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vulgare

Féminisation et transmission de la bactérie

Chez A. vulgare, la détermination du sexe suit une hétérogamétie femelle : les mâles sont ZZ, les femelles ZW (Juchault and Legrand, 1972). Lorsque deux individus non infectés par Wolbachia se reproduisent, il est donc attendu dans la progéniture 50% de mâles (ZZ) et 50% de femelles (ZW). Or, certaines femelles produisent une descendance avec une sex-ratio fortement biaisée en faveur des femelles, sans assez de mortalité pour que le phénomène de male killing soit mis en avant. De manière étonnante, lorsqu’elles sont soumises à certains antibiotiques, ces femelles produisent des portées à sex-ratio équilibrée (Rigaud et al., 1991a). De plus, des expériences de réversion du sexe via l’injection de glandes androgènes de mâles révèle que, si les femelles à l’origine de portées à sex-ratio équilibrée peuvent être masculinisées, à l’inverse, l’injection de glande androgène ne permet pas de masculiniser les femelles à l’origine de portées femelles-biaisées (Rigaud et al., 1992).

Le processus moléculaire employé par Wolbachia pour féminiser son hôte isopode reste encore à découvrir. Les études s’accordent cependant sur un impact de la bactérie sur le fonctionnement de la glande androgène de son hôte. Chez les isopodes terrestres, la glande androgène synthétise l’hormone androgène qui est responsable de la différenciation des gonades mâles, et de l’apparition des caractères sexuels secondaires (Taketomi and Nishikawa, 1996). La féminisation de mâles génétiques infectés par Wolbachia pourrait être le fruit d’une inhibition de la différenciation de la glande androgène, qui ciblerait le gène promoteur de l’hormone androgène ou le récepteur de cette hormone (Bouchon et al., 2008; Cordaux et al., 2011; Juchault and Legrand, 1985). Au fil des générations, on s’attend à ce que le génotype ZZ envahisse les populations, le sexe phénotypique n’étant plus que

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déterminé par la présence ou l’absence de Wolbachia (Caubet et al., 2000; Cordaux et al., 2011) (Figure 9).

Figure 9. Manipulation de la reproduction et détermination du sexe chez A. vulgare, par la bactérie Wolbachia. Lorsque les femelles sont infectées par Wolbachia, elles produisent une progéniture à sex-ratio biaisée en faveur des femelles, puisque les mâles génétiques sont transformés en femelles fonctionnelles. Au fur et à mesure des générations, le génotype ZZ tendrait à envahir la population infectée (cas de droite). Pour plus de simplicité, la transmission de Wolbachia est ici de 100% au sein des descendants. D’après Cordaux et al 2011.

Contrairement à ce qui apparaît sur le schéma ci-dessus, les bactéries féminisantes ont plutôt un taux de transmission se rapprochant des 90%, ce qui leur permet tout de même d’infecter la quasi-totalité de leur descendance (Cordaux et al., 2011; Rigaud et al., 1997). On attendrait de ce fort taux de transmission que Wolbachia envahisse les populations infectées, comme plusieurs modèles le prédisent, induisant une disparition du chromosome sexuel W après plusieurs générations (Caubet et al., 2000). Or, des suivis de populations de A. vulgare sur le terrain se trouvent être en désaccord avec cette prédiction, puisque les prévalences observée sont en réalité hautement variables en fonction des populations (Verne et al., 2012). En effet, une étude révèle que Wolbachia peut être présente chez 0% à 100% des femelles prélevées, ce qui indique également que certaines populations sont préservées de l’infection

37 (Verne et al., 2012). Au sein des populations où Wolbachia est présente, le taux moyen de femelles infectées est de 38% (Verne et al., 2012). Une hypothèse expliquant cette situation pourrait être que Wolbachia a un impact délétère sur la fitness de son hôte, ce qui limiterait sa dispersion intra et inter populationnelle.

Impact de la bactérie sur les traits d’histoire de vie et le comportement de son hôte

Wolbachia est bien connue pour manipuler la reproduction de son hôte via les phénotypes présentés précédemment, et de plus en plus d’études montrent que l’infection influence d’autres paramètres de la vie de ses hôtes. De précédents travaux de Moreau et al. (2001) montrent que les mâles interagissent différemment avec les femelles en fonction de leur statut infectieux. Lorsque ces derniers peuvent interagir avec une femelle infectée et une femelle non infectée par Wolbachia, les mâles interagissent davantage avec les femelles non infectées par Wolbachia, et effectuent plus de tentatives d’accouplement et d’accouplements avec ces dernières (Moreau et al., 2001). De plus, des mâles isolés avec une/des femelle(s) non infectée(s) par Wolbachia vont transférer davantage de sperme lors des accouplements que les mâles isolés avec une/des femelle(s) infectée(s) par Wolbachia (Moreau et al., 2001; Rigaud and Moreau, 2004). Ce dernier point souligne le plus faible investissement reproducteur des mâles envers les femelles infectées, même lorsque les mâles ne sont pas en situation de choisir entre une femelle infectée et une femelle non infectée.

Wolbachia va également agir sur le comportement de son hôte. Ainsi, lorsqu’elles sont soumises à des tentatives d’accouplement, les femelles infectées par Wolba chia vont exprimer des comportements aberrants, mettant ainsi fin aux tentatives des mâles (Moreau et al., 2001). Une récente étude montre également que Wolba chia pourrait modifier le comportement de son hôte hors d’un contexte de reproduction, en altérant ses capacités d’apprentissage et de mémorisation (Templé and Richard, 2015). En effet, les mâles et les femelles sains sont

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capables d’apprendre à se diriger d’un côté d’un labyrinthe en T pour rejoindre des congénères, et de se souvenir de cet apprentissage 1h après. Lorsque les individus sont infectés par Wolbachia, leurs performances d’apprentissage et de mémorisation à court terme sont fortement impactées,que la bactérie ait été acquise naturellement (via une mère infectée) ou par injection (Templé and Richard, 2015).

Enfin, Wolbachia affecte également les défenses immunitaires de ses hôtes. Chez les isopodes terrestres, la densité d’hémocytes est un facteur déterminant dans leur capacité à mettre en place des défenses immunitaires, en cas d’infection par certains pathogènes (Jiravanichpaisal et al., 2006). Or, les animaux infectés par la souche de Wolbachia wVulC ont une plus faible densité d’hémocytes que les individus sains ou infectés par des souches moins virulentes de Wolbachia (Braquart-Varnier et al., 2008). Etre porteur de Wolba chia peut cependant s’avérer bénéfique en cas de co-infection par d’autres pathogènes. En effet, les individus infectés par Wolbachia survivent mieux à des injections de Listeria vanovii et de Salmonella typhimurium que leurs congénères asymbiotiques (Braquart-Varnier et al., 2015)

Choix du partenaire chez A. vulgare, infecté par Wolbachia : intérêt du modèleet questions posées

De par ses multiples effets sur les traits d’histoire de vie de ses hôtes, Wolbachia permet également une différence en terme de « qualité » des femelles, infectées ou non, ce qui est une des conditions pour observer un choix du partenaire chez le mâle. De plus, son effet sur la sex-ratio renforce l’apparition de comportements de choix du partenaire chez les mâles, puisque le nombre de femelles disponibles à l’accouplement peut, dans les populations infectées, être supérieur au nombre de mâles. Enfin, il a été montré chez A. vulgare que le mâle était capable de discriminer finement entre des femelles qui sont à différents moments de leur cycle de mue (Beauché and Richard, 2013).

39 A. Vulgare étant une espèce grégaire, les individus peuvent cohabiter avec des congénères ayant des traits d’histoire de vie différents. Les mâles et les femelles ont donc accès à des partenaires de qualité différents (détaillées ci-dessous), et lors de mon travail de thèse, nous nous sommes posés différentes questions, détaillées ci-dessous et résumées dans la Erreur ! Source du renvoi introuvable..

Les congénères rencontrés peuvent par exemple avoir différents statuts reproducteurs. Ils peuvent en effet être vierge ou s’être accouplé, une ou plusieurs fois, et avoir donné naissance à des descendants. Or, chez cette espèce, la femelle est capable de stoker le sperme d’un partenaire précédent, et un seul accouplement peut lui suffire à fertiliser plusieurs pontes (Howard, 1943; Johnson, 1976, 1982; Moreau et al., 2002). On peut donc se demander si les mâles sont en mesure de discriminer les femelles en fonction de leur statut reproducteur, et s’il existe chez eux un mécanisme d’évitement de la consanguinité. De même, le comportement des femelles qui ont déjà eu une expérience de reproduction pourrait être différent de celui d’une femelle vierge, notamment en fonction des coûts de l’accouplement chez cette espèce. Cette question fait l’objet d’un premier chapitre, au sein duquel l’attractivité et le comportement des femelle ont été comparées en fonction de leur statut reproducteur (vierge vs. ayant subi une expérience de reproduction). Afin de mieux comprendre l’impact de Wolbachia sur le choix du partenaire, l’expérience a été également réalisée avec des femelles infectées par ces bactéries, et les effets croisés du statut reproducteur et du statut infectieux ont été étudiés afin de hiérarchiser ces facteurs de choix. Les odeurs des femelles en fonction de leur statut reproducteur et infectieux sont également comparées, et les organes génitaux des mâles ont été observés au Microscope Electronique à Balayage afin d’ouvrir des pistes quant aux coûts potentiels de l’accouplement chez cette espèce.

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Le mode de vie grégaire d’A. vulgare augmente la probabilité d’interagir avec des congénères apparentés. Les mâles étant capables de discriminer les femelles en fonction de certains paramètres, on peut se demander si l’apparentement est également pris en compte lors du choix du partenaire chez cette espèce. Et si un mâle est capable de reconnaître des femelles en fonction de leur apparentement avec lui, on peut se demander par quel mécanisme une telle reconnaissance est possible, et si cela permet d’éviter ou non une dépression de consanguinité. Pour répondre à ces questions, l’attractivité pour les mâles de femelles sœurs vsnon sœurs et familières vs non familières a été étudiée, ainsi que le comportement de ces individus lorsqu’ils peuvent interagir et se reproduire. Ainsi des expériences de reproduction ont été réalisées entre des mâles et des femelles sœurs ou non sœurs, afin de renseigner les éventuels coûts de la consanguinité chez cette espèce. Enfin, l’attractivité des descendants issus de croisements consanguins a été comparée à l’attractivité d’individus issus de croisements non consanguins. De la même manière que pour la question précédente, cette expérience a été également réalisée avec des femelles infectées par la bactérie Wolbachia.

Afin d’étudier l’existence d’un conflit sexuel chez A. vulgare et de mieux comprendre l’éventuel coût que peuvent avoir les mâles pour les femelles, cette question sera abordée dans un troisième chapitre. Les traits d’histoire de vie de femelles soumises à différentes conditions de sex-ratio ont été étudiés pendant un an. De plus, afin d’étudier l’impact de ces différentes conditions de vie des femelles sur leurs préférences sociales, des tests de choix ont été réalisés plusieurs mois après le début de l’expérience. Ici encore, l’expérience sera également réalisée avec des femelles infectées par Wolbachia.

L’effet de Wolbachia sur le succès reproducteur de son hôte et sur sa mortalité a été également considéré, cette fois dans des conditions contrôlées de reproduction, c’est-à-dire sans effets possibles de la part des mâles, qui seront en présence des femelles uniquement au

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moment de la reproduction. L’influence de Wolbachia sur le succès reproducteur de son hôte a également été comparée en fonction de l’âge des femelles.

Enfin, les indices olfactifs semblent jouer un rôle important dans les mécanismes de choix de cette espèce. En effet, les mâles et les femelles A. vulgare sont capables de discriminer leurs congénères via leurs composés cuticulaires. Les mâles sont également capables, toujours sur la base d’indices olfactifs, de discriminer les femelles en fonction de leur stade de mue (Beauché and Richard, 2013). Si la communication chimique est bien documentée chez les crustacés marins (Breithaupt and Thiel, 2010), de tels mécanismes restent méconnus chez les crustacés terrestres, qui évoluent de plus dans un milieu moins apte à la diffusion de messages chimiques. Afin de mieux comprendre comment Wolbachia influence l’attractivité de son hôte, une étude métabolomique a été initiée en collaboration avec Eva Ternon et Olivier Thomas, de l’institut de Chimie de Nice. Cette étude préliminaire a pour but de comparer les composés issus du métabolisme secondaire et présents à la surface des cuticules des mâles, des femelles non infectées par Wolba chia et des femelles infectées par Wolbachia.

42 Figure 10. Résumé des questions posées lors de la thèse, et qui seront développées au fil du manuscrit. Les points 1 à 4 constituent les 4 chapitres de la thèse sous forme d’articles, soumis ou en préparation, et les premiers résultats en écologie chimique sont développés au sein du chapitre 5.

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MATERIEL ET METHODES

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