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XXe et XXIe siècle : l’évolution du lien entre l’image et le texte avec l’album

Chapitre 3. Place de l’image et de l’image animée dans l’apprentissage de la lecture

1. Approche de l’image à partir de son statut dans la société au fil des siècles

1.3. XXe et XXIe siècle : l’évolution du lien entre l’image et le texte avec l’album

Le XXe siècle marque un changement dans la place et le rôle assignés à l’image. En 1919 paraît Macao et Cosmage ou l’expérience du bonheur98, d’Edy Legrand. Ce livre marque un tournant dans le rapport texte-image. Comme le souligne Sophie Van der Linden, « Dès l’avertissement, le regard du jeune lecteur est orienté vers les images99. ». Le texte n’est plus prédominant.

Edy-Legrand, Macao et Cosmage ou l’expérience du bonheur, Paris, NRF, 1919, couverture et p. 1-2.

 Qu’est-ce qu’un album ?

Aujourd’hui, les albums occupent une place importante dans l’édition du livre de jeunesse. En analysant certains aspects du fonctionnement de l’album, Sophie Van der Linden dégage une définition de l’album.

« L’album serait d’une forme d’expression présentant une interaction de textes (qui peuvent être sous-jacents) et d’images (spatialement prépondérantes) au sein d’un support, caractérisée

97 Michel Melot, Une brève Histoire de l’Image, L’œil Neuf éditions, Paris, 2007, p. 89. 98 Edy-Legrand, Macao et Cosmage ou l’expérience du bonheur, Paris, NRF, 1919. 99 Sophie Van der Linden, Lire l’album, L’atelier du Poisson soluble, réed. 2006, p. 15.

par une organisation libre de la double page, une diversité des réalisations matérielles et un enchaînement fluide et cohérent de page en page.100».

Avec les albums, le rapport entre les textes et les images est interrogé. Sophie Van der Linden, s’intéresse aux relations formelles, temporelles et spatiales entre les textes et les images, avant d’analyser un point qui m’intéresse dans ce mémoire : le rapport à la narration. De ce point de vue, quels rapports peuvent entretenir le texte et l’image ?

 Le rapport entre le texte et l’image

Sophie Van der Linden identifie trois types de lien101 :

- un rapport de redondance : dans ce type de rapport, le « texte et l’image renvoient au même récit ». La narration est développée par l’une des deux instances, sans que l’autre soit nécessaire à la compréhension du récit. Dans ce cas, l’image est illustrative.

- un rapport de collaboration : dans ce rapport, le texte et l’image apporte tous deux une partie du sens. C’est la mise en relation du texte et de l’image qui permet au lecteur de construire une signification du récit.

- un rapport de disjonction : dans ce type de rapport, le texte et l’image suivent des « voies narratives parallèles » ou « entrent en contradiction.

Les rapports entre le texte et les images étant posés, comment le lecteur appréhende-t-il les images dans leur rapport au texte ?

 Les images, le texte et le lecteur

Dans un article intitulé « Lecture d’images et (re)positionnement du lecteur102 », Françoise Demougin interroge le parcours de lecture d’élèves de cycle 3, confrontés, d’une

100 Sophie Van der Linden, Lire l’album, L’atelier du Poisson soluble, réed. 2006, p. 87. 101 Ibid., p. 120-121

part à l’interprétation objective du texte et de l’image, et d’autre part, à la « spéculation subjective. » Elle souligne tout d’abord, que l’attrait des enfants pour l’image, leur permet un premier engagement dans l’histoire. Elle analyse en effet que « L’appui que l’élève prend sur l’image semble lui permettre alors de lever l’inhibition qui est la sienne devant une médiation par les mots qui reste pour lui peu sûre103 ». L’image serait donc un levier pour permettre à l’enfant d’entrer dans un livre, d’enclencher une recherche de sens, de parler de l’histoire. Sa parole serait « dégelée104 ». Ainsi, dans le cas de l’album105 sur

lequel ont travaillé les enfants, Françoise Demougin montre que l’image va leur permettre d’éclaircir un texte quelque peu opaque pour eux, car renvoyant à des références qu’ils n’ont pas forcément. Par exemple, l’image constituera une aide précieuse pour « situer l’histoire dans un ancrage spatio-temporel » et « aller vers une représentation mentale et probabiliste ».

Par ailleurs, la mise en images du texte permet « d’actualiser l’idée du référent par l’expérience personnelle du lecteur (le nounours, le bon copain, l’anniversaire) ». La lecture de l’album, qui met en relation le texte et les images, fait entrer le sujet lecteur dans une dimension « objective » du récit tout en lui permettant de s’impliquer émotionnellement. L’image rappelle un monde de l’enfance auquel ils appartiennent, tout en permettant d’interpréter, d’interroger le texte. Dans le cas de l’album Otto, Françoise Demougin affirme que « L’axiologie du lecteur est (…) sollicitée par le visuel106 ».

L’image semble présenter les personnages en chair et en os à la différence du texte qui est plus abstrait.

 Les images : un vecteur d’interprétation, de création et un élément

d’accroche au texte.

Françoise Demougin fait ressortir de son analyse, que l’image est un vecteur d’interprétation et une source de créativité. Selon elle, l’image donne tout d’abord la

102 Françoise Demougin, « Lecture d’images et (re)positionnement du lecteur », dans Annie Rouxel, Gérard

Langlade (dir.), Le sujet lecteur, Lecture subjective et enseignement de la littérature, PUR, Rennes, 2004, p. 317-328.

103 Ibid., p. 318.

104 Françoise Demougin fait une allusion à Rabelais, Ibid., p. 318. 105 Tomi Ungerer, Otto, École des Loisirs, 1999.

possibilité aux lecteurs de « créer un monde nouveau ». Par exemple, en ce qui concerne la représentation du personnage Otto, les élèves l’identifient comme appartenant à l’histoire mais ils s’approprient aussi la peluche dans ce qu’elle représente pour eux, établissant des passerelles avec leur vécu. Ce processus est rendu possible par le caractère « ambivalent de l’image107 », cette caractéristique qui lui permet d’être et de ne pas être ce qu’elle

représente. Ainsi, cet entre-deux, laisse la possibilité au spectateur de penser, de (re)créer ses propres images.

« C’est bien dans l’écart, dans une certaine « trahison » du référent, que l’image trouve son mode de fonctionnement, le spectateur son interprétation. L’image se trouve être davantage une direction donnée, ou, plus exactement, la valeur d’une image n’est en aucun cas une plénitude, une perfection qu’elle ne saurait d’ailleurs atteindre, mais bien un appel d’un sens, d’une vision du monde qui ne se laisse prendre au piège d’aucune représentation exacte108. »

En outre, la chercheuse souligne le fait que l’image incite l’élève à retourner au texte de manière « gourmande109 ». Expliquant ce terme, elle note que « le plaisir pris à la lecture d’image, de ses codes, de ses implicites, l’élève va le reporter sur le texte ». Ainsi, il y aurait un transfert du goût pour la lecture d’image qui s’opèrerait sur le texte.

Si ce rapide aperçu historique permet d’appréhender différentes conceptions de l’image suivant les époques, je tiens à poser certaines limites à cette analyse. Cette présentation chronologique pourrait laisser penser qu’une nouvelle conception en supplante une autre. Une étude un peu plus approfondie (mais ce n’est pas l’objet de ce mémoire) montrerait que ces conceptions ont plutôt tendance à coexister.

Les liens entre les textes et les images étant posés, je vais m’interroger sur le rapport possible entre lecture littéraire et lecture filmique.

107 Ibid., p. 323, terme repris à Jack Goody, La Peur des représentations, éd. française, Paris, La Découverte,

2003,

108 Ibid. p. 325. 109 Ibid., p. 325.