’après la Massorah de lecture, la

1

Voir l’article de D. Banon, « Poétique et-ou midrach ? Les questions d’Henri Meschonnic », Entrelacs, op.

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réponse existe déjà. N’y a-t-il déjà, en effet, un Etna’hta sous l’expression ֹ , qui implique que les deux assertions sont disjointes ? Rachi mentionne, au passage, la lecture de la Massorah et, avec une légèreté incroyable, en propose une autre avec un Zakèf katân. Puisque ces deux ordonnances ont, ici, la même valeur disjonctive. Puis il ajoute que si l’on pense que le verset décrit une seule sorte d’animaux, des taureaux, alors il faut ponctuer le texte par une ordonnance conjonctive. C’est faire vraiment peu de cas de la tradition de ponctuation existante ! La différence entre l’apprentissage de la lecture de la Torah et la discipline de l’étude saute aux yeux. Aux enfants d’une dizaine d’années, il importe de fixer une première lecture, qui pose le socle d’une compréhension initiale de la Torah. Mais, dès qu’un jeune homme est en âge d’étudier le Talmud, il se heurte aux questions des sages qui l’obligent à un déchiffrement du texte plus exigeant. La Massorah n’est plus, dès lors, qu’un lointain souvenir ; elle n’est pas même un appui mais, seulement, l’endroit d’une pause dans la réflexion, une pratique dépourvue d’autorité. On peut, en effet, s’effrayer de devoir prendre de telles décisions, on aura alors raison de reculer et de s’en tenir à une lecture connue et certifiée par des siècles d’usage. Mais, il ne faut pas se méprendre sur la signification de ce tournant : il n’exprime aucun savoir ni ne repose sur aucune évidence. Il s’agit d’un pur et simple aveu d’ignorance et d’incompétence. Personnellement, je m’en tiens le plus souvent à cet aveu. Il n’y a rien d’humiliant à reconnaître que l’on ne sait pas. La seule chose préjudiciable pour la compréhension du texte biblique est de retourner cette ignorance en profession de foi. Et de prétendre faire comme si la Torah statuait elle-même sur sa lecture à travers la Massorah ! Alors que cette dernière ne peut être qu’une construction, un choix parmi des lectures possibles, qui n’est jamais la possibilité unique et ultime, et qui n’a d’autre autorité que l’usage. En droit, toute personne suffisamment versée dans l’étude de la Bible a barre sur la ponctuation et la cantillation du texte. À lui de l’assumer, s’il en est capable.

Le meilleur modèle, me semble-t-il, est fourni par la méthode des commentateurs médiévaux, en particulier Rachi et Ibn Ezra, dont on s’accordera à reconnaître qu’ils connaissent leur « métier ».

Dans son commentaire d’un passage difficile d’Ézéchiel (1:11), Rachi s’exclame :

Si je n’avais pas vu une ordonnance de Zakèf gadol sous le mot , je n’aurais pas su expliquer ce verset.

Le verset en question commence, en effet, par les mots (« et leurs faces et leurs ailes »). Ces deux termes sont suivis d’une description. Or, la structure de la phrase et le

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découpage des versets semble indiquer que celle-ci s’applique aux deux termes. Mais, du coup, la phrase devient inintelligible. Heureusement, le mot est ponctué d’un Zakèf

gadol, ce qui permet à Rachi de les dissocier, et de n’appliquer la description suivante qu’au

mot . On aurait tort d’en déduire que les indications massorétiques sont décisives pour Rachi. En fait, il ne s’en sert que comme d’un moyen pour trouver une solution à un problème. Car, en d’autres passages, Rachi commet des « fautes » impardonnables envers la Massorah, en négligeant complètement ses indications. Par exemple, le verset d’Isaïe (1:9)