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2.2 Modifications des membranes par les infections virales

2.2.3 Voies et facteurs cellulaires détournés pour l’adressage des protéines virales

Les voies et facteurs cellulaires sont impliqués à plusieurs niveaux des cycles viraux, que ce soit pour le recrutement de l’ARN et la synthèse des brins complémentaires, ou pour l’aide à la con- formation des protéines virales, ou encore pour leur recrutement au niveau des membranes et leur assemblage en complexes.

2.2.3.1 Protéines cellulaires impliquées dans l’adressage aux membranes ciblées

Le genre des Tobamovirus fait partie du supergroupe des Alphavirus-like, et est représenté, no-

tamment, par le Tobacco mosaic virus (TMV) et le Tomato mosaic virus (ToMV). Ces virus ont la parti-

cularité de se répliquer seulement si les protéines intégrales du tonoplaste, TOM (Tombamovirus multiplication) sont exprimées par la plante (Ishikawa et al., 1993; Nishikiori et al., 2006). Toute- fois, les protéines de réplication du TMV ont été localisées au RE par immunofluorescence (Heinlein et al., 1998), alors que celles du ToMV sont associées de manière prédominante avec le tonoplaste, mais également avec des fractions membranaires moins bien définies, incluant celles du RE, comme démontré par microscopie à fluorescence et des méthodes biochimiques de frac- tionnement (Hagiwara et al., 2003). La nature des membranes impliquées dans la réplication de ces deux virus n’est donc pas encore complètement élucidée.

Quant au TBSV, il requiert la protéine de navette peroxysomale PEX19, nécessaire pour la for- mation des membranes des peroxysomes, et la chaperonne heat shock protein 70 (HSP70) pour cibler les protéines virales aux peroxysomes (Dufresne et al., 2008; Jonczyk et al., 2007; Wang et al., 2009).

Figure I 13 – Schématisation du trafic des protéines dans la voie de sécrétion précoce. 1. Transport antérograde depuis le RE vers l’ERGIC ou le cis-Golgi, via les vésicules recouvertes de COPII. La for-

mation des manteaux COPII est régulée par le Sar1p-GTPase. L’attachement de Sar1p avec le RE requiert la liaison de GTP, processus facilité par la protéine d’échange de GTP (GEF) Sec12. Sar1p-GTP recrute les sous-complexes Sec23-Sec24p (bleu clair) du manteau COPII, ce qui permet le recrutement des protéines de cargo (vert clair), vers les sites de sorties du RE (ERES), et des protéines Sec13-Sec31p (violet), qui induisent la courbure de membrane et la formation de vésicules. L’hydrolyse du GTP de Sar1p par Sec23p a pour conséquence de désassembler le manteau COPII. La vésicule s’arrime ensuite aux membranes du ERGIC (ou cis-Golgi) par l’attachement de ses protéines, et

les interactions entre v-SNARE et t-SNARE permettent la fusion de la protéine.

2. Transport rétrograde depuis l’ERGIC (ou cis-Golgi) vers le RE pour rapporter les protéines du Golgi et du ER-

GIC au RE, via les vésicules recouvertes de COPI. La formation des manteaux de COPI est régulée par l’Arf1- GTPase. L’interaction d’Arf1 avec l’ERGIC requiert la liaison de GTP, facilitée par les protéines GEF GBF1 ou BIG1/2. Arf1-GTP recrute les complexes de manteau de COPI (bleu foncé) du cytosol, provoquant la courbure des membranes et la formation de vésicules adressée au RE. L’hydrolyse d’Arf1-GTP, par une protéine activatrice d’Arf1-GTP (Arf-GAP), conduit à la dissociation du manteau COPI.

Figure d’après (Netherton et al., 2007).

2.2.3.2 Détournement de la voie de sécrétion

Les voies de trafic intracellulaire impliquent celles de la sécrétion des protéines et de l’endocytose (Figure I 12).

Il a été rapporté que les réplications virales du PV et de l’HCV sont empêchées lorsque les cel- lules infectées sont traitées par la bréfeldine A (BFA). Cette drogue cible GBFI (Figure I 13), en bloquant l’activation d’Arf1(Richter et al., 2007). En conséquence, la production de vésicules COPI est inhibée. Cependant, l’expression des protéines du PV et de l’HCV en présence de BFA se traduit par l’apparition de nouvelles structures membranaires, non différentiables de celles ob- servées sans la drogue, ce qui indique que GBF1 est probablement impliqué plutôt dans le fonc- tionnement que dans la formation des complexes de réplication (Belov and van Kuppeveld, 2012).

Un autre exemple, bien documenté, de l’utilisation de la voie de sécrétion de l’hôte par un virus, est fourni par les potyvirus Tobacco etch virus (TEV) et Turnip mosaic virus (TuMV). La réplication

virale a lieu au niveau de vésicules localisées aux chloroplastes. Il a été démontré que ces vésicules sont induites par la protéine virale non-structurale 6K, en interagissant avec les protéines Sar1, Sec23 et Sec24 au niveau des ERES (Figure I 13). Ces vésicules transitent ensuite dans la cellule via les microfilaments d’actine ; l’infection est également dépendante de la voie des COPI (Figure I 12 et Figure I 13) (Cotton et al., 2009; Cui et al., 2010; Grangeon et al., 2012; Wei and Wang, 2008; Wei et al., 2010). La fusion des vésicules induites par la 6K, avec les chloroplastes est réali- sée par la protéine SNARE Syp71. Cette protéine interagit indirectement avec la protéine 6K et elle est essentielle pour l’infection virale (Wei et al., 2013).

2.2.3.3 Utilisation des protéines cellulaires impliquées dans le modelage des membranes

• Recrutement des protéines ESCRT

La voie dépendante des endosomes est employée par les cellules pour trier les protéines, en régu- lant par endocytose celles situées à la membrane plasmique, ou en triant les nouvelles protéines membranaires synthétisées présentes dans les vésicules issues du trans-Golgi vers les endosomes,

les lysosomes ou la membrane plasmique (Figure I 12). Cette voie fait intervenir en particulier les protéines ESCRT (Endosomal Sorting Complexes Required for Transport) qui jouent un rôle majeur dans le tri des protéines de cargo depuis la membrane des endosomes vers le lumen, via des invaginations de membranes et la formation de corps multivésiculaires (MVBs).

Figure I 14 – Modèles des rôles potentiels des RHPs dans la formation et/ou la maintenance des sphérules induites par le BMV.

(A) Le schéma des sphérules du BMV montre comment la protéine 1a (bleue) peut induire et stabiliser la courbure négative de la membrane dans le corps de la vésicule, tandis que les multimères RHPs forment des arcs (rouges) pouvant stabiliser la courbure positive des cols tout en étant aussi incorporée dans le corps de la vésicule.

(B) Le schéma indique la protéine 1a et les groupes de RHPs en arcs (bleus et rouges, respectivement) pour montrer que l’expansion de la taille de la sphérule, contenant des RHPs en (A), est essentiellement due à l’action des RHPs. Ils neutralisent partiellement le taux intrinsèque de la courbure de la membrane induite par la protéine 1a seule.

Figure d’après (Diaz et al., 2010)

Il a été démontré que les tombusvirus, tel le TBSV, se répliquent au niveau de la membrane des peroxysomes en recrutant différentes protéines ESCRT. Ainsi, la protéine non-structurale p33 virale, ubiquitylée, interagit avec la protéine Vps23 (protéine ESCRT-I) et Bro1 (un facteur ES- CRT accessoire) qui sont alors relocalisés aux peroxysomes. S’ensuit un recrutement des pro- téines ESCRT-III (Snf7 and Vps24) permettant l’assemblage optimal des complexes de réplica- tion, facilitant la colocalisation des protéines virales de réplication p33 et p92 dans une zone res- treinte de la membrane, et promouvant la formation de sphérules par déformation des mem- branes, ou par « stabilisation » les cols des sphérules. La réplication virale est dépendante de ces protéines ESCRT, pour la formation des complexes de réplication aux membranes des peroxy- somes. Puis les protéines ESCRT sont détachées des complexes viraux et recyclées (Barajas et al., 2009).

• Recrutement des réticulons et RHPs

Les protéines RHPs correspondent à l’ensemble des protéines ayant un domaine d’homologie avec les réticulons. Les réticulons sont un groupe de protéines responsables de la mise en forme des membranes du RE, en cloisonnant et stabilisant les tubules des membranes du RE, qui sont fortement courbées. Les RHPs ont la propriété d’oligomériser, ce qui pourrait être important pour leur aptitude à former les domaines tubulaires du RE et à y être localisées. L’oligomérisation pourrait aussi jouer un rôle dans l’induction et la stabilisation de la courbure de la membrane (Diaz and Ahlquist, 2012).

La protéine 1a du BMV interagit avec elle-même et est indispensable pour la formation des sphé- rules (Schwartz et al., 2002). Ces auteurs ont proposé que la protéine 1a tapisse l’intérieur des sphérules en formant un manteau, qui contribuerait à la formation et à la maintenance de la dé- formation des membranes. Les RHPs sont requises pour une réplication efficace en levure du BMV : la protéine 1a interagit avec les RHPs et les incorpore à l’intérieur des sphérules (Diaz et al., 2010). Dans le corps des sphérules, les RHPs auraient alors un rôle antagoniste des protéines 1a, qui induisent la courbure négative, expliquant la forme et la taille réduite des invaginations, en l’absence de RHPs. De par leur fonction, les RHPs seraient également impliquées dans la forma- tion et le maintien des cols des sphérules.

L’implication des réticulons a également été démontrée lors d’infections par des picornavirus. En effet, la protéine RTN3 (human reticulon 3) interagit avec les protéines 2C du PV, Coxsackievirus A16 et Entérovirus 71. Les protéines 2C sont les plus conservées chez les picornavirus et sont im-

pliquées dans la formation des vésicules associées aux compartiments de réplication (Tang et al., 2007).

La protéine RTN3 a également été retrouvée impliquée dans la formation des compartiments de réplication de l’HCV, dans lesquels elle interagit avec la protéine NS4B (Wu et al., 2014). Ces chercheurs ont d’abord proposé que la protéine RTN3 aide la protéine NS4B pour la formation du réseau membranaire. Or, ils ont constaté que la protéine RTN3 affecte la réplication virale en se liant au domaine AH2, structuré en hélice alpha. Cette hélice AH2 est normalement impliquée dans l’oligomérisation de la protéine NS4B, processus requis pour la réplication virale (Gout- tenoire et al., 2010). Donc, la protéine RTN3 est en compétition avec l’oligomérisation des pro- téines NS4B. Puisque la protéine RTN3 est impliquée dans la stabilisation du RE, Wu et al. (2014) ont proposé qu’elle contre l’action de la protéine NS4B, qui induit les réarrangements des membranes du RE.

2.2.3.4 Implications des lipides

Composants majoritaires des membranes cellulaires, les lipides sont depuis longtemps soupçon- nés de jouer un rôle dans les réplications virales. Les travaux de Wu et al. (1992) sur la synthèse in vitro de la réplication de l’ARN du FHV ont permis de montrer qu’une composition particulière

en lipides influence la réplication virale. Dans cet exemple, ils ont montré que la présence de gly- cérophospholipides (GPL) était nécessaire pour la réplication virale, contrairement aux lipides cationiques, et que la longueur et la saturation de la chaîne acyl des phosphatidylcholines influen- çaient également la synthèse de l’ARN. Ils ont par ailleurs proposé que la présence de GPL per- mette l’activation de la polymérase.

Confortant cette suggestion, Ahola et al. (1999) ont montré que l’activité de l’enzyme de coiffe du SFV nécessite son association avec les phospholipides anioniques de la membrane. De même, l’initiation de la synthèse d’ARN du BMV requiert la présence d’acides gras insaturés, comme démontré par l’absence de réplication dans des levures mutantes pour l’enzyme responsable de la synthèse de ces lipides (Lee et al., 2001).

Des cofacteurs impliqués dans le métabolisme des lipides sont utilisés par des entérovirus et l’HCV.

La liaison de la protéine 3A des entérovirus au GBF1 active Arf1(Belov et al., 2007) et augmente le recrutement aux membranes d’un effecteur protéique alternatif d’Arf1, le phosphatidylinositol- 4-kinase IIIβ (PIAPIIIβ) (Hsu et al., 2010). Le détournement de cette protéine conduit à l’enrichissement du compartiment membranaire en lipides phosphoinositides, tel le phosphatidy- linositol-4-phosphate (PI4P), facilitant le recrutement de la RdRp, 3Dpol, puisqu’elle se lie sélecti-

vement aux PI4P. Ces lipides influencent à la fois l’association de la polymérase aux membranes et sa capacité à synthétiser de l’ARN.

L’infection par l’HCV, ou l’expression de sa protéine NS5A, stimule la production cellulaire de PIAP, en interagissant avec l’enzyme PIAKIIIα, dont l’activité est requise pour la formation du réseau de membranes abritant les complexes de réplication (Reiss et al., 2011).

Il a également été démontré que la protéine de coiffe du SFV nécessite une liaison à la phospha- tidylsérine pour être active. Ainsi, l’association de la protéine à des lipides particuliers pourrait entraîner un changement de conformation de la protéine, indispensable à son activité (Ahola et al., 1999).

L’emploi de la cérulénine, un antibiotique issu de champignon, qui inhibe la synthèse de novo de

phospholipides, dans les premiers temps de l’infection de cellules par le SFV - entre 0 et 1 h p.i. - bloque la réplication virale, alors que l’effet est moindre dès 2 h p.i. (Perez et al., 1991). Ces résul- tats ont permis aux auteurs de suggérer que l’infection par le SFV induit la synthèse de phospho- lipides pendant les premières heures de l’infection virale. En employant différentes concentra- tions de cérulénine, Carette et al. (2000) ont également démontré que la réplication du CPMV nécessite la synthèse de novo de lipides, contrairement à celles du TMV et de l’AMV. Puisque le

CPMV cible le RE, site de synthèse de la majorité des phospholipides, ils ont proposé que le CPMV stimule cette synthèse conduisant à la prolifération du RE et à la formation de vésicules observées lors de l’infection virale. De même, il a été démontré que le GFLV (Ritzenthaler et al., 2002) et le PVX (Bamunusinghe et al., 2009) nécessitent la synthèse de novo de lipides pour leur

Les virus ne requièrent pas uniquement une composition particulière en lipides pour la formation appropriée de leurs complexes mais peuvent stimuler, de novo, la synthèse de lipides. Dans le cas

des infections par le West Nile virus (WNV) ou le DENV, des enzymes de synthèse du cholestérol

et le cholestérol cellulaire sont redistribués aux complexes de réplication (revu dans Heaton and Randall, 2011).

Enfin, l’ajout d’inhibiteurs de la géranylgéranylation provoque la dissolution des complexes de réplication de l’HCV. L’assemblage de ces complexes, ainsi que la réplication de l’HCV, peuvent être restaurés par l’addition de geranylgeraniol, un donneur de groupes prenyl. Puisque le génome ne code pas pour des protéines pouvant être géranylgéranylées, les auteurs ont proposé que l’infection nécessite la présence de protéines de l’hôte possédant ce type de modification post- traductionnelle (Ye et al., 2003).