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Voyons le premier verset. Les traducteurs auraient écrits « le Souverain créa au commencement » ( ) au lieu de « au commencement créa le Souverain » ( ) (Genèse 1:1). Rachi explique :

Afin que l’on ne dise pas que le mot (béréchit) est un nom [propre] et qu’il y a deux puissances, et que le premier créa le second.

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Cf. La Bible grecque des Septante, op. cit. (p. 128 sq.) « Chapitre v : les divergences entre la septante et le texte massorétique, IV. Écarts principaux entre la Septante et le texte massorétique ».

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Le point est particulièrement mis en lumière dans l’article d’E. Lévinas, « La traduction de l’Écriture », À

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Si l’ordre des mots hébreux était conservé, argumente Rachi, le lecteur de la Genèse aurait pu penser que « Béréchit créa élohim (le Souverain) ». Les traducteurs auraient donc modifié l’ordre des mots afin qu’une telle erreur ne se produise pas, conservant à élohim son rang d’unique Cause première de l’univers. Les Baalé Hatossafot ne sont pas d’accord avec cette explication.

L’explication de Rachi pose problème. D’abord, le terme (béréchit) n’est aucunement un nom [propre], c’est simplement [un adverbe signifiant] « au commencement ». Ensuite, ils traduisirent bien ce terme par « au commencement ». Il me semble qu’en réalité les Grecs savaient qu’il faut toujours mentionner le nom du Souverain en premier ; et si les traducteurs avaient écrits (béréchit) en premier, ils auraient pensé qu’il y a deux puissances, et que le premier terme est un Créateur et qu’élohim est le second ; voilà pourquoi ils les inversèrent.

Il faut remarquer que, dans tous les cas de figure, il est bien écrit en hébreu que « Béréchit créa élohim ». Quelle que fût la crainte des traducteurs, soit que le lecteur grec confonde le terme (béréchit) avec un nom propre, ou bien que les habitudes de lecture donnent naturellement préséance au premier terme d’une phrase, et encore plus d’un livre, quoi qu’il en soit, la question est d’abord pertinente en hébreu, avant de faire éventuellement problème en grec. Lorsque les maîtres du Talmud évoquent, pour la louer, la traduction des Septante, ils déclarent en fait leur propre embarras devant un membre de phrase fondamental et essentiel. Que l’on choisisse de suivre l’explication de Rachi ou celles des Baalé Hatossafot, il faudra, de toute façon, justifier pourquoi la lecture habituelle de cette phrase est « le Souverain créa au commencement ». Parce qu’il n’est pas du tout écrit cela ! Mais, seuls des esprits attachés à la lettre perçoivent le problème. Pour un disciple de Justinien, une telle réflexion est entachée de stupidité et d’opiniâtreté. Car, il est évident que le « message » du texte est que « le Souverain créa au commencement ». Quel esprit borné et vicieux pourrait entretenir un doute là-dessus ! Pourtant, et bien que les disciples de Justinien soient foule, y compris parmi les juifs1, ce membre de phrase a toujours posé un problème aux commentateurs. Ce passage du Talmud en est une attestation parmi d’autres. L’une des plus célèbres est la longue intervention de Rachi, dans son commentaire sur la Torah. Pour résumer grossièrement son argumentation, Rachi établit que « l'Écriture ne prétend pas nous enseigner l'ordre selon

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On connaît la formule, au fond très « romaine « et très « impériale », de Ben Gourion : « le texte biblique s’éclaire de sa propre lumière » ; voir l’analyse de D. Banon, Entrelacs, Cerf, 2008, p. 236 (à travers l’herméneutique de Néhama Leibovitz). En réunissant, dans une même attitude critique, les regards de Néhama et Yéchayahou Leibovitz sur les présupposés qui sous-tendent « l’évidence » intrinsèque du texte biblique, D. Banon met en relief les enjeux du refus de l’exégèse juive comme occultation de la foi et de la pratique juive.

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lequel se déroula la création », en sorte que la présence du mot (béréchit) au début de la Torah introduit une difficulté considérable, et appelle une interprétation de style midrachique :

« Cet écrit ne dit qu'une chose : Interprète-moi ! Ainsi que nos maîtres l'interprétèrent : [le monde a été créé] en vue de la Torah qui est appelée « prémices (réchit) de son cheminement » (Michlé 8:22) et en vue d'Israël qui est appelé « prémices (réchit) de sa récolte » (Jérémie 2:3)1.

Et, même si le mot (béréchit) était interprété comme indice temporel, il conserverait son pouvoir d’étrangeté dans la langue hébraïque parce qu’il se présente toujours à l’état construit. À la différence du mot (richona), qui est employé comme adverbe et désigne le « moment » du commencement en tant que tel, le mot (réchit) introduit une sorte de génitif et implique forcément un complément. Le mot (béréchit) du premier verset ne peut donc exprimer le début d'une chose dans le temps, pris comme repère exclusif, contrairement à (barichona). Car (béréchit) ne peut dire que le début de

quelque chose, sa première manifestation ou apparition. Ce genre de construction implique

forcément que la chose existe déjà au moment où l'on en parle. Comme lorsque l'on dit « au commencement du ciel et de la terre », ce qui veut dire « lorsque le ciel et la terre commençaient d’être ». Ce qui montre bien que l’univers existait déjà, fut-ce sous une autre forme que celle qu'on lui connaît aujourd'hui. Je ne m’étends pas davantage sur l’explication de Rachi. Il suffit de prendre conscience que la littéralité du texte pose problème. Or, le passage du Talmud cité déclare sans ambages que cette ambigüité a disparu en grec. Certes, il pose une assertion littéralement inexacte. Puisqu’il dit que l’ordre des mots a changé dans la version grecque, et qu’il est écrit : « Le Souverain créa au commencement ». Alors que les mots sont écrits, en réalité, dans le même ordre que dans le texte hébreu. Mais, cette conformité ne doit pas faire illusion. Car, aucune des difficultés littérales de l’hébreu ne s’entend plus en grec. Certes, il est écrit Ἐν ἀ χῇ ἐπο σεν ὁ ε , ce qui pourrait se traduire

par « au commencement créa (ou fit) le Souverain », mais il ne s’agit que d’une conformité extérieure, purement stylistique. En réalité, chacun comprend instantanément « le Souverain créa au commencement ». Au point que les traducteurs français ajoutent automatiquement, et sans y penser, une virgule indispensable au style : « Au commencement, Dieu créa etc. ». Les traductions courantes de la Bible attestent aujourd’hui encore que, dans le passage d’une

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langue à l’autre, les mêmes mots, dans le même ordre, disent pourtant autre chose1. Le passage du Talmud cité ne dit pas autre chose. Certes, les traducteurs en grec se sont efforcés de respecter extérieurement la lettre du texte hébraïque, mais en la préservant soigneusement de toutes ses difficultés. Ils n’ont aucunement cherché à restituer, en grec, le difficile exercice du sens dans l’original. Le mot-à-mot ne doit pas faire illusion. S’il y a état construit entre le premier et le deuxième mot du verset, celui-ci n’a pas été rendu. Les traducteurs ont simplifié, lissé, effacé ce qui, en hébreu, requiert inévitablement du lecteur une démarche interprétative. Ils ont transmis une « idée ». Mais, ils ont escamoté, au passage, les aspérités d’un texte difficile. Ils auraient pu traduire aussi ces aspérités ; ils ne l’ont pas fait. Ils n’ont pas cherché à rendre (béréchit) par une forme construite (contrairement à l’avis de Rachi, Ibn Ezra, Radak) ; ils n’ont pas formé un néologisme pour traduire l’idée d’une création ex-nihilo (Na’hmanide au sujet du verbe ) au lieu d’une simple poïésis2 ; ils ont lissé le texte de telle

manière que sa littéralité coule sans heurts et sans question. Le questionnement s’est déplacé du texte vers les idées. Ce dont les maîtres du Talmud les félicitent : les traducteurs furent bien inspirés. Mais, au sein de la tradition hébraïque, aucun commentateur ne saurait se satisfaire de cette traduction3.

Une précision est indispensable sur ce point. On pourrait porter le même jugement sur la traduction araméenne courante (targoum), qui n’est pourtant pas mentionnée ici, pas même en allusion. Onkelos écrit en effet : , qui pourrait se traduire par « auparavant, Dieu créa etc. ». C’est déjà, en soi, une interprétation du texte, et celle-ci ne reflète pas nécessairement les préoccupations des commentateurs et ne saurait les satisfaire. Certes, la traduction des Septante est largement antérieure à celle d’Onkelos ; mais les tanaïm, auteurs de ce jugement sur la Septante, sont contemporains ou postérieurs au targoum araméen.

1

À la notable exception d’Henri Meschonnic, Au commencement, Desclée de Brouwer, 2002, p. 27 ; qui traduit : « Au commencement que Dieu a créé le ciel et la terre ». Mais, il est aussi notable que, pour cette traduction, Meschonnic ne s’appuie absolument pas sur ses propres principes et que n’entre ici aucune critique du rythme. Meschonnic ne doit le repérage d’un état construit qu’au seul commentaire de Rachi, et cette soudaine autorité d’une interpétation « rabbinique » qu’il récuse le plus souvent, reste, dans sa démarche, injustifiée.

2

À la seule exception d’Aquila, bien sûr. À mon avis, Mme M. Harl fait bien de traduire la Septante par « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre » ; cf. La Bible d’Alexandrie, La Genèse, Cerf, 2010, p. 85-86. Au sujet de la traduction grecque de certains termes hébraïques, dont le verbe , voir J. Joosten, « Traduire la parole : La Septante à la lumière de l’histoire, de la philologie et de la théologie », Revue d’histoire et de philosophie religieuses, 2013, Tome 93 n° 4, p. 481 à 497.

3

Pas même Maïmonide, le plus « grec » d’entre eux ; voir Guide des égarés II, 30 au sujet du mot . Contrairement à l’évidence commune, substituer la sphère de la pensée, opérant dans le « langage pur », aux contraintes et aux aspérités du texte, ne représente aucun progrès. Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, toute la discipline du judaïsme passe par ce point.

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N’auraient-ils pas dû, aussi, relever les modifications (toutes inspirées et bienvenues) d’Onkelos ? Pourquoi s’appesantir sur l’art de traduire la Torah en grec (qui concerne peu ou prou les maîtres de la Michna et du Talmud) et négliger les performances d’Onkelos, que Maïmonide a su si bien mettre en évidence1 ? Cette question est fondamentale dans la compréhension des enjeux du traduire, et de son format littéraire. Le texte cité du traité

Méguila, qui recense les modifications de la Septante, aurait pu et dû analyser l’art littéraire

d’Onkelos, si son œuvre avait eu le même enjeu. Mais ce n’est pas le cas. Non que le Targoum araméen aurait moins d’importance historique ou intellectuelle que la traduction de Ptolémée ; dans le cadre du judaïsme palestinien et babylonien, c’est plutôt l’inverse. Mais le Targoum, aussi finement traduit et ciselé soit-il, reste foncièrement une œuvre relevant de la tradition « orale »2. Il accompagne le texte hébraïque, comme le ferait tout commentaire littéral, et peut-être même mieux que ne le ferait un simple commentaire. Il n’égale pas et encore moins ne remplace l’œuvre écrite. Or, tout le passage du traité Méguila consacré à la Septante ne traite que du phénomène du transfert des écritures, qui de l’hébreu passent au grec. Il s’agit de statuer sur la constitution d’une œuvre écrite, comme l’annonce la Michna qui autorise l’écriture du Pentateuque en grec3. E. Lévinas l’a bien vu : le texte grec de la Septante est investi du même « privilège » que l’original hébraïque, du même « rang » et de la même position : il « rend les mains impures » ; ce qui est la marque des écrits saints et inspirés4. Aux yeux des sages de la Michna et du Talmud, la Septante ne relève pas du genre du commentaire. Par sa fonction, requise d’emblée par Ptolémée, et légitimée par une assemblée de soixante-dix sages d’Israël qui a presque dignité de Sanhédrin, elle prend rang égal au corps du texte hébraïque ; elle est une « œuvre écrite ». Mais, du coup, elle va progressivement aussi se substituer au corps du texte hébraïque, et devenir à son tour source et point d’origine, autorité scripturaire. Par un glissement impossible à éviter en grec, elle

1

Cf. Guide I, 27. 2

Pour une approche globale de la différence de l’écrit et de l’oral, et sur l’étendue du champ de l’oralité dans la tradition hébraïque, je renvoie à mon Histoire du judaïsme, « Que sais-je », PUF, 2012, p. 15-20. On verra une autre approche, quoique tout à fait convergente sur le fond, dans l’article de D. Banon, « Du prophète au rabbi, etc. », Entrelacs, op. cit., p. 19-46.

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Ce texte est traduit et présenté rapidement plus loin dans ce chapitre. 4

Cf. E. Lévinas, « La traduction de l’Écriture », À l’heure des Nations, op. cit., p. 57. Je renvoie à l’ensemble de son article pour la présentation du texte talmudique, qu’il n’est pas nécessaire de répéter. Mais, je ne souscris pas aux hyperboles sophistiquées que Lévinas accorde à cette « impureté », devenue pour lui synonyme de préliminaire et de tradition. En soi, « rendre les mains impures » est une institution des sages destinée à protéger et à conserver les rouleaux de la Torah ; il n’est pas nécessaire de surcharger de significations métaphoriques une pratique déjà rigoureuse et astreignante dans la conservation des textes. Mais, quoi qu’il en soit, cette « qualité » signale, partout dans le Talmud, le rang de texte « écrit », relevant de la tradition écrite, du corpus biblique, et non de l’oralité qui l’accompagne. Voir plus loin l’introduction de Meïri (dans la partie « Études et Approfondissements »)

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devient la fondation dans laquelle s’accomplit la forme substitutive de la traduction. Aucune des subtilités des différents targoumim araméens ne peuvent rivaliser avec la force signifiante de la traduction grecque. En ce point précis, ni la qualité de la langue ni la clarté du style ne sont décisifs. Seul compte le régime politique et institutionnel du livre. On voit combien ce texte du Talmud touche de près aux enjeux de la Novelle de Justinien. Il va sans dire que la langue grecque joue un rôle majeur dans le rayonnement de la Septante. Non sans raison, le Talmud voit en elle la langue de la beauté par excellence1. Mais, aux yeux du Talmud, ce n’est pas cette qualité qui lui confère une position originelle dans l’ordre de l’écrit ; c’est l’accord des soixante-dix anciens et le statut institutionnel que lui a conféré Ptolémée, le maître de l’époque2.

Même lorsque nos maîtres permirent la langue grecque, ils ne la permirent que pour le Pentateuque et à cause de ce qui se passa avec le roi Ptolémée, etc.

Tel est le format politico-littéraire de la traduction grecque des Septante avec lequel aucun Targoum araméen ne peut rivaliser, malgré son importance dans le domaine de la compréhension du sens de l’écriture et son rôle dans l’étude de la Torah. La traduction grecque n’est pas simplement une parole proférée au sujet d’une autre parole ; elle capte l’écrit et s’empare de la place originelle. Elle endosse la parole prophétique et fait, en outre, comme si elle était désormais sienne, absolument, sans reste. Elle est un « écrit » qui devient progressivement L’« écrit ». Cette susbtitution ne persiste-t-elle pas, aujourd’hui encore, dans le format très ordinaire des traductions de la Bible en langue européenne ? Le destin habituel du livre intitulé « Bible » peut-il échapper à l’institution qui en gouverne la forme et l’existence depuis Ptolémée et Justinien?

L’illusionisme majeur est ici la tradition qui veut tellement que la traduction ne doit pas avoir l’air d’une traduction, qu’elle se fait oublier comme traduction, et qu’on en oublie qu’on a affaire à une traduction.

Au point que pour certains recueils populaires de petites phrases tirées de la Bible, il n’est même pas mentionné qu’on a affaire à une traduction3.

En vérité, même ceux qui savent pertinemment avoir affaire à une traduction ne continuent pas moins de lire le texte hébreu à travers le prisme de sa traduction grecque, tant elle fait avec évidence « autorité », et sans qu’il soit besoin de le dire ni de se justifier. Jusqu’à la

1

Cf. Méguila 9 b. 2

En revanche, le système d’écriture joue un rôle fondamental dans la dynamique de susbtitution des écritures, comme on le verra plus loin.

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critique savante, loin d’échapper à ce qui n’est pas un simple préjugé mais un élément structurel dans l’histore de la Bible en occident1. Cet enjeu parcourt la série des modifications repérées par le Talmud. Sans doute, au cœur de l’Alexandrie grecque, ces variations témoignent de la différence (ou d’une partie de la différence) entre Athènes et Jérusalem. Mais, il ne faut jamais perdre de vue que la force du problème littéraire et philosophique découle du rôle éminement politique accordé à la traduction. Ptolémée et Justinien tiennent les deux bouts de la châne d’une Septante originelle et fondatrice. Accompagné d’un grand Sanhédrin de soxante-dix sages d’Israël (qu’aurait pu lui envier Napoléon), Ptolémée fonde, aux yeux des Juifs et des Grecs, la dignité et le rang de la seule et unique traduction « écrite » au monde du Pentateuque. À l’autre bout, posant les bases du romano-christianisme, Justinien recueille les fruits du mouvement progressif de substitution intégrale des écritures, désormais accompli. Et il invalide le texte originel devenu simplement caduque.

Il n’est pas possible d’analyser tous les versets cités dans le passage du traité Méguila, comme nous l’avons fait du premier. Il faudrait entrer dans trop de détails. Certains portent sur la question du monothéisme (Genèse 1:26 et 11:7), d’autres sur des problèmes de mœurs (Genèse 18:12, Exode 4:20, 24:5 et 11, Nombre 16:15), un autre sur la représentation du couple (Genèse 5:2), sur l’image d’Israël (Genèse 49:6), sur le rapport entre Dieu et les peuples du monde (Deutéronome 4:19 et 17:3), et enfin le dernier est dicté par des considérations diplomatiques (Lévitique 11:6). En revanche, il faudra examiner ci-après deux occurrences qui paraissent être des témoins fondamentaux de la façon dont s’établit la « vérité » du texte : le repos du septième jour et la durée de l’exil en Égypte. Pour l’instant, attachons-nous à la question du monothéisme. Dans l’ensemble, les quelques versets concernés par ce problème dessinent un champ marqué par les limites d’une culture : comment évoquer, en grec, un monothéisme qui, d’une part, ne se confond pas, purement et simplement, avec la position de l’Un ; et, d’autre part, ne s’effondre pas aussitôt dans le polythéisme ? Comment évoquer la réserve que, sur cette question, l’hébreu conserve en son fond ? Là encore, l’interprétation choque le sens commun, elle interrompt l’évidence qui semble couler de source. Il suffit de saisir la façon dont le midrach, repris par Rachi, explique le pluriel « Faisons l’humanité » (Genèse 1:26) :

1

Voir l’article très éclairant et qui touche au vif du problème de D. Banon, « Critique et tradition, l’impossible dialogue », op. cit., p. 122-142. Jusqu’à quel point la connaissance de la culture hébraïque de certaines des élites savantes dépasse la simple traduction grecque des mots hébreux ? Jusqu’à quel point sont-elles capables de comprendre un verset de la Bible sans en passer forcément par l’inévitable dictionnaire, grand sottisier des traductions reçues ? La question mérite d’être posée sérieusement.

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Bien que les anges n'aient pas participé à la création de l’humanité, et que ce verset offre aux sectateurs l'occasion de l’emporter, l'Écriture n'a pas renoncé à nous enseigner la sociabilité et la vertu d'humilité, c'est-à-dire que le grand doit prendre conseil et permission du petit. Car s’il était écrit « je vais faire l’humanité », nous n'aurions pas compris qu'il parle avec les juges de son tribunal mais seulement avec lui-même. Et la réponse aux sectateurs est inscrite de toute façon à la suite : « Dieu Souverain créa l'être humain », et non pas « créèrent ».