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La notion de « spectature » développée par Nathalie Lacelle et Gérard Langlade : la

Chapitre 3. Place de l’image et de l’image animée dans l’apprentissage de la lecture

3. La notion de « spectature » développée par Nathalie Lacelle et Gérard Langlade : la

En 2007, Gérard Langlade et Nathalie Lacelle126, analysent les liens pouvant être établis entre les œuvres littéraires et cinématographiques pour permettre aux lecteurs- spectateurs de développer leur subjectivité. Ils empruntent alors à Martin Lefèvre127, le

terme de « spectature », néologisme créé en 1994, pour « désigner l’acte de lecture du film « comme étant constitué d’un ensemble de processus (perceptif, cognitif, argumentatif, affectif et symbolique), qui règlent l’interaction entre un spectateur et un film et assurent la construction de l’objet filmique en tant que texte 128».

3.1. Contexte de la recherche

En 2004, Nathalie Lacelle note dans sa thèse que « la notion de lecture subjective de film n’apparaît pas dans les théories de l’acte de spectature129 ». Partant de l’approche

subjective de la lecture littéraire, elle réinterroge les recherches sur le sujet lecteur pour établir des mécanismes communs mis en œuvre par le sujet spectateur. Elle questionne alors, les activités fictionnalisantes décrites par Gérard Langlade sous l’angle de la spectature. Les résultats de son expérimentation, qui s’est déroulée avec des collégiens et des lycéens autour d’une œuvre littéraire québécoise, Les portes tournantes130 et son adaptation cinématographique par Francis Mankiewicz131, permettent de comparer les

activités de fictionnalisation mises en œuvre chez le lecteur et le spectateur.

126 Nathalie Lacelle, Gérard Langlade, « Former des lecteur-spectateurs par la lecture subjective des

œuvres », dans Jean-Louis Dufays, (dir.), Enseigner et apprendre la littérature aujourd’hui pourquoi faire ?, Sens utilité, évaluation, Presses Universitaires du Louvain, Louvain, 2007, p. 55-67.

127 Martin Lefèvre, Psycho. De la figure au musée imaginaire. Théorie et pratique de l’acte de spectature,

Montréal, L’Harmattan, 1997.

128 Ibid., p. 55. 129 Ibid., p. 220.

130 Jacques Savoie, Les portes tournantes, Montréal, Les éditions du Boréal, 1984. 131 Francis Mankiewicz, Les portes tournantes, Montréal, Séville film, 1988.

3.2. Les activités de fictionnalisation mises en œuvre chez le lecteur/spectateur

La concrétion imageante ou auditive : l’œuvre filmique donnant à voir et à

entendre, le spectateur peut-il créer ses propres images et sons ? Pour identifier les mécanismes à l’œuvre en lecture et en spectature, Nathalie Lacelle les analyse sous l’angle de la « fréquence132 » et de « l’intensité ».

 La fréquence : si la quantité d’images et de sons à créer est plus importante en lecture qu’en spectature, Nathalie Lacelle note aussi que le film exige, à certains moments, de la part du spectateur, « un effort de reconstitution d’évènements manquants (ellipses narratives) auxquels il doit inévitablement ajouter des images et des sons personnels133 ». Il doit

en effet imaginer ce qui n’est pas montré entre les plans, se représenter des lieux, ou des personnages évoqués. Mais, « le film demande moins d’effort à se représenter mentalement les personnages, les décors, les actions, les situations134 ».

 L’intensité : Nathalie Lacelle explique que l’intensité du mécanisme peut être aussi fort en spectature qu’en lecture du fait, pour reprendre ses termes, de « l’incomplétude » de toute description.

Nathalie Lacelle ajoute que le spectateur entre dans une autre activité : la « concrétisation textuelle ». En effet, le spectateur peut être amené à interpréter les expressions des visages des personnages et imaginer ce qu’ils pensent, ce qu’il souhaiterait dire… A la différence du texte, ces informations ne sont pas données par le film.

L’activité fantasmatique135 : en ce qui concerne cette activité, la littérature et le cinéma utilisant les mêmes codes, l’un et l’autre génère des fantasmes chez le lecteur et/ou le spectateur. Ainsi, « le désir de sens du lecteur/spectateur dans le roman tout comme au cinéma s’appuie sur des fantasmes activés par la narration136 ».

132 Ibid., p. 234. 133 Ibid., p. 234. 134 Ibid., p. 339.

135 Dénommée « désir fantasmatique » dans la thèse de Nathalie Lacelle. 136 Ibid., p. 341.

La cohérence mimétique : « le lecteur comme le spectateur crée des liens de

cohérence entre les éléments du roman/film à partir de référents personnels137 ». Dans

l’expérience menée par Nathalie Lacelle, des émotions plus fortes semblent être provoquées par le film. Elles seraient liées à « la spécificité des codes filmiques ». Il semblerait aussi que les liens de cohérence soient plus faciles dans les situations de spectature. Nathalie Lacelle constate de plus que « le niveau d’interprétation augmente en spectature, les élèves étant moins préoccupés à repérer des éléments formels138 ». Nathalie Lacelle explique que cette augmentation est aussi liée au cadre de l’expérimentation qui offre une deuxième lecture de l’histoire.

La réaction axiologique : « Le spectateur semble juger plus facilement des

situations, des valeurs des personnages en fonction de ce qu’il voit.139 » Ces réactions

seraient liées au fait de « voir les personnages agir dans un contexte » et à « une situation anticipée par la lecture ».

Nathalie Lacelle montre que le fait que les lecteurs aient accès au monde intérieur des personnages, génère plus d’empathie pour ceux-ci.

L’impact esthétique : cette activité n’est pas évoquée par Nathalie Lacelle dans sa

thèse.

Ainsi des compétences mises en œuvre chez le lecteur d’œuvres littéraires se retrouvent chez le spectateur de récits filmiques. Il existe en effet des analogies entre la lecture de textes et la lecture de films. La lecture littéraire nécessite une attitude particulière140, comme la lecture filmique. Une implication du lecteur-spectateur, qui doit agir sur l’œuvre pour se l’approprier. Il doit anticiper, relier le contenu du texte ou du film à ses connaissances, effectuer des relations entre ses partis (inférences), sélectionner les idées importantes, se créer des images mentales, se poser des questions, résumer des parties … En outre, le film comme le texte suscite aussi des émotions, des échos intérieurs chez le sujet lecteur spectateur, dont témoignent les activités fictionnalisantes.

137 Ibid., p. 342. 138 Ibid., p. 343. 139 Ibid., p. 343.

140 Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage