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/ Qu’est-ce qu’une communauté aujourd’hui à Bangkok?

Il est intéressant d’étudier le vocabulaire utilisé par les thaïs pour décrire ses quartiers informels. De «slum» qui signifie bidonville en anglais, le langage a évolué à «salam» en thaï puis à «chumchon» qui signifie communauté. En 1960, le terme chumchon était utilisé pour «un groupe de personnes résidant sur un même territoire et ayant des intérêts communs». Il y a donc l’idée de village, de culture communautaire. On peut donc voir la communauté informelle comme un retour aux racines. Il existe un lien très fort entre l’habitat spontané et la culture du spontané dans la ville.

En effet les petits commerces ou certains métiers qui ont disparu dans les pays occidentaux perdurent en Thaïlande. Les services de proximité représentent une part importante de l’économie de la ville. Les thaïs entretiennent un grand nombre d’activités informelles (moto- taxi, vendeur ambulants, vente sur le trottoir, cirage de chaussures, rapiècement des vêtements...). Ces commerçants ne sont pas liés à une forme architecturale fixe5. Au contraire il y a une grande liberté

et évolutivité de ce genre de commerce. Parfois il s’’agit de commerces ambulants , le stand se transforme, se déploie et évolue à l’image des habitations des communautés. Ces activités commerciales informelles participent à la vie du quartier. Il en est de même pour les quartiers informels. Si la communauté Ban Yuan Samsen pouvait vivre en autosuffisance lors de sa création, aujourd’hui les modes de vie sont intrinsèquement liés à la ville de Bangkok. Il serait néanmoins faux de prétendre que tous les habitants travaillent dans des secteurs informels. C’est justement cette «cohabitation au sein des slums des travailleurs des secteurs d’activités officielles et du secteur informel6» qui crée cette

5 BOONTHARM Davisi dans «Bangkok, Formes du commerce et évolution urbaine», 2002.

6 BAFFIE Jean « Les Slums de Bangkok, dynamisme et précarité», 1987.

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richesse. Jean Baffie a réalisé plusieurs études de cas sur les communautés de Klong Toei (60 000 habitants) et Ban Khrua. Sa conclusion est claire: «Les employés modestes, les petits commerçants du secteur officiel ne semblent pas systématiquement jouir d’avantage décisif, tant en terme de revenu que de statut social.»

//Un quartier dans la ville

La communauté est historiquement auto-centrée puisqu’elle est composée d’immigrés vietnamiens ayant fui leur pays. Avec la pratique de la pêche et la production de fruits et légumes elle était, lors de sa création, auto-suffisante. Pourtant, lorsque la ville se développe jusqu’à l’intégrer dans sa forme urbaine, son mode de fonctionnement est forcé d’évoluer. Pour ne pas disparaître, la communauté va tisser de nombreux liens avec la ville de Bangkok. Aujourd’hui, la forme du bâti interpelle mais la communauté est bien intégrée à la capitale thaïlandaise.

«Les communautés en bordure de canaux dissimulent, derrière leurs juxtaposition d’architectures éclectiques, de réelles interactions spatiales et économiques avec le quartier.»7

On ne peut pas réellement définir où s’arrête la communauté et où commencent les autres quartiers. Chaque habitant a son propre réseau d’influence et de connaissances, de lieux qu’il fréquente quotidiennement. (voir cartes sensibles en annexe).

Considérer la communauté comme un espace à part entière est une erreur dans le sens où ce n’est pas réellement un espace fermé et isolé. Celui-ci évolue sans cesse et est connecté depuis plusieurs générations à la ville. Elle se différencie néanmoins des autres quartiers plus contemporains par son maintien des traditions anciennes héritées mais qui ont évolué avec les habitants.

Ainsi Jean Baffie insiste sur la dépendance des communautés et de la ville de Bangkok : «Loin d’être seulement des bidonvilles marginalisés, les slums sont d’abord pour la plupart des quartiers bien vivants, ayant souvent leur spécificité, quant aux activités qui les sous-tendent, les animent, quant aux groupes, voire aux ethnies qui les composent. Ils sont souvent le témoin d’une intégration particulière des villages urbains et des ruraux émigrés dans les structures spatiales et économiques de la ville moderne.»

7 GERBEAUD Fanny extrait de «L’habitat spontané comme un outil de développement urbain. Le cas de Bangkok.», 2011.

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Les connexions à la ville se matérialisent par l’influence de la communauté sur la ville. Par exemple tous les dimanche matin, un marché s’installe dans le soi 13 à l’entrée de la communauté et attirent les familles alentours. De nombreux habitants de la communauté travaillent aussi comme chauffeur de moto-taxi ou de tuk-tuk, ils permettent ainsi aux habitants de tous les quartiers à proximité de se déplacer ou de transporter des marchandises. A l’inverse, la ville apporte aussi ses services. La communauté est en effet desservie par les réseaux publics. /// Les réseaux

J’ai d’ailleurs été étonnée (par naïveté sans doute) lors de ma première visite dans la communauté de voir que les maisons ont chacune un numéro, une boite aux lettres.

La communauté hiérarchise donc ses rues et ruelles, impasses, et attribue à chaque habitation un numéro qui lui permet de recevoir du courrier comme les autres habitations de la ville.

Elles sont toutes reliées au réseau d’électricité, parfois de manière précaire. Sur les toits de nombreuses maisons se détachent les silhouettes des antennes de télévision. J’ai pu apercevoir ordinateurs et autres appareils électroniques dans de nombreuses maisons.

Néanmoins, l’hygiène reste un problème majeur : l’accès à l’eau reste difficile. Il existe souvent un espace commun (à une grande famille) pour laver la vaisselle et le linge. Toutes les eaux usées sont déversées dans le Chao Praya (directement sous les habitations). Cela pose des gros problèmes environnementaux. Les eaux deviennent de plus en plus polluées et les déchets s’amoncellent sous les pilotis.

Un bateau-poubelle passe chaque semaine pour récupérer les déchets par le Chao Praya mais cela n’empêche pas les habitants de se servir du fleuve comme décharge.

La jacinthe d’eau, une plante très invasive importée d’Europe par la famille royale pollue également les eaux de tout le pays, cela bloque la circulation des bateaux et les plantes se bloquent sous les pilotis.

La forte densification de la communauté, due à son enclavement lors de l’expansion de la ville, entraine des problèmes de raccordements aux réseaux d’eau, d’électricité, d’égouts. La pollution est un problème majeur dont souffre la communauté, et qui la fragilise encore plus.

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19 septembre 2015

Le lendemain de ma promenade en bateau, je demande à plusieurs amis thaïs s’ils peuvent me renseigner sur ce lieu, ce village un peu particulier, ce «slum» d’après eux. On me guide alors jusqu’à Tam Chananun (une étudiante en dernière année) qui semble s’y intéresser pour sa «thesis», l’équivalent du PFE français. Il s’agit apparemment d’un bidonville vieux de plusieurs centaines d’années, formés de différentes familles ayant immigré d’Ayutthaya jusqu’à Bangkok. Ce n’est pas prudent de s’y promener seule, surtout en tant que touriste et fille qui plus est. Mais elle projette d’y aller pour faire des relevés et me propose de l’accompagner. Noé, un étudiant bordelais en mobilité à Bangkok souhaite aussi participer à l’expédition.

20 octobre 2015

Ce quartier est en grande majorité constitué d’habitations et je ne peux m’empêcher de me sentir un peu gênée de vouloir y pénétrer. Je me sens un peu comme une étrangère qui pénètre un territoire interdit, même si je souhaite respecter l’intimité des habitants. Cette sorte de fascination que je ressens pour ce quartier pourrait facilement être mal interprété. J’emporte mon appareil photo mais je le glisse dans mon sac pour ne pas paraître trop intrusive. Je me sens plus légitime à pénétrer dans l’univers de ces habitants aux côtés de Tam, qui va pouvoir communiquer et expliquer notre démarche. Après avoir revêtu une tenue discrète et m’être débarrassée de tout accessoire inutile, nous partons à la découverte de la communauté Ban Yuan Samsen.

Le premier travail réalisé avec la communauté de Bangkok a été de savoir qui habitait à Ban Yuan Samsen. A partir

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de quatre questions très terre à terre posées à plusieurs habitants au sein de la communauté, j’ai effectué le parcours journalier ou quotidien de plusieurs familles. Ces cartes sont pour moi importantes car elles tracent le chemin d’habitants qui ne sont pas «recensés» en Thaïlande. Les cartes de la ville ont comme «gommé» les communautés. Ces habitats sont informels (bien que parfois très anciens) et disparaissent des cartes, comme dans l’esprit du gouvernement. Celui-ci essaie en effet, de déloger toute communauté de la ville afin de donner une meilleure image pour les touristes.

Voici les questions posées : - Quel est votre travail? -Où allez-vous manger?

-Avez-vous des enfants? Où vont-ils à l’école? -Quelle est votre religion? Où allez-vous prier?

Ces questions aussi futiles soient-elles permettent d’aller au devant des habitants, de les rencontrer et d’établir un premier contact avec eux.

Grâce à Tam (Chananun Chanwalaiphorn), j’ai pu traduire les différentes réponses, trouver les lieux, dans le quartier ou plus loin, et tracer les parcours de chacun. Ceux-ci marquent pour moi leur relation à la ville. Ces liens dessinés, entre les bâtiments publics, privés et les habitants «effacés» par les cartes officielles, permettent de leur redonner leur légitimité.

A ma grande surprise, en analysant les données, celles- ci sont extrêmement variées. La communauté n’est pas exclusivement chrétienne comme lors de sa création. Les habitants peuvent parcourir de très nombreux kilomètres pour aller à l’école, en fonction de leurs moyens. En effet les plus pauvres vont à l’école du temple bouddhiste le plus proche de la communauté : le Wat Makut Kasattiyaram. Cette école est gratuite et dispensée par des moines. Quand au familles plus aisées, les enfants ont accès à de prestigieuses écoles privées situées à plusieurs dizaines de km de la communauté.

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Carte des parcours empruntés par les cinq familles de la communauté

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Mittrakam I

Mittrakam II

Rat Cha Pha Tubtim

Pont K rung T hon

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//// Une certaine perméabilité des règles

La communauté s’est installée au bord du canal nouvellement construit grâce à une autorisation du Roi permettant aux ouvriers de construire leur habitation sur ses terres, proche du chantier auquel ils ont participé. Depuis toujours, les Thaïs ont conservé la culture du négoce, de la discussion. Les accords donnant-donnant sont très fréquents entre autorités publiques et habitants ou entre les habitants eux-même. Il existe encore aujourd’hui des rapports de proximité, d’entraides, beaucoup plus que dans certains pays occidentaux.

Cette flexibilité se remarque au niveau du commerce mais aussi des lois, la corruption est encore très présente. Le gouvernement ferme les yeux sur certaines pratiques mais peut intervenir quand il le souhaite en raison de l’illégalité de ces pratiques. Les marchants ambulants par exemple qui représentent un signe distinctif dans la ville de Bangkok, ne sont en réalité pas autorisés à occuper l’espace public. Il n’existe pourtant pas une rue ou un soi sans que l’on rencontre un stand de street-food. La police ferme les yeux, après avoir négocié financièrement avec les marchands.

La communauté était d’ailleurs avant tout un comptoir commercial. Elle profitait de sa position stratégique en bord de canal pour tirer profit de tout ce que le Chao Praya pouvait lui apporter. Petit à petit Ban Yuan Samsen a été forcée de se retourner de la rivière vers la ville. Le commerce sur l’eau a disparu et les familles se sont reconverties dans le commerce de «street-food», ou de vente sur les marchés. Seule une activité liée à l’eau persiste encore. Il s’agit des plongeurs, qui recherchent chaque jour dans les eaux troubles du Chao Praya des objets ou des matériaux à vendre.

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