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Des conceptions de la recherche en évolution

HORLOGÈRES (LSRH) DE NEUCHÂTEL, 1921-1984

V. Des conceptions de la recherche en évolution

Revenons à l’une des questions centrales de cette étude : comment expliquer la position des entrepreneurs et des responsables politiques envers le LSRH ?

Les industriels : une résistance à l’innovation ?

Comment comprendre l’attitude des horlogers, longtemps relativement réservés envers la R&D, ou du moins envers le LSRH ?

Dans les années 1880, un profond changement du mode de production horloger émerge sous la pression de la concurrence américaine. Les premières fabriques et grandes manufactures suisses voient le jour et l’usage de la machine-outil se développe. Après le conflit de 1914-1918, des mesures de rationalisation, inspirées des principes tayloristes, font leur apparition en Suisse, en particulier dans l’industrie des machines13. Le LSRH pourrait ainsi être vu comme un prolongement « normal » de cette

13 Cf. en particulier Matthieu LEIMGRUBER, Taylorisme et management en Suisse romande (1917-1950), Lausanne, 2001.

évolution vers un mode de production plus rationnel et des produits de plus grande qualité. Mais si la volonté d’une organisation scientifique de la production et du travail horlogers est bien de plus en plus présente après la Première Guerre mondiale, le souci d’une organisation scientifique et systématique de la recherche semble toutefois encore peu répandu.

On est en effet confronté ici à un net décalage entre discours et réali-sations effectives. Parmi les milieux horlogers, dès 1919, les déclarations d’intention favorables à la recherche appliquée sont certes multiples14. En revanche, en étudiant l’implication réelle des entreprises, on constate, à tout le moins, leur parcimonie dans le soutien financier apporté au LSRH. Ce n’est finalement qu’à partir de 1939 que discours et engagement effectif coïncident. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce peu d’engouement envers la R&D durant l’entre-deux-guerres.

Premièrement, l’impact de la conjoncture : la crise du début des années 1920 puis la crise de 1929 ont mis les horlogers sur la défensive et ne les incitent pas à la dépense.

Deuxièmement, durant l’entre-deux-guerres, les producteurs helvétiques sont encore en avance au niveau technique, du moins en ce qui concerne la montre proprement dite. Dès lors, leur principal souci est d’éviter l’exportation des techniques suisses, bien plus que de les développer15. On peut même dire qu’une bonne partie d’entre eux redoute le progrès tech-nique, puisqu’il risque d’accroître une production déjà surabondante dans cette période de conjoncture troublée. Il ne va donc pas de soi à cette époque que l’horlogerie doive modifier son système de production et d’innovation, qui a largement fait ses preuves...

Troisièmement, le développement de la recherche en général et du LSRH en particulier n’est simplement pas une priorité pendant longtemps.

Il est jugé important, mais n’est qu’une mesure parmi beaucoup d’autres visant à « régénérer » et « assainir » (termes de l’époque) l’industrie horlogère.

Ce que les fabricants attendent au début des années 1920, c’est avant tout une restriction de la surproduction, la lutte contre le chablonnage (exportation de composants du mouvement de la montre non montés), une normalisation des composants et, de manière plus générale, une dimi-nution de la très forte concurrence et des très fortes tensions existant alors

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14Cf. entre autres CARTEL SYNDICAL DU CANTON DENEUCHÂTEL, La Restauration de l’Industrie horlogère (La thèse ouvrière), Rapport présenté à la Chambre du Commerce, de l’Industrie et du Travail du Canton de Neuchâtel sur les possibilités de lutte contre le chômage et de restauration de l’Industrie horlogère, s. l., 1923 ; et La situation de l’industrie horlogère. Rapport présenté au Conseil d’Etat de la République et Canton de Neuchâtel par la Commission d’experts chargée d’étudier les voies et moyens d’améliorer la situation de l’Industrie horlogère, La Chaux-de-Fonds, 1928.

15Cf. François JEQUIER, « Le patronat horloger suisse... », p. 218.

entre les producteurs suisses. Ils apparaissent ainsi surtout préoccupés de défendre leurs positions sur les marchés par des dispositions cartellaires, bien plus que par un recours à l’innovation technique.

Du milieu des années 1920 au milieu des années 1930, on assiste dès lors à une réorganisation en profondeur de la structure de l’industrie horlogère. Plusieurs organisations faîtières et trusts sont créés, regroupant les entreprises horlogères selon leur type de production : la Fédération Horlogère, Ebauches SA, l’Union des Branches Annexes de l’Horlogerie, etc.

Dans les années 1930, la Confédération intervient à son tour en donnant force de loi aux conventions privées passées entre ces organisations (« Statut légal de l’horlogerie »). Tout cela va instaurer de fait un véritable système cartellaire, dans lequel la Confédération a acquis une grande influence16. Les énergies sont donc à cette période tournées vers d’autres objectifs que la R&D. En revanche, une fois la restructuration commerciale et financière

16 Elle joue en particulier un rôle central dans la Société Générale de l’Horlogerie Suisse SA (ASUAG), « Superholding » qui contrôle Ebauches SA et les trois autres trusts horlogers. Cf. entre autres François JEQUIER, Une entreprise horlogère du Val-de-Travers : Fleurier Watch Co, De l’atelier familial du XIXeaux concentrations du XXesiècle, Neuchâtel, 1972, pp. 151-157 ; et Charles VIRCHAUX, L’influence des monopoles de l’industrie horlogère sur l’économie suisse, s. l., 1952.

Fig. 4. Travail en laboratoire (photo : service de l’intendance des bâtiments de l’Etat).

du secteur horloger accomplie, le développement de la recherche a pu être mis sur le devant de la scène, ce dont témoigne l’agrandissement du LSRH à la fin des années 1930.

Le Laboratoire a ainsi profité de la cartellisation : le tissu horloger était constitué de très nombreuses petites entreprises, qui n’avaient généralement pas les moyens de financer une recherche par elles-mêmes, et qui n’étaient probablement pas en mesure de déterminer leurs besoins en matière de travaux scientifiques, entre autres suite à l’absence d’ingénieurs. Le regrou-pement de ces multiples PME dans de grandes organisations a créé des entités capables d’engager d’importants capitaux dans la recherche et constituant des structures de décision plus centralisées, dans lesquelles les dirigeants favorables à l’extension de la recherche appliquée pouvaient plus aisément faire valoir leur opinion. En outre, ces associations faîtières, se devant de travailler dans l’intérêt de l’ensemble de leurs membres, ont assez logiquement soutenu un organisme de recherche collectif. La cartellisation, en supprimant une grande part des tensions entre les producteurs suisses (ou du moins en permettant de les régler sans entraîner une chute des prix), a enfin permis de donner au LSRH son caractère de laboratoire « national », conçu avant tout comme une arme contre la concurrence étrangère.

En résumé, un réel soutien industriel au LSRH dépendait de la réorganisation horlogère. Plus que d’une réticence à innover, les difficultés rencontrées par le Laboratoire semblent plutôt le résultat des graves dissensions existant entre les fabricants avant l’achèvement de la cartelli-sation. L’étude de ce laboratoire ne nous conduit ainsi pas à considérer qu’il existait dans ce premier tiers du XXe siècle une résistance ouverte à l’innovation de la part du milieu horloger. Toutefois, nous pouvons assez clairement constater une certaine ignorance de l’apport que peut représenter la science pour la production industrielle, ou en tout cas une position très attentiste. Sydney de Coulon, président du LSRH, ne déclare-t-il pas en 1937 que « notre tâche essentielle est de chercher à persuader les industriels de la nécessité du problème »17? Le LSRH apparaît donc, jusqu’à la fin des années 1930, comme une institution quelque peu

« superflue », dont les industriels n’ont pas encore réellement pensé la nécessité. Issus du milieu scientifique, ses principaux promoteurs paraissent ainsi avoir anticipé la demande réelle de l’industrie. En revanche, au milieu du siècle, l’importance de la R&D est devenue manifeste pour la plupart des entreprises, comme le démontre le financement croissant du Laboratoire.

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17Séance SSC, notes manuscrites de H. Mügeli, 1erjuillet 1937 (Archives ASRH). Souligné par l’auteur.

L’Etat : la lente émergence d’une « politique publique de la recherche » L’appui apporté au LSRH par les autorités publiques, surtout depuis la fin des années 1930, témoigne de changements progressifs dans la conception du rôle économique de l’Etat. Une politique de la recherche commence à exister, bien que cela soit encore de façon floue et hésitante.

Des objectifs à court terme – sortir de la crise économique et retrouver le plein-emploi – et à moyen ou long terme – éviter de nouvelles crises et consolider l’essor économique national – s’entremêlent. La progressive préparation à la guerre constitue aussi un élément moteur dans l’émer-gence de cette politique de la recherche. L’Etat commence à considérer favorablement la recherche collective, capable selon lui de soutenir tout un secteur économique18.

Néanmoins, il ne faut tout de même pas surestimer le degré de l’institutionnalisation de la recherche industrielle à cette époque. L’enga-gement public est longtemps resté au stade de la déclaration d’intention et l’on ne peut pas en dégager une politique entière et cohérente, témoignant d’une réelle stratégie à long terme.

De fait, l’aide apportée par l’Etat à la recherche horlogère est restée un cas plutôt isolé en Suisse, puisque les pouvoirs publics ont généralement préféré soutenir la recherche fondamentale par le biais des universités et de l’EPF. Contrairement à d’autres pays, la Suisse n’a pas connu le développement d’instituts de recherche gouvernementaux et de grands laboratoires publics orientés vers les applications industrielles. A notre connaissance, seuls trois instituts s’approchent quelque peu du modèle du LSRH, tous trois liés à l’Ecole polytechnique fédérale : le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux (EMPA, Eidgenössische Materialprüfungs und Versuchanstalt für Industrie, Bauwesen und Gewerbe), créé en 1880 au sein de l’EPF, devenant en 1937 un institut autonome dépendant du Département fédéral de l’intérieur ; la Station suisse d’essais de Saint-Gall créée en 1886 par et pour l’industrie textile saint-galloise et intégrée à l’EMPA en 1937 ; et l’Abteilung für Industrielle Forschung (AFIF), division de l’EPF créée, elle aussi, en 193719.

A partir des années 1950, l’appui étatique à la R&D va toutefois lentement évoluer. Le soutien financier de l’Etat au LSRH s’inscrit dans une implication générale de plus en plus importante des pouvoirs publics

18 Et, partant, toute une région, vu l’importance de l’horlogerie pour l’Arc jurassien ; cf. entre autres Charles VIRCHAUX, L’influence des monopoles..., pp. 29 ss., et « L’Arc jurassien, une région économique », Bulletin de la Société neuchâteloise de géographie, 38, 1994.

19 Sur ces différentes institutions, cf. Eidgenössische Technische Hochschule, 1855-1955, Ecole Polytechnique Fédérale, Zurich, 1955 ; et Ronald EDWARDS, Industrial research in Switzerland...

dans l’effort de recherche, implication encore accrue suite à la crise des années 197020. La Confédération et les cantons commencent notamment à intervenir dans la recherche et la formation horlogères, et plus généra-lement microtechniques : en témoignent la création de deux chaires de microtechnique à l’EPFZ et à l’EPFL à la toute fin des années 1960 (regroupées à Lausanne en 1976), celle d’un Institut de Microtechnique à l’Université de Neuchâtel en 1975 (qui prend le relais de l’enseignement horloger universitaire existant depuis la fin des années 1930), celle de la Fondation Suisse pour la Recherche en Microtechnique en 1978 et enfin celle du CSEM en 1984, créations pour lesquelles les collectivités publiques engagent à chaque fois des crédits considérables. La recherche microtechnique devient ainsi, dès cette période, un élément important de la politique de développement économique de l’Arc jurassien.

Une unité de vues

L’intervention publique dans le développement de la recherche horlogère s’inscrit dans un mouvement plus large « d’intrusions » de l’Etat dans les structures de l’industrie horlogère suisse, initié avec la cartellisation.

Il faut bien souligner ici que ces interventions se font à la demande des industriels eux-mêmes. Leurs appels précoces et répétés aux pouvoirs publics, pour le financement du LSRH comme pour le renforcement du processus de cartellisation, semblent démontrer qu’ils ne craignent pas une éventuelle intention de l’Etat d’interférer et de réguler leurs affaires. Or, au regard des autres secteurs industriels suisses, cette importance de l’implication étatique dans les structures de l’horlogerie est un phénomène singulier. De manière générale, le reste du patronat helvétique a en effet maintenu une position nettement plus libérale, restant beaucoup plus méfiant envers toute immixtion publique (malgré toutefois quelques concessions en temps de crise...)21. Ainsi, les milieux économiques suisses rejettent, en 1942-1943 encore, un projet de loi prévoyant une aide de la Confédéra-tion à la recherche privée, craignant que les subsides de la ConfédéraConfédéra-tion ne lui donnent tôt ou tard un droit d’inspection et d’intervention dans leurs activités de recherche22.

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20Cf. Antoine FLEURY, Frédéric JOYE, Les débuts de la politique de la recherche en Suisse..., entre autres pp. 203 ss.

21Cf. Geneviève BILLETER, Le pouvoir patronal. Les patrons des grandes entreprises suisses des métaux et des machines (1919-1939), Genève, 1985.

22Ronald EDWARDS, Industrial research in Switzerland..., pp. 53-56.

Pourquoi cette absence de défiance des industriels horlogers ? La réponse est probablement à chercher en partie dans la grande proximité des milieux politiques et horlogers : de nombreux hommes politiques proviennent en effet de l’industrie horlogère, parmi lesquels Jean Humbert, industriel, conseiller d’Etat (1933-1953) et conseiller national neuchâtelois (1940-1946) ; Hermann Obrecht, chef du Département fédéral de l’économie publique (1935-1940) et auparavant président de l’ASUAG ; Sydney de Coulon, directeur d’Ebauches SA, conseiller national puis conseiller aux Etats neuchâtelois (1947-1963) ; ou encore les conseillers nationaux Henri Sandoz, Henri Perret et Albert Rais, etc.

La recherche horlogère n’est donc pas représentative de la recherche industrielle en Suisse. Elle fait ressortir, a contrario, un certain nombre de traits plus courants dans les relations entre l’industrie et l’Etat en matière de recherche appliquée : la vision « classique » de la recherche – qui attribue la recherche fondamentale à l’Etat et considère que la recherche appliquée est l’affaire des entreprises et non une démarche collective – semble tout de même correspondre grosso modo à la situation prévalant jusqu’aux années 1970 au moins, le LSRH faisant plutôt figure d’exception.

VI. Conclusion

C’est durant l’entre-deux-guerres qu’a progressivement émergé dans l’Arc jurassien l’idée que l’industrie locale avait besoin pour se développer – ou en tout cas pour se maintenir – de faire appel aux connaissances des scientifiques et des ingénieurs. Il devenait clair que le savoir empirique acquis dans les ateliers de fabrication ne suffisait plus pour réaliser les changements technologiques nécessaires pour rester dans la « course au progrès ». Cette période marque d’une certaine manière la fin d’une conception romantique de l’horlogerie : la Première Guerre mondiale a prouvé la puissance du machinisme et de la production standardisée, les grands horlogers cèdent le pas aux grandes fabriques et les brillants inventeurs individuels sont rejoints par des bureaux d’études. Les avancées de l’horlogerie dépendent désormais tout autant des scientifiques dans leurs laboratoires que des horlogers à leurs ateliers.

Scientifiques, industriels et collectivités publiques ont tous participé, selon des rythmes différents, à ces transformations, à cette « révolution ».

Jaquerod a en quelque sorte agi comme un révélateur de l’évolution du système technique et industriel. En s’appuyant sur la structure de l’Univer-sité de Neuchâtel, il a cristallisé dans le LSRH la prise de conscience de

l’importance de la recherche dans l’horlogerie. Henri Mügeli, physicien et successeur de Jaquerod à la tête du Laboratoire, exprime bien le rôle qu’a joué cette institution durant cette première période :

« Le L.R.H. n’a pas de découvertes sensationnelles à son actif ; il s’est simple-ment mis à la disposition des techniciens et des industriels pour les aider à résoudre les difficultés rencontrées. Mais il a aussi cherché à remplacer les procédés empi-riques utilisés dans la fabrication de la montre par des méthodes basées sur des procédés scientifiques. De ce fait, il éveilla l’intérêt des fabricants en faveur de la science (...) »23.

Effectivement, au début des années 1940, l’intérêt des industriels est éveillé, et ceux-ci vont désormais largement soutenir le travail de R&D du Laboratoire. Quant à l’Etat, il a peu à peu élaboré une véritable politique de la recherche, accompagnant ainsi le développement du Laboratoire en palliant le financement défaillant des entreprises, autant dans l’entre-deux-guerres qu’à la fin des années 1970.

L’étude d’un laboratoire de R&D ne peut donc s’envisager uniquement sous l’angle de l’histoire des techniques. Elle invite également à une histoire intellectuelle – celle de la prise de conscience de l’importance de la recherche appliquée –, ainsi qu’à une histoire sociale – celle du patronat horloger suisse et des responsables économiques et politiques de l’Arc jurassien. C’est en adoptant cette vision « large » que nous semble devoir être développée une histoire de la recherche industrielle en Suisse, qui reste encore en grande partie à faire.

Thomas PERRET

Adresse de l’auteur : Institut d’histoire, Université de Neuchâtel, Espace Louis-Agassiz, 2000 Neuchâtel, thomas.perret@unine.ch

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23Henri MÜGELI, « Le Laboratoire Suisse de Recherches Horlogères et l’enseignement universitaire en chronométrie », Bulletin de l’Association des anciens étudiants de l’Université de Neuchâtel, février 1940, pp. 188-192.

Des Neuchâtelois dans la France en guerre (1419-1420)

Dans un royaume de France déchiré par les violences de la guerre de Cent Ans, une petite troupe de nobles neuchâtelois voyage à travers la Franche-Comté, la Bourgogne et la Champagne, pour rallier Paris, alors au cœur de la lutte de partis entre Armagnacs et Bourguignons. Héberge-ment, nourriture, chevaux, habillement... les comptes du voyage égrènent inlassablement les détails de la vie quotidienne des voyageurs. Mais la monotonie et la sécheresse de ces notes ne doivent pas tromper : cette expédition n’est pas un voyage comme un autre. C’est de la rançon de Jean, fils de Conrad de Fribourg, comte de Neuchâtel, dont il s’agit, et cette ambassade réunit tous les nobles du comté, les hommes les plus proches du comte Conrad (cf. illustration de couverture).

Le voyage à Paris a lieu dans l’hiver 1419-1420, peu après l’assassinat du duc de Bourgogne, Jean sans Peur, le 10 septembre 1419, lors de l’entrevue qu’il devait avoir avec le dauphin Charles sur le pont de Montereau. Or Jean de Fribourg, écuyer du duc, accompagnait Jean sans Peur dans ce qui allait se révéler une embuscade mortelle, et pris au piège avec les autres partisans du duc, il fut capturé par les hommes du dauphin. Cette expédition à Paris vient prendre place entre deux événements capitaux pour le devenir du royaume de France, d’une part la mort de Jean sans Peur, et d’autre part la signature du Traité de Troyes, le 21 mai 1420, – quelques semaines à peine après le retour des Neuchâtelois – qui déshérite le dauphin Charles au profit d’Henry V, roi d’Angleterre. En décembre 1419, Conrad de Fribourg, resté à Neuchâtel, charge ses plus proches conseillers de se rendre à Paris, afin de verser la rançon de son fils.

Les comptes du voyage ont été tenus par un clerc, qui participe à l’expédition et qui consigne jour après jour les frais, sous les ordres du comptable de l’expédition. Ce document inédit est un manuscrit de petit format, très bien conservé1, organisé en deux parties consécutives, recettes et dépenses. C’est la source privilégiée pour suivre le déroulement de ce voyage, même s’il subsiste inévitablement, du fait de la nature comptable du document, quelques ellipses et quelques zones d’ombre.

Dans un premier temps, on s’attardera sur la composition de l’expédi-tion, les personnages qui y participent et leurs liens avec la Bourgogne, qui constituent l’arrière-fond de l’affaire. Puis le voyage lui-même, l’itinéraire

1 Archives de l’Etat de Neuchâtel (AEN), Recettes diverses, volume 177, 36 pages, 29,511 cm.

suivi, les modalités du voyage et les dépenses qu’il engendre, feront l’objet de la deuxième partie, tandis que la dernière partie sera consacrée à Jean de Fribourg lui-même, aux conditions de sa libération et à la façon dont le montant de sa rançon a été rassemblé2.