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Itinéraire

Le voyage29ne commence pas au départ de Neuchâtel. Les participants semblent s’être retrouvés, le 9 décembre 1419, près de Villers-sous-Chalamont, certains d’entre eux séjournant très probablement en Franche-Comté ou en Bourgogne. Ils passent ensuite par Arbois, Arlay30, Louhans, puis Cuisery. Se rendant en Bresse, ils traversent la Seille par deux fois, ainsi que la Saône avant d’arriver à Mâcon, où ils restent quelques jours.

Ils repartent en direction de Dijon où ils s’installent jusqu’à Noël après avoir retraversé les deux rivières. C’est ensuite la route pour Troyes, avec une halte à Saint-Seine-l’Abbaye, puis vers Paris. Le groupe se rend à Nogent-sur-Seine et y reste jusqu’au 11 janvier. La semaine suivante, il se déplace à Lagny-sur-Marne. Certains effectuent quelques déplacements seuls, à Paris, Melun, Etampes ou encore Bourges. Puis ensemble, les Neuchâtelois se rendent à Soisy-sous-Etiolles, la plus longue halte, puisqu’ils y demeurent près de deux mois. Le 16 mars, ils se rendent à Paris, puis font le voyage de Chartres, en s’arrêtant à Chevreuse et Dourdan. Ils quittent Chartres autour du 13 avril, passent à Nogent, à Paris le 26 avril. Le 13 mai, ils sont à Provins, puis prennent le chemin du retour. Ils arrivent à Troyes le 15 mai et leurs chemins se séparent vraisemblablement à Saint-Lyé, où s’arrêtent les comptes.

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27Bernard GUENÉE, Un meurtre, une société. L’assassinat du duc d’Orléans (23 novembre 1407), Paris, 1992, pp. 277-281.

28Arthur PIAGET, « Jean de Fribourg et le meurtre de Jean sans Peur », dans Festchrift Hans Nabholz, Zurich, 1934, pp. 131-136.

29L’étude toponymique du voyage doit beaucoup au professeur Jean Richard, doyen de l’Université de Dijon, dont les nombreuses suggestions m’ont été très précieuses.

30Le seigneur d’Arlay n’est autre que Jean de Chalon, beau-père de Jean de Fribourg.

Dans ses grandes lignes, l’itinéraire suivi par les Neuchâtelois consiste donc en une grande traversée de la Bourgogne en direction du Nord, avec un détour par Mâcon. Le groupe séjourne ensuite près de trois mois en région parisienne, effectue un voyage à Chartres à Pâques, s’attarde encore quelques semaines à Paris, avant d’amorcer le retour en direction du comté de Neuchâtel.

Mis à part les chemins du Jura et de Franche-Comté, l’itinéraire pratiqué par le groupe est très fréquenté, aussi bien par les marchands qui rallient les villes du Nord aux grandes foires31, que par le duc de Bourgogne et ses gens32. Ce sont donc des voies facilement praticables et plutôt sûres. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes alors en pleine guerre, ce qui complique considérablement les déplace-ments ; les Neuchâtelois traversent des territoires aux mains des partisans du dauphin, comme en témoignent les deux sauf-conduits qu’ils achètent, dont l’un est signé par Tanguy du Chastel, l’un des conseillers du dauphin et assassin de Jean sans Peur33.

D’après les quantités de paille achetée, le groupe dispose d’une douzaine de chevaux, réservés aux seigneurs, tandis que la mainie se déplace à pied.

Mais il est possible que pour certaines étapes – les plus longues –, tous, y compris les serviteurs, voyagent à cheval. Certains chevaux servent de montures, alors que d’autres sont utilisés comme animaux de bât. Au retour, les Neuchâtelois ont fait l’acquisition d’un char, afin de transporter les étoffes et les fourrures achetées en chemin.

Les étapes semblent assez longues, si l’on compare à d’autres itinéraires de l’époque34. Celles-ci peuvent atteindre 48 km par jour, pour l’étape Dijon-Troyes, ou 52 km, pour Corberon-Dijon. Ces chiffres semblent particulièrement élevés, car on sait que Philippe le Hardi, parcourant ces mêmes routes avec des montures d’élite et peu de bagages, avoisinait 55 km par jour en avril, et 44 km en hiver, lorsque les journées sont plus courtes. On imagine donc que ces voyageurs doivent être peu chargés, et qu’ils disposent de chevaux bien entraînés.

31 Henri DUBOIS, Les foires de Chalon et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen Age (vers 1280-1430), Paris, 1976, pp. 79-81. Voir aussi Jean-François BERGIER, Les foires de Genève et l’économie internationale de la Renaissance, Paris, 1963, pp. 121-135 et pp. 154-210. Pour une description des itinéraires, voir Charles ESTIENNE, La Guide des chemins de France de 1553, éd. par Jean Bonnerot, 2 vol., Paris, 1936.

32 Voir Ernest PETIT, Itinéraire de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur (1303-1419), Paris, 1888.

33 CV, p. 17.

34 Yves RENOUARD, « Routes, étapes et vitesse de marche de France à Rome au XIIeet au XIVesiècle d’après les itinéraires d’Eudes de Rigaud (1250) et de Barthélémy Bonis (1350) », Etudes médiévales, 1968, Paris, pp. 677-697. Pour les vitesses moyennes de différents types de voyageurs, voir aussi Norbert OHLER, Reisen im Mittelalter, Munich, 1986, p. 101.

Hébergement et ravitaillement

Les voyageurs sont amenés à faire étape dans des lieux très différents, hameaux ou villes. Le choix du gîte est conditionné par le lieu lui-même et par la durée du séjour35. Lorsqu’ils font de brèves haltes et ne s’arrêtent pas plus d’une nuit, ils dînent et dorment dans une auberge ou un relais, par exemple La Teste Noire ou L’Escu de France à Chartres, ou encore Le Lion d’argent à Paris36. En revanche, lorsqu’ils séjournent plus longtemps dans une ville, les Neuchâtelois ne s’installent pas à l’auberge, mais se font probablement inviter par un seigneur du lieu. Ainsi à Lagny, étape régulière du duc de Bourgogne dans ses voyages37, ils sont peut-être hébergés par un des partisans du duc, et à Paris, ils pourraient avoir été invités à l’hôtel ducal38. De manière générale, ils sont les hôtes de seigneurs alliés les deux tiers de leur temps de voyage, et ne s’arrêtent dans des auberges que lors de brèves étapes.

Le rédacteur des comptes fait une très grande place aux frais consacrés à la nourriture, de très loin le premier poste des dépenses. A l’exception de certains ingrédients qui ont pu être emmenés depuis leur point de départ39, les achats se font à mesure, car les conditions de conservation et de transport empêchent d’acheter trop à l’avance. Mis à part les haltes dans les auberges lors des longues étapes du début du voyage, c’est le cuisinier de l’expédition qui prépare tous les repas. L’alimentation est relativement peu variée : les trois quarts des rubriques consacrées à la nourriture ont pour objet du pain, du poisson ou de la viande. Le poisson est souvent au menu, à la fois parce que, outre les jours maigres habituels, le voyage se déroule sur toute la période du carême, et parce que, salés ou séchés, les harengs et les seiches constituent une denrée très commode pour les voyageurs40. Mis à part les jours où elle est interdite, la viande est très présente, conformément aux traits caractéristiques du régime alimentaire

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35Voir Hans Conrad PEYER, Von der Gastfreundschaft zum Gasthaus. Studien zur Gästlichkeit im Mittelalter, Hanovre, 1987. Voir aussi Helmut HUNDSBICHLER, « Realien zum Thema Reisen in den Reisetagebücher des Paolo Santino (1485-1487), dans Funktion der schriftlichen Quelle in der Sachkulturforschung, Vienne, 1976, pp. 55-143.

36CV, pp. 17 et 30.

37Jean sans Peur y séjourne dans l’hiver 1415-1416 et entre août et septembre 1419. Voir Comptes généraux de l’Etat bourguignon...

38Jean FAVIER, Nouvelle histoire de Paris. Paris au XVesiècle 1380-1500, Paris, 1974, pp. 105-108.

39Par exemple des épices, dont on n’a aucune trace dans les comptes et que les voyageurs emme-naient souvent avec eux. Henri DUBOIS, « Un voyage princier au XIVesiècle », dans Voyages et voyageurs au Moyen Age, XXVIe congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public, Paris, 1996, pp. 71-92.

40Françoise PIPONNIER, « Recherches sur la consommation alimentaire en Bourgogne au XIVesiècle », Annales de Bourgogne, 1974, pp. 65-111.

de l’époque41. Parfois, les Neuchâtelois achètent un animal entier, un bœuf qu’ils conservent par salage42 ou un porc pour le banquet du Mardi gras, le jour de quairresmantrant43. Les œufs et le fromage ne sont pas très fréquents dans les listes d’achats et, conformément aux prescriptions religieuses, ils n’apparaissent qu’après Pâques. Les légumes, sous l’étiquette de porree, de salade ou encore d’herbez, ou plus précisément les oignons, les choux, le pourpier (pourcelaine) ou encore le persil (purecy) entrent souvent dans la préparation des repas. Les fruits sont en revanche plus rares ; on achète quelquefois des noix, des amandes, des figues ou du raisin. La consommation de vin acheté parfois par tonneau – les cuez de vin qu’on descend ou scellier44 – est relativement importante, mais elle est réduite pendant le carême. Par ailleurs, on achète aussi de l’huile d’olive à deux reprises, de la moutarde (mostalle), ainsi que des ingrédients destinés aux malades, comme du sucre, des amandes ou de l’huile.

AU SECOURS DE JEAN DE FRIBOURG La libération de Jean de Fribourg

Jean de Fribourg, capturé après le meurtre de Montereau par les partisans du dauphin Charles, était retenu prisonnier en région parisienne, certainement à Nogent-sur-Seine. Il dut être libéré à la fin du mois de décembre, quand les seigneurs neuchâtelois chargés de verser sa rançon arrivèrent sur les lieux de sa captivité, voire éventuellement un peu plus tôt, s’il y avait eu promesse et garanties de paiement45. Jean de Fribourg, durant sa captivité, avait à son service un certain nombre de serviteurs engagés pour l’occasion, serviteurs dont les gages sont payés à sa libération. Selon l’usage en matière de rançonnement, les frais d’entretien du prisonnier étaient à sa charge et venaient s’ajouter au montant de la rançon proprement dit.

Par frais de captivité, sont entendues les dépenses quotidiennes pour le gîte et la nourriture du prisonnier, mais aussi pour ses gens qui partagent sa détention.

41 Patrice BECK, « L’approvisionnement en Bourgogne ducale aux XIVeet XVesiècles », dans Manger et Boire au Moyen Age, Actes du colloque de Nice (15-17 octobre 1982), Nice, 1984, p. 174 ; Louis STOUFF, La table provençale, Avignon, 1996, pp. 125-128 ; Bartolomé BENNASSAR et Joseph GOY,

« Contribution à l’histoire de la consommation alimentaire (XIVe-XVe siècle) », Annales ESC, 1975, pp. 408 et 416.

42 CV, p. 29, et pp. 20 et 22 pour les achats de sel.

43 CV, p. 7.

44 CV, p. 8.

45 Les sources laissent entendre que Jean de Fribourg a été retenu un mois. CV, p. 4.

Le versement de la rançon elle-même n’apparaît pas clairement dans les comptes. Jean de Longueville traite avec Olivier Leet, homme de confiance du dauphin chargé de s’occuper du prisonnier Jean de Fribourg et l’un des acteurs du meurtre de Jean sans Peur46. Il est très probable que ce soit lui qui ait capturé l’écuyer neuchâtelois. Il était donc maître de Jean de Fribourg – c’est ainsi qu’on désignait ceux qui retenaient le captif –, et reçoit la somme de 3033 écus, versés par Jean de Longueville47, de même que de nombreux biens en nature selon une pratique très courante : des étoffes, de la vaisselle, des gibecières... Olivier Leet était aussi responsable de la capture de Jean de Vergy, seigneur d’Autrey et cousin germain de la mère de Jean de Fribourg, lui aussi fait prisonnier à Montereau. Détenu à Meaux, Jean de Vergy reçoit à plusieurs reprises des vêtements et des étoffes que les Neuchâtelois font porter a Mealx ver monseigneur d’Autrey48.

Financement de la rançon

Comme le montrent plusieurs sources, la somme nécessaire à la libéra-tion de Jean de Fribourg fut réunie de diverses manières avant le départ de l’expédition. Conrad de Fribourg fit d’importants emprunts – plusieurs milliers de florins – aux villes de Bienne et de La Neuveville. Les villes de Neuchâtel et du Landeron servirent de caution à ces prêts, ainsi que les principaux seigneurs du comté, dont Jean de Neuchâtel-Vaumarcus49. Par ailleurs, Marie de Chalon, épouse de Jean de Fribourg, afin d’aider au paie-ment de la rançon, fit mettre en gage une partie de ses bijoux par Othenin de Cléron50et par Jean de Neuchâtel-Vaumarcus51. Tout le pays fut mis à contribution, aussi bien les bourgeois et les ecclésiastiques – le prieur de Vautravers promit 80 écus d’or52– que les habitants de Neuchâtel, appelés à payer un impôt extraordinaire, levé pour la libération du fils du comte53. La plupart de ces contributions ont été versées bien après le voyage à Paris : Conrad de Fribourg dut donc avancer lui-même la somme nécessaire, avec l’aide de certains de ses vassaux, puis chercher à se faire rembourser

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46Gaston DUFRESNE DEBEAUCOURT, Histoire de Charles VII, I, Paris, 1881-1891, p. 116 et p. 351, n. 2 ; Enguerrand DEMONSTRELET, Chronique, éd. L. Douet d’Arcq, IV, Paris, 1881-1888, p. 18. Ces précieux renseignements m’ont été aimablement fournis par le professeur Bertrand Schnerb, de l’Université de Lille III.

47CV, p. 35.

48CV, p. 25.

49Arthur PIAGET, « Jean de Fribourg... », pp. 133-134.

50AEN, Comptes du XVesiècle, vol. 207, No200 et 204.

51AEN, Anciennes archives, A 16 No12.

52AEN, Anciennes archives, E 12 No19. Cité dans Arthur PIAGET, « Jean de Fribourg... », p. 133.

53Archives de la Ville de Neuchâtel, Comptes de la Bourserie, t. II, fol. 17-20.

ses emprunts. La rançon de Jean de Fribourg est exemplaire, car elle montre comment un seigneur mobilise toutes les ressources que lui offre la solidarité féodale. Le comte Conrad s’adresse à ses vassaux, les petits seigneurs qui lui promettent leur aide, ainsi qu’aux habitants de ses terres, en levant un impôt extraordinaire pour l’occasion – appelé aide – confor-mément à une pratique très bien attestée aux XIVe et XVe siècles54.

Par ailleurs, pour ces petits nobles neuchâtelois, le fait de participer à cette expédition est déjà en soi une forme d’assistance à leur seigneur. Ils sont récompensés pour leur peine : au cours de leur voyage, ils achètent quantité d’étoffes précieuses, de fourrures, de chapeaux – des aumuces garnies de martre, des huques, des chapirons, des barrettes... – et se font tailler de nombreux et coûteux habits qu’ils ramènent ensuite chez eux.

Ces dépenses très élevées représentent un tiers des frais du voyage (si l’on excepte la rançon) à la charge du comte, tout comme le reste des dépenses.

Des achats de vêtements de luxe et de coûteuses étoffes participent du caractère prestigieux de cette ambassade, amenée à croiser de grands seigneurs. Mais ces habits sont aussi une forme de dédommagement en nature pour ces nobles qui passent presque six mois sur les routes au service de leur seigneur.

La solidarité féodale s’exerce aussi dans l’autre sens, comme nous le montre une quittance de Jean de Fribourg à Othenin de Cléron, datée du 24 août 142455, faisant apparaître des sommes versées par le duc de Bourgogne et le roi d’Angleterre pour l’aider à payer sa rançon. Dans ce document, on apprend qu’Othenin de Cléron avait été chargé de réunir toutes les contributions à la rançon, c’est-à-dire « tout l’or et l’argent qu’il [Othenin] a reçu de nostre treschier seigneur et pere [Conrad], (...) et de tous aultres pour nostre raynsson de la prison en que nous estoiens en la main des Armignat, et auxy de tous aultres sommes d’or et d’argent qu’il a recehu (...) tant du roy de Yngleterre, comme de nostre tresredoubtey seigneur le duc de Bourgoingne (...) ».

L’aide apportée par le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, fait l’objet d’un autre document, une quittance de Jean de Fribourg à l’adresse du duc, dans laquelle ce dernier confirme avoir reçu 4000 francs pour sa rançon56. Cette somme apparaît comme une sorte de dédommagement a posteriori pour son rôle joué à Montereau, « au jour et au lieu ou feu

54 Philippe CONTAMINE, « Kriegsgefangene », dans Lexikon des Mittelalters, t. V, Zurich-Munich, 1991, 1530 ; Jean FAVIER, « Aides », dans Lexikon des Mittelalters, t. I, 1980, 234.

55 AEN, Anciennes archives, F 8 No26.

56 Archives départementales de Côte-d’Or, B 11 886. Publié par Bertrand SCHNERB, « L’honneur de la maréchaussée... », p. 75. Les citations suivantes sont tirées de la même source.

mondit seigneur fut traÿ et murtry, ausquelx jour et lieu [il] fuz prins et emprisonné par les ennemis du roy nostre sire et de feu mondit seigneur ». Jean de Fribourg est ainsi récompensé pour sa loyauté « en consideracion des services qu’il a fait au temp passé », et ces 4000 francs sont destinés à le

« relever en partie des frais de [sa] raençon et pertes faictes a cause de [sa] dicte prinse et raensonnement ». L’usage féodal voulait en effet que le seigneur vienne en aide à celui de ses vassaux qui se faisait capturer alors qu’il était à son service. Cette aide n’allait pas de soi, et il existe de nombreux cas de petits seigneurs, pratiquement ruinés par leur rançon, qui ont dû plaider leur cause avec insistance sans être toujours écoutés57. La « solidarité de guerre »58 était un moyen pour le seigneur de récompenser son vassal et de s’assurer sa fidélité pour l’avenir.

Quant à l’aide apportée par le roi d’Angleterre, on en trouve la trace dans la quittance évoquée ci-dessus, mais aussi dans les comptes du voyage, qui enregistrent une somme de 660 francs « recehu du roi d’Angleterre »59. Il est possible que Jean de Fribourg et ses hommes aient rencontré le souverain anglais à Troyes, car celui-ci s’y trouvait pour les négociations et la signature du Traité de Troyes qui eut lieu le 21 mai 1420, à peine une semaine après leur passage. En versant à Jean de Fribourg ces 660 francs, le roi d’Angleterre apporte son soutien à l’un des partisans de son nouvel allié, Philippe le Bon, au moment même où l’alliance anglo-bourguignonne est prête à être scellée. Par ce traité, Henry V devient l’héritier de la couronne de France, et il s’efforce alors de consolider son parti.

En outre, il est probable que Jean de Fribourg ait rencontré, à Troyes également, le duc de Bourgogne qui se trouvait là pour les mêmes raisons que le roi d’Angleterre, et auprès duquel Jean de Fribourg a certainement eu l’occasion de plaider sa cause et d’en appeler à la générosité ducale.

Alors qu’ils étaient à Paris, les Neuchâtelois ont par ailleurs reçu des sommes de plusieurs conseillers de Philippe le Bon, dont Jean Legois, l’un des négociateurs du Traité de Troyes60. Il semble bien que Jean de Fribourg ait su tirer parti des circonstances et des rencontres afin d’obtenir quelques aides majeures pour le paiement de sa rançon.

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57Voir par exemple André BOSSUAT, « Les prisonniers de guerre au XVesiècle : la rançon de Jean, seigneur de Rodemack », Annales de l’Est, 1951, pp. 145-162. Voir aussi André BOSSUAT, « Les prisonniers de guerre au XVesiècle : la rançon de Guillaume, seigneur de Chateauvillain », Annales de Bourgogne, 1951, pp. 7-35.

58Ce que M. Jones nomme brotherhood-in arms. Michael K. JONES, « Ransom Brokerage in the Fifteenth Century », dans Philippe CONTAMINE, Charles GIRY-DELOISON, Maurice KEEN(éds), Guerre et société en France, en Angleterre et en Bourgogne (XIVe-XVesiècle), Lille, 1991, p. 221.

59CV, p. 3.

60Alfred COVILLE, Les Cabochiens et l’ordonnance de 1413, Paris, 1888, pp. 398-406.

D’après les changes donnés par le comptable de l’expédition61 et les équivalences monétaires en vigueur à l’époque dans ces régions62 – 2 écus valent environ 3 florins ou 5 francs –, il est possible de calculer les sommes dépensées. Selon les différentes sources, le montant total payé pour la libération de Jean de Fribourg devait osciller entre 3100 et 3300 écus, si l’on additionne la somme versée à Olivier Leet, les biens en nature et les frais de captivité. Les diverses contributions, qu’elles émanent des vassaux, du duc de Bourgogne ou encore du roi d’Angleterre, ont couvert cette somme aux deux tiers environ. D’après ce décompte, la famille de Jean de Fribourg a dû financer la rançon à raison d’un peu moins de 1000 écus, somme tirée des revenus seigneuriaux, ainsi que de quelques mises en gage.

D’après les changes donnés par le comptable de l’expédition61 et les équivalences monétaires en vigueur à l’époque dans ces régions62 – 2 écus valent environ 3 florins ou 5 francs –, il est possible de calculer les sommes dépensées. Selon les différentes sources, le montant total payé pour la libération de Jean de Fribourg devait osciller entre 3100 et 3300 écus, si l’on additionne la somme versée à Olivier Leet, les biens en nature et les frais de captivité. Les diverses contributions, qu’elles émanent des vassaux, du duc de Bourgogne ou encore du roi d’Angleterre, ont couvert cette somme aux deux tiers environ. D’après ce décompte, la famille de Jean de Fribourg a dû financer la rançon à raison d’un peu moins de 1000 écus, somme tirée des revenus seigneuriaux, ainsi que de quelques mises en gage.