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de patrimoine neuchâtelois

DANS L’ÉGLISE SAINT-MARTIN DE CRESSIER NE

1. Introduction

L’ancienne église paroissiale Saint-Martin et la cure attenante (fig. 19) se trouvent à mi-chemin entre Cressier et Cornaux, sur la colline du Crêt-de-la-Cure qui surplombe la plaine d’une soixantaine de mètres1. Au nord, passe une ancienne route, la Vy d’Etra, déjà fréquentée à l’époque romaine. A l’ouest, un petit ruisseau, le Mortruz, jouxte la propriété. Cette église, reconstruite au XIIe siècle, compte parmi les plus anciennes du canton de Neuchâtel. La présence du cours d’eau et l'abondante végétation confèrent au lieu un romantisme empreint de mystère.

Au XVIIe siècle, dès l’achèvement de la construction de deux nouveaux lieux de culte sur le territoire paroissial, les fidèles de Cressier se rassem-blèrent aussi dans la chapelle du Rosaire (1608) à Cressier et la chapelle Notre-Dame des Anges à Enges (1678)2. Jusqu’alors situés dans le chœur de l’église Saint-Martin, deux autels votifs gallo-romains, l’un dédié à Mars et l’autre à Naria Nousantia (37 et 38, fig. 13-14), furent déplacés au XVIIesiècle dans la chapelle du Rosaire. Dans le nouvel édifice, ils servirent de supports à l’autel de Saint-Dominique jusqu’en 1828, avant d’être encastrés dans une paroi3. En 1872, la chapelle du Rosaire dut céder sa place à l’église paroissiale actuelle. Les autels furent alors transportés au château.

Ils sont exposés aujourd’hui au Laténium, nouveau musée cantonal d'archéologie, à Hauterive.

1 PIGUET 1993, passim. – Notre gratitude va à M. Jacques Bujard, conservateur cantonal des monuments et des sites (Neuchâtel), qui nous a autorisés à publier le présent article, et nous a fourni de nombreux documents et renseignements. Nous remercions également chaleureusement les propriétaires, MmeFränzi Walder, MmeMaja Walder et M. Lorenz Walder, qui nous ont permis l’examen des éléments architecturaux dont il est question. Nous remercions cordialement Mmela professeur Regula Frei-Stolba de l’Institut d’Archéologie et des Sciences de l’Antiquité de l’Université de Lausanne, pour ses nom-breuses indications et ses commentaires concernant les deux inscriptions relevées sur les autels dédiés à Mars et à Naria Nousantia (36 et 37). La documentation photographique a été assurée par MmeFabienne Bujard-Ebener, les dessins par M. Christian de Reynier, tous deux collaborateurs du service mentionné ci-dessus. M. Hervé Miéville, du Laténium (Hauterive), nous a renseignés sur l’historique des recherches.

2 PIGUET1993, p. 4 avec n. 4-5.

3 Au sujet de l’installation des autels dans l’église Saint-Martin et leur déplacement à la chapelle du Rosaire, cf. Jonas BARILLIER(avant 1620). – Une note publiée dans le Nouvelliste Vaudois du 16 décembre 1828 atteste le déplacement des blocs en 1828, tout comme une lettre de Georges Auguste MATILE adressée à Iohannes Caspar VON ORELLI, mentionnant le texte des inscriptions redécouvertes (et comportant encore la mention erronée de la provenance).

En 1872, l’ingénieur Léo Jeanjaquet (1840-1915) acquit l’église Saint-Martin désaffectée, ainsi que la cure et le terrain qui s'y rattache.

Aujourd’hui encore, la famille est propriétaire du domaine4.

1.1. Sources écrites et archéologiques

Les sources écrites ne donnent aucune information précise sur la construction de l’église Saint-Martin, ni sur la transition du culte romain au culte chrétien. Les documents les plus anciens concernant l’église remon-tent à la fin du XIIe siècle5. Ils évoquent une donation faite par l’évêque Roger de Lausanne à l’abbaye de Fontaine-André, comprenant l’église de Cressier, la cure et le domaine qui s’y rattache6.

Il faudra attendre le XVIIe siècle avant de retrouver d’autres notes touchant aux monuments et bâtiments anciens de Cressier et environs.

Avant 1620, Jonas Barillier rapporte : « On y trouve [à la cure et église Saint-Martin] plusieurs monuments d’antiquité. [Découverte d’ossements dans le jardin de la cure]. L’on conjecture par la pierre du temple de Mars transportée, comme nous l’avons dit, du chœur de l’Eglise de Saint-Martin en la chapelle du village, que le fond de cette Eglise a eu servi aux cérémonies du Paganisme et qu’elle a été construite sur les anciennes ruines du temple du Dieu de la guerre »7. J. Barillier et – une centaine d’années plus tard – Jonas Boyve, qui se basait vraisemblablement sur ce premier document, ont déchiffré très librement l’inscription, l’interprétant comme une inscription de Jules César mentionnant un Fanum Martis sacrum Iulius Cesar ; ils l’ont ainsi replacée dans le contexte de la victoire de celui-ci sur les Helvètes. Au début du XIXe siècle, Aubert Parent, sculpteur sur bois, peintre et architecte, recopia l’inscription dédiée à Mars figurant à un endroit peu accessible sur l’autel de la chapelle du Rosaire.

Il fut le premier à émettre des doutes concernant l’hypothèse selon laquelle Jules César aurait offert à Cressier un autel à Mars, en reconnaissance de sa victoire sur les Helvètes. Il s’agissait, selon lui, plutôt d’une inscription votive d’un indigène romanisé, nommé Frontinius Genialis. Par la suite, Theodor Mommsen et Salomon Voegelin signalèrent à juste titre que Barillier et Boyve avaient sciemment présenté un faux et rectifièrent les

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4 Cf. QUARTIER-LA-TENTE1901, p. 290 ; COURVOISIER1963, p. 110.

5 PIGUET1993, pp. 7-8.

6 PIGUET1993, p. 7.

7 Cité d’après PIGUET1993, p. 5, avec note 8. – Voir par ailleurs CHÂTELAIN1900, pp. 45-46, 48.

erreurs concernant les lieux de découverte de « La Neuveville » et du

« Landeron »8.

J. Barillier se référait déjà aux fragments architecturaux encastrés dans l’église Saint-Martin (cf. fig. 17-19). Aubert Parent mentionnait d’autres blocs dispersés dans le village de Cressier (45 et 46). Ces éléments architec-turaux, mal conservés à l’époque déjà, ne sont aujourd’hui plus identi-fiables9. Le XIXe siècle fut marqué par des discussions animées10. Comme à cette époque la recherche préhistorique était prépondérante, on renonça à entreprendre des fouilles à l’église Saint-Martin. L’étude réalisée en 1993 par Claire Piguet, sur mandat du Service de la protection des monuments et des sites de Neuchâtel, traite en détail des sources écrites et des structures architecturales. Toutefois, l’auteur n’a pas pu intégrer l’époque gallo-romaine à son travail. Claire Piguet relève que la tradition écrite ne fournit pas d’indices sur la fondation du premier bâtiment11, mais sous-entend une continuité de l’occupation remontant à l’Antiquité12. La présente étude, dont la réalisation a été encouragée par la même instance, propose pour la première fois une analyse systématique des fragments architecturaux romains utilisés en remploi. Outre les recherches étymologiques et épigraphiques (cf. autels votifs 37 et 38), l'analyse des fragments architecturaux ravive la thèse de la présence d’un sanctuaire romain – le premier à ce jour dans le canton de Neuchâtel – antérieur à l’église Saint-Martin13. Ce travail traite, en outre, de deux autels funéraires provenant d’une nécropole (39 et 40), autels dont la présence est inhabituelle dans ce contexte architectonique.

2. Catalogue

2.1. Remarques préliminaires

Le catalogue des éléments architecturaux romains utilisés en remploi dans l’église Saint-Martin comprend 46 numéros. On dénombre des

8 Ms. PARENT1807, pp. 18-19 : « Cet empereur [Jules-César] fit encore bâtir le Temple de Cressier qui fut consacré au Dieu Mars, à cause de la victoire qu’il avoit remportée sur les Suisses, & dont il attribuoit l’heureux succès à ce Dieu... ». BOYVE 1854-1855, p. 14 (« ... Fanum Martis sacrum Iulius Cesar... »). – Pour l’histoire des deux inscriptions, cf. Salomon VOEGELIN, « Nachtrag Cressier », Anzeiger für Schweizerische Altertumskunde 8, 1888-1891, p. 91, et surtout MOMMSEN 1854, pp. 29-30, nos162-163 ; Theodor MOMMSEN, in : CIL XIII, p. 29, nos5150-5151.

9 A ce sujet, Ms. PARENT1807, p. 19, et PIGUET1993, p. 6, note 15.

10 PIGUET1993, pp. 5-7, 83, avec note 2, 84, avec note 7.

11 PIGUET1993, p. 3 : « Les mentions les plus anciennes se révèlent souvent rares et laconiques ; l’histoire religieuse du premier millénaire est généralement du ressort de l’archéologie. »

12 PIGUET1993, pp. 5-7.

13 Au sujet des lieux de culte de Saint-Martin et de Cressier, cf. VUICHARD1887, pp. 251-257, 265-272, en particulier p. 272 ; QUARTIER-LA-TENTE 1901, pp. 281-309 ; COURVOISIER 1963, pp. 107-114 (Saint-Martin) ; PIGUET1993, passim.

éléments de corniches (1-4), des colonnes et des demi-colonnes ou des chaperons de mur (5-7), des dalles de sol ou de revêtement de podium (8 et 9), des blocs aux fonctions indéfinissables (10-36), des autels votifs (37 et 38), des autels funéraires (39 et 40), et des pièces douteuses (41-46). Les numéros collectifs regroupent des éléments de dallage ou de revêtement de podium, parfois aussi des blocs.

Les éléments architecturaux se composent uniformément de calcaire jurassique (urgonien blanc), exploité à l’époque romaine notamment dans une carrière proche, La Lance (ou La Raisse), non loin de Concise (VD)14. Le matériau utilisé n'est précisé dans le catalogue que dans le cas où il présente une particularité.

La majorité des éléments en remploi furent utilisés lors de l’édification du clocher roman au XIIesiècle (fig. 18). Lors des aménagements ultérieurs entrepris dans l’église, plus particulièrement au XVe siècle, divers blocs ont sans doute été déplacés15.

A propos de la localisation des éléments en remploi dans l’église et dans l'enclos qui l'entoure, on consultera la carte de répartition (fig. 17).

Les blocs ne présentant pas de caractéristiques particulières (10-36) sont décrits par ordre topographique (du flanc oriental du clocher à l’angle nord-est du chœur). Comme les autels votifs dédiés à Mars et à Naria Nousantia (37 et 38), l’autel funéraire 40 réutilisé dans une construction du village de Cressier provient probablement à l’origine de l’église Saint-Martin.

Exception faite des autels votifs 37 et 38, les éléments en remploi ne portent pas de numéro d’inventaire. Outre le numéro de catalogue, on trouvera celui de position qui se rapporte à la localisation de la pièce dans l’église. Ce dernier est également noté sur les dessins et les photo-graphies. La documentation est complète, mais n’est reproduite ici que partiellement16.

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14Pour l’étude pétrographique, cf. Francis de QUERVAIN, Die nutzbaren Gesteine der Schweiz, Berne, 19693, pp. 179-180 ; Danielle DECROUEZ, Pierre HAUSER, « Analyse de la pierre de blocs architecturaux gallo-romains des musées d’Avenches, Genève et Nyon », Archives des sciences 47, 1994/3, pp. 255-264 ; M. BOSSERT, Die figürlichen Skulpturen von Colonia Iulia Equestris, CSIR Schweiz, Bd. I,4 = CAR 92, 2002, pp. 77-84. – Pour les aspects techniques, cf. M. BOSSERT, Die figürlichen Reliefs von Aventicum.

CSIR Schweiz I,1 = CAR 69, 1998, pp. 22-25, 104-105, fig. 26.

15Sur certains blocs, on observe à la fois des mortaises antiques et d'autres plus récentes (cf. par ex. 25). – Pour les diverses phases de construction, cf. COURVOISIER1963, pp. 107-116, plus particuliè-rement p. 111, fig. 84-85 et PIGUET1993, plus particulièrement pp. 7-20.

16Tous les blocs ont été relevés au 1: 10 par Christian de Reynier pour le SPMS, à l'exception des blocs 17, 31, 33, 35, 45 et 46. Tous les blocs ont été photographiés par Fabienne Bujard-Ebener pour le SPMS à l'exception des blocs 45 et 46.

2.2. Eléments architecturaux

2.2.1. Entablement et couronnement de podium

Nocatalogue : 1 (fig. 1). – Identification : moulure de corniche (vraisem-blablement supérieure : geison). – Emplacement (fig. 17) : clocher, façade est (soubassement du mur). – Moulures : doucine droite et cavet, bandeau et listels. – Dimensions : haut. 38 cm, long. 106 cm, larg. (mesurable) 78 cm. – Etat de conservation : intact, taché. Cavité irrégulière dans partie supérieure (cf. fig. 1a). – Caractéristiques techniques : partie supérieure lissée. Deux mortaises horizon-tales 1) long. 22 cm, larg. 6 cm, prof. 17 cm ; cavité : 5 cm×5 cm×6,5 cm ; 2) 9 cm×23 cm, distante de 10 cm de la mortaise no1. Cavité irrégulière : max.

40 cm×20 cm, profondeur 5 cm. – Moulure piquetée, sur le bord au ciseau ou au marteau-taillant, en haut lissé sommaire, face de joint grossièrement piquetée, cadre d’anathyrose 5 cm. – Bibliographie : pour les blocs en remploi du flanc oriental, Ms. PARENT1807, pp. 17-18 ; GODET1883, p. 285 (« ... grandes pierres taillées à plusieurs rangs de moulures provenant sans doute du temple romain en question ») ; COURVOISIER 1963, p. 112.

No catalogue : 2 (fig. 2). – Identification : moulure de corniche (vrai-semblablement supérieure : geison). – Emplacement (fig. 17) : clocher, flanc sud, vers l’angle sud-est. – Moulures : doucine droite et cavet, listel plat. –

face supérieure

face E

NN

0 10 50cm50

Fig. 1. Cressier. Ancienne église Saint-Martin. Bloc No1 (catalogue). Fragment de corniche. Ech. 1: 20.

(Dessin : SPMS, Christian de Reynier, 2003 ; photographie : SPMS, Fabienne Bujard-Ebener, 2003).

Dimensions : haut. 36 cm, long. 91 cm (3 pieds), larg. (mesurable) 25 cm. – Etat de conservation : face antérieure endommagée, partie supérieure lissée. – Caractéristiques techniques : piquetage. Deux mortaises horizontales : 1) long.

16 cm, cavité : 5,5 cm×5 cm×6 cm, distante du bord de 28 cm ; 2) mortaise secondaire (?), larg. 4-5 cm, prof. 6,5 cm, distante du bord de 23,5 cm. Mortaise verticale : section 4,5 cm×2 cm×2,5 cm. – Datation : Ier/ IIe siècle (?) – Bibliographie : cf. 1.

No catalogue : 3 (fig. 3). – Identification : bloc d'angle mouluré. – Emplacement (fig. 17) : clocher, angle sud-est, avec angle mouluré encastré, tourné vers l’intérieur. – Moulures : doucine droite et cavet, bandeau et listels. – Dimensions : haut. 44 cm (11/2 pied), long. 148 cm (5 pieds), larg. 129 cm. – Etat de conservation : intact, par endroits légèrement endommagé, taché. – Caractéristiques techniques : partie supérieure piquetée et sommairement lissée, face de joint grossièrement dressée, cadre d’anathyrose. Deux mortaises longitu-dinales : 1) 5 cm×5,5 cm×7 cm, prof. 19 cm, distante du bord de 36 cm ; 2) section : 5 cm×5 cm×6 cm, prof. 20 cm, distante du bord de 36 cm. Sur partie inférieure, mortaise transversale (?) légèrement inclinée vers la gauche : haut. env. 6 cm, larg. 5 cm. – Datation : Ier/ IIesiècle (?) – Bibliographie : cf. 1.

No catalogue : 4 (fig. 4). – Identification : bloc d'angle mouluré. – Emplacement (fig. 17) : clocher, à droite de la porte sud. – Moulures : doucine droite, listel plat (pour complément cf. 3). – Dimensions : haut. 41 cm, long.

142 cm, larg. (conservée) 108 cm, complétée 115 cm. – Etat de conservation :

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N Face supérieure N

0 10 50cm50

Fig. 2. Cressier. Ancienne église Saint-Martin. Bloc No2 (catalogue). Fragment de corniche. Ech. 1: 20.

(Dessin : SPMS, Christian de Reynier, 2003 ; photographie : SPMS, Fabienne Bujard-Ebener, 2003).