• Aucun résultat trouvé

Dans le Bangkok d’aujourd’hui, les voitures vont aussi vite sur l’autoroute que les péniches sur la rivière Chao Phraya. Il y a dix millions d’habitants et un réseau urbain aussi emmêlé que trois bols de nouilles réunis3. [Win]4

Fig. 1

©Pierre Pichard

Fig. 2

De grandes avenues, des soi en impasse, des voies rapides qui surplombent le tout, le réseau urbain de la capitale semble en effet bien emmêlé. Mais si l’on considère l’histoire de la formation de ce réseau, une certaine logique apparaît. En effet, la ville était depuis sa fondation en 1782 construite à partir des voies d’eau que sont le fleuve Chao Phraya,

les rivières qui le rejoignent et les khlong2 creusés au fur et à mesure de l’extension

urbaine. Toute la vie de la cité est alors structurée par ce réseau fluvial. Les habitations, ateliers, fermes, temples sont construits sur les berges des rivières aménagées et des canaux. Derrière les bâtiments, des chemins serpentent dans les rizières et les vergers (fig. 1).

4

Dès le 跉ꁳ跉e siècle, la ville s’étend bien au­delà de l’îlot historique de Rattanokosin et le

tissu urbain s’intensifie. Des avenues sont percées entre les canaux et de nouvelles zones de commerce et de services se développent le long de ces axes routiers. Les chemins de rizières sont alors transformés en ruelles où fleurissent lotissements et petits immeubles (fig. 2).

5

Illustration de Pierre Pichard

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

Ban Yuan Samsen est un des nombreux villages construit au delà de l’île Rattanakosin.

Les canaux jouent un rôle de protection et de communication. Bangkok étant située presque au niveau de la mer, elle est très sujette aux inondations. Ils permettent ainsi d’évacuer le trop plein d’eau hors de la ville et de le déverser dans les rizières et les territoires agricoles.

«La vie de la cité est structurée par ce réseau fluvial»2. Les habitations,

fermes, temples, commerces sont construits le long des berges des canaux et du fleuve. Tout autour, des chemins serpentent entre les rizières et les vergers. L’habitat thaï est donc historiquement très lié à l’eau et aux canaux. Vivre sur la terre ferme est considéré à l’époque comme un privilège réservé aux nobles et aux moines. Il faut en effet remblayer les parcelles puisque la ville est construite sur les marécages du delta. L’architecture est vue comme une représentation du pouvoir. Les habitations de teck et de bambou se placent naturellement sur les berges des voies d’eau. Cet emplacement est stratégique pour développer le commerce, transporter les marchandises et les habitants.

La ville est peu étendue, les territoires agricoles et les jardins occupent une place très important dans le delta du Chao Praya. A cette époque, on ne circule qu’en bateau. Les bâtiments importants sont donc construits sur les berges car les matériaux sont transportés sur l’eau.

La structure des habitations de la communauté prend en compte les risques liés à l’eau et à la nature parfois hostile. Les pilotis permettent de se protéger des inondations, des mammifères et des reptiles. L’eau permet de développer les activités de pêche et de commerce et permet d’irriguer les rizières et plantations situées derrière les bâtiments. Le Khlong sert de voie de circulation, de lieu de pêche et de baignade, de salle de bain, de lavoir, d’égouts ... Il n’y a pas de centre ni de périphérie, les constructions sont disposées de façon linéaire.

La communauté Ban Yuan Samsen est composée de quelques maisons de bois. Petit à petit, le village grossit et une église est construite : la Immaculate Conception Church. En 1851, le roi Rama IV leur donne des terres afin de construire une nouvelle église : St. Francis Xavier Church. La communauté compte alors de plus en plus d’habitants.

2 GERBEAUD Fanny «L’habitat spontané comme un outil de développement urbain. Le cas de Bangkok». Revue Moussons, 2011.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

11/02/2017 Le tout et son contraire : une lecture de Bangkok

http://moussons.revues.org/757 3/15

©Pierre Pichard

Fig. 3

©Pierre Pichard

À partir des années 1950, le processus s’accélère. Tout naturellement, le réseau routier se développe et de plus en plus de bâtiments sont construits. Ceci explique que de nombreux soi finissent en impasse arrêtés par les khlong et qu’il n’y ait pas de jonction entre eux. Au bout de certaines de ces ruelles, les plus larges généralement, un pont est construit sur le canal, ce qui permet la communication avec le quartier voisin (fig. 3).

6

Ainsi la « Venise d’Orient » s’est transformée en la mégapole actuelle. Cependant, aujourd’hui encore, le fleuve reste une voie de communication fort utilisée pour les marchandises. De longs convois de barges tirées par des remorqueurs témoignent de l’activité fluviale. Une ligne de bateaux bus (Chao Phraya Express) est très appréciée par ceux qui veulent échapper aux embouteillages de la capitale. Les khlong sont

7

Illustration de Pierre Pichard

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

///Intégration de la communauté dans le tissu urbain

Au XIXeme siècle, la ville se développe au delà de l’île de Rattanakosin et le

tissu urbain devient plus dense. Il est alors nécessaire de construire entre les voies d’eau. Les chemins de terre se bâtissent et des petits immeubles apparaissent, ils forment les soi3 actuels. Des avenues sont tracées entre

les canaux, à l’origine de la ville que l’on connait. De nouvelles zones de commerces et de services se développent le long de ces nouveaux axes routiers. C’est ainsi que la communauté Ban Yuan Samsen se retrouve intégrée à la ville. Elle se situe dans le proche centre historique. Le territoire rural dans lequel elle s’était implantée est maintenant le centre- ville de la capitale du Royaume. Elle ne peut plus s’étendre au delà du périmètre déjà construit. La communauté doit s’adapter à son nouvel environnement. Elle est contrainte de construire sur l’eau, ce qui force les nouveaux arrivants à vivre dans l’illégalité. En effet, le droit municipal interdit à quiconque de résider sur le fleuve.

Aujourd’hui, on distingue par l’architecture ce qui est bâti sur le sol et ce qui est construit sur pilotis (au dessus de l’eau). Pourtant, à l’origine, les différentes habitations appartenaient à la même communauté.

La communauté est confrontée de par son histoire aux changements et évolutions permanents de son environnement, donc de sa forme bâtie et sociale. A l’image d’une ville dans la ville, la population de la communauté évolue, mais son territoire est restreint. La communauté se densifie alors et s’adapte pour répondre aux nouvelles contraintes. L’architecture des habitations en bois est conservée tout au long de l’évolution de la communauté. Le savoir est transmis aux nouvelles générations. Ainsi les maisons sont consolidées, ou rebâties en suivant les règles traditionnelles des habitats thaïs.

On ne peut donc pas réellement dater les habitations car elle sont sans cesse rénovées. Chaque habitation évolue avec ses habitants et les différentes générations des familles qui y habitent.

//// Disparition progressive des communautés

En 1954, le Krung Thon Bridge est construit. Il permet de relier le quartier de Ban Yuan Samsen à Thonburi, de l’autre côté du Chao Praya. La communauté est alors totalement envahie par la circulation automobile. La pollution de l’air augmente et les conditions de vie 3 Les Soi (en thaï) caractérisent les petites rues perpendiculaires aux Thanon (l’équi- valent d’avenues en Français).

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

40

http://moussons.revues.org/757 3/15

©Pierre Pichard

Fig. 3

©Pierre Pichard

À partir des années 1950, le processus s’accélère. Tout naturellement, le réseau routier se développe et de plus en plus de bâtiments sont construits. Ceci explique que de nombreux soi finissent en impasse arrêtés par les khlong et qu’il n’y ait pas de jonction entre eux. Au bout de certaines de ces ruelles, les plus larges généralement, un pont est construit sur le canal, ce qui permet la communication avec le quartier voisin (fig. 3).

6

Ainsi la « Venise d’Orient » s’est transformée en la mégapole actuelle. Cependant, aujourd’hui encore, le fleuve reste une voie de communication fort utilisée pour les marchandises. De longs convois de barges tirées par des remorqueurs témoignent de

l’activité fluviale. Une ligne de bateaux bus (Chao Phraya Express) est très appréciée

par ceux qui veulent échapper aux embouteillages de la capitale. Les khlong sont

7

Illustration de Pierre Pichard

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

deviennent de plus en plus difficiles. Naturellement, les pôles d’échanges et de commerce se déplacent du réseau fluvial au réseau routier.

Finalement, l’urbanisation de la ville explose dans les années 80 et il est aujourd’hui difficile de lire la ville à partir de ses canaux car ces derniers ont disparu sous le béton. Le développement incontrôlé de la ville a laissé place à une politique trop libérale. Aujourd’hui il n’y a pas de limite pour construire si on a des fonds financiers suffisants. Les tours les plus hautes se construisent, comme dans de nombreuses métropoles Asiatiques. Bangkok compte actuellement 10 millions d’habitants et 18 millions dans son agglomération.

Lorsque l’on découvre Bangkok, les premiers mots qui la caractérisent sont «bruyant», «sale», «désorganisée». Pourtant lorsque l’on y habite, on peut y voir une certaine logique. Et l’histoire de la formation rend encore plus compréhensible la ville d’aujourd’hui. Le quartier de Ban Yuan Samsen exprime très visiblement ce développement instantané. En très peu de temps, la communauté s’est retrouvée encerclée de toutes parts. Elle a malgré tout conservé son mode de vie communautaire et entretenu son patrimoine architectural, bien que les modes de vie aient nécessairement évolué.

On peut alors parler d’architecture vernaculaire. Ce terme caractérise ce qui est indigène, natif, propre à un pays et ses habitants. «Les bâtiments vernaculaires ne sont pas construits par l’architecte mais par la société, en relation avec son environnement naturel, au-delà des générations.» Cette définition de Krisprantono (2003), relayé par Noha Goel dans «The Urban Vernacular» définit totalement Ban Yuan Samsen. Malgré les changements notables qui ont transformé l’environnement de la communauté, celle-ci a su maintenir le village et son architecture. «The end product of vernacular buildings is therefore, the meeting of local needs by means of local beliefs, nature, local materials and social interaction. These needs relate to their environment, to their respective economies and occupations, to their inheritances and their aspirations and to their relationships with other social groups.»

Lorsque Noha Goel4 essaie de définir succinctement ce qu’est

l’architecture vernaculaire, un autre enjeu entre en considération. La notion de groupement, de collectif. En effet, les liens entre les habitants ont une influence directe sur l’organisation spatiale de la communauté. 4 GOEL Noha extrait de «Squatter settlement : The urban vernacular?», 2010.

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

Dans ces espaces, l’intimité et les espaces publics, les transitions et seuils sont extrêmement subtils et empreints de codes. C’est par le rassemblement des savoirs, des croyances, des besoins, que naît une communauté. Celle-ci créé sa propre économie au sein du groupe et c’est ce qui a permis la résistance de la communauté jusqu’à aujourd’hui.

Documents relatifs